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Prosélytisme et liberté de religion dans le droit privé marocain


par Meriem AZDEM
Université Hassan II - Licence 2007
Dans la categorie: Droit et Sciences Politiques > Droits de l'homme et libertés fondamentales
   

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2. Ségrégation par les actes :

Le prosélytisme prenant sa source dans les actions ségrégationnistes vise à mettre au ban de la société des vrais croyants ceux qui n'en sont pas. Or, le fait qu'un individu ou un groupe religieux soit convaincu de la vérité et de la supériorité de ses croyances, ne doit en aucun cas justifier un acte illicite. Dès lors qu'un propagandiste fonde ses actes sur une discrimination, il sort du champ de sa liberté pour entrer dans l'abus des prérogatives que lui donne le droit.

Le principe de la non discrimination est consacré par les articles 431-1 à 431-4 du code pénal38(*). L'article 431-1 définit la discrimination comme « toute distinction opérée entre personnes physiques à raison de l'origine nationale ou sociale, de la couleur, du sexe, de la situation de famille, de l'état de santé, du handicap, de l'opinion politique, de l'appartenance syndicale, de l'appartenance ou la non appartenance vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (...) ». Le code pénal ne sanctionne pas tous les actes discriminatoires.

C'est ainsi, et en vertu de l'article 431-2, que les actes discriminatoires sont sanctionnés lorsqu'ils consistent à refuser la fourniture d'un bien ou d'un service, à entraver l'exercice normal d'une activité économique, à refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne et enfin à subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service ou l'offre d'un emploi à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 431-1.

Le refus de fourniture d'un bien ou d'un service suppose préalablement une offre, autrement dit une personne qui n'a émis aucune offre et qui se borne à opposer une fin de non recevoir à une sollicitation ne saurait être poursuivi de ce chef39(*). Une fois l'offre effectuée, le délit est consommé dès le refus de fournir le bien ou le service requis. Il en est ainsi du refus opposé à l'entrée de certaines discothèques françaises aux seules personnes de couleur40(*). De même, a été considéré comme suffisamment éloquent le refus d'une tenancière de débits de boissons de servir deux magrébins qui n'étaient pas pour autant en état d'ébriété et qui ne causaient aucun scandale41(*). Le deuxième comportement sanctionné est l'entrave à l'exercice normal d'une activité économique. Les poursuites sur la base de ce chef d'accusation sont rares, toutefois on retrouve un arrêt de la cour de cassation datant du 21 novembre 199442(*). Le responsable d'une rencontre organisée entre industriels et commerçants israéliens et leurs homologues français avait invoqué lors de celle-ci « la loi du boycott toujours en vigueur » et avait expliqué « qu'officiellement il est demandé aux entreprises exportant vers des pays arabes de signer une déclaration de boycott » afin de ne pas mettre les participants israéliens en relation avec les entreprises qui ont consenti à cette loi. Hormis le boycott, ce délit prend souvent la forme de refus de contracter. C'est ainsi qu'un détenu qui refuse l'assistance d'un avocat commis d'office en raison de sa race ou de sa religion, commet le délit d'entrave discriminatoire à l'exercice normal d'une activité économique43(*).

L'article 431-2 cite également les actes discriminatoires relatifs à l'emploi et à l'embauche. A ce niveau, on retrouve encore le problème du voile. Après avoir demandé à un responsable des ressources humaines de faire part des critères de choix sur lesquels il se base pour la sélection des candidates, le Courrier de Casablanca rapporte que celui-ci « demande qu'elle ait un diplôme supérieur, une expérience similaire d'un an au moins dans un poste similaire, qu'elle soit dynamique, intelligente, compétente... et non voilée »44(*). Selon la même source Nadia, 27 ans, est l'une des employées victimes qu'on a obligé à quitter leur travail juste parce qu'elles portaient le voile. «  Malheureusement le sérieux, la compétence, ne sont plus les critères basiques pour faire une bonne carrière dans notre joli pays dit de confession musulmane. Lorsque mon ancien patron français m'a obligé à déposer ma démission à cause de mon voile, cela m'a perturbé car aucune loi marocaine de travail ni même le règlement intérieur de la société à l'époque ne le dictait (...) »

Toutefois, comme nous l'avons signalé auparavant45(*), aucun procès n'est connu portant sur une discrimination à l'embauche, ni pour licenciement ou sanction à cause de l'appartenance ou la non appartenance à une croyance. Cela s'explique en partie par la difficulté de rapporter la preuve de la volonté discriminatoire, surtout en matière d'embauche. En effet, l'attitude discriminatoire ne doit pas avoir pour effet de faire disparaître l'intuitu personae qui est l'essence de certains contrats.

La jurisprudence française, en revanche, est riche en la matière. Pour ne citer qu'un exemple, Mlle Tahiri qui porte le voile, occupait le poste de téléopératrice dans une société. Après un an, elle est mutée au siège social de celle-ci, et est priée de porter son foulard en bonnet de sorte qu'il ne couvre que ses cheveux (sans son front, son cou et ses oreilles). A la suite de son refus, elle est licenciée pour faute. Le 19 juin 2003, la Cour d'Appel de Paris retient le caractère discriminatoire de la lettre de licenciement qui va à l'encontre de la liberté religieuse46(*).

Dans ces cas de figure, il s'agit d'un prosélytisme anti-religieux, ou du moins contre un aspect religieux tel que le port du voile. Bien que cette forme de prosélytisme abusif soit dangereuse pour les libertés individuelles et collectives et pour la vie professionnelle, une autre forme peut être encore plus dangereuse et constituer une atteinte à la vie des personnes et à leur intégrité, voire même une réelle menace pour l'humanité.

* 38 Ajoutés par la loi n°24.03

* 39 A. Vitu, droit pénal spécial n°1976

* 40 Un arrêt du 12 septembre 2000 de haute juridiction a reconnu la légitimité du « testing », opération menée par SOS racisme à l'entrée des discothèques soupçonnées de sélectionner au faciès, comme preuve en matière de discrimination.

* 41 Tribunal correctionnel de Strasbourg

* 42 Cass. Crim., 21 novembre 1994, Dr pén. 1995, comm. N°62, obs. M Véron

* 43 La cour de Toulouse a estimé le 1er décembre 1988 que même dans l'hypothèse d'une désignation d'office, l'exercice de la profession d'avocat constitue une activité économique. Juris data n°049083

* 44 Courrier de Casablanca, le 16/06/2006, monde du travail : le voile en question par Asmaa Yassine

* 45 Voire supra

* 46 Paris 19 juin 2003, D 2004, p.175, A. Pousson

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