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L'utilité chez Hegel et Heidegger

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par Christophe Premat
Université Paris I - Mémoire de philosophie 1998
  

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Chapitre VIII : la nécessité d'une véritable pensée philosophique pour éviter le piège utilitaire

le besoin de philosopher : nécessité de philosopher au niveau de l'existence chez Hegel

Pour éviter de tomber dans un utilitarisme dangereux, il faut que l'homme s'oriente résolument vers la philosophie car c'est l'acte même de philosopher qui permet à l'homme d'exister. Hegel plaide l'utilité de la philosophie contre toute philosophie de l'utilité, trop limitée et qui ferme la vie sur elle-même au lieu de l'ouvrir. On a vu que pour Hegel, l'utilité s'enracinait dans le conflit de la pure intellection et de la foi. L'utilité en tant qu'affirmation d'un pour-soi mobile et d'une effectivité bien assise sur elle-même était conçue par la pure intellection pour refuser que l'essence absolue soit prise en otage et monopolisée par la foi ; bref l'utilité est du côté de l'Aufklärer (l'éveillé) qui s'oppose au Schwärmer, l'illuminé. L'utilitarisme irait encore plus loin puisqu'il refuserait l'idée même d'un contenu alors que l'Aufklärer conteste simplement l'idée d'une essence qui échapperait à l'homme. Se confiner à un monde de l'utilité, c'est cultiver l'opposition et la scission. L'utilité sépare l'homme de l'Absolu et le fait souffrir ; or, ce qui serait le plus utile à l'homme serait de retrouver son rapport à l'Absolu. La scission est un terme fort chez Hegel qui correspond à un état de souffrance, un état de déchirement sans précédent. Quand Hegel en parle, c'est toujours avec un certain pathos. Cela ne signifie pas pour autant qu'il condamne l'utilité, mais il montre qu'on ne peut pas en rester là. L'utilité est utile en ce sens qu'en cultivant la scission, elle suscite un besoin de réconciliation très fort. Voici ce qu'il écrivait en 1801, la dans son ouvrage intitulé Différence des systèmes philosophiques de Fichte et de Schelling: " scission est la source du besoin de la philosophie, et, en tant que culture de l'époque, l'aspect nécessaire et donné de la figure concrète"186(*). Plus cette scission est intense et plus le besoin se fait pressant tant l'existence veut se saisir en adéquation avec l'Absolu ; tout état de séparation ne peut être qu'éphémère, la séparation n'étant en fait qu'un état de transition. L'utilité est la fixation d'un négatif et la philosophie ne peut pas en rester à ce négatif : il faut une autonégation de ce négatif et l'affirmation positive d'un tout réconcilié avec lui-même. Dans cet ouvrage de 1801, Hegel n'est bien sûr pas encore arrivé au développement de sa pensée dialectique et de son système mais on peut nettement sentir des palpitations de cette pensée. "La scission nécessaire est un facteur de la vie, qui se façonne par des perpétuelles oppositions, et la totalité n'est possible dans la suprême vitalité qu'en se restaurant au sein de la suprême division"187(*). Hegel montre dans une telle phrase toute la vigueur et la force motrice de la scission qui appelle à une réconciliation, même si on sent encore que la dialectique n'est pas encore systématisée. La scission n'est pas saisie ici comme une abstraction mais au contraire comme faisant partie intégrante de la vie concrète. Le besoin de la philosophie présuppose la philosophie elle-même et l'homme ressent avant d'y entrer, toute l'infinité de l'existence réconciliée avec elle-même grâce à l'apport de cette dernière.

Ce besoin de restauration se caractérise par un manque, le manque de la totalité. L'homme ne veut plus s'affirmer dans une singularité abstraite et isolée, il a besoin du tout. "Lorsque la puissance d'unification disparaît de la vie des hommes et que les oppositions, ayant perdu leur vivante relation et leur action réciproque, ont acquis leur indépendance, alors naît le besoin de la philosophie"188(*). Autrement dit, si les oppositions ne nourrissent pas une réconciliation, alors elles perdent leur vitalité et leur rôle de détermination féconde. Si l'utilité s'enferme dans un utilitarisme, alors elle perd toute la richesse qu'elle aurait pu apporter. C'est à la philosophie de constituer l'utilité comme une médiation pour l'objectivation de l'Absolu : cela signifie que c'est la philosophie qui rend concret le développement de l'utilité alors que l'utilitarisme demeure une réification abstraite de toute vitalité et de tout contenu. La philosophie fait exister l'Absolu et l'utilité reste une médiation primordiale pour que cet Absolu se pose pour la conscience. "L'Absolu doit être construit pour la conscience, telle est la tâche de la philosophie"189(*). Or, dans cette construction "pour la conscience", on reconnaît tout l'apport de l'utilité. L'utilité en tant qu'animation des moments du pour-soi, voulait construire un monde pour la conscience humaine. Ainsi, le "pour la conscience" fait résonner toutes les déterminations du pour-soi inscrites au sein du concept de l'utilité. Bien sûr, quand Hegel écrit cette phrase en 1801, il ne pense peut-être pas à l'utilité et c'est nous qui l'interprétons à la lumière du chapitre VI de la Phénoménologie de l'Esprit. La philosophie est nécessaire et utile à l'utilité elle-même parce qu'elle la concrétise en réutilisant (c'est bien le terme adéquat) toutes ses déterminations objectives et en les dépassant.

Ce qui est intéressant, c'est de remarquer que Hegel utilise un ustensile particulier pour faire comprendre le passage de la scission à la réconciliation. Cet ustensile est un "bas": le "bas" est déchiré et il faut le raccommoder, tel est le sens artisanal du besoin de réconciliation. Heidegger cite cet exemple de Hegel, dans son ouvrage Qu'appelle-t-on penser ? : "C'est ce que Hegel a exprimé pour la première fois, bien que d'un point de vue et dans une dimension purement métaphysiques, de cette façon : Un bas raccommodé plutôt qu'un bas déchiré ; mais non pour la conscience de soi"190(*). Le bon sens humain, tourné vers l'utile se place du côté du bas raccommodé, il ne se fie qu'au résultat mais il ne comprend pas que le bas puisse être raccommodé seulement parce qu'il a été déchiré. Dans le comparatif "plutôt" se dresse une préférence : un bas déchiré n'est plus utilisable, sa déchirure n'a servi à rien. Pour qu'il soit à nouveau utilisable, il faut raccommoder ce qui a été déchiré. Raccommoder un bas, cela ne signifie pas gommer les parties déchirées mais au contraire tenter de restaurer l'unité de ce bas pour qu'il puisse resservir. "Ce qui est ainsi déchiré est, par sa déchirure, ouvert à l'invasion de l'absolu. Ce qui, pour la pensée, signifie : le déchirement garde ouvert le chemin vers la métaphysique"191(*). Ce chemin dont Heidegger parle, c'est le chemin de la réconciliation des opposés mais Heidegger montre que cette réconciliation constitue l'achèvement de la métaphysique. La déchirure est inacceptable pour Hegel, il faut qu'il y ait un dépassement. C'est donc à travers une métaphore artisanale que Hegel exprime le sens de sa philosophie ce qui montre qu'il existe une certaine contamination ou plutôt une contiguïté entre l'utilité et la philosophie. Le rôle de la pensée est déterminé grâce à un ustensile.

* 186 G.W.F HEGEL, Différence., Trad. Franç. Marcel MÉRY, éditions Ophrys-Gap, Paris, 1964, p.86.

* 187 Ibid., p.87.

* 188 G.W.F HEGEL, Différence., Trad. Franç. Marcel MÉRY, éditions Ophrys-Gap, Paris, 1964, p.88.

* 189 Ibid., p. 90.

* 190 Martin HEIDEGGER, Qu'appelle-t-on penser ?, Trad. Franç. Gérard GRANEL et Aloys BECKER, éditions Quadrige, mai 1992, p.66.

* 191 Ibid., p.67.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote