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Des Etats particuliers libres à l'organisation sociale mondiale


par Raphaël BAZEBIZONZAS
Saint Pierre Canisius - Bachelier en Philosophie 2006
  

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1.2.3. La discussion

Le progrès du droit dépend, en partie, de l'influence de la discussion publique sur les instances du pouvoir. Le droit naturel, comme exigence formelle d'égalité et d'universalité, est le critère de cette discussion. A la différence de la conception kantienne, cependant, la discussion publique ne concerne pas seulement, chez Weil, une communauté semi-fermée de savants ou de professionnels éclairés. Du point de vue social, elle s'inscrit dans le contexte d'une éducation de masse. D'un point de vue politique, elle correspond à la définition principielle de la démocratie : un mode de gouvernement où les décisions sont préparées puis expliquées au moyen d'une discussion à laquelle chaque citoyen est, de droit, partie prenante. Dans ce contexte, la discussion menée à l'aide du critère du droit naturel participe d'une sorte de pédagogie politique. D'une part, parce qu'elle doit permettre au citoyen de s'approprier le contenu rationnel des lois, et donc d'y adhérer au lieu de leur être purement et simplement soumis. D'autre part, parce qu'elle doit permettre au sentiment de l'injustice et à l'exigence de justice, potentiellement violents en tant que formes de la sensibilité et principes de révolte, de s'élaborer et de s'expliciter dans la forme d'un discours.

La discussion publique - et avec elle le droit naturel qui lui sert de critère - participe ainsi d'une pédagogie politique qui remplit une double fonction. Elle doit permettre à l'individu de « se reconnaître » dans les institutions qui structurent la société et l'Etat auxquels il appartient, et de reconnaître ce qu'il y a de sensé dans ces institutions. Mais, là où ces institutions sont arbitraires ou ressenties comme telles, la discussion publique a pour fonction de favoriser l'élaboration de la révolte en un discours, le passage de la sensibilité éthique à la forme d'une volonté politique. La discussion doit aider la société à prendre conscience de ce qu'elle veut, à expliciter en un discours le sentiment du juste et de l'injuste. Il s'agit de passer de la réactivité du sentiment à l'action d'une volonté fondée sur un discours rationnel. Et par là, il s'agit aussi de dépasser le moment de la révolte violente, mais stérile, pour aboutir à l'action débouchant sur un progrès effectif des institutions. Ce n'est qu'ainsi que l'Etat peut être transformé d'une vallée de dictatures en un espace de liberté personnelle.

1.3. L'Etat, espace de liberté personnelle

Eric Weil définit l'action politique comme le lieu de l'effectuation de la liberté raisonnable. Il reconnaît ainsi que dans la société moderne, l'individu surgit non seulement comme conscience du mécanisme social qui le conditionne, mais comme conscience de la liberté inconditionnée, qui entend se soumettre l'univers du mécanisme social et lui conférer un sens.

A l'encontre, à la place des philosophies de l'intériorité qui exaltent la liberté en tant que pouvoir d'auto-détermination, Eric Weil propose une philosophie de la liberté concrète, qui a pour enjeu la synthèse de la liberté et de l'institution. Ici, Weil rejoint en fait Paul Ricoeur pour qui, « une liberté sensée est une liberté qui se coordonne avec d'autres libertés dans une institution... »31(*). Pour prendre corps et consistance, la liberté est appelée à dépasser son moment de pure indétermination et à s'investir dans la condition historique. Le lieu où se réalise ce dépassement est l'institution proprement politique : l'Etat dont l'action doit tendre à « la coïncidence de la puissance publique avec l'exercice des libertés individuelles »32(*). Dans le refus de tout machiavélisme, comme de tout moralisme, Weil peut reprendre et renouveler la conception aristotélicienne et hégélienne de l'Etat en tant que condition co-essentielle au développement rationnel de l'individu. C'est en son sein que la liberté personnelle s'épanouit et devient effective. A ce sujet, Weil affirme que

L'individu n'est rien sans Etat, ou, pour être plus précis, sans l'Etat, il n'est qu'un animal ou une machine ; mais la fin de l'Etat est l'individu libre et satisfait dans la raison. C'est dans l'Etat que l'homme se développe - et il peut s'y développer au point d'être raisonnablement mécontent de tout Etat historique. C'est là qu'il pense sa morale - et peut la penser contre la morale traditionnelle, en partant de cette morale. C'est là encore qu'il se sait libre - et peut se savoir moins libre que les conditions du monde ne lui permettraient de l'être. C'est là que, grâce au travail social, il se trouve protégé de la violence de la nature extérieure, du besoin naturel et de la passion humaine - et qu'il peut constater qu'il n'est pas suffisamment protégé, ou au contraire, que cette lutte avec la nature est devenue lutte sans fin33(*).

Mais tout cela suppose que l'individu éduqué ait quitté aussi bien la grossièreté de son individualité empirique que la passivité du pur sacrifice et se soit élevé à la pensée raisonnable et rationnelle34(*). Cependant, l'Etat ne constitue pas la condition suffisante de l'accomplissement que l'individu donne à sa vie. C'est à la personne individuelle qu'il revient de se réaliser librement en lui et d'accéder ainsi à la « vertu ». C'est l'individu raisonnable qui, en lui-même, devra réaliser sa satisfaction intégrale,

Le but de l'Etat, considéré du côté de l'individu dans une société qui le protège, par laquelle, ensemble avec tous les autres, il se protège lui-même de la violence de la nature extérieure, et dans une communauté dans laquelle, ensemble avec tous les autres membres de cette communauté particulière, il trouve et donne un sens à son existence35(*).

Si l'on s'en tient à cette réflexion, comment dès lors, penser les rapports individu-Etat ? La réponse à cette question, c'est l'histoire qui nous l'apportera. Mais quoi qu'il en soit, nul au monde ne pourrait nier le rôle précieux de l'Etat, dans la socialisation et la moralisation des citoyens. Le jour où la logique de l'efficacité et celle de la morale se révéleraient opposées, c'en serait fait de la réalité politique, puisque la tâche propre de l'Etat est de les unir. Mais en fait, si ces logiques ne parviennent pas encore à s'entre-pénétrer, et si leur opposition fait paraître la possibilité d'une guerre, cette opposition ne devient absolue qu'en vertu d'une abstraction qui sépare totalement la politique de l'histoire.

En réalité, la constitution d'une organisation sociale mondiale, selon les exigences de l'universalité rationnelle, apparaît de plus en plus comme la condition sine qua non pour sauvegarder les morales concrètes des communautés particulières. C'est cela la tâche qui s'impose aujourd'hui aux Etats particuliers libres : réaliser une société universelle où ils pourront se développer librement, sans perdre leurs indépendances respectives.

* 31 Paul Ricoeur, « Le philosophe et la politique devant la question de la liberté », in La liberté et l'ordre social (Rencontres internationales de Genève, 1969), Neuchâtel, la Braconnière, 1969, p. 17.

* 32 Ibid., p. 55.

* 33 PP., p. 255.

* 34 Eric Weil, Hegel et l'Etat, Vrin, Paris, 1950, p. 54.

* 35 PP., pp. 256-257.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe