WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'exception de copie privée face aux dispositifs techniques de protection des oeuvres

( Télécharger le fichier original )
par Marjorie PONTOISE
Université Lille II - Master 2 pro Droit du cyberespace (NTIC) 2005
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2. La copie privée à l'épreuve du triple test

a) Les trois étapes du test

Cette triple condition destinée à être la « pierre angulaire » des systèmes d'exceptions, constitue un fil conducteur dans l'insertion des exceptions aux droits d'auteur, cependant il existe très peu de travaux au niveau international qui pourraient servir aux tribunaux de « guide d'interprétation » du triple test.

La première étape du test a été interprétée comme s'appliquant à un « cas détaillé, précis, spécifique, inhabituel, hors du commun », ayant « une portée restreinte ainsi qu'un objectif exceptionnel ou reconnaissable »84(*).

La deuxième étape consacre l'approche économique de l'exception : si l'exploitation au titre de l'exception, revêt une importance pratique et économique considérable et prive en conséquence l'auteur de gains commerciaux significatifs, alors elle ne sera pas conforme à la deuxième étape.

La troisième étape protège les intérêts légitimes de l'auteur, l'exception ne devant pas lui causer un préjudice injustifié ou déraisonnable. Le préjudice sera par exemple considéré comme injustifié ou déraisonnable si l'exception autorise la copie à des fins commerciales, sans l'accompagner d'un mécanisme compensatoire tel qu'une licence obligatoire assortie d'un droit à rémunération.

Le préjudice ne sera pas considéré comme injustifié ou déraisonnable si l'exception n'implique pas de commercialisation. Il ne le sera pas non plus dans le cas de l'exception de courte citation. C'est également le cas de la copie privée (par hypothèse non destinée à un usage commercial), ce qui ne signifie pas que l'auteur ne doive pas être indemnisé du manque à gagner. Un tel mécanisme d'indemnisation est prévu en France par le système de la rémunération pour copie privée, notamment dans la loi n°2001-624 du 17 juillet 2001 (article L311-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle).

Enfin, cette troisième étape peut être considéré comme la plus importante, « puisqu'elle permet d'examiner la justification qui sous-tends la limite85(*) ». Selon cette dernière, l'application des limites au droit d'auteur ne doit pas causer un « préjudice injustifié » au titulaire de droit : le titulaire de droit ne doit pas, en outre, avoir le pouvoir de contrôler toutes les utilisations de ses oeuvres, certains préjudices étant justifiés par la prise en compte de valeurs considérées comme supérieures aux intérêts du titulaire de droit. Pour appliquer ce test, le juge doit alors prendre en compte la justification qui se trouve derrière la limite en cause et arriver à une analyse différenciée à la lumière des intérêts et droits fondamentaux en question.

Il serait peut être préférable, pour arriver à des solutions équilibrées, de procéder à une nouvelle lecture du test en trois étapes, comme l'envisage C. Geiger. Selon lui, « il serait nécessaire de commencer l'application du triple test par la troisième étape et d'utiliser la deuxième étape ensuite comme correctif pour éviter les atteintes les plus grossières à l'exploitation de l'oeuvre. Cela reviendrait à procéder à une lecture à l'envers du test, lecture qu'aucun texte ne semble prohiber ». Une telle lecture entraînerait néanmoins une forte insécurité juridique : en commençant par l'étude du préjudice « justifié » ou non du titulaire des droits, une nouvelle forme de subjectivisme serait introduite et la balance des différents intérêts n'en serait que plus incertaine.

Nous allons à présent voir comment les juges ont eu l'occasion d'utiliser ce nouveau dispositif de protection des droits d'auteurs, au cours de la transposition de la directive DADVSI en droit national.

b) « Le triple test cheval de Troie des juges ?» 86(*)

Le débat de la compatibilité du triple test avec le droit national a connu une double actualité avec l'arrêt de la Cour de cassation du 28 février 200687(*) (affaire « Mulholland Drive ») et dans le même temps, la transposition de la directive votée par le Parlement le 21 mars 2006. Le contexte dans lequel est intervenu la Cour de cassation a démontré que la juridiction entendait éclairer le débat sur le droit d'auteur, quelques jours avant la reprise des discussions parlementaires sur le projet de loi de la transposition de la directive DADVSI88(*).

Il s'agit de se pencher sur cette affaire pour mieux apprécier la première application du triple test à l'exception de copie privée. En effet, l'apport de la décision tient dans l'application du test des trois étapes par la plus haute autorité de l'ordre judiciaire.

Les faits étaient les suivants : Monsieur P. ayant acquis le DVD du film « Mulholland Drive », désirait en faire une copie sur support analogique afin d'en faire bénéficier ses parents. Devant l'impossibilité de l'effectuer, une mesure de protection technique ne permettant que la seule lecture du DVD, Monsieur P. saisit dans un premier temps le Tribunal de Grande Instance de Paris et appela en la cause l'association de consommateurs UFC-Que Choisir.

Le jugement89(*) rejeta la demande et énonça que la copie de l'oeuvre ne pouvait que porter atteinte à l'exploitation normale de celle-ci et affectait un mode d'exploitation essentielle indispensable à l'amortissement des coûts de production, analysant ainsi les faits à la lumière du « test des trois étapes » contenu dans la directive du 22 mai 2001 non encore transposée.

Monsieur P. et l'UFC-Que Choisir interjetèrent appel90(*), invoquant la pertinence de l'exception de copie privée dans leur affaire, alors que les intimés, notamment la société Universal Pictures Video France, contestaient l'existence d'un « droit à la copie » et s'attachaient à démontrer qu'en tant qu'exception au droit d'auteur, la copie privée devait être d'interprétation restrictive. La Cour d'Appel de Paris accueillit cette fois la demande des appelants sur le même fondement du triple test : « en l'état du droit interne applicable, qui ne prévoit aucune limite à l'exception de copie privée si ce n'est qu'elle doit être effectivement réalisée pour un usage privé et doit respecter les conditions de l'article 5.5 de la directive, M. P. qui, en l'espèce, a acquis de manière régulière dans le commerce un DVD et qui n'a pu procéder à une copie sur une vidéocassette destinée à un usage privé a subi un préjudice du fait du comportement fautif des sociétés qui ont " verrouillé " totalement par des moyens techniques le DVD en cause ».

Pour savoir si l'exception de copie privée pouvait faire obstacle à l'insertion de mesure anti-copie sur un DVD, la Cour de cassation devait donc déterminer si cette exception outrepassait les limites prévues par le triple test. La Cour ne répondit pas à la question posée et se contenta de rappeler que si la copie privée des DVD avait pour effet de porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre, elle ne pourrait alors faire obstacle à l'insertion des mesures techniques de protection sur le support de l'oeuvre. Selon M. May, avocat à la Cour, « cette réponse d'attente » n'est pas totalement surprenante : dans son avis, l'avocat général M. Sarcelet regrettait que le report du projet de loi le privait de la mise en oeuvre nationale de la protection des mesures techniques de protection sur le support de l'oeuvre.

L'arrêt à néanmoins le mérite de rappeler qu'il n'existe pas un « droit à la copie privée », seulement « une exception de copie privée ». Cette exception doit être soumise au triple test prévu par la Convention de Berne et par la directive de 2001. Dans cet examen il convient donc de prendre en compte l'importance économique de cette forme d'exploitation de l'oeuvre et de la confronter aux risques d'atteinte aux droits de l'auteur, notamment les risques amplifiés par la technologie numérique. Or, au delà de la difficulté même de l'appréciation concrète de ces risques, l'introduction d'une telle logique conduit le juge à se livrer à une analyse économique d'ensemble de l'impact d'une exception sur un mode d'exploitation d'une oeuvre.

1. L'étude menée par la Cour de cassation

Dans cette décision, et pour la première fois rappelons le, la Cour de cassation emploi le terme d'exception et s'interroge sur l'articulation de celle-ci avec les mesures techniques de protection. De fait, les mesures techniques de protection entravent la liberté de copier l'oeuvre fixée sur un support protégé. Deux logiques d'affrontent : d'un côté celle de l'auteur et de l'investisseur, qui souhaitent limiter la possibilité de reproduire à l'infini une oeuvre dont ils entendent tirer des revenus, de l'autre celle du public qui désire, dans la sphère privée, jouir de la liberté de reproduire l'oeuvre comme il l'entend.

Afin de parvenir à sa solution, le tribunal a commencé par réfuter que le droit de copie privée soit un droit subjectif. Cet argument nous renvoi à l'article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle qui précise que l'auteur « ne peut interdire » la copie privée, ce qui revient à souligner son caractère d'ordre public. Au vu de la position prise par les juges, nous pourrions en déduire que « les exceptions ne sont plus gravées définitivement dans le marbre de la loi91(*) ». En effet, elles sont dorénavant précaires car soumise à ce triple test. C'est la conclusion à laquelle aboutit la Cour de cassation en se livrant à la relecture ce cet article L122-5, elle en contrarie la lettre même.

A l'inverse du libellé actuel qui dispose que « lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire [...] les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privée du copiste », la Cour estime que « l'exception de copie privée [...] ne peut faire obstacle à l'insertion dans les supports sur lesquels est reproduite une oeuvre protégée de mesures techniques de protection destinées à en empêcher la copie ».

La voie empruntée par la Cour de cassation pose des difficultés d'interprétation : « les juges de cassation ont conduit à considérer que l'exception ne peut empêcher d'interdire92(*) ». Par cette formulation les juges élargissent le périmètre du droit exclusif en passant d'une logique de liberté à un régime de contrôle des usages légaux. Or c'est essentiellement au regard du triple test que la Cour de cassation opère ce renversement de perspective, estimant que « les implications économiques de l'univers numérique devraient conduire à considérer autrement les limites du monopole93(*) ». On perçoit donc toute l'importance que revêt ce mécanisme dans la détermination des places respectivement assignées au droit exclusif et aux exceptions.

En poussant dans ses limites le raisonnement de la Cour de cassation, l'exception de copie serait juridiquement écartée : l'acquéreur du support n'aurait même pas ma possibilité de fixer les dialogues du film dans son journal intime ou de filmer son téléviseur avec son caméscope.

Un glissement s'opère donc, le monopole de l'auteur se trouve étendu à toutes les fixations de l'oeuvre, qu'elles soient effectuées en vue d'une communication au public ou, phénomène nouveau, réservées à l'usage privé du copiste. Le cercle de famille s'efface. Il est vrai que la directive conforte cette analyse, le bénéfice de l'exception de copie privée ne devant pas être garanti obligatoirement pour les Etats94(*). La suppression de l'exception parait disproportionnée : comment peut-on en venir à supprimer toute possibilité de copie privée ?

* 84 Y. Gaubiac, Communication Commerce Electronique 2001, chronique n°15.

* 85 C. Geiger, « Le test en trois étapes, un danger pour l'équilibre du droit d'auteur ?», Revue Lamy Droit de l'Immatériel, avril 2006, n°15, p.53

* 86 Expression de V-L. Bénamou, professeur à l'Université saint Quentin, directrice du laboratoire DANTE.

* 87 Cour de cassation, 1er Chambre civile, 28 février 2006, Studio Canal - Universal Pictures vidéo France et SEV c/M.Perquin et UFC Que Choisir (en annexe)

* 88 Directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (DADVSI).

* 89 Tribunal de grande Instance de Paris, 3e Chambre, 2e Section, 30 avril 2004, JCP éd. G, II, 10 135, note Geiger

* 90 L'articulation entre exception de copie privée, rémunération pour copie privée et mesures techniques de protection est la problématique centrale que le juge d'appel se propose de résoudre au regard du test en trois étapes.

* 91 C.Caron, « Conformité de l'exception pour copie privée au test des trois étapes en droit transitoire », Communication Commerce électronique n°3, mars 2006, comm. 41

* 92 V-L. Benabou, « Les dangers de l'application judiciaire du triple à la test à la copie privée », Légipresse n°231, mai 2006, Cours et tribunaux.

* 93 V-L. Benabou, V. supra note 72

* 94 Article 6.4 de la directive distingue les exceptions ou limitations dont le bénéfice effectif doit être garanti par les Etats membres (alinéa 1) et les exceptions ou limitations dont le bénéfice peut être garanti (alinéa 2), révélant une hiérarchie entre les intérêts protégés par ces exceptions.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius