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Naissance médiatique de l'intellectuel musulman en France (1989-2005)

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par Tristan WALECKX
Université Montpellier 3 - Master Histoire 2005
  

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C) L'élargissement du rôle de ces intellectuels

La mission principale de ces intellectuels certifiés par l'Etat est tout d'abord celle qui leur est officiellement assignée, à savoir l'organisation du culte musulman. Par exemple, dès 1990, le CORIF décide pour la première fois collégialement d'une date de ramadan commune. Depuis sa mise en place, le CFCM travaille sur certains dossiers significatifs : tous les grands défis qui se posent aux musulmans aujourd'hui comme la formation des imams, le pèlerinage à La Mecque, le mois de Ramadan, la célébration des fêtes religieuses, la viande halal, le financement des lieux de culte ou encore l'aumônerie musulmane en prison sont évoqués. Le CFCM peut ainsi continuer une mise en place d'un islam de France restée incomplète.

Jouant sur la frontière floue entre culte et culture, les membres du Conseil se veulent plus qu'un simple consistoire. Ils rejettent l'idée d'un « CRIF musulman » à leurs côtés. Par exemple, le CFCM prend régulièrement position contre « l'islamophobie culturelle ». Ainsi, en 2003, réagissant aux propos de l'éditorialiste du Point Claude Imbert, le Conseil à peine installé publie un texte stipulant notamment :

« Le conseil français du culte musulman a été mis en place par la loi, dans le cadre du jeu républicain. Il ne pensait pas être si vite confronté à la revendication de l'islamophobie. Soucieux de remplir pleinement sa mission, le CFCM va demander à l'instar d'autres associations, à être habilitée pour agir en justice dans le cadre des procédures permettant de combattre les incitations à la haine ou à la discrimination religieuse. Car en démocratie, le dernier mot ne doit pas revenir aux provocateurs193(*). »

Les intellectuels musulmans organiques ont également été vite contraints à exprimer leurs points de vue sur des problèmes de société liés à l'islam, comme le foulard islamique. Ces avis ne sont d'ailleurs pas à l'unisson. Les voix divergent entre le président du CFCM, Dalil Boubakeur, estimant que le port du voile « n'est pas une règle fondamentale de notre religion194(*) » et Fouad Alaoui, qui affirme que c'est une « prescription195(*) ». Mais la plupart de ces représentants officiels du culte musulman, hormis ceux qui gardent une certaine indépendance malgré leur statut, comme Soheib Bencheikh par exemple, condamnent le principe d'une loi196(*). Même les plus modérés s'y opposent, à l'instar de Dalil Boubakeur, clamant qu'elle «pourrait être ressentie par [sa] communauté religieuse comme une suspicion197(*)». Malgré cette opposition majoritaire, il faut tout de même rappeler que l'avis du CFCM reste purement « consultatif ».

Si le CFCM est donc sollicité pour des problèmes intérieurs posés par l'islam, c'est surtout sur le plan international que les intellectuels organiques, grâce à leur symbolique place de représentant de la communauté musulmane française, se sont montrés le plus uni et le plus crédible. Ils sont censés, en cas de problèmes de terrorisme, dispenser quelque paroles d'apaisement. Un rôle primordial, estime Fouad Alaoui, qui juge au lendemain du 11 septembre que « les attentats ont montré combien il était important, d'un point de vue symbolique, qu'une instance représentative puisse se prononcer sur des événements importants198(*) ».

Les interlocuteurs consultés n'ont d'ailleurs pas attendu la mise en place définitive du CFCM pour se prononcer d'une seule voix. Au début de l'intervention américaine en Irak de 2003, la provisoire Commission d'organisation de la consultation sur l'islam (Comor) se met par exemple officiellement d'accord pour féliciter la position pacifiste de la diplomatie française et appelle les fidèles à « exprimer leur émotion dans le calme et la dignité199(*) ». Egalement, comme nous l'avons vu précédemment, la prise d'otages des deux journalistes français à Bagdad à la fin 2004 correspond à un autre grand test au niveau international du CFCM. Ce dernier envoie alors sur place une délégation composée de Fouad Alaoui (UOIF), d'Abdallah Zekri (Mosquée de Paris) et de Mohamed Bechari (FNMF) afin d'intercéder auprès des ravisseurs irakiens. Ce rôle géopolitique, bien qu'implicite, est bel et bien fondamental pour les membres de l'islam de France.

Forts de leur position de membres officiels de l'intelligentsia musulmane, ces interlocuteurs de l'Etat ont pu élargir leur rôle à de nombreux domaines de compétence. Avec la multiplication des événements médiatiques ayant un rapport direct ou non avec l'islam depuis 1989, les représentants de ce qui est entrain de devenir l'islam de France ont émergé comme des voix intellectuelles nouvelles. Quelques figures sont apparues comme étant incontournables dans tout dialogue concernant de près ou de loin la religion musulmane.

Néanmoins, leur position reste fragile. La constitution de l'islam de France est encore en chantier. Les luttes d'influences à l'intérieur du Conseil sont considérables et peuvent rapidement faire basculer la délicate balance de ce paysage islamique français. Le récent blocage par l'UOIF de la nomination de Moulay el-Hassan el-Alaoui Talibi au poste d'aumônier général musulman des prisons200(*), ainsi que la difficulté d'organiser des élections dans les temps et sans contestations, ne sont que des exemples parmi d'autres de la confusion et des combats fratricides qui règnent au sein de l'islam de France. Dounia Bouzar explique d'ailleurs sa démission comme la conséquence du fait que le CFCM « ne parle que d'élections [internes], au lieu d'analyser ce que veut dire être musulman dans une société laïque201(*).» Même si le Conseil n'en est qu'à ses débuts, tout cela n'est pas très bon pour l'image de marque de ces tout nouveaux intellectuels organiques.

De plus, contrairement à ce qui était attendu, le CFCM n'est pas l'interlocuteur unique dans certains sujets rentrant pourtant naturellement dans son champ d'attribution. Le dossier de la formation des imams est un exemple frappant : la réunion du comité d'experts autour de l'Institut International de la Pensée Islamique (IIIT) et Mohamed Mestiri peut apparaître comme une tentative par le ministère de l'intérieur, de contourner le CFCM 202(*). C'est donc la preuve que ce dernier, bien qu'instance officielle de l'islam par définition, n'a pas encore assis complètement son autorité.

Si les intellectuels musulmans organiques peinent à répondre à tous les défis contemporains de l'islam, le salut viendra-t-il de la société civile et d'un nouveau type d'intellectuel musulman : le leader socio-politique ?

* 193 Communiqué du CFCM du 5/11/2003.

* 194 Michel Kubler, « Lever le malentendu islamo-français », La Croix, 15/4/1992.

* 195 Catherine Coroller, « Laïcité : le discours à peine voilé de l'UOIF », Libération, 11/10/2003.

* 196 Bernard Jouanno, Martine de Sauto et Nicolas Senèze, « Le voile unit chrétiens et musulmans mais divise la communauté juive », La Croix, 28/11/2003.

* 197 Josette Alia & Carole Barjon, « Voile : une loi, mais laquelle ? », Le Nouvel Observateur, 20/11/2003.

* 198 Xavier Ternisien, « Pressés par les attentats, les musulmans se préparent à élire leurs représentants », Le Monde, 13/10/2001.

* 199 Xavier Ternisien., « Les représentants musulmans appellent au `calme' et à la `dignité' », Le Monde, 22/3/2003.

* 200 Cf. Xavier Ternisien, « L'UOIF boude le Conseil français du culte musulman », Le Monde, 10/5/2005.

* 201 Claire Chartier, « Musulmane libre », L'Express, 17/1/2005.

* 202 Seuls deux membres du CFCM font partie de ce « comité de sages ».

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