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UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isère


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble -   2002
  

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1.1.2.3 La stratégie de médiatisation

Dès son lancement, Attac a bénéficié d'un intérêt très prononcé de la part des médias. Lors des premiers mois, de nombreux articles ont relaté la constitution de l'association. Les premières rencontres nationales, qui ont eu lieu le 17 octobre 1998 à la Ciotat, ont également été très suivies par les médias, tandis que l'association comptabilisait moins de 4000 adhérents. La presse semble avoir témoigné d'un intérêt pour l'association qui paraît disproportionné au regard de la croissance du mouvement. Cet intérêt semble d'ailleurs être réciproque car l'association n'est pas indifférente au regard que lui portent les médias. Il est, bien sûr, indispensable pour la plupart des organisations qui souhaitent occuper la sphère publique de bénéficier d'un relais médiatique. Toutefois, les documents de l'association consacrent beaucoup d'importance aux articles que la presse publie sur Attac. Deux mois après le lancement, un article du Monde diplomatique remarquait que « comme le prouve plusieurs articles commentant sa création, notamment celui paru dans le Point, Attac dérange déjà : c'est un bon signe ! Une raison supplémentaire pour que l'association soit aussi forte que possible à la rentrée »101(*). Bernard Cassen n'hésite pas à interpréter la médiatisation du mouvement comme un signe de succès102(*). Les exemples pourraient être multipliés. Cette médiatisation est, selon nous, amplifiée. Elle relève également d'un phénomène « d'auto réalisation » qui a pour but d'accomplir ce qui est affirmé. Le discours n'exerce pas seulement dans cette situation une fonction déclarative, mais il a également une disposition performative, c'est-à-dire qu'il exerce une action sur la réalité dont il prétend rendre compte103(*).

La médiatisation dont a bénéficié Attac s'explique par certaines stratégies qui ont été mises en place dès sa création. Tout d'abord, le lancement de l'association par un ensemble de personnes morales, mais surtout de personnes physiques qui sont pour la plupart « célèbres », rend compte de cette volonté de promouvoir Attac au sein des médias. Comment expliquer autrement la présence de Manu Chao au sein d'un comité composé essentiellement d'économistes et de chercheurs ? D'autre part, la présence de nombreux journaux (huit) au sein des personnes morales témoigne de la tentative de publiciser la constitution de l'association. Les premiers articles consacrés à Attac ont d'ailleurs été publiés par ces revues.

Les dirigeants ont toujours su mettre à profit les médias dans le développement d'Attac104(*). Dès le mois de juin, des conférences de presse nationale ont été organisées à l'initiative du bureau. L'association s'est mise à la disposition des journalistes pour faciliter leur travail. Cette médiatisation a été renforcée depuis la conférence de Seattle, en décembre 1999, à partir de laquelle les contre-sommets se sont multipliés. D'ailleurs, dans les médias, Attac est mis en avant de façon excessive vis-à-vis des autres organisations qui sont présentes. Ainsi, lors des actions unitaires, Attac tient le plus souvent le « haut du pavé » et « vole la vedette » aux autres organisations présentes. Il est difficile de rendre compte de ce phénomène105(*). Toutefois, il semblerait qu'il puisse être expliqué en partie par une tentative délibérée de la part des dirigeants d'accentuer la médiatisation du mouvement. Par exemple, lors du contre-sommet de Gênes, qui s'est déroulé du 16 au 22 juillet 2001, une manifestation a eu lieu le 17 juillet sur l'initiative d'Attac106(*). Les organisateurs du groupe Attac ont fait circuler l'information et le lieu de départ. Toutefois, il s'est avéré, qu'il n'y avait au sein du cortège qu'une « cinquantaine » de militants, soit autant que le nombre de journalistes. Cela témoigne d'une volonté de médiatiser le mouvement au détriment d'une réelle représentativité de la manifestation. Cette anecdote rend compte de façon précise des stratégies qui sont privilégiées par la direction nationale d'Attac107(*).

La médiatisation dont bénéficierait Attac serait davantage le résultat d'une mise en scène et d'un travail de publicisation de l'image de l'association qu'un reflet réel de l'importance du mouvement. Un fait peut étayer cette hypothèse : tandis que l'association a profité de l'intérêt des médias dès son lancement, le comité isérois n'a été médiatisé que très tardivement. Le comité a été créé en novembre 1998 mais jusqu'en décembre 2000, à l'occasion du congrès du P.S qui a eu lieu à Grenoble, la présence d'Attac Isère dans les journaux locaux est quasi inexistante. Luc, le président isérois, explique d'ailleurs qu'aucun journaliste ne se présentait aux conférences de presse qui étaient organisées. En revanche, les articles se sont multipliés depuis quelques mois. A l'occasion du défilé du 1er mai, un article du Dauphiné Libéré note la présence d'un cortège Attac108(*). De même, un article relate la journée d'action consacrée aux paradis fiscaux organisée par le comité. Un article du Dauphiné Libéré fut consacré exclusivement au comité local. Enfin, une journaliste fut chargée de suivre à Gênes les militants isérois venus manifester. Cette couverture médiatique, dont bénéficie actuellement le comité, peut sembler assez tardive en comparaison de l'écho dont a profité l'association au niveau national. Cela confirmerait le fait qu'il y ait eu une sur-médiatisation d'Attac, celle-ci étant due, en partie, à une mise en scène de la présence de l'association au sein de l'espace public.

Luc : Depuis peu, on commence à être pris au sérieux par le Dauphine Libéré, on a rencontré ce matin une radio extrémiste. Mais à mon avis, on ne fait pas assez d'information par rapport aux médias. Il faut aussi qu'ils soient ouverts. Maintenant, il semble qu'on y passe. Il faudrait qu'on envoie systématiquement tous nos dossiers à tous les médias mais nous n'avons pas ses contacts. Ceci dit nous avons fait plusieurs fois des conférences de presse où personne n'est venu. Par exemple avant une manifestation quelle qu'elle soit, on essayait plusieurs fois de faire des conférences de presse. C'est depuis un mois ou deux, que ça commence vraiment à marcher.

La mise en place de l'association ne correspond pas à la spontanéité que revendiquent les dirigeants nationaux. Il semblerait que cette représentation soit issue d'un processus de mise en scène du lancement de l'association et de son image. C'est en présentant Attac comme un mouvement dynamique orienté vers la « modernité » (par le thème de la mondialisation) et qui s'ancre dans une tradition associative (l'éducation populaire) qu'un ensemble de sympathies et d'engagements ont pu naître. Ce renouveau de l'engagement citoyen serait donc essentiellement une construction. Il ne s'agit pas de nier l'effectivité de cet engagement mais simplement d'en remettre en cause la spontanéité.

Toutefois ceci n'explique pas adéquatement les motifs de cette mise en scène. Le mouvement dispose désormais d'une certaine dynamique et il n'apparaît plus nécessaire de la promouvoir de façon excessive. De plus, pourquoi vouloir naturaliser la création d'Attac en présentant l'association comme l'émanation des citoyens ? Il semblerait que cette représentation vise à légitimer le fait qu'Attac ait été crée de façon nationale. Attac est avant tout un mouvement de citoyens. C'est pourquoi le rôle du national ne serait pas de « diriger » les membres de l'association mais de les « coordonner ». Le national et le local apparaissent donc comme deux instances qui sont indispensables l'une à l'autre. 1.2 Une dialectique entre le local et le national ?

L'éditorial « Désarmer les marchés » correspond à la référence intellectuelle d'Attac; il est à ce titre un des textes les plus essentiels du mouvement. Toutefois, il n'est doté d'aucune valeur juridique. C'est en juin 1998, soit six mois après, que les fondements statutaires sont élaborés. Ils affectent à l'acronyme formulé par Ramonet la personnalité juridique. Ce qui n'était avant que des idées et des voeux pieux dans l'article du Monde Diplomatique devient dés lors des revendications. Toute une organisation, statutaire mais aussi matérielle, est progressivement mise en place afin de soutenir la lutte contre les marchés financiers.

* 101 « Attac s'organise », art.cit, p. 2.

* 102 « On en apprend tous les jours sur Attac : il suffit de consulter les nombreuses coupures de la presse régionale qui nous parviennent quotidiennement et qui rapportent les activités foisonnantes des comités locaux. Sans parler des analyses que publient à un rythme accéléré les médias nationaux et certaines revues théoriques, auxquels il faut ajouter de premiers travaux universitaires. C'est que le phénomène Attac intrigue et parfois même déconcerte ». Attac, Tout sur Attac, op.cit, p. 7.

* 103 Le philosophe britannique Austin distingua dans sa théorie du langage deux types d'énoncés : certains énoncés ont une fonction constatative ou descriptive, tandis que les énoncés performatifs correspondent à des actes de langage, c'est-à-dire qu'ils servent à agir sur autrui. De cette distinction, Austin déduira que tout acte d'énonciation est porteur d'un contenu locutoire (interprété en terme de sens) et d'une valeur illocutoire d'actes de discours. Austin définit cette dernière comme étant « un acte effectué en disant quelque chose, par opposition à'acte de dire quelque chose ». Austin (John), How to do Things with words, Oxford U.P., 1962 ; trad. De G. Lane, Quand dire, c'est faire, Paris, Seuil, 1970, pp. 122-113. Cité dans Morichère (Bernard), Philosophes et

philosophies, Paris, Nathan, Tome 2, pp. 445-446.

* 104 On peut d'ailleurs noter que ceci n'est pas le propre d'Attac, puisque les méthodes utilisées sont proches de celle que José Bové avait mis en oeuvre à l'occasion du démontage du McDonald's de Milleau.

* 105 On pourrait citer, par exemple, un ensemble d'articles de presse consacrés à des manifestations unitaires où le nom d'Attac est, très souvent, un des seuls qui apparaît.

* 106 Ces propos nous ont été relatés par une militante du comité isérois qui a participé à cette manifestation, puis ils ont été confirmés par un autre militant parisien rencontré à Gênes. N'ayant pas participé personnellement à cette manifestation, nous tenons à prendre certaines réserves sur ces informations qui demanderaient à être recoupées par d'autres sources.

* 107 Nous avons pu également observer le mécontentement de plusieurs militants durant le sommet de Gênes, pour qui le but recherché par la direction nationale d'Attac serait avant tout, d'obtenir un certain succès médiatique, plutôt que de faire aboutir réellement les revendications dont est porteur le mouvement.

* 108 J-P-F, « Sous le soleil ? Pas exactement... », Le Dauphiné Libéré, 2/05/2001.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery