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Islam, démocratie et droits de l'homme

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par BOUGUERRA Faycel et BELLOUBET Nicole
Université Sciences Sociales Toulouse I - Master 2 Recherche Droit Public Comparé des Pays Francophones 2007
  

Disponible en mode multipage

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MASTER 2 Recherche DROIT PUBLIC COMPAREÉ DES PAYS FRANCOPHONES

"ÉTAT ET RELIGION"

"ISLAM, DÉMOCRATIE & DROITS DE L'HOMME"

Réalisé par Dirigé par

BOUGUERRA Faycel BELLOUBET Nicole

ANNÉE UNIVERSITAIRE

2006 - 2007

Miniature arabe montrant Socrate discutant avec ses disciples

Socrate et ses etudiants (Mukhtar Al-Hikam Wa-Mahasin Al-Kalim :"choix des meilleures sentences" : La rencontre entre la pensee grecque et islamique) : miniature de Al-Mubashshir, Syrie, debut du 13e siecle, Musee du palais Topkapi, Istanbul.

ILLUSTRATION DE LA COUVERTURE

Avicenne (de son vrai nom Ibn Sînâ, 980-1037) entouré de quelques-uns de ses disciples. Grand médecin, ce persan originaire de l'actuel Ouzbékistan, était également philosophe, mathématicien et poète ! (Miniature illustrant un ouvrage de médecine rédigé en Arabe, Bibliothèque ambrosienne de Milan).

PLAN SOMMAIRE

INTRODUCTION P. 01

CHAPITRE I : LES GERMES D'UNE CONTRADICTION P. 11

SECTION I : CONTRADICTION HISTORIQUE P. 11

ET CIVILISATIO - CULTURELLE

A / CONTRADICTION HISTORIQUE P. 11

B / CONTRADICTION CIVILISATIO - CULTURELLE P. 15

SECTION II : CONTRADICTION POLITICO - JURIDIQUE P. 20

A / CONTRADICTION JURIDIQUE P. 20

B / CONTRADICTION POLITIQUE P. 25

CHAPITRE II : LES PRÉCURSEURS D'UNE CONCILIATION P. 30

SECTION I : LES ÉCOLES DE PENSÉE MÉDIÉVALES P. 30

ou du début d'un âge d'or à la fin d'une épopée

A / LES SECTES OU PARTIS MUSULMANS P. 31 B / LES PENSEURS MÉDIÉVAUX ou la tendance philosophique P. 35

SECTION II : DES PRÉ - RÉFORMISTES AUX NOUVEAUX PENSEURS P. 40

A / LES PRÉ - RÉFORMISTES ou / et les réformateurs modernes P .40

B / LES NOUVEAUX PENSEURS ou les penseurs contemporains P. 51

CONCLUSION P. 57

« L'État soi-disant chrétien a besoin de la religion chrétienne pour se compléter comme État. Au contraire, l'État démocratique, l'État véritable, n'a pas besoin de la religion pour son achèvement politique. Il peut s'en passer parce qu'en lui le fondement de la religion est réalisé d'une manière profane ».

Karl Marx1(*)

L

es Arabes errent dans leur désert en une lente et continuelle migration qui les porte du Yémen trop dense vers la Méditerranée. Ils vivent chichement de quelques razzias. Rares sont ceux qui cultivent dans le Hedjaz. Certains commercent ou pratiquent l'usure dans les échoppes de La Mecque et au passage des caravanes qui relient l' Inde à la Syrie.

Pour se divertir, certains font le Che'r (la poésie) pour raconter leurs voyages et aventures chevaleresques et épiques traversant le désert et les terres inconnues.

D'autres font la poésie pour pleurer un cher emporté par la mort ou pour parler de leurs soirées arrosées de vins et de femmes.

Certains font la poésie pour chérir leurs bien-aimées, ou simplement des poésies sarcastiques pour insulter leurs ennemis. Appauvris, certains en font du commerce en faisant couvrir de louanges un roi ou un riche.

L'idolâtrie est la foi qui règne. Esclavage, inceste, corruption et enterrements vives des femmes sont pratiqués à tout va.

Ainsi, la période de troubles politiques et économiques, le matérialisme des marchands à courte vue favorise la recherche de nouveaux horizons spirituels, et pourquoi pas vers le monothéisme des juifs, des chrétiens ou des mazdéens.

Ainsi, l'Islam est apparu en Arabie au VIIe siècle sous l'impulsion du prophète Mahomet2(*).

Son nom complet est `Abu-l-Qâsim Mouhammed Ibn`Abd Allâh Ibn`Abd Al-Mouttalib Ibn Hâshim3(*).

La variante francisée « Mahomet » est proche des versions des langues romanes apparentées : Mahoma en espagnol, Maomé en portugais, Maometto en italien. Elle est cependant rejetée par une partie des musulmans francophones4(*).

Il naît à la fin du 6e siècle, vers 570, à la Mecque, cité caravanière vivant du commerce de marchandises transitant de l' Inde vers l'Occident via Aden puis la Syrie, en traversant le désert de la péninsule arabique. Jusqu'à l'âge de 40 ans, il y a peu de détail écrit sur sa vie, elle est reconstituée d'après la tradition orale mise par écrit 140 ans après sa mort, grâce à de nombreux témoignages de ceux qui avaient connu ses premiers compagnons. Il aurait été berger puis caravanier avant d'entrer au service de Khadija, une riche veuve qui organisait des caravanes marchandes.

À la Mecque, Mahomet se distinguera des gens de son âge. Il est fort, judicieux dans ses propos, énergique dans ses expressions, fidèle à ses amis et plus encore à ses promesses. Il évite avec un soin extrême tout ce qui peut faire soupçonner en lui quelque goût pour le vice.

Il effectue de nombreuses retraites spirituelles. C'est en 610 que, pour la première fois, l'ange Gabriel (Jibril) lui serait apparu dans la grotte de Hira où il avait coutume de se recueillir et lui aurait transmis la Révélation, la parole de Dieu.

Mahomet, qui a alors 40 ans, commence à transmettre des Versets qu'il déclare être révélés par Allah et dictés en arabe par l'ange Gabriel, cette dictée durera vingt-trois ans.

Les Révélations se sont accomplies ponctuellement ou régulièrement selon les péripéties de la vie du prophète et de la Communauté des croyants. Ils formeront le Coran, que Mahomet prend soin d'enseigner oralement dès le début.

Notamment, il a eu soin d'enseigner les cinq piliers de l'Islam qui constituent des préceptes fondamentaux obligatoires pour les musulmans sunnites et qui sont la base sur laquelle le musulman sunnite construit sa vie pour se conformer à la révélation. En revanche, les autres courants de l'Islam acceptent ces préceptes et en ajoutent d'autres.

Le premier consiste pour le croyant, en toute connaissance de cause et non sous la contrainte, à accepter et proclamer deux choses qu'on appelle la confession de foi musulmane qui est très brève : Lâ ilâha illa-llâh, muhammad rasûlu-llâh, pouvant se traduire par « Je témoigne qu'il n'y a pas de vraie divinité sinon Dieu (Allah) et que Mahomet est son messager ». Il en découle que tout acte d'adoration ne doit être dirigé que vers Allah et Mahomet est le messager d'Allah, ce qui en fait un modèle pour le croyant.

Le deuxième consiste à ce que, outre la prière à la demande ou subrogatoire (nâfilah), chaque musulman est tenu d'effectuer cinq prières quotidiennes obligatoires (faridah). Elle s'appelle namâz dans les pays de langue indienne ou perse.

La prière doit s'effectuer en état de pureté. Si ce n'est pas le cas, il faut pratiquer les ablutions. Elle s'effectue tourné vers la Ka'ba (située à la Mecque, ville d'Arabie Saoudite). L'orant (le prieur) doit exprimer l'intention qui l'a conduit à la prière explicitement (ni-yah).

Le troisième pilier étant la Zakat qui est un impôt légal purificateur calculé dans les pays musulmans sur les revenus du foyer et destiné aux pauvres. La zakat ne doit pas être confondue avec les aumônes.

Elle correspond à 2,5 % (ou 1/40) de l'épargne du musulman si cette épargne dépasse un certain montant évalué à 85 grammes d'or soit actuellement à environ 1100 euros et si elle subit une révolution annuelle5(*).

Le musulman est tenu de calculer chaque année lunaire ( hégire) ce montant et le donner aux gens les plus pauvres de sa communauté en commençant par sa famille (à l'exception de ceux qu'il a en charge) et ses voisins.

Le quatrième étant le jeûne qui est effectué durant le mois lunaire du Ramadan. Ce jeûne est prescrit par le Coran, il consiste à s'abstenir de manger, de boire, de fumer et d'avoir des relations sexuelles depuis l'aube jusqu'au coucher du soleil : « Mangez et buvez jusqu'à ce que l'on puisse distinguer à l'aube un fil blanc d'un noir. Jeûnez, ensuite, jusqu'à la nuit»6(*).

Le Ramadan est une période de recueillement et le jeûne une occasion de partager la situation des indigents.

Le pèlerinage à la Mecque est le cinquième pilier qui doit être effectué au moins une fois dans sa vie pour qui en a les moyens matériels et la capacité physique. C'est entre le 8 et le 13 du mois lunaire de Dhou al-Hijja qu'a lieu le Grand Pèlerinage à La Mecque.

Cependant, les chiites ainsi que d'autres factions ou sectes minoritaires réclament le Jihad (la guerre sainte ou sacrée) comme le sixième pilier de l'Islam. Le Jihad étant défini par la majorité des fûqaha (juristes musulmans) comme étant interne en combattant les dérives de sa foi et de son âme et externe en combattant les mécréants, les apostats, les athées et les associateurs.

Plusieurs écoles d'interprétation de la foi ( Madhhab) sont apparues selon les conceptions religieuses des penseurs musulmans. Aux premiers temps de l' Islam, les plus importantes étaient celles de Kufa, Médine, Bassora et La Mecque. Par compétition, ces écoles ont peu à peu laissé place à certains courants de pensée inspirés par un grand juriste et son école et ne sont plus cantonnées à un emplacement géographique.

On dénombre de nos jours plusieurs courants s'inspirant des écoles majeures, et autant de déclinaisons de la Charia7(*), ou Loi musulmane8(*). Il en existe quatre majeures pour le sunnisme et deux pour le chiisme. Un évènement très important eut lieu au Xe siècle (IVe siècle de l' Hégire), un calife abbasside ferme les "portes de l'interprétation" (Bab al-ijtihad) et fige les quatre écoles sunnites qui se reconnaissent mutuellement et qui, de fait, rejettent les autres y compris les écoles chiites.

On a l'école hanafite, d' Abu Hanifa Al-Nu'man Ibn Thabit ( 699 - 760), dite école de la libre opinion car elle fait une grande place à l'interprétation. On la retrouve aujourd'hui en Turquie, Ex- URSS, Jordanie, Syrie,...

L'école malékite, de Mâlik ibn Anas (env. 712 - env. 796), est celle qui s'inspire le plus de la Sunna ; on retrouve son influence aujourd'hui en Tunisie, Égypte, au Maroc, Algérie, Lybie, au Soudan, en Afrique occidentale.

L'école shaféite, de Mouhammad abû àbd allah ben idrîs að-ðâfi`î ( 767 - 820), tente de trouver un moyen terme entre les deux écoles ci-dessus ; on la retrouve en Palestine, au Pakistan, au Kurdistan, en Asie du sud-est, et en Afrique de l'Est.

L'école hanbalite, d' Ibn Hanbal ( 780 - 855), est exclusivement attachée à la Sunna ; on la retrouve aujourd'hui en Arabie saoudite et au Qatar.

Il existe par ailleurs deux écoles chiites principales :

L'école ja'farite, en Irak et en Iran et l'école zaydite, de Dawud ben`Alî al-Isfahânî, reprise par Ibn Hazm de Cordoue, Andalousie, actuellement rencontrée au Yémen.

Plusieurs points de divergences séparent ces écoles. Par exemple, la différence de traitement des Versets du Coran abrogeant et abrogés, la pondération relative des diverses sources de savoir, ...

Ce qui caractérise les fondamentalistes ou intégristes musulmans est, par définition, leur rejet de ces différentes écoles. Ils se définissent comme musulmans, sans aucune distinction, par conséquent pas d'obédience à une école de droit. Du coup, ils se conforment à l'Islam dans son intégralité. Il s'agit d'une position dogmatique et n'ayant que peu de prise sur les aspects pratiques inhérents à une école de droit pragmatique.

Il est à noter que le Coran affirme que la venue de Mahomet comme Prophète de l' Islam pour toute l' humanité est annoncée dans la Torah et dans l'Injil (l' Évangile) sous le nom d'Ahmed9(*).

Un siècle après sa mort, un empire islamique s'est étendu de l' océan Atlantique dans l'ouest vers l' Asie centrale dans l'est. Celui ci n'est pas resté unifié longtemps, le nouveau régime a rapidement fini en guerre civile ( Fitna) et plus tard affectée par une deuxième Fitna.

Ensuite, il y eut des dynasties rivales réclamant le Califat, ou la conduite du monde musulman, et beaucoup d'empires islamiques furent gouvernés par un Calife incapable d'unifier le monde islamique.

En dépit de ce morcellement de l'Islam en tant que communauté politique, les empires des Califes d' Abbassides, l' empire Mongols et les Seldjoukides étaient parmi les plus grands et les plus puissants au monde.

Ce qui l'atteste, c'est le fait que les Arabes produisirent bon nombre de centres islamiques, de scientifiques, d'astronomes, de mathématiciens, médecins et d'illustres philosophes pendant l'âge d'or de l'Islam. La technologie s'épanouit, un investissement soutenu dans les infrastructures, telles que des systèmes d'irrigation et des canaux et surtout, l'importance de lire le Coran produisirent un niveau relativement élevé de l' instruction parmi la population.

La philosophie avait droit de cité. Ainsi, les sources de la philosophie islamique proviennent à la fois de l' Islam en lui-même ( Coran et Sunna) ainsi que de la philosophie grecque, iranienne pré-islamique et indienne. Les Mutazilites marquèrent pour longtemps les esprits.

En effet, la Madhhab motazilite est née d'une opposition aux vues traditionnelles des musulmans partisans du Califat. Puis, s'intéressant aux attaques que subissait l'Islam de la part des non-musulmans, ces Moutazilites devinrent rapidement obsédés par le débat avec les autres théologies et courants de pensée à l'intérieur de l'Islam lui-même.

Très rapidement, encouragée par le Calife Al-Mamun qui fit du Mutazilisme la doctrine officielle en 827 et créera la Maison de la sagesse (Bibliothèque Dâr Al-`hikma) en 832, la philosophie grecques fut introduite dans les milieux intellectuels persans et arabes. L' École péripatétique commença à avoir des représentants parmi eux : ce fut le cas d' Al-Kindi10(*), d' Al-Farabi, d'Ibn Sina ( Avicenne), et d'Ibn Rushd ( Averroès).

Ceux qui cherchaient par une démonstration philosophique à conforter et démontrer le bien-fondé de leur foi religieuse ont été recrutés par Hunayn ibn Ishaq, un arabe chrétien qui dirigea la maison de la sagesse vers 870. Ils ont collecté, traduit et synthétisé tout ce que le génie des autres cultures grec, indien, iranien a pu produire avant d'entreprendre les commentaires sur ces oeuvres et formé les bases de la philosophie musulmane du 9e et 10e siècle. Ceux qui utiliseront cette méthodologie dite ` Ilm al-Kalâm basée sur la dialectique grecque seront appelés Mutakalamin.

En réponse au Mutazilisme, Abu al-Hasan al-Ash'ari, initialement un Moutazilite lui-même, développa le Kalâm et fonda l'école de pensée Ach'arite qui s'appuyait sur cette méthodologie. Ainsi le Kalâm et la Falsafa influenceront plusieurs Madhhabs (école de pensée).

Les Karaïtes, une branche du judaïsme, s'inspirent aussi peu à peu de la forme dialectique de la kalâm pour s'opposer à leurs adversaires. Ces philosophes se font appelés les Mas'udi. Leurs arguments et raisonnement influenceront en retour les vues musulmanes.

Sous le Califat des Abbassides, un certain nombre de penseurs et de scientifiques, et parmi eux de nombreux musulmans "hérétiques" ou des non-musulmans, jouèrent un rôle dans la transmission à l'Occident des savoirs grec, indien, et d'autres sagesses pré-islamiques, mésopotamiennes et iraniennes. Trois penseurs spéculatifs, les deux Persans Al-Farabi et Ibn Sinâ ( Avicenne), et l'Arabe Al-Kindi, combinèrent l' aristotélisme et le néoplatonisme avec d'autres courants dans l'Islam. Ils furent considérés par beaucoup comme déviants par rapport à l'orthodoxie religieuse, et certains les jugèrent même comme des philosophes non-musulmans voire hérétique (zendiq).

Les Ismaéliens ne sont pas à l'écart de l'influence de la philosophie néoplatonicienne et plusieurs penseurs collaborent pour produire à Basra une encyclopédie : la Ikhwan al-Safa.

C'est en cherchant à affiner la doctrine de l'Islam et à interpréter correctement les Hadith, tout en extrapolant sur les questions religieuses qui n'avaient pas été explicitement tranchées dans le Coran qu'avec la méthode de l' Ijtihad, s'ouvrent les premiers débats philosophiques et théologiques en Islam, notamment entre les partisans du libre arbitre ou Qadar (de l'arabe : qadara, qui a le pouvoir), et les Djabarites (de djabar force, contrainte), partisans du fatalisme.

Pour ce qui est de la théologie en Islam, elle doit répondre à des interrogations concernant la Théodicée, l' eschatologie, l' anthropologie, la Théologie négative et de Religion comparée (La philosophie hellénistique de l'Islam ( falsafa), la théologie dialectique ( kalâm), le soufisme, théorie ésotérique de l'Islam, les écoles littéralistes [ Atharisme comme pour le madhhab Hanbalisme]).

Le 12e siècle voit l'apothéose de la philosophie pure et le déclin du Kalâm, plus tard. Cette suprême exaltation de la philosophie doit être attribuée, pour une large part au persan Al-Ghazali et au juif Juda Halevi. En émettant des critiques, ils ont produit par réaction un courant favorable à la philosophie par une mise en cause des concepts et en rendant leurs théories plus logiques et plus claires. Ibn Bajjah et Averroès ont produit les plus belles oeuvres de la pensée islamique. Averroès clôt le débat par un oeuvre d'une grande hardiesse.

La fureur des orthodoxes est en effet telle que le débat n'est plus possible. Les orthodoxes s'en prennent sans distinction à tous les philosophes et font brûler les livres.

Avec la mort d'Averroès, l'école de pensée péripatétique arabe a décliné tandis que la perte de l'Espagne au profit des chrétiens permettra au débat de se poursuivre en Occident, par l'intermédiaire des juifs, et plus particulièrement des Maïmonides.

En Orient, la philosophie péripatétique s'est poursuivie à la Cour des empereurs ottomans, en Iran ou en Inde comme par exemple avec les philosophes méconnus comme Chah Waliullah et Ahmad Sirhindi. Des écoles se sont fondées telle que celle de Ibn `Arabî, Sohrawardi et Mulla Sadra et sont toujours actives.

De plus, la logique a continué à être enseignée dans les séminaires religieux jusqu'à aujourd'hui. Toutefois, il est de tradition de séparer les écoles philosophiques concernées par les croyances chiites et celles qui ne le sont pas.

Plus tard, aux 18e siècle et 19e siècle, plusieurs régions islamiques tombèrent sous les puissances impériales européennes. Après la première guerre mondiale, les restes de l' Empire ottoman furent partagés sous forme de protectorats européens.

Bien qu'affectée par diverses idéologies, telles que le communisme, pendant une bonne partie du 20e siècle, l'identité islamique et la prépondérance de l'Islam sur des questions politiques augmenta au cours de la fin du 20e siècle et le début du 21e siècle. La croissance rapide, les intérêts occidentaux dans des régions islamiques, les conflits internationaux et la globalisation influencèrent l'importance de l'Islam dans le moulage du monde du 21e siècle11(*).

L'Islam est la seule religion dont le nom figure dans la désignation officielle de plusieurs États indépendants, sous la forme de « République islamique... ». Mais, ces États ne sont pas les seuls où l'imbrication du politique et du religieux est telle que la Chari'a y a force de loi.

Il est à noter qu'il se produit souvent une confusion entre Arabes et musulmans à cause de deux facteurs : l'origine arabe de l'Islam et l'importance de la langue arabe dans cette religion12(*).

Ce 21ème siècle est caractérisé par le conflit Sunnite - Chiite, dit nouvelle Fitna, ainsi que par l'avènement ou le retour marquant du panislamisme.

Étant un facteur déstabilisateur en Islam, la résurrection de la Fitna tient au fait qu'il existe de nombreuses tensions entre Sunnites et Chiites. Le premier foyer d'affrontements est l' Irak depuis l'intervention américaine en 2003, puis le Pakistan depuis 1990.

Le Panislamisme, quant à lui, est un mouvement politique réclamant soit l'union de toutes les Communautés musulmanes dans le monde, soit l'union de territoire considéré comme musulman.

Cette idéologie a d'abord était défendue par les Sultans ottomans et devient influente après la première guerre mondiale, avec l'application de l' accord Sykes-Picot qui met fin aux espoirs des nationalistes arabes d'avoir un État arabe libre et indépendant. Le panislamisme était un courant de pensée anti-colonialiste et maintenant anti-impérialiste rentrant très souvent en conflit avec les courants nationalistes arabes13(*).

Ce mouvement panislamiste s'explique par le choque de la modernité subit par la civilisation arabo-musulmane qui s'est trouvée trop faible devant la marrée montante d'une puissance occidentale envahissante.

Du coup, cette civilisation se mis à se poser des questions embarrassantes sur les causes de sa faiblesse, de son retard technologique, culturel voire épistémologique.

Étant donné qu'on ne peut concevoir la démocratie et les droits de l'Homme en dehors du cadre de l'État dans son acception institutionnelle, il est tout à fait logique que l'instauration de l'État, rapprochée parfois par des philosophes comme Hegel à « la venue du Dieu sur terre », serait un priori capital mais toutefois non suffisant. Or, l'instauration de l'État dans son acception institutionnelle et formelle, si l'on suit à la lettre la logique kelsenienne, débauche sur une crise de légitimité et de légalité dans le monde arabo-musulman.

Partant, l'on est enclin à se poser la question suivante : faut-il démocratiser l'Islam ou islamiser la démocratie ?

Les réponses sont dans tous les sens et les azimuts. Les uns disent que pour avancer, faut-il admettre d'emblée et en bloc, pour son propre compte, les principes et idées véhiculés par la modernité.

D'autres disent que ces idées de démocratie, de justice, de droits de l'Homme, de la laïcité, de la liberté individuelle, de la sécularisation sont a priori en contradiction avec l'héritage historique, culturel et politico-juridique arabo-musulman (CHAPITRE I), alors faut-il les aménager pour ainsi chercher une possible conciliation (CHAPITRE II).

L'effort d'aménagement se fait sentir, toutefois il prend différentes voies. Les uns ont choisi de revenir à l'Islam des premiers car, selon eux, la cause de notre faiblesse réside dans le fait qu'on a quitté les enseignements de l'Islam. D'autres réformistes croient en une possible retrouvaille entre l'Islam et ces idées "nouvelles" et ce en revenant aux travaux des écoles de pensée médiévales. D'autres, se proclamant contemporains, ont essayé de confronter l'Islam aux savoirs de nos jours en essayant, tant soit peu pour quelques uns d'entre eux, de fonder la démocratie et les autres principes sur la logique de la laïcité et la sécularisation pure et simple sans aucune référence théologique.

« L'histoire dans son apparence ne fait que réciter les événements. Dans son essence, il invite à la réflexion et à l'enquête ».

`Abd Arra'hmann Ibn Kholdoun14(*)

CHAPITRE I : LES GERMES D'UNE CONTRADICTION

L'histoire de l'Islam n'a jamais été homogène. Du coup, elle portait des contradictions avec les idées nouvelles qui guident notre époque. Cela tient à ce que l'Islam a donné au monde une Communauté de foi qui nie l'existence de l'être humain en dehors de l'existence divine. Ces contradictions sont de maints ordres. Ainsi, de l'ordre historique (section I), jusqu'au politique (section II), en passant par l'ordre civilisatio-culturel et juridique, le registre théologique est omniprésent faute de tout envahir.

I SECTION I : CONTRADICTION HISTORIQUE ET CIVILISATIO - CULTURELLE

L'Islam a été, et il l'est toujours, accusé d'emporter dans son essence des contradictions avec l'idée de la modernité et du coup avec ses notions satellites. Ces contradictions sont de deux ordres : d'abord, l'on a les contradictions d'ordre historique (A), ensuite, on a les contradictions d'ordre civilisatio-culturelle (B).

A / CONTRADICTION HISTORIQUE

L'Islam est apparu dans un contexte où la question de savoir si l'enfer c'est les autres était tributaire, comme elle l'est toujours, de la situation socio-économique, des enjeux politiques, des rapports de force et des relations entre les communautés confessionnelles et au sein de chacune d'elles. À certains moments, le besoin de l'autre, la tolérance, et l'ouverture l'emportent ; à d'autres moments, c'est plutôt la peur de la différence, l'intolérance et la fermeture, le repli sur soi sont à l'origine des pires atteintes à, somme toute, la liberté de conscience qui est l'apanage voire la chasse gardée de tous les conflits qui surgissent entre le « moi » et « l'autre ».

En premier lieu, l'on a commencé par la division du monde. Ainsi, dans la théologie islamique et les interprétations légales, la finalité de l' Islam est de porter le monde entier sous la domination islamique15(*).

Il s'en suit que pour chaque partie du monde, il est donné un statut pour définir son état actuel selon les visées de l'Islam et pour définir la conduite possible des musulmans dans ces régions. Ainsi, l'on a :

Dar al-Islam (littéralement Maison de la soumission et / ou de la paix) est un terme utilisé pour désigner les terres sous gouvernement (s) musulmans. Dans la tradition musulmane, le Monde est divisé en deux parties: Dar al-Islam, (la Maison de la paix) et Dar al-`Harb (la Maison de la guerre).

Dar al-`Harb et les mots associés sont des termes purement juridiques et ne figurent explicitement ni dans le Coran ni dans les Hadiths16(*).

Il est aussi d'autres termes comme celui de Dar al-`Ahd (domaine de la trêve)17(*), Dar al- Kufr (domaine des infidèles ou domaine de l'incroyance)18(*), Dar al-Shahada (ou Dâr ash-shahâda "domaine du témoignage")19(*), et Dar al-Da'wa (domaine de l'invitation)20(*).

Enfin, Dar al-Amn (Domaine de la sûreté) qui est un terme proposé par des philosophes musulmans occidentaux pour décrire le statut des musulmans en Occident.

Ainsi, après avoir diviser le monde, faut-il prévoir les relations à entretenir avec les habitants de ces territoires. Dans l' Islam, les gens du livre ou Ahl al-kitâb21(*) sont ceux à qui, selon le Coran, les écritures divines ont été révélées22(*). Le terme "gens du livre" est également employé dans le judaïsme (Am Hasefer), où il se rapporte aux juifs.

Dans l'Islam, le concept s'applique aux religions monothéistes préislamiques qui ont reçu la révélation ou le « livre » de Dieu23(*). Pour les musulmans orthodoxes, ceci inclut au moins tous les chrétiens, juifs (rubrique sous laquelle seraient inclus les karaïtes et samaritains), et les " Sabéens" (une catégorie généralement identifiée aux mandéens).

Beaucoup de juristes des débuts de l'Islam, notamment Mâlik Ibn Anas, fondateur de l'école malékite, conviennent aussi d'y inclure le zoroastrisme (d'ailleurs reconnu comme tel dans l'Iran actuel). Plus tard, l'interprétation légale a été étendue pour adapter le concept à d'autres non-musulmans vivant dans des pays musulmans (par exemple, Hindous en Inde), où le bénéfice du statut de Dhimmi24(*) leur a été accordé, mais pas d'autres possibilités prévues pour les chrétiens, juifs et sabéens25(*).

C'est par le recours au concept d'Ahl Al-kitâb que sont en effet définis les champs d'application de la Dhimma26(*) et des taxes applicables uniquement à la population non-musulmane de l'État musulman comme l'impôt foncier (Kharâj) ou de capitation (Djiziya). Ce dernier étant par ailleurs supprimé en cas de conversion à l'Islam27(*).

 

Il y a beaucoup de passages dans le Coran qui prônent la tolérance envers les gens du livre28(*), comme il y a également beaucoup de passages qui prônent des relations conflictuelles29(*).

Dans toute l'histoire islamique, les musulmans ont employé ces Versets pour justifier des positions très diverses envers les non-musulmans. À certaines époques et en certains lieux, les musulmans ont fait preuve de beaucoup de tolérance envers les non-musulmans ; à d'autres, des non-musulmans ont été traités comme des ennemis et persécutés.

Le statut de Dhimmi est l'une des illustrations de cette diversité et des nuances à apporter quant à l'évaluation du traitement des minorités non-musulmanes dans des États musulmans.

Toutefois, il ya des similitudes dans la croyance qu'on peut ressortir et ressentir. Les diverses religions des gens du livre ont beaucoup en commun : Elles reconnaissent un Dieu unique, elles ont en commun certains textes religieux, elles ont en commun de nombreux prophètes, comme Abraham, elles croient en la vie après la mort, au jugement dernier, au paradis et à l' enfer, aux anges, elles partagent des croyance semblables concernant la Genèse, en particulier la vie d' Adam et Ève et le jardin d' Eden.

Ainsi, pour conclure, peut-on dire que quand les gens du livre vivent dans une nation islamique où est appliquée la Charia, ils ont le statut de Dhimmi. Ils sont ainsi soumis à un impôt spécifique en échange d'une protection de l'État et d'une liberté (variable) de culte, y compris dans des aspects non spécifiquement cultuels30(*).

En définitive, nonobstant le fait que cela atteste la tolérance de l'Islam envers les autres cultures, toutefois, cela ne veut point dire qu'il y ressemble.

B / CONTRADICTION CIVILISATIO - CULTURELLE

Parmi les problèmes épineux qui caractérisent le droit musulman, il est de la condition de la femme.

En effet, la femme musulmane subit des inégalités injustifiées de point de vue du droit positif, toutefois justifiées selon leurs tenants par la logique qui traverse le texte révélé.

Ces inégalités tournent autour de cinq points qu'on va étudier successivement :

Pour ce qui est du premier bastion de l'inégalité, il est de la tutelle des hommes sur les femmes.

Elle est justifiée au nom de ce Verset : « Les hommes ont autorité sur les femmes du fait qu'Allah a préféré certains d'entre vous à certains d'autres, et du fait que [les hommes] font dépense, sur leurs biens [, en faveur de leurs femmes]... »31(*).

Qutb, que ne contredisent ni Qaradhâwî32(*) ni les théologiens ou juristes33(*) attachés à la mise sous tutelle perpétuelle des femmes, précise à ce sujet : « La raison (...) en est la capacité [naturelle] et l'expérience en ce qui concerne la charge de tutelle. L'homme, en raison de sa disponibilité du point de vue des responsabilités maternelles, a plus de temps pour affronter les problèmes sociaux ... La tutelle est donc un droit d'obligation qui revient, en vérité, à une égalité de droits et d'obligations »34(*).

Ce droit de tutelle s'accompagne, dans cette conception, de l'obligation d'obéissance mise sur la tête de la femme vis-à-vis son tuteur, et du droit de correction qui revient à l'homme à l'encontre de la femme jugée rebelle35(*). En droit musulman, elle est considérée dans une situation de Nushûz (rébellion)36(*), à savoir elle est Nâshez (rebelle).

La répudiation de la femme par son mari est conçue comme étant le remède ultime à ce Nushûz. C'est une pratique arbitraire considérée comme un droit exclusif du mari et qui veut rupture du lien conjugal sur simple prononciation par le mari, en adressant la parole à la femme, des mots « Tu es divorcée » !37(*)

Ceux qui revendiquent ce « droit des l'homme » sur son épouse s'appuient sur un Verset coranique « érigé en règle intangible qui n'admet aucune forme de relativisation, aucune possibilité de contextualisation »38(*). Ce Verset stipule : « Celles dont vous craignez l'indocilité, admonestez-les ! Si elles vous obéissent, ne cherchez plus contre elles de voie [de contrainte] ! Allah est auguste est grand »39(*).

Le deuxième rempart d'inégalité concerne l'héritage et le témoignage.

Là encore, le même type d'argumentation est mobilisé pour justifier l'équivalence entre le témoignage d'un homme et celui de deux femmes, sur la base de la même lecture d'un Verset coranique stipulant : « Requérez témoignage de deux témoins [pris] parmi vos hommes ! S'il ne se trouve point deux hommes, [prenez] un homme et deux femmes parmi ceux que vous agréerez comme témoins : si l'une de celles-ci est dans l'erreur, l'autre la fera se rappeler »40(*).

Le même sort est réservé à la matière de l'héritage41(*) où la discrimination est érigée en règle intangible. La base coranique cette fois-ci est qui suit : « Au mâle, l'équivalent de ce qui revient [en héritage] à deux femelles »42(*).

La quatrième forteresse du clivage des droits entre homme et femme est le mariage.

D'abord, l'on a la discrimination entre l'homme et la femme, en ce qui concerne le mariage avec un(e) non-musulman(e). Les recommandations coraniques à ce sujet ne font pas de différence entre les sexes.

Il est dit dans le Livre saint : « N'épousez point les Associatrices43(*) avant qu'elles ne croient ! Certes, une esclave croyante est meilleure qu'une Associatrice, même si celle-ci vous plaît. Ne donnez point [vos filles] en mariage aux Associateurs avant qu'ils ne croient ! Certes, un esclave croyant est meilleur qu'un Associateur, même si celui-ci vous plaît »44(*).

Les conservateurs et les islamistes, pour interdire ce droit aux femmes, invoque ce Verset tout en oubliant qu'il concerne les Associateurs et non les gens du Livres, ainsi qu'il concerne, indifféremment et sans distinction aucune, les hommes et les femmes.

Or, pour justifier le mariage du musulman avec la non-musulmane, parmi les gens du Livre (les détenteurs de l'Écriture ou Ahl Al-kitab), l'on invoque, tout en l'isolant de son contexte historique et textuel, ce Verset donné en réponse à une question posée au Prophète par ses Compagnons : « Aujourd'hui45(*), licites sont pour vous les excellentes [nourritures]. La nourriture de ceux à qui a été donnée l'Écriture est licite pour vous et votre nourriture est licite pour eux ; [Licites sont pour vous] les mu'hassana [du nombre] des croyantes et les mu'hassana [du nombre] de ceux à qui l'Écriture a été donnée avant vous, quand vous aurez donnée leurs douaires [à ces mu'hassana], en hommes concluant mariage avec une mu'hassana, non en fornicateurs ni en preneurs de courtisanes »46(*).

Partant, ces conceptions xénophobes, qui véhiculent une injustice flagrante, stigmatisent l'Islam en le réduisant aux aspects les plus négatifs47(*).

En rapport avec cette question du mariage, faut-il faire un point d'orgue sur la question de la polygamie qui constitue aujourd'hui le noyau dur des batailles, voire le champ de bataille en lui-même entre les conservateurs et des réformateurs.

Ce « droit de l'homme », d'après eux, ne saurait être aboli car il serait reconnu comme un droit intangible par le Coran. Ils invoquent à ce sujet un fragment de Verset stipulant : « Épousez, donc celles des femmes qui vous seront plaisantes, par deux, par trois, par quatre, ... »48(*). Ils omettent, sciemment si l'on peut l'avouer, de prendre en considération la suite du Verset qui précise : « [mais], si vous craignez de n'être pas équitable, [prenez-en] une seule ou des concubines ! C'est le plus proche [moyen] de n'être pas partiaux ».

De plus, le Coran d'ajoute « Vous ne pourrait être équitables entre vos femmes même si vous le désirez ! »49(*).

« Si, dans la famille, le statut de la femme est marqué de toutes ces discriminations, comment peut-il en être autrement dans la société, conçue, dans le cadre de cette vision, comme une famille patriarcale élargie ? »50(*). Faute de Versets coraniques traitant de cet aspect, les adeptes de la discrimination hermétique entre hommes et femmes mobilisent les hadîths et un certains nombre de traditions consacrées pour les besoins des intérêts d'une société machiste voire misogyne.

Ainsi, l'argument ne manque pas, on avance le hadîth selon lequel « Un peuple qui délègue la gestion de ses affaires à une femme ne peut pas réussir ». Ainsi, argument en main, ce hadîth est mobilisé contre la participation de la femme à la vie politique et à l'exercice de fonctions publiques.

Ils avancent aussi des indices ou arguments qui procèdent de la logique comme dire Dieu a réservé à l'homme la tutelle sur tous les membres de son foyer, la prophétie, le Califat, l'Imâmat, le Jihâd, l'appel à la prière, le prêche, ... etc.

En revanche, on ne peut accepter que Dieu sera taxé de partialité voire même d'injustice. Partant, l'on peut dire que c'est la même technique toujours employée par les adeptes de cette discrimination, à savoir ce qu'on va appeler, si l'on peut, la décontextualisation et la fragmentation des hadîths et du Coran.

Pour les autres arguments, il procède aussi de la logique qu'il est illogique d'ôter les faits de leur historicité au risque de nous faire vivre un monde statique, ce qui contredit l'essence même de toute religion, à savoir son but cardinal, faire le bonheur du croyant.

Un autre champ de bataille est encore à conquérir, à savoir la non-mixité et le voile.

Les arguments en faveur de cette conception vont du danger que la mixité présente pour les « bonnes moeurs » et l'ordre moral traditionnel à la nécessité de préserver la dignité de la femme.

Société oblige, là où la mixité est acceptée, elle est souvent assortie de l'obligation pour la femme de porter ce qu'on appelle aujourd'hui une « tenue islamique » (Zayy islâmî).

Cela va d'un simple fichu sur la tête à un voile ample et noire qui ne laisse rien apparaître du corps de la femme, en passant par des combinaisons intermédiaires de couleurs, de longueurs, d'ampleurs, et de formes.

Cela dépend de ce qu'on considère dans le corps de la femme, mais aussi de l'homme, comme `Awra, c'est-à-dire ce qui ne doit pas être vu (parfois même entendu) parce que susceptible de tenter l'autre et de l'amener à transgresser les normes relatives aux relations sexuelles51(*). En général, c'est les parties intimes du corps humain, et ça ne se limite pas aux seuls organes sexuels.

En effet, cette notion est tributaire des fantasmes commandant les interprétations, dans tous les azimuts soient-elles, des Versets coraniques, très équivoques, qui ont toujours servi de références à ce sujet, à savoir : « Ô Prophète !, dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des Croyants de serrer sur elles leurs voiles ! Cela sera le plus simple moyen qu'elles soient reconnues et qu'elles ne soient point offensées. Allah est absoluteur et miséricordieux »52(*).

Ou encore, « Dis aux Croyants qu'ils baissent leurs regards et soient chastes. Ce sera plus décent pour eux. Allah est bien informé de ce qu'ils font ». « Dis aux Croyantes de baisser leurs regards, d'êtres chastes, de ne montrer de leurs atours que ce qui en paraît. Qu'elles rabattent leurs voiles sur leurs gorges ! [Échancrures de leurs habits : le mot utilisé est juyûb qui veut dire poche ou ouvertures des habits échancrés] Qu'elles montrent leurs atours [parures] à leurs époux, ou à leurs pères, ou aux pères de leurs époux, (...). Que [les Croyantes] ne frappent point [le sol] de leurs pieds pour montrer les atours qu'elles cachent  [Qu'elles ne marchent pas de façon à attirer l'attention sur leurs atours] ! »53(*).

Outres ces recommandations que les lecteurs intégristes cherchent à ériger en règles juridiques intangibles, les plus zélés ajoutent des hadîths étendant la notion d'adultère à la femme qui se parfume et passe à côté d'une assemblée d'hommes54(*), ou interdisant à un sexe de s'habiller comme l'autre, etc.

Certains étendent les recommandations coraniques relatives à la conduite des épouses du Prophète à toutes les femmes avec le même esprit de rigorisme juridique, nourri par les fantasmes sexuels communs à toutes les sociétés fondées sur la séparation des sexes55(*).

Pour tout résumer, est-il opportun de rappeler les propos d'un philosophe versé dans la théologie, à savoir Al-Ghazâlî  qui soutenait que : « Quant à ce que demandent aujourd'hui (entre 1058 et 1111 A.D.) les femmes comme transformation de ces principes islamiques, ce n'est que de l'arrogance qu'il faut châtier sans pitié »56(*).

Entendre cela d'un grand philosophe n'est pas étonnant si l'on garde toujours en vue l'idée que le Coran est venu avec des Sourates qui sont de véritables textes juridiques contraignants surtout en matière des droits de la femme, de la succession, etc.

Toutefois, cela ne fait qu'accélérer et augmenter sa léthargie envers toute codification humaine des lois sous forme de droit positif. Or, l'instauration de l'État (Communauté) exige l'établissement de règles de droit ainsi qu'un traçage de la politique à suivre. Selon la conception islamique de la vie politique, c'est au Coran qu'il serait assigné de jouer ce rôle.

SECTION II : CONTRADICTION POLITICO - JURIDIQUE

Il ne faut jamais perdre de l'esprit, en traitant du droit musulman, que l'argument théologique est omniprésent, rien ne lui échappe faute de tout envahir. Juridique (A), politique (B) et religieux s'entremêlent et s'emboitent de façon qu'il soit impossible de les démêler.

A / CONTRADICTION JURIDIQUE

D'abord, pour ce qui est de la contradiction d'ordre juridique, est-il opportun de traiter de la Loi islamique.

En effet, le droit positif, en l'occurrence, est loin d'être mis par des êtres humains, il est d'ores et déjà d'obédience divine. Du coup, la Shari'a est la seule loi islamique possible.

Dans ce contexte, il ne faut plus s'attendre à trouver la pyramide kelsenienne. Toutefois, il est lieu de démontrer une autre pyramide.

Si l'on se concentre aux sources de législation sunnite, qui fait la majorité des musulmans, l'on peut dire que :

Les musulmans affirment que le Coran a été révélé par Dieu à son prophète Mahomet, qu'il est donc la première source de législation dans l'Islam et que Dieu le préserve contre toute modification ou altération. Le Coran est, du coup, la source principale de la jurisprudence islamique (Fiqh)57(*).

La Sunnah58(*), quant à elle, n'est pas un texte en soi comme le Coran, mais signifie l'adhésion des musulmans aux sujets en rapport avec la pratique religieuse. La Sunna (qui est l'ensemble des dires et faits du prophète) est la seconde source de législation dans le sunnisme.

Elle a été rassemblée et classée par les savants sunnites dans plusieurs oeuvres comme Sahih' Al-Boukhari, Sahih' Mouslim, Sahih' Abu Daud, Sahih' Ibnu Majah, Sahih Al-tarmidzi, Sahih Nsaie, etc. Elle se constitue essentiellement des Hadiths (Paroles ou récits) du Prophète59(*).

Toutefois, la place des hadiths est controversée dans la loi islamique. Certains penseurs, comme l'Imam Shafi'i, les considèrent secondaires par rapport au Coran, alors que d'autres, comme l'Imam Malik et des penseurs hanafites, les considèrent comme assujettis à la Sunnah et rejettent souvent un hadith s'il est contraire à la Sunnah.

Pour ce qui est des sources secondaires ou dérivées de la Loi ou du droit en Islam, l'on a :

La troisième source de législation dans le sunnisme est Al-Ijmâa' à savoir l'unanimité des musulmans60(*). Cela en se référant à une citation de Mahomet qui dit que « les musulmans ne font pas l'unanimité sur quelque chose de faux ».

La quatrième source est l'analogie voire Al-qiyâs (littéralement « la mesure ») qui permet de tirer le jugement d'une chose pour laquelle il n'y a pas de législation à partir du jugement d'une chose analogue61(*).

Il en découle que l' Ijmâa' et le Qiyâs sont généralement considérés comme les sources tertiaires et quaternaires de la Sharia, mais ceci est contesté par certains penseurs selon le hadith sur lequel ils sont basés.

Il est à noter que certaines de ces sources de législation62(*) ont été mises en oeuvre après la mort de Mahomet et sont considérées comme illicites ( harâm) par d'autres groupes de l'Islam organisés en Madhhab ou rite.

Ce qui fait la spécificité de la loi islamique, c'est qu'elle couvre tous les aspects de la vie, depuis les sujets très généraux de gouvernement et de relations étrangères jusqu'aux sujets de la vie quotidienne.

Ainsi, la charia distingue plusieurs catégories d'infractions et de peines associées :

On a le Hadd (pl. Hudud) qui sont des « peines fixes », ensuite le Ta'zir, pour des infractions moins graves, puis, les Qissas, qui sont des crimes pouvant donner lieu à une vengeance. Enfin, la Diya, qui est le « prix du sang » ou la « loi du talion ».

Pour ce qui est des Hudud (littéralement « limites »), elles sont les infractions contre Dieu et elles sont prévues et définies par le Coran lui-même et comprennent les incriminations et les peines ne peuvent être remises en cause par les juges. Du coup, le coupable avéré ne peut pas être gracié.

Elles sont au nombre de sept punies de peines fixes et imprescriptibles : les relations sexuelles hors mariage appelée Alzinâ (la fornication) ; la fausse imputation ou l'accusation calomnieuse de fournication, appelée Al-kathef bezzina ; la consommation du vin, appelée Chorb al-khamr ; le vol, appelé Assariqa ; le banditisme ou le brigandage, appelé Al-`hiraba ; l'apostasie, appelée Al-redda ; et enfin la rébellion, appelée Al-`issian.

Les musulmans considèrent cette catégorie de crime comme des crimes contre la Loi de Dieu. Les peines prévues pour les crimes de type Hadd sont fixes car elles ont été fixées par Dieu et se trouvent explicitement dans le Coran. Ces hudud sont en général des châtiments corporels où l'on trouve la lapidation pour le crime de l'adultère, l'amputation de la main droite pour le crime du vol, et les coups de fouets pour d'autres crimes minimes. Elles sont considérées comme le droit de Dieu sur ses créatures, du coup, il faut les exécuter.

Cependant, les peines et infractions de la catégorie des Ta'zîr (correction) sont des peines discrétionnaires (déterminées par les pouvoirs publics et prononcées par le juge) qui, par définition, varient selon les circonstances, c'est le Ta'zir ou correction arbitraire. Elles sont des infractions contre la société et tout acte antisocial en relève.

Elles ne sont pas fixées dans le temps ni dans l'espace et elles sont punies par des peines non précisées par la Loi religieuse, et laissées à l'appréciation du juge. Elles varient selon la gravité du crime et les dispositions du criminel. En principe, il n'y a pas de peine de mort pour ces infractions. Les peines sont normalement la flagellation (au bâton ou au fouet), la prison, le bannissement, l'amende, ou des peines purement morales, comme l'exhortation ou le blâme. Toutefois, certains soutiennent que les sanctions vont du sermon ou de l'admonestation verbale à la peine de mort pour atteinte aux droits divins ou individuels, mise en cause de la paix sociale ou de la sécurité des individus.

Pour ce qui est de la catégorie du Qissas, elle est autonome par rapport aux deux précédentes et seraient selon Jacques El Hakim une survivance de la vengeance privée muée en talion.

Elle couvre les infractions contre l'homme qui sont les crimes de sang, c'est-à-dire les crimes en matière de meurtre ou de lésions corporelles.

Ces infractions sont punies pour l'homicide volontaire par la peine du talion (Qissas), héritage de la tradition judaïque, qui était exécuté par la famille de la victime.

Pour l'homicide involontaire, la victime ou ses héritiers peuvent choisir de percevoir une indemnité sous forme d'une composition pécuniaire (appelée Diya pour le meurtre et Arche pour les lésions corporelles), sur le montant de laquelle le coupable doit donner son accord.

Dans les deux cas, il faut recourir au Qadi (Juge), et seule la victime peut poursuivre ou pardonner. Toutefois, l'exercice du talion ou la perception de l'indemnité n'exclut pas une correction (Ta'zîr) qui serait apportée par les pouvoirs publics en cas d'infraction volontaire63(*).

Le Coran détaille aussi les lois portant sur l'héritage, le mariage, les compensations pour blessures et meurtres, ainsi que des règles régissant les fêtes, la charité et la prière.

Cependant, ces prescriptions et ces prohibitions peuvent être très larges, donc leur application en pratique peut varier.

Les penseurs musulmans, Oulémas ou Mollahs (en Iran Chiite), ont élaboré des systèmes de loi basés sur ces règles larges, s'appuyant aussi pour cela sur les hadiths et leurs interprétations.

Avec l'expansion de l'Islam dans des pays comme l' Iran, l' Indonésie ou en Europe, tous les musulmans ne peuvent comprendre le Coran en arabe. Quand des musulmans sont divisés sur un sujet particulier, ils vont demander assistance à un mufti (juge islamique), qui peut leur donner des conseils sur la Sharia et les hadiths vu qu'il n'y a pas de clergé dans le sunnisme.

L' imam, quant à lui, n'est pas un prêtre mais bien un membre de la communauté musulmane qui conduit la prière : il est « celui qui se met devant pour guider la prière » et n'est pas forcément un théologien.

En arabe, l'Imam veut dire « chef » ou « guide », et dans le sunnisme il suffit que le chef soit un homme, musulman, sage, connaissant les piliers de l'Islam et ait appris une grande partie du Coran par coeur pour être à la tête d'une Communauté, d'un État. Le Muezzin n'est pas un prêtre non plus, il ne fait qu'appeler à la prière depuis la mosquée.

Or, faut-il parfois interpréter les règles ambigües ou les faire adapter avec des circonstances nouvelles. Ainsi, l'Islam reconnaît divers niveaux de compétences religieuses parmi ses fidèles.

L'explication du Coran se nomme Tafsîr ou l' ijtihâd64(*) qui est la recherche de solutions nouvelles à partir des textes de référence pour répondre aux problématiques des populations musulmanes sur leurs affaires religieuses ([`ibâdât], pratiques cultuelles, pluriel de [ibâda]) ou sociales ([mu`âmalât], « comportements », pluriel de [mu`âmala]) dans une condition sociale, politique ou économique inédite.

Ainsi, l'on a en premier niveau Al-mujtahid al-mutlaq (l'interprète absolu), celui capable de « se battre » en absence de texte, comme l'indique la racine de mujtahid, pour en tirer une casuistique, rapprocher des textes traitant des sujets similaires et en tirer la synthèse, élaborer les principes juridiques sans référence à une école particulière. Ces compétences sont reconnues exceptionnelles et rarissimes.

En deuxième niveau, l'on a Al-mujtahid al-mutlaq al-muntasib (l'interprète absolu par appartenance - à une école de pensée -). C'est le même que le premier sauf qu'il est ainsi mais tout en étant dans le cadre d'une école interprétative.

En troisième niveau, vient le Al-mujtahid fil-madh'hab, qui est l'interprète dans le cadre d'une école interprétative. Il est capable d'élaborer des réponses juridiques sur des questions nouvelles.

Le quatrième niveau revient à Al-'âlim al-mutabahhir, c'est-à-dire, le vulgarisateur des grands anciens qui doit connaître le Coran et la Sunna.

En cinquième niveau on retrouve Al-'âmîy (le généraliste ou l'homme ordinaire), est celui qui ne connaît que les grandes lignes de l'Islam.

Chez les sunnites, les savants exégètes sont considérés comme les « successeurs » des prophètes.

Toutefois, le chiisme orthodoxe de la secte 'Usuli (fondamentaliste c'est-à-dire le clergé des `Ayatollah) reconnaît, a contrario, un clergé à plusieurs niveaux hiérarchiques, les Mollahs, tandis que le sunnisme rejette cette idée d'un clergé central jouant le rôle d'intermédiaire obligé.

Ainsi, l'on tire que par bien des aspects, l'Islam, pour sa partie sunnite, est une religion décentralisée et dont tous les pratiquants sont des laïcs. Mais, cela n'occulte pas l'existence de contradictions d'ordre politique qui font obstacle à toute tentative de démocratisation de l'Islam dans le sens moderne de la démocratie.

B/ CONTRADICTION POLITIQUE

Pour ce qui est de la contradiction d'ordre politique. En effet, en Islam il est d'une conception autre de l'idée que se fait le musulman de l'organisation du pouvoir prophétique, du califat et enfin de l'État.

Dans cette perspective divine, l'État n'a ni place ni fonction. De plus, non seulement il n'a point droit de cité, mais il apparaît même comme l'incarnation du mal, de la tyrannie et de la corruption. Dans cet ordre d'idées, le Coran dit : « Quand les rois (souverains) entrent (pénètrent) dans une cité, ils la saccagent (pervertissent) et font, des nobles qui l'habitent, des misérables. Ainsi font [les rois], (C'est ainsi qu'ils agissent) »65(*).

La dénonciation des souverains, désignés par le Coran sous les noms de César, Pharaon et de la Reine de Sabâ'66(*), atteste de la compétition entre deux modèles d'organisation et de mise en ordre de la société, l'un politique, l'autre religieux.

L'État, en tant que principe d'organisation, de producteur du droit, de jurisprudence, d'action collective et d'orientation morale, n'a été autre en Islam que la religion elle-même.

L'entité ou l'organisation religieuse ne dépend pas d'un pouvoir politique, mais se cristallise sur le pouvoir prophétique. Les fins de ce dernier sont différentes de celles du pouvoir politique. Il ne vise pas à préserver et à gérer des intérêts temporels et les affaires de ce bas-monde, mais essentiellement, et avant tout, à préparer les hommes à la vie éternelle67(*).

Le Prophète est invité même à consulter ses "sujets" dans toutes les affaires vu qu'il est soumis (muslim ou musulman) tout comme eux à Dieu. Il n'est point un chef ou un guide suprême, il n'est qu'un aiguilleur des messages divins. Autrement dit, il n'est qu'un Rasul voire le messager de Dieu.

Cette mission de canalisation ou d'intermédiation ainsi remplie le réduit à un simple Avertisseur. Il ne peut point imposer son point de vue unique. C'est ce qui ressort d'ailleurs de ces Versets coraniques : « [Prophète !, c'est] par quelques grâce de ton Seigneur que tu as été conciliant envers eux. Si tu avais été rude, dur de coeur, ils auraient fait sécession, autour de toi. Efface donc pour eux [leur faute] et pardonne-leur ! Consulte-les donc [désormais] sur toute affaire ! Quand tu auras décidé, appuie-toi sur Allah ! Allah aime mieux ceux qui s'appuient sur Lui »68(*).

En contre partie, les croyants lui doivent l'obéissance. C'est ce qu'on peut tirer des Versets coraniques, entre autres, où il est dit : « Ô vous qui croyez !, obéissez à Allah !, obéissez à l'Apôtre et à ceux d'entre vous détenant l'autorité ! Si vous vous disputez au sujet de quelque chose, renvoyez cela devant Allah et l'Apôtre,... »69(*). Le Prophète, après ce renvois, dois s'inspirer du Coran (Dieu ainsi présent à travers sa parole tant que le Coran est la parole de Dieu) pour apporter la solution au différend tout en consultant les autres croyants sur l'interprétation à donner au Verset coranique à défaut de clarté.

Cela est attesté, entre autres, par les Versets qui le suivent directement. Il y est dit : « Quand on leur dit : "Venez à ce qu'on a fait descendre vers toi [, Prophète !,] et à ce qu'on a fait descendre avant toi ?" », « Si nous avons envoyé quelque Apôtre, c'est seulement pour qu'il soit obéi, avec la permission d'Allah », « Ceux qui obéissent à Allah et à l'Apôtre, ceux-là sont avec les Prophètes, les justes (siddîq), les Témoins et les Saints qu'Allah a comblés de bienfaits. Combien ceux-là sont bons comme compagnons ! »70(*).

Cela a amené, comme l'on a déjà analysé, les musulmans à désigner leur sphère par les termes de Dâr el-Islam, c'est-à-dire « la maison de l'Islam ». Cela revient à ce qu'ils ont toujours cru que leurs victoires sur les anciens empires n'avaient pas été possibles que grâce à la religion, et non grâce à un pouvoir ou à une direction politique.

Ainsi, le deuxième Calife `Umar Ibn El-Khattâb, à l'occasion de l'élection d'Abû Bakr le jour d'Al-Sakîfa71(*), disait : « J'ai pensé que le Prophète n'allait pas mourir avant de nous emmener tous [avec lui], jusqu'au dernier. Cependant, Dieu vous a laissé son Livre qui a guidé son Prophète dans le bon chemin, si vous y tenez, il balisera pour nous la même voie. Dieu vous a rassemblés autour du meilleur d'entre vous, le Compagnon du Prophète (à savoir Abu Bakr). Allez ! Donnez-lui votre parole »72(*).

Ce jour même, le premier Calife élu, voire le Compagnon Abû Baqr dénommé "As'sidîq" (c'est-à-dire le digne de confiance ou le Juste comme le Prophète l'a toujours appelé) annonçait au public, dans les larmes, la mort du Prophète tout en lançant ses mots trop célèbres « Ô gens !, celui qui priait auparavant à Mahomet, je lui annonce que Mahomet est mort !, celui qui priait à Dieu, je le rappelle que Dieu est vivant, immortel ! ».

Du coup, peut-on en conclure que « toute autre dimension de l'existence sociale est, dans ces sociétés, sans véritable valeur ; elles apparaîtront nécessairement figées, en dehors de l'Histoire. C'est une caricature. La politique est comme partout un cadre déterminant de la vie de ces sociétés, même si sa pratique n'a pas toujours trouvé son expression théorique autonome »73(*).

Ainsi, Mahomet est mort sans désigner de successeur et sans laisser un système pour en choisir un. Par conséquent, le Califat a été établi. Le Calife (signifiant « successeur » ou « représentant ») a pour rôle de garder l'unité de l'Islam et tout musulman lui doit obéissance. Il est le dirigeant légitime et élu de l' Umma, la Communauté des musulmans. Il tire sa légitimité par le recueillement des votes des autres Compagnons du Prophète et non pas d'un vote direct, libre74(*), universel et du coup démocratique.

Certains des premiers Califes portaient le titre de Khalifatt Allah (« Représentant de Dieu »). Or, n'a jamais dit avoir reçu des révélations divines comme ce fut le cas pour Mahomet.

Cela s'explique par le fait que Mahomet étant le dernier prophète, aucun des Califes n'a dit être un Nabî, « Prophète » ou un Rasul « messager divin ».

Certains Califes étaient souvent appelés Amîr al-Mu'minîn (Commandeur des croyants). Le titre a été raccourci et latinisé en « Émir ». Enfin, le titre alternatif Khalifatt rasul Allah (« successeur du messager de Dieu ») est ensuite devenu le titre courant.

Après avoir choisi le chef, faut-il choisir les règles qu'on va suivre pour guider et gouverner.

Sans surprise aucune, les révélations faites à travers Mahomet ont rapidement été codifiées et écrites dans le Coran, qui a été accepté comme autorité suprême, limitant ainsi ce que le Calife pouvait diriger. Cependant, les premiers Califes pensaient être les chefs spirituels et temporels de l'Islam, et insistaient sur le fait que l'obédience au Calife en toutes choses était la marque d'un bon musulman. Le rôle est devenu cependant strictement temporel avec l'ascension des oulémas. La légitimité et l'obéissance du chef vient de la religion et non de sa bonne gouvernance ou de son programme politique ambitieux.

Toutefois, le problème de la succession au Prophète a remodelé la vision des musulmans au pouvoir et a la politique. Ainsi, les chiites ne reconnaissent que les quatre premiers Califes, le dernier étant ` Ali, considéré à leurs yeux « Père de tous les Imams ». Ils estiment que le Calife suivant, Yazid Ier a été coupable de la mort d'Hussein, et par là toute succession de Califes aurait perdu sa légitimité.

Après les quatre premiers Califes ( Abou Bakr, ` Omar, ` Uthman et ` Ali Ibn Abi Talib), le titre a été revendiqué par les Omeyyades, les Abbassides et les Ottomans, ainsi que par d'autres lignées en Espagne, en Afrique du nord et en Égypte. La plupart des dirigeants musulmans portaient simplement le titre de Sultan ou Émir, et prêtaient allégeance à un Calife qui avait souvent peu d'autorité75(*).

On conclut de tout ce qui précède que la religion de la Révélation n'a point fondé d'État, parce qu'elle a émergé contre l'État. Sa véritable invention est la Communauté, c'est-à-dire un groupe humain soudé par des liens de fraternité, eux-mêmes fondés sur l'adhésion collective à des valeurs communes et non à un pouvoir ou à un État76(*).

Burhan Ghalioun de conclure que « Le Tout-Puissant domine cet ordre et rayonne en son royaume. Par sa seule présence, il abolit la toute-puissance des monarques et les force à chercher une légitimité ailleurs que dans la force symbolique du religieux et du sacré. La révélation monothéiste, en inventant une nouvelle conception du sacré, la divinité unique en toute-puissance, désacralise le pouvoir politique. Renforçant ainsi l'autonomie et la signification de la société, désormais directement attachée à la puissance suprême, elle force du même coup les États à trouver leur légitimation hors du religieux. Par sa seule omniprésence, le royaume de Dieu prive l'État de toute légitimité intrinsèque. Il le fait apparaître comme une force de domination brutale ne pouvant se suffire à elle-même »77(*).

Cela va de concert avec ce qui a pu conclure Pierre-Yves Lambert78(*) à propos des relations des musulmans avec leurs voisins fidèles d'autres systèmes idéologico-religieux que l'Islam. Il soutenait que pour ces non-musulmans, étant donné leur position politique intenable dans un État où loyauté politique et affiliation religieuse étaient étroitement corrélés, le refus d'adopter la religion politiquement dominante devenait synonyme du refus d'accepter l'autorité qui en découlait, et même la légitimité des institutions en place, par lesquelles le vieux système basé sur l'autorité exclusive du chef de clan (tribu) avait été remplacé au profit d'un mode de gouvernement plus "moderne", impliquant la reconnaissance d'une autorité politique unique et supra-clanique, fondée sur une Communauté de religion.

Cela est en passe d'expliquer largement le positionnement de la Communauté contre l'État en monde arabo-musulman. En effet, le triomphe de l'État sur la religion a toujours conduit celle-ci à se replier totalement sur la communauté et à s'identifier à elle, au point que, jusqu'à aujourd'hui, la notion de la Communauté religieuse se confond largement avec celle de nation séculière. Ainsi, les arabes ont transposé le terme classique de Umma (Communauté) sur le phénomène nouveau de nation. On parle indifféremment de Umma Arabiyya (nation arabe) et de Umma Islâmiyya (nation musulmane)79(*).

Toutefois, cela n'occulte pas l'existence d'un vrai effort philosophique en vue de sauver l'Islam de sa religiosité, car trop de religiosité tue la religion.

« Le Coran est dans le mushaf [le recueil écrit des révélations]. Il ne parle pas de lui-même : ce sont les êtres humains qui l'expriment ».

`Ali Ibn Abû Tâlib80(*)

CHAPITRE II : LES PRÉCURSEURS D'UNE CONCILIATION

D'abord, l'effort a été déployé par des penseurs médiévaux qui ont essayé de confronter la Vérité révélée à la Vérité de la raison sceptique en s'appuyant sur leurs recherches teintées d' aristotélisme et de néoplatonisme (Section I). Toutefois, jetés aux oubliettes par leurs contemporains, le relais a été porté par d'autres penseurs armés, cette fois-ci, par la pensée révolutionnaire des lumières ainsi que par la raison sceptique, archéologique, dialectique et critique qui est derrière l'avènement de l'idée de la modernité (Section II).

SECTION I : LES ÉCOLES DE PENSÉE MÉDIÉVALES ou du début d'un âge d'or à la fin d'une épopée

Les difficultés qui participaient du problème du Califat, à savoir le problème de la succession du Prophète occasionné par le désaccord entre les musulmans (dit fitna81(*) en arabe) qui a surgit après la mort du troisième calife `Othman, ont laissé cours à un phénomène de division des adeptes de l'Islam, encore jeune en âge, en partis ou sectes.

Les protagonistes de chaque parti s'ingéniaient alors de défendre leurs positions par des arguments variés et, voire même, par la force (A).

Une autre difficulté, qui vient de s'ajouter à la première, participe du fait que l'Islam, après ses conquêtes d'expansion, se trouva en face de cultures et de croyance variées. Une nouvelle lutte s'engagea alors, à savoir la lutte entre les idées. Du coup, une question de base se posait : Qu'est-ce que le Coran ? Est-il la Parole de Dieu comme le Christ a dit qu'Il est le Verbe de Dieu ? Son enseignement diffère-t-il essentiellement de celui des autres religions antérieures à lui ? Toutes les religions révélées ne proviennent-elles pas d'une même source ? Et tous ces attributs divins que mentionne le Coran dévoilent-ils l'essence de Dieu ?

 Pour répondre à « des pareilles questions qui le confrontent au point de mettre en jeu sa survie »82(*), l'Islam entreprend alors "un mono-questionnement-réponse" sous forme de deux grandes tentatives de salut.

Les Mutakallimîn (les théologiens) ont le mérite d'avancer la première tentative. Ils sont représentés notamment par les Mu'tazila qui, admettant la véracité de la mission prophétique, s'ingéniaient d'expliquer rationnellement son contenu.

La deuxième tentative revient aux falasifa (les philosophes), comme Al-farabi et Ibn Sina, en Orient, Ibn Toufayl et Ibn Rochd, en Occident, qui, partant de certains principes logiques, aboutissent à des conclusions conformes, d'après eux, aussi bien à la foi qu'à la raison (B).

A / LES SECTES OU PARTIS MUSULMANS

Dès les premiers siècles de l'Islam, « les premières querelles politiques touchant à la succession au Califat donnèrent naissance à des mouvements sectaires, n'appartenant à aucune des quatre écoles juridiques reconnues et s'écartant plus ou moins par leur doctrine de l'Islam officiel »83(*).

L'étude des sectes musulmanes s'avère particulièrement difficile à cause de leur grand nombre, mais aussi des points de vue divergents qui les segmentent en plusieurs factions84(*).

Le Califat constitua un véritable problème au début de l'Islam, à la fois politique et religieux, car la nouvelle religion régit ces deux ordres. Plusieurs sectes firent alors leur apparition, chacune défendant leur point de vue et adoptant une attitude spécifique sur les sources mêmes de la foi, à savoir le Coran et la Sunna (coutume ou tradition) du Prophète.

Le problème essentiel consistait à savoir quelle est la source de l'autorité. Autrement dit, de qui le chef de la Communauté tient-il son pouvoir ?

Est-ce l'ensemble de la Communauté qui désigne l'Imam, le chef de la Communauté, comme l'on soutenu Al-khawarij et Ahl As-sunna (les Sunnites c'est-à-dire l'Islam orthodoxe), ou bien c'est Dieu, comme l'ont soutenu Al'shi'a (les chiites) ?

Les conséquences de cette divergence entre les deux attitudes furent sanglantes. Il fallait tempérer les exagérations des uns et des autres. Ce fut la tâche que s'assignèrent les Murji'a.

Maintes questions se sont posées les Kharijites (Al-khawarij ou "les sortants" c'est-à-dire ceux qui se sont sortis - kharajou - du groupe de `Ali). Comment le chef religieux et politique de l'Islam85(*) pouvait-il accepter qu'il y ait des arbitres entre lui et son subordonné insoumis ?

`Ali doutait-il de son pouvoir ? Mu'awya avait-il plus de droits que `Ali parce qu'il avait plus d'hommes et plus d'armes ? Ainsi, le point capital à examiner était le fondement du pouvoir.

Le pouvoir, disaient-ils, appartient à toute la Communauté et, si la Communauté choisi un chef, ce chef, après avoir accepté et reçu le pouvoir, n'a plus le droit de se désister de ce dépôt sacré qui lui a été confié, ni d'accepter l'arbitrage qui prouve qu'il doute de son pouvoir. Tant qu'il gouverne sous l'inspiration de Dieu transmis dans le Coran, il est le chef légitime, mais, s'il déroge à ce commandement, il appartient alors à la Communauté de le destituer.

C'est là une conception purement démocratique du pouvoir. D'aucun lien de parenté avec le Prophète n'est requis, aucune condition de naissance ne doit entrer en ligne de compte. Le chef doit avoir le consensus, il suffit qu'il soit jugé comme le plus vertueux car le Prophète disait « Le plus vertueux aux yeux de Dieu est le plus pieux d'entre vous ».

De plus, en acceptant l'arbitrage entre lui et Mu'awiya, `Ali n'a pas tenu compte du Coran car « Dieu seul commande et non les hommes » (Lâ `huqm illa lillah).

À leur yeux `Ali est devenu infidèle, il mérite donc qu'on sorte de son autorité, qu'on se déclare contre lui, et qu'on lui fasse la guerre, laquelle sera une guerre sainte, un jihad (c'est-à-dire une guerre qui a pour but de réaliser des finalités saintes au profits d'Allah et suivant les commandements du Coran) contre un musulman qui a commis un péché grave.

La conception démocratique du fondement du pouvoir fut poussée à l'extrême par les Khawarij. Ainsi, selon eux, puisque la Communauté entière détient le pouvoir, en principe elle n'a pas besoin de chef. Les croyants n'ont qu'à agir conformément à la Loi de Dieu exprimé dans le Coran, seule règle de conduite.

Cependant, ils ont compris que la Communauté ne peut exister sans un chef, non pas pour dicter la loi, mais pour veiller à l'exécution des commandements formulés dans le Livre d'Allah, seule loi constitutionnelle de la Communauté. Ainsi, ils éliraient `Abd Allah Ibn Wahb Al-rassibi, comme chef de leur groupe.

Pouvons-nous dire qu'il s'agit vraiment d'une forme démocratique en Islam ?

N'oublions pas que par la « Communauté », les Khawarij entendent les musulmans mettant en pratique le Livre d'Allah, chaque membre en étant le gardien et pas l'Homme en tant que tel qui a le droit d'élire le chef. Aussi, manquer aux devoirs sacrés dictés par le Coran constitue un péché grave, et son auteur doit être poursuivi car il est un infidèle pire qu'un zandiq ou qafer (mécréant ou athée). Il en découle que c'est de la démocratie, si l'on veut, mais entre des personnes professant la même foi et la mettant en pratique. Ainsi, démêler le côté politique du côté religieux en Islam s'avère une tâche impossible à cette époque des origines. Ces deux points de vue progressaient en se compénétrant, s'entremêlant voire s'emboitant.

Cependant, les Khawarij ont eu le mérite d'être les pionniers de la notion de Communauté comme source du pouvoir. C'est déjà un grand pas car c'est l'essence même de la démocratie, bien qu'ils en aient fait une démocratie restreinte et limitée, voire même un privilège qui joue au profit du seul musulman pratiquant.

Contre cette thèse avancée et défendue par les Sunnites et les Kharijites, les Shi'a86(*) (Chiites) soutiennent que le chef ou l'Imam remplit une fonction religieuse, tout comme le Prophète.

Le pouvoir ne lui est donc concédé par la Communauté, mais donné par Dieu, seule source du pouvoir. Bien que l'Imam ne soit pas une personne inspirée comme le Prophète, il n'en reste pas moins qu'il est désigné par Allah comme le dépositaire de ce qui a été révélé au Prophète. Ainsi, la vérité révélée devient-elle, à leurs yeux, un dépôt sacré confié tout d'abord au Prophète chargé de le proclamer à la Communauté.

N'étant aucunement propriété publique ou communautaire, il faut un gardien pour ce dépôt et il appartient au seul maître de le nommer.

Les Shi'a corroborent ce point de vue par ce Verset : « Ton Seigneur crée ce qu'il veut et choisi ce qui, pour (les hommes), est le meilleur »87(*).

Il appartient donc à Allah d'élever à la fonction d'Imam qui Il veut. En effet, Dieu avait ordonné à son Prophète, disent les Shi'a, de mentionner le nom de cet Imam qui lui succédera, dans ce Verset : « Ô apôtre !, fais parvenir ce qu'on a fait descendre vers toi, de ton Seigneur ! Si tu ne [le] fais point, tu n'auras pas fait parvenir Son message et Allah te mettra hors d'atteinte des hommes »88(*).

La révélation dont il s'agit ici, selon la version Shi'ite, consiste à dire que `Ali, le cousin du Prophète, sera l'Imam après lui. Les Shi'a ajoutent que ce Verset a été inspiré après que le Prophète, ayant reçu l'ordre d'Allah de nommer `Ali chef de la Communauté après Lui, hésitait à le faire, craignant d'être taxé de partialité pour son cousin. Mais, après qu'il et reçu l'ordre formel d'Allah à ce sujet, il obéit, et dans son sermon d'adieu, près de l'étang Khom, lors de son dernier pèlerinage à la Mecque, le Prophète déclara : « `Ali sera le maître de celui qui j'étais le maître ».

Voila donc pour les Shi'a les principaux arguments, tirés des sources sacrées pour prouver la désignation par Allah de `Ali comme Imam. Ainsi, l'Imamat (le pouvoir d'être chef de la Communauté) pour les Shi'ites est de droit divin. L'Imam doit être infaillible (Ma'soum) et doit descendre de la progéniture de `Ali (AAl Albayt, littéralement, la famille de la maison, c'est-à-dire la famille du Prophète).

Pour ce qui est des Al-murji'a (les sceptique), ils viennent dans une ligne médiane entre les sectes qu'on vient d'exposer. Pour eux, qui sont les partisans de la tolérance, la maxime à prévaloir est : « Qui a tort, qui a raison ? Dans le doute abstiens-toi ». Ils ajoutent que : « Allah est le seul juge impartial ». C'est le sens politique du mot « Murji'a »89(*).

Pour ce qui est de son deuxième sens, tandis que les Khawarij considéraient les actes prescrites par la Loi comme partie intégrante de la foi, les Murji'a admettaient que la foi consiste à croire, dans son for intérieur, qu'il y a un Dieu et qu'Il a envoyé des prophètes.

Partant, des Hadiths et Sourates qui arcboutaient leur point de vue, ils s'abstenaient de se prononcer sur l'infidélité ou la fidélité non seulement des musulmans, mais aussi des non-musulmans. Pour eux, il suffit d'avoir la foi en Dieu pour être fidèle, même si l'on pratique les préceptes d'un autre Prophète.

Mais, la fameuse épreuve (Mihna) imposée par le Calife abbasside Al-ma'mun a laissé leur neutralité connaître du recul. Ils ont fini par fusionner avec les autres sectes pour sauver, autant que possible, leur doctrine basée sur l'amour de la paix et le pardon.

Cette fameuse épreuve est relative au débat "philosophique" qui a surgit sur la question de la création du Coran, ou la Parole de Dieu et dont les Mu'tazilites étaient les chefs de file.

B / LES PENSEURS MÉDIÉVAUX ou la tendance philosophique

Le conflit ne tarda pas à être porté sur un terrain autre que celui du Califat. En effet, des questions d'ordre dogmatique surgirent alors. C'est le Coran même qui se trouva mis en jeu, d'une part, et tout le problème moral, de l'autre.

Les Mu'tazila se firent les défenseurs du vrai monothéisme (Al-taw'hid) et de la justice (Al-`adl). En ramenant tous les attributs à l'essence divine90(*), les Mu'tazila ont soutenu qu'il nous est impossible de définir Dieu, de le connaître et de le voir. Tous les Versets qui mentionnent les différents attributs divins : science, puissance, volonté91(*), ou des organes : oeil, main, face de Dieu, ou qui mentionnent le fait qu'Il s'assied sur le trône, etc., doivent être interprétés car ces attributs sont des considérations rationnelles utiles pour nous faire une idée de Dieu, néanmoins ils ne sont nullement en Dieu, ils sont distincts de son essence.

Cependant, cette négation de toute ressemblance et même de toute analogie entre Dieu et la créature a conduit les Mu'tazila à une impasse. D'où, alors, vient le monde s'il n'y a aucune ressemblance entre lui et son Créateur ?

Les Mu'tazila ont cru contourner la difficulté en disant que le monde provient du néant qui est une essence à laquelle il manque l'existence que Dieu lui accorde. Mais, n'y a-t-il pas là une reconnaissance d'un autre éternel avec Dieu, à savoir ce néant ?

Quant aux vérités que révèle le Coran, les Mu'tazila soutiennent qu'elles ne peuvent contredire la raison, bien plus, la raison humaine, arrivée à maturité, est capable d'atteindre ces vérités, sans révélation. En effet, les peuples qui n'ont pas eu de Révélation ne s'appuient-ils pas sur la raison dans leur vie morale et sociale ? Du coup, la conséquence logique de tout ce qui procède est que l'être humain est Mukhayar, c'est-à-dire il est libre de choisir son sort après quoi il est tout à fait logique que Dieu va lui réserver le paradis ou l'enfer selon le choix qu'il a fait.

Cela s'explique, car s'il n'est pas Mukhayar alors il en découle en toute logique que Dieu n'est pas juste car Il va nous punir pour des fatalités choisies par Lui-même. De plus, si l'on est "télé-guidé" par Dieu, on peut faire tout ce qu'on veut tant qu'on est irresponsable.

Encore plus, une telle conception risque de mettre en péril toutes les Sourates qui traitent du jour du jugement qui est dès lors insensé car dénué de toute justesse.

Ici, la logique a pris le dessus sur la foi. C'est pourquoi la réaction des fidèles musulmans a été très violente contre les Mu'tazila, jugés ennemis de la foi.

Pour les fidèles, « devant un tel danger, mieux vaut faire taire la raison et la taxer d'impuissance plutôt que de sacrifier la foi »92(*).

La réaction inévitable devant ce "danger rationaliste" vint du côté des Ahl Al-`hadith (littéralement "les gens de la parole" c'est-à-dire ceux qui ne se réfèrent qu'à la parole de Dieu et de son Prophète à savoir au Coran et à la Sunna). Ils ont essayé d'étouffer la raison au profit de la foi.

Face à cette responsabilisation de l'être humain, ils soutenaient que l'être humain est Mussayar (c'est-à-dire guidé par Dieu dans ces choix). Ils se réfèrent aux maintes Sourates du Coran où il est mentionné que Dieu savait tout sur le passé et sur l'avenir de l'être humain.

C'est parler de la fatalité, vu que dans ces Sourates il est dit que tout ce qui passe pour le croyant est dicté par Dieu et écrit d'avance.

Cela explique les Sourates mais ne résout point le problème. Cette thèse est d'aucun secours pour le croyant.

Il fallait trouver un compromis entre ces deux attitudes extrémistes, ce fut la tâche que s'assigne Al-ash'ari dont la doctrine a prévalu en Islam. C'est grâce à sa théorie de l'acquisition (Nathariyatt Alqasb) que ce compromis a été possible. Selon cette théorie, Dieu crée les choix ou les faits, et l'être humain choisi entre eux.

Ainsi, les Sourates qui parlent de la fatalité sont justes, mais l'être humain peut toujours choisir une autre voie de quoi il mérite une récompense le jour du jugement.

Pour les falasifa (les philosophes musulmans), représentés surtout par Al-farabi93(*) et son disciple indirect Ibn Sina (Avicienne), ils partent d'un point de départ qui diffère des Mu'tazila.

Leur point de départ consiste à ce principe logique : Les être possibles n'existent que par un autre, ils sont contingents. Comme l'on ne peut pas procéder à l'infini dans la série des être possibles, il faut nécessairement admettre un Être nécessaire pour expliquer l'existence des contingents. L'Être nécessaire existe donc et il existe de toute éternité, sinon rien n'existerait. Cet Être, étant parfait, est la source d'où émanent tous les autres êtres et qui forment ainsi une chaîne ordonnée. Al-farabi a trouvé dans la théorie de l'émanation l'accord entre la foi et la philosophie. Cette théorie satisfait le philosophe en admettant l'éternité du monde, comme elle satisfait la foi en admettant que le monde dépend, dans son existence, de toute éternité, de l'Être nécessaire de qui il émane94(*).

De plus, la théorie de l'émanation porte les falasifa à distinguer deux grandes parties dans le monde : la première commence avec la sphère enveloppante et se termine à la sphère de la lune en passant par les planètes fixes et les planètes mobiles dirigées par les intelligences qui contemplent l'Être nécessaire et se contemplent elles-mêmes. Le mouvement des planètes est circulaire parce qu'il est le plus parfait des mouvements, et il imite l'éternité du premier Être.

La deuxième partie commence à la sphère de la lune et se termine à notre terre ; c'est le monde des éléments, monde de la génération et de la corruption. Quant à l'âme humaine, elle émane de l'intellect agent qui est dans la sphère de la lune. Elle est de nature immatérielle.

Elle acquiert son immortalité, d'après Al-farabi, en connaissant les vérités éternelles que porte l'intellect agent.

Cette théorie de l'émanation explique aussi le problème de la prophétie par la faculté imaginative, exceptionnelle chez le Prophète, et par la faculté intellective chez le philosophe.

Mais, les falasifa sont arrivés à des conclusions qui ne cadrent pas avec la foi, c'est-à-dire qu'ils ont admis l'existence éternelle du monde.

Ils ont considéré notre monde sublunaire comme dépendant de l'intellect agent et non du premier Être. Enfin, ils ont nié la résurrection des corps, et Al-farabi n'a pas reconnu que toute âme humaine est immortelle de nature.

La réaction vint d'un musulman fidèle à la tradition et versé en théologie et en philosophie, Al-ghazali (Algazel). Il s'efforça de prouver l'inanité de la philosophie et l'impuissance de la raison humaine abandonnée à ses seules lumières, de résoudre les problèmes métaphysiques et théologiques95(*). Al-ghazali a réussi, en Orient musulman, à disqualifier les philosophes. Mais, l'effort philosophique continua en Occident musulman avec Ibn Toufayl et Ibn Rochd (Averroès).

Ibn Toufayl se servit du conte philosophique pour défendre l'effort que déploie la raison humaine pour arriver à connaître les secrets de l'existence et pour montrer que raison et Révélation s'accordent sur les grands problèmes qui se dressent devant l'homme : son origine, l'origine du monde, la nature de la première Cause, la destinée de l'homme, etc.

Le sens obvie de la Révélation est adapté au niveau de compréhension de la foule, mais le sage cherche à saisir le sens latent de la Révélation et constate qu'il ne contredit pas ses propres conclusions rationnelles. En vain, le sage essaiera d'exposer au commun des gens le sens caché de la Révélation, ils sont incapables de le comprendre.

Ibn Rochd, dans ses écrits philosophiques, développera logiquement cette attitude d'Ibn Toufayl, à savoir que raison et Révélation, autrement dit la philosophie et la religion, sont d'accord et que tous les hommes ne peuvent pas saisir l'essence même de la Révélation.

C'est pourquoi il faut distinguer dans la Révélation le sens obvie, adapté au commun des gens, et le sens latent ou caché que découvre le sage. Mais, la réaction des Fuqaha (juristes), fut très forte contre cette attitude d'Ibn Rochd et le sort de ses écrits fut le feu.

Devant des situations si controversées, certains fidèles ont cru faire leur salut en se tenant à l'écart et en se conformant strictement aux enseignements de la Révélation et même en les outrepassant. Ce furent les ascètes. Mais, l'ascétisme dégénéra, chez certains, en soufisme, une forme de philosophie religieuse qui, dans son exagération, aboutit au panthéisme et au monisme.

La politique ne tarda pas à mettre à contribution la religion. Sous le couvert d'une religion ouverte, considérant les différentes religions pratiquées par les différents peuples comme autant de doctrines convenables aux temps et lieux où elles ont été prêchées par des Prophètes, alors qu'il n'y a effectivement qu'une seule religion, qui englobe toutes ces doctrines, les Ikhwan Al-safa (Les frères de la pureté) ont essayé de gagner le plus nombre possible d'adeptes afin de renverser la dynastie `Abbasside et établir une dynastie `Alide (Shi'ite). Ce mouvement secret se distingue par son éclectisme et par l'étendue des connaissances de ses dirigeants qui menaient leur lutte. Néanmoins, ce courant d'idées, très riche à tous les points de vue, se dissipa aussi devant une résistance dure de la part de l'orthodoxie musulmane.

Enfin, Ibn Kholdoun, depuis la Tunisie puis en occident, s'est fait l'écho d'Al-ghazali en soutenant l'inanité de la philosophie et son impuissance à résoudre les grands problèmes de la foi. Il a ouvert la voie à un nouveau courant d'idées, à savoir l'étude du groupe social, l'influence du milieu physique sur les activités de ce groupe, la constitution des États et des gouvernements, leur apogée et leur décadence. C'est une science nouvelle qu'Ibn Kholdoun a inaugurée, loin des discussions métaphysiques et théologiques. Il est, en effet, le véritable père fondateur de la sociologie.

L'Islam (orthodoxe et traditionaliste) a essayé d'étouffer toutes ces tentatives des philosophes et des théologiens (Mutakallimin) musulmans, voire mêmes les Soufis (Mystiques). Il est difficile de dire quel aurait été le sort des peuples musulmans si ces courants d'idées avaient prévalu en Islam.

Ahmed Amin, penseur et pré-réformiste égyptien moderne, à la fin du chapitre consacré aux Mu'tazila dans son ouvrage Dhu'ha Al-Islam (L'aube de l'Islam) écrivait : « Je crois que l'un des plus grands malheurs de l'Islam fut la mort de Mu'tazila, et les musulmans en sont responsables »96(*). Cela nous pousse à se demander : Quid des courants de pensées et leurs influences sur les notions de la démocratie et des droits de l'Homme dans l'histoire de l'Islam moderne et contemporain ?

SECTION II : DES PRÉ - RÉFORMISTES AUX NOUVEAUX PENSEURS

Il est aujourd'hui fréquent d'entendre parler du « réveil (nahda) de l'Islam » dans le monde (B), pourtant, cet Islam n'a jamais cessé de vivre et de se développer.

Des mouvements de réveil l'ont traversé continuellement depuis plusieurs siècles, et la renaissance islamique que l'on observe partout aujourd'hui à la surface du globe est, en fait, l'héritière de toute une succession de mouvements de tajdîd, à savoir renouveau (rénovation) et de islâh' (réforme) qui ont jalonné son histoire (A).

A / LES PRÉ - RÉFORMISTES ou/et les réformateurs modernes

« Pourquoi les musulmans ont-ils pris du retard et pourquoi les autres les ont-ils devancés ? ». C'est ainsi que Shakîb Arslân97(*) a résumé tout le monologue qui hantait tout musulman après le commencement du mouvement colonial qui a atteint le monde musulman dès l'aube du 19e siècle.

Durant plusieurs siècles, l'Islam a été en avance sur l'Occident (du 8e au 14e siècle). C'est la civilisation musulmane arabo-persane, en effet, qui a rendu à l'Occident les auteurs antiques grecs que celui-ci avait oubliés mais les traductions syriaques avaient conservés. L'Islam a ainsi préparé et favorisé la Renaissance occidentale.

Mais, cette Renaissance occidentale a, paradoxalement, accéléré la décadence de la civilisation musulmane, avec, au plan politique, la Reconquête chrétienne98(*) et, aux plans scientifique et culturel, une succession d'avancées, de découvertes, d'innovations, de libérations qui ont assuré, depuis, une large domination de l'Occident sur le reste du monde.

L'occident a connu une révolution qui a libéré les énergies humaines, le progressif détachement des domaines intellectuels, scientifiques, politiques par rapport aux pouvoirs religieux, et surtout par rapport aux diktats de l'Église et de la théologie. C'est ce qu'on appelle la « sécularisation », qui a évolué plus tard, en France, avec le concept particulier de « laïcité », et qui a permis très vite le triomphe de l'humanisme moderne.

L'autonomie de la pensée par rapport aux diktats du religieux s'est montrée la clé du fulgurant développement de l'Occident depuis plus de cinq siècles.

L'Empire Ottoman va, au demeurant, s'affaiblir progressivement, se laisser miner de l'intérieur par des conflits internes, mais il va être atteint aussi par des agressions externes, et à la fin du 19e siècle on parlera de l'« homme malade de l'Europe ».

Le déclin progressif de la civilisation musulmane avait des racines plus anciennes encore.

Il est ainsi flagrant de constater que la brillante civilisation arabo-persane s'est arrêtée de penser à partir du 13e siècle, quand les pouvoirs politiques et religieux ont fait cesser la réflexion philosophique indépendante de la doctrine religieuse99(*).

À partir du 13e siècle, les portes de l'ijtihâd ont été déclarées fermées par les pouvoirs politiques et religieux, à l'exception de l'ijtihâd juridique, laissé aux canonistes, et de l'ijtihâd dit ijmâ' (consensus), confié aux savants traditionnels, lesquels ne se sont guère risqués à proposer des solutions innovantes.

Partant, à partir du 18e siècle ont surgi, à l'intérieur du monde musulman, des mouvements qui ont voulu réagir à cette désintégration politique et à ce déclin culturel, social et moral. Ces mouvements sont nés dans l'intention de régénérer le monde musulman.

Ils affirmaient que c'était parce que les musulmans avaient cessé d'être de « purs musulmans » que la décadence était venue. Ce mouvement réformiste puritain a donc prôné un retour à la pure religion, aux grands penseurs religieux d'autrefois, et au premier Islam, celui des origines.

Deux grandes figures se sont imposées à cette période, qui conservent une réelle influence. Ce sont ceux qu'il est coutumier d'appeler les « pré-réformistes », car ils ont mis en avant des questions qui seront développées un peu plus tard par ceux que l'on désigne comme les « réformistes » (Al-musli'hînn) et, parfois, les « modernistes » (Al-mu'hdithînn).

C'est grâce aux efforts de Mohammad Ibn `Abd Al-wahab (1703-1792)100(*) dans la péninsule arabique et Shah Wali Allah Al-dihlawi (1703-1762) en Inde que le pré-réformisme a su dessiné son visage.

S'inspirant largement du penseur des 13e-14e siècles, le Syrien Ibn Taymiaa (1263-1328), et s'inscrivant clairement dans l'école juridique sunnite rigoriste de l'Imam Ahmad Ibn `Hanbal (780-855), `Abd Al-wahab affirme que l'Islam n'est pas statique mais dynamique et qu'il contient en lui-même les forces nécessaires pour que les musulmans parviennent à un même niveau de connaissances scientifiques et techniques que les nations dominantes du monde.

Refusant les penseurs musulmans du Moyen âge qui avaient pu être tentés par l'autonomie de la raison par rapport à la foi, il préconise un retour aux enseignements originaux de l'Islam contenus dans le Coran et dans les Hadiths. Il en appelle à un retour au monothéisme le plus strict, condamne les innovations blâmables (Bid'a) et, bien entendu, le soufisme, le culte des saints et les prières près des tombeaux.

Par sa volonté de revenir au message authentique du Prophète, par son insistance sur le retour aux sources, par sa reconnaissance du droit à l'ijtihâd (réflexion personnelle), par son invitation à ne pas se laisser enfermer dans une imitation servile des jurisconsultes et des théologiens qui se sont succédé, `Abd Al-wahab a insufflé un vrai mouvement de réforme dans l'Islam arabe décadent, et tous les grands mouvements de revivalisme islamique qui sont apparus depuis ont fait plus au moins référence à sa pensée, y compris Jamal Ad-din Al-afghani (1838-1897) et Muhammad Abduh (1849-1905).

Cependant, cette pensée est marquée par un radicalisme profondément intolérant, qui a longtemps limité son audience. S'étant déterminé très fortement contre toute une partie des musulmans d'Arabie, il a élaboré un système d'exclusivisme clos sur lui-même que l'on retrouve dans l'Islam saoudien contemporain. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui « le fondamentalisme ou l'intégrisme islamiste ».

Avec `Abd Al-wahab, Shah Wali Allah Al-dihlawi a de nombreux points communs : le retour aux sources du Coran et du `Hadith par-delà les élaborations des juristes et des théologiens, le refus de l'imitation aveugle des injonctions des canonistes, le droit à l'ijtihâd.

Mais, le contexte de l'Inde101(*) n'était pas bien entendu, celui de l'Arabie. Deux grandes tendances se partageaient depuis très longtemps (et se partagent aujourd'hui encore) l'Islam indien.

D'une part, une tendance de stricte observance de la transcendance et de la Loi de Dieu102(*) et une tendance de l'ouverture de l'Islam aux valeurs de l'hindouisme, marquée par la pensée de spéculation métaphysique d'Ibn Arabi103(*).

Dans ce contexte, Shah Wali Allah a eu le double souci de retrouver le véritable Islam, notamment par la connaissance des Hadiths authentiques, mais aussi de réconcilier les tendances musulmanes, y compris de réconcilier les sunnites et les chiites.

Il a eu la préoccupation de réconcilier la raison et la tradition, car, pour lui, la raison était la justification et la preuve de la tradition. L'Islam de Shah Wali Allah se veut dynamique, libéral jusqu'à être parfois composite, tolérant et réconciliateur104(*).

Muhammad Iqbal105(*) a dit de lui qu'il avait été « le premier penseur musulman qui tenta de reconstruire la pensée religieuse en Islam ».

Comme on l'a déjà souligné, les croisades ainsi que le mouvement colonial ont secoué la torpeur du monde musulman.

Ainsi, ces deux facteurs, entre autres, ont suscité chez le monde musulman ce qu'on appelle la nahda ou le réveil106(*). Bien entendu, la résistance au nouveau-venu a pris maintes formes. De la lutte armée jusqu'au rejet total des idées nouvelles qui ont corrélés l'arrivée de l'Occident dans ces terres musulmanes.

Mais, certains secteurs de l'intelligentsia se sont trouvés influencés par ces idées. Parmi les penseurs religieux de cette époque, une figure se distingue : le cheikh Rifa A-rafi Al-tahtawi (1801-1873). Issu de la vénérable Université d'Al-azhar, venu se former en France, il se nourrit de la pensée philosophique française (Voltaire, Rousseau, Montesquieu, ...) et s'enthousiasme pour le Code civil français. De retour dans son pays, il n'a pas de cesse de faire partager et adopter ses découvertes, proposant notamment de réformer la Chari'a sur le modèle des Codes européens.

En Égypte, un courant européanisant se développe de la sorte et va durer jusqu'aux années nassériennes voire, jusqu'à la guerre du canal de Suez.

Ce courant a trouvé son sommet et son symbole avec l'écrivain aveugle Taha Hussein (1889-1973), qui revendiquait l'appartenance de l'Egypte au monde méditerranéen et au monde occidental. Taha Hussein, diplômé du Sorbonne et dont l'épouse était française, fut un des premiers, également, à désirer approfondir une critique littéraire du Coran, notamment à travers les liens entre Coran et poésie antéislamique.

Deux autres pays ont été également touchés par la séduction de l'Occident, et cela se retrouve dans l'actualité : la Tunisie et la Turquie ottomane.

Pour ce qui est de la Tunisie, une grande figure moderniste va marquer son histoire : le général et ministre Khayr Al-din Bacha (1822-1890), qui a instauré des institutions de type démocratique dans son pays et a voulu rénover l'État musulman en s'inspirant de l'Occident.

En Turquie, sous le Sultan Abdulmagid (1839-1861), des réformes (appelées Tanzimat) sont tentées, mais vite étouffées par l'autoritarisme du Sultan suivant. Après la chute de l'Empire ottoman en 1922, il était temps des réformes de Mustapha Kemal Atatürk (1880-1938) qui « laïcisera », violemment voire manu militari si l'on peut dire, la Turquie sur le modèle de la laïcité française.

Tout ce qui précède a fait tapis rouge à l'avènement des réformistes modernes. Quatre, au moins, sont restés dans les mémoires comme les pères fondateurs du réformisme moderne.

Ils sont considérés comme les promoteurs et les chefs de file de la nahda : le Persan Jamal Al-din Al-afghani (1838-1897), le cheikh égyptien Muhammad Abduh (1849-1905), le Syrien Mohammed Rashid Ridha (1865-1935) et l'indien Sayyid Ahmad Khan (1817-1889).

Persan, chiite duodécimain, né en Iran et originaire de Kaboul en Afghanistan, Jamal Al-din Al-afghani a mené une longue quête religieuse et politique qui l'a conduit des villes saintes chiites d'Irak (où il s'est en particulier initié à la philosophie d'Avicienne), en Inde (où il a mené de sérieuses études de théologie), en Afghanistan, à Istanbul, à Paris, à Londres, en Russie et, finalement, en Egypte.

Taisant très vite son origine chiite pour mieux se faire entendre des musulmans sunnites majoritaires, il eut une activité de prédicateurs religieux aux idées anticolonialistes et réformistes, voulant susciter l'unité de tout le monde musulman face aux actions colonisatrices et impérialistes des puissances européennes.

Son but était double : le premier politique, et le deuxième civilisatio-culturel et social.

D'abord, sur le plan politique, il invitait à établir une « ligue » de tous les pays musulmans107(*), et faire élire un seul Calife qui étendrait son pouvoir sur tout le monde musulman. Il ne considérait pas le Calife turc comme le chef légitime de l'Islam.

Pour ce qui est de ses moyens, il est partisan de la révolution. Tout chef ou responsable qui entraverait la réalisation de cette ligue en vue de l'élection d'un chef unique suprême de l'Islam, devait être exterminé108(*).

Son second but consistait à débarrasser l'Islam des excroissances superstitieuses qui lui avaient « poussé » au cours des siècles. Ainsi épurée, la religion retrouverait son premier état, tel que la pratiquaient les salaf, à savoir les premiers croyants, ce qui explique le nom salafiyya (Salafiste) donné à ce mouvement.

« L'Islam, bien compris, dit Al-afghani, s'adapte tout à fait à la civilisation et favorise le progrès en général ; il n'est pas pour figer les esprits dans des cadres rigides »109(*).

Il écrivait dans son livre « Contre les athées » : « Il faut débarrasser les esprits des illusions et des chimères. Les croyances d'un peuple doivent reposer sur des pensées solides et des arguments vrais. L'Islam s'adresse à la raison ; c'est donc la religion par excellence. L'Islam diffère du Christianisme qui défend le dogme de l'Incarnation et de la Rédemption ; or, ces dogmes dépassent les limites de la raison humaine. L'Islam se distingue du Brahmanisme qui classe les hommes en catégories, assignant un but particulier à chacune d'elles. Il se distingue enfin du Judaïsme qui ne s'adresse qu'au seul peuple d'Israël, considéré comme le peuple élu de Dieu »110(*).

Al-afghani défendait ainsi, sous le couvert de la religion, un humanisme et un rationalisme rappelant, par ce fait, l'attitude des Mu'tazila qui l'avaient devancé en ce domaine, au 9e siècle, mais qui furent taxés d'hétérodoxie111(*), justement pour leur rationalisme exagéré.

Ce fut aussi la sentence portée contre Al-afghani par les dévots, tant en Égypte qu'en Turquie112(*).

Le double plan tracé par Al-afghani trouvera un défenseur chez son fidèle disciple, Muhammad Abdou (1849-1905), un Égyptien, déçu dans sa jeunesse par la méthode d'enseignement à Al-azhar, la plus grande Université du monde musulman.

Dirigé vers la mystique par un oncle maternel, Shaykh Muhammad Abdou ne tarda pas à changer de voie sous l'influence d'Al-afghani et de la lecture d'un ouvrage à tendance mu'tazilite d'Al-nasafi (mort en 1142). En revanche, il est moins catégorique que son maître, il croyait plus à l'évolution qu'à la révolution113(*).

En ce qui concerne la religion et ses rapports avec la raison, ce réformateur était en faveur d'une foi éclairée et épurée de toutes les superstitions ; une foi que la raison puisse comprendre et admettre. Il prend nettement position en faveur de la raison dans son livre « Al-Islam wal Nusraniyya » (L'Islam et le Christianisme), où il écrit : « la religion doit être admissible pour la raison. Si la religion apporte à la raison certaines vérités pour l'aider à faire le bonheur de l'homme et des peuples, cela ne signifie pas qu'il faille priver la raison de toute autorité. Car en cas de conflit apparent entre les deux (religion et raison), l'on doit nécessairement recourir à la raison pour comprendre et interpréter le religion ». Il rejoint ainsi les falasifa tels qu'Al-farabi, Ibn Sina, Ibn Rochd et surtout les Mu'tazila rationalistes.

En ce qui concerne le progrès scientifique, il soutenait dans l'Introduction de sa « Risalatt Al-taw'hid » (Traité de monothéisme) : « Point de conflit entre la religion et la science, car toutes les deux reposent sur la raison, bien que chacune d'elles assigne un but particulier à l'homme ». C'est dans cet esprit imbu de rationalisme que Shaykh Muhammad Abdou révise les principaux dogmes de l'Islam dans cet ouvrage.

Toutefois, il ne garda pas une attitude dogmatique, il passa à l'action. Nommé Qadhi shar'i (juge aux tribunaux religieux), puis Mufti (chef religieux) d'Égypte, il rendit des sentences et des fatwas libéraux (consultations ou avis religieux sur des questions juridiques) où il appliqua son enseignement et ses principes114(*).

Il demande qu'on accorde à la femme les mêmes droits qu'à l'homme. Dans sa célèbre campagne contre la polygamie, il rappelle que la loi religieuse accorde aux différentes femmes d'un homme (jusqu'à quatre) une seule part de l'héritage ; ce qui signifie qu'elles comptent toutes pour une seule femme. Donc, conclut-il, la loi religieuse n'approuve pas la polygamie, elle la tolère.

Il était aussi pour donner aux filles la même éducation et la même instruction qu'on donne aux garçons. Il a défendu cette idée dans la revue Al-manar. Il prêchait l'égalité des droits entre l'homme et la femme. Quant aux statues et images (l'art en général), `Abdou soutenait qu'au début de l'Islam on était encore proche de l'époque de la Jahilya (ignorance) et de l'idolâtrie, c'est pourquoi on a prohibé l'érection des statues et la confection des images. Cependant, avec la civilisation moderne, il ne faut plus les prohiber tant qu'il n'a pas un danger pour la religion, car «nous sommes loin de l'époque de l'idolâtrie. Sculpter des statues et peindre des images sont des manifestations artistiques et une preuve de civilisation en même temps qu'elles servent à commémorer les grands hommes et les grands faits historique »115(*) .

Au sujet des Prophètes, il admet que « nous n'avons pas besoin de prophète pour croire à l'existence de Dieu, ceci peut être atteint par la raison. Les Prophètes nous font connaître les attributs de Dieu »116(*). Du coup, ils ne nous sont d'aucun secours pour la vie d'aujourd'hui.

Au sujet du Califat, il exprima une opinion assez nuancée. Il écrivait tout d'abord dans le journal Al-`orwa Alwothqa auquel il collaborait avec Al-afghani : « Je ne prétends pas qu'une seule personne ait autorité sur tous les musulmans ; ceci serait peut-être très difficile ; mais que leur chef à tous soit le Coran, que la religion soit le trait d'union entre eux tous, que chaque chef garde son autorité sur sujet ». Or, il ne tarda pas de rejoindre les idées de son maître. Ainsi, dans le même journal, il écrivait : « Si une nation est soumise à un chef arbitraire, dont la volonté fait loi, causant ainsi le malheur de cette nation, le peuple a le droit, dans ce cas, de se libérer de son joug pour qu'ainsi l'exemple de ce tyran ne soit pas suivi par d'autres maîtres ».

Son sort fut malheureux, et on ne peut trouver de mieux pour en parler que ce qu'a dit Lord Cromer, le Haut-commissaire britannique en Égypte. Il disait alors d'Abdou et de ses partisans : « On les a tellement taxés d'infidélité qu'ils n'ont pas pu gagner à leur cause les Conservateurs. Ce qu'ils avaient acquis de la civilisation européenne n'était pas suffisant pour qu'ils gagnent à leur cause ceux qui imitent cette civilisation. Et ainsi, Abdou n'a pas pu satisfaire ni les uns ni les autres des deux camps antagonistes ».

Son disciple Muhammad Rashid Ridha continua la lutte de son maître surtout sur le plan des réformes sociales et culturelles. En revanche, peu après la mort de son maître, il s'est engagé dans une tendance beaucoup plus traditionaliste et de rupture avec l'Occident.

Propagandiste d'un Islam de plus en plus rigoriste, il s'est lié aux Wahhabites et à la monarchie saoudienne. Il se démena fortement pour la restauration du Califat mais sous une forme de nécessité, c'est-à-dire non point sur le Coran mais sur la Sunna et le consensus.

Le calife, pour lui, doit être de descendance Qorayshite ayant toutes les qualités techniques et morales exigées du Qadi. Il proposa aussi, pour les États musulmans, le modèle de la Chûra117(*), conçue comme assemblée des Oulémas, en guise d'alternative musulmane à la démocratie parlementaire. Sa littérature est surtout marquée par une apologétique polémique et passéiste118(*).

Pour ce qui est de Sayyid Ahmad Khan, il a choisi d'interpréter métaphoriquement les passages du Coran qui, pris littéralement, contrediraient la raison et la science, et ce pour démontrer que Islam et raison ne se contredisent point.

Il est considéré comme un pionnier de l'ouverture aux autres religions, ce qui est quasi unique chez les savants musulmans.

Ces réformistes, somme toute, à l'exception d'Ahmad Khan, ont davantage été dans une attitude de réaction à des réalités socio-historiques plutôt qu'ils n'ont élaboré de véritables systèmes de pensée qui soient capables de permettre à chaque musulman de vivre l'indépendance de sa volonté et de son intelligence. Ils ont trop idéalisé les premières générations musulmanes qu'ils sont demeurés prisonniers de cet « idéal indépassable » à leurs yeux.

Avant de passer aux nouveaux penseurs musulmans, il n'est pas sans rappeler les efforts d'autres réformistes qui, eux, ont pris de d'autres voies pour réformer.

D'une part, le courant qui se rattache à la pensée de `Hassan Al-banna ou à celle du journaliste pakistanais Abu `Ala Mawdudi (1903-1979), fondateur du Jama'at-i islami (Le rassemblement de l'Islam), courant que l'on peut qualifier d'islamiste car il veut toujours plus d'Islam, à commencer dans l'organisation politique des sociétés et des États.

D'autres part le courant que l'on peut appeler celui de l'Islam critique, et dont les premières grandes figures de proue sont le poète et philosophe indien Muhammad Iqbal (1877-1938) et l'Égyptien `Ali `Abderraziq (1888-1966).

Al-banna, fondateur des Frères musulmans, n'était pas d'abord un théoricien, et il faudra attendre l'intellectuel Sayyed Qutb119(*) pour que les Frères musulmans (Al-ikhwan Al-muslimîn) bénéficient d'un réel corps de doctrine qui nourrit toujours une grande partie des mouvements activistes musulmans de par le monde. Son ouvrage « À l'ombre du Coran », où il procède à un commentaire du Livre sacré, en fait un intellectuel, contestable certes, mais de grande envergure.

L'Indien Mawdudi, quant à lui, étudia la doctrine du jihâd et composa sa première oeuvre « Le Combat sacré dans l'Islam », après quoi, il s'engagea dans une lutte politique contre la domination britannique et dans une critique virulente de l'Occident et de ses idées de démocratie, de laïcité et des droits de l'Homme.

Il prône l'instauration d'un État complètement islamique. L'originalité de sa pensée réside probablement dans le fait que, pour lui, l'Islam constitue une idéologie, et que cette idéologie doit pouvoir constituer une alternative aux autres idéologies qui ont été produites par le monde moderne. Ainsi, selon ce courant d'idées, démocratie, droits de l'Homme, individualisme, liberté, droits de la femme, etc. sont à puiser dans la Chari'a et non plus chez l'Occident. Du coup, ils croient à la complétude et à l'auto-suffisance du Coran. Cela revient à croire, selon nous, à la non-évolution du message révélé.

En parallèle à tout ce courant islamiste qui continue de se réclamer le panislamisme d'Afghani, de `Abduh et de Ridha, il y a une autre mouvance dont les premières figures sont incarnées par le philosophe et poète indien Muhammad Iqbal et le savant religieux égyptien `Ali `Abderraziq qui ont marqué la naissance de l'Islam critique contemporain.

Iqbal, diplômé en philosophie et en droit à Cambridge et Munich, a posé cette question dans un essai post-mortem qui réunit plusieurs conférences qu'il avait données, à savoir, « Reconstruire la pensée religieuse en Islam : Comment peut-on repenser et revivre l'Islam aujourd'hui ? ».

Sa réponse refuse une quelconque dichotomie Orient / Occident, au bénéfice d'un mouvement dialectique à instaurer entre connaissance moderne et spiritualité vécue.

Il a ainsi rompu avec la théologie traditionnelle. Du coup, il propose un Islam évidemment ouvert qui prend compte de son historicité.

`Abderraziq, quant à lui, publie en 1925, son oeuvre «Al Islam Wa Usûl Al'hoqm » (L'Islam et les fondements du pouvoir) après l'abolition du Califat.

Face à ceux qui réclament la restauration de cette antique institution qui remonte à la mort du Prophète, et surtout d'en faire un Califat arabe, voilà que `Abderraziq remet en question l'opportunité et, surtout, la légitimité du Califat.

Avec vigueur et méthode, il pose les questions de la relation du profane et du sacré, du politique et du religieux, de l'histoire et de la foi.

Il ne méconnait pas, évidemment, le fait que le Prophète avait exercé des fonctions politiques à la tête de la Cité-État de Médine. Mais, considérant que la Révélation confère aux prophètes des pouvoirs plus importants qu'à d'autres mortels, il estime que le pouvoir exercé par le Prophète a été totalement différent de celui que peut exercer un autre successeur politique. Ainsi, il refuse l'idée selon laquelle il y aurait un modèle islamique du pouvoir fondé sur les données de la Révélation.

Se penchant sur la pensée du sociologue tunisien Ibn Kholdoun (1332-1395), il débusque la grande illusion d'une institution infaillible qui a privé les musulmans de chercher par eux-mêmes des solutions efficaces à leurs problématiques politiques.

Dès les années 1920, il affirmait que rien n'interdisait aux musulmans de se donner les types de gouvernement leur paraissant les mieux appropriés, à moins de faire du despotisme arabe un régime politique120(*). Les sciences sociales et politiques121(*), pour lui, ont le droit d'être autonomes par rapport aux prescriptions religieuses.

L'oeuvre de 'Ali `Abderraziq représente la principale réfutation de tous les courants musulmans qui veulent associer religion et politique.

Elle sera reprise, par le Haut magistrat égyptien Muhammad Saïd Al-`Ashmawy et son livre « L'Islamisme contre l'Islam » où il rappelle que « Dieu voulait que l'Islam fût une religion, mais les hommes ont voulu en faire une politique ».

Or, le problème de `Abderraziq, c'est qu'en plaident pour un pouvoir non religieux, sans utiliser le mot « laïcité », il nous enjoint de sortir du moyen âge intellectuel, mais ne nous fait guère entrer dans les Temps Modernes122(*).

En février 1950, un autre shaykh d'Al-azhar, Khalid Muhammad Khalid, lançait son premier ouvrage retentissant « Min Hina Nabda » (D'ici nous commençons), dans lequel il reprend l'essentiel des thèses de `Abderraziq. Il y prêche la séparation de la religion et de l'État, donnant l'exemple du Christianisme dans les pays européens.

Le rôle de l'Église, dit-il, est l'apostolat, l'éducation et la direction morale. Par contre, le but du gouvernement est de poursuivre l'intérêt social de la nation, c'est pourquoi il peut prendre différentes formes pourvu qu'elles conviennent au peuple intéressé123(*).

Il n'est enfin sans rappeler les efforts de Taher Haddad en Tunisie, qui est le premier à libérer ou émanciper la femme, ainsi que les apports de Qasim Amin en Égypte qui a aussi appeler à affranchir la femme, le mouvement nationaliste en Égypte avec Mustapha Kamil Pacha (1874-1909), `Orabi pacha, Sa'ad Zaghloul, `Abdallah Al-nadim et Adib Is'hâq, ainsi que le révolté `Abdul Rahman Al-kawakibi (1854-1902).

Tous ces pré-réformistes et réformistes modernes ont essayé de concilier religion et raison et on essayé de trouver dans la religion le synonyme des idées nouvelles apportées par la modernité.

Cependant, d'autres, ont eu l'audace d'essayer de confronter l'Islam aux réalités nouvelles et de laisser la modernité secouer les dogmes religieux.

B / LES NOUVEAUX PENSEURS ou les penseurs contemporains

Alors que le Califat a été un sujet de discorde entre dirigeants musulmans, ce sujet a été peu évoqué depuis 1924. De nombreux musulmans souhaiteraient le rétablissement du Califat, mais des restrictions, ainsi que l'activité politique de nombreux pays musulmans combinés aux obstacles pratiques à l'unification de plus de cinquante États-nations en une seule institution, ont limité les efforts pour faire revivre cette institution désormais archaïque.

Du coup, la voie était grande ouverte devant les penseurs qui sont pour l'adoption de la démocratie comme un choix inéluctable.

D'abord,'Abdul Karim Soroush (de son vrai nom `Hossein Dabbagh) est considéré comme un des penseurs musulmans contemporains parmi les plus importants. Certains ont cru pouvoir le qualifier de « Luther de l'Islam ».

Diplômé en Pharmacologie de l'Université de Téhéran, maîtrisant parfaitement les connaissances de Fiqh et d'Usul (fondements), bouleversé par la situation politique agitée de son pays Iran, il commence alors à s'interroger sur la question des relations entre politique et religion. Diplômé de l'Université de Londres en histoire et en philosophie des sciences, il accorde une grande importance à l'étude de la philosophie des religions.

Alors que certains penseurs musulmans contemporains auraient tendance à soutenir que l'Islam doit être reconstruit ou revivifié afin de satisfaire les besoins des musulmans dans le monde moderne, Soroush pense que toute tentative de reconstruire l'Islam est à la fois futile et illusoire.

Faut-il vouloir changer la religion, ou bien convient-il de changer la compréhension que l'on a de la religion ? Voilà une des grandes questions que soulève Soroush.

En effet, il veut libérer la religiosité des éléments et des compréhensions superflus et stagnants qui obscurcissent l'essence de la religion, et il a le souci de pourvoir la religion de moyens et de valeurs extra-religieux permettant un dialogue fructueux entre raison et Révélation124(*).

Comment réconcilier éternité et temporalité ? Le sacré et le profane ?

Le remède à apporter est dans sa théorie de « la contraction et de l'expansion de la connaissance religieuse ».

Il explique sa théorie de la sorte : « L'intention de ma thèse de la contraction et de l'expansion est qu'un texte ou un événement soient fondamentalement ouverts à une multitude d'interprétations ou à une pluralité de lectures »125(*).

Il admet la perfection du Coran et l'imperfection de la raison humaine qui a un besoin constant de reconstruction.

Sa théorie est une théorie interprétative et épistémologique. « Nous somme toujours plongés dans un océan d'interprétations » affirme-t-il. « Le texte ne vous parle pas. Vous devez le faire parler en lui posant des questions. L'interprétation dépend de nous et pas du savant devant nous, car si l'on ne lui pose pas de questions, et pas n'importe quelle question, il va rester silencieux » conclut-t-il.

Il affirme que toutes les sciences et tous les domaines de connaissances sont dans un état de transformation constante. Il faut les rattraper.

Dans son commentaire de la thèse de Huntington, « Le Choc des civilisations », il conclut au fait que le malaise de l'Islam126(*) c'est qu'il est compris comme une identité et non pas comme une vérité.

Il appelle à la réconciliation de la religion et de la démocratie. Il admet que les valeurs de libertés, de justice, de droits politiques, de démocratie, des droits de l'Homme relèvent de la philosophie politique. Pour que la religion ne se heurte pas à ces idées nouvelles, elle doit accepter la théorie de l'évolution du savoir.

L'idée des droits de l'Homme127(*), selon lui, se discute en dehors de la religion parce qu'elle précède la croyance.

La pensée musulmane d'aujourd'hui a besoin d'adopter le raisonnement critique et non pas la raison herméneutique traditionnel. Les paradigmes religieux doivent être revisités, il souligne aussi la fracture épistémologique causée par la modernité. Pour lui, c'est notamment en raison de l'absence d'une approche philosophique que la modernité a touché le monde musulman d'abord à travers la politique et à travers les avancées technologiques.

Les penseurs musulmans ont ainsi pu se préoccuper des questions politiques de la modernité : sécularisme, pluralisme, libertés publiques, droits de l'Homme, droits de la femme, individualisme. En revanche, selon lui, il y a des caractéristiques philosophiques plus fondamentales de la modernité qui ont besoin d'être identifiées, pour que soit définie la position de l'Islam par rapport à la modernité128(*).

Il attire l'attention d'abord sur la nécessité d'abandonner la raison herméneutique au profit de la raison critique. Ensuite, il rejette catégoriquement la notion absolutiste de la vérité et de la certitude mathématique des vérités. Il rejoint sa voix au profit du scepticisme moderne qui est à la base de la question du pluralisme démocratique.

Il attire l'attention aussi au fait que l'Islam a toujours parlé des devoirs et des obligations de l'être humain alors que la modernité est préoccupée par les droits. Il invite à la sécularisation pour pouvoir accepter ces piliers de la modernité.

Enfin, il propose une religiosité instruite et réfléchie, qui sache conjuguer raison et spiritualité. Imbu dans le mystique, il appelle à la foi par amour et non pas par obligation.

Selon lui, l'essence de la religion, c'est l'Amour de Dieu et des autres. Son exemple est l'expérience prophétique de Mahomet.

Quant à Mohammed Arkoun, Professeur émérite à la Sorbonne où il a enseigné l'histoire de la pensée islamique, il est considéré comme un intellectuel totalement libre. Pour lui, réfléchir veut dire transgresser, déplacer et dépasser, et c'est à partir de cette « triade conceptuelle » qu'il effectue sa lecture critique des textes de la tradition religieuse.

Fondateur de l'«islamologie appliquée », il la présente comme le fait d'étudier le texte coranique, puis les textes seconds de la tradition, selon une méthode « déconstructive » d'archéologie des connaissances. En d'autres termes, il s'agit de clarifier le passé pour construire le futur. Se référant au commentateur Al-râzî (12e siècle), qui avait lui-même effectué une lecture historique du texte coranique en utilisant, pour cela, tous les instruments de son temps (astronomie, médecine, sciences naturelles, rhétorique, histoire, ...), il affirme que l'étude de l'Islam doit tirer parti de toutes les sciences aujourd'hui disponibles, plus particulièrement la linguistique moderne et l'anthropologie.

Ainsi, il soumet la religion à la raison interrogative et à la déconstruction scientifique inspirée de la théorie de J. J. Dérida.

Il déplore le fait que les pouvoirs politiques et religieux ont imposé une clôture logocentrique et dogmatique qui représente une fracture colossale et décisive dans l'histoire de la pensée islamique.

Sauf qu'il oppose un refus épistémologique à l'idée de la laïcité129(*) basé sur la différence entre l'histoire d'Orient et d'Occident130(*).

Il n'est pas sans rappeler aussi les idées d'un autre penseur contemporain, à savoir Fazlur Rahman qui, quant à lui, milite pour une nouvelle approche du Coran et de la Révélation.

Savant pakistanais né en Pakistan en 1919 et mort aux Etats-Unis en 1988, maîtrisant le savoir islamique traditionnel complet [à savoir fiqh (jurisprudence ou doctrine), `ilm al-kalam (théologie didactique), hadith (traditions prophétiques), tafsîr (exégèse coranique), mantiq (logique) et falsafa (philosophie), ainsi qu'il connaît par coeur l'intégralité du Coran depuis l'âge de dix ans, ajoutant à cela qu'il maîtrise parfaitement neuf langues dont le français, l'anglais, l'arabe, l'allemand, le persan, le latin et le grec], il continuait ses études doctorales en philosophie à Oxford.

Il fut la connaissance de Abu `Ala Mawdudi, le fondateur du parti de la Jama'at-i-Islami, qui élaborera plus tard la théorie de l'État islamique moderne. Comme tous les penseurs de l'Islam, Rahman en appelait au rétablissement de l'ijtihâd. Il appelle aussi à l'obligation d'aborder le Coran comme un tout et dans son historicité, ainsi qu'à la nécessité d'adopter une approche thématique et éthique du Coran. Il s'approche ainsi du penseur Muhammad Iqbal.

D'autres penseurs non moins importants à savoir, d'abord, Amin Al-khûli et Muhammad Khalafallâh qui sont considérés comme les précurseurs de l'analyse littéraire moderne du Coran.

Ensuite, l'on a Taha `Hussein qui, quant à lui, il s'intéressait à la comparaison du Coran à la poésie préislamique.

Pour ce qui est de Nasr `Hamid Abû Zayd, il s'intéressait à l'exégèse coranique.

Il appelle à échapper au poids des exégèses idéologique et herméneutique. Il conseille de se prémunir contre les lectures tendancieuses par une herméneutique rigoureuse.

Il disait toujours que « Le Coran est un texte linguistique, un texte historique et un produit culturel ». En effet, il est un linguiste par excellence.

Dans le même ordre d'idées, Farid Esack, né en Pakistan en 1957, admet de même l'historicité du Coran et l'existence des idées de libération et du pluralisme dans le message divin. Il prône la théorie de l'herméneutique de réception qui s'intéresse au processus d'interprétation et à la façon dont des individus ou des groupes différents se le sont approprié ou se l'approprient. Elle prend en compte le texte et son public originel, mais également la transformation entre les perspectives passées et présentes. Il redéfinie tant de concepts coranique comme le Jihâd, Al-tawhid, Al-taqwa ...

Enfin, `Abdelmajid Charfi et Mohammed Talbi, deux penseurs tunisiens contemporains qui se sont intéressés au message du Prophète et au phénomène mohammadien. Charfi se pose la question de savoir comment en est-on venu à une religion législative ?

Il conclut au fait que la Chari'a (la voie en arabe, qui est La loi islamique), n'est pas imposée et mentionnée par la Révélation. Cette « voie » est à ouvrir et à réouvrir d'une façon continuelle, et ce chaque fois dans un sens ou une destination qui s'adapte avec les besoins de l'actualité.

Il s'attaque après au problème de l'institutionnalisation de la religion après la succession du Prophète. Il démontre que les musulmans de l'époque ont eu du tort de lier foi et loi, profane et sacré, politique et religieux.

Il appelle à la modernisation de la conscience musulmane, et contrairement à Fazlur Rahman, il pense que la laïcité n'est pas obligatoirement athée, et il est convaincu qu'elle offre un chemin d'émancipation aux sociétés musulmanes.

Des penseurs tunisiens contemporains comme Yadh Ben Achour, Mohammed Charfi, Hamadi Rdissi, Mohammed Chérif Ferjani et beaucoup d'autres, s'inscrivent tous dans la même lignée que `Abdelmajid Charfi et Muhammed Talbi. Tous acceptent l'historicité du Coran, la laïcité131(*) et la sécularisation comme un remède au malaise de l'Islam.

Ils s'attaquent à l'idée d'une « laïcité islamique » selon lequel « l'Islam règne, l'État gouverne » proposée par d'autres penseurs, ainsi le culturaliste Sanson132(*).

Ils concluent à ce que, faisant l'obider dictum de la laïcité, les contemporains l'ont ainsi sacrifiée sur l'autel des questions linguistiques et épistémologique, voire même ontologique.

Ils ont enrichi l'arsenal philosophique arabo-musulman au détriment d'un vrai débat sur la modernité et les autres concepts qu'elle véhicule.

En définitive, ils concluent que toute démocratie parachutée, non encore mûre, non préparée par une révolte (États-Unis, France, ...) ou un débat ou une discussion mais précipité, surtout après un mouvement de décolonisation, débauche en toute logique sur le despotisme et l'usurpation du pouvoir. Du coup, ils appellent à préparer les esprits et à ne pas barrer la route à toute discussion et débat libre et discursif.

« Le Fanatique (...) est incorruptible : si pour une idée il tue, il peut tout aussi bien se faire tuer pour elle ; dans les deux cas, tyran et martyr, c'est un monstre. Point d'être plus dangereux que ceux qui ont souffert pour une croyance : les grands persécuteurs se recrutent parmi les martyrs auxquels on n'a pas coupé la tête ».

Cioran

CONCLUSION

L

'Islam se divise en deux grandes périodes. La première est celle de la Révélation coranique et de la mission prophétique. La deuxième est celle de la période califale et des fondements du pouvoir.

En effet, la deuxième, à vrai dire, ne fait pas partie de l'Islam, car la religion, toute religion, est basée sur la seule période de la Révélation au vivant du Prophète. Tout ce qui se passe après relève de l'application humaine, désarmée alors de la sagesse d'un Prophète et livrée à son propre sort et à son libre arbitre en vue de décider de la portée à donner au message divin.

Tous les courants d'idées en Islam médiéval, moderne et contemporain, ont pris par l'analyse notamment la première période. En revanche, la deuxième période, abstraction faite des écoles médiévales133(*) et modernes, a été négligée, pour ne pas dire, escamotée voire même enterrée vive, par les penseurs contemporains. Cela s'explique parfois par une crainte de la vengeance du pouvoir, ce qui est toujours le cas, ou par un refus catégorique d'imaginer un alternatif à une institution moribonde, à savoir le Califat.

Il en découle que les penseurs contemporains ont plutôt travaillé d'arrache-pied sur la question épistémologique et linguistique du Coran.

Peut être, parce qu'ils étaient convaincus que « toute époque pour laquelle son propre passé est devenu problématique à un degré tel que le nôtre, doit se heurter finalement au phénomène de la langue ; car dans la langue ce qui s'est passé a son assise indéracinable, et c'est sur la langue que viennent échouer toutes les tentatives de se débarrasser définitivement du passé »134(*).

Qui s'occupe alors de cette deuxième période à savoir des fondements du pouvoir ? Qui décide de la légitimité de la politique et du pouvoir ?

Les sectes et fractions musulmanes, il est vrai, ont abordé ces questions de légitimité et de fondements des pouvoirs. Mais, ils n'étaient que des partis politiques et leurs idées ou positions étaient dénuées de toute rigueur philosophique et politico-juridique.

En effet, ils n'avaient formulé que des prises de positions politiques pour fonder leur réclamation du pouvoir. De plus, ils puisaient leurs arguments du registre religieux et du coup, ils n'ont pas pu se démunir de l'idée que politique et religion font un seul unique.

En monde musulman, l'idée d'autonomie individuelle est impensable. La légitimité dont se réclament les différents régimes politiques est incapable de penser le destin des individus en dehors du destin collectif : en l'absence d'une société civile, l'État et la société y fusionnent totalement. Les obstacles à la démocratie y sont de deux ordres : politique et religieux.

De nos jours, la culture politique en Islam génère un despotisme de l'autorité et une conception patrimoniale du pouvoir, de telle façon que certains ont parlé, dans un esprit critique, de despotisme arabe comme un régime politique135(*). Par ailleurs, depuis le 11e siècle, la théorie de la politique dominante chez les musulmans a été celle de l'obéissance passive à l'autorité de fait.

Quant à l'islamisme, il considère que les droits de l'Homme dépendent entièrement de la Révélation coranique.

Le monde politique dans le monde musulman est marqué par un modèle social qui structure et régule l'ordre politique, par une très forte personnalisation du pouvoir et le recours constant à la coercition. Il n'y existe pas de scène politique au sens d'espace public.

Les régimes, notamment arabes, étant à la fois religieux et politiques sont enfermés dans un monisme qui induit un ordre consensuel dans lequel le conflit et à priori refusé.

Selon Joseph Maila136(*), deux logiques ont été mises en oeuvre dans ces régimes : la logique de restitution et la logique de rétribution.

La première tend à produire une mobilisation nationaliste137(*). Il s'agit dans le passé de restituer le passé arabe.

Dans cette ligne, il est évident que les droits de la nation l'emportent et que celle-ci a des droits sur l'individu.

La question de la démocratie est considérée comme non-pertinente, du moins ajournée138(*). Du coup, "la modernité" elle-même se trouve reportée de façon sine qua non.

Or, est-il possible de reporter l'écoulement du temps, la marche des siècles ?

Pour la logique de rétribution, il importe de préserver le statu quo, maintenir ce qui est, à savoir l'ordre hiérarchique régnant.

Les rapports traditionnels de domination indiquent clairement que chacun doit rester à sa place139(*). Les bureaucraties des pays qui suivent ce modèle assurent une gestion du social dénuée de toute volonté de transformation comme cela pouvait être le cas dans les projets socialistes de la logique de restitution.

La légitimation, autoritaire dans les deux logiques, se conforte par un système d'appellations qui consacrent les leaders. On peut les classer selon trois ordres :

Le premier, celui de la guidance, met l'accent sur le rôle qui revient au chef de l'État. Ce dernier commande la marche glorieuse de la nation140(*).

Le second, celui de la militance, a trouvé une concrétisation dans la lutte des États du Moyen-Orient contre Israël. On parle alors du Président militant (Al-raîs Al-monadhel) comme Jamal `Abd Annasser ou Anwar Assadat en Égypte.

Enfin, l'ordre de la révérence fonde la légitimité de type religieux141(*).

On n'est pas pour autant dans l'ordre du charisme, abstraction faite du cas de la Tunisie142(*), car il n'y a pas d'adhésion populaire.

Très logiquement, la violence est devenue un mode d'action de ces pouvoirs avec, comme corrélat, l'interdiction de toute critique politique organisée. La violence remplace l'assisse populaire du pouvoir politique, « Il n'est pas étonnant dès lors que les habitants des pays arabes apparaissent loin du mouvement historique vers la démocratie : rien ne leur permet de s'y inscrire »143(*).

Même la Déclaration islamique Universelle proclamée à Paris le 19 septembre 1981 est d'une ambiguïté fondamentale dans la mesure où les droits énoncés sont fondés sur la Loi islamique. Le texte de 1981 se réfère explicitement à la shari'a, la Loi musulmane (Islamique).

Cette Déclaration en est une pure objectivation la réduisant à une Déclaration des droits islamiques de l'Homme musulman avec une certitude que l'idéologie islamiste est un message universel pour la libération de l'homme144(*).

Partant d'une pensée enchaînée par l'obsession des grandeurs passées, en passant par des traumatismes et difficile réveil d'une longue nuit de décadence, par un réformisme porteur d'illusion de conciliation de la modernité et de la tradition, par un réformisme conciliateur suivit d'une confrontation entre un traditionalisme radical et un modernisme boiteux, par une radicalisation traditionaliste et un modernisme écartelé entre jadis et ailleurs en arrivant à des réformistes marginalisés145(*), « l'Islam n'a pas connu de Temps modernes, ce qui explique les difficultés qu'éprouvent aujourd'hui les musulmans à s'opposer de façon argumentée à l'islamisme »146(*).

La résurgence islamiste, progressiste, totalitariste, salafiste, fondamentalisme, intégriste, jihadiste, extrémiste, wahabiste, chauviniste, radicaliste voire même, selon certains, terroriste147(*), laisse apparaître sur la surface un débat tronque et un discours identitaire148(*).

Cela aboutit, entre autres, au rejet systématique de la théocratie et du principe laïque149(*).

Ce qui importe c'est d'en connaître les causes pour y apporter le remède adéquat car l'Islam en est innocent.

Ainsi, dans une tentative d'innocenter l'Islam, peut-on soutenir que :

D'une part, l'adage qui disait que « le vieux est toujours précieux » trouve son application parfaite chaque fois que les difficultés du présent et la peur de l'avenir suscitent les nostalgies des temps anciens et le rêve de renouer avec « la parole aurorale »150(*).

D'autre part, la destruction nihiliste des libertés et des solidarités traditionnelles, qui fait fi de toute considération pour la dignité et les droits de l'autre, commise soit par une force étrangère venue de l'extérieur ou par un despote et tyran national imposé à l'intérieur.

Mettant en évidence le lien entre cette situation et le développement du courant islamiste en Tunisie, Yadh Ben Achour dit : « Les profondes mutations sociales, la déstabilisation et le déséquilibre des classes, l'exode rural, la misère des services publics, particulièrement de celui des transports, la crise du régime lui-même en 1969 et l'essoufflement de l'État, tout cela allait contribuer à assurer le développement du nouveau mouvement islamique »151(*).

Ajoutant à cela les facteurs socio-économiques, politiques, institutionnels et internationaux et bien d'autres avatars du « chaos » caractéristique des modèles de développement sans la démocratie. Tout cela est mis, par les islamistes, sur le dos de la modernité, au profit de la « dramaturgie politico-religieuse »152(*).

Burhan Ghalioun ne soutenait pas le contraire en admettant que : « Le politique est perçu davantage comme une stratégie de contrôle carcéral que comme un instrument, par la participation aux responsabilités collectives, de développement de la conscience politique et morale des membres de la communauté. De facto incapable de construire l'État de droit, un tel politique transforme les pseudo-citoyens en hors-la-loi en puissance »153(*).

On en retire, comme le soutenait Karl Marx, que c'est toujours un malaise économique qui sous-tend toute réclamation identitaire et vice versa. Hegel disait déjà qu'« on n'arrive jamais à penser avec les ventres vides ».

L'oppression subie par les peuples arabo-musulmans que ce soit par leurs propres gouvernements ou soit par une force étrangère, pépin ou ironie du sort, partout dans le monde154(*), fait de lui une exception : c'est l'exception islamique155(*).

Peut-on encore imaginer une laïcité possible, une démocratie souhaitable, une sécularisation tant attendue dans le monde arabo-musulman ?

Étienne Bruno affirme que « la pensée arabo-musulmane nie toute division entre société civile et société politique »156(*). En revanche, Olivier Carré lui reproche ces dires.

Il y réplique en admettant que « C'est une idée erronée (...) avec un aplomb surprenant »157(*).

Il soutenait la thèse selon laquelle il y aurait en Islam une grande tradition largement reconnue et rendant possible un Islam laïque.

Alors que Mohamed-Chérif Ferjani, croit en une laïcité possible avec `Ali `Abderraziq158(*), Jaques Rollet159(*), quant à lui, est optimiste envers le système politique iranien où la porte de l'ijtihâd est toujours ouverte.

En définitive, et pour clore le débat, peut-on dire que pour aboutir à la conciliation tant souhaitée entre l'Islam, la démocratie et les droits de l'Homme, faut-il de prime abord repenser l'État en dehors de toute référence divine.

Somme toute, certains pays arabes ont choisi la modernité, d'autres la modernisation par la force du pétro-dollar, quelques-uns ont choisi l'autorité de la modernité, d'autres y ont préféré la modernité autoritaire.

Loin d'imposer une laïcisation d'une façon manu militari et de court circuiter d'une façon hermétique avec la religion comme en Turquie, et loin de procéder à un rejet catégorique de la laïcité tout en cherchant à interroger l'Islam sur des questions politiques comme en Iran, la Tunisie, qui est au carrefour de ces deux conceptions extrémistes, opte pour une acception médiane de l'imbrication du religieux et du politique. Du coup, elle offre l'exemple embryonnaire d'une conciliation possible.

En effet, parler de conciliation revient à admettre l'existence de deux choses antinomiques qu'on a la tâche de les rapprocher l'une de l'autre sans pour autant sacrifier l'une sur l'autel de l'autre.

Cela n'est rendu possible que par l'admission en Tunisie de l'Islam comme source matérielle du droit positif, malgré que d'aucun texte juridique ne le mentionne160(*). D'ailleurs, en 2004, la Tunisie a menacé de lever un Sommet arabe qui en est l'hôte si la condition de la femme dans le monde arabo-musulman ne fasse pas partie de l'ordre du jour du Sommet, alors qu'il est un Sommet d'urgence pour la situation de crise en Palestine.

Ainsi, après chaque échec d'entente entre eux, les arabes répètent le vieux dicton populaire du fond des âges : « Les arabes se sont entendus de ne plus s'entendre »161(*).

Néanmoins, pour ne pas être taxé de pessimisme, reprenons les dires d'Edgard Pisani : « En attendant, attendons ! Attendre : le maître mot ! ».

FIN

BIBLIOGRAPHIE

OUVRAGES GÉNÉRAUX

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* 1 Marx (Karl), La question juive, Union générale d'éditions, 10/18, Paris, 1968, p. 29 ; OEuvres choisies, Vol.1, Gallimard, Paris, 1963, p. 82.

* 2 Dans le Coran et les hadiths, Mahomet est habituellement appelé le messager de Dieu ( rasoul) (« le messager », « l'envoyé »), plus de 200 fois dans le Coran. Il est également désigné par l'expression « le prophète » ( nabi). Ces deux appellations renvoient à une distinction faite en islam entre deux catégories de personnes investies d'une mission apostolique : les messagers de Dieu, appelés aussi envoyés de Dieu, sont d'après la terminologie islamique les personnages ayant reçu la révélation de lois abrogeant les lois des messagers qui les auront précédés, avec l'ordre de le transmettre aux hommes, tandis que les prophètes reçoivent une révélation par les mêmes voies ainsi que l'ordre de transmettre un message aux hommes mais ce message ne leur est pas propre, il est celui du messager qui les aura précédés. Selon cette classification, tout messager est un prophète mais ce n'est pas tout prophète qui est messager. Les uns comme les autres reçoivent la révélation mais seuls les messagers reçoivent un livre ou une loi nouvelle.

Selon la tradition musulmane il y aurait 124 000 prophètes et 313 messagers, le premier d'entre eux étant Adam, le premier des humains, et le dernier, Mahomet, l'un comme l'autre étant des prophètes messagers.

* 3 De nombreux autres noms lui ont été attribués, soit de son vivant, soit par la tradition islamique.

On en compte 201, dont Al-Mustafâ et Al-Mukhtâr qui signifient « l'élu », Al-Amine qui signifie « le loyal », Ahmad et Mahmoud qui sont dérivés de la même racine que Mohammed. La version arabe Mouhammed qui signifie en arabe « Celui qui est digne de louanges ». Le terme français Mahomet est une déformation du turc Mehmet. Mouhammed devient Muhammet ou Mehmet en Turquie, Mohand en langue berbère, et Mamadou dans certains pays d' Afrique noire par déformation de la forme déclinée au nominatif Mouhammadou.

* 4 Un débat récent qui a fait l'objet d'une pétition expédiée à l' Académie française estimait : « Mohammed signifie en arabe, "le Béni". Et ce sens est parfaitement apparent dans le terme lui-même alors que Mahomet proviendrait au dire de ces pétitionnaires de l'expression Mâ `houmid qui en est la négation, c'est-à-dire en langue arabe "qu'il soit non béni"».

* 5 Il est à noter que l'épargne musulmane étant calculée en grammes d'or et non en monnaie contemporaine, le nombre ci-dessus est variable d'années en années.

* 6 Le Coran, Sourate 2, La génisse, Verset 185, Traduction Régis Blachère, Éditions Maisonneuve et Larose, Paris, 1999.

* 7 La Chariaen langue arabe veut dire « la voie » à suivre.

* 8 Cependant, il est préférable, à notre sens, d'utiliser le terme "droit musulman ou loi islamique" au lieu du terme "Loi musulmane" car la loi, bien entendu, n'a pas de foi.

* 9 As-Saff 61.6 : « Et quand Jésus fils de Marie dit : "ô Enfants d'Israël, je suis vraiment le Messager d'Allah [envoyé] à vous, confirmateur de ce qui, dans la Thora, est antérieur à moi, et annonciateur d'un Messager à venir après moi, dont le nom sera «Ahmad». Puis quand celui-ci vint à eux avec des preuves évidentes, ils dirent : «C'est là une magie manifeste».  Il ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu'il aura entendu, il le dira, et il vous annoncera les choses à venir"».

* 10 Il est considéré comme étant le premier philosophe arabo-musulman.

* 11 L'islam est la religion la plus répandue après le Christianisme, et actuellement celle avec la croissance la plus rapide.

Selon certains, il comporte maintenant plus que 1,5 milliards de croyants, soit plus que 20 % de la population du monde.

La diffusion de l'Islam hors du monde arabo-musulman traditionnel s'explique par la croissance des flux migratoires à partir des pays de religion et de culture musulmane, ainsi que du prosélytisme de certains musulmans.

* 12 Il y a 300 millions d'Arabes, dont 20 millions sont chrétiens. Au final, seulement 25 % des musulmans vivent dans le monde arabe, un cinquième sont situés en Afrique sub-saharienne, et la plus grande population musulmane du monde est en Indonésie.

Il y a des populations musulmanes importantes au Nigeria, Bangladesh, Afghanistan, Pakistan, en Iran, en Indonésie, en Chine mais aussi en Europe, dans l'ancienne Union soviétique, et en Amérique du Sud. Il y a presque sept millions de musulmans aux États-Unis et presque autant en France.

* 13 Aujourd'hui, le panislamisme est largement représenté par des mouvements religieux comme les frères musulmans, des organisations anti-nationalistes qui préfère l' Oumma (Communauté des croyants) à la nation (watan). Cette idéologie connaît beaucoup de succès dans les pays arabes, mais elles semblent moins séduire les foules dans les pays non-arabes.

Au niveau politique, Al-Qaida se place en tant que panislamique, réclamant une nation musulmane allant du Maroc jusqu'aux Philippines.

Le ` Hamas est un parti dont l'idéologie est panislamique. Pour le Front islamique d'Action, le panislamisme représente le Proche-Orient (sans l'Égypte et sans la moitié de l'Irak).

* 14 Ibn Kholdoun (`Abd Arra'hmann), Al-mouqaddima (Le prolégomène), Trad. Monteil, Dâr Al-kalam, Beyrouth, 1967 et 1981, Paris, Sindbad, 1979 : Père fondateur de la sociologie, né en Tunisie en 1332 et mort en Égypte en 1395. Connu pour ses intrigues politiques échouées, tissues pour renverser les rois en Afrique du nord.

* 15 Selon le Coran, l'Islam est la religion qui est venue pour englober celles qui l'ont devancée : « La Religion, aux yeux d'Allah, est l'Islam... », Le Coran, Sourate 3, La famille de `Imrân, Verset 17/19, Traduction Régis Blachère, Éditions Maisonneuve et Larose, Paris, 1999, p. 78 ; Il y est indiqué de même que tous les anciens prophètes sont des musulmans : « Abraham ne fut ni juif ni chrétien, mais fut hanîf et soumis (muslim) [à Allah] ; il ne fut point parmi les Associateurs », «En vérité, les plus liés des Hommes à Abraham sont certes ses adeptes, ce Prophète et ceux qui croient. Allah est le patron des Croyants » ; Le Coran, Sourate 3, La famille de `Imrân, Versets 60/67 et 61/68, op. cit., p. 84.

* 16 Dar al-Islam et ses termes associés ne figurent pas dans les textes fondamentaux de l'Islam qui sont le Coran ou les Hadiths.

Les disciples musulmans maintiennent que marquer un pays ou un lieu comme Dar al-Islam ou Dar al-Harb concerne la question de la sécurité religieuse sur le plan juridique. Cela signifie que si un musulman pratique l'Islam librement, alors il peut être considéré comme vivant dans un espace dit Dar al-Islam, même s'il vit dans un pays non-islamique. En ce qui concerne Dâr al-`harb (domaine de la guerre) est un terme utilisé pour désigner les lieux en dehors du droit musulman. Ce terme désigne traditionnellement les terres administrées par des gouvernements non-musulmans. Les habitants du Dâr al-`Harb sont appelés ` harbi.

* 17 Ce terme fut inventé pour décrire la relation de l'Empire Ottoman avec ses provinces chrétiennes tributaires. L'invention Dar al-Ahd fut nécessaire en tant que vision du monde prévalente à l'époque où une paix prolongée avec les États non-musulmans n'étaient pas permise même sous domination musulmane.

Actuellement, le mot désigne les gouvernements non-musulmans qui ont des accords d'armistice ou de paix avec des gouvernements musulmans. Le statut actuel du pays non-musulman en question peut changer de celui d'égalité reconnue à celui d'état tributaire.

* 18 C'est le terme utilisé par le prophète Mahomet pour désigner la société de la Mecque dominé par les Koraïchites entre son voyage à Médine et son retour triomphant. Pour la majeur partie de l'histoire islamique, le terme sert à décrire les sociétés non-islamiques a toujours été dar al-Harb, soulignant l'aspiration des divers pays islamiques pour conquérir de tels territoires et pour les rendre une partie du Dar al-Islam. Une énonciation en arabe traditionnel attribué à Mohammed dit: "l'incroyance est une communauté", en d'autres termes, "les infidèles sont une nation", exprimant la vision que les distinctions entre différents types de non-musulmans sont insignifiantes par rapport à ce qui sépare entre musulman et non-musulman.

* 19 C'est le terme proposé par les philosophes musulmans occidentaux pour décrire le statut des musulmans dans le Monde occidental. La séparation de l'Église et de l'État est un concept relativement récent dans la philosophie islamique, et Dar al-Shahada est un parmi d'autres termes créés dans l'effort de le décrire. Ceci mettant à bat les lois médiévales qui interdisaient aux musulmans de vivre dans des secteurs dominés par des non-Musulmans.

* 20 C'est le terme utilisé pour décrire une région de l'Islam qui est entrée récemment. Puisque la population n'a pas été exposée à l'Islam avant, ils peuvent ne pas s'adapter dans la définition traditionnelle de dar al-`Harb. Par ailleurs, comme la région n'est pas musulmane, cela n'est pas Dar al-Islam non plus.

L'utilisation la plus fréquente du terme Dar d'Al-Dawa est pour décrire l' Arabie avant et pendant la vie du Prophète.

Plus récemment, le terme Dar al-Dawa a été proposé par les philosophes musulmans occidentaux pour décrire le statut des musulmans en Occident.

* 21 Toutefois, selon Lambert, « Il s'agit donc bien d'une catégorie relevant non pas du droit, mais bien de la "classification de l'Autre", au sens philosophique et ethnologique de ce terme. Cependant, son importance provient de l'utilisation qui en a été faite par les légistes au service des gouvernants dans divers États se réclamant de l'Islam » : Lambert ( Pierre-Yves), « L'Élargissement du concept d'Ahl Al-kitab en Islam à des religions autres que celles explicitement mentionnées dans le Coran », Travail d'Études approfondies de questions d'anthropologie sociale et culturelle à l'Université Libre de Bruxelles, 1986, p. 2.

* 22 Ces anciens Livres révélés sont : Al-Tawrât (la Torah), Al-Zabûr (le Psautier), Al-Indjîl (l'Evangile), voir : Vajda (G.), Ahl al-kitâb, in : Encyclopédie de l'Islam (E.I.), nouvelle édition, Paris-Leyde, 1961.

* 23 Pour le statut réservé aux autres religions, voir : Lambert ( Pierre-Yves), op. cit..

* 24 Ce statut inclut le paiement de la Djizyah, le statut de protection, la liberté de culte, etc.

* 25 Par exemple, les hommes musulmans ne peuvent épouser des femmes hindoues sauf si elles se convertissent.

* 26 Contrat par lequel "la Communauté musulmane accorde hospitalité-protection aux membres des autres religions révélées, à condition qu'eux-mêmes respectent la domination de l'Islam", voir Cahen (Claude), "Dhimma", in Encyclopédie de l'Islam (E.I.), nouvelle édition, Paris-Leyde, 1961.

* 27 Cahen (Claude), "Djiziya", in Encyclopédie de l'Islam (E.I.), nouvelle édition, Paris-Leyde, 1961.

* 28 « Ne dispute avec les Détenteurs de l'Écriture que de la meilleure manière sauf avec ceux d'entre eux qui ont été injustes. Dites : "Nous croyons en ce qu'on a fait descendre vers vous et en ce qu'on a fait descendre vers nous. Votre Divinité et notre Divinité sont une, et nous Lui sommes soumis (Muslim)" », Le Coran, Sourate 29, L'araignée, Verset 45/46, op. cit., p. 426.

* 29 Par exemple : « Ô vous qui croyez !, Ne prenez point les Juifs et les Chrétiens comme affiliés [pour alliés] : ils sont affiliés [alliés] les uns avec les autres. Quiconque, parmi vous, les prendra pour affiliés [alliés], sera des leurs. Allah ne conduit point le peuple des Injustes ». Le Coran, Sourate 5, La table servie, Verset 56/51, op. cit., p. 141.

* 30 En Iran contemporain, les fêtes mixtes sont par exemple interdites pour les musulmans mais autorisées pour les non-musulmans, idem pour la culture des vignobles et la fabrication du vin. Les gens du livre bénéficient par ailleurs de sièges réservés aux Parlements iranien, jordanien et palestinien par exemple, alors que leur faiblesse numérique ne leur permettrait pas autrement d'avoir une présence en tant que telles au Parlement.

* 31 Le Coran, Sourate 4, Les femmes, Verset 38/34, Traduction Régis Blachère, Éditions Maisonneuve et Larose, Paris, 1999, p. 110.

* 32 Ce Mufti de la Mosquée d'Al-azhar en Égypte, trop suivi dans ses fatawa en monde musulman, résume les justifications traditionnelles de ce postulat en précisant que : «L'homme est le seigneur de la maison et le maître de la famille d'après sa constitution, ses prédispositions naturelles, sa position dans la vie, la dot qu'il a versée à son épouse et l'entretien de la famille qui est à sa charge » : Qaradhâwî (Youssef), Le licite et l'illicite en Islam, 3e éd., Al-Qalam, Paris, 1995, p. 207.

* 33 Le "moderniste" Abbâs Mahmûd Al-`aqqâd défend le même point de vue en invoquant les mêmes références religieuses et les mêmes arguments quant aux différences naturelles entre l'homme et la femme : Mahmûd Al-`aqqâd (Abbâs), Al-mar-a fî-il-qurân (La femme dans le Coran), Al-maktaba al-`açriyya, Beyrouth ; Hassan Al-Banna ne disait pas autres chose en affirmant que : « La différence entre l'homme et la femme dans les droits est la conséquence des différences naturelles des rôles attribués à chacun des deux sexes ; elle est nécessaire pour protéger leurs droits respectifs » : Al-Banna (Hassan), Al-mar-â al-muslima (La femme musulmane), Dâr Al-jîl, Beyrouth, 1971, p.7.

* 34 Qutb (Sayed), Al-`adala al-ijtima'iyya fi al-Islam (La justice sociale en Islam), Dâr Al-shurûq, Beyrouth, 1983, p. 48.

* 35 Qaradhâwî dit à ce propos : « La femme ne doit pas désobéir à son mari, ni se rebeller contre son autorité, provoquant ainsi la détérioration de leur association, l'agitation dans leur maison ou son naufrage du moment qu'elle n'a plus de capitaine » : Qaradhâwî (Youssef), op. cit., p. 207.

* 36 Voir la définition des cas du Nushûz : Rabîh' (Warda), in revue Al-ma'rifa, n° 10, 1er octobre 1978, p. 25.

* 37 Cependant, le mari peut retrouver sa femme après deux répudiations, autrement dit, il peut revenir sur sa décision. Toutefois, la troisième répudiation vaut rupture absolue voire éternelle du lien conjugal.

* 38 Ferjani (Mohamed - Chérif), Le politique et le religieux dans le champ islamique, Fayard, Paris, 2005, p. 278.

* 39 Le Coran, Sourate 4, Les femmes, Verset 38/34, op. cit., p. 111.

* 40 Le Coran, Sourate 2, La génisse, Verset 282, op. cit., p. 73.

* 41 La matière successorale en droit tunisien est considérée comme le dernier bastion non encore atteint par la vague de laïcisation qui a commencé dans les textes officiels depuis 1956, mais trop avant dans les esprits des réformistes tunisiens ainsi que dans la pratique populaire. Le droit successoral relève donc toujours de la Shari'a islamique. Il est régi par ces quelques Versets coraniques. En effet, la Tunisie récapitule et met un terme à cette pratique sous les menaces de l'Iran et des autres pays du Golfe de l'exclure de la Conférence islamique vu qu'elle risque de perdre les conditions de son admission comme membre dans cette organisation régionale. Selon eux, l'État Tunisien n'est plus régie par l'Islam et risque de dégénérer en un État athée, pour ne pas dire laïque.

* 42 Le Coran, Sourate 4, Les femmes, Verset 175/176, op. cit., p. 130.

* 43 Associateur ou Associatrice (Mushriq ou Mushriqa, pluriel Mushriqinn) veut dire, dans le sens du Coran, celle ou celui qui associe à Dieu une autre divinité. Autrement dit, il est entendu parler en l'occurrence des polythéistes.

* 44 Le Coran, Sourate 2, La génisse, Verset 220/221, op. cit., p. 61.

* 45 Qaradhâwî n'est pas le seul à oublier cette précision contextuelle. Il ne s'empêche pas d'affirmer de façon catégorique, sans l'ombre d'aucune preuve, qu'il s'agit là d'une interdiction formelle adressée à la femme, et ce en ces termes : « Il est interdit à la musulmane d'épouser un non-musulman, qu'il soit ou non des gens du Livre » : Qaradhâwî (Youssef), Op. cit., p. 189.

* 46 Le Coran, Sourate 5, La table servie, Verset 7/5, op. cit., p. 133.

* 47 Ferjani (Mohamed - Chérif), Op. cit., p. 282.

* 48 Le Coran, Sourate 4, Les femmes, Verset 3, op. cit., p. 104.

* 49 Ibid, Verset 128/129, p. 124.

* 50 Ferjani (Mohamed - Chérif), Op. cit., p. 286.

* 51 Voir l'analyse que fait de cette notion, A. Bouhdiba dans La sexualité en Islam, 2e éd., PUF, Paris, 1979, p. 52.

* 52 Le Coran, Sourate 33, Les factions, Verset 59, op. cit., p. 453.

* 53 Le Coran, Ibid, Versets 30 et 31, p. 379.

* 54 Appelé par eux Zinâ Berra-i-`ha, à savoir adultère par l'odeur.

* 55 Ferjani (Mohamed - Chérif), Op. cit., p. 290.

* 56 Al-Ghazâlî (Mohamed), Kifâhou Dîn (Un combat d'une religion), 3e éd., Dâr at-ta'lîf, Le Caire, 1965, p. 209.

* 57 Le Coran est le livre sacré révélé pendant 23 ans à Mahomet. Il constitue un ensemble indissociable de principes de foi et de règles de vie politico-sociales. Il est divisé en 114 sourates ou chapitres qui comportent 6.219 « Ayat » ou versets. Environ 550 sont d'une utilité juridique directe: on les appelle les versets légaux. Les thèmes traités au sein de ces versets sont différents : statut personnel (environ 70 versets), droit civil (environ 70 versets), procédure judiciaire (environ 13 versets), droit pénal (environ 30 versets), droit constitutionnel (environ 10 versets), économie et finances (environ 10 versets), droit international (environ 25 versets), ...

* 58 C'est la mise par écrit de l'ensemble des paroles et des actes (dits « Hadith ») du Prophète  « Mohamad ».

* 59 On peut évaluer entre 2000 et 3000 le nombre de « Hadith » traitant de droit. Ils relatent la manière d'être et de se comporter du prophète, modèle qui doit servir à guider les croyants. La « Sunna » est considérée comme étant le complément et l'explication du Coran. De grands docteurs de l'islam ont minutieusement recherché les « Hadiths » authentiques. On citera notamment Al Boukhari et Moslem qui représentent les deux références les plus officielles et les plus reconnues comme dignes de confiance.

Leurs travaux respectifs ont permis de classer les « Hadiths » en authentiques, bons et faibles. Seuls les premiers peuvent servir à l'élaboration des règles de droit.

* 60 L'Ijmaa ou le consensus unanime de la Communauté est la troisième source du droit musulman. Il correspond à l'accord unanime des docteurs de la loi. Il est utilisé pour approfondir et développer l'interprétation légale des sources principales.

On distingue deux sortes d '« Ijmaâ » :

a) « L'Ijmaâ » explicite : Il résulte d'une décision prise par un groupe de savants, en nombre suffisamment élevé, qui se prononce à l'unanimité, et avec l'approbation tacite des autres docteurs contemporains. Il obéit à un certain nombre de principes :

Le principe de conformité ou la non contradiction avec les sources principales, le principe d'unanimité (à ce propos, il est à noter qu'une seule voix suffit pour rompre un « Ijmaâ » au moment de sa formulation) et le principe d'irrévocabilité en vertu duquel il est interdit de revenir sur « l'Ijmaâ » explicite (On trouve l'équivalent au sein de la tradition ecclésiastique dans la doctrine catholique à propos de ce qui est accepté partout, par tous et pour toujours).

b) « L'Ijmaâ » tacite : C'est typiquement le cas d'une opinion communément admise. « L'Ijmaâ » tacite, lui, est toujours révisable, et peut éventuellement être confirmé ou infirmé par un Ijmaâ explicite.

* 61 Le Qiyas (le raisonnement analogique ou par analogie) occupe dans la hiérarchie des normes la quatrième place. Par définition, le « Qiyas » est une opération intellectuelle permettant de combiner la révélation divine et le raisonnement humain, un raisonnement reposant non seulement sur une conviction humaine, mais également sur un élément donné dans la loi. Cet élément revêt alors le statut d'indice et mène à la découverte de la règle voulue par le Législateur. Il est à noter que cette source du droit musulman a connu des réticences d'utilisation sous le motif qu'elle favorise les divergences d'opinions.

* 62 Il est finalement à souligner que d'autres sources existent mais ne sont pas communément admises. On citera notamment « Arraï » ou le jugement personnel dont le fondement se trouve dans un intérêt public. À ce stade de l'analyse, un juriste s'attend bien à une question concernant la coutume et la jurisprudence.

En réalité, celles-ci ne sont pas des sources de droit musulman. Elles ne lient pas le juge (Qadi). Cela explique l'aspect casuistique et l'absence de systématisation du droit, un point commun avec le commun Law.

Inspiré entre autres des systèmes juridiques juifs et perses, le droit musulman n'établit pourtant pas de théories générales ce qui fait son originalité. Le fait de se référer à ces sources pour prendre une décision constitue « l'idjtihàd » ou l'effort personnel du savant, effort encouragé par plusieurs « Hadiths ». On considère généralement que durant les deux ou trois premiers siècles de l'Hégire (à partir du septième siècle ap. J.-C.) fut pratiqué « l'idjtihàd » absolu des grands fondateurs. Une fois les grands axes constitués, « l'idjtihàd » devint relatif et ne s'exerça plus qu'à l'intérieur d'une même école, personne n'osant plus « s'écarter des sentiers battus ». Plus tard, on se limita à la simple acceptation passive des règles préétablies, la recherche personnelle se contentant de l'élaboration de recueils de ces décisions ou « Fatwa ».

* 63 La répression des atteintes corporelles est beaucoup plus rigoureuse que celle des atteintes aux biens. Le Coran insiste sur le respect de la vie d'autrui. A plusieurs reprises (V - 32, VI - 140, XVII - 31, LX - 12, LXXXI - 9), Mahomet dit que « tuer un homme c'est tuer tous les hommes ». Il répète, avec force, qu'il ne faut pas tuer les enfants, pratique barbare qui existait à son époque, chez les plus pauvres, et dont les filles étaient les principales victimes.

* 64 L'ijtihâd (effort de réflexion) désigne l'effort de réflexion que les oulémas ou muftis et les juristes musulmans entreprennent pour interpréter les textes fondateurs de l' islam et les transcrire en termes de droit musulman.

Le mujtahid (appliqué; diligent; zélé) est celui qui produit cet effort de réflexion de l'ijtihâd. Néanmoins, cet effort de réflexion est aussi le devoir de toute personne car si un juriste est considéré apte à extraire une réponse légale à partir des sources de l'Islam, chaque individu devra nécessairement l'appliquer individuellement à son contexte.

Aussi, si la vie ne consiste pas à s'inscrire dans des limites juridiques, chacun devra effectuer cet effort à partir des principes universels vers son contexte à titre individuel. L'ijtihâd est également une forme d'élaboration du droit.

Pour les écoles juridiques ( madhhab) sunnites, le temps de l'ijtihâd est pratiquement terminé depuis le Xe siècle avec la constitution des quatre grandes écoles de droit, un calife abbasside ayant fermé les "portes de l'ijtihâd".

En principe le musulman doit déclarer son adhésion à une école juridique particulière et s'appliquer à pratiquer le taqlid (imitation ou mimétisme). Néanmoins, les conditions de vie modernes font que certains oulémas ont tendance à demander la réouverture de l'ijtihâd.

Dans le chiisme, l'ijtihâd n'a jamais été fermé. Les mujtahids sont les porte-parole de l' imam caché. Il s'est constitué un clergé très hiérarchisé chargé de mener cet effort d'interprétation du droit musulman. En Iran ce sont les mollahs.

Si l'Ijtihâd c'est penser les principes islamiques afin de les réfléchir sur un contexte, alors nulle décision ne peut fermer cette porte. Pour ceux qui ne peuvent fournir cet effort, ils n'auront malheureusement qu'à suivre (taqlid) une école juridique dont la voie de la pensée a été fermée à l'heure actuelle.

Dans l'entreprise qui tente de concilier Islam et modernité, de nombreux auteurs et activistes musulmans lancent un ardent appel au retour du concept d'ijtihad appliqué. Ces mujtahids, bien que ne faisant pas école, sont nombreux. On peut en citer à titre d'exemple Mohammed Arkoun, Farid Esack, Abdesselam Cheddadi, Abdelwahab Meddeb.

* 65 Le Coran, Sourate 27, Les Fourmis, Verset 34, Traduction Régis Blachère, Éditions Maisonneuve et Larose, Paris, 1999, p. 407.

* 66 Ainsi Dieu parla à travers Salamon : « J'ai trouvé qu'une femme est leur reine, que de toute chose elle a été comblée et qu'elle a un trône magnifique », « Je l'ai trouvée, elle et son peuple, se prosternant devant le soleil à l'exclusion d'Allah ... », « Allah - nulle divinité sauf Lui - est le Seigneur du Trône magnifique », Le Coran, op. cit., Versets 23, 24 et 26, p. 406.

* 67 Ainsi Dieu disait à Mahomet : «[dis]" J'ai seulement reçu ordre d'adorer le Seigneur de cette Ville qu'Il a déclarée sacrée. À Lui appartient toute chose ! J'ai reçu ordre d'être parmi les Soumis [à Lui] (muslim)" », « ...  "et de communiquer la Prédication". Quiconque est dans la bonne direction l'est pour soi-même et quiconque est égaré, dis [-lui] : "Je ne suis qu'un Avertisseur" », Le Coran, op. cit., Versets 93/91 et 94/92, p. 411.

* 68 Le Coran, Sourate 3, La famille de `Imrân, Verset 153/159, op. cit., p. 97.

* 69 Le Coran, Sourate 4, Les femmes, Verset 62/59, op. cit., p. 114.

* 70 Le Coran, Sourate 4, Les femmes, Versets 64/61, 67/64 et 71/69, op. cit., p. 114-115.

* 71 Al-Sakîfa ou Sakifatt Béni Sa-`îda est le lieu où se sont réunis les Compagnons du Prophète la veille de sa mort pour préparer l'avenir et choisir un "nouveau chef".

* 72 Ibn Hichâm, As-sîra al-nabawiyya (Biographie du Prophète), Al-Bâbi El-Halabî, Le Caire, 1936, T. IV, p. 311.

* 73 Abdel Salâm (Ahmad), Dirâssât fi muçtalah is-siyâssa `inda el-arabe (Études sur le concept politique chez les Arabes), Al-charika el-tunissiyya lil taw zî', Tunis, 1978, p. 15.

* 74 Il est un débat sur la véracité de l'histoire qui racontait qu'il était demandé à quatre Compagnons du Prophète, lors de l'élection du 3ème Calife après l'assassinat de `Omar, de s'entendre sur la désignation d'un successeur d'entre eux aux plus brefs délais sous peine d'être décapités et ce pour prévenir la Fitna entre les musulmans.

* 75 Le titre n'existe plus depuis que la République de Turquie a aboli le Califat Ottoman en 1924.

* 76 L'idée de citoyen est ignorée des musulmans. En effet, ignorer l'idée de citoyen quitte à ignorer de même l'idée de nationalité.

Cela s'explique car la nationalité en Islam est d'être musulman. Il n'y a pas de frontière entre les pays musulmans, et il n'y a pas de ressortissant étranger mais de musulman. L'idée de ressortissant s'applique aux seuls musulmans dans des terres non musulmanes.

* 77 Ghalioun (Burhan), Islam et politique : la modernité trahie, Éditions La Découverte & Syros, Paris, 1997, p. 27 ; Idem à propos de l'Inde et de la Chine : Hegel, Leçons sur la philosophie de l'histoire, trad. arabe, Dâr al-tanwîr, Beyrouth, 1984, p. 128.

* 78 Lambert ( Pierre-Yves), « L'Élargissement du concept d'Ahl Al-kitab en Islam à des religions autres que celles explicitement mentionnées dans le Coran », Travail d'Études approfondies de questions d'anthropologie sociale et culturelle à l'Université Libre de Bruxelles, 1986, p.1.

* 79 Le terme de Daoûla islâmiyya (État islamique), quant à lui, est une création contemporaine pour répondre au désir des mouvements modernes d'accéder au pouvoir.

* 80 Quatrième Calife et cousin du Prophète, il est le père fondateur du Chiisme.

* 81 `Ali (alors gouverneur de l'Irak) a été élu comme successeur au Calife assassiné, sauf qu'après quelques mois de son élection, Mu'awiya, alors gouverneur de l'Égypte, dénonce sa légitimité et l'appelle à se désister sinon il lui déclare la guerre.

Après quelques batailles sans gagnant, `Ali accepte qu'il soit arbitré entre eux afin d'épargner le sang des musulmans.

* 82 Nader (Albert), Courants d'idées en Islam : Du sixième au vingtième siècle, Médiaspaul, Canada, 2003, p. 6.

* 83 Sourdel (Dominique), L'Islam, Paris, P.U.F., Coll. "Que sais-je ?", 13e éd., 1984, p.75.

* 84 Lambert, pour ce qui est de ces sectes, parle plutôt de « religions et "sectes post-coraniques" issues de l'Islam », il d'ajoute que ce sont « des doctrines idéologico-religieuses issues de l'Islam ». Il avance l'exemple du Druzisme, "créé" en 1017 par le Calife Al-Hakem Bi-amrillah. Quant au Kharéjisme, au Zaïdisme et à l'Isma'ilisme, selon lui, ils relèvent bien plus des "chiismes politiques" que des "chiismes religieux", bien qu'ils véhiculent des conceptions idéologiques manifestement inconciliables avec celles de l'Islam sunnite ou chi'ite (bien qu'on a pu qualifier le Zaïdisme de "cinquième école", tant ses conceptions sont proches de celles des quatre écoles sunnites), notamment sur la question de la succession califale. Il conclu, enfin, à ce que ces divergences ne les placent toutefois pas hors de l'Islam, et les persécutions qu'ils ont subies ont été perpétrées à leur encontre bien plus pour des raisons politiques "séculières" qu'en raison de leur "incompatibilité idéologique" avec la conception dominante de l'Islam : Lambert ( Pierre-Yves), op. cit., p. 7 - 8.

* 85 « Les États-nations n'existent pas dans l'Islam. L'Umma est unie par-delà les frontières puisque c'est l'adhésion religieuse qui fait l'appartenance. Il en résulte que communauté religieuse et communauté politique se recouvrent totalement. Un pouvoir unique existe, celui de Dieu, représenté par son prophète et ses successeurs. C'est parce qu'il dispose de l'autorité religieuse que Mahomet ou le calife détient le pouvoir politique. Spirituel et temporel sont indissociable dans la cité musulmane » : Rollet (Jaques), Religion et politique : Le Christianisme, l'Islam, la démocratie, Hilosophie, p. 48.

* 86 Les Chiites (en langue arabe du verbe Tachaya'a, c'est-à-dire suivre, s'aligner sur ou être de côté de quelqu'un ou de ses opinions) sont ceux qui ont suivi `Ali et ont été à ses côtés. Ils sont majoritairement de l'Irak car `Ali en était gouverneur.

Ils formèrent son armée, mais ils se divisèrent entre eux sur l'arbitrage, ce qui a aboutit à la formation du groupe des Kharijites (Al-khawarej c'est-à-dire ceux qui sont sortis des rangs de `Ali et ne suivent plus ses ordres et commandements).

* 87 Le Coran, Sourate 28, Le récit, Verset 68, Traduction Régis Blachère, Éditions Maisonneuve et Larose, Paris, 1999, p. 418.

* 88 Le Coran, Sourate 5, La table servie, Verset 71/67, op. cit., p. 143.

* 89 Murji'a du verbe arabe Arja'a, c'est-à-dire, rendre. Cela veut dire, rendre l'arbitrage et le dernier mot à Dieu.

* 90 Les Mu'tazila ont voulu démontrer par la raison que l'Islam est une nouvelle religion et non une nouvelle secte d'une religion déjà existante. Pour ce faire, ils ont focalisé leur recherche et leurs arguments sur le problème de la Parole de Dieu, à savoir le Coran. Ils se sont posé la question qui suit : Cette Parole est-elle éternelle ou créée ? Si l'on admettait qu'elle est éternelle, on associerait à Dieu un autre éternel, et l'Islam ne différait plus, en l'occurrence, du Christianisme qui soutient que le Christ est le Verbe coéternel au Père et à l'Esprit Saint (l'idée la trinité est à l'encontre de l'idée de l'unicité). Ils se sont ainsi vite rendu compte qu'il fallait examiner tout d'abord la question des attributs divins. La question qui se posait dès lors est : Si ces attributs sont distincts de l'essence, comment cette essence les a-t-elle acquis ? Et si l'on admet qu'en Dieu l'attribut « Parole » est éternel, on tombe d'accord avec les chrétiens ! Pour sauver l'Islam comme religion distincte du Christianisme, les Mu'tazila se virent ainsi obligés de rejeter en Dieu la distinction entre essence et accident ou attribut. Ils conclurent ainsi au fait que Dieu n'est qu'essence.

La parole de Dieu à savoir le Coran, quant à elle, est contingente, créée, nullement éternelle. Les Mu'tazila défendirent cette thèse théologique depuis le début du IIe siècle jusqu'à la moitié du IVe siècle de l'Hégire (Soit du VIIIe au Xe siècle de l'ère chrétienne). Leur position se trouva renforcée lorsqu'ils purent gagner à leur cause trois califes abbassides successifs, à savoir Al-ma'mun, Al-mu'tassim et Al-wathiq, soit de 198 à 233 H. (813 à 847 A. D.). Al-ma'mun alla jusqu'à examiner les qadis (juges religieux) et les fuqahâ (juristes, jurisconsultes ou interprètes des textes religieux) sur la nature du Coran. Ceux qui répondaient que le Coran est la Parole éternelle de Dieu étaient condamnés, taxés d'hérésie et démis de leur fonction. Cette épreuve ou inquisition (la mihna) a eu des répercussions très fortes en Islam à l'époque. Après ces trois califes, la réaction de la part des Traditionnalistes fut très violente.

* 91 On compte 99 attributs dans le Coran.

* 92 Nader (Albert), Courants d'idées en Islam : Du sixième au vingtième siècle, Médiaspaul, Canada, 2003, p. 8.

* 93 Il est le premier à avoir imaginé "une République ou Cité vertueuse" (Almadina Alfadhila) à l'instar de la République de Platon, et ce en dehors de toute institution à caractère religieux.

* 94 Dans le même sens, Sayed Qotb admet que : « La nature de l'homme est dans le plus profonds d'elle-même consciente de ce droit (de Dieu sur ses créatures). La nature de sa formation et la nature de tout l'Univers autour de lui reposent sur ce droit qui est innée dans l'homme et qui repose sur la règle qu'a instituée Dieu pour l'Univers, lequel évolue harmonieusement selon le pouvoir et la volonté de Dieu ». Il d'ajoute que « Reconnaître l'unicité divine absolue cela veut dire le refus complet du pouvoir des êtres ; sous toutes ses formes » : Qotb (Sayed), Jalons sur la route de l'Islam (traduction française), Paris, 1968, p. 88 et 52.

* 95 C'est « le fondement (même) du refus islamiste de toute séparation entre la politique et la religion : de l'unicité divine découlent l'unité de l'univers et l'identité entre les lois naturelles qui régissent le cosmos et les lois juridico-éthico-politiques qui commandent le comportement des individus et de la société » : Ferjani (Mohamed-Chérif), Islamisme, laïcité et droits de l'Homme », Préface de `Ali Merad, Éditions L'Harmattan, Paris, 1991, p. 299.

* 96 Cité par Nader (Albert), Courants d'idées en Islam : Du sixième au vingtième siècle, Médiaspaul, Canada, 2003, p. 12.

* 97 Nationaliste et réformiste syrien (1869-1946).

* 98 Les musulmans sont chassés d'Espagne en 1492, après huit siècles de présence sans oublier les huit expéditions, sous le nom des Croisades, entreprises du XIe au XIIIe siècle par l'Europe chrétienne contre les Musulmans dits Sarrasins.

* 99 Ainsi, Ibn Sîna (Avicienne 980-1037), Ibn Rushd (Averroès 1105-1186) ont été rejetés puis oubliés, malgré leurs apports à la philosophie mondiale, parce que leur pensée libre pouvait semer le doute et affaiblir les pouvoirs politiques et religieux établis.

On ne connaît presque plus de pensée indépendante de la théologie en Islam à partir de cette époque, à l'exception du monde perso-iranien qui, lui, avec le chiisme, a connu un développement différent, acceptant la spéculation métaphysique.

* 100 `Abd Al-wahab se lie avec la famille des Sa'ûd qui dirige la principauté de Dar'iyya, conseillant celle-ci pour un gouvernement fondé sur les règles de l'Islam. Mais, ce ne sera qu'au 20e siècle, en 1902, que `Abd Al-`aziz Ibn Sa'ûd, soutenu par les Anglais, s'emparera de la Mecque, de Médine et de Ryad, créant l'Arabie saoudite, le terrain d'élection ou le foyer par excellence du mouvement Wahabiste. Ainsi, le pétrodollar va participer de la propagande du Wahabisme.

* 101 Les dynasties musulmanes qui ont dirigé l'Inde depuis le 8e siècle ont connu des périodes de magnificence et d'autres de décadence, et le bilan de leur présence est mitigé.

* 102 Représentée particulièrement par la grande confrérie indienne des Naqshbandi.

* 103 Représentée par la confrérie des Chistis.

* 104 Benzine (Rachid), Les nouveaux penseurs de l'Islam, Éditions Albin Michel, Paris, 2004, p. 39.

* 105 Muhammad Iqbal (1875-1938), poète et philosophe surnommé le « père spirituel » du Pakistan.

* 106 Cependant, Nahdha (réveil) et Islah' (la réforme) sont à distinguer du mouvement de Tah'dith (la modernisation) qui, quant à elle, procède à la réforme à force d'argent. Cela se vérifie chez les pays du pétro-dollar qui essayent de rattraper la `Hadatha (la modernité) seulement, tout en gardant le Chari'a comme la seule Loi possible, par la construction des infrastructures et par le garantit aux citoyens d'un niveau de vie satisfaisant. On va voir ci-après que les facteurs économiques participent aussi de l'instauration de la démocratie, sauf qu'à eux seuls, ils ne suffisent pas.

* 107 Or, on sait déjà, depuis Locke, que l'un des piliers de la modernité est l'avènement de l'individu et son émancipation de "la Communauté" ainsi que de toute conception holiste (auliste) de la vie en société.

* 108 Ainsi, le Shah d'Iran fut assassiné en 1896 par un fidèle adepte d'Al-afghani, et en Égypte, la révolution d'Orabi Pacha contre le khédive était inspirée par ses idées.

* 109 C'est la thèse qu'il défendait en 1883, en français, dans le journal Les Débats au cours d'une passionnante polémique avec Ernest Renan.

* 110 Cité par : Nader (Albert), Courants d'idées en Islam : Du sixième au vingtième siècle, Médiaspaul, Canada, 2003, p. 123.

* 111 Notamment par Al-ghazali (M.), au 11e siècle, en Orient, et Ibn Kholdoun, au 14e siècle en Occident. Depuis, la philosophie et les falasifa ont été discrédités en Islam.

* 112 Malgré considéré comme l'initiateur de la nahda et reçu des musulmans le titre de « Haqim Al-sharq », le « Sage de l'Orient », ses idées politiques lui valurent de vivre souvent traqué en exil, et il mourut à Istanbul alors que le trône iranien demandait son extradition pour pouvoir le juger. Orateur impressionnant, il a laissé peu d'écrits.

* 113 Il disait : « L'indépendance s'acquiert par l'éducation et l'instruction du peuple et par une plus grande justice sociale », il disait aussi à `Orabi Pacha, qui se révoltait contre le khédive d'Égypte : « Du calme et de la patience et je vous garantirai dans quelques années plus que vous ne réclamez maintenant par la force » : cité par Nader (Albert), op. cit., p. 124.

* 114 Ainsi, la fatwa qui permet aux musulmans de manger le bétail égorgé par les « gens des Livres » (Al-kitabiyyun) : chrétiens et juifs ; celle qui permet aux musulmans de déposer de l'argent à la caisse d'épargne et d'en toucher les intérêts qu'il considère comme une juste participation aux bénéfices ; celle qui permet aux musulmans de s'habiller à l'européenne : « En effet, dit-il, le Coran ne mentionne aucune façon spéciale de s'habiller ». Il reconnaît aussi la légalité des juridictions civiles, commerciales et pénales non basées sur la Chari'a dans les conflits entre musulmans et non musulmans en Égypte.

* 115 Târikh Al-sahafa, Tome II, p. 444 ; Journal Al-manar, Tome IV, p. 56.

* 116 Abdou (Muhammad), Risalat Al-taw'hid, (Traité de monothéisme), p. 156.

* 117 C'est dans le cadre d'un mouvement général d'islamisation de la modernité politique que Tahtawi, par exemple en Égypte après son séjour à Paris à la fin du 19e siècle, dans « L'Or de Paris », traduit le terme "Constitution" par "Chari'a" et qualifie le Parlement de Conseil de la consultation (Dîwân al-chûra) ; Kheireddine Pacha en Tunisie, lors de la même période, définit la démocratie comme le régime qui confie les affaires à la masse (Al'amma) dont l'équivalent serait la consultation, l'un des fondement du pouvoir en Islam : Voir Redissi (Hamadi), Les politiques en Islam (Le Prophète, le Roi et le Savant), L'Harmattan, 1998, p. 154 et svt.

* 118 Benzine (Rachid), Les nouveaux penseurs de l'Islam, Éditions Albin Michel, Paris, 2004, p. 46.

* 119 Né en 1906, pendu en 1966 sur ordre de Jamal `Abd Nasser alors Président de l'Égypte.

* 120 Redissi (Hamadi), Les politiques en Islam (Le Prophète, le Roi et le Savant), L'Harmattan, 1998, p. 111et svt.

* 121 Ibid, p. 75 et svt.

* 122 Ibid, p. 109.

* 123 Les `Uléma d'Al-azhar seront déboutés, devant le Tribunal de première instance du Caire, dans leur requête en vue d'obtenir la confiscation du livre. Cette fois, l'idée de liberté et l'évolution sociale triomphèrent.

* 124 Benzine (Rachid), Les nouveaux penseurs de l'Islam, Éditions Albin Michel, Paris, 2004, p. 69.

* 125 Soroush (`Abdul Karim), Reason, Freedom and Democracy in Islam, 2000.

* 126 Voir sur ce sujet : Meddeb (Abdelwahab), La maladie de l'Islam, Éditions du Seuil, Paris, 2002.

* 127 Pour une étude approfondie sur la relation de l'Islam aux droits de l'Homme voir l'ouvrage collectif sous la direction de Marc Agi, Islam et droits de l'Homme, Paris, 2007 notamment les articles de : Arkoun (Mohammed), « Pratique et garanties des droits de l'Homme dans le monde islamique », p. 49-63 ; A. Boisard (Marcel), « Les droits de l'Homme en Islam », p. 65-102, « Existe-t-il une conception islamique spécifique des droits de l'Homme », p. 25-30 ; Al-Mafregy (Ihsan Hamid), « L'Islam et les droits de l'Homme », p. 115-153.

* 128 Voir l'ouvrage de : Mernissi (Fatma), La peur - modernité : Conflit Islam - démocratie, Éditions Albin Michel, Paris, 1992.

* 129 Voir aussi, Bencheikh (Ghaleb), La laïcité au regard du Coran, Presses de la Renaissance, Paris, 2001.

* 130 Arkoun et Sanson, Réligion et laïcité. Une approche laïque de l'Islam, La Tourelle, Centre Thomas More, 1989, p. 70.

* 131 Voir les plaidoyers significatifs en faveur de la laïcité : Ferjani (Mohamed-Chérif), Islamisme, laïcité et droits de l'Homme, L'Harmattan, Paris, 1991 ; Ben Achour (Yadh), « Islam et laïcité », in Pouvoirs, n° 62, 1992, p. 15-30. ; Redissi (Hamadi), L'exception islamique, Éditions du Seuil, 2004 ; Ferjani (Mohamed - Chérif), Le politique et le religieux dans le champ islamique, Fayard, Paris, 2005 ; Redissi (Hamadi), Les politiques en Islam (Le Prophète, le Roi et le Savant), L'Harmattan, 1998.

* 132 Sanson (H.), Laïcité islamique en Algérie, Paris, CNRS, 1983, p. 19 et 53.

* 133 L'occurrence démocratie n'est pas inconnue des penseurs médiévaux. Ainsi, elle a été utilisée par des philosophes comme Al-farabi, Avempace, Avicienne et Averroès. Ce sont là les références majeures. La démocratie a été traduite par des termes en langue arabe diversement vocalisés : Al-jamâ'iya (conglomérat ou corporation ou la cité de la masse), Al-jumâ'iya (la Cité luxurieuse) et Al-jimâ'iya (la copulation) : voir Redissi (Hamadi), Les politiques en Islam (Le Prophète, le Roi et le Savant), L'Harmattan, 1998, p. 148 et svt.

* 134 Arendt (Hanna), « Vies politiques », Gallimard, Paris, 1974.

* 135 Redissi (Hamadi), op. cit., p. 111et svt.

* 136 Maila (Joseph), L'Islam moderne entre le réformisme et l'Islam politique, in Encyclopédie des religions, Tome I, Bayard, 1997.

* 137 On la trouve dans le nassérisme en Égypte, dans le ba'assisme en Syrie et en Irak de Saddam.

* 138 Ferjani (Mohamed-Chérif), Islamisme, laïcité et droits de l'Homme, Préface de `Ali Merad, Éditions L'Harmattan, Paris, 1991, p. 273-277.

* 139 L'idéal-type est évidement fourni par l'Arabie Saoudite et les autres monarchies du Golfe, le pétrole étant la base matérielle de la rétribution. Mais ce modèle trouve également son application en Jordanie, au Maroc, sociétés où l'islamisme s'est le moins développé.

* 140 `Hafez El-assad en Syrie, Saddam Hussein en Irak, Kadhafi en Lybie représentent parfaitement ce premier ordre.

* 141 Ainsi, le roi du Maroc est-il appelé « Commandeur des Croyants », le roi d'Arabie Saoudite est « Serviteur des lieux saints » et le roi de Jordanie est « Chérif ».

* 142 Habib Bourguiba a été réclamé par le peuple comme étant « Le Combattant suprême » et « Za'im Al-umma», c'est-à-dire « Leader de la Communauté ou de la nation tunisienne ». En effet, Bourguiba, influencé par les idées de Mustapha Kamal Atatürk, a voulu faire de la Tunisie une Communauté à part entière. Il a rejeté le nationalisme nassérien soutenu par son ami dans la lutte pour l'indépendance, devenu son adversaire politique, Salah Ben Youssef. Après avoir fini avec la monarchie du Bey et liquidé Ben Youssef pour éliminer la menace islamiste, il imposa au peuple tunisien la laïcité dans toutes ses formes. Sauf que, la laïcité en Tunisie est, peut-on dire, une laïcité religieuse c'est-à-dire qui puise ses fondements de la religion.

Les Mufti tunisien, sous l'impulsion de Bourguiba, ont forcé le Texte religieux à dire le non-dit. On a parachuté les principes occidentaux et on a essayé, à tout prix, d'en trouver une assisse chara'ique (l'Islam étant seulement une source matérielle du droit positif). Sauf que, on avance la thèse selon laquelle le peuple tunisien était déjà laïc avant ces réformes révolutionnaires, et que Bourguiba n'a fait que consacrer une réalité sociale déjà présente (interdiction voire incrimination de la polygamie, du port du voile, de la répudiation, ...). Du coup, la Tunisie offre le terrain d'une laïcité possible qui ne contredit pas l'Islam mais toutefois, à la différence de l'exemple iranien soutenu par Rollet, ne s'inspire pas exclusivement de lui. C'est la pure importation de concepts occidentaux et leur mise en cohérence avec les enseignements de l'Islam.

* 143 Rollet (Jaques), Religion et politique : Le Christianisme, l'Islam, la démocratie, Hilosophie, p. 163.

* 144 Ferjani (Mohamed-Chérif), Islamisme, laïcité et droits de l'Homme, Préface de `Ali Merad, Éditions L'Harmattan, Paris, 1991, p. 227-236.

* 145 Ibid, p. 130-188.

* 146 Rollet (Jaques), Religion et politique : Le Christianisme, l'Islam, la démocratie, Hilosophie, p. 51.

* 147 Parlant du passage du Djihâd (guerre sainte ou sacré) au terrorisme, Gilles Kepel soutient que « le danger du salafisme est que le passage vers le terrorisme se fait facilement. Le lavage de cerveau, l'endoctrinement fonctionne » : cité par : Sfeir (Antoine) et Andrau (René), Liberté, Égalité, Islam : La République face au communautarisme, Tallandier Éditions, 2005, p. 70.

* 148 Ferjani (Mohamed-Chérif), op. cit., p. 25 et svt.

* 149 On a même rejeté le socialisme et le communisme jugé d'être une théorie athée.

* 150 Ibid.

* 151 Ben Achour (Yadh), Islam perdu, Islam retrouvé, in Annuaire de l'Afrique du Nord, 1979, p. 72.

* 152 Mérad (`Ali), Droits de Dieu, Droits de l'Homme en Islam, Fribourg, 1982, p. 136.

* 153 Ghalioun (Burhan), Islam et politique : la modernité trahie, Éditions La Découverte & Syros, Paris, 1997, p. 228.

* 154 Ainsi, en Palestine, en Irak, à Kashmir en Inde, à la Tchétchénie en Russie, à Kosovo en Ex-Yougoslavie, mis à part les gouvernements arabes de nos jours qui sont majoritairement adémocratiques.

* 155 Redissi (Hamadi), L'exception islamique, Éditions du Seuil, 2004.

* 156 Étienne (Bruno), L'Islamisme radical, Hachette, Paris, 1987.

* 157 Carré (Olivier), L'Islam laïque ou le retour à la tradition, Arnaud Colin, 1993, p. 35.

* 158 Ferjani (Mohamed-Chérif), Islamisme, laïcité et droits de l'Homme, L'Harmattan, Paris, 1991, p. 361-368.

* 159 Rollet (Jaques), Religion et politique : Le Christianisme, l'Islam, la démocratie, Hilosophie, p. 165-168.

* 160 En effet, le seul texte juridique qui parle de l'Islam est l'article 1er de la Constitution tunisienne du 1er juin 1959.

Cet article ne s'exprime pas sur la valeur juridique à donner à l'Islam, en d'autres termes il ne dit ni que l'Islam est une source formelle ni que c'est une source matérielle du droit positif. Cet article stipule : « La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain ; sa religion est l'Islam, sa langue l'arabe et son régime la république ». Les penseurs tunisiens se sont entendus à accepter l'interprétation qui veut que l'Islam soit la religion du peuple et non de l'État. Cependant, la Tunisie a formulé maintes réserves à l'égard des dispositions des conventions internationales relatives aux droits de l'Homme qui entrent en contradiction avec cet article 1er. Toutefois, en pratique tout porte à dire que ces réserves sont automatiques et sans effets juridiques.

D'ailleurs, récemment, le pouvoir politique mène une campagne contre le port du voile dans les services publics sur la base d'une circulaire qui date des années 60 portant son interdiction. Le pouvoir politique justifie cette interdiction à la fois au nom de la laïcité et au nom du non existence en Islam d'une façon spécifique de s'habiller.

* 161 Ibn Kholdoun (`Abd Arra'hmann), Al-mouqaddima (Le prolégomène), Trad. Monteil, Dâr Al-kalam, Beyrouth, 1967 et 1981, Paris, Sindbad, 1979.






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