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Islam, démocratie et droits de l'homme

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par BOUGUERRA Faycel et BELLOUBET Nicole
Université Sciences Sociales Toulouse I - Master 2 Recherche Droit Public Comparé des Pays Francophones 2007
  

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B / LES PENSEURS MÉDIÉVAUX ou la tendance philosophique

Le conflit ne tarda pas à être porté sur un terrain autre que celui du Califat. En effet, des questions d'ordre dogmatique surgirent alors. C'est le Coran même qui se trouva mis en jeu, d'une part, et tout le problème moral, de l'autre.

Les Mu'tazila se firent les défenseurs du vrai monothéisme (Al-taw'hid) et de la justice (Al-`adl). En ramenant tous les attributs à l'essence divine90(*), les Mu'tazila ont soutenu qu'il nous est impossible de définir Dieu, de le connaître et de le voir. Tous les Versets qui mentionnent les différents attributs divins : science, puissance, volonté91(*), ou des organes : oeil, main, face de Dieu, ou qui mentionnent le fait qu'Il s'assied sur le trône, etc., doivent être interprétés car ces attributs sont des considérations rationnelles utiles pour nous faire une idée de Dieu, néanmoins ils ne sont nullement en Dieu, ils sont distincts de son essence.

Cependant, cette négation de toute ressemblance et même de toute analogie entre Dieu et la créature a conduit les Mu'tazila à une impasse. D'où, alors, vient le monde s'il n'y a aucune ressemblance entre lui et son Créateur ?

Les Mu'tazila ont cru contourner la difficulté en disant que le monde provient du néant qui est une essence à laquelle il manque l'existence que Dieu lui accorde. Mais, n'y a-t-il pas là une reconnaissance d'un autre éternel avec Dieu, à savoir ce néant ?

Quant aux vérités que révèle le Coran, les Mu'tazila soutiennent qu'elles ne peuvent contredire la raison, bien plus, la raison humaine, arrivée à maturité, est capable d'atteindre ces vérités, sans révélation. En effet, les peuples qui n'ont pas eu de Révélation ne s'appuient-ils pas sur la raison dans leur vie morale et sociale ? Du coup, la conséquence logique de tout ce qui procède est que l'être humain est Mukhayar, c'est-à-dire il est libre de choisir son sort après quoi il est tout à fait logique que Dieu va lui réserver le paradis ou l'enfer selon le choix qu'il a fait.

Cela s'explique, car s'il n'est pas Mukhayar alors il en découle en toute logique que Dieu n'est pas juste car Il va nous punir pour des fatalités choisies par Lui-même. De plus, si l'on est "télé-guidé" par Dieu, on peut faire tout ce qu'on veut tant qu'on est irresponsable.

Encore plus, une telle conception risque de mettre en péril toutes les Sourates qui traitent du jour du jugement qui est dès lors insensé car dénué de toute justesse.

Ici, la logique a pris le dessus sur la foi. C'est pourquoi la réaction des fidèles musulmans a été très violente contre les Mu'tazila, jugés ennemis de la foi.

Pour les fidèles, « devant un tel danger, mieux vaut faire taire la raison et la taxer d'impuissance plutôt que de sacrifier la foi »92(*).

La réaction inévitable devant ce "danger rationaliste" vint du côté des Ahl Al-`hadith (littéralement "les gens de la parole" c'est-à-dire ceux qui ne se réfèrent qu'à la parole de Dieu et de son Prophète à savoir au Coran et à la Sunna). Ils ont essayé d'étouffer la raison au profit de la foi.

Face à cette responsabilisation de l'être humain, ils soutenaient que l'être humain est Mussayar (c'est-à-dire guidé par Dieu dans ces choix). Ils se réfèrent aux maintes Sourates du Coran où il est mentionné que Dieu savait tout sur le passé et sur l'avenir de l'être humain.

C'est parler de la fatalité, vu que dans ces Sourates il est dit que tout ce qui passe pour le croyant est dicté par Dieu et écrit d'avance.

Cela explique les Sourates mais ne résout point le problème. Cette thèse est d'aucun secours pour le croyant.

Il fallait trouver un compromis entre ces deux attitudes extrémistes, ce fut la tâche que s'assigne Al-ash'ari dont la doctrine a prévalu en Islam. C'est grâce à sa théorie de l'acquisition (Nathariyatt Alqasb) que ce compromis a été possible. Selon cette théorie, Dieu crée les choix ou les faits, et l'être humain choisi entre eux.

Ainsi, les Sourates qui parlent de la fatalité sont justes, mais l'être humain peut toujours choisir une autre voie de quoi il mérite une récompense le jour du jugement.

Pour les falasifa (les philosophes musulmans), représentés surtout par Al-farabi93(*) et son disciple indirect Ibn Sina (Avicienne), ils partent d'un point de départ qui diffère des Mu'tazila.

Leur point de départ consiste à ce principe logique : Les être possibles n'existent que par un autre, ils sont contingents. Comme l'on ne peut pas procéder à l'infini dans la série des être possibles, il faut nécessairement admettre un Être nécessaire pour expliquer l'existence des contingents. L'Être nécessaire existe donc et il existe de toute éternité, sinon rien n'existerait. Cet Être, étant parfait, est la source d'où émanent tous les autres êtres et qui forment ainsi une chaîne ordonnée. Al-farabi a trouvé dans la théorie de l'émanation l'accord entre la foi et la philosophie. Cette théorie satisfait le philosophe en admettant l'éternité du monde, comme elle satisfait la foi en admettant que le monde dépend, dans son existence, de toute éternité, de l'Être nécessaire de qui il émane94(*).

De plus, la théorie de l'émanation porte les falasifa à distinguer deux grandes parties dans le monde : la première commence avec la sphère enveloppante et se termine à la sphère de la lune en passant par les planètes fixes et les planètes mobiles dirigées par les intelligences qui contemplent l'Être nécessaire et se contemplent elles-mêmes. Le mouvement des planètes est circulaire parce qu'il est le plus parfait des mouvements, et il imite l'éternité du premier Être.

La deuxième partie commence à la sphère de la lune et se termine à notre terre ; c'est le monde des éléments, monde de la génération et de la corruption. Quant à l'âme humaine, elle émane de l'intellect agent qui est dans la sphère de la lune. Elle est de nature immatérielle.

Elle acquiert son immortalité, d'après Al-farabi, en connaissant les vérités éternelles que porte l'intellect agent.

Cette théorie de l'émanation explique aussi le problème de la prophétie par la faculté imaginative, exceptionnelle chez le Prophète, et par la faculté intellective chez le philosophe.

Mais, les falasifa sont arrivés à des conclusions qui ne cadrent pas avec la foi, c'est-à-dire qu'ils ont admis l'existence éternelle du monde.

Ils ont considéré notre monde sublunaire comme dépendant de l'intellect agent et non du premier Être. Enfin, ils ont nié la résurrection des corps, et Al-farabi n'a pas reconnu que toute âme humaine est immortelle de nature.

La réaction vint d'un musulman fidèle à la tradition et versé en théologie et en philosophie, Al-ghazali (Algazel). Il s'efforça de prouver l'inanité de la philosophie et l'impuissance de la raison humaine abandonnée à ses seules lumières, de résoudre les problèmes métaphysiques et théologiques95(*). Al-ghazali a réussi, en Orient musulman, à disqualifier les philosophes. Mais, l'effort philosophique continua en Occident musulman avec Ibn Toufayl et Ibn Rochd (Averroès).

Ibn Toufayl se servit du conte philosophique pour défendre l'effort que déploie la raison humaine pour arriver à connaître les secrets de l'existence et pour montrer que raison et Révélation s'accordent sur les grands problèmes qui se dressent devant l'homme : son origine, l'origine du monde, la nature de la première Cause, la destinée de l'homme, etc.

Le sens obvie de la Révélation est adapté au niveau de compréhension de la foule, mais le sage cherche à saisir le sens latent de la Révélation et constate qu'il ne contredit pas ses propres conclusions rationnelles. En vain, le sage essaiera d'exposer au commun des gens le sens caché de la Révélation, ils sont incapables de le comprendre.

Ibn Rochd, dans ses écrits philosophiques, développera logiquement cette attitude d'Ibn Toufayl, à savoir que raison et Révélation, autrement dit la philosophie et la religion, sont d'accord et que tous les hommes ne peuvent pas saisir l'essence même de la Révélation.

C'est pourquoi il faut distinguer dans la Révélation le sens obvie, adapté au commun des gens, et le sens latent ou caché que découvre le sage. Mais, la réaction des Fuqaha (juristes), fut très forte contre cette attitude d'Ibn Rochd et le sort de ses écrits fut le feu.

Devant des situations si controversées, certains fidèles ont cru faire leur salut en se tenant à l'écart et en se conformant strictement aux enseignements de la Révélation et même en les outrepassant. Ce furent les ascètes. Mais, l'ascétisme dégénéra, chez certains, en soufisme, une forme de philosophie religieuse qui, dans son exagération, aboutit au panthéisme et au monisme.

La politique ne tarda pas à mettre à contribution la religion. Sous le couvert d'une religion ouverte, considérant les différentes religions pratiquées par les différents peuples comme autant de doctrines convenables aux temps et lieux où elles ont été prêchées par des Prophètes, alors qu'il n'y a effectivement qu'une seule religion, qui englobe toutes ces doctrines, les Ikhwan Al-safa (Les frères de la pureté) ont essayé de gagner le plus nombre possible d'adeptes afin de renverser la dynastie `Abbasside et établir une dynastie `Alide (Shi'ite). Ce mouvement secret se distingue par son éclectisme et par l'étendue des connaissances de ses dirigeants qui menaient leur lutte. Néanmoins, ce courant d'idées, très riche à tous les points de vue, se dissipa aussi devant une résistance dure de la part de l'orthodoxie musulmane.

Enfin, Ibn Kholdoun, depuis la Tunisie puis en occident, s'est fait l'écho d'Al-ghazali en soutenant l'inanité de la philosophie et son impuissance à résoudre les grands problèmes de la foi. Il a ouvert la voie à un nouveau courant d'idées, à savoir l'étude du groupe social, l'influence du milieu physique sur les activités de ce groupe, la constitution des États et des gouvernements, leur apogée et leur décadence. C'est une science nouvelle qu'Ibn Kholdoun a inaugurée, loin des discussions métaphysiques et théologiques. Il est, en effet, le véritable père fondateur de la sociologie.

L'Islam (orthodoxe et traditionaliste) a essayé d'étouffer toutes ces tentatives des philosophes et des théologiens (Mutakallimin) musulmans, voire mêmes les Soufis (Mystiques). Il est difficile de dire quel aurait été le sort des peuples musulmans si ces courants d'idées avaient prévalu en Islam.

Ahmed Amin, penseur et pré-réformiste égyptien moderne, à la fin du chapitre consacré aux Mu'tazila dans son ouvrage Dhu'ha Al-Islam (L'aube de l'Islam) écrivait : « Je crois que l'un des plus grands malheurs de l'Islam fut la mort de Mu'tazila, et les musulmans en sont responsables »96(*). Cela nous pousse à se demander : Quid des courants de pensées et leurs influences sur les notions de la démocratie et des droits de l'Homme dans l'histoire de l'Islam moderne et contemporain ?

* 90 Les Mu'tazila ont voulu démontrer par la raison que l'Islam est une nouvelle religion et non une nouvelle secte d'une religion déjà existante. Pour ce faire, ils ont focalisé leur recherche et leurs arguments sur le problème de la Parole de Dieu, à savoir le Coran. Ils se sont posé la question qui suit : Cette Parole est-elle éternelle ou créée ? Si l'on admettait qu'elle est éternelle, on associerait à Dieu un autre éternel, et l'Islam ne différait plus, en l'occurrence, du Christianisme qui soutient que le Christ est le Verbe coéternel au Père et à l'Esprit Saint (l'idée la trinité est à l'encontre de l'idée de l'unicité). Ils se sont ainsi vite rendu compte qu'il fallait examiner tout d'abord la question des attributs divins. La question qui se posait dès lors est : Si ces attributs sont distincts de l'essence, comment cette essence les a-t-elle acquis ? Et si l'on admet qu'en Dieu l'attribut « Parole » est éternel, on tombe d'accord avec les chrétiens ! Pour sauver l'Islam comme religion distincte du Christianisme, les Mu'tazila se virent ainsi obligés de rejeter en Dieu la distinction entre essence et accident ou attribut. Ils conclurent ainsi au fait que Dieu n'est qu'essence.

La parole de Dieu à savoir le Coran, quant à elle, est contingente, créée, nullement éternelle. Les Mu'tazila défendirent cette thèse théologique depuis le début du IIe siècle jusqu'à la moitié du IVe siècle de l'Hégire (Soit du VIIIe au Xe siècle de l'ère chrétienne). Leur position se trouva renforcée lorsqu'ils purent gagner à leur cause trois califes abbassides successifs, à savoir Al-ma'mun, Al-mu'tassim et Al-wathiq, soit de 198 à 233 H. (813 à 847 A. D.). Al-ma'mun alla jusqu'à examiner les qadis (juges religieux) et les fuqahâ (juristes, jurisconsultes ou interprètes des textes religieux) sur la nature du Coran. Ceux qui répondaient que le Coran est la Parole éternelle de Dieu étaient condamnés, taxés d'hérésie et démis de leur fonction. Cette épreuve ou inquisition (la mihna) a eu des répercussions très fortes en Islam à l'époque. Après ces trois califes, la réaction de la part des Traditionnalistes fut très violente.

* 91 On compte 99 attributs dans le Coran.

* 92 Nader (Albert), Courants d'idées en Islam : Du sixième au vingtième siècle, Médiaspaul, Canada, 2003, p. 8.

* 93 Il est le premier à avoir imaginé "une République ou Cité vertueuse" (Almadina Alfadhila) à l'instar de la République de Platon, et ce en dehors de toute institution à caractère religieux.

* 94 Dans le même sens, Sayed Qotb admet que : « La nature de l'homme est dans le plus profonds d'elle-même consciente de ce droit (de Dieu sur ses créatures). La nature de sa formation et la nature de tout l'Univers autour de lui reposent sur ce droit qui est innée dans l'homme et qui repose sur la règle qu'a instituée Dieu pour l'Univers, lequel évolue harmonieusement selon le pouvoir et la volonté de Dieu ». Il d'ajoute que « Reconnaître l'unicité divine absolue cela veut dire le refus complet du pouvoir des êtres ; sous toutes ses formes » : Qotb (Sayed), Jalons sur la route de l'Islam (traduction française), Paris, 1968, p. 88 et 52.

* 95 C'est « le fondement (même) du refus islamiste de toute séparation entre la politique et la religion : de l'unicité divine découlent l'unité de l'univers et l'identité entre les lois naturelles qui régissent le cosmos et les lois juridico-éthico-politiques qui commandent le comportement des individus et de la société » : Ferjani (Mohamed-Chérif), Islamisme, laïcité et droits de l'Homme », Préface de `Ali Merad, Éditions L'Harmattan, Paris, 1991, p. 299.

* 96 Cité par Nader (Albert), Courants d'idées en Islam : Du sixième au vingtième siècle, Médiaspaul, Canada, 2003, p. 12.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault