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UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isère


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble -   2002
  

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2.2.1.2 Les limites de l'éducation populaire

2.2.1.2.1 La vulgarisation des revendications

Le travail d'éducation populaire vise à rendre accessible des questions jugées complexes. Toutefois, les thèmes abordés par Attac comportent une certaine part « technique » qu'il est difficile d'occulter. Comment s'effectue cette information ? La taxe Tobin, dont on a pu voir la complexité des mécanismes, est par exemple un sujet qui est à priori peu abordable. Il est d'ailleurs possible de douter, comme le fait Fabien, que cette revendication soit suffisamment vulgarisable pour être compréhensible par la majorité des individus. Julie considère qu'il est possible d'argumenter de façon simple en faveur de la taxe Tobin du fait qu'il s'agisse d'un impôt et que l' « on paye tous des impôts ». La description de la taxe qui est faite dans les destinés aux non-adhérents est souvent très brève, elle se déroule en trois étapes463(*).

Etape n°1 : Il s'agit tout d'abord de démontrer l'ampleur de la spéculation et son inutilité.

« Chaque jour ce sont plus de 1500 milliards de dollars qui circulent sur ce marché des monnaies (soit 9000 milliards de francs !). Cette immense masse d'argent ne sert, quasiment, qu'à la spéculation financière. Autrement dit cet argent sert à faire de l'argent et à enrichir les plus riches »

Etape n°2 : La présentation de la taxe Tobin et de son utilité.

« Cette taxe internationale est proposée à un taux faible (0,1%) non pas pour bloquer le commerce mais pour freiner, ou mieux, empêcher, la spéculation financière. Si elle avait été appliquée, la taxe aurait rapporté la somme de 228 milliards de dollars en 1998...de quoi éradiquer la misère sur toute la planète. Une partie des fonds irait aux Etats qui adopteraient la taxe (un cinquième de la somme globale par exemple), l'autre partie irait directement vers les pays les plus nécessiteux »

Etape n°3 : L'argumentaire finit par présenter la mise en place de cette taxe.

« Il reste à faire appliquer cette taxe...et aussi à collecter l'organisme qui collectera les sommes (un organisme contrôlé démocratiquement bien sûr) »

La présentation qui est faite de la taxe Tobin ne rentre pas dans les détails, elle n'expose pas non plus les contre arguments qui lui sont opposés464(*), à savoir : un prélèvement similaire à celui de la taxe serait déjà effectué sur les transactions financières sans que cela ait empêché les crises financières, le taux de la taxe serait trop faible pour dissuader les spéculateurs, une telle taxation serait très difficile à appliquer et à redistribuer. Il est compréhensible qu'une présentation sommaire de la taxe ne puisse inclure toutes ces questions. Elles obtiennent, par ailleurs, des réponses plus précises au sein des documents établis par le Conseil scientifique465(*). En revanche les débats au sein du comité ne donnent pas lieu à de telles interrogations.

Par exemple, lors de la réunion publique du 24/04/2001, à laquelle une soixantaine de personnes ont assisté une présentation a été faite par Alda qui est professeur d'économie (et militante du comité isérois). Sa présentation de la taxe n'a pas abordé les questions que nous avons évoquées ci-dessus. Elle constituait une version plus développée de celle qui est faite habituellement. Peu d'intervenants ont réagi suite à l'exposé de Alda. Un militant (Laurent) est alors intervenu pour constater que certaines questions posaient problèmes dans l'application de la taxe Tobin. Les réactions à son intervention ont été très vives.

Un militant (Bernard) a alors pris la parole pour affirmer que « la taxe Tobin c'est une bataille politique [...] C'est une situation de courage. Dire que nous ne voulons pas de cette logique »466(*). Son voisin (Raymond) a alors ajouté : « Il ne faut pas se laisser attirer sur un plan technique car on perdra. Il s'agit d'un choix idéologique. On m'a raconté que certains modèles mathématiques allaient à l'encontre de la taxe Tobin mais les équations mathématiques ne changent rien dans le fond ». Laurent a alors répondu aux deux intervenants précédents : « Il me semble que les arguments qu'on nous oppose ont leur crédibilité et qu'il faut leur répondre. Il faut étayer techniquement la taxe Tobin car sinon cela revient à nous décrédibiliser ». La polémique s'est alors amplifiée entre ceux qui estimaient que la taxe Tobin a pour but de mettre fin à la spéculation et ceux (peu nombreux) qui soutenaient, comme Laurent, que « le libéralisme a en partie réussi ». La personne dirigeant la séance a alors décidé de clore le débat (le temps qui lui avait été consacré initialement avait été dépassé) et de le reporter à une réunion ultérieure.

Le déroulement de ce débat est riche d'informations. Il illustre tout d'abord la façon dont les militants soutiennent les revendications. Leur argumentaire se fonde davantage sur l'idée de volonté politique que sur un dispositif technique précis. Cela renvoie d'ailleurs aux prises de position des dirigeants selon qui « ce qui est en cause, ce n'est pas la faisabilité technique- déjà démontrée, car toute transaction laisse une trace informatique- mais bel et bien la volonté politique »467(*).

D'autre part, ce débat démontre, que les échanges, au sein du comité portent assez peu sur des débats de fonds468(*). Plusieurs enquêtés (Cécile, François, Isabelle) regrettent d'ailleurs qu'il n'y ait pas plus de véritables réflexions au sein du comité. Isabelle qui espérait de son adhésion une information sur les mécanismes économiques déclare être très déçue par les réunions auxquelles elle a assisté.

Enfin, cette réunion sur la taxe Tobin illustre les divergences qui existent entre les militants. La taxe Tobin, comme on a pu le voir, est suffisamment large dans sa formulation pour permettre une multitude d'interprétations. Des débats d'idées, comme celui sur la taxe Tobin, risquent ainsi d'aboutir à de très fortes polémiques, ce qui peut constituer un élément de fragilisation du groupe. Dès lors, on peut supposer que si de tels débats ont rarement lieu au sein du comité c'est avant tout par les conséquences qui pourraient en résulter. Une polémique trop violente pourrait aboutir, ce fut déjà le cas, à une opposition très marquée entre les militants. L'exacerbation des divergences entre militants aurait alors peut être des conséquences défavorables au fonctionnement du comité (défection de certains militants, affaiblissement de la cohésion du groupe et perte de motivation).

Fabien : Donc j'espère qu'elle verra le jour prochainement mais bon... Je peux paraître un peu résigné et un peu fataliste [...] Mais peut-on mobiliser l'opinion publique sur un projet comme celui-ci, ça me paraît peu probable car c'est déjà un petit peu compliqué, c'est un peu mystérieux pour beaucoup de gens. Moi je comprends quand même de quoi il s'agit, sur la place publique ça me semble difficile à vulgariser. On peut y arriver mais c'est pas complètement évident.

Julie : Il y a quand même des choses qui peuvent être certainement compréhensibles dans la taxe Tobin, la spéculation on connaît tous, on paye tous des impôts et la spéculation ne connaît pas d'impôt, et instaurer la taxe Tobin dans l'objectif est de limiter la spéculation mais c'est aussi que toute action financière doit être contrôlée et donc avoir un impôt aussi, avec l'objectif effectivement que cet impôt soit suffisamment important pour à un moment donné arrêter cette spéculation, cette spéculation qui ne sert pas du tout, pas du tout à l'économie réelle et aux états. Il y a des choses relativement simples qui peuvent peut-être passer.

Isabelle : On fait le journal parce qu'il y avait la manifestation à Montpellier... Et du même coup on parle des manifestations, c'était la fête, on a arraché les OGM dans les champs... C'est sympa, mais c'est très concret, c'est marrant, mais à côté de ça je n'ai pas eu l'impression de mieux comprendre comment fonctionnent les multinationales, ni quoi que ce soit. Alors qu'au départ, c'est ce que j'attendais de mon engagement. Je n'ai pas eu l'impression de plus évoluer dans ce sens. J'avais plus l'impression d'être au courant, l'année dernière, en assistant à des cours d'économie. Cette année je n'en ai plus, et finalement je m'attendais un peu à une continuité pour pouvoir continuer à être au courant des choses et en fait non. J'attendais beaucoup de ça, une sorte de formation parce qu'en plus il y a des économistes, il y a des gens très cultivés, très intéressants qui pourraient plus transmettre leur savoir et ça ne se fait pas réellement. J'ai l'impression qu'il y en a qui sont dans le même cas, ça fait peut-être deux ans qu'ils sont dans Attac, ils ont appris quelques trucs mais c'est encore quelque chose qui ne va pas très bien.

Laurent : À la réunion à laquelle tu as assisté, il y avait une sorte d'exposé sur l'économie et moi personnellement déjà je le trouvais au raz des pâquerettes. Moi il me semble qu'elle maîtrisait pas son sujet et elle aurait mieux fait de se taire. Il y a des choses qui étaient intéressantes mais ce n'était pas assez précis, c'était trop au niveau des idées générales voir des idées préconçues, ça n'était pas une vraie réflexion. Et puis à un moment elle nous a dit au sujet de la taxe Tobin qu'un pays tout seul pouvait le mettre en place, mais elle n'avait pas d'arguments elle disait simplement on peut le faire, alors que quand même ça se discute. Et puis il y eut d'autres réflexions de personnes qui ont dit de toute façon on n'a pas à rentrer dans le débat, ça n'est pas notre problème c'est une question philosophique et je ne suis absolument pas d'accord car il ne me semble pas que ce soit probant cette manière de réfléchir. C'est pour ça que je suis intervenu pour dire qu'au contraire pour défendre une revendication il faut essayer de la crédibiliser et de la porter de manière pragmatique, en l'argumentant. Au contraire il ne fallait pas avoir peur de rentrer dans les débats. Bon ça c'est clair que ça n'est pas au niveau des adhérents parce qu'il faut s'y connaître et même la personne qui est intervenue n'y connaissait rien, ça nous dépasse, il faut en être conscient mais le mouvement général a plutôt intérêt à argumenter précisément et à faire valoir ce qu'il y a de positif dans cette taxe [...] Je ne sais pas quel est son métier mais à un moment quelqu'un a posé une question et ça se voyait qu'elle le savait pas, alors moi je trouve ça très lâche car elle répondait « c'est compliqué », c'est vrai que c'est compliqué mais si elle se met en position d'expliquer les choses elle avoue qu'elle ne peut pas. Elle était censée connaître mais c'est clair que c'est un mensonge et qu'elle ne savait rien. Je ne l'ai pas dit car il faut quand même se méfier un petit peu. Ça m'a énervé quant à la dit un pays seul peut le faire, c'est-à-dire mettre en place la taxe Tobin. Pourquoi ? Parce que c'est possible. Ça c'est vraiment léger parce qu'il ne faut pas quand même... Ça a des implications économiques et des conséquences, je ne les connais pas mais je sais que ce n'est pas anodin de taxer les capitaux.

* 463 L'argumentaire qui a été utilisé provient d'un tract du comité Attac Dieppe qui a été récupéré au cours de l'AG de St Brieuc. Il a été choisi en raison de sa forme didactique qui facilite la démonstration. « A propos de la taxe Tobin », Le Mascaret. Bulletin du comité Attac de Dieppe, n°7, octobre 2000, p. 3. Il figure en page suivante.

* 464 Cf., Tobin : la taxe pour les esprits faibles, Les dossiers de l'iFrap (Institut Français pour la Recherche sur les Administrations Publiques), n°64, septembre/octobre 1999, p. 3. Cet institut qui a édité une brochure très critique sur Attac constitue probablement un groupe d'opposants à l'association.

* 465 Cf., Conseil scientifique d'Attac France, « La taxe Tobin : comment la gérer et pour financer quoi ? », document disponible sur le site : http://attac.org/fra/asso/doc/doc.14.htm, p. 4

* 466 Ces citations sont extraites à partir de prises de notes effectuées lors de la réunion.

* 467 Cassen (Bernard), « Des libertés liberticides ».

* 468 Cette constatation s'appuie sur la base de plusieurs réunions et ne porte pas uniquement sur le débat auquel nous venons de nous référer.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams