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Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A: Témoignages et production historiographique

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par Daniel Iglesias
Université Paris VII-Denis Diderot - Maîtrise d'Histoire 2004
  

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a) Une tradition de rapports conflictuels entre l'Armée et l'APRA

Le coup d'Etat militaire de Velasco d'octobre 1968 intervînt un an avant une échéance électorale qui aurait pu donner la victoire à l'APRA, tant le parti se situait en position de force, suite l'incapacité de la coalition gouvernementale de centre-droit (Action Populaire du président Belaunde élu en 1963, et la Démocratie chrétienne) de mener à bien les réformes promises. Cette coalition était même mêlée à un scandale politique, en raison de la cession en août 1968, du potentiel pétrolier péruvien à l'entreprise nord-américaine, International Petroleum Company. Indépendamment des motivations conjoncturelles, et de la conviction partagée par les militaires, que les civils étaient incapables de mener à terme les réformes nécessaires, ce coup d'Etat fut aussi une réponse à la menace apriste. Il poursuivait alors une longue tradition de coups d'Etat contre le parti, dont les origines remontaient à des actes fondateurs, qui se développèrent pratiquement en même temps que l'essor national du parti de Haya de la Torre.

La première confrontation entre les deux camps datait en effet du lendemain de la chute de Leguía. Elle commença lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 1931, qui vit s'affronter Haya de la Torre, et le général Sanchez Cerro, le tombeur de Leguía. Cette élection, qui marquait le retour du pays à la démocratie après onze ans d'un pouvoir autoritaire, donna pour la première fois le droit de vote à tous les hommes âgés de vingt-et-un ans sachant lire et écrire. Les analphabètes et les paysans exclus, cette élection resta essentiellement un phénomène urbain auquel ne participa que 7,4% de la population153(*). Après une campagne houleuse, où les deux adversaires menèrent une campagne populiste, la victoire de Sanchez Cerro, après l'annulation des votes d'un département remporté par l'APRA, marqua le début des rancoeurs apristes contre l'armée.

Les apristes crièrent haut et fort à la fraude, et menèrent dès lors de vastes campagnes de mobilisation sociale contre le régime, tout en utilisant l'importante minorité dont ils disposaient à l'Assemblée constituante. L'élection Sanchez Cerro marquait la victoire des classes moyennes et des membres de quelques vieilles familles aristocratiques, particulièrement sensibles à la question de l'intégrité territoriale. Or, l'APRA, et surtout Haya de la Torre, étaient suspectés d'entretenir des liens avec l'étranger, et même d'être le parti de l'étranger. En février 1932, la crise entre les partisans de Sanchez Cerro et les apristes devînt de plus en plus grande. La majorité ultranationaliste refusa les mesures sociales prônées par l'APRA à l'Assemblée, et finit par expulser les vingt-sept députés apristes en vertu de leur appartenance à une organisation internationale, tout en arrêtant Haya de la Torre. En réponse à cette expulsion et à l'arrestation de leur chef, une insurrection apriste éclata en juillet 1932, dans la ville de Trujillo, dont Haya de la Torre était originaire. Elle fut marquée par la prise de l'hacienda sucrière de Laredo par des ouvriers agricoles (peones) proches du parti, et par l'installation d'un préfet apriste à Trujillo. Elle vit surtout l'assassinat de plusieurs officiers dans la caserne de la ville. Cet acte ébocha le début de l'haine vouée par l'armée contre le parti, présentée comme une organisation antimilitariste. L'insurrection fut finalement brisée par la force, et se traduisit par l'exécution de centaines de militants apristes dans les ruines de Chan Chan, aux portes de Trujillo.

Un autre acte encore plus symbolique vînt par la suite accroître les différences. En 1933, le président Sanchez Cerro fut assassiné et son meurtre fut attribué à l'APRA. Le parti fut dès lors identifié comme menace pour la sûreté de l'Etat, et ses partisans persécutés. L'armée reçut comme consigne de persécuter les apristes, ce qui se résumait à une seule formule : « lutte à outrance contre l'APRA »154(*). Après la mort du président, le Congrès nomma le général Benavides à la tête de l'Etat. Il se hissa comme garant de l'ordre institutionnel155(*), et arrêta de nombreux militants apristes et ferma les locaux du parti. Sachant qu'une bonne partie de la clientèle apriste se recrutait parmi les officiers de l'armée en raison de leur position sociale156(*), il chargea un groupe de policier-enquêteurs d'infiltrer l'armée pour y démanteler d'éventuels groupes subversifs. Parallèlement à cela, le nouveau chef d'Etat décida d'interdire le parti, justifiant sa décision en invoquant la constitution de 1933 qui privait de droits politiques les partis « qui prétendent détruire l'ordre moral et la discipline dans l'armée »157(*). D'un autre côté, Haya de la Torre fut interdit de briguer un quelconque mandat, toujours à raison de l'appartenance de son parti, à « une organisation internationale ».

Ces actes fondateurs de la répression à la violence apriste, nourrirent dès lors l'idée, dans l'armée, que le projet initial de l'APRA préconisait « la subordination des forces armées au pouvoir civil et leur substitution par une armée de partisans. »158(*). Le gouvernement de Benavides interdit lui-aussi le parti jusqu'en 1945, sauf durant une brève parenthèse en 1934. En 1937, il adopta d'ailleurs des lois très strictes pour se prémunir contre une éventuelle menace apriste. Ces dernières s'inspirèrent largement des législations de défense nationale adoptée dans plusieurs pays d'Amérique latine--notamment le Brésil, l'Argentine et le Chili--contre le péril communiste. Elles interdisaient en effet, tout acte de propagande et les « doctrines communistes ou dissolvantes, par quelques moyen de publication o diffusion qu'elle s'exerce : livres, journaux, tracts, annonces, dessins, inscriptions murales, instruments acoustiques ou lumineux, cinéma ou radio...en interdit l'introduction sur le territoire national, la production, la vente et l'acquisition, la distribution159(*). D'un autre côté, le CAEM poursuivait cette politique de lutte contre la menace apriste sur le terrain de l'enseignement, faisant de l'anti-aprisme, l'un de ses piliers formateurs, à tel point que celui-ci «faisait partie de l'éducation des cadets dans les écoles militaires, et constituait le principal facteur de cohésion des forces armées«160(*). L'APRA répondit durant ces années par la violence. Se basant sur une rhétorique proche de la martyrologie, et cultivant l'esprit de sacrifice parmi ses membres, en exhibant des « saints » apristes torturés et tués pour la gloire du parti, il mena des opérations résonantes. En 1935, le parti assassina par exemple le directeur du journal anti-apriste, El Comercio, Antonio Miro Quesada. Quelques années plus tard, en 1948, le parti fut impliqué dans une mutinerie d'une partie de la flotte mouillée au Callao, contre le président Bustamante Rivero.

En somme, l'arrivée au pouvoir des militaires, en 1968, représentait une menace potentielle pour le parti, voir un danger. Mais Velasco, malgré des pressions internes issues des principaux instructeurs du CAEM, ne poursuivit la politique de persécution et d'interdiction contre le parti. Mis à part, quelques déportations isolées, il estimait que le mouvement était caduc, et que le coup d'Etat de 1963, avait déjà suffisamment déstabilisé le parti. Il garda un oeil sur le parti mais ne molesta pas directement Haya de la Torre, et toléra les manifestations commémorant l'anniversaire du parti. Contraint au silence après l'arrivée au pouvoir de l'ennemi éternel, l'APRA traversa une longue période de crise. Il du se recroqueviller, et penser une manière de revendiquer sa force sociale sans pouvoir l'exprimer par des manifestations sociales de grande ampleur. La menace virtuelle que représentait un gouvernement militaire s'accrut même pour le parti, lorsque certains de ses cadres rejoignirent l'équipe gouvernementale de Velasco. Dès lors frappé en son sein, l'APRA du faire face à une nouvelle menace. Il ne s'agissait plus de se prémunir contre une éventuelle action à son encontre, mais plutôt, de lutter contre une menace encore plus grande : la réutilisation de ses idées par l'ennemi juré.

* 153 Sulmont Denis, El movimiento obrero en el Perú, 1900-1956, Lima, PUC, Fondo Editorial, 1975, p.127

* 154 Bullick Lucie, op.cit., p. 93

* 155 « Le général se porte une fois de plus à la rescousse de l'oligarchie, au nom de l'harmonie de la famille péruvienne. », Message du général O.R. Benavides, in Jorge Basadre, Historia de la República del Perú, 1822-1933, t.XIV, p.408

* 156 « Dans l'armée de terre, les conscrits sont à 95% des gens de la sierra...analphabètes, célibataires, et sans responsabilité familiale, qui manquent de sensibilité sociale et de conscience civique....En revanche, les unités blindés, emploient un personnel relativement qualifié. En ce qui concerne la flotte, les engagés, qui représentent 50% de l'effectifs, sont d'authentiques professionnels, venant pour la plus part de la côte, qui souffrent toutes les pénuries des gens pauvres...En outre, ils ont des contacts avec les civils et s'intéressent aux questions qui les concernent directement. Ils sont donc accessibles à la propagande politique. C'est parmi ces soldats-ouvriers que l'Apra a recruté le plus grand nombre d'adhérents. Mais les officiers de l'armée de terre, les officiers de la police et de la gendarmerie sont en général des gens d'origine modeste : sur eux, les mots d'ordre de l'Apra sont efficaces », Villanueva Valencia Victor, El Apra y el ejército, 1940-1950, Lima, Editorial Horizonte, 1977.

* 157 Message présidentiel, 8 déc. 1936, Archives diplomatiques, 28 déc. 1936, in Bullick Lucie, op.cit., p.95

* 158 Cotler Julio, « Crisis política y populismo militar », in F.Fuenzalida Vollmer (éd), Perú Hoy, Mexico, 1975, p.87-174

* 159 Archives diplomatiques, 3 mai 1937, In Lucie Bullick, op. cit., p. 96

* 160 Macera Pablo, Vision historica del Peru, Lima, Ed. Milla Bastres, 1978, p.258

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