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L'interprétation de la Loi par l'historien du droit et le Juge

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par Jean-Luc Malango Kitungano
Université Grégorienne/ Faculté de philosophie saint Pierre Canisius - Bachelier en philosophie 2006
  

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II. 2.2. L'unité des sciences humaines à partir de l'expérience d'application

En écoutant attentivement notre « dire » dans le langage ordinaire, nous percevrons la manière dont, comme interprète, nous nous impliquons dans la compréhension. Le langage utilisé en droit, en philologie, en théologie et dans toutes les autres sciences humaines est toujours un langage humain qui s'applique à l'interprète et concerne la tradition dans laquelle celui-ci est toujours et déjà inséré. Qu'il s'agisse des us et coutumes ou de la tradition de pensée.

Dans les sciences humaines, on narre des réalités humaines d'une part, et on transpose aussi en concept ce qui est narré, d'autre part. Par la transposition en concepts compréhensibles pour l'interprète et sa communauté, des nouveaux horizons s'ouvrent. On remarque, certes, que dans les sciences humaines, on fait de plus en plus recours aux statistiques, on établit des comparaisons, on interprète les résultats comparés...mais toutes ces opérations visent, en définitive, une meilleure compréhension de nous-mêmes81(*).

L'unicité des sciences humaines dans l'expérience herméneutique d'application veut nous signifier qu'il y a « un tournant ontologique pris par l'herméneutique sous la conduite du langage »82(*). Si les sciences humaines sont des pratiques vivantes, la fonction herméneutique du langage, comme application, se trouve être dégagée pour l'ensemble de notre pratique vivante dans ces sciences. Les résultats auxquels les chercheurs en sciences humaines aboutissent sont des événements d'une expérience authentique dans le sens, non de vérifiabilité et de répétitions valables dans les sciences de la nature, mais dans la mesure où, dans ce qui est dit la tradition s'éclaire pour le chercheur et pour la communauté à laquelle il se rattache. Ce qui est trouvé, tout en étant une expérience authentique, n'est pas pour autant assuré, jugé une fois pour toute, décidé à tous égards. Ce qui est compris en s'appliquant à la compréhension du chercheur ou à la communauté, fait reculer l'horizon qui était jusque là admis. C'est au coeur de la finitude historique de l'homme que ces expériences nouvelles viennent se dire sans les clôturer une fois pour toutes.

L'application du concept de jeu au comprendre est très éclairant et Gadamer a, avec raison, consacré la première partie de Vérité et Méthode à l'expérience de l'art et du jeu. L'expérience du jeu qui se joue des joueurs signifie que dans les sciences humaines la vérité exprimée n'est pas le fruit de la possession de l'homme à partir d'une méthodologie aveugle à coller aux réalités humaines. Quand nous comprenons une réalité humaine, que ce soit un texte, une expression, des faits sociaux, ce qui nous captive, c'est l'advenir de la vérité de la tradition humaine qui s'y dit et nous porte déjà.

Les préjugés sont positivement réhabilités comme condition de la connaissance d'une nouvelle réalité humaine, cela d'autant plus que nous entendons par tradition, le fait que l'être propre de celui qui connaît entre également en jeu dans la connaissance et cela marque la limite de la « méthode », mais non celle de la science. Ce que la méthode n'atteint pas forcement une interrogation et une recherche assidue, nourrie dans l'expérience de la tradition, finit par déboucher sur la vérité.

Dans les sciences humaines, la conscience de l'interprète ne maîtrise pas radicalement ce qu'il étudie. Ce n'est pas uniquement grâce à des ressources de la méthode que le chercheur en sciences humaines parvient à saisir ce qui est véritablement signifié dans l'expérience humaine. La réflexion en sciences humaines apparaît comme un véritable événement qui a pour condition que «  la parole qui nous est parvenue en tant que tradition et que nous avons à écouter nous atteigne réellement, nous atteigne comme si elle s'adressait à nous et nous était personnellement destinée »83(*). Il faut donc que dans les recherches en sciences humaines, celui qui interroge soit interrogé dans sa pratique et les résultats de ses recherches.

L'unicité des sciences humaines dans l'expérience d'application stipule que le langage est un centre où le moi et le monde fusionnent, c'est-à-dire qu'ils sont dans une relation originelle. Il sied de libérer les sciences humaines, ainsi que toute expérience de l'homme, du préjugé scientiste contenu dans l'idéal d'objectivité selon les sciences de la nature.

Considérant l'expérience de l'art et de la science, Gadamer débouche sur une herméneutique universelle qui porte sur la relation générale entre le monde et l'homme. La langue est justement ce qui permet l'application de l'interprète à son objet. La formulation de l'herméneutique universelle d'application à partir de la langue permet d'écarter le méthodologisme qui dénature le concept d'objectivité dans les sciences de l'esprit ; mais aussi le spiritualisme idéaliste d'une métaphysique de l'infini sans racines dans le vécu de l'homme.

De plus, il existe ce qu'on peut appeler avec D. Kennedy « le tournant interprétatif de la pensée juridique »84(*). Les méthodes usuelles en droit, fondées sur une application logique des règles et la recherche de l'intention de l'auteur de la loi, sont accusées d'insuffisance. Un écart est souvent perceptible entre les procédés effectivement utilisés par les interprètes, en particulier le juge, et les justifications qu'il formule. Le pouvoir confié aux juges, lequel est censé s'appuyer sur le savoir de la société et de son harmonie, est de plus en plus contesté85(*). Il en est de même des chercheurs en sciences humaines dont les résultats produits par une application rigoureuse de la méthode, tout en étant valides, ne disent pas forcément la vérité de la tradition et partant de l'homme.

On peut affirmer avec Gadamer que le langage, qui permet qu'une chose soit exprimée, n'est pas une possession dont puisse disposer l'un ou l'autre interlocuteur. Tout dialogue entre le chercheur et les réalités humaines donne naissance à un langage commun86(*). Comprendre une expérience humaine, une tradition, une histoire, c'est « comprendre ce que quelqu'un dit (...) s'entendre sur ce qui est en cause et non se transposer en autrui et revivre ce qu'il a vécu »87(*). L'expérience de sens qui s'effectue de la sorte dans la compréhension inclut toujours une application, et ce processus tout entier est un processus langagier.

Ce qui interpelle dans les sciences humaines, c'est souvent la situation où l'entente est perturbée ou compliquée. Une telle situation permet de prendre conscience des conditions de toute communication. Le dialogue qui a lieu dans les sciences de l'esprit est un processus d'application qui s'effectue dans l'explication-entente.

Toute véritable conversation implique que l'on réagisse à ce que dit l'autre, que l'on fasse vraiment droit à ses points de vue et que l'on se mette à sa place au sens où l'on veut comprendre non pas l'autre même comme individualité, mais ce qu'il dit. Ce qu'il importe de saisir, c'est le droit de cela même qu'il pense, de sorte que nous puissions nous mettre d'accord sur la chose même.88(*)

Les sciences humaines font-elles droit à l'homme quand elles appliquent de manière uniquement technique les méthodes? Le chercheur dialogue-t-il avec les vérités de l'homme qui se profilent dans son objet? Le chercheur se sent-il impliqué, mieux, s'applique-t-il à saisir la vérité de la tradition de l'homme qui lui parle des profondeurs de l'humanité dont il fait toujours et déjà partie?

Gadamer estimait que l'interprétation est, tout comme la conversation, un cercle qui se boucle dans la dialectique de la question et de la réponse. Les sciences humaines réfléchissant sur l'homme peuvent être qualifiées, sur le plan de l'interprétation, comme d'authentiques relations de vie. Ici, on ne dissèque pas la réalité humaine comme on le ferait pour une bête, on ne pèse pas les cultures comme on pèserait un caillou, on ne mesure pas l'étendue de l'intériorité ou de l'extériorité d'une personne comme un espace. Le caractère langagier de la compréhension de l'homme est la concrétisation de l'histoire de l'action89(*).

Les entreprises herméneutiques sont constamment co-déterminées par un facteur se rapportant à l'histoire de l'action. Les scientifiques se tiennent dans des traditions, qu'ils les connaissent largement ou pas du tout, ils ne peuvent pas commencer sans aucun présupposé. L'action de la tradition humaine s'exerce sur la compréhension de tout chercheur. Il y a une fusion des horizons90(*) : le langage étant justement le médium universel dans lequel s'opère la compréhension, qui se réalise dans l'interprétation. Une lecture simpliste de la notion de « fusion des horizons » entre l'interprète et son objet pourrait nous faire croire que Gadamer fonde les préjugés les plus pernicieux dans les sciences humaines. Une telle hypothèse serait biaisée, dans la mesure où une lecture attentive de Vérité et Méthode nous prévient contre une mauvaise fusion et estime qu'il est possible d'avoir une fusion « contrôlée », mieux avoir de la vigilance91(*).

* 81 Carsten Dutt, Op. cit., pp. 55-56.

* 82 Vérité et Méthode, pp. 403-516.

* 83 Idem, p. 487.

* 84 D. Kennedy, « The Turn to Interpretation », Southers California Law Review, 1985, pp. 251-275.

* 85 L'interprétation de la doctrine du droit, qui est une activité de connaissance ne visant pas à résoudre un cas immédiat mais susceptible d'éclairer le juge n'aboutit pas à une signification unique. Elle vise seulement à décrire plusieurs sens possibles d'un énoncé, de manière à permettre à l'interprète authentique d'opérer entre eux un choix éclairé. Mais il arrive aussi que le juge, comme interprète authentique ou interprète légitime d'une loi, attribue au texte un sens auquel nul n'avait songé. Cela ne signifie nullement qu'il y a échec de la doctrine.

* 86 Vérité et Méthode, p. 403.

* 87 Idem, p. 406.

* 88 Idem, p. 407.

* 89 Idem, p. 411.

* 90 Dans les sciences humaines, il y a application dans le sens de la « fusion des horizons », comme le juge qui s'applique une loi (même quand il juge, il est d'abord lui-même soumis à la loi) avant de l'appliquer à un cas, il y a dans les sciences humaines la compréhension qui met ainsi en oeuvre une fusion d'horizons, ceux de l'interprète et de son objet, où on ne peut pas toujours distinguer ce qui relève de l'un ou de l'autre. Dans le cas de l'herméneutique historique, la compréhension comme fusion du passé et du présent dans un texte donné a une portée plus large. La fusion des horizons déborde le cadre de la compréhension d'autrui, celle d'autres cultures et celle de soi. Jean Grondin développe de manière assez étayée la problématique de la fusion des horizons chez Gadamer. Jean Grondin, «  La fusion des horizons. La version gadamérienne de l'aedequatio rei et intellectus ?», Archives de philosophie, n°68, 2005, p. 403 et ss.

* 91 Pour Grondin, Gadamer précise qu'il est capital de faire la distinction entre une mauvaise fusion et une fusion juste. « Pourquoi Gadamer parle-t-il donc d'une fusion « contrôlée » alors que toute son herméneutique vise un peu à atténuer cette idée de contrôle ? Il le fait, dit-il, pour reconnaître la situation spécifique de la compréhension scientifique, celle des sciences humaines où celui qui interprète doit esquisser une idée de l'horizon du texte qu'il a à interpréter », J. Grondin, Introduction à Hans-Georg Gadamer, p. 410.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon