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L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004


par Julien Carsantier
Université Paris Dauphine - DEA 122 2005
  

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c) Le cas particulier des groupes de sociétés

182. - Selon l'article L. 228-13, alinéa 1er du Code de commerce : « Les droits particuliers mentionnés à l'article L. 228-11 peuvent être exercés dans la société qui possède directement ou indirectement plus de la moitié du capital de l'émettrice ou dans la société dont l'émettrice possède directement ou indirectement plus de la moitié du capital ».

183. - L'article L. 228-13 permet donc, au sein d'un groupe de sociétés, de dissocier la localisation de l'émission des actions de préférence du lieu d'exercice du droit particulier attaché à ces actions.

Ce texte constitue l'une des innovations les plus importantes et les plus originales de l'ordonnance du 24 juin 2004. Avec lui, l'élaboration d'un droit français des sociétés franchit un nouveau pas.

184. - Cependant, la lecture du texte « plonge l'interprète, même acquis à tout effort de création juridique ou financier, dans la perplexité, perplexité aggravée tant par le mutisme du rapport précité du MEDEF que du rapport au Président de la République, qui se limitent à énoncer que les droits particuliers qui assortissent les actions de préférence peuvent être exercées au sein « d'une société du groupe », ce qui revient à paraphraser l'article L. 228-13, alinéa 1er »361(*).

A la lecture du texte, tous les droits particuliers susceptibles d'être exercés au sein de la société émettrice elle-même362(*) paraissent susceptibles d'être exercés au sein d'une société tierce membre du groupe. La liberté offerte par l'article L. 228-13 se heurte toutefois à certaines difficultés résultant de l'application des principes du droit des sociétés et plus particulièrement du principe général selon lequel l'exercice des droits politiques et des droits financiers est lié à la qualité d'associé363(*).

185. - Il convient donc d'examiner les principes applicables en la matière (i) afin d'envisager les droits qui peuvent être exercés dans la société tierce (ii)364(*).

(i) Les principes applicables à l'exercice de droits particuliers dans une société tierce

186. - En premier lieu, il faut insister sur le fait que les droits particuliers attachés aux actions de préférence émises dans le cadre d'un groupe sont exercés « dans » la société tierce365(*). C'est là une différence significative avec les actions reflet qui, elles, ne comportent aucun droit à l'égard de la filiale dont les résultats servent seulement à calculer le revenu financier des actions, le dividende ainsi calculé étant dû et perçu au seul niveau de la société émettrice. Il convient donc ici de ne pas s'inspirer de ce type d'action.

187. - En second lieu, faute de précision contraire dans l'article L. 228-13 du Code de commerce, il est parfaitement possible de cumuler les droits particuliers. On peut ainsi concevoir des actions de préférence qui jouiront à la fois, ou alternativement, de droits particuliers au niveau de la société émettrice et à l'échelon de la société tierce.

188. - Ces observations faites, certains obstacles sont, semble-t-il, à éviter pour que joue pleinement la possibilité offerte par l'article L. 228-13. Ces points donnent cependant lieu à des interprétations doctrinales très divergentes. Aussi, toute insécurité juridique ne sera pas écartée tant que la Cour de cassation n'aura pas pris position sur les considérations soulevées.

189. - Tout d'abord, les débats se sont cristallisés sur la nécessité ou non d'être associé de la société tierce pour que les droits particuliers d'ordre financier ou politique puissent y être exercés.

La plupart des auteurs partent du postulat selon lequel pour jouir des droits d'un associé... il faut être associé. Aussi, dans l'hypothèse où le porteur d'actions de préférence ne serait pas associé de la société tierce mais actionnaire de la société émettrice, on ne saurait stipuler, par exemple, la participation avec voix délibérative des porteurs d'actions de préférence dans les assemblées de la société tierce ; on ne pourrait davantage admettre que les droits financiers reconnus aux porteurs des mêmes actions aient la nature juridique de dividende366(*).

Le Comité juridique de l'ANSA367(*) admet qu'aux termes de l'article L. 225-122 du Code de commerce, auquel renvoie l'article L. 228-11, une quotité de capital doit être nécessairement détenue pour pouvoir exprimer un vote ; que le droit de vote reste intrinsèque à la qualité d'actionnaire et que seule une disposition expresse de la loi peut autoriser son autonomie368(*). Il en conclut alors également sur l'impossibilité d'offrir un droit de vote dans une société appartenant au groupe de la société émettrice, dans laquelle le titulaire des actions de préférence n'est pas personnellement actionnaire. En revanche, il estime qu'il y a moins d'obstacles à l'attribution de droits pécuniaires - notamment des dividendes - dans ce cadre.

Certains membres du Comité juridique de l'ANSA vont plus loin en considérant que l'article L. 228-13 du Code de commerce est un élément incontestable d'un nouveau droit des groupes et constitue une dérogation expresse à l'article L. 228-11. Pour eux, la détention d'une quotité de capital qui reste indispensable en vertu de cet article peut n'exister que dans la société émettrice - par exemple, la société-mère. Sauf à dire que l'ordonnance met en place une personnalité morale au niveau du groupe - «  ce qui ne serait pas tolérable opérée à la sauvette »369(*) -, cette interprétation paraît cependant peu prudente en l'état actuel du droit.

190. - Ensuite, et les auteurs s'accordent sur ce point, il convient de respecter, d'une part, l'autonomie juridique de la société tierce et, d'autre part, sauf pour les SAS370(*), l'autonomie des organes sociaux de cette société tierce.

Cela rend dès lors impossible la reconnaissance d'un droit de gestion ou de décision ou de veto au profit des actionnaires de préférence ; mais cela ne leur interdit pas de leur consentir un droit d'avis et de régler les conséquences financières d'une décision sociale prise contre leur avis.371(*)

191. - Enfin, le respect de l'intérêt social de la société tierce apparaît impératif. Consentir des droits sur une société juridiquement indépendante qui appartient au même groupe, en amont ou en aval, que la société émettrice, est une chose ; mais encore faut-il que les intérêts de la société tierce, et des minoritaires, ne soient pas sacrifiés sans contrepartie.

Sur ce point, en raisonnant en matière de sociétés de capitaux, on pourrait trouver des éléments d'inspiration du coté de l'intérêt de groupe, tel qu'apprécié par la jurisprudence sur l'abus de biens ou de pouvoirs372(*), ou encore du côté de l'analyse des prestations intra-groupe373(*) ou du côté de la notion fiscale d'acte anormal de gestion374(*).

192. - Il doit par ailleurs être précisé que l'exercice des droits au sein de la société tierce est conditionné à l'existence du lien majoritaire en capital imposé par l'article L. 228-13 du Code de commerce.

En d'autres termes, le lien majoritaire entre la société émettrice et la société dans laquelle les droits particuliers sont exercés doit perdurer pendant toute la durée de vie des actions de préférence puisqu'il constitue une condition de l'émission de telles actions375(*).

La loi est toutefois muette sur les conséquences de l'éventuelle disparition de ce lien. Certains auteurs estiment que, dans ce cas, il faut alors considérer que les actions de préférence émises deviennent caduques. Il y aura donc lieu, dans le contrat d'émission, d'arrêter soigneusement les conséquences d'un tel état de fait, par exemple en prévoyant la conversion ou le rachat automatique des actions de préférence considérées, selon des modalités financières préfixées. A défaut de stipulations de cette nature, il paraît de toute façon difficilement concevable qu'en pratique, un changement de contrôle de la société tierce puisse se réaliser sans que soit réglé le sort des droits particuliers qui y sont exercés, attachés à des valeurs mobilières émises par une autre société.

193. - L'article L. 228-13 du Code de commerce invite donc à parcourir un labyrinthe, et une prudence particulière doit présider à l'aménagement des droits particuliers.

* 361 A. VIANDIER, « Les actions de préférence », art. préc., p. 1532.

* 362 Supra n° 131 et s.

* 363 Sur l'ensemble de cette question, v. A. COURET et H. LE NABASQUE, Valeurs mobilières - Augmentations de capital - Nouveau régime - Ordonnance des 25 mars et 24 juin 2004, op. préc. ; A. VIANDIER, « Les actions de préférence », art. préc. ; ANSA, Comité juridique, avis n° 04-080 du 1er décembre 2004 ; A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens (2ème partie) », JCP E 2005, 1086 ; M. BANDRAC, P. BIROTHEAU, C. DEBIN, J.-P. DOM, S. GAILLET, F. LE ROQUAIS et M. SUPIOT, « Le régime et l'émission des valeurs mobilières après les ordonnances de 2004 », art. préc. 

* 364 Sur les conditions d'émission des actions de préférence au sein d'un groupe de sociétés, v. infra n° 138 et s.

* 365 Le texte initial de l'ordonnance du 24 juin 2004, par une inadvertance du législateur, disposait "de la société" et non "dans la société" ; cette erreur matérielle a été corrigée par la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, dont l'article 78-XXVII ratifie l'ordonnance.

* 366 En ce sens, A. VIANDIER, « Les actions de préférence », art. préc., p. 1533 ; A. COURET et H. LE NABASQUE, Valeurs mobilières - Augmentations de capital - Nouveau régime - Ordonnance des 25 mars et 24 juin 2004, op. préc., n° 530-2 ; A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens (2ème partie) », art. préc., p. 1215 ; M. BANDRAC, P. BIROTHEAU, C. DEBIN, J.-P. DOM, S. GAILLET, F. LE ROQUAIS et M. SUPIOT, « Le régime et l'émission des valeurs mobilières après les ordonnances de 2004 », art. préc., p. 14 ; P. D'HOIR, La réforme des valeurs mobilières & des augmentations de capital, op. préc.

* 367 ANSA, Comité juridique, avis n° 04-080 du 1er décembre 2004. 

* 368 Par exemple, art. L. 225-110 C. com. pour l'usufruitier.

* 369 G. BARANGER, « La belle simplification du droit », art. préc., p. 161.

* 370 L'article L. 227-9, alinéa 1er du Code de commerce dispose en effet que « les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient », sous réserve de quelques exceptions énumérées à l'alinéa 2 de l'article.

* 371 A. VIANDIER, « Les actions de préférence », art. préc., p. 1533. 

* 372 Sur cette jurisprudence, v. M. COZIAN, A. VIANDIER et F. DEBOISSY, Droit des sociétés, op. préc., n° 1338 et s. - Cela conduira à vérifier l'existence d'un intérêt économique ou financier entre la société émettrice et la société tierce, dépassant le seul lien en capital, et fondé sur une politique élaborée par l'ensemble du groupe, à rechercher encore si la société tierce qui supporte les droits particuliers, jouit ou jouira de contreparties équilibrées, et à s'assurer enfin que la continuité d'exploitation de la société débitrice des droits particuliers n'est pas menacée.

* 373 CA Paris, 25 janvier 2002 : JCP E 2002, 851, n° 7, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN : il ne doit pas y avoir de disproportion entre les prestations fournies et les redevances versées en contrepartie.

* 374 V. notamment CE, 9e et 10e sous-sec. Réunies, 23 novembre 2001 : Bull. Joly 2002, p. 362, à propos de la répartition des pertes entre une filiale et sa mère ; Adde M. COZIAN, Les grands principes de la fiscalité des entreprises, Litec, 1999, 4e éd., p. 91 et s.

* 375 En ce sens, A. VIANDIER, « Les actions de préférence », art. préc., p. 1533 ; A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens (2ème partie) », art. préc., p. 1217. 

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus