WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La conformité des contraintes d'exploitation sur les investissements au droit international conventionnel


par Inam KARIMOV
Université Panthéon Sorbonne Paris I - DEA Droit International Economique 2002
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy
A. Les conventions régionales (ALE, ALENA, AMI)

Les conventions régionales sont les accords où les Etats contractants partageant les mêmes positions et les mêmes points de vue économique et ce spécialement concernant les contraintes d'exploitation. A cet effet, à titre d'exemple on peut citer l'accord de libre échange entre le Canada et les Etats Unis (ALE) ou l'Accord de libre échange nord américain (ALENA) et aussi le Projet de convention sue l'Accord Multilatéral sur l'Investissement48(*) (l'AMI). Même si l'ALE est une convention bilatérale elle intervient plutôt dans un contexte régional qui a constitué la base des négociations de l'Accord de libre échange nord américain (ALENA) dans lequel il a été intégré à partir du 1 janvier 1994. Ces conventions se différentient par leurs méthodes de définition et par la spécificité de leurs portées à la différence des accords qui ne garantissent que les principes de non-discrimination.

1. La méthode de définition des contraintes d'exploitation

Le principe sur lequel se fondent, ces trois accords, est le principe de traitement national. Le principe de traitement national appliqué à la matière de l'investissement, exclut que la constitution des investissements puisse être subordonnée à l'imposition de contraintes d'exploitation qui frapperaient les investisseurs étrangers, mais ne frapperaient pas les investisseurs nationaux.49(*) Les articles sur le traitement national (l'art 1602 de l'ALE, l'art 1102 de l'ALENA, l'art III de l'AMI) s'appliquent aussi bien aux investisseurs qu'à leurs investissements. Ils stipulent que ce principe s'applique à l'admission des investisseurs originaires, que cette admission s'effectue par voie de création d'entreprise ou par voie d'acquisition d'entreprise. Deuxièmement, le traitement s'applique tant à l'admission des investissements originaires qu'à l'admission des investissements complémentaires ou supplémentaires. Le principe de traitement national régit le régime juridique de l'entreprise étrangère dès que celle-ci entre en activité et jusqu'à ce qu'elle cesse ses activités.

En plus de la garantie du traitement national, les trois accords contiennent un article spécial sur les contraintes d'exploitation qui procèdent par une énumération des contraintes d'exploitation. Les articles sur les contraintes d'exploitation constituent dans ces conventions une obligation conventionnelle à part entière. D'autre part, ces articles énumèrent les contraintes d'exploitation non pas en tant que mesures contraires au principe de traitement national, mais comme une obligation conventionnelle différente de celle qui est imposée dans les articles sur le traitement national. Enfin, l'énumération dans les articles n'est pas déclarée illustrative ou exemplative contrairement à l'Accord sur les MIC. Ils distinguent d'une part entre contraintes d'exploitation auxquelles est subordonnée l'admission de l'investissement, et d'autre part contraintes d'exploitation auxquelles est assujettie l'activité de l'entreprise, une fois admis l'investissement,

L'article 1603 de l'ALE est ainsi rédigé :

Prescription de résultats. Ni l'une ni l'autre Parti n'imposera à un investisseur de l'autre Partie comme condition préalable à l'autorisation d'investir sur son territoire, ou relativement à la réglementation de la gestion ou de l'exploitation d'une entreprise commerciale située sur leur territoire respectif, une prescription

a) d'exporter une quantité ou un pourcentage donné de produits ou de services ;

b) de substituer, aux produits ou services importés, des produit ou services provenant du territoire de ladite Partie,

c) d'acheter sur ce territoire, ou à des fournisseurs situés sur ce territoire, les produits, les produits ou services que l'investisseur utilise, ou de privilégier les produits ou services produits sur ce territoire ou,

d) d'atteindre un niveau ou pourcentage donné de contenu national

L'art 1106 de l'ALENA garantit le principe de traitement national exactement de la même manière que l'ALE mais concernant les contraintes d'exploitation il va bien au-delà de ce que prévoit l'art 1603 de l'ALE entre le Canada et les Etats Unis. Les contraintes qu'ils énumèrent et prohibent sont identiques dans les deux cas, mais dans le cadre de l'accord portant création de la zone de libre échange nord américain la liste des contraintes énumérées est plus longue. Ces contraintes sont au nombre de sept. L'article 1106 § 1 est en effet rédigé comme suit :

1. Aucune des Parties ne pourra imposer ou appliquer l'une quelconque des prescriptions suivantes, ou faire exécuter un quelconque engagement, en ce qui concerne l'établissement, l'acquisition, l'expansion, la gestion, la direction ou l'exploitation d'un investissement effectué sur son territoire par un investisseur d'une autre Partie ou d'un pays tiers :

a) exporter une quantité ou un pourcentage donné de produits ou de services;

b) atteindre un niveau ou un pourcentage donné de contenu national;

c) acheter, utiliser ou privilégier les produits ou les services produits ou fournis sur son territoire, ou acheter des produits ou services de personnes situées sur son territoire;

d) lier de quelque façon le volume ou la valeur des importations au volume ou à la valeur des exportations ou aux entrées de devises attribuables à cet investissement;

e) restreindre sur son territoire la vente des produits ou des services que cet investissement permet de produire ou de fournir, en liant de quelque façon cette vente au volume ou à la valeur des exportations ou aux entrées de devises;

f) transférer une technologie, un procédé de fabrication ou autre savoir-faire exclusif à une personne située sur son territoire, sauf lorsque la prescription est imposée ou l'engagement exécuté par un tribunal judiciaire ou administratif ou par une autorité compétente en matière de concurrence, pour corriger une prétendue violation des lois sur la concurrence ou agir d'une manière qui n'est pas incompatible avec les autres dispositions du présent accord; ou

g) agir comme le fournisseur exclusif d'un marché mondial ou régional pour les produits que l'investissement permet de produire et les services qu'il permet de fournir.

En denier lieu, même s'il ne fait pas partie du droit conventionnel, le projet de l'Accord Multilatéral sur l'Investissement procède à la définition des contraintes d'exploitation de la même manière. D'abord il garantie exactement de la même manière le principe de traitement national et deuxièmement, il procède à une énumération détaillée des contraintes d'exploitation. L'énumération de l'AMI est plus large que les deux derniers accords et englobe celles de ces accords.50(*) Contrairement à l'ALENA et l'ALE, l'AMI énumère douze contraintes d'exploitation.

Les trois accords procèdent à la définition des contraintes d'exploitation de manière identique, c'est à dire, d'abord par la garantie du traitement national et puis par l'énumération de certaines contraintes d'exploitation. Le principe de traitement national est posé de la même manière et a la même portée dans les trois accords. Mais l'un contient une énumération plus longue que l'autre. (ALE 4, ALENA 8, AMI 12).

Cette méthode de définition, s'explique par le fait que les clauses de traitement national ne garantissent pas dans certains cas le résultat désiré. C'est un principe à caractère restrictif et à portée limitée dont le contenu dépend de l'état de traitement des investisseurs locaux ou étrangers dans les situations similaires.51(*) Le traitement national tout seul est insuffisant pour éliminer toutes les contraintes d'exploitation dans les pays d'accueil.52(*) Il peut même être à l'origine d'entraves à la liberté de gestion des investissements. Si les investisseurs étrangers devaient remplir les conditions exigées des investisseurs locaux pour exercer leurs activités dans l'Etat d'accueil, ils peuvent se trouver dans une situation de fait rendant difficile, voire très difficile, l'exercice de leur activité. Exiger des investisseurs étrangers les mêmes conditions que celles requises des nationaux, peut se révéler comme une entrave à la liberté de gestion des investissements. L'imposition du traitement national est nécessaire dans le but d'éliminer les mesure discriminatoires. Mais toutes les contraintes d'exploitation ne sont pas discriminatoires,53(*) c'est à dire un Etat peut, tout en ne violant pas le traitement, national imposer aussi bien aux nationaux qu'aux étrangers une obligation de transfert de technologie, de recherche et développement, ou bien une obligation d'exporter les produits vers l'étranger. Même si certaines contraintes d'exploitation ne sont pas discriminatoires, toutes ces mesures ont pour effet d'entraver la liberté de gestion de l'investisseur et d'entraver la liberté de circulation des investissements. Ainsi, vu l'impuissance du principe de traitement national, les instruments conventionnels, en plus la garantie de ce principe, ont pris le soin de déterminer, de manière précise, aussi bien les contraintes que les activités par rapport auxquelles elles interviennent, afin d'aboutir à leur élimination totale.

Cette méthode de définition aboutit à une plus large élimination des contraintes d'exploitation parce qu'elle englobe les contraintes d'exploitation aussi bien discriminatoire que non discriminatoires. Mais les énumérations diffèrent d'un à l'autre, donc par conséquent, le champ d'application de ces accords sont différents. Mais puisque tous ces accords sont intervenus pour la libéralisation des investissements, la question est de savoir s'il ne s'agit pas d'une énumération à valeur illustrative, qui peut aller au-delà de cette énumération.

2. La portée des accords

Contrairement à l'Accord sur les MIC, les trois accords ne déclarent pas que les énumérations sont illustratives, ce qui peut signifier qu'une contrainte d'exploitation qui ne se trouve pas dans cette énumération ne rentre pas dans le champ d'application de ses articles. Par exemple, parmi l'énumération de ces accords on ne trouve pas les restrictions d'exportation telle qu'elles sont interdites par l'Accord sur les MIC. En principe, les États ont prévu par l'interdiction des contraintes d'exploitation de limiter l'utilisation de ces mesures comme un outil de politique d'Etat à cause de leurs effets économiques nuisibles et éliminer des distorsions sur le marché et établir une égalité de concurrence entre les investisseurs. Est-ce qu'une mesure de mêmes effets telle que restriction d'exporter un produit vers un pays l'étranger, mais qui ne figure pas en tant que telle dans l'énumération des accords, est aussi interdite par ses dispositions ?

En effet, en imposant à une société de ne pas exporter un produit indispensable pour son activité de fabrication à l'étranger, cette société serait effectivement contrainte de réaliser cette fabrication ou bien une partie de cette fabrication dans le pays d'origine des produits. Dans ce cas, cet investisseur sera contraint d'atteindre un niveau donné de contenu national et de consommer les biens et les services dans ce pays. L'imposition de contenu national et les contraintes de consommer les biens et services sont interdites dans les énumérations qui se trouvent dans l'ALE, ALENA et l'AMI. On pourrait ainsi penser que cette interdiction d'exporter constitue la violation de facto des dispositions de ces accords et par conséquent, rentre dans le champ d'application des trois accords précités. Mais le problème est en réalité plus compliqué. En effet l'art. 1106 parag. 5 de l'ALENA disposent que : « Les paragraphes 1 et 3 ne s'appliquent à aucune prescription autres que celles figurant dans lesdits paragraphes ».

Cette position est affirmée par la Note Explicative de l'ALE entre le Canada et les Etats Unis. Elle dispose que l'art 1603 limite certaines prescriptions de résultat. Selon la note, les deux pays ont convenu d'interdire les prescriptions de résultat liées à l'investissement qui faussent sensiblement les échanges commerciaux bilatéraux. Et la note continue que:

« toutefois l'Accord n'empêche pas de négocier avec l'investisseur des prescriptions touchant l'exclusivité de production, la recherche et le développement, ainsi que le transfert de technologie. En outre cet article n'interdit pas les négociations des prescriptions de résultats se rapportant à des subventions ou à des marchés publics »

Cette note prouve bien que les Etats ont limité les contraintes d'exploitation seulement à celles qui se trouvent dans l'art 1603. Les contraintes d'exploitation qui peuvent avoir des effets de restriction telle que le transfert de technologie ne sont pas interdites par l'art 1603 de l'ALE.

De la même manière, l'énumération très détaillée qui figure dans l'AMI pourrait faire penser que les Etats ont procédé à une énumération exhaustive des contraintes d'exploitation. L'AMI conclu entre les pays du Nord devait en principe être élargi vers les pays en développement. Pour être acceptable par ces pays qui sont traditionnellement hostiles à l'élimination des contraintes d'exploitation, cet accord ne pouvait pas laisser entendre que les prescriptions de résultat pouvaient aller au-delà son énumération.

Les dispositions des ces traités manifestent l'intention évidente des Parties de limiter les interdictions dans ces conventions à celles expressément spécifiées dans chacun des paragraphes. A la lumière de l'art 1106-5 de l'ALENA et comme l'affirme la note explicative de l'ALE, les parties ont manifesté leur intention que les articles portant sur les contraintes d'exploitation ne soient pas interprétés extensivement et ces articles doivent être déterminant dans l'interprétation des dispositions sur les contraintes d'exploitation. Selon le principe général du droit des traités internationaux, les accords internationaux sont interprétés et appliqués  à la lumière des leurs objectifs et en accord des normes applicables du droit international. L'ALENA et l'AMI et l'ALE sont un traité, et les principales normes du droit international sur l'interprétation du traité se trouvent dans la Convention de Vienne sur le droit des Traités. Conformément à cette Convention et au dictum de l'Organe d'Appel "l'interprétation doit être fondée avant tout sur le texte du traité lui-même"54(*)

Le Tribunal ALENA dans l'affaire Pope and Talbot en se fondant sur ce dictum a affirmé cette position que :

«the analysis and interpretation of Article 1106 of NAFTA is initially informed by the ordinary meaning of its terms.» «The Tribunal endorses the contention that Article 1106(5) is vital to the interpretation of Articles 1106( 1) and (3). Consequently, the ambit of those two Articles may not be broadened beyond their express terms. The enumeration of seven requirements in Article 1106( 1) and four in Article 1106(3) is limiting in each case»55(*)

Le Tribunal dans l'affaire Pope Talbot en se fondant sur cette interprétation a considéré que l'interdiction d'exporter imposée par le Canada aux entreprises américaines qui ne se trouve pas expressément énumérée dans l'art 1106 de l'ALENA, ne relève pas du champ d'application de cet article.

La position de l'affaire Pope & Talbot est affirmée dans une autre affaire ALENA SDMI c. le Gouvernement du Canada. En l'espèce il s'agissait d'une interdiction imposée par le gouvernement canadien à la société américaine SD Myers d'exporter ses produits vers les Etats-Unis. L'arbitre suite aux allégations de SD Myers était devant la question de savoir si cette interdiction constituait une contrainte d'exploitation au sens de l'art 1106 qui interdit non pas les interdictions d'exportation mais les obligations d'exportation. Le Tribunal a répondu que :

In applying Article 1106 the Tribunal must look at substance, not only form.56(*) «Although the Tribunal must review the substance of the measure, it cannot take into consideration any limitations or restrictions that do not fall squarely within the «requirements» listed in Articles 1106(1) and (3)»57(*)

Il a par la suite considéré qu'une interdiction d'exportation ne rentre pas dans le champ d'application de l'article 1106§a. Cet article dans sa substance interdit les obligations d'exportation et non pas les interdictions d'exportation. Selon le Tribunal ces deux obligations ne poursuivent pas les mêmes buts et objectifs et présentent des contenus différents.

Contrairement à la majorité, l'arbitre B. Schwartz dans cette affaire a considéré dans son opinion dissidente que l'effet des mesures adoptées par le Canada constituait dans sa substance une prescription de résultat contraire à l'art 1106 de l'ALENA. L'arbitre Schwartz s'est fondé à cet effet sur le raisonnement retenu dans l'affaire Canada-loi sur les investissements étrangers58(*) en argumentant que dans cette affaire, même si le GATT n'identifie pas les contraintes d'exploitation en tant que telle, les membres du panel ont jugé que dans sa substance les mesures en cause violaient les obligations découlant du GATT.

Mais on se souvient que, dans cette affaire le Groupe Spécial a jugé que les engagements d'exporter ne sont pas interdits par l'Accord Général. Les engagements d'exporter ne sont pas moins restrictifs de commerce international que les engagements d'approvisionnement. Ces mesures dans leur substance constituent une violation l'Accord Général dont l'objet est de favoriser la liberté de commerce international. Pourtant cet instrument qui encourage la liberté de commerce a été impuissant devant les engagements d'exportation.

2. Dans les conventions les articles qui définissent les contraintes d'exploitation de manière énumérative, contiennent aussi un chapeau ou une clause introductive qui énumèrent les activités par rapport auxquelles interviennent les contraintes d'exploitation. C'est à dire par exemple, qu'une contrainte d'exploitation au sens de l'art 1106 de l'ALENA, doit concerner l'établissement, l'acquisition, l'expansion, la gestion, la direction ou l'exploitation d'un investissement. Comme l'énumération des contraintes d'exploitation, l'énumération des activités aussi, peut varier d'un instrument à l'autre. Ainsi, le texte introductif de l'AMI ajoute à l'énumération du texte introductif de l'ALENA le mot «vente ».

Cette énumération plus large du texte introductif influence le champ d'application des conventions. Pour relever du champ d'application de la convention, il faut que la mesure en cause relève non seulement de l'énumération, mais aussi du texte introductif qui énumère les activités par rapport auxquelles interviennent les contraintes d'exploitation. Plus précisément, pour que la protection conférée par les articles sur les contraintes d'exploitation puisse s'appliquer aux investisseurs, la mesure en cause doit non seulement relever de l'une ou l'autre des énumérations des articles, mais elle doit aussi satisfaire aux prescriptions établies dans les clauses introductives.59(*)

Malgré la restriction considérable qu'elle assure en matière de contraintes d'exploitation, la méthode énumérative de la définition des contraintes d'exploitation connaît aussi des limites. Cette approche n'implique pas l'élimination totale de toutes les contraintes d'exploitation, mais se limite seulement aux contraintes d'exploitation énumérées. Cependant cette approche présente plus d'avantages que les instruments qui réglementent les contraintes d'exploitation uniquement par l'imposition des principes de non-discrimination. Ils définissent clairement et certainement, aussi bien pour les gouvernements que les investisseurs, la nature exacte de leurs obligations et de leurs droits. Le champ d'application de ces accords dépend de la précision apportée, plus l'énumération sera étendue et plus les contraintes d'exploitation seront délimitées.

D'autre part, ces accords couvrent un éventail plus large des questions liées à l'investissement étranger et couvrent toutes les phases de l'investissement. Il doit y avoir élimination, que ces contraintes d'exploitation aient été imposées antérieurement ou postérieurement à l'admission, qu'elles soient liées ou non au commerce. Ces accords prévoient des engagements d'élimination des contraintes d'exploitation plus large, qui concernent non seulement les investissements mais aussi les services. En plus, tous les investissements sur le territoire des Contractants bénéficient des dispositions qu'ils soient l'investisseur des parties contractantes ou non contractantes (le cas de l'ALENA).

L'efficacité de ces conventions se manifeste aussi dans le domaine du règlement des différends. L'impact du système du règlement des différends est important s'agissant de l'examen de la conformité des contraintes d'exploitation aux instruments pertinents. Ce sont les organes de règlement des différends qui décident, en dernier recours, de la conformité des contraintes d'exploitation imposées par les Etats aux obligations conventionnelles de ces derniers.

Le choix du système est important pour les investisseurs, parce que l'imposition des contraintes d'exploitation affecte en premier lieu leurs intérêts. Dans le cadre du GATT et de l'Accord sur le MIC60(*) le règlement des différends est régi par un système de règlement des différends qui est exclusivement inter étatique et un processus politisé. Les investisseurs ne possèdent aucun recours direct contre les Etats qui imposent les contraintes d'exploitation. Malgré certains avantages, ce système est jugé inefficace. Compte tenu des sensibilités des relations internationales, les Etats ne sont pas toujours enthousiastes assumer les revendications de leurs citoyens contre d'autres Etats. Quand les gouvernements choisissent de ne pas agir dans un tel système leurs citoyens sont laissés sans un aucun recours juridique. D'autre part, les Accords de l'OMC n'ont pas d'effet direct c'est à dire qu'ils ne créent pas de droits qui font partie du patrimoine juridique des investisseurs et ils ne sont pas directement invocables par les investisseurs.

A la différence des Accords de l'OMC, les trois accords précités établissent un système de règlement des différends plus efficace. Ces accords créent des droits directement invocables par les investisseurs. Dans le cadre des ces conventions, la procédure de règlement des différends est bilatérale, privée, dépolitisée.61(*) Les droits souverains ne sont pas exclusifs et les parties privées ont un accès direct aux instances de règlement des différends. Ce système leur permet d'attraire devant un arbitrage l'Etat qui imposerait des contraintes d'exploitation incompatibles avec les conventions. La juridiction du CIRDI est assurée dans tous ces instruments. Les sentences du CIRDI ont la force obligatoire et leur exécution est assurée par les Etats sur leur territoire.

On peut donc constater que les instruments régionaux assurent une protection plus accrue aux investissements. Qu'en est-il des conventions bilatérales ?

B. Les conventions bilatérales sur les investissements

L'approche énumérative des contraintes d'exploitation est adoptée non seulement au niveau régional mais aussi au niveau bilatéral spécialement en ce qui concerne les modèles américains de conventions bilatérales sur la promotion et la protection des investissements. En revanche, les conventions bilatérales de modèle européen sur la promotion et la protection des investissements sont spécifiques en ce qui concerne le rôle joué dans ces conventions par le standard de traitement juste et équitable comme un moyen d'élimination des contraintes d'exploitation.

1. Les modèles américains de conventions bilatérales sur les investissements

Les conventions bilatérales américaines sur les investissements sont intervenues avant même l'intervention des conventions universelles et régionales pour réglementer les contraintes d'exploitation.62(*) S'agissant des contraintes d'exploitation ces conventions varient en fonction des modèles. Le dernier modèle de 1994 est le plus détaillé sur les contraintes d'exploitation. Il procède de la même manière que l'ALEAN et l'AMI en imposant d'abord la garantie des principes de non-discrimination et puis établit une énumération des contraintes d'exploitation.

Puisque dans ces accords la méthode de définition est la même, leur porté doit aussi être identique, c'est à dire que la définition ne comprend que les contraintes d'exploitation spécifiées par la convention. Cette idée est affirmée par les lettres de soumission des Traités des États-Unis sur la promotion et protections des investissements au Sénat qui déclare que « Article VI prohibits either Party from mandating or enforcing specified performance requirements as a condition for the establishment, acquisition, expansion, management, conduct, or operation of a covered investment.» 63(*)

Mais la portée de ces conventions est plus restreinte que l'ALENA ou le projet de l'AMI. Les obligations sur les contraintes d'exploitation ne comprennent pas les conditions imposées pour obtenir un avantage ou le maintien d'un avantage. A la différence des conventions bilatérales l'ALENA et l'AMI étendent l'interdiction des contraintes d'exploitation aux mesures d'octroi ou de maintien de l'octroi d'un avantage. Mais ce modèle énumère presque autant de contraintes d'exploitation que l'ALENA.

Les modèles de conventions d'avant 1994, sont de portée plus restrictive. Ils se contentent d'interdire seulement deux contraintes d'exploitation par rapport aux activités qu'ils énumèrent. Il s'agit de l'engagement de l'exportation des biens produits, et de l'engagement de l'approvisionnement en biens ou services. Mais ils posent un principe d'interdiction général en interdisant à coté des contraintes d'exploitation qu'ils énumèrent « toutes autres contraintes de même nature» (any other similar requirements ) Dans ce cas il revient au juge de déterminer, si la mesure en cause contestée constitue ou non une contrainte d'exploitation. Cette situation crée des incertitudes au préjudice de l'investisseur, parce que l'Etat contractant peut toujours à juste titre contester ou disputer sur la qualification d'une telle ou telle mesure en tant que contraintes d'exploitation. C'est la raison pour laquelle ce modèle a été abandonné au profit de modèle de 1994.

D'autre part dans les modèles d'avant 1994, l'énumération concernant les activités par rapport auxquelles les contraintes d'exploitation interviennent est variable d'une convention à l'autre. Comme on a vu l'importance de cette énumération dans la porté des accords, cette différence d'énumération affecte la porté des conventions bilatérales américaines. Par exemple, la convention bilatérale entre les Etats Unis et le Panama dans son art. II parag 4. stipule :

Neither Party shall impose performance requirements as a condition for the establishment of investment owned by nationals or companies of the other Party, ...

Cette convention limite le champ d'application des interdictions des contraintes d'exploitation seulement à l'établissement des investissements. A la différence de cette convention la l'art II paragraphe. 6 de la convention bilatérale entre la République d'Estonie étend le champ d'application de cette interdiction à l'élargissement et à la gestion des investissements.64(*)

2. Le modèle européen de conventions bilatérales: le rôle du standard du

traitement juste et équitable

A la différence des conventions américaines les conventions européennes ne contiennent pas de dispositions expresses sur les contraintes d'exploitation. D'autre part, le traitement national imposé dans ces conventions est de portée restrictive qui se limite seulement à la phase de post investissement et exclut la phase pré-investissement. Les contraintes d'exploitation sont en principe imposées dans la phase d'admission des investissements.

Comme on a eu l'occasion de le constater, le principe du traitement national, même garanti totalement, ne serait pas en mesure d'éliminer la totalité des contraintes d'exploitation. Les modèles européens semblent aborder le problème sous un autre angle en recourant au principe de traitement juste et équitable.

Le modèle français de convention bilatérale sur la promotion et la protection des investissements dans son article 3 stipule que :

Chacune des Parties contractantes s'engage à assurer, sur son territoire et dans sa zone maritime, un traitement juste et équitable, conformément aux principes du Droit international, aux investissements des nationaux et sociétés de l'autre Partie et à faire en sorte que l'exercice du droit ainsi reconnu ne soit entravé ni en droit, ni en fait. 

Cet article est constitué de deux parties. La première partie assure le traitement juste et équitable. La deuxième partie énumère les mesures qui entravent en droit et en fait ce principe :

En particulier, bien que non exclusivement, sont considérées comme des entraves de droit ou de fait au traitement juste et équitable, toute restriction à l'achat et au transport de matières premières et de matières auxiliaires, d'énergie et de combustibles, ainsi que de moyens de production et d'exploitation de tout genre, tout entrave à la vente et au transport des produits à l'intérieur du pays et à l'étranger, ainsi que toutes autres mesures ayant un effet analogue. »

La distinction des parties de cet article revêt une importance toute particulière. Dans sa première partie l'article énonce un principe de droit international. Dans la deuxième partie, la convention procède à une énumération illustrative des contraintes sur les investisseurs qui seraient qualifiées comme violation de ce principe. Mais comme on l'a déjà fait observer, l'élimination des contraintes d'exploitation ne peut intervenir que par voie conventionnelle. Le rôle de la deuxième partie intervient justement à ce titre. Il apporte une précision conventionnelle au standard du traitement juste et équitable. Le contenu apporté à ce principe par la convention n'est pas celui dicté par le droit international par le simple fait que ce droit n'apporte aucun contenu à ce principe. Le traitement juste et équitable est une notion aux contours imprécis dont le noyau dur est empreint d'un trop grand caractère de généralité.65(*) Par conséquent, le contenu de ce principe ne peut être précisé que grâce à l'oeuvre jurisprudentielle66(*) ou conventionnelle. S'agissant des décisions jurisprudentielles, le principe de l'autorité relative s'oppose à ce que ces décisions puissent déterminer de manière générale le contenu du traitement en cause. S'agissant des accords internationaux, le principe de l'effet relatif des traités empêche que les éléments du traitement juste et équitable déterminés dans un accord s'étendent automatiquement en dehors de ces Accords. Donc la définition de ce qui constitue un traitement juste et équitable variera en fonction des accords.

La précision apportée dans cet article montre que les mesures figurant dans la liste ne sont pas interdites en application du traitement national. Aucun Etat ne violerait le principe du traitement national en imposant de manière identique les mesures indiquées dans la deuxième partie de l'art 3 aussi bien aux investisseurs étrangers qu'aux investisseurs nationaux. Le standard juste et équitable constitue un niveau au-dessous duquel le traitement des investissements ne peut pas descendre même si l'Etat traite les investisseurs nationaux et étrangers de manière non discriminatoire. Ce principe intervient ainsi pour combler les lacunes du principe de traitement national. C'est à dire, dès lors que le traitement national est respecté, la responsabilité de l'Etat ne sera engagée que s'il y a violation du principe du traitement juste et équitable. La licéité conventionnelle des contraintes d'exploitation s'apprécie dans ce cas en fonction de leur conformité au principe du traitement juste et équitable, et non en fonction de leur conformité au principe du traitement national.

Le traitement juste et équitable est-il suffisant pour assurer l'élimination de toutes les contraintes d'exploitation ? Dès lors que le traitement national est respecté, les contraintes d'exploitation ne sont pas en elles-mêmes et par elles-mêmes contraire au principe du traitement juste et équitable. Pour prouver l'existence d'une violation du principe de traitement juste et équitable, il faut montrer que le standard international ne se satisfait pas du respect du traitement national.67(*) Si une mesure est qualifiée comme une mesure énumérée dans l'art 3, sa non-conformité au traitement juste et équitable est évidente. Mais que se passera-t-il si la mesure ne figure pas dans la liste de l'art 3? L'art 3 énumère les mesures de nature à entraver le traitement juste et équitable de manière illustrative et non exhaustive.

En dehors de la précision apportée par le modèle français, principe de traitement juste et équitable, en tant que principe général de droit international présente un contenu imprécis et comporte un degré de flexibilité. De ce fait, il n'en résulte pas qu'il puisse être utilisé pour définir précisément les mesures nationales dont l'élimination doit être recherchée, et notamment, les mesures pesant sur l'investisseur et ayant une incidence sur ses activités. Néanmoins ce principe assure toujours une garantie minimum. Dans l'affaire ALENA SDMI contre le Gouvernement canadien la société SD Myers contestait les mesures d'interdiction d'exporter par le Canada comme contraires aussi bien au titre du traitement juste et équitable qu'au titre de l'article 1106 portant sur les contraintes d'exploitation. Le Tribunal n'a pas considéré que les mesures imposées par le Canada constituaient des contraintes d'exploitation contraires à l'article 1106 de l'ALENA. Mais en revanche, il a jugé que ces mesures violaient le principe du traitement juste et équitable.68(*) Donc lorsque tous les autres moyens sont épuisés, on peut toujours chercher le secours dans le traitement juste et équitable.

Section II. Eléments pour une définition objective des contraintes d'exploitation

Malgré les définitions variables que peuvent retenir les conventions, les contraintes d'exploitation pour être qualifiées ainsi doivent répondre à certains critères objectifs aussi bien formels (§1) que matériels(§2). Si les critères formels varient en fonction des instruments conventionnels qui poursuivent des buts et objectifs différents, les critères matériels des contraintes d'exploitation sont en principes identiques.

* 48 Ce projet discuté au sein de l'OCDE a été abandonné en 1998.

* 49 JUILLARD P. Op. cit. supra note 1 p. 154

* 50 Comme l'énonce les négociateurs de l'AMI«The MAI should go beyond the disciplines found in other agreements, such as the TRIMs Agreement, the ECT and the NAFTA. Negotiating Group on the Multilateral Agreement on Investment (MAI) Expert Group No.3 on «Special Topics» PERFORMANCE REQUIREMENTS (Note by the Chairman) DAFFE/MAI/EG3(96)9 2 September 1996 p. 2 www.oecd.org/daf/mai

* 51 Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) National Treatment. UNCTAD Series on Issues on International Investment Agreements New York et Genève. Nations Unies (1999) p. 8

* 52 Shenkin, Todd S., Trade-related Investment Measures in Bilateral Investment Treaties and the GATT: Moving Toward a Multilateral Investment Treaty, U. Pitt. L. Rev. 1994. p. 580

* 53Selon les négociatuer de l'AMI les prescription de résultats doivent etre couvertes par l'AMI qu'ils soit ou non discriminatoire. Negotiating Group on the Multilateral Agreement on Investment (MAI) Expert Group No.3 on «Special Topics» PERFORMANCE REQUIREMENTS (Note by the Chairman). §6 www.oecd.org/daf/mai

* 54 Le Rapport de l'Organ d'Appel Japon - Boissons Alcooliques, 4 Octobre, 1996 at p. 12. aussi Affaire du différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), Arrêt (1994), Recueil de la C.I.J., page 6 (voir page 20); Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, Compétence et recevabilité, Arrêt (1995), Recueil de la C.I.J., page 6 (voir page 18).

* 55 Sentence arbitrale ALENA Pope and Talbot c. le Canada Interim Award- June 26 2000 par 70

* 56 Sentence ALENA S.D. Myers Inc. v. Government of Canada Partial Award-November 13, 2000 «In applying Article 1106 the Tribunal must look at substance, not only form.» Par. 272

* 57 Ibid. par.275

* 58 Sentence ALENAL. S.D. Myers Inc. v. Government of Canada Separate Opinion by Dr. Bryan Swartz par.189 et s.

* 59 C'est la même approche utilisé par l'Organe d'Appel de l'OMC concernant l'art XX du GATT. Rapport adopté le 20 mai 1996, Etats Unis-Essence formule nouvelle, page 24.

* 60 Article 8 de l'Accord sur les MIC Consultations et règlement des différends « Les dispositions des articles XXII et XXIII du GATT de 1994, telles qu'elles sont précisées et mises en application par le Mémorandum d'accord sur le règlement des différends, s'appliqueront aux consultations et au règlement des différends relevant du présent accord ».

* 61 Shenkin, Todd S. Op.cit. p 561

* 62 Coughlin, William E., The U.S. Bilateral Investment Treaty: An Answer to Performance Requirements?, in Regulating the Multinational Enterprise, National and International Challenges 129 (B. Fisher and J. Turner eds., 1983).

* 63 «Article VI prohibits either Party from mandating or enforcing specified performance requirements as a condition for the establishment, acquisition, expansion, management, conduct, or operation of a covered investment.» LETTER OF SUBMITTAL DEPARTMENT OF STATE, Washington, September 8, 2000 of the Treaty Between the Government of the United States of America and the Government of the Republic of Azerbaijan Concerning the Encouragement and Reciprocal Protection of Investment to the Senate. www.state.gov

* 64 L'art.II parag 6 : Neither Party shall impose performance requirements as a condition of establishment, expansion or maintenance of investments.

* 65 JUILLARD P. Op.cit supra note 1. p. 131

* 66 Sentence arbitrale CIRDI. Metalclad c. Gouvernement du Mexique. 40 ILM 36 (2001)

* 67 JUILLARD P. «L'accord sur les mesures concernant l'investissement et liées au commerce » in La réorganisation mondiale des échanges. Colloque de Nice. SFDI. Pedone, Paris 1996 p. 120

* 68 La sentence partielle de l'ALENA du 13 novembre 2000 S.D. Myers Inc. c. le Gouvernement du Canada

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore