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Prosélytisme et liberté de religion dans le droit privé marocain


par Meriem AZDEM
Université Hassan II - Licence 2007
Dans la categorie: Droit et Sciences Politiques > Droits de l'homme et libertés fondamentales
   

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B. Prosélytisme DE LA PAROLE :

La parole est l'instrument de prosélytisme par excellence. Les philosophes de l'Antiquité l'avaient déjà compris. Les discours venus à l'appui des actes ont été à l'origine de nombreuses conversions. Les tentatives de faire des prosélytes par le simple usage de la parole ont accompagné l'histoire de la religion.

Passant par les prophéties, les révélations, les exhortations, les enseignements, les discours ou les écrits apologiques, tous les moyens de communication ont et peuvent toujours servir d'outils prosélytiques. Ces instruments de propagande religieuse sont liés à la liberté religieuse et à la liberté d'expression. Comme il le fait déjà par les actes, le croyant exprime sa foi et ses convictions par la parole. La liberté de religion et de conscience implique l'acceptation de cette forme de prosélytisme qui constitue le socle de la manifestation de la liberté de religion.

Le fait de tenter de convaincre une personne n'est pas en soi une atteinte à la liberté et aux croyances des autres tant qu'il prend la forme de discussion entre individu (1) ou lorsqu'il se manifeste par la diffusion d'un enseignement (2), sous réserve des disposition de l'art. 220 du Code pénal.

1. Le dialogue :

L'histoire en est témoin, le dialogue a souvent servi le prosélytisme. Le croyant, dans l'exercice de sa mission peut être amené à dialoguer avec des personnes de tous milieux. Aujourd'hui, certains considèrent le dialogue comme une mode, « dialoguer est quand même plus élégant que se battre »17(*).

D'autres pensent qu'il s'agit d'une tactique nouvelle. Comme il n'est quasiment plus possible de faire des prosélytes actuellement, on tente de les séduire, de les « posséder » par le dialogue. Néanmoins, il faut distinguer le terme dialogue de celui de négociation qui sont souvent utilisés de manière ambiguë.

Le terme négociation est plus souvent employé dans le champ commercial, social ou politique. Il se situe dans un rapport de force ; on marchande pour trouver un compromis ou un terrain d'entente. La négociation se situe dans le court terme et autorise la ruse et le bluff. Chacun des partenaires devra céder sur un point ou un autre pour trouver une solution, qui sera temporaire.

Le dialogue, notamment le dialogue existentiel, engage des personnes. Il demande une égalité, une réciprocité des partenaires, un vrai respect de l'autre. Il n'autorise pas de compromis, car on ne cède rien de son identité. Il n'y a pas d'intérêt immédiat. Un dialogue de qualité est celui qui permet à des individus de s'enrichir mutuellement de leurs différences, de se féconder l'un l'autre.

D'ailleurs, l'islam comme la plupart des religions, invite ses adeptes au dialogue et à prêcher la bonne parole. Cependant, la notion de bonne parole est difficile à cerner en ce sens qu'elle va de la simple discussion objective au prosélytisme en passant par le conseil et l'orientation. En effet, elle se traduit par un prosélytisme, lorsque le prêcheur met une certaine ardeur dans son discours tentant de rallier et de convaincre son interlocuteur, et de ce fait allant au-delà de la simple discussion et du simple conseil.

C'est ainsi que quelque soit sa religion, l'auteur du message prosélytique peut, au cours d'une discussion, propager des idées - fussent-elles inquiétantes, voire effrayantes pour le destinataire - dès lors qu'il n'« ébranle pas la foi d'un musulman » aux termes de l'article 220 du code pénal.

Le prosélytisme de dialogue n'est en principe qu'un échange d'idées, le plus souvent inoffensif, que le sujet passif a le choix d'accepter ou de rejeter. Il peut cependant changer de nature dans le cadre de certaines relations. Tel peut être le cas lorsque le destinataire du message prosélytique est uni par un lien de dépendance à celui qui diffuse ce message. Dans cette hypothèse, le sujet passif est subordonné au sujet actif du prosélytisme. Il ne dispose pas de l'autonomie suffisante pour rejeter les idées ainsi avancées.

Tel est le cas des enfants jusqu'à un certain âge qui sont soumis à l'influence de leur instituteur ou encore les militaires vis-à-vis de leurs supérieurs. C'est ainsi que la Cour Européenne des Droits de l'Homme, s'était prononcée sur l'affaire Larissis, le 24 février 1998, mettant aux prises des officiers de l'armée de l'air grecque avec certains de leurs subordonnés et des civils. Les soldats protestaient essentiellement contre le fait, qu'étant placés sous le commandement des propagandistes, ils s'étaient sentis obligés de participer aux discussions théologiques organisées par les officiers pentecôtistes18(*), de lire les ouvrages religieux qu'ils leur avaient indiqués et de se rendre à l'église pentecôtiste au cours de leurs permissions. Les civils se plaignaient quant à eux d'avoir été convertis à la suite de sermons et de démarchages à domicile19(*).

Dans le paragraphe 51 de son arrêt, la Cour de Strasbourg relève qu'un subordonné aura « du mal à repousser un supérieur qui l'aborde ou à se soustraire à une conversation engagée par celui-ci » ce qui, en milieu civil, pourrait passer pour « un échange inoffensif d'idée » que le destinataire est libre d'accepter ou de rejeter peut, dans l'enceinte militaire, être perçu comme « une forme de harcèlement ou comme un exercice de pression »20(*) excessive par un abus d'autorité.

Cette situation n'est pas sans rappeler celle des élèves faces à leurs professeurs. On retrouve une certaine forme de structure hiérarchique dans les relations entre élèves et enseignants. Les élèves sont soumis à l'influence de leur professeurs ou instituteurs, notamment en raison de leur âge. A l'exception des professeurs de l'éducation islamique, les professeurs de l'enseignement public sont tenus à la neutralité. Il serait inconcevable qu'un professeur de philosophie ou d'histoire géographie puisse, dans l'exercice de ses fonctions, faire étalage de ses convictions religieuses surtout si celles-ci renient l'islam. De même, les professeurs de l'éducation islamique ne pourront excéder les limites de leur fonction en prêchant par exemple tel ou tel rite. Ce genre de prosélytisme a valu des poursuites et une condamnation à un an de prison - même s'il n'y a passé que 3 semaines - à Gilberto Orellana avant d'être expulsé du Maroc. Ce salvadorien qui travaillait comme professeur de musique dans le conservatoire de Tétouan était aussi un pasteur évangélique, et tentait discrètement de convertir ses élèves et collègues dans la plus grande discrétion21(*).

A l'exception de ce cas, aucune poursuite ni condamnation n'est connue à ce sujet, car ce genre de prosélytisme est appréhendé au sein même des écoles. Par contre, il en va différemment lorsque le prosélytisme qui prend forme d'un véritable enseignement.

* 17 Monothéisme et tolérance, dialogue et liberté religieuse, par jacques Levrat, La Source, Rabat - page 67

* 18 L'Eglise pentecôtiste est une confession chrétienne protestante qui adhère au principe selon lequel tous les croyants doivent évangéliser.

* 19 En vertu de l'art9 de la Convention européenne des droits de l'Homme, le prosélytisme est toléré jusqu'à un certain degré.

* 20 CEHD Larissis et autres c/Grèce, 24 février 1998, recueil des arrêts et décisions 1998-I (n°65)

* 21 http://www.courrierinternational .com/article.asp ?obj_id=67693#

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