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Prosélytisme et liberté de religion dans le droit privé marocain


par Meriem AZDEM
Université Hassan II - Licence 2007
Dans la categorie: Droit et Sciences Politiques > Droits de l'homme et libertés fondamentales
   

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Section 2 : Le prosélytisme abusif :

Parfois le prosélytisme va au delà de la simple tentative de convaincre autrui en vue de le rallier à une religion, lorsque le croyant déploies une très grande ardeur pour répandre sa foi et qu'il emploi des méthodes répréhensibles pour parvenir à conquérir de nouveaux adeptes. Quelques une de ces méthodes prennent la forme de véritables combat : il s'agit pour le propagandiste, de s'opposer à ceux qui ne partagent pas ses idées, parfois même par la violence. Il exerce ainsi un prosélytisme agressif, un prosélytisme d'affrontement du fait qu'il va au-delà de la simple opposition d'idées pour verser dans la brutalité.

Ce prosélytisme est abusif, que la violence ait pour but de mettre à l'écart une certaine communauté - il s'agit alors du prosélytisme ségrégationniste26(*) (A) - ou qu'elle vise purement et simplement à la réduire à néant - prosélytisme destructeur (B).

A. prosélytisme ségrégationniste :

Certains croyants trop désireux de faire respecter scrupuleusement le commandement que leur fait leur religion de diffuser leur foi, tombent dans l'excès et dans l'abus. Ils tentent parfois d'amoindrir la concurrence en la dévalorisant aux yeux de tous. Dans les cas les plus extrêmes, cette dévalorisation prend la forme d'une véritable politique de ségrégation. Les propagandistes oeuvrent alors à l'instauration d'un processus par lequel une distance sociale est imposée à un groupe concurrent du fait de sa religion.

La religion est en effet l'un des éléments fondateurs de l'idéologie raciste qui constitue la base de toute ségrégation. Cette idéologie est fondée sur la croyance dans l'existence d'une hiérarchie entre les êtres humains qui aboutit à une attitude d'hostilité systématique à l'égard d'une catégorie déterminée de personnes considérées comme inférieures. Le droit positif appréhende la ségrégation sous toutes ses formes, qu'elle soit manifestée par le verbe ou par l'acte.

1. Ségrégation par le verbe et les infractions de presse :

L'un des meilleurs vecteurs de propagation de la foi réside sans doute dans la parole27(*). Le propagandiste peut tenter de rallier à sa foi de nouveaux adeptes en dénigrant, parfois violemment, les croyances d'autrui afin de démontrer la supériorité de la sienne. En agissant ainsi, le propagandiste peut se rendre coupable de discrimination, d'injure ou de diffamation.

Sont considérées par le droit positif comme discriminations verbales les infractions de provocation à la haine, à la violence et à la discrimination raciale, ainsi que les injures et les diffamations. Lorsqu'elles ont un mobile religieux, ces infractions peuvent servir le prosélytisme ségrégationniste en ce qu'elles permettent aux propagandistes de mettre à l'écart, en les dénigrant et en les dévalorisant, les adeptes d'autres religions et les non croyants.

C'est ainsi que le 4 juillet 1983 le Tribunal de grande instance de Paris a condamné le directeur du journal Libération pour avoir laissé paraître dans sa rubrique « Le courrier des lecteurs » une lettre aux propos violemment antisémites, appelant notamment « les frères arabes à faire en sorte qu'aucun juif ne puisse se sentir en sécurité : à Belleville, à saint Paul, à Sarcelles (...).»28(*)

Si cette lettre incitait clairement à la violence, d'autres publications ayant trait à la religion ont été à l'origine d'autres violences. C'est le cas par exemple des « caricatures du prophète ». En effet, pour répondre à l'écrivain Kåre Bluitgen qui se que plaignait de ce que personne n'osât illustrer son livre sur Mahomet (pbsl29(*)), Koranen og propheten Muhammeds liv (Le coran et la vie du prophète Mahomet), le quotidien Jyllands-Posten publie le 30 septembre 2005, des caricatures du prophète de l'Islam. Ces caricatures seront reprises mondialement, dans plusieurs journaux. La première reprise date du 17 octobre 2005, dans le journal égyptien Al Fagr.

Ces illustrations provoqueront de fortes tensions internationales. Au Pakistan, en Iran, en Indonésie ou au Nigeria, des milliers de manifestants descendent dans les rues et plusieurs dizaines d'entres eux sont tués. Des ambassades du Danemark sont saccagées notamment à Damas et Beyrouth30(*). Malgré les tensions engendrées, aucun procès n'a été intenté contre le journal danois. Contrairement à l'affaire du journal français Charlie Hebdo qui dans son édition du 8 février 2006, a publié en Une, sous le titre « Mahomet et les intégristes », un dessin du prophète disant « c'est dur d'être aimé par des cons ». L'hebdomadaire satirique a également reproduit en pages intérieures, les douze caricatures de Mahomet paru dans le Jyllands-Posten. Philippe Val le directeur de la publication, est poursuivi pour « injure envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenances ou de leur non appartenance à une ethnie, un nation, une race ou une religion déterminée ». Il encourt six mois de prison et une amende en vertu de l'article 48 de la loi de 188131(*).

Au Maroc, l'affaire Nichane, un hebdomadaire indépendant, avait suscité la solidarité des uns et l'indignation des autres. Tout commence le 9 décembre 2006 avec une titrée «Comment les Marocains rient de la religion, du sexe et de la politique ». Le dossier recueillait des plaisanteries qui mettaient en scène Mahomet, le roi Hassan II, les islamistes ou des marocains à la recherche d'une sexualité performante. Dès le 15 décembre, un site Internet islamiste32(*) affirmait vouloir déposer plainte contre Nichane qui a «gravement offensé Dieu et son prophète». Des voix s'étaient élevées dans les groupes religieux marocains, et parfois étrangers, officiels ou clandestins, pour appeler à «laver l'affront fait aux musulmans» en prenant les «mesures les plus extrêmes» à l'encontre de l'hebdomadaire33(*).

Driss Ksikes le directeur de publication de l'hebdomadaire fait, dans des quotidiens marocains, des «excuses à ceux qui se sont sentis offensés». Ce qui n'empêche pas le ministère public de le poursuivre. Le 8 janvier 2007, dans son  réquisitoire, le parquet accuse l'hebdomadaire d'atteinte à la religion musulmane, au respect dû à la personne du roi et aux bonnes moeurs. Il demande alors 5 ans de prison ferme, et l'interdiction professionnelle à vie contre Driss Ksikes et Sanaa El Aji34(*), le directeur et une journaliste de Nichan, ainsi que la fermeture définitive du magazine.

Le tribunal de première instance de Casablanca a condamné les deux journalistes le 15 janvier pour atteinte à l'islam35(*) et à la monarchie, sur la base de l'article 41 du code de la presse36(*), à trois ans de prison avec sursis et une amende collective de 80.000 dirhams. Il a par ailleurs interdit durant deux mois la publication du magazine arabophone.

Nonobstant l'indignation provoquée par cette affaire à l'égard de certaines personnes, l'hebdomadaire ne visait nullement à dénigrer la religion et encore moins à inciter à la haine ou à la discrimination, puisque le but dans cette affaire était sociologique et avait pour objet l'étude de la mentalité de la société marocaine37(*).

Quoiqu'il en soit, les conditions de la provocation à la discrimination raciale, à la haine ou à la violence reste toujours les mêmes. Elles sont définies par l'article 38 du code la presse. Celui-ci stipule que « sont punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par discours, cris ou menaces proférés dans les lieux ou réunions publiques, soit par des écrits, des imprimés vendus, distribués, mis en vente ou exposés dans les lieux ou réunions publics, soit par des placards ou affiches exposés aux regards du public, soit par les différents moyens d'information audiovisuelle et électronique, qui auront directement provoqué le ou les auteurs à commettre une action qualifiée de crime ou de délit si la provocation a été suivie d'effet». Par ailleurs, cet article ne s'applique pas uniquement aux journalistes, le législateur utilise le terme «ceux» ce qui étend l'incrimination à toute personne agissant de la sorte quelque soit sa profession.

Cette forme de prosélytisme ségrégationniste verbal vise des personnes déterminées en raison de leur croyance, quoiqu'en pratique il soit difficile d'établir la preuve de cet objectif. Une autre difficulté d'établissement de preuve se pose lorsqu'il s'agit d'une ségrégation par l'acte.

* 26 La ségrégation est une inégalité et une hiérarchisation de fait qui ressurgissent, à l'occasion, dans une société fondée, en droit, sur le principe essentiel de l'égalité de tous. L. Dumont, Caste, Racisme et stratification, in homo hierarchicus, 1966, réed. Gallimard, coll. Tel., 1979, p320-323

* 27 Voir supra

* 28 TGI Paris, 17ème chambre correctionnelle, 4 juillet 1983, cité in traité de droit français des religions p 544

* 29 Paix et bénédiction sur lui

* 30 Telquel n° 253-254 du 23.12.2006 au 05.01.2007 Religion. Le choc des civilisations bis par Youssef ait Akdim

* 31 LIBERATION.FR : vendredi 22 septembre 2006 par Alexandra BOGAERT

* 32 http://khorafa.org/ rattaché au groupe salafiste.

* 33 Le nouvel observateur n°2202 Semaine du 18.01.2007 par René Backmann

* 34 Voir annexe n° 12.

* 35 Rapport annuel 2007 reporters sans frontières, pour la liberté de la presse p.157

* 36 Article 41 « Est punie d'un emprisonnement de 3 à 5 ans et d'une amende de 10.000 à 100.000 dirhams toute offense, par l'un des moyens prévus à l'article 38, envers Sa Majesté le Roi, les princes et princesses royaux. La même peine est applicable lorsque la publication d'un journal ou écrit porte atteinte à la religion islamique, au régime monarchique ou à l'intégrité territoriale. En cas de condamnation prononcée en application du présent article, la suspension du journal ou de l'écrit pourra être prononcée par la même décision de justice pour une durée qui n'excèdera pas trois mois. (...) »

* 37 Le procès de Ksikes (annexe)

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