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L'utilité chez Hegel et Heidegger

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par Christophe Premat
Université Paris I - Mémoire de philosophie 1998
  

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pour une annulation de l'utilité d'une chose : retour à un usage qui donne une primauté à l'essence de la chose

L'appel de l'Être est une tentative de divertissement ontologique de l'homme afin qu'il se détourne de l'utilité de la chose et se tourne vers son essence. Il doit effectuer un usage de l'essence de la chose car toute chose possède un usage et notre rapport à la chose se lit suivant cet usage. User de la chose ne se réduit pas à un pur utiliser car si dans le pur utiliser, on est en contact direct avec la chose, on n'en a jamais été aussi loin. La proximité spatiale va de pair avec une distanciation ontologique. Utiliser la chose, c'est s'éloigner de son essence et la réduire à son statut d'objet. Pour retrouver un usage essentiel de celle-ci, il faut désolidariser son rapport à l'objet. Dans l'usage de la chose, nous devons essayer de faire apparaître son être propre et de la réinscrire dans son environnement. "L'usage véritable ne rapetisse pas ce dont il use"179(*). L'usage n'est ni une usure (Vernutzung) ni une réduction de la chose ; l'usage laisse être la chose, il la fait entrer en présence, il la valorise et le sens de la chose est d'être usé car si la chose est indifférente à son utilité, elle l'est moins quant à son usage car cet usage la place au devant de la scène. Heidegger va même plus loin : "User ne signifie pas non plus pure et simple utilisation, usure et exploitation. L'utilisation n'est qu'un bâtard de l'usage"180(*).Cette phrase appuie notre propos et nous n'avons pas besoin de la commenter. "Au contraire, seul le véritable usage met ce dont il use dans son être, et l'y garde"181(*). L'usage ajoute une tonalité particulière à l'être de la chose et ce que nous observons, c'est la rencontre entre l'être de la chose et l'être de l'usage qui se donne dans une unité. "Le véritable usage n'est ni une pure utilisation, ni non plus un simple besoin. Ce qui est purement et simplement nécessaire, c'est la détresse d'un besoin qui provient de son utilisation. L'utilisation et le besoin n'atteignent jamais au véritable usage"182(*). Notre premier rapport à la chose est forcément biaisé puisque nous recherchons d'abord l'objet avant la chose. La "détresse" du besoin désigne l'appel de l'objet utilisable capable de répondre à ce besoin. La chose ne peut pas appartenir à cette sphère de l'utilité et de la nécessité. Pour trouver le "véritable usage", il faut entendre le véritable appel, l'appel de la chose et non l'appel de l'objet qui n'est que l'écho du besoin. Il risque d'y avoir des interférences entre ces deux appels et l'usage de la chose risque d'être phagocyté au profit de l'utilisation et de la sphère du besoin. À l'homme d'affirmer son humanité et sa responsabilité en exigeant de lui-même l'écoute de la chose. On retrouve là encore le thème de l'écoute.

L'écoute suppose un arrachement de l'homme par rapport à sa propre naturalité et ses propres besoins. Alors que la sphère de l'utilité était une sphère de l'appropriation, la sphère de la chose doit être une sphère de la désappropriation ou pour être plus exact du dé-propriement. Le dé-propriement n'est pas un effacement de soi mais plutôt une entrée dans le silence du besoin. Ce dé-propriement caractérise l'attitude du mystique qui se met en position d'accueillir le tout autre. Il ne doit pas essayer de comprendre de même que l'homme doit refuser de vouloir comprendre l'être car comprendre l'être, ce serait déjà anticiper une éventuelle utilisation. L'être lui-même échappe à une compréhension qui renverrait à une utilité. La critique de l'utilité chez Heidegger devient une critique de la raison tout entière car pour lui la raison est devenue instrumentale et utilitaire. Il faut donc trouver une alternative à ce rationnel mais cette tentative est non philosophique car elle se fait en-dehors de lui alors que chez Hegel, c'est de l'intérieur de la raison que doivent se faire les changements. Quand, dans son essai sur Le principe de raison, Heidegger dit que l'être est le "sans-fonds", "l'abîme" (Abgrund), il veut montrer que l'Être ne peut être saisi uniquement par une raison et une métaphysique qui serait à la recherche des fondements. (Gründe). L'Être n'est pas un étant manipulable et s'il échappe à l'utilité, cela signifie que l'utilité est inessentielle et qu'elle contourne habilement l'essence. Elle est un détournement de l'essence, un refus d'affronter l'Être, un refus d'admettre l'Être. Pour l'utilité, tout est étant ou n'est pas c'est-à-dire que tout est rationnel ou n'est pas. Peut-être cette critique vise-t-elle l'axiome hégélien "tout ce qui est rationnel est réel et tout ce qui est réel est rationnel". Ce chiasme n'est pas acceptable pour Hegel et c'est pourtant ce chiasme qui définit le rapport de la philosophie au réel. La raison rend réel et le réel ne peut donc s'appréhender que par la raison. Le réel, das wirkliche, est effectif parce qu'il résulte d'un agir. La raison est l'agir essentiel qui contient tout le sens de l'humanité. La critique indirecte qu'Heidegger effectue sur Hegel, il faut donc la renverser et faire plutôt une critique hégélienne de Heidegger. Dans cette phrase-clé du hégélianisme, on part de la raison pour arriver à la raison : elle affirme un lien essentiel entre la raison dans la philosophie et la conscience de soi. On a une identité de l'être et du savoir, de l'être et du pensé. L'être est rationnel : ce "il y a", ce "es gibt" diffère fondamentalement du "es gibt" heideggérien. Ce qu'"il y a" de plus réel est cette identité de l'être et du pensé pour Hegel alors que pour Heidegger, le "es gibt" signifie que la réalité est celle de l'ouverture à l'Être, il correspond à un "es braucht", "il est d'usage". "Es braucht" ne signifie pas "il est besoin" ou "il faut" dans le sens d'une exigence nécessaire mais plutôt "il y a" un usage de la chose, conforme à son essence. Ce refus de l'urgence nécessitaire du besoin, Heidegger l'analyse également dans son ouvrage Approches d'Hölderlin à partir du poème "L'Ister" d'Hölderlin.

"Il faut pourtant des entrailles au roc,

Et des sillons à la terre,

Inhospitalier ce serait, sans séjour."

Ce"il faut" (es braucht) n'est pas un besoin car le roc, en tant que roc, n'a nul besoin d'entrailles pas plus que la terre n'a besoin, en tant que terre, de sillons. Ce "il faut" est à rapprocher du chrê du fragment VI du poème de Parménide. Ce "il faut" constitue l'usage qui révèle et réveille l'essentialité de cette chose. C'est le déploiement de l'hospitalité qui réclame que des sources jaillissent de ce roc et que des fruits poussent de la terre. Cela ne veut pas dire que c'est l'homme qui va fracturer ce roc mais c'est la nature qui va s'ouvrir d'elle-même.

Toute l'oeuvre d'Hölderlin est l'apprentissage d'un "libre usage". "Lorsque les poètes sont devenus mûrs, alors seulement, ils peuvent s'offrir à l'usage des dieux qui en ont l'usage"183(*). Le libre usage est l'usage des Immortels, celui qui ne s'use pas et qui est offert gracieusement aux mortels. Le poète est celui qui peut justement entrer dans ce libre usage par l'usage de sa parole et par l'usage indirect de la chose dans l'usage de sa parole car cet usage concerne l'essence de la chose et de la nature. "Apprendre le libre usage de ses propres possibilités veut dire s'engager d'une façon toujours plus exclusive dans une triple vocation : d'être ouvert pour ce qui nous est assigné, de rester vigilant à l'égard de ce qui vient, d'avoir cette calme lucidité qui, à l'écart du tourbillon de cent choses intéressantes, maintient l'Unique, qui est nécessaire"184(*). Cette triple vocation est celle du poète et doit être celle de tous les hommes car tout homme doit méditer sur le devenir et l'être même de la chose. Ce "tourbillon de cent choses intéressantes" désigne l'ivresse d'un comportement qui voudrait jouir de plusieurs choses à la fois et donc d'un comportement en proie à l'utilité et qui éloignerait du libre usage. Heidegger parle d'"écart" car le libre usage doit écarter tout ce qui touche à l'utilité parce que l'utilité réduit l'essence de la chose en la démultipliant en d'innombrables activités. On constate ici que la réduction utilitaire est paradoxale puisqu'elle prend l'aspect d'une apparente multiplicité. Ouverture, lucidité ou plutôt attitude de Gelassenheit c'est-à-dire de sérénité, voilà la Stimmung dans laquelle il faut être pour faire libre usage de la chose. Ce libre usage s'apprend et la poésie constitue un enseignement important puisqu'elle est un préambule à la méditation. Le libre usage maintient l'unité et l'intégrité de l'essence de la chose. "L'Unique" n'est pas l'unicité réduite, mais l'unité d'une pluralité.

La destination de l'homme est la suivante : "celui-ci doit maintenant tourner sa pensée à considérer ce qui est bon et ce qui ne l'est pas pour apprendre le libre usage du don d'exposition qui lui est propre"185(*). L'homme doit réaliser une conversion intérieure vers l'être propre de la chose. "Ce qui est bon et ce qui ne l'est pas", ne signifie pas "ce qui est utile et ce qui est nuisible" mais ce qui s'apprivoise dans le libre usage ou du moins ce qui peut s'apprivoiser. Le poète ne fait que commencer à apprendre le libre usage du propre, il ne se situe qu'au début de sa conversion. Le libre usage de la chose expose son essence et la fait ressortir sans la contraindre à s'exposer. D'ailleurs, Heidegger rappelle un peu plus loin dans son essai sur Hölderlin que der Brauch en allemand signifiait la coutume. La coutume désigne l'ensemble des usages qu'il faut respecter. Le libre usage, c'est aussi le respect de la chose et l'entrée en présence dans une habitude de la chose. La chose s'habitue à son environnement dans sa propre exposition et le poète fait ressortir cette venue dans l'habitude. Le libre usage de l'essence de la chose consiste à s'accoutumer à l'exposition de celle-ci, l'habitude ne devant pas entraîner de lassitude qui serait une forme d'usure mais une pleine considération, un respect de celle-ci dans l'Umwelt. L'homme est le spectateur attentif de l'exposition des choses du monde. Le Welt ne peut devenir un véritable Umwelt qu'à condition qu'il existe ce libre usage. La pensée heideggérienne se tourne vers une mystique païenne, privilégiant et divinisant la Nature elle-même. D'ailleurs, les termes "chose", "Être" sont bien trop vagues pour être intégrés à la raison. Ne faut-il pas préférer le Geist hégélien, terme plus précis et rigoureux ? L'Être n'est-il pas l'Esprit qui se réalise dans un parcours phénoménologique ?

* 179 Martin HEIDEGGER, Qu'appelle-t-on penser ?, Trad. Franç. Gérard GRANEL et Aloys BECKER, éditions Quadrige, Paris, mai 1992, p.155.

* 180 Ibid., p.155.

* 181 Ibid., p.155.

* 182 Ibid., p;155.

* 183 Martin HEIDEGGER, Approches de Hölderlin, Trad. Franç. Coll., éditions Gallimard, Paris, 1973, p.148.

* 184 Ibid., p.151.

* 185 Martin HEIDEGGER, Approches de Hölderlin, Trad. Franç. Coll., éditions Gallimard, Paris, 1973, p.156.

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