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L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004


par Julien Carsantier
Université Paris Dauphine - DEA 122 2005
  

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c) Le régime des nullités

393. - Les causes de nullité en droit des sociétés ont longtemps été limitées. La loi du 24 juillet 1966 les avait limitées de manière draconienne, avec en contrepartie des sanctions pénales. Ainsi, en matière de délibération modifiant les statuts - ce qui est nécessaire à une augmentation de capital -, la nullité ne pouvait résulter que « d'une disposition expresse de la présente loi ou de celles qui régissent la nullité des contrats »705(*).

394. - Sous l'impulsion de la doctrine et de la pratique, les lois NRE et de sécurité financière ont entamé un mouvement de dépénalisation. La loi de sécurité financière a notamment abrogé des dispositions pénales sur des infractions spécifiques à certains aspects des droits de vote, cela en contrepartie d'une nullité générale de toute infraction aux dispositions sur les droits de vote. Par ailleurs, toute infraction aux dispositions relatives à la sous-section « De l'augmentation du capital » du Code de commerce est sanctionnée de nullité, en l'échange de la dépénalisation de certaines infractions particulières.

La contrepartie n'est donc pas proportionnelle : de sanctions pénales visant certains cas particuliers, le législateur passe à une nullité frappant un ensemble générique. Les risques qui en découlent ne sont pas négligeables. Les conséquences de ces nullités sont en outre importantes : problème de restitution des dividendes, difficulté pour identifier les actions devant être annulées en raison de leur fongibilité, risque d'annulation en chaîne (annulation d'une augmentation de capital alors que les nouveaux actionnaires ont voté dans des assemblées suivantes), etc.

395. - L'ordonnance du 24 juin 2004 a suscité beaucoup d'espoirs. Elle épouse résolument les conséquences du mouvement de dépénalisation du droit des sociétés qui s'était traduit, notamment dans la loi de sécurité financière du 1er août 2003, par l'aggravation sensible des sanctions civiles. Mais en dépit des protestations de la doctrine et des émetteurs706(*) et de la disproportion entre la sanction de nullité par rapport à des manquements pouvant avoir des enjeux mineurs, l'ordonnance maintient le cap et amodie à peine l'article L. 225-149-1 du Code de commerce ; et les déclarations apaisantes du Rapport au Président de la République707(*) n'adoucissent pas la rigueur du système de sanction maintenu par l'ordonnance.

396. - L'article L. 225-149-1 du Code de commerce, qui sanctionnait d'une nullité de plein droit les décisions prises en violation d'une quelconque des dispositions du Code de commerce applicable aux augmentations de capital, est remplacé par un article L. 225-149-3, plus circonstancié, dont les conséquences ne sont cependant guère éloignées.

L'ordonnance conserve en effet le principe général d'une nullité de plein droit des décisions prises en violation des dispositions de la sous-section du Code de commerce relatives aux augmentations de capital, mais crée, pour quelques décisions spécifiques, des nullités facultatives et des exceptions à la nullité.

397. - La nullité facultative n'existe que dans deux cas708(*).

Peut faire l'objet d'une annulation les décisions prises en violation de la règle de suspension des délégations d'augmentation de capital en période d'offre publique d'achat ou d'échange709(*). Peut également faire l'objet d'une annulation la violation des règles de publicité précédent l'ouverture de la période de souscription dans le cadre de l'exercice des droits préférentiels de souscription, telles que notice BALO et période de 14 jours avant la clôture de la période de souscription710(*).

La nullité suppose naturellement une décision du juge qui, pour se prononcer, appréciera notamment les conséquences des violations des dispositions légales.

398. - Ensuite, l'ordonnance prévoit trois cas faisant exception à la nullité automatique711(*).

En premier lieu, c'est le cas de la violation de l'obligation de tenir une assemblée générale extraordinaire tous les trois ans pour se prononcer sur un projet de résolution tendant à réaliser une augmentation de capital en faveur des salariés si ces derniers détiennent moins de 3% du capital712(*). Ensuite, il s'agit de la transgression des obligations de remise d'un rapport complémentaire en cas d'augmentation de capital par le conseil d'administration ou le directoire sur délégation de pouvoir ou de compétence de l'assemblée générale713(*) ou sur délégation spécifique pour les augmentations de capital à prix libre dans la limite de 10% du capital par an714(*). Enfin, il s'agit de la violation de l'obligation de remise d'un rapport complémentaire du conseil d'administration ou du directoire lorsqu'il est fait usage d'une délégation à l'occasion d'une suppression du droit préférentiel de souscription au profit de personnes dénommées ou de catégories de personnes identifiées715(*).

Pour ces exceptions, l'ordonnance prévoit que les violations peuvent donner lieu à une injonction de faire, laquelle vient donc se substituer à la nullité.

399. - Les décisions prises en violation des dispositions relatives aux augmentations de capital autres que celles citées ci-dessus pouvant faire l'objet d'une injonction ou d'une nullité facultative sont nulles de plein droit716(*). De même, sont nulles de plein droit717(*) les décisions contraires au principe du droit préférentiel de souscription des actionnaires à l'occasion d'une émission de valeurs mobilières donnant accès au capital, ainsi que les décisions contraires aux dispositions applicables à ce droit préférentiel de souscription.

400. - Néanmoins, l'action en nullité fondée sur l'article L. 225-149-3 du Code de commerce est désormais prescrite par trois mois à compter de la date de l'assemblée générale suivant la décision d'augmentation de capital718(*) - au lieu de trois ans avant l'ordonnance -, ce qui est une amélioration pour les praticiens, certes maigre toutefois.

Lorsqu'il s'agit d'augmentations de capital décidées ou réalisées par le conseil d'administration ou le directoire en cours d'année, il convient d'attendre la tenue de cette nouvelle assemblée générale pour commencer à compter le délai de trois mois. Lorsque la décision d'augmenter le capital est prise par l'assemblée générale elle-même, sans délégation au conseil d'administration ou au directoire pour sa réalisation, le texte invite à compter le délai de trois mois à partir de l'assemblée générale suivant celle ayant pris la décision et non à compter de l'assemblée générale ayant décidé ladite augmentation de capital.

Ainsi, le délai variera d'une société à l'autre en fonction de la fréquence de tenue des assemblées générales, ce qui est une singulière façon d'envisager les prescriptions719(*).

401. - Le législateur semblait vouloir assurer un équilibre entre la sécurité des actionnaires et le bon fonctionnement des entreprises. Mais les dispositions relatives aux nullités, par l'imposition aveugle de la sanction, sans apporter de sécurité supplémentaire pour les actionnaires, créent un risque important sur la sécurité des opérations financières720(*). Il faut espérer que les suggestions du MEDEF, de l'AFEP et de l'ANSA seront entendues lors de la prochaine modification du Code de commerce ou à l'occasion d'une prochaine loi portant DDOEF.

402. - D'autres remèdes à la nullité des augmentations de capital peuvent pourtant être envisagés.

Trois principaux remèdes existent déjà : la possibilité de régularisation des vices affectant une augmentation de capital, l'inopposabilité aux tiers de bonne foi de la nullité de l'augmentation de capital et la courte prescription des délibérations.

De l'avis de la plupart des commentateurs, il est regrettable que les augmentations de capital puissent être remises en cause pour des raisons autres que graves. La sécurité des créanciers qui prennent en compte les fonds propres, dont le capital fait partie, impose que les augmentations de capital ne puissent pas être annulées trop facilement. Les actionnaires ne peuvent pas non plus investir dans une société, immobiliser des capitaux, pour que, finalement, ils se retrouvent privés, plus tard, de leur qualité d'actionnaire, à la suite de l'annulation d'une augmentation de capital. La société ne peut pas non plus subir le risque de nullités en cascade éventuelles. La nullité est en effet trop souvent considérée comme un « mal nécessaire », selon l'expression d'auteurs de droit civil, et elle devrait être strictement limitée.

Sauf à revenir à une sanction par une amende, pénale ou commerciale, de l'auteur de certaines violations de dispositions, le champ des nullités doit être reconsidéré. Aucune nullité ne devrait résulter d'irrégularités ne portant préjudice à personne. Les erreurs purement matérielles, comme les décomptes de voix sans incidence sur le résultat, ne devraient pas être sanctionnées de nullité, pas même facultative. En revanche, des nullités automatiques devraient être maintenues en cas de violation d'un droit essentiel de l'actionnaire, comme sa non-convocation à une assemblée. Pour le reste, la nullité facultative suffit, laissant au juge le soin de contrôler721(*).

En outre, le régime de la nullité des souscriptions d'actions, notamment la prescription, devrait être équivalent à celui des délibérations relatives à l'augmentation de capital. L'unification de régime semble s'imposer, les actes en question portant sur le même objet : l'augmentation de capital. Il est artificiel de distinguer les deux, puisque la souscription participe directement à l'augmentation de capital.

La portée de l'inopposabilité devrait enfin être élargie aux actionnaires de bonne foi, la responsabilité permettant, quant à elle, toujours de sanctionner les auteurs des différents manquements.

403. - Conclusion. L'aménagement d'un nouvel espace de liberté au profit des émetteurs ne s'est pas fait sans le maintien, voire même le renforcement, de la protection des actionnaires. Cette protection est, à n'en pas douter, bien réelle et variée, d'aucuns diront complète.

Si cette protection des actionnaires est nécessaire pour la préservation de leurs droits, c'est toutefois sous la réserve qu'elle ne devienne pas une contrainte trop pesante pour la société et son fonctionnement. Or, nous avons pu constater qu'à vouloir trop protéger, les rédacteurs de l'ordonnance du 24 juin 2004 n'ont peut-être pas envisagé toutes les conséquences des mesures protectrices qu'ils ont instaurées. Certains y voient là le reflet des hésitations d'un législateur partagé entre le souci de maintenir une protection digne de ce nom pour les actionnaires et la volonté de prendre en compte les contraintes du marché qui appellent à des mécanismes plus souples.

Si nous pensons qu'il est louable de concilier ces deux impératifs, et que l'un ne saurait être sacrifié au profit de l'autre, une solution serait peut-être de rechercher un dispositif de protection des actionnaires plus adapté aux réalités économiques et aux contraintes nouvelles. Il n'est en effet pas souhaitable qu'une simple erreur matérielle puisse entraîner la nullité en cascade des décisions postérieures, pas plus qu'il n'est bénéfique, ni pour la société, ni pour l'ensemble de ses actionnaires, que quelques-uns d'entre eux en perturbent le fonctionnement en usant de leurs prérogatives à outrance722(*).

* 705 Art. 360, al. 1er L. 24 juillet 1966.

* 706 P. LE CANNU, « Des sanctions pénales aux sanctions civiles » in Le droit des sociétés pour 2004, Dalloz 2004, p. 227 et s. ; A. Couret, « Les dispositions de la sécurité financière intéressant le droit des sociétés », art. préc., p. 1431 ; Commentaires de l'AFEP, de l'ANSA et du MEDEF sur le projet d'ordonnance, p. 16 : « Il convient de remplacer la nullité impérative prévue par l'article L. 225-149-1 par une nullité facultative. Cette nullité qui s'applique aux violations des dispositions de toute la sous-section relative aux augmentations de capital est totalement injustifiée. La nullité impérative est une sanction grave. Elle s'applique de manière automatique, sans aucun pouvoir d'appréciation de la part du juge, alors que les manquements sanctionnés ne sont pas nécessairement graves et peuvent parfois être simplement formels. Il semble que les conséquences de la nullité impérative ne soient pas toujours mesurées ».

* 707 Selon le rapport au Président de la République, rapp. préc. : « Le régime des nullités, issues du mouvement de dépénalisation du droit des sociétés est aménagé et clarifié, afin de maintenir la sécurité des actionnaires tout en ne fragilisant pas le fonctionnement des sociétés ».

* 708 Art. L. 225-149-3, al. 2 C. com.

* 709 Art. L. 225-129-3 C. com.

* 710 Art. L. 225-142 C. com.

* 711 Art. L. 225-149-3, al. 3 C. com.

* 712 Art. L. 225-129-6, al. 2 C. com.

* 713 Art. L. 225-129-5 C. com.

* 714 Art. L. 225-136, 1°, al. 2 C. com.

* 715 Art. L. 225-138, I, al. 2 C. com.

* 716 Art. L. 225-149-3, al. 3 et art. L. 228-95 C. com.

* 717 Art. L. 228-91, al. 2 et 3 C. com.

* 718 Art. L. 235-9, al. 3 C. com.

* 719 P.-Y. CHABERT, « Les augmentations de capital après l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales », art. préc., n° 85.

* 720 En ce sens, F. BARRIÈRE, « Les causes de nullité des augmentations de capital », in Le nouveau droit des valeurs mobilières après la réforme du 24 juin 2004, art. préc. ; P.-Y. CHABERT, « Les augmentations de capital après l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales », art. préc., n° 86.

* 721 En ce sens, F. BARRIÈRE, « Les causes de nullité des augmentations de capital », in Le nouveau droit des valeurs mobilières après la réforme du 24 juin 2004, art. préc.

* 722 Par exemple, des actionnaires de préférence abusant de leur droit d'information dans le cadre de l'article L. 228-19 du Code de commerce. V. supra n° 365 et s.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon