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Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A: Témoignages et production historiographique

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par Daniel Iglesias
Université Paris VII-Denis Diderot - Maîtrise d'Histoire 2004
  

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II) L'émergence d'une historiographie de « l'âge d'or »

La publication des Mémoires de Luis Alberto Sanchez intervînt alors que le pays connaissait depuis octobre 1968, une expérience révolutionnaire qui vînt balayer l'organisation oligarchique de la société et des structures de production péruvienne. Ce déblocage politique, avec des militaires de gauche qui imposèrent « une révolution par le haut », aurait pu signifier la victoire de l'aprisme et de ses idées nées en 1926, puis consolidées dans les années 1930. Haya de la Torre aurait même pu reconnaître cette victoire contre l'oligarchie qu'il critiquait tant. Il ne le fit pas. Le parti était en effet en pleine phase de reconstruction politique, suite aux voyages de son leader en Europe de l'Est, et à l'annulation par l'armée de sa victoire aux élections présidentielles de 1963. Contraints à la « révolution par la conscience », l'APRA passa les années 1963 à 1968 retranché dans ses locaux, à « meubler les heures »139(*) et à repenser son rapport au marxisme. Ce fut au cours de ces discussions, que Haya de la Torre livra à ses camarades, l'élargissement de son jugement sur l'URSS, qu'il décrivait comme un vaste empire despotique (ce qui était assez inhabituel en pleine Guerre Froide au sein de la gauche). Influencé par ces discussions, et marqué par l'arrivée au pouvoir de l'armée avec laquelle l'APRA n'entretînt jamais de bon rapports, l'historien Luis Alberto Sanchez entreprit de lever le voile sur les diverses expériences qui menèrent à la formation de l'APRA, ainsi que sur les liens qui existèrent durant les années 1920 entre les principaux membres de la génération dite de la « Réforme ». Même s'il se garda d'énoncer que sa description du passé était « un ensemble d'images, de jugements et de portraits organisés selon ses souvenirs »140(*), il en profita pour approfondir la thématique des origines illustres du parti, et pour clarifier sa position vis-à-vis marxisme. Celui qui avait été successivement professeur puis recteur de l'Université San Marcos, se livra même à une hagiographie du leader apriste, dont les défaites électorales, les alliances successives avec les autres partis, et l'enthousiasme populaire envers le vélasquisme, en avait nettement affaibli l'image. Ceci prolongeait de fait la publication parallèle du livre Víctor Raúl: biografía de Haya de la Torre de l'apriste Cossio del Pomar, où ce dernier revenait longuement sur la vie et la personnalité du leader apriste, sans pour autant y préciser des informations relatives aux victoires politiques qui eurent lieu durant la jeunesse du « Jefe ». Témoin direct de toutes les batailles depuis la Réforme de Córdoba et caution intellectuelle de l'APRA, Luis Alberto Sanchez utilisa un support à priori anodin, pour montrer la singularité, la nature sociale, et la légitimité, de l'APRA. Contraint à réagir suite au départ d'une partie de son intelligentsia vers le vélasquisme, l'APRA devait en effet à nouveau, comme au temps de l'exil, construire un imaginaire à partir de son passé. Cette question des origines du parti apriste était d'ailleurs une préoccupation centrale pour Luis Alberto Sanchez, qui, dès 1934, publia depuis son exil à Panama, le livre Víctor Raúl Haya de la Torre o el político, où il exaltait les vertus du fondateur de l'aprisme, et en glorifiait l'activité politique dans les années vingt. Ces Mémoires marquèrent ainsi, une restructuration dans l'écriture de l'histoire de l'APRA pour celui qui en demeurait l'historiographe officiel et unique du parti. Car cet écrit lui ouvrait la possibilité d'expliciter pour la première fois le long cheminement qui eût lieu durant les années 1920, et auquel toute une génération participa. Ce livre introduisit pour finir l'histoire de l'APRA ou plutôt son écriture, au premier rang d'une nouvelle dynamique qui visait renforcer l'identification populaire au parti. Les origines de l'APRA servaient alors à se prémunir contre ceux qui, par voix officielle, niaient en bloc l'existence d'une quelconque dimension sociale chez les apristes dans le passé.

S'inscrivant dans un contexte de restructuration interne du parti, ces Mémoires répondaient à la nécessité de développer un langage médiatique qui puisse venir pallier le retrait de la parole et de l'imaginaire apriste de la scène publique. Ils visaient à développer des logiques d'actions autour de la genèse du parti, en rendant le langage opportuniste et en ajustant la rhétorique aux circonstances. Cette présentation des origines était, reprenant la théorie de Goffman, « un jeu de représentation, et un acte théâtrale par quoi s'accomplit l'échange entre soi et les autres et une mutuelle reconnaissance »141(*). Pour se faire, l'historien péruvien racontait les luttes du passé et la figure de Haya de la Torre, de manière théâtrale, transformant des circonstances historiques en un effet mobilisateur par le moyen de la « dramatisation associée à du spectacle »142(*). Le poids de l'imaginaire dans cette construction venait transfigurer l'histoire politique du parti, en mystique, selon le mot de Péguy, transposant des mythes, le symbole de Haya de la Torre, des valeurs sociales et des malheurs, en des vecteurs ayant pour fonction, d'unir en créant une solidarité supérieure. Comme le défend Alexandre Dorna en parlant du paradigme populiste latino-américain, cette syntaxe de l'histoire de l'APRA visait à placer au coeur d'un large « processus progressiste de réformes qui se situe entre les traditions libérales et socialistes, devant l'injustice sociale »143(*), tout un ensemble de points symboliques. La place de la symbolique autour de la figure de Haya de la Torre jouait ici un rôle déterminant. Elle permettait de véhiculer avec plus de facilité, une histoire complexe et souvent contradictoire, en transmettant par l'insistance sur la nature charismatique d'un homme, des émotions et un imaginaire nécessaire à la survie du parti. Ainsi présentée, la figure de Haya de la Torre, pour reprendre Goleman, servait de « révélateur formidable des vérités cachées à l'aide d'une émotion rationnelle »144(*). C'est pourquoi, Luis Alberto Sanchez procéda à une structuration des luttes du passé, tout comme, il prolongea son entreprise de sacralisation de Haya de la Torre, née trente ans auparavant.

A) Une nécessaire réponse structurée en temps de crise (1969)

1) L'A.P.R.A à l'épreuve du Pérou de Velasco

Lorsque parurent les Mémoires de Luis Alberto Sanchez, la junte militaire présidée par le général Velasco Alvarado s'apprêtait à célébrer la victoire d'un courant réformateur qui « initiait une étape de la vie républicaine du Pérou, et qui à son terme devait instaurer une société nouvelle, distincte, et juste »145(*). Lors du discours commémorant le premier anniversaire (1er octobre 1969) de ce que Velasco considérait non pas comme un coup d'Etat militaire mais comme l'avènement d'une nouvelle ère146(*), la junte de la voix de son chef, déclarait haut et fort son intention de mener à terme tout un ensemble de réformes structurelles qui, pour qui ne l'avaient pas compris, marquait l'avènement d'une révolution dans le pays. Il comparait dans ce sens, la révolution péruvienne à la révolution française, dans laquelle il voyait la meilleure expression d'une substitution d'un « système politique, social et économique par un autre qualitativement différent »147(*). Non content de défier encore davantage l'oligarchie, il exaltait pour finir le potentiel rénovateur du processus en cours qui, selon lui, « ne fut pas fait pour défendre l'ordre établi au Pérou, mais pour le transformer de manière profonde dans tous ses aspects essentielles »148(*).

Velasco Alvarado proclamait même le besoin de poursuivre les réformes entamées qui avait déjà considérablement transformée la vie quotidienne en chassant du pays l'oligarchie et en redonnant sa fierté au pays. Il soulignait les victoires de la junte149(*), et annonçait la poursuite des réformes escomptées. Cette transformation devait dès lors toucher tous les secteurs de production du pays, et tous les Péruviens. Comme l'indiquait l'un des hauts responsables du CAEM (Centre des Hautes Etudes Militaires), le processus révolutionnaire devait tout faire pour recréer un bien commun qui, « doit être considéré comme une situation à atteindre, une situation idéal afin que se donne les conditions favorables pour que l'homme se réalise dans sa plénitude d'être humain »150(*). L'année de publication des Mémoires de Luis Alberto Sanchez vit ainsi une consolidation des mesures sociales et politiques, qui s'accélèrent durant l'année, comme par exemple, la réforme agraire, qui marquait selon ses instigateurs, le début « d'un processus irréversible qui assoira les bases d'une grandeur nationale authentique, c'est-à-dire d'une grande cimentation de la justice sociale et de la participation réelle du peuple à la richesse et à la destinée de la patrie. »151(*). Longtemps préparé dans les couloirs du CAEM152(*), ces réformes n'en gommaient pas pour autant leurs inspirations apristes, ce qui contrastait nettement avec les difficultés que rencontraient le parti suite à l'arrivée au pouvoir de son ennemi de toujours.

* 139 Neira Hugo, « Relire aujourd'hui Haya de la Torre. De l'identité culturelle à l'identité politique », Caravelle, 1983, p.97-104

* 140 Sanchez Luis Alberto, Testimonio personal. Memorias de un peruano del siglo 20, op. cit., p.8

* 141 Balandier Georges, Le pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1992, coll. « Fondements », p.151

* 142 Ibid, p.157

* 143 Dorna Alexandre, Le leader charismatique, Paris, Desclée de Brouwer, 1998, p.71

* 144 Ibid, p.26

* 145 Velasco Alvarado, Message à la Nation comme motif du 148ème anniversaire de l'Indépendance National (28 juillet 1969), La Revolución peruana, Argentine, Eudeba, 1973, p.21

* 146 Ibid, p.21

* 147 Ibid, p.55

* 148 Ibid, p.55

* 149 « Tout ceci et plus encore, a été réalisée en à peine un an de gestion du gouvernement. Il y en a qui disent que le pouvoir de la propagande est grand. C'est possible que ce le soit. Mais aucune propagande ne peut gommer l'appréhension de tous les Péruviens, de la conviction que ce gouvernement est entrain de réaliser des choses qu'aucun gouvernement n'avait jamais encore fait. », Ibid, p.58

* 150 Chavez Jorge, Reflexiones sobre el CAEM : objetivo, política y estrategia, CAEM, Lima, 1974.

* 151 Velasco Alvarado Juan, Message à la nation pour motif de la promulgation de la Loi de Réforme Agraire (24 juin 1969), op. cit., p.7

* 152 Le directeur du CAEM, le général Pardo, exprimait déjà en 1959, cette nécessité d'agir au niveau politique contre la pauvreté et le problème de la répartition de la terre : « Il n'est pas possible--affirmait-il--de poser les problèmes de défense nationale séparément de ceux du développement économique et social de la nation», Vayssière Pierre, op. cit., p. 210

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault