WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les fonctions de la délégation

( Télécharger le fichier original )
par Yannick Santiago
Université Rennes 1 - DEA droit privé fondamental 2007
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

UNIVERSITE DE RENNES I

FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE

MEMOIRE POUR LE MASTER II DROIT PRIVE FONDAMENTAL

2006/2007

LES FONCTIONS DE LA DELEGATION

Sous la direction de M. Jean Paul DELVILLE : Maître de conférences à l'Université de Rennes I

Par Yannick SANTIAGO

Liste des principales abréviations

Art. Article

Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de Cassation, chambres civiles

C. civ. Code civil

Civ. Arrêt d'une chambre civile de la Cour de Cassation

C. com. Code de commerce

CMF Code monétaire et financier

Com. Arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation

D. Recueil Dalloz

Def. Définition

Ed. Edition

Ex. Exemple

Infra Ci-dessous

JCP Semaine juridique, édition générale

LGDJ Librairie générale de droit et de jurisprudence

LPA Les petites affiches

NCPC Nouveau code de procédure civile

Not. Notamment

P. Page

Rep. Dalloz Répertoire Dalloz

Rep. Defrénois Répertoire du notariat Defrénois

RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial

Supra Ci-dessus

V. Voir

p.5

p.15

p.15

p.16

p.28

p.41

p.43

p.61

p.68

p.70

p.70

SOMMAIRE

Introduction.....................................................................................

PARTIE I : Mise à jour des fonctions de la délégation ..................................

Chapitre I : La controverse doctrinale sur les fonctions de la délégation....................................................................................................

Section I : La conception restrictive des fonctions de la délégation.......................................

Section II : La conception extensive des fonctions de la délégation..............................

Chapitre II : Inventaire des fonctions de la délégation à la lumière de la pratique contractuelle contentieuse................................................................................

Section I : Les fonctions de la délégation consacrées par la jurisprudence ....................

Section II : Les fonctions rejetées ou limitées par la jurisprudence ............. ...............

PARTIE II : Mise au jour de la notion de délégation.............................

Chapitre I : L'impossibilité de réduire la notion de délégation à l'unité, et le pluralisme consécutif.........................................................................................................................

Section I : L'insuffisance des définitions et catégories classiques pour rendre compte de la nature juridique de la délégation.....................................................................

p.78

p.87

p.89

p.92

p.95

Section II : Définition plurale de la délégation à partir de ses éléments constants.......................................................................................................................................

Chapitre II : La nécessité de modeler le régime juridique de la délégation en considération de la finalité poursuivie par les parties..............................................

Section I : le régime juridique approprié à la délégation-paiement..............................

Section II : le régime juridique approprié à la délégation-sûreté.................................

CONCLUSION................................................................................................

INTRODUCTION

« En toute chose, la fin est essentielle »

Aristote

Dans les activités économiques, familiales, et administratives quotidiennes, le terme de  délégation  n'est pas le moins fréquent. Ainsi entend-on parler, quelquefois mal à propos, de délégation de pouvoir, en droit du travail ; de délégation de signature, de délégation de service public, de délégation d'autorité parentale, ou encore, de délégation diplomatique. Le droit pénal a lui aussi connu, jadis, la délégation judiciaire, ancêtre de l'actuelle commission rogatoire. Le terme a même fait une incursion en droit constitutionnel, par le biais de la délégation de législation, habilitation permettant au gouvernement de prendre, par voie d'ordonnance, des mesures relevant normalement du domaine de la Loi. Toutefois, tous ces homographes, même s'ils empruntent communément leur étymologie au latin delegatio, onis, n'ont pas une grande proximité avec la délégation prévue par l'article 1275 du Code Civil1(*). En effet, il ne s'agit pas des mêmes notions, et, surtout, ces différentes notions n'ont pas les mêmes fonctions. À la différence de la délégation de pouvoir qui, en droit du travail, est une technique d'organisation de l'entreprise, la délégation au sens de l'article 1275 du Code Civil est une technique relative à l'obligation. À l'instar de celle-là, celle-ci a connu une hypertrophie considérable de son contentieux, singulièrement à partir du XXIième siècle. Ainsi, d'une demie douzaine d'arrêts de la Cour de Cassation en 1990, relativement à la délégation, on est passé à une quinzaine en 20052(*). Cette remarque a priori anodine n'est pas sans intérêt. En effet, si la délégation a subi une telle croissance de son contentieux, c'est que ses applications concrètes sont plus que jamais vivaces. Ce « renouveau » pratique invite en conséquence à s'interroger sur les fonctions modernes de la délégation, et, au-delà, sur la notion elle-même3(*).

S'interroger sur les fonctions d'un concept ou d'une institution juridique, consiste à mettre en relief son rôle, son utilité. Prosaïquement, il faut se demander « à quoi cela sert ? ». A priori, il s'agit d'une démarche totalement différente de celle qui consiste à définir. Qu'est-ce que définir ? C'est décrire, c'est dessiner avec des mots ce que l'esprit seul aperçoit; c'est donner des extrémités à ce qui n'en a pas pour l'oeil; c'est peindre ce qu'on ne saurait voir; c'est circonscrire, en un espace qui n'a pas de réalité, un objet qui n'a pas de corps4(*).

Tout l'art de la définition réside donc en l'énoncé d'éléments caractéristiques, permettant de fixer les frontières d'une notion, sans se préoccuper des diverses fonctions ou du régime juridique attachés à celle-ci.  Il en résulte que : « En principe, le régime n'entre pas dans la définition de la notion »5(*).

En Droit, cette action de délimitation est le rudiment de la fameuse technique de la catégorie, étape primaire du raisonnement. Le régime juridique et, en conséquence, les fonctions de l'institution en question, ne seront envisagés que dans une seconde étape intellectuelle. Ainsi, l'erreur, constitutive d'un vice du consentement, est-t-elle communément définie comme une fausse représentation de la réalité. Toutefois, on peut se demander s'il est honnête d'évincer son rôle, c'est-à-dire celui d'entraîner la nullité relative du contrat.

Comme l'a lumineusement souligné le doyen Cornu, dans la préface de son Vocabulaire Juridique : « D'abord vouée à énoncer les éléments constitutifs d'une chose à définir, la définition juridique intègre la considération des fonctions juridiques de celle-ci »6(*).

L'auteur relève en effet que certaines notions ne sont singulières que par leurs fonctions, à telle enseigne que : « le principe de leurs conséquences entre dans leur définition »7(*). À titre d'exemple, il est possible de citer la notion de cause, qui ne se définit qu'en considération de sa fonction. Ainsi, selon qu'il s'agira de protéger l'intérêt général, ou les intérêts individuels du cocontractant se prétendant lésé, elle n'aura pas le même contenu8(*). On parle alors de notion fonctionnelle.

Même si, en principe, la question de savoir ce qu'est une chose est différente de celle qui consiste à savoir ce à quoi elle sert ; force est de constater que la distinction du sens et de la fonction ne relève pas toujours de l'évidence. Cette vérité n'est d'ailleurs pas exclusive au Droit. Ainsi, les biologistes définissent la fonction comme l': Activité à laquelle un organe est adapté en raison de sa structure. La structure, ou composition (ou encore constitution), pour le scientifique, ce n'est rien d'autre que la définition pour le juriste. Il ressort de l'exemple précèdent que, la structure, les éléments caractéristiques, autrement dit, la définition, joue un rôle essentielle dans les fonctions ou l'activité : Elle détermine leur « adaptabilité ». Sans sombrer dans l'anthropomorphisme juridique, il paraît possible d'affirmer que le signifié de sa définition, participe étroitement à l'adaptation d'une institution juridique à une finalité donnée ou poursuivie.

Il nous semble, à l'instar de la notion de cause, que l'analyse précédente soit valable à l'égard du concept de délégation. La Doctrine en a forgé une définition usuelle qui fait aujourd'hui quasiment l'unanimité. Cette définition est en grande partie le contrecoup de l'approximation des articles 1275 et 1276 du Code Civil, relevée par de nombreux auteurs9(*). Aussi est-t-il est assurément un lieu commun de considérer que la délégation est : « l'opération par laquelle une personne en invite une autre à s'engager au profit d'une troisième »10(*). On ne peut que s'étonner de la vacuité d'une telle définition, se voulant pourtant progressiste. A priori, elle serait totalement inutile à qui s'interroge sur les fonctions de la délégation. Pour quelles raisons rationnelles une personne en inviterait-elle une autre à s'engager au profit d'une troisième ?11(*) À quoi sert-il de conclure cette convention nommée « délégation » ? Nul ne saurait le déduire de la définition usuelle précitée. Une nouvelle définition, intégrant les fonctions de la délégation, devrait peut être s'imposer ; encore faudrait-il être en en mesure de les énumérer.

La délégation, souvent improprement appelée  délégation de créance, alors qu'il s'agit en réalité d'une délégation de débiteur, a fait l'objet d'études relativement fouillées de la part de la doctrine française12(*). Il en est pour preuve les nombreuses thèses et études publiées à ce sujet, sans compter les travaux en cours. Mais, à peu près tous ont emprunté la même méthode, consistant à s'appuyer sur la définition purement théorique de la notion, pour ensuite en dégager les utilités potentielles, et le régime juridique. Il ne fallait dès lors pas être surpris, qu'en suivant une telle démarche, d'éminents auteurs eussent été contredits par la Jurisprudence. En effet, la méthode utilisée a amené la doctrine à donner, à l'instar du Code Civil, une définition purement schématique de la délégation.

Cette définition classique, statique et objective, paraît aujourd'hui bien insuffisante ; trop abstraite, elle ne renseigne en rien sur les utilités concrètes de la délégation. Au mieux nous permet-elle de conjecturer, et à vrai dire pronostiquer, quelques utilités potentielles (fruits de l'imagination et de la créativité des juristes). Or, nous aurons le loisir de constater que les divers usages quotidiens de la délégation démontrent clairement que ce à quoi elle sert, détermine directement ce qu'elle est. En conséquence, il serait préférable d'en avoir une idée relativement précise. Nous nous y attèlerons. En définitive, il est possible d'affirmer que le seul moyen de savoir ce qu'est la délégation n'est pas de se demander ce que l'on pourrait en faire, mais ce que l'on en fait.

Par conséquent, afin de mettre en relief les fonctions réelles de la délégation, il est proposé d'en dégager une définition plus subjective, en entamant une démarche inverse de celle communément usitée pour ce sujet. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, il n'y a pas de prétention à faire table rase du passé ; il s'agit moins de renverser la définition classique, que de l'affiner au regard des fonctions effectivement vérifiées. En effet, plutôt que de déduire traditionnellement de la définition conceptuelle de la notion, les différentes fonctions que peut laisser envisager son régime ; il est proposé d'utiliser la méthode de l'induction, moins familière au juriste que le syllogisme déductif. Il s'agira d'abord de partir du réel (des différents cas effectivement soumis à la jurisprudence de ces dernières années), pour ensuite tenter d'en abstraire la quintessence, c'est-à-dire, une définition. Cette démarche permettra de répondre au premier aspect de notre interrogation, savoir quelles sont les fonctions effectives de la délégation. La résolution de ce premier pan de la question facilitera certainement l'effort de définition consécutif.

Dans l'idéal, la définition de la délégation saura embrasser toutes les finalités voulues par les parties, attestant ainsi le caractère unitaire de la notion. Cependant, il n'est pas certain qu'il soit possible, à partir de l'ensemble des décisions judiciaires analysées, de proposer une définition unitaire de la délégation. La question qui se posera inéluctablement sera en conséquence de savoir si, la délégation, technique ancestrale du Code Civil, est en réalité une notion plurale, rétive à toute tentative d'unification.

En effet, il est à remarquer que plus les utilités de la délégation sont, en pratique, nombreuses, plus le concept lui-même est enrichi. De ce fait, il peut être utile, voire nécessaire, de distinguer selon que les parties auront poursuivi un but ou un autre. Cette exigence engendrera fort probablement une pluralité de définitions. La question de la fonction et de la nature de la délégation est, en conséquence, beaucoup plus difficile qu'il n'y paraît. Par ailleurs, la réponse que le Droit français y apportera déterminera l'avenir pratique de la délégation, et son attractivité en tant que technique de Droit positif. À défaut de pouvoir y répondre entièrement, nous y apporterons notre modeste contribution.

De l'unité à la diversité. Voilà comme il serait possible de résumer l'évolution des fonctions de la délégation. Il est piquant de constater que cette évolution a vraisemblablement suivi une dynamique inverse de celle du droit des sûretés13(*). Le prétendu rigorisme contemporain du droit des sûretés aurait-il fait de la délégation une sûreté ? La question mérite d'être posée. Au demeurant, il est possible de relever un assez large consensus sur la fonction extinctive que pourrait avoir la délégation, le paiement étant souvent présenté comme sa fonction ordinaire(v. infra, p. 16 et suiv.).

En revanche, contrairement à ce qu'ont pu affirmer certains auteurs, la délégation ne se limite pas à une technique d'extinction des obligations. Peut-être s'agissait-il de sa fonction originelle ; mais il est aisé de constater, à l'aune de la pratique contractuelle, que celle-ci n'est plus unique. Aussi a-t-on pu relever que la délégation, avec l'accord, au moins implicite, de la Jurisprudence, sert de plus en plus en tant que dispositif de garantie du crédit au profit du délégataire. Quant à la délégation extinctive (qu'il sera proposé d'appeler délégation-paiement), elle est une technique de simplification de l'exécution des obligations. Elle permet d'éviter une répétition superflue du paiement, et, en conséquence, un transfert inutile de valeurs. Ainsi, d'un point de vue strictement économique, elle constitue une véritable technique de rationalisation du paiement, permettant de supprimer les étapes inessentielles de celui-ci. En ce qui concerne la délégation à titre de garantie (qu'il sera proposé de nommer délégation-sûreté), il faudra considérer qu'elle est une technique permettant d'imiter l'effet de garantie produit par les sûretés personnelles nommées. Elle donne lieu à une adjonction de débiteur, en garantie de ce qui est dû par le délégant au délégataire. Ce dernier aura en conséquence deux droits de poursuite distincts et autonomes, du moins si la délégation est conclue imparfaite14(*).

À l'inverse de la délégation en paiement, qui paraît consubstantielle à la naissance du Code Civil, il semble que la délégation à titre de garantie se soit développée de façon plus récente, sous l'impulsion de la pratique, notamment notariale. C'est ainsi qu'ont été exposées les deux seules fonctions concrètes de la délégation. Négativement, il sera aussi nécessaire d'inventorier les fonctions que ne saurait avoir la délégation, par exemple, le transport de dette.

Au reste, il faut relever que même s'il existe une parenté entre la délégation en tant que technique d'extinction des obligations, et la délégation, technique de garantie, leur rapprochement, et leur maintien dans une définition commune, deviennent de plus en plus difficiles. Peut-être ne s'agit-il tout simplement pas des mêmes phénomènes, la fonction remplie n'étant pas la même. Peut-être est-ce la même chose sous un autre aspect.

Comme élément de réponse, il faudra admettre, d'une part, que le rôle de délégation est irréductible à une simple technique d'extinction des obligations, et, d'autre part, que la définition de la délégation communément admise est excessivement descriptive. Elle n'est, en réalité, que le plus petit dénominateur commun de la notion de délégation. Toutes les hypothèses concrètes de délégation peuvent se fondre dans cette esquisse (engagement d'une personne, envers une personne, sur invitation d'une autre), cela n'en fait pas pour autant une définition adéquate.

Partant, il ne suffira pas de qualifier une opération juridique de délégation pour en saisir l'essence et la réelle portée. Pour ce faire, il nous semble qu'il faudra nécessairement préciser de quel type de délégation il s'agit. Toute définition est en réalité comparable à une  « étiquette », censée condenser l'essentiel d'une notion ; or, force est de constater qu'aujourd'hui, la simple « étiquette  "délégation" »,  est bien souvent surannée pour désigner des réalités contractuelles beaucoup plus complexes. Parler de délégation ne suffit plus.

Il résulte de ce qui précède qu'il existe plus que de simples variétés de délégations. En fonction de la finalité poursuivie par la pratique contractuelle : délégation-paiement ou délégation-sûreté, il s'agira d'une opération originale, constituant à elle seule un genre autonome. Le trait d'union entre la délégation et sa fonction sera par suite, aussi bien sur un plan intellectuel, que matériel (ponctuation), l'élément indispensable à la complétude de la définition que nous en donnerons. En définitive, il faudra considérer que la nécessité de distinguer selon l'objectif poursuivi par les parties, atteste l'absence d'unité de la notion de délégation. Il n'y pas une, mais des délégations. Il faudra en conséquence définir chacune d'entre elles.

Ainsi qu'il a été souligné tantôt, à l'image du droit des garanties du crédit, la délégation connaît une période de transition. Celle-ci se caractérise par une spécialisation de ses fonctions, et un passage de l'unité à la diversité. Cela semble être une tendance moderne des concepts du Droit français, pensés de façon de plus en plus cartésienne. Par exemple, l'exigence générale d'une cause ne suffit plus, il faudra toujours préciser de quelle type de cause il s'agit. Ne faut-il pas diviser chaque question en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre ? Cette diversité, qui se manifeste autant en ce qui concerne les fonctions de la délégation, que la notion elle-même, n'est pas une source inutile de complexité ou de subtilité. La nécessité de distinguer n'est en réalité qu'une illustration de la richesse de la notion, et, du même coup, de l'ordre juridique qui l'abrite.

Il sera en définitive possible d'affirmer, qu'au regard de la pratique contractuelle, telle qu'entraperçue par le prisme de la jurisprudence, la délégation pure et simple n'existe pas. À l'image des délits pénaux, il n'existe que des délégations spéciales. Il nous reviendra donc d'extraire, par induction de la jurisprudence, les « éléments constants et nécessaires »15(*) de toutes les typologies de délégation que nous rencontrerons. Il s'agira véritablement de rechercher l'élément caractéristique de la délégation, ou, plus exactement, de chaque type de délégation. La simple référence à l'invitation du délégant, et à l'engagement subséquent du délégué, semble insuffisante à constituer un élément caractéristique assez globalisant.

L'ironie du sort voudra que pour définir une notion que nous aurons présentée comme étant fonctionnelle, il sera nécessaire de recourir à une autre notion fonctionnelle : la cause. La tâche n'en ressort pas facilitée.

En effet, il semble que la cause, c'est-à-dire « l'intérêt de l'acte juridique pour son (ou ses) auteur(s) »16(*), constitue l'élément qui permette de faire le départ entre les différents types de délégations. Cela renforce, au demeurant, l'affirmation selon laquelle il n'existe que des délégations spéciales, dans la mesure où la cause catégorique est aussi celle qui permet de différencier les contrats dits spéciaux. Cela dit, il nous faudra préciser, si possible, de quelle espèce de cause il s'agit. Présentement, il semble extrêmement difficile, voire impossible, d'apporter une telle précision. Si la nécessité de distinguer selon la finalité poursuivie par les parties au contrat de délégation est incontestable, la nature de cette finalité peut être l'objet de discussions.

En dépit de toutes ces incertitudes, il reste que, désormais, le terme de délégation, sauf à être lacunaire, ne supporte plus la solitude. Il ne tolère non plus de souffrir d'une hésitation quant à ses fonctions, ne serait-ce que pour une évidente raison de prévisibilité et de sécurité juridique des conventions. Il a cependant trop enduré une étude peu pragmatique, fondée quasi exclusivement sur les textes, et somme toute assez peu sur la jurisprudence et la pratique des affaires. Or, l'utilisation récurrente de la délégation, notamment par la pratique commerciale ou notariale, en fait l'une des illustrations les plus marquantes du concept moderne de « droit civil des affaires »17(*). Ce n'est pas un hasard si, une forte majorité des décisions que nous analyserons est issue de la jurisprudence de la Chambre Commerciale et Économique de la Cour de Cassation. En effet, la délégation est devenue une technique de droit économique18(*). L'analyse civiliste et théorique ne suffit donc plus.

Partir de cas particuliers, pour tenter d'établir une vérité générale et abstraite, en l'occurrence, une définition, peut sembler un raisonnement à l'envers, propre à la statistique, mais étrangère au Droit. Toutefois, une telle approche, bien que critiquable par ses aspects purement quantitatifs, semble beaucoup plus moderne et pragmatique que de hiératiques prémonitions. En effet, jusqu'à présent, la Doctrine s'est en général contentée d'énoncer ce que l'on pourrait faire de la délégation. À cette première approche, il sera préféré une seconde, beaucoup plus pragmatique, consistant à se demander ce que l'on fait concrètement de la délégation.

Il ne s'agit pas simplement de cataloguer les fonctions de la délégation, mais de les actualiser au regard de la doctrine moderne, et, surtout, de ce qui se fait quotidiennement dans la pratique bancaire, commerciale, immobilière etc. Cette actualisation répondra à la première question, qui est de savoir quelles sont les fonctions effectives de la délégation. Ensuite, il sera possible de répondre au second (et secondaire) aspect de notre problématique, savoir ce que recouvre vraiment la notion de délégation.

En conséquence, à un travail essentiellement pratique, d'étude des faits soumis à la jurisprudence récente, et d'identification des buts poursuivis par les usagers du mécanisme de la délégation, succédera un effort de synthèse.

Il s'agira de démontrer que la délégation est une notion fonctionnelle, et qu'il est, en conséquence, nécessaire d'en donner une pluralité de définitions fonctionnelles. Tous nos développements tendront donc à démontrer qu'il s'agit d'un concept fonctionnel, dont l'utilité est marquée par le dualisme. Aussi, dans la mesure où il s'agirait d'une notion fonctionnelle, il nous paraîtrait raisonnable que le but recherché par les parties en guidât le régime juridique.

En définitive, il paraît incontestable que l'observation de la réalité doive conduire à mener une réflexion sur la notion de délégation. Elle permet de constater que cette notion a évolué, parallèlement au développement contemporain de ses fonctions. Face à des phénomènes tels que l'institutionnalisation du cautionnement, ou la rigidité relative des autres sûretés personnelles, la pratique a dû réagir, et en quelque sorte « exhumer » cette « bonne vieille » technique du Code Civil. Afin de véritablement comprendre cette évolution fonctionnelle et conceptuelle, il paraît indispensable de mettre à jour les fonctions de la délégation, notamment au regard de la jurisprudence contemporaine (I), pour, à partir de ce matériau, mettre au jour la notion de délégation (II).

PARTIE I : Mise à jour des fonctions de la délégation

Mettre à jour les fonctions de la délégation implique de s'attarder sur deux aspects essentiels de la manifestation du Droit : La Jurisprudence, et, dans une moindre mesure, la Doctrine juridique plus ou moins contemporaine de cette Jurisprudence. Toute oeuvre de mise à jour se préoccupe en priorité de l'actualité, toutefois, il ne faut pas faire table rase du passé et des acquis jurisprudentiels et théoriques. Ainsi, sera dans un premier temps envisagée la controverse doctrinale sur les fonctions de a délégation (I), et, dans un second temps, nous procéderons au recensement des fonctions actuelles et concrètes de la délégation (II).

Chapitre I : La controverse doctrinale sur les fonctions de la délégation

Globalement, il est possible de distinguer deux mouvements doctrinaux qui s'opposent sur les fonctions qu'a, ou que pourrait avoir, la délégation. L'opposition réside tantôt sur la notion, tantôt sur les fonctions stricto sensu.

Mais, comme il a déjà été souligné, les deux aspects sont parfois intimement liés, notamment en notre matière : Le départ entre sens et fonction ne relève pas toujours de l'évidence 19(*). C'est ainsi que d'une conception plus ou moins large de la notion même de délégation, découleront des fonctions plus ou moins abondantes. Il ne faudra dès lors pas s'étonner que certaines définitions doctrinales soient ici présentées; cette présentation a pour unique finalité de mettre en évidence les fonctions de la délégation constatées par la Doctrine, ou, projetées pour la plupart.

Il sera permis de constater, in fine, que l'opposition doctrinale relevée n'est globalement fondée que sur des conjectures, en l'absence de prise en compte de la pratique contractuelle. Il en est pour preuve le fait que fonctions proposées soient systématiquement présentées au conditionnel20(*). Elles relèvent plus du domaine du voeu, du souhait, ou de l'intuition intellectuelle, que d'une véritable analyse de la réalité. Il est en conséquence difficile de se prononcer en faveur de l'une ou de l'autre des différentes théories exposées, tant la démarche scientifique semble critiquable. À la conception restrictive de la notion de délégation, impliquant une conception restrictive de ses fonctions (I),  s'oppose une acception beaucoup moins rigoureuse (II). Cette opposition se cristallise sur la question de la nécessité d'un ou de plusieurs rapports d'obligations préalables. Il est primordial de souligner que : « la réponse à cette question détermine directement les fonctions de la délégation »21(*).

Section I : La conception restrictive des fonctions de la délégation.

Cette théorie a la faveur d'illustres auteurs22(*). Elle propose une définition beaucoup plus restrictive de la délégation, que celle communément admise, notamment en posant comme condition de celle-ci, l'existence d'obligation(s) préalable(s). Tantôt, il s'agit de l'exigence d'un premier rapport d'obligation au moins (I), tantôt, il s'agit la nécessité d'un double rapport préalable (II). Cependant, s'il est indiscutable que le caractère plus étroit de la notion de délégation lui ferait perdre de sa « plasticité »23(*) naturelle, il est nécessaire de vérifier, si, concrètement, l'exigence d'obligations préalables se justifie. En effet, une conception limitative des fonctions de la délégation risque irrémédiablement de compromettre son attractivité pour les praticiens du Droit. Ce n'est donc pas tant la définition restrictive de la délégation qui serait discutable, mais le contingentement des fonctions qu'elle engendrerait.

§ I : L'existence de l'obligation du délégué comme condition de la délégation

Avant de la réfuter, nous examinerons les fondements de cette proposition. Elle a pour conséquence de limiter considérablement les utilités de la délégation.

A - Exposé des arguments la thèse proposée

Pour M. J. François, l'existence d'une obligation préalable du délégué à l'égard du délégant est un élément caractéristique de la délégation. Il permettrait ainsi de distinguer la « vraie »24(*) délégation, à l'occasion de laquelle le délégué est préalablement débiteur du délégant, des « fausses » délégations, qui appelleraient dans certains cas d'autres qualifications, mieux aptes à rendre compte de la nature juridique de l'opération effectuée.25(*)

C'est dans cette perspective que l'auteur propose de définir la délégation comme « l'opération à l'occasion de laquelle, le délégué, en qualité de débiteur du délégant, accepte de s'engager sur son ordre envers le délégataire »26(*).

Toutefois, il est piquant de constater que l'auteur, au titre de ce qu'il nomme « les fonctions de la délégation  stricto sensu », se contente d'énoncer que la délégation simple « pourrait » (nous qui soulignons l'emploi du conditionnel) permettre de réaliser une donation ou un prêt indirects du délégant envers le délégataire. C'est ainsi que le délégant, dans une intention libérale, octroierait au délégataire, le délégué, qui dans cette hypothèse est impérativement débiteur de du délégant. Rappelons que, selon l'auteur précité, il s'agit d'un élément qui est de l'essence de la délégation.

Il semble aussi que cette opération peut permettre un crédit, avec l'insigne avantage pour le délégant de ne pas avoir à mobiliser de fonds pour ce faire. Le même « schéma » se reproduit, à l'image, de la donation indirecte, à la différence que dans ce dernier cas, le délégataire n'aura pas d'obligation de restitution, inhérente au prêt, à l'égard du délégant 27(*).

Dans ces différentes hypothèses, il s'agit de fonctions probables et non prouvées ; l'utilisation récurrente du conditionnel et la carence d'exemples jurisprudentiels l'attestent s'il en est besoin. En réalité, la donation ou le prêt indirects par voie de délégation ne sont que des illustrations de la délégation-paiement, qui sera étudiée plus loin. Ainsi, le donateur délèguera par exemple un de ses débiteurs, afin de pouvoir exécuter sa prestation envers le donataire. Il en est de même en matière de prêt indirect, par exemple pour l'obligation de mise à disposition des fonds ; sauf s'il l'on estime qu'il s'agit d'un contrat réel, et que la mise à disposition des fonds n'est pas l'exécution d'une obligation, mais une condition de formation du contrat. Sans entrer dans ce débat, il est possible d'affirmer que la donation indirecte ou le prêt indirect ne sont pas des fonctions spécifiques de la délégation. Si tant est que de telles hypothèses se retrouvent en pratique, elles ne sont que des illustrations d'une délégation en paiement, ayant pour finalité l'extinction d'une obligation. Par ailleurs, il est paradoxal que des défenseurs de la conception restrictive de la délégation veuillent lui ajouter des fonctions qu'elle n'a pas.

Néanmoins, force est de constater que ces suppositions sont a priori plaisantes. En effet, elles favorisent l'élasticité fonctionnelle de la délégation, et, en conséquence, son attractivité en tant que mécanisme juridique de droit positif. L'attractivité d'une technique de droit patrimonial dépend souvent de son incidence fiscale, ou de la souplesse de ses conditions de formation et d'opposabilité28(*). Mais, elle dépend également, et il est fréquent de l'oublier, du champ des possibles offert aux praticiens du Droit. Rappelons plus généralement qu'à l'heure de la compétition entre systèmes juridiques, il en va de l'attractivité du Droit français, souvent critiqué pour sa rigidité et son manque de pragmatisme29(*).

La principale difficulté consiste en ce que les hypothèses ci-dessus exposées, intéressantes au demeurant, ne sont accompagnées d'aucun exemple jurisprudentiel ou pratique permettant d'étayer et d'illustrer le propos. Il s'agit donc, comme nous l'avons souligné, de conjectures, contraires à notre démarche scientifique, plus réaliste, visant à mettre en exergue les finalités réelles de la délégation. Il résulte de ce qui précède que la définition et les fonctions proposées ne peuvent qu'être réfutées, ne serait-ce que de façon provisoire, jusqu'à leur confrontation à la Jurisprudence.

B - Réfutation de la thèse proposée

Au-delà des fonctions données en illustration, c'est la définition précitée en elle même qui est à rejeter30(*). Il est en effet possible de la contester à un double titre.

D'une part, elle est extrêmement proche de la définition usuelle de la délégation, dont nous démontrerons qu'elle est creuse. D'autre part, elle n'est pas, et n'a jamais été, conforme à la réalité jurisprudentielle. Or, l'observation de la jurisprudence est en la matière fondamentale. Plus généralement, il s'agit, en Droit du moins, d'une condition de découverte de la réalité, et donc de la Vérité.

Tout d'abord, en ce qui concerne la proximité avec la définition descriptive communément admise ; rappelons que celle-ci se contente d'énoncer l'invitation du délégant (qui n'a rien de caractéristique, infra p.75), l'engagement du délégué, et, parfois, l'acceptation du délégataire, pour permettre de distinguer la délégation de la stipulation pour autrui31(*). Cette définition inconsistante est tout au plus une description.

M. François ne fait donc que se rallier à cette définition creuse, en posant au passage une condition supplémentaire qui, rappelons le, est la qualité de débiteur du délégué envers le délégant. Nous démontrerons qu'en plus d'être rejetée par la jurisprudence, cette exigence n'à aucune utilité. Il faut tout de même avouer que cette proposition doctrinale a le mérite d'être originale. Elle constitue une tentative de pallier le relatif « vide » législatif, souligné par tous les auteurs, sur la notion et le régime de la délégation32(*). En effet, seuls les articles 1275 et 1276 du Code Civil traitent de la délégation, de surcroît, de façon incidente, comme par mégarde, au titre de la novation33(*). Toutefois, la définition précitée (supra p.17) ne passe pas la redoutable épreuve de la confrontation à la réalité jurisprudentielle. En effet, la Cour de Cassation affirme que la qualification d'une délégation est indépendante de la qualité de débiteur du délégué envers le délégant34(*). Cet élément n'est en conséquence nullement caractéristique de la délégation, comme il a pu être prétendu. En réalité, il sera possible de constater que la nécessité de l'obligation préalable du délégué n'a de justification pratique qu'à l'égard de la délégation-paiement. En conséquence, il n'est pas possible d'en faire une constante de la notion de la délégation.

Le mouvement doctrinal ayant une conception restrictive des fonctions de la délégation ne se limite cependant pas à la proposition consistant à faire de l'obligation préalable du délégué envers le délégant, une condition fondamentale de la délégation. Certains auteurs sont, en effet, beaucoup plus exigeants pour reconnaître une véritable délégation, si bien qu'ils requièrent l'existence d'un double rapport préalable, en amont de l'acte de délégation lui même. Certes ne s'agit-il que d'une opinion minoritaire, mais, elle émane d'auteurs qui font autorité en la matière. En conséquence, leur point de vue mérite d'être examiné.

§ II : L'existence d'un double « rapport fondamental » comme condition de la délégation

M. Marc Billiau, auteur d'une thèse faisant référence en notre matière, estime que l'existence de rapports juridiques préalables est une condition constitutive de la délégation35(*). Il en résulte que la qualité de créancier du délégant à l'égard du délégué est essentielle à la qualification d'une délégation, non moins que sa qualité de débiteur à l'égard du délégataire. Cette règle serait justifiée par la finalité unique que l'auteur assigne à la délégation : « Elle est une technique d'extinction des obligations, et elle n'est que cela »36(*). En conséquence, l'existence d'un double « rapport fondamental » en est une condition nécessaire. Cette conception extrêmement limitée de la notion de délégation aboutit à limiter ses fonctions à l'unicité. Elle ne serait qu'un mode d'extinction des obligations.

Il est parfaitement logique de considérer que l'extinction de rapports préalables suppose, en amont, l'existence de ceux-ci. Mais, cette logique ne tient plus dès lors que l'on assigne à la délégation d'autres fonctions que le payement. L'affirmation contraire résulte d'une conception moniste des fonctions de la délégation, limitant son rôle à l'unicité. Si cette opinion trouve des fondements apparents (A), elle n'est toutefois pas avérée, et participe d'une regrettable confusion qui n'emporte pas la conviction (B).

A- Les arguments de la thèse moniste des fonctions de la délégation

Selon cette théorie, il faudrait d'une part considérer ce qu'il est possible d'appeler la position  géographique des textes régissant la délégation. En effet, ceux-ci se situent dans la section II du chapitre V du titre III, du livre troisième du Code Civil. Ce chapitre V est intitulé : « De l'extinction des obligations ».

Selon M. Billiau, la présence de la délégation dans cette partie du code limiterait son utilité à l'unité, l'extinction des obligations ; participant sans doute d'une volonté de l'auteur d'envisager de façon unitaire le concept lui-même, quelle que puisse être son utilisation. En effet, selon l'auteur précité, au-delà des différentes fonctions que l'on voudrait bien lui attribuer, il y a une unité du concept de délégation. C'est ainsi qu'il en propose une définition unitaire et synthétique : « La délégation, en droit des obligations, est l'opération juridique par laquelle un débiteur, appelé délégant, propose à son créancier, appelé délégataire, l'un de ses débiteurs, appelé délégué, qui consent à s'obliger personnellement envers le délégataire »37(*). Il en ressort que la délégation suppose deux rapports de droit préexistant à sa formation.

Il s'agit cependant d'une lecture passablement restrictive du Code Civil. En effet, le seul fait que la délégation soit envisagée dans une partie du Code Civil relative à l'extinction des obligations, ne saurait suffire à la limiter à ce simple rôle. Il est constant que la position des textes dans un code ne sert que d'indice, certes utile, à l'interprétation ou à la compréhension de l'esprit de la règle.

Il suffit d'envisager la position du contrat de société pour s'en convaincre. Le débat sur la nature juridique de la société fut houleux entre, d'une part, les partisans de la thèse contractuelle et, d'autre part, les tenants de la théorie institutionnelle. Ce débat aurait pu être tranché de façon simple, et simpliste, en faisant référence à la position du contrat de société dans le Code Civil. En effet, ce dernier est envisagé en même temps que les contrats dits spéciaux. Toutefois, ce simple argument n'a pas empêché le débat, car la position d'un texte dans le code ne doit constituer qu'un indice de son champ d'application.

Il en ressort, par analogie, que ce n'est pas parcque la délégation est envisagée au titre de l'extinction des obligations qu'elle a nécessairement vocation à se limiter à ce rôle. Quasiment personne ne conteste aujourd'hui la nature contractuelle de la société, mais cela n'empêche en rien qu'elle puisse transcender ce stade primaire, pour relever d'une nature juridique plus complexe.

De même, notre propos n'est pas de dénier la fonction extinctive de la délégation, dont nous verrons qu'elle a une part non négligeable en pratique (V infra p.44 et suiv.) ; il s'agit simplement d'appréhender la réalité dans sa globalité, en relevant que cette réalité intègre la fonction extinctive tout en la dépassant.

Selon la théorie moniste, il faudrait, d'autre part, déduire l'exigence d'un double rapport préalable, et sa conséquence, l'unicité du rôle de la délégation, de l'exégèse de l'article 1275 du Code Civil. Cette exégèse conduirait à constater que l'obligation préalable du délégué à l'égard du délégant, ainsi que l'obligation du délégant à l'égard du délégataire, sont des éléments intrinsèques de la notion de délégation. En somme, il s'agit de la condition du fameux « double rapport fondamental ». Pour réfuter ce second argument, qui n'est du reste que partiellement inexact, il faut relire la première partie de la mièvre définition de la délégation donnée par le Code Civil : « La délégation par laquelle un débiteur donne au créancier un autre débiteur qui s'oblige envers lui (...) ».

Le texte fait effectivement référence à la qualité des parties, il ne s'agit pas d'une personne qui en invite une autre, mais bien d'un débiteur qui donne au créancier, ou plus exactement, qui délègue au créancier, un autre débiteur. En se limitant strictement à l'article 1275 du Code Civil, sans doute pourrait-on concéder, dans une première approche, que l'obligation du délégant (débiteur) envers le délégataire (créancier) est une nécessité. Celui-là donne à celui-ci un nouveau débiteur, cela devrait vraisemblablement vouloir dire qu'il était lui-même  ancien  débiteur de ce créancier. En cela, la proposition critiquée paraît partiellement fondée.

En revanche, pour ce qui concerne le second « rapport fondamental » (délégué délégant), la lecture attentive du Code Civil est particulièrement révélatrice, et illustre du reste la fonction heuristique de l'exégèse des textes38(*). Cet effort nous permet d'éviter une malheureuse confusion sur le rôle et la qualité du délégué.

B - La thèse moniste, résultat d'une confusion sur le rôle et la qualité du délégué

Par l'opération de délégation, « le débiteur donne au créancier un autre débiteur » (art.1275 C. CIV). Il s'agit réellement d'un autre débiteur, délégué au profit du créancier délégataire, et non d'une personne d'ores et déjà débitrice du délégant. La possibilité de confusion s'explique par le fait que la qualité de débiteur du délégué est anticipée par le texte.39(*) L'article 1275 du Code Civil envisage en effet le délégué en qualité débiteur, avant qu'il ne s'engage envers le délégataire ; or, ce n'est qu'à compter de son engagement qu'il deviendra débiteur du délégataire. Au demeurant, cela n'implique pas qu'il soit préalablement débiteur du délégant, quand bien même le texte eût fait référence à une personne en qualité d'« autre débiteur ». En conséquence, l'expression : « autre débiteur » vise effectivement le délégué, mais seulement après qu'il se sera engagé envers le délégataire et sera devenu débiteur de celui-ci. Elle ne se réfère donc pas au délégué en qualité de débiteur préalable du délégant, contrairement à ce que l'anticipation susvisée pourrait faire croire.

L'approximation de l'article 1275 du Code Civil contribue cependant à entretenir une certaine confusion, car l'anticipation de la qualité de débiteur du délégué à l'égard du délégataire a conduit à ce que cette qualité soit quelquefois considérée comme une condition de la délégation, avec cependant une erreur sur le point d'application. Par « erreur sur le point d'application », il est entendu que le délégué a été considéré comme devant être débiteur du délégant, or le texte anticipe cette qualité, mais en tant que débiteur du délégataire. À la pauvreté quantitative des dispositions relatives à la délégation, s'ajoute une fâcheuse rédaction ayant induit la Doctrine en erreur.

Ainsi est-t-il clairement vérifié que l'article 1275 du Code Civil n'impose nullement l'existence d'un rapport préalable entre le délégué et le délégant. Une telle exigence eût nécessité une formulation autre. Il y a en réalité une différence considérable entre : « donner au créancier un autre débiteur », et, donner au créancier : « un autre de ses débiteurs » ou, tout simplement, « un de ses débiteurs ». L'omission volontaire du possessif traduit la volonté du législateur de ne pas faire de l'obligation préalable du délégué une condition de la délégation. Au demeurant, cette solution est, comme nous l'avons auparavant relevé, renforcée par la Jurisprudence40(*). Cette jurisprudence, essentielle s'il en est, est approuvée par une majeure partie de la Doctrine. En effet, « Une solution contraire réduirait inutilement les fonctions de la délégation »41(*). La Cour de Cassation, en s'abstenant d'exiger une dette préalable du délégué, revitalise à nos yeux les fonctions de la délégation, et, du même coup, la notion. En définitive, il ne fait aucun doute que l'obligation du délégué envers le délégant n'est pas un préalable nécessaire à toute délégation.

Pour autant, devrait-on considérer avec certains auteurs que : « peu importe que la délégation se greffe une, deux ou aucune obligation préexistante »42(*) ? Une telle affirmation nous semble réellement excessive. En effet, en pratique, au regard des fonctions que remplit vraiment la délégation, il nous sera possible de vérifier que l'obligation du délégant, à la différence de celle de délégué, demeure toujours nécessaire

Cela étant, il n'est pas inconcevable, qu'en pratique, le délégué puisse être débiteur du délégant, préalablement à la conclusion de la délégation. C'est d'ailleurs bien souvent le cas. L'unique portée déductible de notre exégèse, et de la solution jurisprudentielle précitée, est qu'il ne s'agit pas d'une condition impérative de la délégation. L'obligation du délégué n'est une condition théorique de la délégation qu'en cas de délégation novatoire par changement de créancier, à l'occasion de laquelle, en contrepartie de son engagement envers le délégataire, le délégant libère le délégué. Toute novation suppose en effet, au préalable, une première obligation valable à éteindre43(*). Il s'agirait alors, pour le délégué, d'une novation par changement de créancier ; la novation par changement de débiteur n'opérant que lorsqu'en contrepartie de l'engagement du délégué, le délégataire libère le délégant.

L'affirmation de la nécessité d'un double rapport fondamental, ainsi que la confusion constatée ci-dessus relèvent peut-être d'un besoin inconscient de la Doctrine française de rattacher la délégation à la novation. En effet, sous l'ancien Droit, celle-ci était nécessairement novatoire. Pothier écrit d'ailleurs à ce sujet : « La délégation est une espèce de novation, par laquelle l'ancien débiteur, (le délégant) pour s'acquitter envers son créancier, lui donne une tierce personne qui à sa place s'oblige envers le créancier (...)»44(*). L'expression « pour s'acquitter envers son créancier », atteste que la délégation était uniquement envisagée, sous l'ancien Droit, comme un mode de paiement. Le Code Napoléon a cependant rompu avec cette tradition juridique, pour détacher la notion de délégation de celle de novation. Celle-là peut toutefois produire un effet novatoire, lorsque le délégataire entend décharger le délégant, voire, doublement novatoire, si, concomitamment, le délégant entend décharger le délégué, qui, dans cette hypothèse, était déjà son débiteur. Rappelons que la présence de ce dernier rapport de droit n'est pas impérative. Dans la première hypothèse, il s'agira d'une novation par changement de débiteur, dans la seconde, d'une novation par changement de créancier. Il résulte de ce qui précède que si la délégation peut  produire un « effet novatoire », elle n'entraîne désormais plus forcément novation, comme elle le faisait jadis sous l'ancien droit45(*). En conséquence, n'étant plus, dorénavant, nécessairement novatoire, sans pour autant que cette réalité soit l'objet de critiques, on ne voit pas pour quelles raisons la délégation devrait se contenter de rester un simple moyen de paiement.

La réfutation de la théorie moniste des fonctions de la délégation s'impose, car cette théorie réduit les fonctions de la délégation auxquelles peut recourir la pratique contractuelle. L'exigence d'une définition stricte, basée sur l'existence de rapports juridiques préalables, ne favorise pas l'adaptabilité de la délégation. Il est en effet évident que plus les conditions à remplir seront nombreuses, plus il sera ardu de les réunir. Par conséquent, la délégation deviendrait moins facilement exploitable. Du reste, il est démontré que cette théorie moniste résulte, entre autres, d'une malheureuse confusion due à l'anticipation de la qualité du délégué. En dernière analyse, elle n'emporte pas notre conviction.

Comme nous le verrons plus loin, il n'est ni possible, ni utile, de limiter le rôle délégation, à l'instar de M Billiau, à une opération de simplification du paiement. Il est tout autant illusoire de vouloir exiger de façon générale une obligation préalable du délégué à l'égard du délégant, et, a fortiori, un double « rapport fondamental ».

Néanmoins, il est nécessaire de nuancer la critique, notamment celle adressée à l'exigence d'un double rapport fondamental. En effet, le développement quasi exponentiel du recours à la délégation est relativement récent. Il n'a donc pu être pris en compte dans sa totalité par la Doctrine, même contemporaine. Ce manque de données pratiques (contrats et jurisprudence pour l'essentiel) contemporaines de l'expression de leurs opinions, a pu induire, jadis, les auteurs en erreur. Peut-être ont-ils eu tort de limiter la délégation à une unique fonction, mais, au regard de la matière dont ils disposaient, sans doute avaient-ils  raison d'avoir tort. C'est dans ces circonstances qu'un auteur a pu écrire en 1989 dans sa thèse : « la faible importance du contentieux contemporain serait de nature à faire croire que la délégation est demeurée une technique contractuelle délaissée par la pratique »46(*). Nous verrons à travers l'analyse de la Jurisprudence récente, marquée par un développement du contentieux, qu'une telle affirmation, quand bien même eût-elle été valable il y a peu, est aujourd'hui surannée. Il est donc désormais possible, et, singulièrement, nécessaire, de mettre à jour les fonctions de la délégation.

L'inflation inattendue de la Jurisprudence, ci-dessus relevée, a conduit des auteurs, plus récemment, à voir en la délégation un concept multifonction. La définition de la notion de délégation étant extrêmement vague, elle laisse libre l'imagination des praticiens, sous l'impulsion de la Doctrine. Le risque serait néanmoins une inversion des propositions, et le passage d'un extrême à un autre. Faire de la délégation l'électron libre du Droit des obligations, c'est peut-être la condamner à mourir de gigantisme; ou, faire peser sur celle-ci un sempiternel soupçon de fraude à l'utilisation d'une technique contractuelle plus a propos. C'est ainsi que certains auteurs s'insurgent contre une tendance actuelle tendant à vouloir faire de la délégation « la commode bonne à tout faire du droit français des obligations »47(*). Pour autant, une partie de la Doctrine n'a pas hésité à franchir ce stade, scellant ainsi l'opposition avec l'acception stricte de la délégation.

Section II : La conception extensive des fonctions de la délégation

La pratique des affaires a besoin de souplesse et de prévisibilité, notamment au niveau international. Ce besoin est parfois pris en compte par le Droit ; à titre d'exemple, il est possible de mentionner la création de la cession de créance par voie de bordereau (dite « Dailly »). Dans l'ordre juridique international, la Jurisprudence a pris d'elle-même l'initiative de favoriser la validité des clauses d'indexation, afin que le Droit français ne soit pas lésé sur le « marché du Droit », marché sur lequel s'exerce le libre choix de Loi applicable au contrat international48(*).

La commission « Grimaldi », chargée de proposer un avant projet de reforme du Droit des sûretés, avait elle aussi relevé ce besoin de souplesse, ainsi que la nécessité de promouvoir le rayonnement et la compétitivité de la culture juridique française. Ainsi soulignait-t-elle, dans son rapport, que : « en marge du cautionnement et à la faveur du principe de liberté contractuelle, de nouvelles sûretés personnelles sont apparues dans la pratique des affaires et s'y sont développées au point d'y devenir usuelles. Considérant les difficultés de qualification auxquelles elles donnent parfois lieu en jurisprudence, et soucieux de du rayonnement du droit français (...)  » le groupe de travail a proposé la consécration formelles de nouvelles sûretés personnelles49(*).

Le Législateur a tenu compte de cette suggestion, en consacrant la lettre d'intention et la garantie autonome, comme nouvelles sûretés personnelles nommées, aux côtés du cautionnement50(*).

Toutefois, se pose la question de la place de la délégation parmi ces différentes institutions. En effet, une partie de la Doctrine a une conception très large des fonctions de la délégation, au moins en droit interne51(*). Elle propose ainsi que la délégation soit utilisée comme technique de garantie. Partant, cette dernière pourrait entrer en concurrence avec les (autres ?) sûretés personnelles nommées, notamment le cautionnement (I). À la rigueur, elle pourrait même leur être substituée. En cas de contentieux, il s'agira soit, d'une difficulté de qualification, soit, d'une question de fraude à la Loi. Par ailleurs, il faut relever que certains auteurs voient la délégation jouer un rôle explicatif de certaines techniques juridiques, notamment la cession de contrat (II). Elle cesserait donc d'être un contrat portant sur l'obligation, c'est-à-dire l'effet, pour être un contrat relatif à l'une des causes efficientes de l'obligation, le contrat.

§ I L'opposition doctrinale sur l'aptitude de la délégation à constituer une sûreté personnelle de substitution.

Il s'agit, pour l'instant en tout cas, moins de résoudre la difficulté que de la poser. Plus précisément, il s'agit d'asseoir le débat, d'en relever les enjeux, notamment face aux conceptions extrêmement libérales que certains auteurs ont pu exprimées.

La conception libérale des fonctions de la délégation n'est pas, à strictement parler, l'opposée de la précédente (supra, p.16 et suiv.). En effet, elle se fonde davantage sur la liberté contractuelle et la possibilité laissée aux parties de déterminer le contenu de leurs obligations, que sur la question de savoir s'il doit, ou non, exister des rapports d'obligation préalables à la convention.

M. le professeur Philippe Simler avait, il y a quelques années déjà, proposé d'utiliser la délégation comme succédané au cautionnement devenu trop rigide52(*). La question mérite d'être reposée dans un environnement jurisprudentiel actualisé. Une Doctrine plus récente, et plus militante, propose sans ambages la consécration de la notion de « délégation-sûreté » ; non pour pallier uniquement le manque de sévérité du cautionnement, mais pour contourner en outre la Jurisprudence relative aux garanties autonomes53(*).

A- La délégation-sûreté : solution de substitution au cautionnement ?

Ce débat sera sans doute parmi ceux qui agiteront le plus la Doctrine ces prochaines années. Il n'est bien sûr pas question de l'exposer dans le détail, mais seulement d'en donner un aperçu, de relever l'opposition doctrinale, et de poser, graduellement, ce qui nous semble être les bonnes questions.

La question essentielle est a priori assez simple. Dans un premier temps, il est possible de l'énoncer comme suit : Est-il possible d'utiliser la délégation comme un mode de garantie de la bonne exécution d'une obligation ?

Cette première formulation ne suscite pas de difficultés particulières, dans la mesure où, le Législateur en personne, envisage la délégation comme un mécanisme de garantie du crédit. Par exemple, dans la Loi de 1975 sur la sous-traitance, le maître d'oeuvre a le choix entre fournir au sous-traitant un cautionnement, ou lui déléguer le maître de l'ouvrage54(*). Les deux branches de l'alternative sont considérées, par la Loi elle-même, comme équivalentes dans leur rôle de garantie, et dans leur efficacité. En effet, l'entrepreneur principal a un choix non conditionné entre l'une ou l'autre. Il est, en conséquence, indéniable que la délégation puisse servir à garantir le paiement d'une obligation, au même titre ou à la place du cautionnement, ne serait-ce qu'en vertu d'une disposition législative en ce sens. La pratique se sert de effectivement de cette possibilité55(*). Du reste, il est à remarquer que cette alternative proposée par la Loi est heureuse, car favorable au crédit de l'entrepreneur principal. Comme il a été judicieusement souligné à propos de la Loi de 1975 : « il est généralement plus facile pour un débiteur auquel une garantie est demandée d'obtenir l'engagement d'un tiers qui est déjà son débiteur (...) que de trouver une caution qui assumera pleinement le risque de paiement »56(*). Ainsi est-il démontré que la délégation peut avoir pour fonction de garantir le paiement.

La difficulté relevée plus tôt se pose avec plus d'acuité, dans les cas, au demeurant plus nombreux, où la Loi ne prévoit pas expressément la possibilité de recourir à la délégation comme mode de garantie. Dans cette circonstance, la question qui se pose est de savoir si les parties peuvent, par voie conventionnelle, adopter la délégation dans le seul et unique but de garantir une obligation  (indépendamment d'un quelconque paiement d'une obligation préalable).

La question est encore plus épineuse quand il s'agit de substituer au cautionnement, sûreté personnelle classique, une opération de délégation. Il s'agirait de savoir, en définitive, si le recours au cautionnement est d'ordre public en matière de garantie par adjonction de débiteur. À l'évidence, la réponse doit désormais être négative, la Loi venant de consacrer la lettre d'intention et la garantie autonome comme autres sûretés personnelles57(*); le cautionnement n'est donc pas la seule sûreté personnelle exploitable.

En réalité, la question qu'il faut véritablement se poser est plus précise. Il s'agit de savoir si le recours au  trinôme : garantie autonome, lettre d'intention, cautionnement, est en lui-même d'ordre public ; auquel cas, les parties seraient contraintes de se limiter à une de ces sûretés personnelles nommées. Dans une telle hypothèse, tout recours à la délégation dans une optique de garantie serait une fraude à la Loi58(*). La question étant clairement posée, nous y répondrons un peu plus loin, après avoir examiné la Jurisprudence de ces dernières années. Toute réponse anticipée serait en effet purement idéologique, reflétant simplement le voulu et non le Vrai.

Toutefois, il est d'ores et déjà possible de souligner les enjeux de la question posée. Comme nous l'avons relevé (V. supra p.27 et suiv.), il en va de la souplesse et donc de l'attractivité du Droit français. Ce premier intérêt est à concilier avec la nécessité de protéger la partie faible, qui est souvent la personne qui s'engage comme garant. L'ensemble s'inscrit dans une perspective générale de renforcement du crédit.

Il faut cependant relever qu'une partie de la Doctrine a quand même répondu à la question que nous nous sommes posée tantôt. Les réponses apportées sont néanmoins divergentes. Il y a en conséquence une opposition doctrinale sur l'aptitude de la délégation à servir de sûreté de substitution au cautionnement. La même opposition pourra être relevée à propos de la garantie autonome.

Selon une opinion minoritaire, que nous avons exposée précédemment, le recours à la délégation en guise de sûreté et, a fortiori, comme substitut au cautionnement, est tout bonnement impossible. La nature intrinsèquement extinctive de la délégation ne lui permettrait pas de jouer un rôle de garantie. Certes concèdent-ils que la délégation pourrait, de façon médiate, avoir un effet de garantie du paiement, mais, ce ne serait qu'à titre subsidiaire. En conséquence, cet effet secondaire ne saurait, nonobstant toute convention contraire, primer sur le rôle premier de la délégation, à savoir l'extinction d'obligations préexistantes.

Il en ressort que la volonté de circonscrire le domaine de la délégation est motivée par deux raisons distinctes. D'une part, la volonté de ne pas faire ombrage au cautionnement et aux autres sûretés personnelles59(*). Dans ce cas, la limitation des fonctions de la délégation a un fondement extrinsèque. D'autre part, elle a un fondement intrinsèque, lorsqu'il est mis en avant que la nature même de la délégation l'empêche d'avoir une autre fonction que le paiement, indépendamment de toute concurrence avec le cautionnement60(*). Aussi peut-il y avoir accord sur le principe, sans pour autant que ses fondements soient homogènes.

Selon une opinion qui semble majoritaire, la souplesse de la délégation devrait lui permettre de compléter ou relayer le cautionnement61(*). Mieux encore, elle permettrait d'esquiver une jurisprudence tatillonne en matière de garantie autonome, et à cause de laquelle « la chicane rédactionnelle atteint des sommets »62(*).

B - La délégation en garantie : solution de substitution à la garantie autonome ?

Un auteur a pu écrire, à propos de cette interrogation, que : « Depuis une dizaine d'années, une jurisprudence implacable limite fortement l'utilisation des garanties autonomes (...). Cette jurisprudence contredit manifestement les aspirations de la pratique commerciale (...) il n'y a pas d'autres solutions que de puiser dans le droit commun des obligation une technique qui permettrait de constituer une sûreté personnelle aussi simple à mettre en oeuvre que le cautionnement, mais présentant une plus grande sévérité »63(*) .

Selon le même auteur, la technique idéalement efficace pour ce faire serait la délégation imparfaite incertaine. Il en résulterait que : « La délégation imparfaite et incertaine peut (...) être utilisée à la seule fin de constituer une sûreté personnelle »64(*). Si elle est avérée, son efficacité pourrait s'expliquer à notre sens par deux principaux éléments.

D'une part, la délégation est conclue imparfaite65(*). Autrement dit, le délégataire, en acceptant l'engagement du délégué, ne libère pas pour autant le délégant. En conséquence, il n'y a pas substitution, mais adjonction d'un débiteur à un autre Cette agrégation de débiteurs, en l'absence de novation, offre au créancier une pluralité de droits de poursuite, ce qui est caractéristique de toute sûreté personnelle, en plus de l'absence de contribution à la dette du garant66(*).

D'autre part, la délégation est conclue incertaine, c'est-à-dire que l'obligation du délégué envers le délégataire est définie en référence à l'obligation du délégant envers le délégataire (purement incertaine), ou, éventuellement, en contemplation de la propre obligation du délégué envers le délégant (simplement incertaine). En pratique, le plus souvent, le délégué s'engage pour ce que doit le délégant. Cette réalité est si courante que la jurisprudence a décidé de la présumer67(*) . La délégation étant incertaine, il y a identité de valeur entre ce qui est dû par le délégant et le montant de la garantie. C'est un avantage non négligeable.

Cette double caractéristique contribue à justifier l'intérêt de la délégation comme palliatif de la relative rigidité de la garantie autonome. En effet, la jurisprudence requalifie la garantie autonome dés lors que l'obligation du garant est définie par références complexes à celle du débiteur garanti68(*). En revanche, une référence simple à l'obligation garantie ne remet pas en cause la qualification de garantie autonome69(*). Cette rigueur rédactionnelle peut s'avérer difficile à respecter en pratique, sans recours à un conseil avisé (donc onéreux). Enfin, pour couronner son oeuvre restrictive, la jurisprudence n'admet pas non plus le recours aux garanties autonomes dites « glissantes », qui permettrait une réduction du montant dû à titre de garantie au fur et à mesure que le débiteur s'exécute envers le créancier70(*). L'ensemble de ces solutions réduit fortement la souplesse de la garantie autonome, elles sont néanmoins parfaitement justifiées par le caractère indépendant de celle-ci ; ce caractère autonome explique qu'elle ne doive pas subir les contrecoups de l'obligation garantie71(*).

La garantie autonome étant, de par ses imperfections, exclue, rien n'empêcherait a priori de recourir à une sûreté plus adéquate, et plus sévère : la délégation-sûreté. Il en résulte que l'autonomie de la délégation-sûreté par rapport à la garantie autonome ne pose apparemment pas de difficultés majeures. Elle pourrait notamment permettre de contourner l'invalidation jurisprudentielle de la garantie autonome dite « glissante », ou de celle définie en références complexes à l'obligation garantie.

En revanche, l'autonomie de la notion de délégation-sûreté, en tant que telle, peut être l'objet de discussions. Comme nous l'avons relevé plus tôt, certains auteurs contestent cette autonomie en raison de la nature même de la délégation, qui ne serait qu'une technique de paiement simplifié. D'autres s'opposent à la notion de délégation-sûreté non pour des raisons tenant à la notion de délégation elle-même, mais à cause de la difficulté de l'articuler avec d'autres techniques juridiques, à l'exemple du cautionnement. La délégation à titre de garantie, ou délégation-sûreté, est-elle réellement une notion autonome ? La question étant posée, nous nous refusons d'y répondre pour l'instant. Il n'y sera répondu qu'après que l'on aura confronté les dires de la Doctrine à la jurisprudence, conformément à la méthode que nous avons préconisée (V. supra, p.5 et suiv.).

Il est cependant une question envisageable immédiatement, du moins du point de vue doctrinal, dans la mesure où elle suscite une opposition entre auteurs. Il s'agit de la fonction explicative que la Doctrine fait jouer à la délégation, notamment en matière de cession de contrat.

§ II : L'absence d'unanimité sur les fonctions explicatives de la délégation

Par fonction explicative, on entend la propension de la délégation à démêler certaines opérations juridiques non, ou mal, qualifiées, en droit civil du moins. La précision s'impose, car il peut s'agir d'une technique déjà qualifiée par le droit commercial (V. par ex. la lettre de change). Nonobstant l'existence d'une qualification juridique en droit commercial, les commercialistes cherchent souvent à expliquer les techniques de droit commercial par le droit commun (plus noble ?). À titre d'exemple, on peut citer les analyses faites à propos du compte courant à partir de la compensation ou de la confusion72(*). Ainsi a-t-il souvent été mis en avant la possibilité de recourir à la délégation, pour expliquer le fonctionnement de certains moyens de paiement, ou la fameuse opération de cession de contrat. Si la première difficulté a été résolue par une solution qui semble unanime (A), la seconde paraît plus controversée (B).

A - L'utilisation doctrinale de la délégation comme technique explicative de certains moyens de payement ou de crédit

Il s'agira simplement de présenter les explications jugées les plus intéressantes, sans prétendre à l'exhaustivité73(*). Les explications les plus intéressantes ont semble-t-il été fournies à propos de la carte de paiement et de la lettre de change. Si elles étaient avérées, il s'agirait de fonctions inédites de la délégation.

1) L'explication du paiement par carte via la théorie de la délégation

Dans une certaine mesure, une partie de la Doctrine s'accorde pour attribuer à la délégation une fonction explicative du paiement par carte bancaire.

C'est ainsi que selon certains auteurs, la carte bancaire « révèle un bon exemple de délégation »74(*). Le schéma en est le suivant : Le commerçant, vendeur du bien ou prestataire du service, est le créancier délégataire. L'acheteur, ou le bénéficiaire du service, est le délégant. L'établissement de crédit, émetteur de la carte, s'engage personnellement à régler la dépense auprès du commerçant, adhérent au système de paiement par carte bancaire. Cet engagement de l'établissement de crédit est un engagement en qualité de délégué, à l'insu même des acteurs de l'opération. En effet, les partenaires n'ont pas conscience dans cette hypothèse de recourir à une délégation et, même s'ils en ont conscience de par leur culture juridique, la délégation n'est pas la finalité recherchée. Celle-ci n'a qu'une fonction explicative a posteriori. Au demeurant, l'opération ne constitue réellement une délégation que dans la mesure du montant garanti par le banquier, qui, jusqu'à un certain seuil, s'oblige à payer quel que soit le solde du compte de son client75(*).

Cette mise en relief d'une des diverses fonctions explicatives de la délégation est tout à fait intéressante, et sans doute vraie. Cela étant, il s'agit uniquement d'une fonction explicative, habillant en aval une situation juridique donnée. Or, l'essentiel n'est pas de savoir ce qu'il est possible d'expliquer par la délégation, mais ce que l'on fait, par le biais d'une démarche volontaire, avec la délégation. La fonction explicative de la délégation aura souvent peu d'intérêt pratique, parcque la technique juridique en question sera préalablement qualifiée est régie par une disposition législative76(*). Il faudrait en conséquence éviter d'utiliser cette fonction explicative de façon abusive, comme cela a été le cas pour la lettre de change.

2) La tentative d'explication de la lettre de change par le recours à la délégation

Cette théorie, qui n'est pas sans laisser penser à la notion de rapport fondamental, typique du droit cambiaire, est l'oeuvre du juriste Thaller77(*). Cet auteur a tenté d'expliquer la lettre de change par la délégation. Cette explication n'a toutefois pas eu le succès escompté.

De prime abord, la thèse parait intéressante. En effet, la délégation et la lettre de change ont une proximité quasi fraternelle78(*). Le schéma est en tous cas le même : Le tireur (pseudo délégant), donne ordre au tiré (soi disant délégué), de payer une certaine somme au porteur (prétendu délégataire). Le tiré accepte de payer le porteur de l'effet, mais la proximité avec la délégation s'arrête là. En effet, il n'est pas possible d'établir plus encore la parenté entre la délégation et la lettre de change, car la délégation suppose l'accord de toutes les parties. Or, la lettre de change est susceptible d'être endossée et de circuler, et, dans cette hypothèse, le pseudo tiré n'aura pas accepté la nouvelle personne arrivant au titre, ce qui est aux antipodes de la trinité des consentements inhérente à la délégation. Voilà sans doute la critique théorique la plus essentielle à l'égard de la proposition de Thaller.

Nous nous permettrons cependant d'ajouter une critique d'ordre pratique. À quoi sert-il d'expliquer la lettre de change par la délégation, dès lors que celle-ci fait l'objet d'une réglementation précise ?79(*) Il semble, en réalité, inutile de conférer à la délégation un rôle d'explication de situations juridiques préalablement régies. Cela conduit à une éventuelle superposition inutile des règles applicables, sans apporter de précisions opportunes, ni pallier de lacunes. En définitive, il faut donc rejeter cette explication, au même titre que celle faisant de la délégation le socle juridique de la cession de contrat.

B - Le transfert conventionnel du contrat expliqué par la délégation

La prétendue  cession de contrat, qui est une question controversée, a fait l'objet de débats houleux entre les auteurs qui estiment qu'elle n'existe pas, et ceux qui plaident pour son autonomie et sa consécration générale en droit commun80(*). Il est cependant une question, qui bien que suscitant moins de débats, n'en est pas pour autant étrangère à notre préoccupation, recenser les véritables fonctions de la délégation. La question peut être posée en ces termes : « cession de contrat ou délégation de contrat » ? 81(*) Autrement dit, il s'agit de savoir si le véhicule juridique, le réceptacle en droit commun, de la cession conventionnelle de contrat, peut être la délégation. Une analyse assez originale propose de requalifier en « délégation de contrat », toute tentative de cession conventionnelle de contrat, dans la mesure où celle-ci est « irréalisable », car « se heurtant aux principes les plus affirmés du droit des obligations ». 82(*)

La proximité entre la délégation et la cession de contrat est indubitable. En effet, les deux techniques présentent une certaine parenté. D'une part, elles mettent conjointement en présence trois personnes, d'autre part, le consentement de ces trois acteurs est nécessaire à la formation tant de l'une que de l'autre. Néanmoins, il nous semble qu'il serait inutile, non plus qu'opportun, de confondre les deux techniques ; cela pour une raison assez simple. La délégation est un « contrat relatif à une obligation », c'est-à-dire au produit d'une cause efficiente d'obligations (contrat, responsabilité, quasi contrat)83(*). Plus précisément, elle est un contrat relatif l'obligation du délégant ; il s'agira, selon l'objectif poursuivi, de l'éteindre ou de la garantir. En revanche, la cession conventionnelle de contrat est un contrat relatif au contrat lui-même, à la cause efficiente de l'obligation. Peut être est-elle le pendant de la délégation en matière contractuelle, mais ce fait, s'il est avéré, ne saurait aboutir à la confusion de ces deux notions, ayant objet totalement différent : L'obligation pour l'une, le contrat pour l'autre.

En conséquence de ce qui précède, la cession de contrat (si tant est qu'elle existe) est irréductible à la notion de délégation ; tout au plus saurait-elle s'en inspirer. Dans une optique de cohérence du système juridique, il est antithétique, et donc inopportun, de juxtaposer le terme de délégation (propre à l'obligation, quelle que soit sa source), au terme de contrat84(*). Il serait tout aussi fautif de parler de paiement de contrat (car c'est toujours une obligation qui est payée) ou de compensation de contrat (la compensation étant propre aux obligations réciproques)85(*).

Ainsi avons-nous démontré l'incompatibilité entre la délégation, technique propre aux obligations, et la cession contrat ; il convient alors de poursuivre notre recherche dans une perspective beaucoup plus pratique que théorique.

Aussi, afin de recenser les fonctions « réelles » de la délégation, nous réexaminerons quelques unes des questions déjà envisagées, mais sous un angle beaucoup plus éclairant, celui de la jurisprudence.

Chapitre II : Inventaire des fonctions de la délégation à la lumière de la pratique contractuelle contentieuse

Une entreprise de recensement des différentes sûretés personnelles existantes a d'ores et déjà été faite, par le professeur Pascal Ancel, pour le compte du ministère de le Justice86(*). En conséquence, il n'appartient pas à l'auteur de ces lignes (consacrées à la délégation) de la reprendre ou de la mettre à jour. Cela dit, il est possible et opportun de s'inspirer de cette méthode sur un aspect particulier, pouvant être envisagé au titre des sûretés personnelles, et qui nous intéresse directement : Les fonctions de la délégation. Ainsi pourra-t-il en ressortir, à l'instar du rapport précité, un véritable catalogue de ses diverses fonctions. L'objet de l'étude du professeur Pascal Ancel était de présenter un état complet du droit positif en matière de sûretés personnelles. Sa démarche scientifique est quasiment identique à la nôtre, même si elle concerne un thème beaucoup plus large que la délégation. À partir du CD Rom lexilaser Cassation, couvrant la période 1986-1995, le professeur Ancel a procédé à un recensement de tous les arrêts rendus en matière de sûretés personnelles depuis dix ans. Cette véritable anthologie lui a permis de procéder à une étude systématique de la jurisprudence de la Cour de Cassation, afin de mettre en exergue le type de sûretés qui donne lieu à contentieux, et « l'utilisation qu'en font réellement les acteurs ». De la sorte « Ce recensement a fourni une idée [...] des questions posées et des résultats concrets obtenus par les acteurs »87(*). Ainsi est-il irréfutablement démontré, par analogie, le bien fondé de notre démarche inductive et pragmatique, à partir d'éléments concrets88(*) 

Comme nous venons de le souligner, le travail de recensement proposé ne peut être simplement empirique ; il exige un matériau fiable : la Jurisprudence. Il y est ici fait référence par ce que nous somme convenus d'appeler la « pratique contractuelle contentieuse ». Ce champ de prospection, circonscrit à l'aspect contentieux des actes juridiques, peut paraître quelque peu limité ; cette limite a toutefois une justification assez simple : Seules les situations de délégations ayant fait l'objet d'une exécution litigieuse, ayant été portées devant une juridiction étatique, peuvent être accessibles assez aisément, de façon à être étudiées. Pour des raisons d'ordre matériel, seront donc écartées les opérations de délégation ayant fait l'objet d'un arbitrage, et, a fortiori, les opérations de délégation n'ayant pas eu une formation ou une exécution litigieuse. Il est aisé d'imaginer que ces innombrables spécimens pratiques pourraient présenter des situations originales. Hélas ! La modestie de notre tâche ne nous permet pas d'en tenir compte. De ce fait, sonder la pratique se résumera à sonder la pratique contractuelle contentieuse89(*).

On voit alors poindre la limite de notre étude. En effet, force est de constater que la pratique contractuelle, litigieuse ou non, mais non contentieuse, peut révéler des utilisations singulières de la délégation. Cela ne signifie pas pour autant que notre labeur sera vain. En effet, comme il a été souligné plus haut, le contentieux récent en matière de délégation est riche. Il s'agit d'abord d'une richesse quantitative, au regard du nombre de décisions rendues ces dernières années. Mais il s'agit aussi, dans une moindre mesure, d'une richesse qualitative, car un certain nombre de décisions est venu démêler des situations inédites.

De ce dépouillement de la Jurisprudence, il ressort un certain nombre de réalités à propos de l'utilisation concrète qui est faite de la délégation. Ces réalités nous permettent de réfuter toutes les positions purement dogmatiques qui ont pu être émises. Ces théories ne se vérifient pas, ou pas entièrement. Elles ont cependant pour intérêt de constituer une critique avisée de ce qui est vérifié. L'analyse de la Jurisprudence révèle que la délégation a, contrairement à ce qui a pu être avancé, plusieurs fonctions. Ses utilités englobent mais ne se limite pas au paiement de l'obligation. Cela est en grande partie dû à sa plasticité90(*). Il ressort en substance des décisions qui ont pu être dépouillées que si certaines fonctions, à savoir le paiement et la garantie, peuvent être couramment observées au travers de la Jurisprudence, et entérinées par les juridictions (I) ; d'autres sont, en revanche, rejetées ou limitées par celles-ci (II).

Section I : Les fonctions de la délégation consacrées par la jurisprudence

Il s'agit en réalité de fonctions implicitement consacrées. En effet, il est possible de déduire cette consécration du fait qu'il n'existe aucune décision ayant censuré une délégation en paiement, ou une délégation à titre de garantie, pour la seule raison qu'il s'est agi d'une délégation. À l'évidence, toute délégation encourt la nullité si elle ne respecte pas les règles essentielles de formation des contrats, exposées aux articles 1108 et suivants du Code Civil ; ou, la requalification, conformément à l'article 12 du NCPC, si le contrat soumis au juge ne répond pas au(x) critère(s) de la délégation. Dans toutes les hypothèses précédentes, il s'agit d'invalidations pour des raisons d'ordre général, non spécifiques au recours à la délégation en lui-même.

Une fois les questions spécifiques de validité générale évacuées, et admis le principe de la validité, en soi, de la délégation ; il faut envisager comment elle se meut concrètement dans ce qui est pour ainsi dire sa fonction naturelle : le paiement (I). Il faudra ensuite s'attarder sur la seconde fonction à laquelle recourt la pratique contractuelle, avec la bénédiction de la Jurisprudence, la garantie du crédit (II).

§ I : La simplification du paiement, fonction naturelle et originelle de la délégation

L'office premier et naturel de la délégation est le paiement. Ce rôle est si important qu'il a pu être affirmé qu'il s'agissait de son unique utilité91(*). Toute importante que soit cette application, elle n'est pas unique. En effet, comme cela sera mis en évidence plus loin, la délégation sert de plus en plus, sous l'impulsion de la pratique contractuelle, de technique de garantie du crédit. Cette seconde fonction est cependant plus problématique que la fonction extinctive de la délégation. En effet, contrairement à celle-là, celle-ci ne cause pas de difficulté théorique majeure, dans la mesure où il existe une quasi unanimité doctrinale sur la fonction simplificatrice de la délégation en matière de paiement92(*). L'utilisation de la délégation aux fins de simplification du paiement n'est pas une « découverte » de la pratique, toutefois, celle-ci la déploie de façon habile et originale, pour éteindre la dette du délégant envers le délégataire, simultanément à celle du délégué envers le délégant. Au reste, il faut préciser que l'article 1275 du Code Civil ne définit pas expressément la délégation comme une technique de paiement simplifié ; il se situe simplement dans la partie du Code relative à l'extinction des obligations. Il est uniquement possible d'en déduire que la délégation a au moins pour finalité le paiement.

L'observation de la pratique contractuelle contentieuse révèle un certain « appétit » pour cette fonction originelle de la délégation (A), sans doute parcqu'elle engendre un effet incident de garantie (B). Toutefois, il est nécessaire de préciser que lorsque la pratique des affaires recourt à la délégation en paiement, que nous proposons d'appeler délégation-paiement, c'est avec pour objectif principal sa simplification. L'effet de garantie n'est en réalité qu'accessoire, et peut-être même, ignoré des parties.

A - L'utilisation pratique de la délégation aux fins de simplification du paiement

De prime abord, on aurait pu penser que la pratique des affaires serait simplement restée en contemplation devant ce qu'il est possible de considérer comme la fonction naturelle de la délégation : le paiement. En effet, la délégation est une technique très peu définie au régime juridique inachevé93(*). Par ailleurs, le Code Civil connaît d'autres techniques permettant de simplifier le paiement, à l'exemple de la compensation ou de la dation en paiement. Ces arguments n'ont toutefois pas suffi à freiner le relatif engouement pratique pour la délégation-paiement. En effet, l'observation de la jurisprudence récente nous démontre qu'il s'agit d'une fonction encore vivace et concrète de la délégation. Etayons notre propos par l'exemple.

Parmi les décisions récentes les plus illustratives, il est possible de retenir un arrêt de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation, en date du 22 Février 200594(*). En l'espèce, une société a vendu à une autre un immeuble à usage commercial. Par une clause du contrat de vente, les parties sont convenues que l'acquéreur payerait un supplément de prix en cas de réalisation d'une condition prévue au contrat. Il se trouvera que la société ayant cédé l'immeuble a elle-même un créancier, qui, selon toute vraisemblance, a participé à la construction ou à la rénovation de l'immeuble cédé. Afin d'éviter un mouvement de fonds inutile, le vendeur de l'immeuble délèguera au profit de son créancier le complément de prix dû par l'acquéreur. En conséquence, le créancier du vendeur pourra directement s'adresser à l'acquéreur pour obtenir son paiement. Un mouvement inutile de fond est ainsi évité. La ligne droite n'est-elle pas toujours le plus court chemin ? Tel est l'office premier de la délégation : « Transformer une ligne brisée en ligne droite »95(*).

Il ne s'agit pas d'un exemple isolé, ni propre à la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation. Aussi peut-on relever, devant la première Chambre Civile, des hypothèses de recours à la délégation-paiement, qui est loin d'être un monopole des commerçants. Ainsi est-il possible de mentionner, entre autres, une décision du 18 mars 2003 rendue par la première Chambre Civile de la Cour de Cassation96(*). Les faits sont explicitement dans le sens d'une délégation-paiement. Une société consentira en l'espèce un bail de sous location à une autre. Selon le schéma ordinaire de la sous location, le sous locataire devra verser un loyer ou sous-bailleur, qui devra lui-même verser un loyer au bailleur propriétaire. Il en résulte un double mouvement de fonds, non seulement inutile, mais encore, éventuellement coûteux (frais du paiement etc.). Dans l'espèce qu'a eu à connaître la troisième Chambre Civile, les parties ont, sans doute sur recommandation d'un conseil averti, décidé de conclure un contrat de délégation, afin de simplifier le paiement. Ainsi le sous locataire a-t-il consenti, sur invitation du second bailleur, à s'engager à verser directement le montant du loyer au profit du primo bailleur. Cette opération a pour finalité essentielle d'éviter que le sous bailleur ait à encaisser puis décaisser les loyers. D'un point de vue strictement économique, il s'agit, comme nous l'avons souligné, d'une véritable rationalisation du paiement.

La matière immobilière n'est pas l'unique domaine pratique de la délégation-paiement. Le financement de l'acquisition de parts sociales peut aussi, opportunément, donner lieu à une simplification du paiement par voie de délégation. C'est l'enseignement qui ressort des faits d'un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation en date du 17 juillet 200197(*). Les faits sont une fois de plus assez explicitement dans le sens d'une délégation en paiement : L'associé d'une SCI cède à une autre société ses parts dans la SCI en question. Il se trouve que le cédant est lui-même débiteur d'un établissement de crédit, au titre d'un prêt conclu auparavant, apparemment pour le financement de l'acquisition des parts de la SCI. Dans une configuration ordinaire, le cédant devrait percevoir le prix des mains du cessionnaire, ce qui est censé étoffer son patrimoine, de façon qu'il puisse lui-même régler sa dette envers la banque. Le problème qui surgit inéluctablement est la longueur du circuit, engendré par la répétition des paiements : le cessionnaire envers le cédant, le cédant à l'égard du banquier. Pour favoriser la simplicité de l'opération, le cessionnaire s'est en l'espèce engagé à payer directement le prix des parts sociales entre les mains de la banque.

Parmi toutes les délégations-paiement relevées, un autre exemple d'utilisation assez ingénieuse mérite d'être rapporté. Il provient d'une décision de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation en date du 3 Avril 200198(*). En l'espèce, une société spécialisée dans le matériel d'impression achètera une rotative dans le but de la revendre, non sans avoir effectué quelques réparations sur celle-ci. Le premier acquéreur, plutôt que de payer le prix d'un matériel qu'il ne conservera que le temps nécessaire à sa réparation, préférera déléguer au profit du vendeur, le sous acquéreur, déjà connu, du bien. Cette « manoeuvre » permet d'éviter que le premier acquéreur du bien ait à payer son prix entre les mains du vendeur, alors qu'il a déjà cédé le bien à un sous acquéreur, dont il est créancier du prix. Encore une fois, on parvient au même résultat, c'est-à-dire la suppression d'une étape inutile du paiement. À cet égard, la délégation-paiement à une fonction comparable à celle de la compensation.

La délégation en paiement est en définitive une figure juridique bien connue de la pratique contractuelle française. Elle permet une extinction simplifiée de la dette du délégant envers le délégataire, et de la dette du délégué envers le délégant. On constate, qu'en pratique, ce double rapport de droit est toujours nécessaire, faute de quoi, la délégation en paiement n'aurait aucune espèce d'intérêt. En effet, pour avoir à payer, il faut qu'il existe une dette préalable. Pour simplifier, il est impératif qu'il y ait deux dettes préalables. Peut-être ne s'agit-il pas d'une condition de validité de la délégation-paiement ; en revanche, c'est indéniablement une question de bon sens. Comment pourrait-on simplifier un circuit de paiement qui n'a rien de complexe ?

Économiquement, la délégation-paiement permet une rationalisation du paiement, en supprimant des étapes inutiles du circuit. Juridiquement, elle produit un effet supplétif et accessoire de garantie, qui n'est cependant pas le motif déterminant des parties. Toutefois, il est fortement probable que cet effet incident constituera un critère de sélection permettant d'opter pour la délégation en paiement, quand d'autres modes de paiement eurent été envisagés par les parties.

B - L'effet supplétif et accessoire de garantie engendré par le recours à la délégation-paiement.

Le recours à la délégation-paiement engendre un effet incident de garantie, dont on peut supposer qu'il est parfois inconnu des parties. Au demeurant, quand bien même eût-il été connu, il n'est pas principalement recherché de celles-ci. En effet, il s'agit d'un effet produit par les textes régissant la délégation, non par les conventions particulières des parties. Dans la mesure où il s'agit de textes supplétifs, les parties pourront, le cas échéant, les écarter. Mais encore faut-il qu'elles les connaissent, et qu'elles le souhaitent. Dès lors que la délégation-paiement est conclue afin de simplifier le paiement, les parties sont censées être indifférentes à la garantie d'une quelconque obligation. De la volonté de simplification du paiement, il est possible de déduire qu'elles ont nécessairement, en amont, considéré celui-ci comme suffisamment sûr. C'est pourquoi un tel effet de garantie doit être considéré comme accessoire, il n'est pas recherché pour lui même.

Pour autant, un tel résultat n'est en pratique pas négligeable. Il offre une garantie supplémentaire au délégataire, constituée par l'adjonction d'un second débiteur au débiteur initial. Cette accumulation de débiteur est la résultante du principe général selon lequel la novation ne se présume pas (art. 1273 du Code Civil). Ce principe est appliqué au cas particulier de la délégation par l'article 1275 du Code Civil, dont il résulte que la délégation « n'opère point de novation, si le créancier n'a pas expressément déclaré qu'il entendait décharger son débiteur qui a fait la délégation » (la délégation imparfaite est de principe). Il s'agit, comme nous l'avons souligné, d'une règle supplétive. Toutefois, elle paraît un peu moins supplétive que les règles de même nature, la convention contraire ne pouvant être qu' « expresse ». Concrètement, le fait de ne pas écarter cette disposition supplétive (en concluant une délégation novatoire) a des effets importants. Il est possible de les analyser à partir des illustrations jurisprudentielles apportées à propos de la délégation-paiement.

C'est ainsi que dans l'exemple de délégation-paiement précédemment envisagé, et soumis à la Cour de Cassation le 22 février 2005, la Chambre Commerciale, en se fondant sur la règle de l'inopposabilité des exceptions, refusera à l'acquéreur la possibilité d'invoquer à l'encontre de délégataire une créance qu'il aurait envers le délégant99(*). Il en ressort inexorablement une sécurisation de la créance du délégataire, résultant de la nouveauté de l'engagement du délégué, cumulée à la persistance de la créance du délégataire envers le délégant. Cette superposition de débiteurs offre au délégataire un second droit de gage général, sur un second patrimoine. N'est-ce pas le trait commun de toutes les sûretés personnelles ? 100(*) Toutefois, ce n'est pas le but poursuivi par les parties dans l'espèce relatée. Leur objectif principal, voire unique, était de procéder à une simplification du mode de règlement du créancier du vendeur de l'immeuble, en éteignant concomitamment la dette de l'acquéreur envers le vendeur. Cette simplification résulte de l'unicité du paiement à intervenir. L'effet de garantie, inhérent à l'opération de délégation imparfaite, n'était pas recherché en tant que tel. Sans doute intervient-il à l'insu même des parties.

Il reste alors à savoir s'il est possible d'utiliser cet effet accessoire et inhérent à la délégation imparfaite, à titre principal, indépendamment de toute simplification du paiement. En d'autres termes, il s'agirait de multiplier les débiteurs non pour éviter la multiplication inutile des paiements, mais pour en garantir la bonne exécution101(*). Comme nous le verrons immédiatement, la pratique contractuelle recourt de plus en plus à la délégation en tant que technique de garantie du crédit. Il n'est donc pas fondé d'affirmer qu'une telle convention est impossible, car elle se réalise déjà en pratique. On ne peut que critiquer le « mal déjà fait ».

§ II : L'utilisation récurrente et valable de la délégation comme technique de garantie du crédit

La question qui se pose est simple : La jurisprudence offre-t-elle des illustrations d'une utilisation valable de la délégation aux fins de garantie du crédit ? C'est-à-dire, selon les mêmes objectifs que les sûretés personnelles nommées102(*). La réponse est tout aussi simple : oui. Sans dire que de tels exemples sont légion en jurisprudence, force est de constater que la pratique contractuelle récente nous en donne quelques figures.

Le développement récent du recours «quasi massif » à la délégation a engendré une croissance de son contentieux ; ce phénomène est intéressant à observer. En effet, comme nous le verrons plus loin, les différents modes de recours à la délégation conduisent à s'interroger sur l'unité et l'identité de la notion elle-même.

Il semble ressortir de l'observation de la jurisprudence que, sous l'impulsion de la pratique notariale d'abord, et de la pratique bancaire ensuite, se soit développée une sorte de figure pratique primitive la délégation à titre de garantie : La délégation de locataire (ou d'acquéreur), notamment au profit du prêteur des deniers ayant financé l'acquisition de l'immeuble103(*). Quantitativement, c'est le cas le plus fréquemment rencontré dans la jurisprudence récente (A)104(*). Par la suite, il est probable qu'à partir de ce modèle primitif, l'utilisation de la délégation à titre de garantie, que l'on peut appeler avec M. Lachièze la « délégation-sureté », se soit développée dans d'autres branches de l'activité juridique (B)105(*).

A - La délégation de locataire à titre de garantie : archétype de la délégation-sureté

En pratique, la délégation de locataire à titre de garantie est utilisée avec l'assentiment, au moins implicite, de la jurisprudence. À certains égards, cette dernière parait même l'encourager.

1) L'utilisation de la délégation de locataire par la pratique contractuelle :

Comme nous l'avons souligné, il se rencontre dans la pratique immobilière, aussi bien la délégation de locataire, que la délégation d'acquéreur à titre de garantie. Toutefois, l'engagement de délégué, de l'acquéreur d'un bien immobilier, envers un créancier du délégant, se prête davantage à la délégation-paiement, qu'à la délégation à titre de garantie. En effet, l'absence d'échéances successives et périodiques (sauf aménagement conventionnel) ne permet pas d'étaler la garantie dans le temps, en la calquant sur les échéances du prêt. En conséquence, la délégation de l'acquéreur de l'immeuble est mieux adaptée au paiement d'un capital, éventuellement à un créancier autre que le prêteur. Le modèle pratique primitif de la délégation-sureté est, pour cette raison, la délégation de locataire à titre de garantie. Rappelons du reste qu'il s'agit vraisemblablement d'une « invention » de la pratique notariale.

Il est à constater que la délégation de locataire à titre de garantie peut produire, sur le modèle de la délégation-paiement, un effet accessoire. Il s'agit d'une simplification incidente du paiement, en évitant un double transfert de fonds (Le locataire délégué payera ainsi directement au créancier [délégataire] du délégant). Toutefois, ce n'est pas le mobile déterminant de l'engagement des parties. Dans l'intégralité des hypothèses de délégation rapportées ci-dessous, le but des contractants sera non pas de simplifier le paiement, mais d'accorder une garantie au prêteur (délégataire), ayant financé la construction ou l'acquisition de l'immeuble. Il en résulte que la créance préalable du délégataire envers le délégant, à défaut d'être une condition juridique, constitue, encore une fois, une condition logique de la délégation-sûreté. Dans le cas contraire, il n'y aurait rien à garantir. En revanche, au même titre que l'obligation de la caution ou du garant autonome envers le débiteur garanti serait indifférente, l'existence de l'obligation du délégué en garantie, à l'égard du délégant, est indifférente. En son absence, il n'y aura tout bonnement pas de simplification incidente du paiement.

L'hypothèse pratique qui se réitère dans plusieurs arrêts récents est la suivante : Une personne souscrit auprès d'un établissement de crédit un prêt afin de financer la construction ou l'acquisition d'un immeuble. Sans doute apportera t-elle au prêteur les garanties classiques pour ce type de crédit : cautionnement d'une autre banque, d'une entreprise, d'un proche, hypothèque sur l'immeuble futur, voire antichrèse. Mais, il est de plus en plus fréquent que la pratique recoure à la délégation de locataire à titre de garantie, pour sécuriser des financements immobiliers. Dans cette perspective, l'emprunteur (bailleur) invitera ses locataires (ou futurs locataires), à s'engager directement à payer les loyers à l'établissement de crédit prêteur des fonds ayant financé l'acquisition ou la construction de l'immeuble.

Pour étayer notre affirmation, il est indispensable de produire quelques uns des récents arrêts examinés. Parmi les plus topiques, on peut faire mention de la décision de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation en date du 23 janvier 2001106(*). Le texte de l'arrêt mérite d'être cité ad litteram : « Attendu (...) qu'en garantie d'un prêt que lui consentait la société SODERO, la société de transport MEUNIER a, par acte notarié des 4 et 12 novembre 1992, délégué à celle-ci les loyers à percevoir de la société ARCATIME jusqu'au remboursement intégral de l'emprunt ». Il s'agit bien d'une utilisation on ne peut plus classique de la délégation de locataire à titre de garantie, archétype de la délégation-sûreté. Il faut en outre relever, qu'en l'espèce, il s'agit d'une délégation notariée ; sans doute conclue suite aux conseils avisés du notaire, spécialiste de ce montage juridique107(*).

Pour renforcer par l'exemple, l'illustration précédente, il est possible de se référer à la lettre de l'attendu d'une décision postérieure de la Chambre commerciale, en date du 3 décembre 2002 : « Attendu (...) que la société Alta a acquis un Immeuble (...) payé par un prêt consenti par la banque (...), qu'en garantie du remboursement du prêt, la société Alta a donné à la banque une délégation des loyers de l'immeuble »108(*). N'est-ce pas encore un cas de recours à la délégation à titre de garantie ?

À l'aune des décisions précitées, qui ne sont que des exemples sélectionnés parmi d'autres, il n'est plus permis de douter que la pratique contractuelle recoure de plus en plus à la délégation à titre de garantie, ou délégation-sûreté. L'avantage de cette technique est lié, comme il a été souligné, au caractère nouveau et autonome de l'engagement du délégué, qui, sauf en cas de délégation novatoire, soumise à l'acceptation expresse du délégataire, se cumule à la créance de celui-ci envers le délégant, au titre du financement immobilier. De ce fait, le prêteur est titulaire de deux droits de poursuite autonomes l'un de l'autre, ce qui a pour conséquence l'inopposabilité des exceptions109(*).

La jurisprudence tempère cependant la règle de l'inopposabilité des exceptions. Ainsi la première Chambre Civile admet-elle une exception à ce principe, en cas de délégation incertaine, c'est-à-dire quand l'objet de l'engagement du délégué est calqué sur celui de l'une ou de l'autre des obligations antérieures existantes110(*). Il est cependant assez aisé de contourner l'obstacle que constitue cette jurisprudence, en concluant une délégation certaine. De la sorte, le locataire sera simplement obligé de verser au banquier un certain « "flux financier", sans indiquer qu'il s'agit de la dette de remboursement du prêt »111(*).

Au demeurant, à l'inverse de la première Chambre Civile, il ne semble pas que la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation tempère de la sorte le principe de l'inopposabilité des exceptions112(*) ; or, la pratique commerciale est vraisemblablement le plus grand « consommateur » de délégation-sûreté. En effet, dans la plupart des décisions analysées, les usagers de la délégation seront justiciables de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation. Partant, le champ d'efficacité rationne personae de la délégation de locataire à titre de garantie n'est que sensiblement réduit113(*).

En définitive, on constate que pour la délégation de locataire puisse jouer son rôle de garantie, il est nécessaire qu'elle soit conclue imparfaite (ou non novatoire), de façon que puissent s'agréger les dettes respectives du délégué et du délégant envers le délégataire. Ce cumul de droit de gages généraux n'est-il pas le trait commun de toute sûreté personnelle114(*) ?

La pratique offre en outre une autre hypothèse de cumul, au-delà même du cadre stricte de la délégation. En effet, il n'est pas rare de relever dans la pratique contractuelle récente, des hypothèses de concentration de garanties comprenant, entre autres, une délégation-sureté. C'est ainsi que l'on a pu observer en pratique, la juxtaposition, en garantie d'un même financement, d'une délégation de locataire et d'une hypothèque conventionnelle au profit de la banque ayant financé l'immeuble115(*). En l'espèce, la délégation vient renforcer l'hypothèque, à moins que ce ne soit l'inverse116(*). Le cumul d'une sûreté réelle est d'une sûreté personnelle est en l'occurrence avantageux pour le banquier ; il a un droit de préférence et de suite sur l'immeuble acquis et, surtout, il se ménage un autre débiteur, qui, à la différence de la caution, n'est pas un débiteur accessoire.

Si la location immobilière ordinaire est un des terrains d'épanouissement de la délégation de locataire à titre de garantie, les autres variétés de baux ne sont pas en reste. En effet, on peut comparer au schéma classique du financement immobilier garanti par une délégation de locataire, une hypothèse assez proche, soumise à la chambre commerciale de la Cour de Cassation le 26 novembre 2002117(*). En l'espèce, il s'agissait d'une délégation, non de locataire, mais de crédit preneur, à titre de garantie, au profit du prêteur ayant financé l'acquisition d'un investissement locatif. Il en résulte que la délégation de locataire à titre de garantie se généralise peu à peu à un éventail de plus en plus large de locataires.

De l'ensemble de ce qui précède, il ressort que la pratique contractuelle ne limite pas la délégation à sa fonction de paiement. Les conventions litigieuses soumises à la jurisprudence stipulent d'ailleurs expressément qu'il s'agit de délégations en vue de garantir un financement. Il est, en conséquence, possible d'en déduire qu'il s'agit là d'une finalité non équivoque, dans la mesure où elle est contenue dans l'acte de délégation lui-même. Sans insinuer que la délégation de locataire à titre de garantie soit ostensiblement encouragée par les juridictions, dès lors qu'existe un financement d'investissement locatif, on peut affirmer qu'elle n'est pas condamnée. Partant, il s'agit réellement d'une consécration implicite de ce montage juridique. Au demeurant, il est des hypothèses où il nous semble que la jurisprudence est particulièrement bienveillante à l'égard de la délégation de locataire à titre de garantie.

2) Appui de la jurisprudence à la délégation de locataire en garantie

Très récemment, la Cour de Cassation a ravivé l'efficacité de la délégation de locataire à titre de garantie. En effet, cette opération juridique occasionne une difficulté très particulière, dans la mesure où la délégation conclue par les parties n'est pas novatoire. Comme nous l'avons relevé tantôt, c'est la condition de son effet de garantie. Ainsi, en l'absence de décharge expresse du délégataire à l'égard du délégant, celui-ci n'est pas libéré par l'engagement du délégué ; non plus que le délégué, à l'égard du délégant, par son engagement envers le délégataire118(*). La délégation n'est donc, en principe, ni simplement, ni doublement novatoire. En conséquence, la créance de loyers du délégant à l'encontre du délégué subsiste. Cette créance fait partie du crédit apparent du délégant, de telle sorte que les créanciers de celui-ci pourraient s'y intéresser, et entrer en concours avec le délégataire ou ses propres créanciers. Un tel résultat aurait inéluctablement pour effet d'affaiblir l'efficacité de la délégation de locataire à titre de garantie, en éludant l'exclusivité que pouvait légitiment attendre le délégataire.

La jurisprudence, qui ne répugne vraisemblablement pas à l'utilisation de la délégation comme garantie d'un financement immobilier, a semble-t-il été sensible à cet inconvénient pratique. C'est ainsi que la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a, statuant à l'occasion d'une délégation de locataire à titre de garantie, estimé que la créance de loyers du délégant à l'encontre du délégué était insaisissable, à compter de l'acceptation du délégataire119(*). La créance du délégant demeure bien dans le patrimoine de celui-ci, mais elle est indisponible. Partant, les créanciers du délégant ne peuvent valablement effectuer une saisie attribution de la créance de loyers entre les mains du locataire délégué. Cette solution est au demeurant conforme à celle proposée par l'avant projet « Catala », de réforme du droit des obligations et de la prescription120(*) .

La solution adoptée par la cour de cassation n'a d'autre but que de renforcer l'efficacité de la délégation de loyers à titre de garantie. Elle a en effet pour répercussion d'augmenter les chances du délégataire d'être payé, en lui évitant de se retrouver dans une situation de concours avec le délégant ou ses créanciers. En conséquence, il n'est pas possible de contester que la délégation serve quotidiennement à sécuriser les opérations d'acquisitions ou de construction immobilières, avec l'assentiment, voire l'encouragement, de la Jurisprudence.

Ainsi est-il établi que la délégation de locataire à titre de garantie constitue l'archétype de la délégation-sureté. Elle s'est développée à la faveur de la pratique notariale puis bancaire, et, comme nous l'avons souligné, au-delà de la location immobilière ordinaire. Néanmoins, il faut relever que la délégation de débiteur à titre de garantie ne s'est pour autant pas limitée au locataire. S'appuyant sur cette dernière figure, elle s'est, en pratique, développée par delà la garantie du financement immobilier. Par mimétisme de la pratique notariale, il est apparu une multitude d'hypothèses dérivées.

B Les hypothèses pratiques dérivées de recours à la délégation à titre de garantie

Par « hypothèses dérivées », il est entendu que celles-ci sont nées du modèle initial de délégation-sûreté, inventé par les notaires : La délégation de locataire à titre de garantie. Celle-ci s'est exportée hors des études notariales et, surtout, elle a été utilisée dans d'autres circonstances que la matière immobilière. En conséquence, dans les différentes espèces rapportées, le délégué ne sera pas nécessairement un locataire, ni le délégant un investisseur immobilier octroyant une garantie au banquier prêteur. La jurisprudence est donc marquée par une certaine diversité des recours à la délégation en garantie. Son efficacité suppose toutefois une évidente condition d'intelligibilité.

1- La diversité des recours à la délégation en garantie

La délégation-sûreté n'est pas l'objet d'un monopole du monde du financement et de la pratique immobiliers. Ainsi a-t-elle été utilisée, en garantie de contrats d'entreprise, notamment en matière de construction. C'est une application qui ressort, entre autres, des faits d'un récent arrêt de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation, en date du 13 juin 2006121(*). Les fait de l'espèce sont relativement simples : Des époux confient à une société des travaux de construction. Pour ce faire, la société recourra à un fournisseur, qui procurera au maître d'oeuvre différents matériaux nécessaires à la réalisation desdits travaux. Par acte de délégation, le maître de l'ouvrage (le couple) s'engagera à payer au fournisseur toutes les sommes qui seraient dues à ce dernier par l'entrepreneur principal. Par la suite, l'entrepreneur principal fera l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, l'empêchant de payer sa dette envers le fournisseur. Fort heureusement, celui-ci avait pris le soin de se faire consentir une délégation incertaine à la charge du maître de l'ouvrage (le couple). Celui-ci s'était en effet engagé à payer ce que pouvait devoir le délégant. Cet effet de garantie est du reste particulièrement efficace, en dépit de la procédure collective de l'entrepreneur principal. En effet, la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation estimera que dans la mesure où le délégué a souscrit une dette propre à l'égard du délégataire, il ne saurait reprocher à ce dernier l'extinction de sa créance à l'encontre de l'entrepreneur pour défaut de déclaration122(*). L'analyse des faits de l'espèce ne souffre pas l'équivoque. Si le fournisseur a pris le soin de se faire consentir une délégation, ce n'est pas pour être payé de façon plus simple, mais pour être sûr d'être payé. L'enjeu n'est pas dans cette espèce la modalité du paiement, mais le paiement lui-même. Le mobile des parties était effectivement de prémunir le sous-traitant contre l'insolvabilité de l'entrepreneur, de façon plus efficace qu'un simple cautionnement, par exemple. Cette efficacité sera en l'espèce le fruit du principe d'inopposabilité des exceptions.

Il ressort de l'exemple précèdent que, non seulement, la Cour de Cassation ne condamne pas le recours à la délégation-sûreté au profit du sous-traitant, mais encore, elle donne à la délégation son plein effet, en interdisant au délégué d'invoquer à l'encontre du délégataire l'ancienne extinction de la créance pour non déclaration au passif de la procédure123(*). L'obligation du délégué étant nouvelle et autonome, quand bien même la délégation serait conclue incertaine, elle garantit efficacement le fournisseur contre la défaillance du maître de l'ouvrage.

Il en résulte indubitablement que la jurisprudence admet la validité du recours à la délégation-sûreté, dans d'autres hypothèses que la délégation de locataire à titre de garantie, figure originelle du mécanisme. La délégation du maître de l'ouvrage à titre de garantie en est un exemple suffisamment convaincant.

Sans doute le lecteur rétorquera-t-il que la délégation du maître de l'ouvrage, à titre de garantie, est expressément prévue par la Loi, et que, peut-être, en dehors de cette situation particulière, n'y aurait-il pas de délégation-sûreté possible124(*). La pratique contractuelle démontre le contraire.

En effet, non contente de recourir à la délégation-sûreté en dehors des contrats de maîtrises d'ouvrage, la pratique des affaires s'autorise même à cumuler la délégation à titre de garantie et le cautionnement. C'est l'enseignement qui ressort de la Jurisprudence, notamment des faits d'une décision récente de la deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation125(*). Selon les termes de la décision, une société emprunteuse a obtenu d'une banque « un prêt garanti d'une part, par un engagement de délégation de créance [...] d'autre part, par une caution solidaire de M. X ». Il est donc permis de constater que, dans la pratique du monde des affaires, la délégation n'a pas uniquement vocation à éluder le cautionnement, au profit d'une technique plus sévère à l'égard du débiteur ; elle peut s'adjoindre à celui-là dans le cadre d'un montage juridique plus élaboré, et, en conséquence, plus sûr pour le créancier.

Dans l'espèce ci-dessus rapportée, la Cour de Cassation n'a pas opposé d'objection à l'encontre du montage proposé, et, à notre connaissance, il n'existe pas d'arrêt de la Cour de Cassation censurant un recours à la délégation à titre de garantie, simplement parcequ'une autre sûreté eût été plus adéquate126(*). Au contraire, il nous semble que la possibilité de cumul avec une autre sûreté nommée, notamment le cautionnement, soit l'expression paroxystique de la liberté de recourir à la délégation-sûreté. La seule difficulté qui peut se poser est, comme nous le verrons plus loin, une question ponctuelle de validité de la délégation eu égard aux circonstances dans lesquelles elle est conclue. Ainsi pourrait-t-on concevoir que le juge annule, le cas échéant, une délégation conclue pendant la période suspecte. Cette question de validité n'est toutefois pas spécifique à la délégation, et peut concerner d'autres « sûretés anormales » octroyées pendant la période suspecte. Au demeurant, encore faudrait t-il que le droit des procédures collectives envisage la délégation comme une sûreté. En définitive, il n'est pas remis en cause la validité intrinsèque du recours à la délégation-sûreté.

Au reste, une partie de la doctrine renforce les exemples jurisprudentiels rapportés, considérant que la Loi elle même n'interdit aucunement le recours à des « sûretés personnelles non spécialement réglementées, telles (...) la délégation »127(*). Cette absence de réglementation spécifique, ainsi que, la liberté contractuelle qui en découle, imposent cependant d'être précautionneux dans la rédaction de la délégation en garantie. En effet, il est en l'occurrence impossible de faire simplement référence à un contrat prédéterminé et, pré réglementé.

2-L'exigence jurisprudentielle d'une certaine intelligibilité de la délégation-sûreté

Pour qu'elle soit efficace, encore faudrait-il que les termes de la délégation à titre de garantie soient, un tant soit peu, limpides ; cela implique une rédaction minutieuse en pratique128(*). Il est consternant de lire, dans certains contrats, qu'un emprunteur, pour garantir l'exécution de son obligation de restitution, « cède, subroge, et transporte », ou,  mieux  encore, « cède, "délègue", et transporte », une créance à l'encontre d'un tiers. Dans cette hypothèse, le juge sera face à une difficulté d'interprétation, et les parties encourent le risque de voir leur sort laissé à l'appréciation souveraine des juges du fond.

Selon la jurisprudence actuelle de la Cour de Cassation, de telles stipulations, « contradictoires et ambiguës, nécessitent une interprétation de l'acte pour permettre sa qualification »129(*). Dans l'espèce exposée, la Cour d'Appel a pu déduire de la volonté des parties que la convention litigieuse devait s'analyser en une cession de créance, et non en une délégation. La faute rédactionnelle est fâcheuse. Or, à n'en pas douter, le but poursuivi par les parties était une délégation à titre de garantie. En effet, la situation s'y prêtait ; elle s'y prête encore plus, au regard de la fragilité actuelle de la cession de créance à titre de garantie, due aux risques de requalification encourus130(*). Une certaine rigueur dans la rédaction de la délégation à titre de garantie s'impose en conséquence pour l'avenir ; il s'agira d'éviter qu'elle soit requalifiée en cession de créance de droit commun à titre de garantie, et, partant, au regard de la jurisprudence récente, en nantissement de créance, acte non translatif. Il semble réellement que la volonté des parties soit bridée en matière de cession de créance de droit commun à titre de garantie. La requalification en nantissement de créance étant encourue, il paraît plus avantageux, pour constituer une garantie efficace, ainsi qu'une situation d'exclusivité au profit du créancier, de recourir à la délégation-sûreté.

Il est possible de constater, en définitive, que la dynamique pratique tend à une généralisation de la délégation à titre de garantie, renforcée, le cas échéant, par une sûreté personnelle ou réelle « classique ». La liberté concrète de recourir à la délégation-sûreté semble être au faîte de sa manifestation, lorsque celle-ci est cumulée à une sûreté personnelle traditionnelle, notamment le cautionnement. Du reste, la délégation-sûreté nous semble aussi plus avantageuse et plus sûre que la cession de créance à titre de garantie.

Cette dynamique pratique est toutefois freinée par la jurisprudence, qui n'admet pas que la délégation, puisse servir de « commode bonne à tout faire du droit français des obligations »131(*). Certes, ses applications sont larges. Elles ne sauraient pour autant être illimitées. Elles se cantonnent, à notre opinion, au paiement et à la garantie. Ainsi, la vocation impérialiste de la délégation est tempérée, dès lors que l'on veut en faire une échappatoire pour couper à une obligation ou à une impossibilité (par ex. la cession de dette). Certes s'agira t-il, en partie seulement, d'une question de validité, et non directement d'utilité. Toutefois, ces restrictions à la validité de la délégation limitent quantitativement et indirectement ses fonctions.

Section II : Les fonctions rejetées ou limitées par la jurisprudence

Il est des fonctions que la délégation n'est pas de taille à remplir, nonobstant les multiples tentatives de la pratique en ce sens. En effet, la jurisprudence oppose systématiquement son refus à toute tentative de recourir à ces fonctions « bannies ». Comme nous l'avons souligné plus tôt, il ne s'agit pas de prohibition pour des questions de validité générale. Ainsi que tout contrat, il est certain qu'une délégation ayant une cause illicite ou immorale serait invalidée. En revanche, il existe des finalités particulières auxquelles la délégation ne saurait tendre. Soit, parcqu'elles sont impossibles (I), soit, parcque les circonstances particulières de la conventions n'y sont pas favorables (II)

§ I : L'impossibilité de réaliser une cession de dette par voie de délégation

Ainsi que nous avons eu l'occasion de le prouver, à la lumière de la jurisprudence, la délégation est uniquement une technique de paiement et de garantie des obligations. Elle n'a, en conséquence, pas pour fonction de permettre la réalisation d'une cession de dette.

Certains auteurs envisagent pourtant la délégation au titre de la cession de dette, ou de la « circulation de l'obligation par changement de débiteur » ; estimant que la délégation serait un mécanisme de « transfert de dette avec protection du créancier »132(*). D'autres l'analysent « en un mode de reprise de dette plutôt qu'une sûreté sui generis»133(*). La jurisprudence n'admet cependant aucune possibilité de transporter une quelconque dette par voie de délégation. Sans entrer dans le débat relatif à l'intérêt de la cession de dette, notamment pour le cessionnaire, il faut considérer que celle-ci n'est par réalisable par voie de délégation. En effet « nul ne peut être contraint à changer de débiteur »134(*) ; le délégant ne saurait donc imposer au délégataire, la substitution de l'engagement du délégué, à sa propre obligation envers celui-là.

Plus généralement, il faut considérer que la cession de dette est incompatible avec la délégation. Cette dernière n'a aucun effet translatif, ni activement, ni, a fortiori, passivement135(*). En effet, elle ne permet pas « la transmission entre vif, du cédant au cessionnaire, d'un droit réel ou personnel à titre onéreux ou gratuit »136(*). En réalité, plutôt que de servir de véhicule juridique à la cession de dette, l'existence même de la délégation est un des obstacles à celle-ci137(*). Cette affirmation, apparemment paradoxale, est la résultante de l'analyse des faits soumis à la jurisprudence, et constituant une démarche dans le sens d'une reprise de dette. En effet, il semble qu'en droit des obligations, toute tentative de cession de dette sera requalifiée en délégation. C'est une preuve irréfutable de l'incompatibilité entre la délégation et la cession de dette, et, du fait que l'existence de la délégation soit, en elle-même, un obstacle au transport de dette.

Pour étayer notre affirmation, il faut se référer à un arrêt relativement récent de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation, en date du 7 décembre 2004138(*). Il ressort des faits de cette décision que les parties ont ostensiblement entendu organiser une cession de dette139(*). En l'espèce, des époux anciennement titulaires d'un bail commercial ont obtenu en justice l'allocation d'une indemnité d'éviction. Le bailleur, débiteur de l'indemnité, a par la suite vendu l'immeuble contenant les locaux litigieux. C'est à cette occasion que l'acquéreur de l'immeuble s'engagera à payer l'indemnité due aux époux par le bailleur. L'objectif de l'acquéreur était indéniablement de reprendre la dette du vendeur, à l'égard des époux locataires, à sa charge. Par la suite, le bailleur débiteur de l'indemnité sera placé en redressement judiciaire. Les créanciers de l'indemnité d'éviction intenteront naturellement une action en paiement contre l'acquéreur,  pseudo cessionnaire  de la dette du bailleur.

Les moyens du pourvoi de l'acquéreur sont particulièrement intéressants, ils illustrent au demeurant la volonté d'opérer une cession de dette. L'acquéreur soutient en effet que « les époux X faisaient expressément valoir que le contrat de vente du (...) réalisait une cession de dette », et que l'acquéreur « serait subrogé dans les droits et "obligations" du vendeur (...) tant activement que "passivement" ». De la sorte, il serait fondé à opposer aux créanciers de l'indemnité d'éviction l'extinction de leur créance d'indemnité pour défaut de déclaration à la procédure collective du bailleur. Le raisonnement peut paraître logique ; si le bailleur a cédé sa dette à l'acquéreur, et que celle-ci se trouve éteinte pour une raison tenant au bailleur, l'acquéreur, ayant recueilli cette même dette, se trouverait de ce fait libéré.

La Cour de Cassation ne souscrit toutefois pas à ce raisonnement. Considérant que l'assignation en paiement du créancier équivalait à une acceptation à titre de délégataire, elle estime que « la cour d'appel a déduit, à bon droit, que cette opération juridique s'analysait en une délégation au sens de l'article 1275 du Code Civil ». Partant, elle considère que le délégué, en l'espèce l'acquéreur soi-disant cessionnaire de la dette, a souscrit une obligation personnelle et indépendante envers les délégataires, les locataires créanciers de l'indemnité d'éviction. Ainsi, la créance de ceux-ci envers celui là subsiste, nonobstant le défaut de déclaration à la procédure collective du délégant. Il s'agit d'une application du principe de l'autonomie de l'obligation du délégué et de sa conséquence : l'inopposabilité des exceptions. Cet engagement nouveau du délégué est incompatible avec toute idée de cession et de permanence de la dette cédée.

Cet arrêt illustre le fait que toute tentative de cession de dette sera irrémédiablement requalifiée en délégation, le débiteur ne pouvant imposer au créancier un autre débiteur. En effet, il suffira que le créancier intente une action en paiement envers le prétendu cessionnaire de la dette, pour que cette manifestation de volonté soit interprétée comme une acceptation provenant d'un délégataire. En conséquence, la requalification est inévitable, quelle que soit l'ingéniosité des clauses des parties.

En définitive, il est à constater que la délégation ne permet pas le transport de dette de façon efficace. Sans doute parvient-on à un résultat semblable, que la Doctrine qualifie de « cession imparfaite » ; mais, en réalité, une cession est nécessairement parfaite, ou n'est pas. Par analogie, il serait difficile d'appeler « vente », un contrat non translatif de propriété. Ainsi est-il prouvé que la délégation n'a pas pour fonction de transporter la dette. Plus encore, elle en constitue un obstacle. En effet, toute tentative de cession de dette sera requalifiée en délégation, en cas de demande en paiement du pseudo créancier cédé140(*).

Si la jurisprudence rend impossible la cession de dette par voie de délégation, elle limite aussi, dans une certaine mesure, la fonction extinctive de celle-ci. Le droit des procédures collectives appréhende la délégation exclusivement comme un paiement. La jurisprudence tire des conséquences non négligeables de cette réalité, en ce qui concerne le rôle extinctif de la délégation

§ II : L'appréhension restrictive de la fonction extinctive de la délégation par le droit des procédures collectives

Le droit des procédures collectives appréhende exclusivement la délégation comme un mode de paiement. En conséquence, celle-ci ne saurait avoir pour fonction de permettre aux parties de contourner les effets de la procédure, notamment l'interdiction du paiement de dettes non échues pendant la période suspecte141(*). Il s'agit d'un impératif d'ordre public, imposé afin d'assurer le respect du principe d'égalité des créanciers du débiteur objet de la procédure. Quant aux paiements des dettes échues pendant la même période, la Loi impose qu'ils soient faits selon des modes précis ou, au moins, communément admis dans le monde des affaires. Cette question, qui peut sembler exclusivement technique, oblige en réalité à s'interroger sur la réalité de la banalisation de la délégation-paiement dans le monde des affaires. Réalité qu'il a été tentée de démontrer plus tôt.

A - L'interdiction de la délégation-paiement dans un souci d'égalité des créanciers

Ainsi que nous l'avons souligné, le droit des procédures collectives appréhende la délégation comme un simple paiement, en dépit de la dualité démontrée de ses fonctions. Dans cette perspective, la délégation, en tant que mode de paiement, peut subir les foudres des juridictions examinant les actes accomplis par le débiteur pendant la période suspecte. En effet, certains actes, notamment des paiements, peuvent être effectués pour avantager un créancier au détriment des autres. Ainsi sont-ils prohibés. La délégation étant, au sens du droit des procédures collectives, un mode de paiement, elle est susceptible de rentrer dans le champ d'application de cette prohibition.

Conformément à l'article L. 632-1, 3° du Code de Commerce, la délégation encourt une nullité de plein droit, si elle a été utilisée pour payer, avant terme, une dette du débiteur pendant la période suspecte. En effet, la Loi frappe de nullité tout paiement pour dettes non échues au jour du paiement, « quel qu'en ait été le mode ». La délégation étant, comme nous l'avons démontré tantôt, un mode de paiement, elle sera, le cas échéant, sanctionnée de nullité142(*). La restriction de la fonction extinctive de la délégation ne pose donc pas de difficultés particulières en ce qui concerne le paiement de dettes échues. En définitive, il est possible de déduire de notre démonstration précédente, qu'à l'inverse de la compensation, la délégation n'est pas une technique de paiement qui a pour fonction de permettre de contourner les effets de la procédure collective143(*). En revanche, le droit des procédures collectives semble quelque peut perturber la relative banalisation de la fonction extinctive de la délégation, telle que nous l'avons présentée auparavant.

B - La possible remise en cause, par la jurisprudence, de la vulgarisation du recours à délégation-paiement

À n'en pas douter, la délégation est un mode de paiement, même si ce n'est pas son unique fonction. Nous avons précédemment tenté de démontrer, au regard de l'importance du contentieux la concernant, qu'elle est devenue une pratique relativement courante dans le monde des affaires. Il semble toutefois que la jurisprudence relative aux procédures collectives pourrait, dans l'avenir, inviter à reconsidérer cette affirmation. Non seulement, elle n'appréhende la délégation qu'en tant que mode de paiement, mais encore, il se pourrait qu'elle limite le domaine de cette fonction extinctive. En effet, la loi interdit, pendant la période suspecte, tout paiement pour dettes échues, non effectués par le biais d'instruments spécifiés, ainsi que tout paiement effectué « autrement que selon un mode communément admis dans la pratique des affaires »144(*).

Nous avons soutenu que la délégation-paiement était devenue une pratique récurrente, notamment dans les relations d'affaires. Or, il semble que la disposition susvisée puisse inciter la jurisprudence à contredire cette affirmation. En effet, on peut se demander si en interdisant tout mode de paiement « non communément admis dans les relations d'affaires », on ne dénie pas à la délégation une partie sa fonction extinctive, contrecarrant ainsi l'allant qu'elle a engendré chez les praticiens. En réalité, la jurisprudence ne condamne nullement la banalisation de la délégation-paiement, ni le paiement de dettes échues, par voie de délégation, pendant la période suspecte. En effet, elle tient compte de la pratique des affaires, et du fait que la délégation-paiement soit ou non devenue une technique de droit économique dans le milieu concerné. En conséquence, tout est question de casuistique.

C'est ainsi que « Doit être annulée la délégation faite, par une société de commerce de viande en cessation des paiements, d'une créance qu'elle détient sur une compagnie d'assurance, au profit du propriétaire des marchandises sinistrées, dès lors que le bénéficiaire de la délégation ne peut sérieusement soutenir qu'un tel mode de paiement ponctuel, issu d'un événement inhabituel, est normal, compte tenu des usages de la profession, et qu' il ressort ainsi que la délégation de créance n'est pas communément admise dans les relations d'affaires considérées relatives au commerce des viandes »145(*). La pratique du commerce des viandes n'est apparemment pas assez rompue à la délégation paiement, pour que l'on estime qu'il puisse s'agir d'un mode de paiement commun dans ce secteur d'activité.

En revanche, comme nous l'avons démontré auparavant, la délégation-paiement est prisée et récurrente en matière immobilière, notamment à l'occasion d'un financement immobilier par une banque. La jurisprudence actuelle renforce notre démonstration, admettant la validité de la délégation-paiement pour dette échue, pendant la période suspecte, dans ce domaine d'activité précis. En effet, elle estime que « Justifie sa décision la cour d'appel qui se réfère aux relations entre l'établissement de crédit ayant financé le prêt et l'emprunteur pour déterminer si la délégation de créance faite par ce dernier constitue une pratique générale et habituelle dans les relations d'affaires du secteur bancaire pour la mise en place d'un prêt immobilier »146(*). La Cour de Cassation encourage ainsi les juges du fond à tenir compte du secteur d'activité concerné. En conséquence, la limitation de la fonction extinctive de la délégation par le droit des procédures collectives sera circonscrite aux secteurs d'activité peu « initiés » à la délégation-paiement.

Aussi, pour les secteurs bancaire et immobilier, grands « consommateurs » de délégation, la restriction de la vulgarisation du recours à la délégation-paiement devrait être largement moins sévère, notamment si le délégué est un professionnel, réglant par exemple ses dettes d'emprunts. Finalement, il est piquant de constater que plus la délégation en paiement sera utilisée par un secteur d'activité, plus sa fonction de paiement sera renforcée. Cette remarque, bien que spécifique aux procédures collectives, ne résume t-elle pas toute la logique de l'évolution fonctionnelle que vise à établir notre étude ?

En effet, il est incontestable que le rôle délégation a évolué, passant de l'unité à la dualité. Sa logique propre semble assez simple : Plus elle sera utilisée, plus elle pourra avoir d'utilités. Il est alors fort probable que, pour les besoins de la pratique, et sous l'impulsion intellectuelle de la Doctrine, il lui soit forgé de nouvelles fonctions. Il deviendra alors nécessaire d'opérer une nouvelle mise à jour de ses utilités. En attendant, il semble qu'à force d'être mise en oeuvre par la pratique contractuelle dans des finalités précises, la délégation puisse elle-même embrasser ces finalités. En réalité, il ne s'agit pas d'une possibilité mais d'une nécessité ; l'identification concrète des fonctions de la délégation révèle l'identité fonctionnelle de celle-ci. La notion même de délégation est imprégnée, voire pénétrée, de ses fonctions. Il convient en conséquence de mettre au jour cette imbricatio

PARTIE II : Mise au jour de la notion de délégation

Définir la délégation est un exercice délicat. En effet, il ne lui est généralement « pas reconnu une nature juridique particulière en raisons des multiples fonctions qui lui sont ordinairement attribués »147(*). Marc Billiau avait, il y a près de vingt ans, déjà relevé cette difficulté théorique. Elle illustre la nature fonctionnelle de la délégation, et, l'impossibilité actuelle de la réduire à une définition calquée uniquement sur l'une de ses fonctions : L'extinction des obligations. Pourtant, l'auteur susvisé n'a semble-t-il pas poussé cette logique jusqu'au bout. En effet, il envisage et définit de façon unitaire le concept de délégation, lui attribuant simultanément une fonction juridique unique (V. supra, p. 21). Or, il nous semble que le « renouveau »148(*) pratique de la délégation impose de prendre en compte son rôle de garantie, y compris dans la définition de la notion elle-même. Une fois encore, ce sont les acteurs quotidiens du Droit qui, de part l'utilisation orienté de celui-ci, invite à réfléchir sur ses concepts. En effet, à l'instar de ce qui se produit pour le fonds de commerce, les praticiens utilisent de façon récurrente la délégation, sans réellement savoir de quoi il s'agit149(*). La délégation semble aussi faire partie de ces choses que la pratique exploite, mais que le Droit a du mal à nommer. C'est peut-être la raison pour laquelle « la doctrine étudie la délégation principalement sous l'aspect, au demeurant limité, de ses effets » et s'intéresse assez peu à sa nature juridique150(*).

Si la notion de délégation est aussi difficile à définir, c'est en partie parcqu'elle n'entre pas dans les catégories habituelles du Droit. Est-ce un contrat sui generis ? Une réponse affirmative paraît difficile, dans la mesure où les articles 1275 et 1276 du Code Civil contiennent expressément le terme de délégation. Il ne s'agit donc pas d'un contrat ignoré de la Loi. Est-ce pour autant un contrat nommé (ou spécial) ? Une réponse affirmative paraît encore délicate, du fait que délégation se trouve envisagée au titre III du livre III du Code Civil, c'est-à-dire : Les contrats et obligations conventionnelles en général. A priori, elle n'aurait en conséquence rien de « spécial » ; sauf à estimer qu'il y aurait des contrats nommés dans une partie du code relative au droit commun des contrats et obligations. En réalité, la question de la nature juridique de la délégation nous paraît insoluble, dès lors que l'on se limite à la qualification imprécise de « délégation », et à la définition usuelle à laquelle elle renvoie (supra p.7).

Il faudra se rendre à l'évidence qu'il n'est pas possible d'envisager le concept de délégation de façon unitaire, mais, uniquement en considération de ses fonctions. Les diverses fonctions de la délégation font chacune éclore une notion autonome (I). En conséquence, il sera proposé, pour chacune de ces notions, un régime juridique adéquat (II). Le régime juridique suggéré sera à notre sens convenable, en ce qu'il sera modelé sur la finalité de la délégation en question, autrement dit, sa cause.

Chapitre I : L'impossibilité de réduire la notion de délégation à l'unité, et le pluralisme consécutif

Ainsi que nous l'avons souligné, il est malaisé de cerner la notion de délégation, en raison de son attitude rétive à l'égard des catégories habituelles et générales du droit des contrats. En effet, celles-ci sont inaptes à rendre compte de la nature juridique de la délégation (I). Cette situation pourrait mener à penser que la question de la nature juridique de la délégation est insoluble ; non seulement, il ne lui serait « pas reconnu une nature juridique particulière »151(*), mais encore, elle ne parviendrait pas à se fondre, à l'instar de tout contrat, dans la distinction on ne peut plus classique entre contrats nommés et innommés. De ce fait, il serait par exemple impossible de savoir si la délégation-sûreté, que nous avons présentée plus tôt, relève ou non de la catégorie des sûretés personnelles nommées. En réalité, il semble que le juriste sera condamné à revenir de façon cyclique sur la question de la nature juridique de la délégation, tant que celle-ci ne sera pas appréhendée de façon plurale (II).

Section I : L'insuffisance des définitions et catégories classiques pour rendre compte de la nature juridique de la délégation

La distinction entre les contrats nommés et les contrats innommés, fondement de l'étude du droit spécial des contrats, ne semble pas pouvoir être applicable à la délégation. Le classement de la délégation parmi l'une de ces catégories pourrait cependant être un élément de définition générale de la notion et, du reste, un indice de sa nature juridique particulière. Force est de constater qu'une telle entreprise est vouée à l'échec (I). C'est ce qui a amené certains auteurs à fustiger le fait que la délégation puisse être un contrat innommé auquel le Code Civil ferait néanmoins allusion (infra p.71.). La spécificité de la délégation atteste l'insuffisance de cette dichotomie classique. En effet, il sera possible de constater qu'il s'agit d'une notion qui, en tant que telle, n'a aucun élément caractéristique, et, plus encore, point de signification (II).

§ I : L'impossibilité de rendre compte de la nature juridique de la délégation au travers de la distinction entre contrats nommés et innommés

La distinction entre les contrats nommés et innommés ne permet de définir de façon générale la notion de délégation. Cette dernière est en réalité inclassable. Au surplus, un choix de qualification semblerait à la rigueur inutile, en l'absence de définition et de réglementation suffisantes.

A - Délégation et contrats nommés

Le droit français des contrats distingue les contrats nommés des contrats innommés. Les premiers font l'objet d'une réglementation particulière, tandis que les seconds ne sont soumis qu'aux règles générales régissant la formation et l'exécution des conventions. Ainsi les contrats nommés sont-ils soumis, en tant que tels, à des règles spéciales découlant de leur qualification. Il semble malgré tout difficile de réduire la délégation à l'une de ces deux catégories, tant la notion de délégation paraît fuyante. En effet, elle ne se laisse pas saisir par la définition censée lui être propre (supra p.7), non plus que par des distinctions plus générales, telles que celle entre contrats nommés et innommés. Or, comment la délégation pourrait-elle avoir une nature juridique particulière, s'il est préalablement impossible de la classer parmi les catégories juridiques les plus larges du Droit privé ? Comment saurait-elle pouvoir le plus sans pouvoir le moins ? C'est pourquoi il est nécessaire, avant de s'attarder sur la nature spécifique de la délégation, d'envisager sa nature « générale », au regard des distinctions classiques du Droit privé.

Tentant de cerner de façon générale la notion de délégation, un auteur a pu stigmatiser : « cette doctrine », qui « refoule, en fait, la délégation dans le domaine des techniques juridiques non définies ». Aussi fustige-t-il le fait que la délégation puisse être « une espèce de contrat innomé dont le Code Civil ferait néanmoins état »152(*). En dépit de cette critique, force est de constater que la délégation, même si elle constitue une technique  « prévue »  par l'article 1275 du Code Civil, peine à être classée parmi les contrats nommés153(*). En effet, la pauvreté de son régime juridique la rend incomparable à d'autres contrats tels que la vente, le mandat, le bail, etc., qui sont d'authentiques contrats nommés. Ainsi la spécificité de la notion apparaît-elle ; sa difficulté aussi.

A priori, la distinction entre contrats nommés et innommés pourrait être envisagée comme une véritable suma divisio. Pourtant, il n'est pas évident que la délégation puisse se laisser enfermer dans l'une de ces catégories. Au reste, il est à remarquer que le simple fait de s'attarder sur la nature juridique de la délégation, force à s'interroger sur des catégories apparemment intangibles du droit privé. Cela atteste qu'il s'agit bien d'une notion atypique. En conséquence, il semble nécessaire de lui inventer une nature juridique idoine.

Il n'est pas possible d'affirmer catégoriquement que la délégation ressortit de la catégorie des contrats nommés. En effet, elle n'est que « simplement invoquée »154(*) par la Loi. L'avant projet « Catala » de réforme du droit des obligations et de la prescription n'a-t-il pas « jugé utile de fixer dans le Code Civil les contours de l'institution, à la fois pour éviter les incertitudes liées à certaines discussions doctrinales et pour combattre des incertitudes jurisprudentielle peu propices à l'essor de la délégation » ?155(*) Le professeur H. Synvet estime en outre que, sans l'intervention de l'avant projet, « la délégation aurait sans doute pu continuer à "s'épanouir dans la discrétion" à l'abri des rigidités qu'induit toute intervention législative »156(*). Il s'agit d'un aveu patent de l'absence de réglementation suffisante, relativement à la délégation. Or, le propre du contrat nommé n'est-il pas d'être défini et réglementé en tant que tel ?157(*)

Vraisemblablement, il faudrait déduire de ce qui précède le caractère innommé du contrat de délégation. Une telle conclusion serait cependant aussi imprudente que la première. En effet, le terme de « délégation » figure expressément dans les articles 1275 et 1276 du Code Civil. La Loi « nomme » ainsi délégation l'opération : « par laquelle un débiteur donne au créancier un autre débiteur »158(*). C'est la quadrature du cercle : il ne semble pas possible de classer la délégation.

En définitive, il faut donc se rendre à l'évidence que la distinction entre contrats nommés et innommés est inapte à rendre compte de la nature juridique générale de la délégation. Or, comment la délégation saurait-elle avoir une nature juridique particulière, si l'on ne parvient pas à la classer dans l'une ou l'autre de ces deux grandes catégories de contrats ? Qui ne peut le moins, ne pourra pas le plus. En dernière analyse, il serait possible de se demander si la délégation, à l'instar du fonds de commerce, du compte courant etc., ne fait pas partie de ces « choses juridiques indéfinissables ».

Au demeurant, il faut remarquer qu'en l'absence de définition et de régime juridique bien établis, il sera en pratique inutile de savoir si la délégation est un contrat sui generis ou un contrat nommé.

B - L'inutilité pratique du classement de la délégation dans la catégorie des contrats nommés

Jusqu'à la révision du droit des sûretés par l'ordonnance du 23 Mars 2006 (v. supra p.29), la pratique des affaires recouraient à deux types de garanties personnelles innommées, en marge du cautionnement : la garantie autonome, et la lettre d'intention. L'ordonnance susvisée les a désormais consacrées en tant que sûretés personnelles « nommées dans le Code Civil »159(*). Il est cependant regrettable que la réforme n'ait pas consacré la délégation en tant que nouvelle sûreté personnelle, même si ce n'est pas, comme nous l'avons souligné, son unique utilité. En effet, délégation, garantie autonome, et lettre d'intention partagent un sort commun, ou, plutôt, une imprécation commune. Elles font partie des quelques techniques juridiques qui, bien que prévues par la Loi, sont tellement peu réglementées qu'il parait difficile de les classer160(*).

En conséquence, il conviendrait d'affiner les catégories générales usuelles pour y faire entrer la délégation. Il nous semble qu'il serait possible de distinguer entre les contrats nommés et les contrats régis par la Loi. Si tous les contrats régis sont nommés, l'inverse n'est pas nécessairement vrai. Le Code Civil nomme par exemple la vente, il la vise en tant que telle (Titre sixième du livre III : « De la vente »). Il la définit ensuite (art.1582 du Code Civil) ; avant de la régir enfin. La vente est le type même du contrat nommé. Elle invite à distinguer trois étapes : la désignation, la définition, la réglementation. La désignation est une simple référence au nom du contrat. Quant à la définition, elle permettra de qualifier le contrat afin d'établir la réglementation qui lui est spécifique. Si la vente a franchi sans difficulté ces trois étapes, la délégation s'est semble-t-il limitée à la première. C'est précisément pourquoi elle n'est pas un contrat comme les autres. Certes, la délégation est désignée par l'article 1275 du Code Civil, mais, comme nous l'avons souligné tantôt, elle n'est pas, ou pas suffisamment, définie, mais simplement décrite ; elle est encore moins spécialement régie par la Loi. Dans un sens, il serait possible d'affirmer qu'elle constitue un contrat nommé, le terme même de délégation figurant dans les textes. Toutefois, à quoi servirait-il de qualifier un contrat de « délégation », s'il n'est pas possible de le rattacher à des critères d'identification préalables (absence de définition), ou à un régime juridique prédéterminé (absence de réglementation) ?

La qualification de délégation n'a de ce fait pas plus d'intérêt que la qualification de contrat sui generis. En effet, le régime juridique déclenché par celle-ci semble n'avoir rien de spécifique. Par l'opération de délégation, le délégué s'oblige à exécuter une prestation envers le délégataire. N'est-ce pas un trait commun de tout contrat engendrant une obligation, une partie devenant débitrice de l'autre ?

La nature spécifique de la délégation met en exergue l'insuffisance de la distinction entre contrats nommés et innommés ; il semble difficile, et surtout inutile, de la classer parmi une de ces catégories. En effet, le fait qu'il puisse s'agir d'un contrat nommé n'engendre aucune spécificité, la catégorie de rattachement étant une coquille quasiment vide. Peu importe en définitive que la délégation soit un contrat nommé ou innommé. Dès lors que la désignation d'une opération juridique sera restreinte au simple qualificatif de délégation, il sera possible de remarquer qu'elle n'a aucun élément caractéristique propre.

§ II : L'absence d'élément caractéristique propre à la délégation pure et simple

Au regard de la définition actuelle de la délégation, il semble que l'élément caractéristique de celle-ci soit l'invitation du délégant, et l'engagement subséquent du délégué161(*). Cette proposition, bien que généralement admise, mérite d'être rejetée. En effet, l'invitation du délégant, non plus que l'engagement subséquent du délégué, ne permettent d'identifier la délégation. Sans doute seront-ils, ensemble, un élément participant de la définition de celle-ci ; ils n'en seront pas pour autant distinctifs.

Pour étayer notre propos, imaginons un exemple assez simple, difficilement distinguable de la délégation. Il s'agit du cas du paiement spontané de la dette d'autrui. Le tiers qui paie la dette d'autrui peut, s'il le souhaite, le faire de façon médiate, en s'engageant au préalable envers le créancier à régler la dette du débiteur, indépendamment d'une quelconque défaillance de celui-ci, et sans sollicitation de sa part. Dans une telle hypothèse, le tiers en question souscrit une obligation personnelle; la qualification d'indication de paiement est donc à écarter162(*). La doctrine lui préférera en général celle d'adpromissio163(*). Pourtant, l'opération en question ressemble à s'y méprendre à une délégation, quand bien même il n'y aurait pas d'engagement sur initiative du pseudo délégant.

Une telle situation, parfaitement imaginable en pratique (même si ce que la Doctrine appelle adpromissio est assez rare), se distingue de la simple indication de paiement, qui ne crée pas de droit nouveau au profit du créancier. S'agit-il pour autant d'une délégation ? La question se pose réellement, car le Code Civil ignore la notion d'adpromissio, qui n'est pas une catégorie juridique légale. D'aucuns répondront par la négative, en l'absence d'invitation, au moins implicite, du supposé délégant. Pourtant, l'engagement de payer résultant de l'exemple exposé semble autonome, sur le modèle de l'engagement du délégué, même en l'absence d'invitation du délégant. Il semble aussi que, selon le Code Civil, il n'y aurait pas de situation intermédiaire entre l'indication de paiement (non contraignante pour le futur solvens) et la délégation (qui assujettit le délégué). La soi-disant adpromisso ne serait ainsi qu'une forme de délégation sans invitation du délégant.

En réalité, l'exemple précité est parfaitement assimilable à une délégation incertaine non novatoire, par laquelle le délégué s'engagerait pour ce que doit le délégant. Pareillement, si dans notre exemple, le créancier libèrerait le premier débiteur à l'occasion de l'engagement du tiers, la situation serait analogue à une délégation novatoire. Dans les deux hypothèses, la seule différence avec la délégation est l'absence d'invitation du débiteur initial. Il ne participera pas à l'acte en qualité de délégant. Au demeurant, on pourrait imaginer qu'il puisse inciter, de façon extracontractuelle, un tiers à s'engager envers son créancier ; mais, dès lors qu'il ne participe pas à l'acte en qualité de délégant, la Doctrine majoritaire écarte la qualification de délégation. Il en résulte, en définitive, que la différence entre la délégation et la prétendue adpromissio serait l'invitation du débiteur initial en qualité de délégant. Cette présentation n'est pas convaincante, si l'on prend la peine de comparer le régime juridique des deux techniques.

En effet, en pratique, la différence susvisée ne crée pas...de différence, entre la délégation, et le régime de la dette de celui qui s'engage personnellement à payer le passif d'autrui, sans sollicitation de celui-ci. En effet, dans ce dernier cas, il s'agira d'un engagement personnel et autonome, à l'image de celui du délégué. De ce fait, il est possible d'affirmer que l'invitation du délégant est un élément quasi insignifiant de la définition de la délégation, car sa présence ne suffit pas à la caractériser. De surcroît, cette explication est renforcée par la jurisprudence, qui ne semble fait pas faire cas, de façon intransigeante, de la nécessité de l'invitation du délégant. Elle a ainsi pu identifier une délégation, alors qu'on pouvait légitiment douter d'une quelconque invitation du délégant164(*).

La seule difficulté qui pourrait se poser, dans l'exemple cité, est celle relative à la cause d'un tel engagement « à découvert »165(*). Cela ne remet cependant pas en cause la démonstration de la difficulté de faire le départ entre la délégation et la prétendue adpromissio, en se fondant sur la sollicitation du délégant. En conséquence de ce qui précède, il nous est possible d'affirmer que l'invitation du délégant ne suffit pas à constituer l'élément caractéristique de la délégation.

Cette assertion est du reste renforcée par une partie de la Doctrine ayant comparé la délégation à l'indication de paiement. En effet, il a pu être écrit que : « Une indication de paiement se transforme en délégation, si le débiteur indiqué prend l'engagement de payer et si le créancier accepte cet engagement »166(*). En l'espèce, la qualification de délégation est admise, alors qu'il n'y a jamais eu d'invitation du délégant. Sans doute celui-ci a-t-il demandé au tiers de payer sa dette, en tant que mandataire ; dans un sens, il l'a invité à payer. Toutefois, il ne l'a jamais invité à s'engager, c'est-à-dire à souscrire une obligation personnelle. Il n'a pas non plus pris partie à l'acte de délégation, seul le créancier ayant accepté l'engagement du nouveau débiteur. Pour autant, il ne semble pas que cette absence d'invitation puisse empêcher la qualification de l'opération en délégation. Il en résulte de nouveau qu'il n'est pas concevable, non moins que vain, de faire de l'invitation du délégant l'élément caractéristique de la délégation. Elle reste néanmoins un indice utile, au moins implicitement, voire de façon extracontractuelle. En revanche, à la différence de l'invitation, son consentement paraît indispensable

Au reste, il n'est pas non plus envisageable de considérer que l'engagement du délégué puisse être le trait distinctif principal de la délégation. En effet, il n'est pas possible de déterminer, à la lecture de la définition usuelle de la délégation, pour quelle(s) raison(s) le délégué s'engage envers le délégataire. Il semble dans la même situation que n'importe quelle personne souscrivant une obligation de payer à l'égard d'une autre. Or, les fonctions de la délégation se diversifiant, il paraît nécessaire d'identifier la cause d'un tel engagement, voire de l'intégrer dans la définition de la notion. En effet, le délégué ne s'engage jamais pour s'engager. Aussi, dire qu'il consent à une délégation a très peu de signification.

Ainsi que l'a récemment souligné un auteur, la délégation « apparaît comme une notion fonctionnelle qui semble ne pas pouvoir être appréhendée dans l'unité mais dans la diversité de ses distinctions et sous distinctions, ou plus précisément de ses finalités »167(*) Il convient de déduire de cette affirmation, ainsi que de l'ensemble de ce qui précède, que la délégation pure et simple n'existe pas ; isolé, le terme de délégation n'a aucun sens. Une approche plurale et fonctionnelle s'impose dans ces conditions. À l'évidence, ce travail ne saurait être fait ex nihilo ; il faudra reconstruire sur les ruines de la définition évincée.

Section II : Définition plurale de la délégation à partir de ses éléments constants

L'établissement des fonctions de la délégation, non moins que sa définition, nécessite de se référer à la finalité poursuivie par les usagers de ce mécanisme. En effet, ainsi que nous n'avons eu de cesse de le démontrer, nul ne délègue pour déléguer. En revanche, comme nous l'a dévoilé la pratique contractuelle, on délègue, d'une part, pour payer une dette, en évitant un transfert inutile de valeurs ; d'autre part, pour constituer une garantie personnelle au profit de l'un de ses créanciers. Chacune de ces hypothèses de recours à la délégation constitue par conséquent une situation originale, marquée par l'autonomie. Ainsi que l'a souligné une partie de la Doctrine, sans pour autant en tirer toutes les conséquences, la délégation nécessite d'être appréhendée de façon fonctionnelle, au regard de ses finalités (supra p.78). Dès lors, le pluralisme de sa définition s'imposera par la force de l'évidence, car la délégation n'a pas une finalité unique. Il faudra en conséquence admettre, conformément à la finalité respective de chacune, l'autonomie de la notion de délégation-sûreté, ainsi que l'autonomie de la notion de délégation-paiement168(*).

Toutefois, avant de s'immerger dans l'inconnu, et de proposer l'autonomie de chacun des cas de recours à la délégation (II), il sera nécessaire de rappeler les propositions et les éléments de définition que nous estimons pouvoir faire l'unanimité (I). En effet, il est des éléments « constants et nécessaires » qui ressortissent de la notion de délégation. Ceux-ci sont toutefois insuffisants. Nous suggérons en conséquence de les compléter avec la distinction susvisée, qui n'a cependant qu'une valeur de proposition.

§ I : Les éléments constants et nécessaires de la notion de délégation

Dans une perspective de définition de la délégation, il ne serait pas satisfaisant de faire table rase des acquis théoriques. En effet, il est possible de s'accorder sur des minima. C'est ainsi qu'à partir de la définition classique de la délégation, il est possible de dégager diverses propositions constamment vérifiables169(*). Ensemble, elles constituent ce qu'il est convenu de d'appeler le plus petit dénominateur commun de toutes les hypothèses de délégation spéciales. D'abord, il sera permis d'affirmer que la délégation met nécessairement en scène trois acteurs, dans le cadre précis d'une opération juridique à trois personnes. Ensuite, il faudra mettre en relief le fait que toute délégation engendre impérativement un rapport de droit nouveau, entre deux personnes non liées auparavant.

Conformément à ce qu'a pu relever un auteur, « il convient d'ores et déjà de tenir pour acquis que la délégation fait intervenir trois personnes ; un délégant, un délégataire, et un délégué »170(*). Il est donc juste d'affirmer que la délégation est une entreprise qui met en scène trois sujets de droit. Aussi n'y a-t-il aucune difficulté à s'accorder sur la réalité de cette assertion, confinant à la lapalissade.

Poursuivons sur la voie des évidences. La deuxième affirmation, qui n'appelle aucune contestation, est celle selon laquelle la délégation est une opération juridique. Plus précisément, elle constitue une opération juridique à trois personnes. En ce sens, elle se distingue des contrats bilatéraux, et, surtout, des contrats multilatéraux, en ne créant de lien de droit qu'entre deux des trois acteurs de l'opération : le délégué et le délégataire171(*). De surcroît, à la différence de l'indication de paiement, elle est exclusive de toute représentation172(*). Dans le cadre d'une délégation, chacune des trois parties agit en son nom personnel. En conséquence, la délégation peut unanimement se caractériser en une opération juridique à trois personnes, car il s'agit synthétiquement « d'une opération résultant d'une convention unique, exclusive de toute représentation de l'une des trois personnes intéressées par l'une des deux autres, et cela aussi bien au moment de sa conclusion que de ses effets, et qui suppose un enchevêtrement de relation juridiques entre les trois personnes »173(*).

Enfin, la dernière affirmation susceptible de rallier le plus grand nombre d'assentiments, est celle qui consiste à dire que la délégation met en liaison deux personnes qui, originellement, s'ignoraient mutuellement. En effet, le délégué s'engage envers le délégataire, personne avec laquelle il n'avait aucun lien préalable.

Tout cela étant dit, il n'est pas possible d'entrevoir quelles pourraient être les utilités d'une figure juridique mettant en scène trois acteurs, et constituant une opération juridique à trois personnes, ne créant de lien qu'entre deux d'entre elles. Une convention répondant à une telle définition paraît chimérique. Il s'agit pourtant, à peu de chose près, d'une réitération de la définition usuelle de la délégation. Ainsi l'insuffisance de celle-ci apparaît-elle, mettant en évidence la nécessité d'une approche distincte.

§ II : Définition plurale et fonctionnelle de la notion de délégation

Une acception plurale de la délégation s'impose, car celle-ci ne peut être envisagée de façon unitaire. Il n'y pas une, mais des délégations. Il y en a plus exactement deux, constituant chacune une notion autonome, parfois susceptible de sous distinctions. C'est ainsi que nous proposons, pour pallier la vacuité de la définition classiquement admise, de distinguer la délégation-sûreté, de la délégation-paiement.

A - Autonomie notionnelle et fonctionnelle de délégation paiement

Après avoir défini la délégation-paiement conformément à sa finalité, il faudra insister sur son rôle économique.

1) Définition fonctionnelle de la délégation paiement

Il nous semble qu'il est possible de définir la délégation-paiement comme suit : Opération juridique par laquelle une personne, le délégant, afin de simplifier l'extinction de son obligation envers une deuxième, le délégataire, demande à une troisième, le délégué, de s'engager envers le délégataire, pour ce que doit le délégant.

Il ressort de cette définition que la délégation paiement est nécessairement purement incertaine, le délégué s'engageant rigoureusement pour ce que doit le délégant. En effet, comme nous l'a tantôt dévoilé l'observation de la jurisprudence, il est en pratique constant que, dans la délégation aux fins de paiement, le délégué s'engage pour éteindre de façon simplifiée la dette du délégant. Ce faisant, il éteint simultanément sa propre dette envers celui-ci. Cette finalité est la cause caractéristique d'un tel engagement. Aussi, même si le délégué est impérativement débiteur du délégant au titre d'une dette distincte, et que son engagement envers le délégataire le libère au fur et à mesure envers son créancier, son nouvel engagement devra nécessairement être « calquée » sur celui du délégant envers le délégataire. Le délégué en paiement ne paie jamais au délégataire ce que lui-même devait au délégant, au contraire, il « moule » son engagement sur celui du délégant envers le délégataire. Dans le cas contraire, la qualification de délégation-paiement est, à notre sens, à écarter. En effet, la double finalité extinctive des parties ne serait pas totalement respectée.

Si le délégué s'engage pour ce que doit le délégant, c'est donc que celui-ci avait une obligation préalable envers le délégataire. En effet, et la pratique observée en atteste, la délégation-paiement suppose une obligation du délégant envers le délégataire. Dans le cas contraire, elle n'aurait aucun intérêt, car il n'y aurait aucune dette à acquitter de façon simplifiée.

On pourrait cependant rétorquer que, par ce biais, le délégant souhaiterait faire une donation au délégataire, dont il n'était pas auparavant débiteur. Cet argument n'est toutefois pas valable. En effet, la donation ainsi faite au délégataire crée une obligation de payer à la charge du donateur délégant, au moins concomitamment au contrat de délégation. C'est précisément cette obligation que l'engagement du délégué en paiement aura pour objectif d'éteindre, en acquittant simultanément sa propre dette envers le délégant. On en revient alors aux critères de la délégation-paiement énoncés précédemment. Il en résulte que les donations indirectes par voie de délégation ne seront, à l'instar des prêts indirects, que des illustrations de la délégation-paiement. Par conséquent, il ne s'agit pas de fonctions autonomes.

La délégation-paiement respecte en définitive l'exigence du « double  rapport fondamental », quelquefois exigé par la Doctrine pour reconnaître une véritable délégation. C'est une condition qui se vérifie concrètement et systématiquement à propos de la délégation-paiement. En effet, il serait aussi illogique de vouloir simplifier l'exécution d'un rapport de droit unique, que de prétendre simplifier une fraction irréductible. Pour éliminer ce qui complique inutilement le paiement, encore faut-il que cet élément existe. En somme, il est possible de conclure que la délégation-paiement, par l'exigence d'un double « rapport fondamental », correspond réellement à l'acception stricte de la délégation présentée plus tôt174(*).

Si la délégation-paiement est nécessairement une délégation purement incertaine, il importe peu qu'elle soit ou non novatoire. En effet, l'essentiel de la notion réside dans l'intention extinctive des parties, cause caractéristique de cette figure juridique. Si elle est conclue novatoire, et, qu'en contrepartie de l'engagement du délégué, le délégataire libère le délégant, on aboutira à une résultat approximativement équivalent à une cession de dette. En revanche, si la délégation-paiement est conclue non novatoire, ce qui est le principe, elle engendrera un effet incident de garantie par adjonction de débiteur. Toutefois, il faut encore insister sur le fait que ce n'est pas l'objectif essentiel des parties. En effet, celui-ci est de créer un résultat économiquement équivalent à une compensation.

2) La fonction de la délégation paiement : une compensation au sens économique

Pour mieux saisir la notion de délégation-paiement, il est possible de la définir de façon analogique, au moins quant à sa fonction. Dans cette perspective, il faut la comparer à une technique qui, quoique différente sur le plan juridique, aboutit au même résultat économique : Éviter un transfert inutile de valeurs. Il s'agit de la compensation (art. 1289 et suiv. du C.Civ). Cette dernière permet, sous certaines conditions, un paiement simplifié lorsque deux personnes se retrouvent débitrices l'une envers l'autre.

À certains égards, la délégation-paiement semble être un succédané de la compensation, lorsqu'il il manque la condition fondamentale de celle-ci. Afin d'illustrer notre affirmation, prenons un exemple. Soit A créancier de B. Ce dernier, pour espérer pouvoir invoquer la compensation, doit à son tour devenir créancier de A, sinon, il manquera la condition essentielle de la compensation : la réciprocité. En l'espèce, B ne deviendra pas créancier de A mais de C. Or B souhaite absolument, pour une raison de trésorerie, éviter d'avoir à payer directement A. La compensation étant écartée faute de réciprocité, il ne lui reste plus, pour se soustraire au paiement direct, qu'à inviter C à s'engager à régler directement sa dette envers A. Juridiquement, en l'absence de réciprocité des créances, il n'y aura jamais eu compensation. Mais, économiquement, B sera parvenu à son objectif : Payer sa dette en évitant d'avoir à mobiliser inutilement des fonds. Cette finalité extinctive et simplificatrice est fondamentale dans la définition de la délégation-paiement. En pratique, il s'agit de la cause d'une telle opération. C'est la raison pour laquelle elle méritait d'être intégrée dans la définition même de la délégation-paiement.

Ainsi que nous l'avons souligné précédemment, l'acception stricte de la notion de délégation n'est valable que pour la délégation-paiement. Elle est un double paiement simplifié, en conséquence, elle nécessite l'existence d'un double rapport préalable. En revanche, dès lors que la délégation change de fonction, elle change simultanément de nature.

B Autonomie notionnelle et fonctionnelle de la délégation sûreté

Avant d'insister sur sa finalité, la notion sera définie conformément à celle-ci. Il en résultera que la délégation-sûreté constitue une notion autonome de la délégation-paiement. Par ailleurs, contrairement à celle-ci, qui à pour objectif le paiement d'une obligation, la délégation-sûreté à pour rôle de créer une sûreté personnelle d'imitation au profit du délégataire.

1) Définition fonctionnelle de la délégation-sûreté

La délégation-sûreté se distingue de la délégation-paiement sur un point essentiel : sa finalité. En effet, elle ne sert pas à simplifier le paiement, mais à garantir celui-ci. En conséquence, il devrait être possible de l'adjoindre à la délégation-paiement, pour garantir celle-ci, en marquant par la même son autonomie.

Nous suggérons de définir la délégation sûreté comme suit : Opération par laquelle une personne, le délégant, afin de garantir à son créancier, le délégataire, la bonne exécution de son obligation envers lui, invite un tiers, le délégué, à s'engager envers ce créancier.

Il en ressort de nouveau que l'obligation du délégant envers le délégataire est nécessaire à la qualification d'une délégation-sûreté. En effet, en l'absence de celle-ci, il n'y aurait rien à garantir. En revanche, à l'inverse de la délégation paiement, il ne nous semble pas que la délégation sûreté doive nécessairement être incertaine, et, a fortiori, purement incertaine. Le délégué pourra, le cas échéant, s'engager à payer autre chose que la dette du délégant. De même, il importera peu que délégué soit préalablement débiteur du délégant. En effet, dans toutes les garanties personnelles connues, il ne figure jamais l'exigence que le garant soit lui-même débiteur de la personne garantie.

En premier lieu, dans la délégation-sûreté, le délégué peut s'engager pour ce que doit délégant, en l'occurrence, la délégation-sûreté se rapprochera du cautionnement, acte par lequel la caution s'engage à satisfaire à l'obligation du débiteur en cas de défaillance de ce dernier. Le délégué en garantie, à l'instar de la caution, n'a pas à être débiteur du débiteur garanti. En conséquence, l'exigence d'un double rapport préalable ne se vérifie pas à l'égard de la délégation en garantie. La délégation-sûreté concorde donc avec l'acception plus large de la notion de délégation présentée plus tôt (supra p.28 et suiv.).

Ensuite, le délégué en garantie peut s'engager pour autre chose que l'objet de la dette du délégant. En ce sens, la délégation-sûreté ressemble à la garantie autonome. Il en résulte en définitive que la délégation sûreté, qui correspond à l'acception large de délégation, pourrait être susceptible de sous distinctions. En revanche, celles-ci ne remettent pas en cause l'unité et l'homogénéité de la notion. En effet, celle-ci est marquée par l'emprunte indélébile de la volonté des parties : Constituer une sûreté personnelle d'imitation au profit du délégataire.

2) La fonction de la délégation-sûreté : constitution d'une sûreté personnelle d'imitation

Le rôle de la délégation-sûreté est de constituer, au profit du délégataire, l'équivalent d'une sûreté personnelle garantissant sa créance envers le délégant. L'équivalent seulement, raison pour laquelle nous la qualifions de technique d'imitation. En effet, il semble impossible de qualifier la délégation-sûreté de sûreté au sens stricte du terme, même si elle en reproduit les fonctions175(*). Dans une première approche, il est possible d'avoir une conception large de la notion de sûreté, et, plus précisément, de la notion de sûreté personnelle : « sûreté consistant dans l'engagement envers le créancier, d'un ou plusieurs autres débiteurs (principaux ou accessoires) »176(*). Dans cette optique, il n'y pas de difficulté à affirmer que la délégation-sûreté est une sûreté au sens conceptuelle et fonctionnelle du terme.

Néanmoins, il nous semble qu'une seconde approche soit préférable, sans pour autant être à l'abri des critiques. C'est ainsi qu'il a été proposé de définir la notion de sûreté personnelle comme : « l'affectation à la satisfaction du créancier (...) d'un patrimoine, par l'adjonction aux droits résultant normalement du contrat de base, d'un droit d'un droit d'agir, accessoire de son droit de créance, qui améliore sa situation juridique en remédiant aux insuffisance de son droit de gage général... ».177(*) Au regard de la définition précitée, le caractère accessoire de la sûreté personnelle serait immanent à celle-ci. Or, comme nous l'avons souligné tantôt, l'engagement du délégué en garantie est un engagement autonome, quand bien même la délégation serait incertaine178(*). Il en résulte par conséquent le principe d'inopposabilité des exceptions, principe incompatible avec la technique de l'accessoire. C'est ainsi que dans la mesure où la délégation-sûreté constitue une technique autonome de l'obligation garantie, elle ne saurait constituer une sûreté au sens conceptuelle du terme. Cependant, il est incontestable qu'elle constitue une garantie au sens fonctionnel du terme, car elle renforce les chances du délégataire d'être payé. Il résulte de l'ensemble de notre démonstration que la délégation-sûreté constitue une sûreté personnelle d'imitation, reproduisant les effets de garantie produits par les sûretés personnelles nommées.

En revanche, la délégation-paiement ne saurait être qualifiée de sûreté. En effet, la répercussion incidente de garantie engendrée par cette technique n'en est qu'un aspect secondaire. Cet effet de garantie n'est pas principalement recherché par les parties. L'enjeu du débat exposé, sur les notions de sûreté et de garantie, n'est pas que théorique. En effet, de nombreux textes, notamment prohibitifs, visent, parfois indifféremment, les notions de sûreté ou de garantie179(*). Il pourrait s'avérer nécessaire d'avoir à qualifier la délégation-sûreté, ou la délégation imparfaite en paiement, au regard de ces textes.

Quoique majoritairement approuvée, la définition et la présentation antérieures de la notion de sûreté ne sont pas à l'abri de tout reproche. En effet, affirmer que la délégation-sûreté ne serait une sûreté qu'au sens fonctionnel (i.e. une garantie), en raison de son caractère autonome, n'est pas tout à fait conforme à l'esprit des textes en vigueur. Le législateur n'a-t-il pas consacré la garantie autonome à l'article 2321 du Code Civil en tant que sûreté personnelle nommée ? Or, il est indiscutable que celle-ci n'a pas vocation à partager le sort de l'obligation garantie, d'où son appellation. En réalité, un tel argument n'est pas convaincant, car il semble que le législateur se soit peu soucié, en visant la garantie autonome, de savoir s'il s'agissait d'une sûreté au sens conceptuel du terme, ou au sens fonctionnel du terme.

En définitive, l'essentiel sera de retenir qu'il est possible, au regard de la Jurisprudence, de distinguer la délégation-paiement de la délégation-sûreté, en fonction de l'objectif poursuivi par les parties. Chacune correspond à une conception plus ou moins large (ou stricte) de la délégation. Rappelons, au demeurant, que cette proposition de distinction n'est consacrée explicitement, ni par la Loi, ni par la Jurisprudence. Elle n'aura que l'intérêt que voudra bien lui conférer le lecteur. En revanche, elle n'aurait à l'évidence aucune espèce intérêt, si elle ne devait pas entraîner une différence de régime.

Chapitre II : La nécessité de modeler le régime juridique de la délégation en considération de la finalité poursuivie par les parties

Il est proposé de modeler, de façon supplétive, le régime de la délégation sur sa cause, c'est-à-dire la finalité poursuivie par les parties. Sauf convention contraire, il nous semble préférable que le régime juridique de chaque type de délégation suive les règles ci-après exposées. En effet, au-delà de la discorde jurisprudentielle et de la controverse doctrinale, il semble que la délégation puisse obéir à une logique propre ; une logique fonctionnelle. Cette logique imposerait que le régime de la délégation fût déterminé conformément à la cause de l'engagement des parties. Mais de quel type cause s'agirait-il ?

Il est désormais acquis, d'une part, que l'une des variétés de délégation, la délégation paiement, a pour finalité de réaliser un double paiement simplifié. D'autre part, nous avons démontré que la délégation-sûreté a pour objectif de constituer l'équivalent d'une sûreté personnelle au profit du délégataire. À n'en pas douter, ces différentes finalités constituent « l'intérêt de l'acte juridique pour ses initiateurs »180(*), et, en conséquence, la cause de celui-ci. Néanmoins, il s'avère nécessaire de classer cet intérêt dans la dualité désormais classique de la notion de cause. Il s'agira de savoir si l'objectif poursuivi, l'extinction d'obligations préalables, ou la constitution d'une garantie au profit du délégataire, participe de la notion de cause subjective, ou de cause objective de la délégation.

Certains éléments militent en faveur de la cause subjective. En effet, il s'agit apparemment du mobile déterminant des parties. Selon qu'il se sera agi d'une délégation- paiement, ou d'une délégation-sûreté, ce mobile sera l'extinction d'obligations préalables ou l'établissement d'une garantie au profit du délégataire. À certains égards, on pourrait en déduire qu'il s'agit de la cause subjective de la délégation. En revanche, il est des arguments en faveur de la qualification de la finalité des parties en cause objective. L'objectif consistant à payer ou à établir une sûreté au profit du délégataire serait ainsi la cause objective du type de délégation en question. En effet, la finalité de paiement se retrouvera dans toutes les délégations-paiement, et, l'objectif de garantie, dans toutes les délégations-sûreté. Or, si le propre de la cause subjective est de varier en fonction de chaque convention particulière, la cause objective, elle, ne varie pas. On la retrouve en conséquence dans tous les contrats de même nature181(*). C'est en cela que la finalité de paiement ou de garantie constitueraient la cause objective catégorique de la délégation.

De prime abord, nous serions enclins à nous rallier à l'affirmation selon laquelle les finalités de garantie ou de paiement constituent, respectivement, la cause objective de la délégation-sureté, et la cause objective de la délégation-paiement. Une réponse catégorique en la matière serait toutefois aventureuse, tant la notion de cause paraît encore mystérieuse182(*). Il semble donc préférable de laisser la question en suspens, et au soin d'une étude moins modeste que la nôtre. Celle-là ne saurait tarder, au regard de l'intérêt de la question.

Pour l'instant, la seule certitude qu'il est possible de s'autoriser, est celle relative à l'opportunité, voire, la nécessité, de modeler le régime de la délégation sur la fonction qu'entendent lui faire remplir les parties. Cette exigence est valable autant pour la délégation- paiement (I), que pour la délégation-sûreté (II).

Section I : le régime juridique approprié à la délégation- paiement

Proposer un régime juridique consiste à établir « les règles de droit auxquelles est soumis un acte »183(*). Pour ce qui concerne la délégation-paiement, il s'agira de poser les règles de formation qui devraient lui être applicables, conformément à la définition fonctionnelle que nous en avons donnée. Il faudra ensuite s'attarder sur les règles les plus appropriées à l'engagement du délégué en paiement.

§ - I : Les conditions de formation de la délégation-paiement

À l'évidence, comme tout contrat, la délégation-paiement est soumise aux conditions essentielles de validité énoncées aux articles 1108 et suiv. du Code Civil. Cette affirmation ne souffre aucune possibilité de contestation. En tant que délégation, la délégation-paiement devra aussi correspondre aux critères minimaux que nous avons présentés précédemment, et qui constituent le socle commun, et au demeurant vague, de toute délégation.

En dehors de ces considérations générales, il faut insister sur les conditions logiques et juridiques spécifiques à la délégation-paiement. Comme nous avons pu le déduire de l'observation de la jurisprudence, la délégation-paiement est toujours conclue pour éteindre la dette du délégant envers le délégataire et, concomitamment, la dette du délégué envers le délégant. Rappelons de nouveau qu'elle correspond à la conception stricte de la délégation. En conséquence le « double rapport fondamental » préalable à la conclusion d'une telle délégation est une condition logique de celle-ci. En effet, en son absence, la délégation en paiement n'aurait en pratique aucun sens, et ne correspondrait pas à la finalité extinctive et simplificatrice du mécanisme. Il ne serait pas cohérent de vouloir simplifier l'exécution d'un seul rapport d'obligation préalable, et, a fortiori, d'aucun rapport préexistant. Si tout paiement suppose une dette, toute simplification du paiement suppose deux dettes.

Par conséquent, il semble qu'il serait nécessaire de faire de ce double rapport préalable, une condition juridique spécifique de la délégation-paiement. Le délégué, en tant que débiteur du délégant, s'engagera rigoureusement pour ce que doit celui-ci au délégataire. C'est en cela que la délégation-paiement est, inévitablement, purement incertaine, le délégué s'engageant pour ce que doit le délégant. Elle ne saurait être simplement incertaine, le délégué s'engageant, en l'occurrence, pour ce qu'il doit lui même au délégant. Dans de telles conditions, il n'est pas certain que la fonction simplificatrice, cause de l'opération en question, puisse être pleinement satisfaite.

En effet, si le délégué s'engage pour ce qu'il doit au délégant, il n'est pas assuré que la mesure de son engagement envers celui-ci puisse recouvrir celle de l'obligation du délégant envers le délégataire. Or, c'est cette obligation qui, au premier chef, doit être éteinte par la délégation paiement. Il est en conséquence nécessaire que, dans la délégation-paiment, le délégué s'engage pour ce que doit le délégant. Il en résulte une conséquence pratique non négligeable. La dette du délégué envers le délégant devra, en général, au moins être égale à celle du délégant envers le délégataire. Dans le cas contraire, cela reviendrait à vouloir imposer au délégataire un paiement partiel, ce qui est juridiquement impossible sans son consentement184(*). C'est la raison pour laquelle nous insistons sur le fait que le régime proposé n'est que supplétif. En effet, si le délégataire accepte un paiement partiel, et que la dette du délégué envers le délégant, est inférieure à celle du délégant envers le délégataire, il sera alors possible que le délégué s'engage envers le délégataire, pour ce qu'il devait lui même au délégant.

Dans la mesure où le délégué en paiement s'engage à payer, de façon supplétive, ce que doit le délégant ; le régime des exceptions qu'il serait en mesure de soulever devrait être calqué sur cette finalité.

B - Les règles juridiques appropriées à l'engagement du délégué en paiement

La jurisprudence actuelle ne distingue pas explicitement la délégation-paiement de la délégation sûreté, nonobstant l'autonomie déjà démontrée de ces deux notions. Elle se contente d'appliquer à toute forme de délégation les règles classiques qu'elle a élaborées au fil des années, en se fondant sur le fait de savoir si la délégation en question est parfaite ou imparfaite, certaine ou incertaine.

C'est ainsi que la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation estime que le « délégué ne peut opposer au délégataire, des exceptions dont le délégant pouvait se prévaloir à l'égard de celui-ci »185(*), non plus que « les exceptions nés de ses (propres) rapports avec le délégant »186(*). Il ressort de la jurisprudence de la Chambre commerciale, une sorte d'inopposabilité absolue des exceptions. En revanche, la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation accepte de tempérer ce principe, en fonction de la typologie de délégation, sans pour autant consacrer expressément la distinction proposée entre délégation-paiement et délégation-sûreté. C'est ainsi qu'elle estime qu'en cas de délégation incertaine, le délégué, seulement obligé au paiement de la dette du délégant, se trouve déchargé envers le délégataire lorsque la créance de ce dernier envers le délégant est prescrite187(*). Cette opposition jurisprudentielle, sans fondement, confine à l'anarchie.

Il serait préférable de distinguer selon la finalité voulue par les parties, en somme, selon la distinction proposée entre délégation-paiement et délégation-sûreté. Ainsi, si ces dernières ont conclu une délégation-paiement, par laquelle le délégué s'engage, sauf convention contraire, pour ce que doit le délégant, la solution de la première Chambre Civile trouverait un fondement théorique. En effet, dans la mesure où le délégué s'engage pour ce que doit le délégant, dans le but d'éteindre concomitamment sa propre dette envers celui-ci, il serait logique qu'il ne soit plus tenu, dès lors que le débiteur dont il paie la dette ne l'est plus. Il n'est donc pas nécessaire d'abolir la solution adoptée par la 1ère Chambre Civile ; il suffirait simplement de l'appliquer exclusivement à la délégation-paiement. Pareillement, la solution dégagée par la Chambre commerciale trouverait un fondement, s'il était admis qu'elle ne s'appliquait qu'à la délégation-sûreté, technique juridique de nature et de régime distincts188(*).

Section II : le régime juridique appropriée à la délégation-sûreté.

Ainsi qu'il a été procédé pour la délégation-paiement, il faudra envisager les conditions de formation de la délégation sûreté, avant d'envisager les règles que nous estimons appropriées à l'engagement du délégué en garantie.

§ I : Les conditions de formation de la délégation-sûreté

Il est inutile de rappeler que, comme tout contrat, la délégation-sureté est soumise aux conditions essentielles de validité des conventions. De même, elle devra correspondre, à l'instar de délégation-paiement, à ce qu'il est possible d'appeler le plus petit dénominateur commun de la notion de délégation.

Par delà ces exigences générales, la délégation-sureté répond à une finalité qui lui est propre et caractéristique : La garantie de ce que doit le délégant au délégataire. En conséquence, pour que la délégation-sûreté puisse avoir un quelconque effet de garantie, la préexistence de l'obligation à garantir est, comme nous l'avons souligné plus tôt, indispensable.

En dehors de cette obligation à garantir, il n'existerait, à notre sens, aucune autre condition de formation de la délégation-sûreté. Aussi est-il indifférent qu'elle soit certaine ou incertaine. Cette distinction n'aurait de conséquence que sur son régime juridique189(*).

§ II : Les règles juridiques appropriées à l'engagement du délégué en garantie

Ainsi que nous l'avons souligné précédemment, la délégation-sûreté nous paraît susceptible d'être l'objet de sous distinctions. Ces sous distinctions devraient en conséquence déterminer l'autonomie de l'engagement du délégué en garantie.

Ainsi, selon que la délégation-sûreté serait conclue certaine ou incertaine, elle n'aurait pas exactement la même rigueur à l'égard du délégué. Certes, il s'agira toujours d'une délégation conclue aux fins de garantir la créance du délégataire envers le délégant, toutefois, la sévérité de cette garantie personnelle ne sera pas toujours identique. En effet, il nous semble que l'autonomie de l'obligation du délégué en garantie, dépendra largement de l'objet de son obligation. De cette affirmation, il faut tirer deux conséquences.

D'une part, si la délégation-sûreté est conclue incertaine, au sens où le délégué s'engage pour ce que doit le délégant, elle se rapproche, comme nous l'avons déjà relevé, de la technique du cautionnement. Dans cette hypothèse, la jurisprudence de la 1ère Chambre Civile permettant au délégué d'invoquer l'exception de prescription trouve un fondement théorique. Il paraît prudent de limiter légèrement l'autonomie de l'engagement du délégué en garantie, dès lors qu'il s'engage pour ce que doit le délégant. Il ne serait ni logique, ni équitable, qu'il fût tenu plus rigoureusement que le délégant, sur lequel il a calqué son engagement. Aussi, il est possible de s'interroger sur l'autonomie de la délégation-sûreté incertaine par rapport au cautionnement. En effet, à partir du moment où l'on permet à l'obligation du délégué en garantie, de subir les contrecoups de l'obligation garantie, celle-là se rapproche inéluctablement de l'engagement d'une caution. Toutefois, il semble que la délégation-sûreté, quand bien même elle serait convenue incertaine, ne saurait être confondue avec la technique du cautionnement. En effet, à la différence de cette dernière, elle possède un caractère accessoire extrêmement relatif. C'est ainsi qu'il a pu être écrit que : « la délégation sûreté (incertaine) ne présente pas un caractère accessoire aussi accusé (que le cautionnement) »190(*). La justification de cette affirmation est parfaitement logique : « le délégué ne s'engage pas à exécuter la dette du délégant (débiteur). Il s'engage à exécuter une dette nouvelle mais identique à celle du délégant »191(*). Bien que cela puisse paraître quelque peu byzantin, il semble y avoir une différence entre, s'engager à titre personnelle pour ce que doit le débiteur (délégation sûreté incertaine), et, s'engager à payer la dette même du débiteur (cautionnement).

D'autre part, si la délégation sûreté est conclue certaine, c'est-à-dire dans l'hypothèse où le délégué ne calque son obligation sur aucune obligation préexistante, elle se rapproche de la garantie autonome, par laquelle le garant s'engage à « verser » une certaine somme à la demande du créancier. Dans une telle hypothèse, la jurisprudence de la Chambre Commerciale, consacrant une sorte d'inopposabilité absolue des exceptions en matière de délégation, trouverait un fondement théorique. Toutefois, il faut avouer qu'il est difficile de trouver un critère distinctif pertinent entre, la délégation sûreté certaine, et, la garantie autonome. En effet, dans les deux cas, l'engagement du garant est absolument autonome, sauf en cas de fraude192(*). En conséquence, il semble difficile de trouver une utilité propre à la délégation-sûreté certaine

CONCLUSION

Au sortir de notre étude, il nous est possible d'affirmer qu'il résulte assurément de la Jurisprudence contemporaine, que la délégation est une technique juridique qui a deux finalités distinctes : L'extinction simplifiée d'un double rapport d'obligation, d'une part, la garantie de ce que doit le délégant au délégataire, d'autre part. L'analyse scientifique de la pratique contentieuse a donc des vertus heuristiques, au moins autant qu'une étude purement théorique. C'est ainsi qu'elle nous a permis de saisir à quoi servait réellement la délégation, ce qui nous a simultanément permis d'identifier les différents types de délégations.

Toutefois, l'inventaire des fonctions de la délégation, uniquement au regard de la pratique contentieuse, ne saurait être exhaustif. En effet, il est possible que la pratique contractuelle recoure à la délégation dans des objectifs inédits, non encore explorés par la Doctrine juridique. Tant que de telles hypothèses ne seront pas l'objet d'un contentieux devant les juridictions étatiques, il sera difficile de les étudier, et de se prononcer sur leur validité. Il en ressort qu'il ne faudrait pas avoir une vision sclérosée des fonctions de la délégation, car, toute entreprise de recensement de celles-ci ne reflète qu'une réalité à un moment donné, et dans un environnement précis, en l'occurrence, le cadre contentieux. Notre inventaire n'est donc pas une oeuvre achevée, mais abandonnée. Il nous semble, en conséquence, possible d'admettre que la délégation puisse, à l'avenir, avoir un rôle autre que ceux étudiés. En revanche, sauf intervention législative, hypothèse au demeurant peu probable, les futures vocations de la délégation n'auront de crédit qu'après avoir été confrontées à la Jurisprudence. En conséquence, il faut en déduire que même si l'observation de la Jurisprudence ne permet pas de dévoiler l'intégralité des fonctions effectives de la délégation, elle permet de dresser une liste des fonctions éprouvées de celle-ci. Il en découle une certaine prévisibilité, et une relative sécurité juridique, qui n'existent pas à propos des utilités que les juridictions n'auraient pas eu à connaître.

Au demeurant, dans la mesure où il a été démontré que la délégation est une notion fonctionnelle, ne pouvant être définie qu'en considération de la diversité de ses fonctions, il est fort probable qu'une éventuelle évolution de celles-ci, nécessite une nouvelle interrogation sur la nature juridique de la notion. Dans cette perspective, il semble qu'il faudra de nouveau tenir compte de la finalité poursuivie par les parties. Une étude approfondie de la cause de la délégation serait en conséquence bienvenue

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages généraux :

- A. Bénabent, Droit civil, les obligations, Montchrestien 10ième Ed. 2005

- G. Cornu, Droit Civil, Introduction, Les personnes, Les biens, 12ème éd. Montchrestien, 2005

- G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, P.U.F, 7ème éd, 2006

- J. François, Droit civil, Les obligations, Régime général, t.4, 1ère éd., Economica, 2000

- J. Flour, J.-L. Aubert, Y. Flour et E. Savaux, Droit civil, Les obligations, t.3, Le rapport d'obligation  4ième éd. Dalloz, 2006

- J. Flour, J.-L Aubert, E. Savaux, Droit civil, les obligations, T. 1, l'acte juridique, 12ème éd. Dalloz, 2006

- PH. Malaurie, L.Aynes, PH. Stoffel-Munck, Droit civil, les obligations, Defrénois, 2ème éd. 2005

- PH. Malinvaud, droit des obligations, 9ème ed. LITEC, 2005

- Pothier, obligations, éd 1805, tome II

- Starck, Laurent, Boyer : les obligations, Tome III, régime général, 6° ed, LITEC

- F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, les obligations, Dalloz, 9ième éd. 2005

Ouvrages spéciaux :

- P. Ancel, droit des sûretés, 4ème éd. LITEC, 2006

- A. Bénabent, contrats spéciaux civils et commerciaux, 7ème éd. Montchrestien, 2006

- M. Cabrillac, C. Mouly, droit des sûretés, 7ème éd., LITEC, 2005

- C. Gavalda, J. Stoufflet, instruments de paiement et de crédit, 6ème éd. LITEC, 2006

- D. Legeais, sûretés et garanties du crédit, 2ème éd. L.G.D.J, 1999

- PH. Petel, procédures collectives, 6ème éd. Dalloz, 2006

- J.-B. Seube, droit des sûretés, 3ème éd. Dalloz, 2006

Thèses et monographies :

- L. Aynes, la cession de contrat et les opérations juridiques à trois personnes, Thèse, Economica, 1984

- M. Billiau, « cession de contrat ou `' délégation''  de contrat » ? Étude du régime juridique de la prétendue «  cession conventionnelle de contrat », JCP ed. G 1994 n° 3758, p199

- M. Billiau, La délégation de créance, Essai d'une théorie juridique de la délégation en Droit français, Thèse Paris 1989, LGDJ Tome 207

- M. Billiau, délégation, rép. Civ. Dalloz

- D. Cholet, la novation de contrat, RTD civ. 2006, p. 467

- P. Crocq, L'évolution des garanties du paiement, de la diversité à l'unité. Mélanges C. Mouly, L. II, p. 317

- P. Crocq, propriété et garantie, thèse, LGDJ, tome 248

- R. Desgorces,  Relecture de la théorie du compte courant, RTD com. 1997. p.383

- PH. Dupichot, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, Thèse, éd. Panthéon-Assas, 2005

- Godon, la distinction entre délégation de paiement et indication de paiement, Defrénois 2000, 193

- M. Grimaldi, B. Fauvarque-cosson, la promotion de notre système juridique s'organise : la constitution d'une fondation pour le droit continental, D.2006 p. 996

- C. Lachièze, la délégation-sûreté, D. 2006, p.234

- C. Larroumet, Les opérations juridiques à trois personnes en droit privé, thèse Bordeaux, 1968

- R. Marty, délégation de débiteur à titre de garantie et reprise de dettes, LPA, 30 nov. 2006 n° 239, p.5

- D. Mazeaud, La cause, in, Le Code Civil, un présent, un passé, un avenir, éd. Dalloz, 2004, p. 451

-  Joël Monéger,  Émergence et évolution du fonds de commerce, AJDI 2001 p.1042

- M. L. Niboyet, Mélanges Jeantin, prospectives de droit économique, une illustration du concept de droit civil des affaires, la délégation de locataire  à titre de garantie, éd. Dalloz, 1999 p.71

- P. Raynaud , les contrats ayant pour objet une obligation, DEA de droit privé, Paris II 1977-1978, les cours du Droit, p. 89

- Rapport de la commission « Grimaldi » chargée de la proposition de réforme du droit des sûretés, Droit et patr. Sept. 2005 n°140

- PH. Simler, Les solutions de substitution au cautionnement, JCPG 1990.I. 3427

- PH. Simler, La réforme du droit des sûretés, un livre IV nouveau du Code Civil, JCP ed. G, N°13, 29 mars 2006

 

Décisions et commentaires de jurisprudence : (les numéros affectés aux décisions inédites renvoient au numéro du pourvoi)

- Com. 4 oct. 2005 Bull. IV N° 198 p.214.

- Civ. 1re 17 mars 1992, D. 1992 481, note L. Aynes 

- Com. 7 dec. 2004, Rep. Defrenois, 15 av. 2005, N° 7, article 38142, jurisprudence, p. 628, note E. Savaux

- Com. 21 Juin 1994, Bull. civ. IV N° 225.

- Com. 13 décembre 1994, Bull. civ. IV, N° 375

- Montpellier, 23 Juin 1927 : DH 1927. 472 

- Com. 30 Janvier 2001 Bull. civ. IV N° 25 

- Com. 18 mai 1999, Bull. civ. IV n°102

- Com. 08 octobre 2003 JCP 2004, I, 141, N° 8, obs. PH. Simler

- Civ 3ème 28 janv. 2003, N° 01-16053, inédit 

- Civ. 3ème 12 dec. 2001, Bull. 2001, III, N° 153 p. 120, D. 2002, N ° 12, J, p. 984, note M. Billiau et C. Jamin

- Com. 22 fev. 2005 N° 03- 13661, inédit.

- Civ. 1ère, 7 nov. 1995, Bull. civ. I, N° 387.

- Civ. 1ère 18 mars 2003, N° 01-16120, inédit.

- Com. 17 juill. 2001, N ° 98-18219, inédit.

- Com. 3 av. 2001 N° 97-19971, inédit.

- Com. 23 janv. 2001, bull. 2001 VI, N° 22, p.20

- Cass. req. 19 dec. 1923, D.P. 1925, I, 9, note H.Capitant

- Com. 3 dec. 2002, N° 99-20015, inédit

- Civ. 1ère, 2 av. 1968, Bull. civ. I, N° 114

- Civ. 17 mars 1992. D. 1992, p. 481, note L. Aynes, JCP 1992 II 21922, note M. Billiau.

- Com. 22 av. 1997, Bull. civ. IV, N° 98

- Com. 25 Fev. 1992, JCP 1992, II, 21922, note M. Billiau.

- Com. 4 oct. 2005 bull. 2005 IV 198, P. 214 

- Com. 26 nov. 2002, N° 99-12426, inédit.

- Com 14 fev. 2006 Bull. 2006 IV n° 37 P. 38.

- Com. 13 juin 2006 N° 05-17006, inédit.

- Civ. 2ème 21 oct. 2004, Bull. 2004, II, N° 471, P. 400.

- Com. 22 mai 2002 N° 99-11052, inédit.

- Com. 19 dec. 2006, D 2007 p. 961, note L. Aynes 

- Com. 30 nov. 1993, Bull. civ. IV, N° 439

- Com. 23 janv. 2001: Bull. civ. IV, N° 22

Sites Web :

www.henricapitant.org : rapport «doing business » de la Banque Mondiale et réponse apportée par l'association Henri CAPITANT des amis de la culture juridique française.

www.univ-st-etienne.fr/cercrid : « Cautionnement et autres garanties personnelles. État du droit français », Pascal Ancel, Etude pour le Ministère de la Justice, juin 1996, inédit.

www.legifrance.gouv.fr : ensemble des arrêts inédits à propos de la délégation.

www.ladocumentationfrançaise.fr/rapportspublics: rapport de la commission dirigée par le Professeur P. Catala sur l'avant projet de réforme du droit des obligations et de la prescription.

INDEX ALPHABETIQUE

A)

-Adpromissio, p. 76

-Ancel (rapport), p.41

-Anticipation, p.24

C)

-Cause, p.7, 12, 81,87, 88

-Cautionnement, p.30

-Carte bancaire, p.37

-« Catala » (avant projet), p.72

-Cession (définition), p.60

-Cession de contrat, p.39

-Cession de créance, p.52

-Cession de dette, p.60

-Contrat d'entreprise, p.52

-Contrat nommé, p.71

-Compensation, p.36, 83

- compte courant, p.36

-Confusion, p.36

D)

- Dation en paiement, p.45

-Définition, (notion) p.6

-Délégation (définition), p.5, 7, 8

-Délégation de créance, V. délégation, p.8

-Délégation de pouvoir, p.5

-Délégation (fonctions) p.41

-Délégation-paiement,(fonction), p.44

-Délégation-sûreté, (fonction), p.49

-Délégation-paiement (notion), p.81

-Délégation-sûreté (notion), p.84

-Délégation de locataire, p.50

-Délégation d'acquéreur, p. 50

-Délégation (procédures collectives), p.63

-Délégation (cession de dette), p. 61

-Délégation (pure et simple), p. 75

-Délégation (éléments constants), p.78

-Délégation (définition fonctionnelle) p.81

-Délégation (régime adéquat), p.87

-Délégué, V. délégation

-Délégant, V. délégation

-Délégataire, V. délégation

-Délégation certaine, p.10

-Délégation incertaine, p.10

-Donation, p.17, 18

-« Doing business », p.19

E)

Erreur, p.6

Entrepreneur principal, p.31

Extensive (conception), p.28

F)

Financement de projet, p.29

Financement immobilier, p.51

Fraude, p.32

Fonds de commerce, p.68

G)

Garantie, V. délégation-sûreté

Garantie autonome, p.33, 86

Gage espèces, p. 35

Grimaldi (commission), p.28

I)

Indication de paiement, p.75

Inopposabilité des exceptions, p.52

Invitation (délégant), p. 76

Instrument de crédit et de paiement, p.24

L)

Lettre de change, p.38

Lettre d'intention, p.29

M)

Marché du droit, p.28

Maître de l'ouvrage, p.30

Moniste (théorie), p.24

N)

Nantissement p.59

Novation, p.26

O)

-Opération juridique à trois personnes (définition), p. 80

-Obligation préalable (délégué) p.17

-Obligation préalable (double), p.21

P)

Paiement, p.10,

Période suspecte, p.52, 64

Prêt, p.17, 18

Procédures collectives, p.64

R)

Requalification, p.33

Rapport fondamental, p. 21

Restrictive (théorie), p.16

S)

-Simplification (paiement) V. délégation-paiement

-Sous-traitance, p. 31

-Sûreté personnelle (définition), p.85

T)

Transport de dette, V. Cession de dette

Tireur, V. lettre de change

Tiré, V. lettre de change

V)

Vente, p.74

Table des matières

p. 5

p.15

p.15

p.16

p.17

p.17

p.19

p.21

p.22

p.24

p.28

p.29

p.30

p.33

INTRODUCTION..........................................................................................

PARTIE I : Mise à jour des fonctions de la délégation ......

Chapitre I : La controverse doctrinale sur les fonctions de la délégation.......................................................................

Section I : La conception restrictive des fonctions de la délégation................

§ I : L'existence de l'obligation du délégué comme condition de la délégation......

A - Exposé des arguments la thèse proposée .............................................

B - Réfutation de la thèse proposée ..........................................................

§ II : L'existence d'un double « rapport fondamental » comme condition de la délégation..........................................................................................

A - Les arguments de la thèse moniste des fonctions de la délégation...............

B - La thèse moniste, résultat d'une confusion sur le rôle et la qualité du délégué..

Section II : La conception extensive des fonctions de la délégation.............

§ I L'opposition doctrinale sur l'aptitude de la délégation à constituer une sûreté personnelle de substitution......................................................................

A - La délégation-sûreté: solution de substitution au cautionnement ?.....................

B - La délégation en garantie: solution de substitution à la garantie autonome ?....

p.36

p.36

p.37

p.38

p.39

p.41

p.43

p.44

p.45

p.48

p.49

p.50

p.50

§ II : L'absence d'unanimité sur les fonctions explicatives de la délégation.........

A - L'utilisation doctrinale de la délégation comme technique explicative de certains moyens de payement ou de crédit...................................................

1) L'explication du paiement par carte via la théorie de la délégation ............

2) La tentative d'explication de la lettre de change par le recours à la délégation...................................................................................

B - Le transfert conventionnel du contrat expliqué par la délégation.................

Chapitre II : Inventaire des fonctions de la délégation à la lumière de la pratique contractuelle contentieuse.................................

Section I : Les fonctions de la délégation consacrées par la jurisprudence....

§ I : La simplification du paiement, fonction naturelle et originelle de la délégation...........................................................................................

A - L'utilisation pratique de la délégation aux fins de simplification du paiement..

B - L'effet supplétif et accessoire de garantie engendré par le recours à la délégation-paiement..............................................................................

§ II : L'utilisation récurrente et valable de la délégation comme technique de garantie du crédit.................................................................................

A - La délégation de locataire à titre de garantie : archétype de la délégation-sureté................................................................................................

1) L'utilisation de la délégation de locataire par la pratique contractuelle .......................................................................

p.54

p.56

p.56

p.59

p.61

p.61

p.64

p.65

p.65

2) Appui de la jurisprudence à la délégation de locataire en garantie....

B - Les hypothèses pratiques dérivées de recours à la délégation à titre de garantie..............................................................................................

1) La diversité des recours à la délégation en garantie ......................

2) L'exigence jurisprudentielle d'une certaine intelligibilité de la délégation-sûreté..................................................................

Section II : Les fonctions rejetées ou limitées par la jurisprudence.............

§ I : L'impossibilité de réaliser une cession de dette par voie de délégation..........

§ II : L'appréhension restrictive de la fonction extinctive de la délégation par le droit des procédures collectives................................................................

A - L'interdiction de la délégation-paiement dans un souci d'égalité des créanciers ..........................................................................................

B - La possible remise en cause, par la jurisprudence, de la vulgarisation du recours à délégation-paiement .................................................................

p.68

p.70

p.70

p.71

p.71

p.73

p.75

p.78

p.79

p.81

p.81

p.81

PARTIE II : Mise au jour de la notion de délégation.......

Chapitre I : L'impossibilité de réduire la notion de délégation à l'unité, et le pluralisme consécutif..........................................

Section I : L'insuffisance des définitions et catégories classiques pour rendre compte de la nature juridique de la délégation.............................

§ I : L'impossibilité de rendre compte de la nature juridique de la délégation au travers de la distinction entre contrats nommés et innommés...........................

A - Délégation et contrats nommés............................................................

B - L'inutilité pratique du classement de la délégation dans la catégorie des contrats nommés ..................................................................................

§ II : L'absence d'élément caractéristique propre à la délégation pure et simple ...

Section II : Définition plurale de la délégation à partir de ses éléments constants.................................................................................................................

§ I : Les éléments constants et nécessaires de la notion de délégation..................

§ II : Définition plurale et fonctionnelle de la notion de délégation.....................

A - Autonomie notionnelle et fonctionnelle de délégation paiement....................

1) Définition fonctionnelle de la délégation paiement.......................

p.83

p.84

p.84

p.85

p.87

p.89

p.89

p.91

p.92

p.92

p.93

p.95

p.97

p.102

2) La fonction de la délégation paiement : une compensation au sens économique........................................................................

B Autonomie notionnelle et fonctionnelle de la délégation sûreté.......................

1) Définition fonctionnelle de la délégation-sûreté...........................

2) La fonction de la délégation-sûreté : constitution d'une sûreté personnelle d'imitation...........................................................

Chapitre II : La nécessité de modeler le régime juridique de la délégation en considération de la finalité poursuivie par les parties............................................................................

Section I : le régime juridique approprié à la délégation-paiement............

§ - I : Les conditions de formation de la délégation-paiement...........................

§ - II : Les règles juridiques appropriées à l'engagement du délégué en paiement .

Section II : le régime juridique approprié à la délégation-sûreté................

§ I : Les conditions de formation de la délégation-sûreté.................................

§ II : Les règles juridiques appropriées à l'engagement du délégué en garantie.....

CONCLUSION...........................................................................................

Bibliographie..................................................................................................

Index alphabétique..........................................................................................

* 1 À l'instar du Code Civil, nous emploierons le simple vocable délégation pour désigner la délégation telle que décrite par l'article 1275 du dudit code : « la délégation par laquelle un débiteur (délégant) donne au créancier (délégataire) un autre débiteur (délégué) qui s'oblige envers le créancier », elle «  n'opère point de novation, si le créancier n'a expressément déclaré qu'il entendait décharger son débiteur qui a fait la délégation ». Nous écarterons donc l'expression  délégation de créance  (V. infra note 12)

* 2 Sur le site www.legifrance.gouv.fr le mot clef « délégation » donne pour l'année 2005, 192 résultats, dont une quinzaine est relative à la délégation dont nous traiterons. Ce rapport est de 6 pour 162 en 1990.

* 3 D. Legeais, sûretés et garanties du crédit, 2ème éd. L.G.D.J, N° 290, p. 201 affirme que: «  le renouveau de l'institution (délégation) est manifeste »

* 4 JOUBERT, Pensées, t. 1, 1824, p. 324

* 5 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique H. Capitant, 7ème ed. P.U.F. préface, p. 11

* 6 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique H. Capitant, 7ème ed. P.U.F. préface, p. 11.

* 7 Gérard Cornu, op. Cit. p.11

* 8 Pour une présentation extrêmement claire de cette dualité fonctionnelle de la notion de cause V. J. Flour, J.-L Aubert, E. Savaux, Droit civil, les obligations, T. 1, l'acte juridique, 12ème éd. Dalloz, 2006, N° 270, p. 213.

* 9 V. par ex. Ph. Dupichot, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, Thèse, Ed.Panthéon-Assas, 2005, N° 360, p.299, qui admet « que la délégation est définie de manière pour le moins souple à l'article 1275 du Code Civil ».

* 10 Cette définition traditionnelle est issue d'un grand classique du droit des obligations : Starck, Laurent, Boyer : les obligations. Tome III régime général, 6° ed, LITEC n° 92 p. 47

* 11 Il a ainsi été souligné que : « La délégation apparaît comme une opération quelque peu irréelle : comment une personne peut-elle accepter de payer une dette à la place d'une autre ? Voilà qui paraît singulier ». PH. Malinvaud, droit des obligations, 9ème éd. LITEC 2005, N° 788, p. 490.

* 12 V. sur la confusion terminologique relevée, qui n'a cependant pas beaucoup d'incidence, tant il est d'usage de parler de délégation de créance à propos de la délégation, M. Billiau, délégation, rép. Civ. Dalloz, n°1 et suiv. L'auteur relève que même si l'expression délégation de créance suggère un effet translatif, et est en conséquence impropre, il est admis que la délégation ne réalise pas un transfert de créance, si bien que l'appellation délégation de créance ne suscite pas de difficulté. Cependant, nous estimons qu'il est affligeant de lire dans certains contrats, notamment notariés, que le contractant : « cède, transporte et délègue » un droit, ce qui est parfaitement erroné.

* 13 V. sur cette évolution et ses effets, P. Crocq, L'évolution des garanties du paiement, de la diversité à l'unité. Mélanges C. Mouly, L. II, p. 317 et suiv. L'auteur relève que « la pratique a réagi et les créanciers ont alors cherché à utiliser toutes les ressources de la liberté contractuelle pour créer de nouvelles sûretés échappant peu ou proue à une législation jugée par trop contraire à la sécurité des transactions ». P. Crocq, op.cit.p.318

* 14 V. Art 1275 du Code Civil : il en résulte que la délégation est conclue imparfaite (ou non novatoire) si le délégataire ne libère pas expressément le délégant à l'occasion de l'engagement du délégué. En outre, la délégation sera dite certaine, si le délégué ne calque son engagement sur aucune obligation préexistante. En revanche, elle sera dite incertaine si le délégué s'engage pour ce que doit le délégant ou, pour ce que lui-même devait à ce dernier. Il nous semble qu'il est aussi possible de distinguer la délégation purement incertaine, par laquelle le délégué s'engage rigoureusement pour ce que doit le délégant, de la délégation simplement incertaine, par laquelle il s'engage pour ce qu'il doit au délégant.

* 15 V. G. Cornu, Droit Civil, Introduction, Les personnes, Les biens, 12ème ed. Montchrestien, n° 187, p. 84. Le doyen Cornu écrit par ailleurs que « le juriste est voué à la recherche des éléments constitutifs de la notion, éléments caractéristiques qui forment, par leur association, le critère de la catégorie juridique ». Trouver cet élément caractéristique n'est pas commode, surtout quand il s'agit d'une notion insuffisamment définie comme la délégation.

* 16 V. déf. de « cause », G. Cornu, Vocabulaire juridique H. Capitant, P.U.F, 7ème éd, 2006 p. 135.

* 17 V. au sujet de ce concept, M. L. Niboyet, Mélanges Jeantin, prospectives de droit économique, une illustration du concept de droit civil des affaires, la délégation de locataire à titre de garantie. éd. Dalloz, 1999 p.71, cet auteur fait de la délégation de loyers à titre de garantie au profit du prêteur de deniers, une illustration du concept de Droit civil des affaires. Cette présentation se situe dans le sillage de la pensée du professeur Michel Jeantin, qui a maintes fois expliqué et étayé les techniques sociétaires et commerciales par le droit commun des obligations.

* 18 « La délégation apparaît comme une illustration de l'utilisation grandissante des institutions du droit des obligations en droit des affaires », R. Marty, délégation de débiteur à titre de garantie et reprise de dettes, LPA, 30 nov. 2006, N° 239, N° 2, p.6.

* 19 V. sur la cette question de l'imbrication du sens et de la fonction, l'opinion du doyen Cornu exposée supra, p.6

* 20 Temps de la subjectivité et du doute.

* 21 J. Flour, J.-L. Aubert, Y. Flour et E. Savaux, Droit civil, Les obligations, t.3, Le rapport d'obligation 4ième éd. Dalloz, 2006, n° 431, p.265.

* 22 M. Billiau, in : M. Billiau, La délégation de créance, Essai d'une théorie juridique de la délégation en Droit français, préface de J. Ghestion, Thèse, 1989, LGDJ Tome 207, et J. François, in : J. François, Droit civil, Les obligations, Régime général, t.4, 1ère ed., Economica, 2000, notamment.

* 23 E. Savaux voit en la délégation une « technique très plastique », V. E. Savaux Rep. Defrenois, note sous Com. 7 dec. 2004, 15 av. 2005, N° 7, article 38142, jurisprudence, p. 628. Dans le même sens, PH. Malaurie, L.Aynes, PH. Stoffel-Munck, Droit civil, les obligations, Defrénois, 2ème éd. 2005, N° 1365, p.700.

* 24 V. J. François, Droit civil, Les obligations, Régime général, t.4, 1ère ed. Economica, 2000, N° 510, p.381.

* 25 Sont essentiellement visés les opérations juridiques ayant trois acteurs, telles que le contrat de libération et les sûretés personnelles.

* 26 J. François op. cit. N° 510, p 380.

* 27 On peut réellement parler de schéma, voire de géométrie en matière de délégation. Comme l'a si bien souligné, par une image assez illustrative, le juriste Thaller (cité par M. Billiau in M. Billiau, La délégation de créance, Essai d'une théorie juridique de la délégation en Droit français, Thèse Paris 1989, LGDJ Tome 207 N°1, p.3.) : « La délégation tend à remplacer une ligne brisée par une ligne droite ».

* 28 Par exemple, la cession dite « Dailly », par rapport à la cession civile de créance. La cession «  Dailly » ne nécessite pas la réalisation des formalités d'opposabilité prévues à l'article 1690 du Code Civil. Toutefois, elle est moins avantageuse quant à ses conditions, le cessionnaire de la créance ne pouvant être qu'un établissement de crédit. V. sur cette question l'art. L.313-27 du CMF.

* 29 Sur cette critique v. le rapport «  doing business » de la banque mondiale et la réponse apportée par l'association Henri CAPITANT des amis de la culture juridique française (www.henricapitant.org).

* 30 V. supra déf. de J. François, Droit civil, Les obligations, Régime général, t.4, 1ère ed., Ed. Economica, 2000, N°510, P. 381.

* 31 Par ex. Starck, Laurent, Boyer, les obligations, Tome III régime général, 6° ed, LITEC n° 92 p. 47.

* 32 Un auteur a ainsi pu souligné le « vide juridique » en matière de délégation (V. R. Marty, Délégation de débiteur à titre de garantie et reprise de dette, LPA, 30 nov.2006 n°259, p.5) Si le constat est globalement exact il, faut tout de même rappeler que la notion de vide juridique n'existe pas en droit Français ; tout au plus pourrait-on parler de vide législatif. En effet, l'article 5 du code civil oblige le juge à dire le Droit nonobstant le silence de la Loi. L'imagination des parties en matière de délégation trouvera en conséquence systématiquement une réponse jurisprudentielle, donc juridique.

* 33 Le Code civil contenait naguère des dispositions faisant référence à la délégation. Toutefois, ces dispositions ne traitaient ni de la nature ni du régime de celle-ci. Elles illustrent quand même une des fonctions de la délégation que nous étudierons plus loin. C'est ainsi qu'il y a peu, l'ancien article 806 du Code civil- avant sa modification issue de la loi n°2006-728 du 23 Juin 2006- disposait : « Il (l'héritier acceptant sous bénéfice d'inventaire) ne peut vendre les immeubles que dans les formes prescrites par les lois sur la procédure ; il est tenu d'en déléguer le prix aux créanciers hypothécaires qui se sont faits connaître ». L'ancien article 2212 du code civil - avant sa modification issue de l'ordonnance n° 2006-461 du 23 Mars 2006- prévoyait que : « Si le débiteur justifie, par baux authentiques, que le revenu net et libre de ses immeubles pendant une année suffit pour le payement de la dette en capital, intérêts et frais, et qu'il en offre la délégation au créancier, la poursuite peut être suspendue par les juges (...) » Ces exemples ont tous deux trait aux procédures civiles d'exécution, et il est curieux d'observer comment cette matière de « droit sanctionateur » peut conduire à s'interroger sur des questions de droit substantiel, en l'occurrence, l'office de la délégation en droit privé. En l'espèce, elle met indubitablement en relief la fonction de garantie de la délégation qui sera envisagée plus loin. Ces deux textes ne sont toutefois fois plus de Droit positif, ce qui justifie leur assez brève évocation.

* 34 Com. 21 Juin 1994, Bull. civ. IV n° 225.

* 35 M. Billiau, La délégation de créance, Essai d'une théorie juridique de la délégation en Droit français, Thèse Paris 1989, LGDJ Tome 207.

* 36 M. Billiau op. cit. n°3.p.7.

* 37 M. Billiau op. Cit. N° 477 p.426.

* 38 L'expression « rapport fondamental » est issue de la plume de M. Billiau (V. M. Billiau,  La délégation de créance, Essai d'une théorie juridique de la délégation en Droit français, Thèse Paris 1989, LGDJ Tome 207 N° 7 et suiv, p.15 et suiv.), elle fait allusion au Droit cambiaire, et à l'opposition entre rapport fondamental et rapport cambiaire. Cette allusion trahit du reste l'auteur, dans la mesure où le Droit cambiaire ne se limite pas à une fonction de paiement, et peut avoir comme objet le crédit ou sa garantie. Ce qui justifie l'appellation générique instrument de crédit et de paiement.

* 39 Le Droit français n'est pas étranger à la technique consistant à anticiper la qualité et le régime juridique d'une chose ou d'une personne. Ex. Montpellier, 23 Juin 1927 : DH 1927. 472 : La vente de récoltes sur pied a pour objet les récoltes détachées du sol et constitue ainsi une vente de meubles par anticipation.

* 40 Com. 21 Juin 1994, précité.

* 41 J. Flour, J.-L. Aubert, Y. Flour et E. Savaux, Droit civil, Les obligations, t.3, Le rapport d'obligation 4ième éd. 2006, Dalloz N° 431, p.308.

* 42 PH. Malaurie, L. Aynes, PH. Stoffel-Munck, Droit civil, les obligations, Defrénois, 2ème éd. 2005, N° 1365, p.799.

* 43 Civ. 1ère, 7 nov. 1995, Bull. civ. I, N° 387.

* 44 Pothier, obligations, éd 1805 tome II n ° 564

* 45 Nous estimons avec C. Larroumet que : « la délégation parfaite n'est pas une novation mais elle produit un effet novatoire ». Les opérations juridiques à trois personnes en droit privé, thèse Bordeaux, 1968, N°228.

* 46 M. Billiau, La délégation de créance, Essai d'une théorie juridique de la délégation en Droit français, Thèse 1989, LGDJ Tome 207.

* 47 Ph. Dupichot, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, éd. Panthéon-Assas, Thèse, 2005, n°360, p.300.

* 48 « À l'heure de la mondialisation, un "marché du droit" s'ouvre sur lequel les systèmes juridiques sont évalués, cotés, tantôt par un pays émergent en quête d'une législation, (...) tantôt par telle ou telle institution internationale » (v supra doing business). M. Grimaldi, B. Fauvarque-cosson, la promotion de notre système juridique s'organise : la constitution d'une fondation pour le droit continental, D.2006 p. 996.

* 49 V. le rapport de la commission « Grimaldi », Droit et patr. Sept. 2005 n°140.

* 50 Désormais le nouvel article 2287-1du Code Civil (issu de l'ordonnance du 23 Mars 2006) prévoit que « les sûretés personnelles régies par le présent titre sont le cautionnement, la garantie autonome et la lettre d'intention ».

* 51 Pour une présentation au niveau international : V. D. Legeais, qui relève l'utilisation de la délégation prise en tant que pièce centrale d'un montage contractuel. Il s'agit du financement de projet. Le montage permet le financement d'une usine construite dans un pays en voie de développement avec des capitaux étrangers. D. Legeais, sûretés et garanties du crédit, 2ème éd. L.G.D.J, n° 242, p. 201.

* 52 PH. Simler, les solutions de substitution au cautionnement, JCPG 1990, I, 3427, N° 4 et suiv. L'auteur souligne qu'il existe des procédés du droit commun des contrats pouvant jouer le « rôle » de sûretés personnelles.

* 53 V. not. C. Lachièze, la délégation-sûreté, D. 2006 p.234.

* 54 Loi N° 75-1334 du 31 Décembre 1975, art. 14 : « À peine de nullité du sous-traité, les paiements de toutes sommes dus par l'entrepreneur au sous-traitant, en application de ce sous traité, sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l'entrepreneur d'un établissement qualifié, agréé dans des conditions fixés par décret. Cependant, la caution n'aura pas lieu d'être fournie si l'entrepreneur délègue le maître de l'ouvrage au sous traitant dans les termes de l'article 1275 du Code Civil, à concurrence du montant des prestations exécutées par le sous-traitant ». Il est toutefois possible de s'interroger sur l'opportunité de cette disposition et le cumul de garantie engendré, au regard de l'existence de l'action directe dont bénéficie le sous-traitant.

* 55 À titre d'exemple en matière de sous-traitance V. Civ 3ème 28 janv. 2003, N° 01-16053, inédit : qualification d'une délégation au profit du sous traitant.

* 56 F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil, les obligations, Dalloz, 9ième éd. 2005, n°1441, p.1362.

* 57 V. Ordonn. du 23 Mars 2006 précitée.

* 58 Le Vocabulaire juridique de M. Cornu (Gérard Cornu, Vocabulaire juridique H. Capitant, 7ième édition, PUF) définit la fraude à la Loi comme : « Un acte régulier en soi (ou en tout cas non sanctionné d'inefficacité [à l'instar de la délégation] ) accompli dans l'intention d'éluder une Loi impérative ou prohibitive et qui, pour cette raison est frappé d'inefficacité par la Jurisprudence ou par la Loi » Le monde des affaires a certes besoin de souplesse, mais il a aussi besoin de sécurité juridique. Les partenaires ne sauraient se permettre de recourir à la délégation s'il existe une possibilité, même infime, que celle-ci soit considérée comme une fraude à la législation applicable au cautionnement.

* 59 C'est le cas de la thèse de PH. Dupichot (précitée). L'auteur rejette la délégation-sûreté en raison des difficultés d'articulation avec les autres sûretés personnelles, notamment le cautionnement, et moins en raison de la nature intrinsèque de la délégation. Ainsi relève-t-il, contre la délégation-sûreté, « l'impossibilité de renonciation anticipée à la règle de l'accessoire fondée sur un ordre public de protection », ce qui devrait entraîner une requalification en cautionnement, PH. Dupichot, thèse précitée, N° 326, p.271.

* 60 C'est le cas de la thèse de M. Billiau (précitée) qui est davantage fondée sur la nature intrinsèque de la délégation, que sur sa combinaison avec d'autres techniques juridiques, notamment le cautionnement.

* 61V. notamment, pour une proposition récente et on ne peut plus explicite, C. Lachièze, la délégation-sûreté, D. 2006 p.234 n° 5 et suiv. V. aussi, PH. Simler, Les solutions de substitution au cautionnement, JCPG 1990.I. 3427. M. M. Cabrillac et Mouly restent circonspects, et relèvent qu'il est curieux d'observer que la communauté des juristes conserve, sans difficultés et sans distinction, une conception large de la délégation, et que la thèse de M. Billiau, limitant la délégation, est largement rejetée. M. Cabrillac et C. Mouly, droit des sûretés, 7ème éd., LITEC, 2005, N°473-6, p.397

* 62 R. Marty, délégation de débiteur à titre de garantie et reprise de dettes, LPA, 30 nov. 2006 n° 239, N°2. p.5

* 63 C. Lachièze, la délégation-sûreté, D. 2006, p.234, n° 1, 2 et 3.

* 64 C. Lachièze, op. cit.N° 6, p.234.

* 65 Ou encore, simple ou non novatoire. Les trois termes expriment une même réalité, même si des auteurs en contestent l'emploi au profit d'un seul d'entre eux. On peut dire qu'il y désormais consensus sur la synonymie de ces termes.

* 66 M. Cabrillac, C. Mouly, droit des sûretés, 7ème éd., LITEC, 2005, N° 24, p.31.

* 67 Civ. 1re 17 mars 1992, D. 1992 481, note L. Aynes : Sauf convention contraire, le délégué est seulement obligé au paiement de la dette du délégant envers le délégataire.

* 68 Com. 13 décembre 1994, Bull. civ. IV, n° 375.

* 69 Com. 30 Janvier 2001 Bull. civ. IV n°25 ; Com. 18 mai 1999, Bull. civ. IV n°102

* 70 Ex. Com 8 octobre 2003, JCP 2004, II, 10069.

* 71 La solution se justifie aussi par la nature juridique originale de la garantie autonome qui peut opportunément s'analyser en une promesse de constitution de gage espèces, devant avoir la même efficacité qu'un gage espèces dont l'intégralité a déjà été versée au créancier. V. pour une défense de cette analyse, PH. Dupichot, thèse précitée, N° 342, p.285.

* 72 Pour une présentation critique et résumée des analyses civilistes données à propos du compte courant, V. R. Desgorces, Relecture de la théorie du compte courant, RTD com. 1997. p.383.

* 73 Pour une présentation plus complète, V. not. M. Billiau,  La délégation de créance, Essai d'une théorie juridique de la délégation en Droit français, Thèse Paris 1989, LGDJ Tome 207 N° 393 et suiv, p. 360.

* 74 A. Bénabent, Droit civil, les obligations, Montchrestien 10ième Ed. 2005, n°757, p.525. Et pour un eprésentation plus détaillée V. M.Billiau, thèse précité, N° 444 et suiv. p.399.

* 75 V. en ce sens, A. Bénabent, op. Cit. N° 757, p.525.

* 76 Pour l'exemple de la carte de paiement, V. L. 132-1 et suiv. du C.M.F.

* 77 Pour un exposé détaillé de cette proposition de Thaller v. M. Billiau, thèse précitée, N° 396, p.361.

* 78 Il est possible de définir la lettre de change comme : « Le titre par lequel une une personne dénommée tireur invite une une autre personne denommée tiré à payer une somme d'argent à une date determiné à l'ordre d'un bénéficiaire désigné ». C. Gavalda, J. Stoufflet, instruments de paiement et de crédit, 6ème éd. LITEC, 2006, N°11, p.22. On peut aussi la définir comme : « L'écrit par lequel le tireur, invite une deuxième personne, le tiré, à payer à une troisième personne, le bénéficiaire ou porteur ou à l'ordre de cette dernière une somme d'argent à une échéance en général assez proche (La définition intégrant en l'occurrence le régime) le tireur en tant que signataire est responsable de la création de la lettre, étant tenu de la payer si le tiré ne fait pas ». G. Cornu, Vocabulaire juridique H. Capitant, 7ème éd., PUF, p.534. Dans les deux définitions précitées, il y a une référence à la notion d'invitation, ce qui fait inévitablement penser à la définition usuelle de la délégation, V. supra, p.7.

* 79 La lettre de change est réglementée aux art. L 511-1 et suiv. du Code de Commerce.

* 80 Le plus fervent partisan de la cession conventionnelle de contrat est sans doute le professeur Aynes, V. L. Aynes , la cession de contrat et les opérations juridiques à trois personnes, Thèse, Economica 1984.

* 81 Pour une défense de l'analyse de la cession de contrat par le biais de la délégation v. M. Billiau, « cession de contrat ou `' délégation''  de contrat » ? Étude du régime juridique de la prétendue «  cession conventionnelle de contrat », JCP ed. G 1994 n° 3758, p.199 et suiv.

* 82 M. Billiau, op. cit. n°19.

* 83 Les sommités ayant enseigné la délégation ne l'ont-elle pas envisagée au titre des « contrats ayant pour objet une obligation » ? V. P. Raynaud , les contrats ayant pour objet une obligation, DEA de droit privé, Paris II 1977-1978, les cours du Droit, p. 89. Cette analyse n'est valable que si l'on estime que la délégation nécessite l'existence d'au moins une obligation préalable. En revanche, la délégation n'est plus nécessairement un contrat relatif à l'obligation dès lors que l'on estime qu'elle n'exige pas l'existence d'obligation préalable.

* 84 Du reste, il ne faut pas se laisser abuser par la confusion des genres qui pourrait résulter de l'arrêt de la 3ème Ch. Civ. De la Cour de Cassation en date du 12 dec. 2001 (Bull. 2001, III, N° 153 p. 120, D. 2002, N ° 12, J, p. 984, note M. Billiau et C.Jamin), il nous est en effet extrêmement difficile de déterminer si cet arrêt est relatif à la délégation ou à la cession de contrat.

* 85 La Doctrine et la jurisprudence se sont cependant laissées aller à l'analogie, en utilisant des mécanismes propres aux obligations pour les appliquer au contrat, par ex. les notions d'indivisibilité entre contrats (V. Mauger, Études Mercadal, ed. F. Lefebvre, 2002) ou la novation de contrat (V. D. Cholet, la novation de contrat, RTD civ. 2006, p. 467)

* 86 Rapport du professeur Pascal Ancel au garde des sceaux, « Cautionnement et autres garanties personnelles. État du droit français ». (Etude pour le Ministère de la Justice, juin 1996, inédit). Ce rapport aborde la délégation en tant que sûreté de substitution au cautionnement. Il est brièvement présenté et résumé sur le site Internet du CERCRID de l'université Jean Monet, www.univ-st-etienne.fr/cercrid, dans la mesure ou il est inédit, sa consultation intégrale nous fut impossible.

* 87 P. Ancel, loc. cit. § 2.

* 88 Plutôt que le Cd Rom lexilaser cassation, notre source documentaire sera le site Web www.legifrance.gouv.fr

* 89 Notre inventaire n'est en conséquence qu'un pas en avant qui en appelle d'autres.

* 90 « Sa plasticité lui permet de remplir plusieurs fonctions » PH. Malaurie, L.Aynes, PH. Stoffel-Munck, Droit civil, les obligations, Defrénois, 2ème éd. 2005, N° 1365, p.700.

* 91 V. notamment, M. Billiau, La délégation de créance, Essai d'une théorie juridique de la délégation en Droit français, Thèse Paris 1989, LGDJ Tome 207, N° 3, p.7. ; Certains auteurs ajouteront à cette première fonction la reprise « interne » de dette, R. Marty, délégation de débiteur à titre de garantie et reprise de dettes, LPA, 30 nov. 2006 n° 239 p. 5 et suiv.

* 92 En sens inverse V. Ph. Malinvaud, droit des obligations, 9ème éd. LITEC 2005, N° 788 : « la délégation est une opération qui (...) a pour seul but de réaliser une cession de dette ».

* 93 En ce sens, V M.-L. Niboyet, Mélanges Jeantin, Prospectives de droit économique, Une illustration du concept de droit civil des affaires, la délégation de locataire à titre de garantie, éd. Dalloz, 1999, p. 72. L'auteur relève des « zones d'ombre » dans le régime de la délégation.

* 94 Com. 22 fev. 2005, pourvoi N° 03- 13661, inédit

* 95 V. Supra Thaler cité par M. Billiau, thèse précité, N°1, p.3.

* 96 Civ. 1ère 18 mars 2003, N° 01-16120, inédit.

* 97 Com. 17 juill. 2001, pourvoi N ° 98-18219, inédit.

* 98 Com. 3 av. 2001 pourvoi N° 97-19971, inédit.

* 99 Com. 22 fev. 2005, précité.

* 100 « Les sûretés personnelles consistent dans l'adjonction, au droit du créancier contre le débiteur, d'un droit personnel contre un tiers (...) le créanciers a donc deux débiteurs au lieu d'un » P. Ancel, Droit des sûretés, LITEC, 4ème éd. 2006, N°20, p.6.

* 101 Relevons à propos de la délégation-paiement conclue imparfaite qu'il peut paraître curieux qu'en augmentant le nombre de débiteurs, l'on réduise le nombre de paiements à intervenir.

* 102 Rappelons que, selon l'article 2287-1 du Code Civil, les sûretés personnelles prévues par la Loi sont : « le cautionnement, la garantie autonome et le lettre d'intention ».

* 103 « La délégation n'a connu pendant longtemps qu'un usage restreint dans la pratique notariale à l'occasion de la vente d'immeuble », M.-L. Niboyet, Mélanges Jeantin, Prospectives de droit économique, ed. Dalloz, 1999 p.71 ; selon l'auteur la délégation de locataire est même « une pratique assez peu connue en dehors des études de notaires ». Depuis le début du XXI siècle, il semble toutefois que cette pratique se soit exportée hors des études notariales.

* 104 De l'an 2001 à l'an 2007.

* 105 Pour une utilisation du vocable délégation-sûreté, V. M. cabrillac et C. Mouly, Droit des sûretés, 7ème éd. LITEC, 2005, N° 473-1 et suiv. p. 394 et suiv. Cette présentation de la délégation-sûreté est toutefois beaucoup moins enthousiaste que celle de C. Lachièze (précitée).

* 106 Com. 23 janv. 2001, bull. 2001 VI, N° 22, p.20

* 107 La Doctrine a depuis longtemps souligné l'importance de l'utilisation de la délégation par la pratique notariale notamment en matière immobilière. V. supra, M.-L. Niboyet, Mélanges Jeantin, prospectives de droit économique, éd. Dalloz, 1999 p.71. et M. Billiau, rep.civ Dalloz, V. délégation, N°3, p.2. L'auteur relève que : « la délégation est beaucoup plus répandue qu'on ne le pense généralement. La pratique notariale l'utilise depuis longtemps à l'occasion des opérations immobilières ». Les établissements de crédit se sont sans doute inspirés de la pratique notariale, sur les conseils de cette dernière, pour sécuriser leurs concours financiers en matière immobilière

* 108 Com. 3 dec. 2002, pourvoi N° 99-20015, inédit

* 109 Sauf en cas de concert frauduleux, cf. Civ. 1ère, 2 av. 1968, Bull. civ. I, N° 114.

* 110 Civ. 17 mars 1992. D. 1992, p. 481, note L. Aynes, JCP 1992 II 21922, note M. Billiau.

* 111 M.- L. Niboyet, op. Cit. P.74.

* 112 Com. 25 Fev. 1992, JCP 1992, II, 21922, note M. Billiau. « En cas de délégation imparfaite, le délégué ne peut, sauf clause contraire, opposer au délégataire les exceptions dont le délégant pourrait se prévaloir à l'égard de celui-ci ».

* 113 Pour la matière immobilière soumise aux juridictions civiles, la question est plus délicate.

* 114 En plus de l'absence de contribution à la dette du garant. En ce sens v. M. Cabrillac et C. Mouly, précité.

* 115 Com. 4 oct. 2005 bull. 2005 IV 198, P. 214 

* 116 Il semble en effet que, dans l'espèce précitée du 4 oct. 2005, les parties aient considéré la délégation comme la garantie centrale de leur dispositif.

* 117 Com. 26 nov. 2002, N° 99-12426, inédit.

* 118 Comme nous l'avons démontré plus haut (V supra p. 51) l'obligation du délégué, même si elle existe, n'est pas une condition de la délégation-sûreté.

* 119 Com 14 fev. 2006, Bull. 2006 IV n° 37 P. 38. JCP E 2006, 1819, note C. Lachièze. Il s'agit d'une décision d'une importance fondamentale.

* 120 V. art. 1281 al.1 de l'avant projet, aux termes duquel : « l'engagement du délégué envers le délégataire rend indisponible la créance du délégant envers le délégué, qui ne peut être ni cédée, ni saisie ».

* 121 Com. 13 juin 2006 pourvoi N° 05-17006, inédit 

* 122 Com. 13 juin 2006, précité.

* 123 V. sur cet effet extinctif : l'ancien art. L. 621-46 du Code de Commerce, issu de la Loi N° 85-98 du 25 janv. 1985, art. 53.

* 124 V. supra p. 30, la Loi N° 75-1334, du 31 Décembre 1975, sur la sous-traitance, et son art. 14 qui pose une alternative entre cautionnement bancaire et délégation du maître de l'ouvrage.

* 125 Civ. 2ème 21 oct. 2004, Bull. 2004, II, N° 471, P. 400.

* 126 Seule une promesse de porte fort en garantie, technique foncièrement différente de la délégation-sûreté, a pu être requalifiée en cautionnement. Com. 13 dec. 2005, Bull. civ. IV N° 256.

* 127 Ph. Simler, La réforme du droit des sûretés, un livre IV nouveau du Code Civil, JCP ed. G, N°13, 29 mars 2006, N°4, p. 598. Dans le m même sens v. PH. Malaurie, L.Aynes et PH. Stoffel-Munck, Droit civil, les obligations, Defrénois, 2ème éd. 2005, N°1367, p.781 : qui notent que : « le plus souvent elle (la délégation) est l'instrument d'un paiement simplifié, ou de la constitution d'une garantie ».

* 128 Cette nécessité est notamment soulevée par M. L. Niboyet, op. cit. p.72 et 73. qui préconise « une rédaction prudente des clauses du contrat » de délégation de locataire à titre de garantie. Cette recommandation est a fortiori valable pour les hypothèses dérivées de délégation en garantie, auxquelles les tribunaux sont moins familiers

* 129 Com. 22 mai 2002 pourvoi N° 99-11052, inédit.

* 130 V. Com. 19 dec. 2006, D 2007 p. 961, note crit. L. Aynes ; cet arrêt récent et important affirme que : « en dehors des cas prévus par la Loi, l'acte par lequel un débiteur cède et transporte à son créancier, à titre de garantie, tous ses droits sur des créances, constitue un nantissement de créance ».

* 131 PH. Dupichot, thèse précitée, supra p.28

* 132 A. Bénabent, Droit civil, les obligations, Montchrestien 10ième Ed. 2005, N° 751 et suiv. p.520 et suiv.

* 133 R. Marty, délégation de débiteur à titre de garantie et reprise de dettes, LPA, 30 nov. 2006 n° 239, p.5.

* 134 A. Bénabent, op. cit. N° 750, p.519.

* 135 V. Cass. req. 19 dec. 1923, D.P. 1925, I, 9, note H. Capitant, qui précise que la délégation n'est pas une cession de créance

* 136 V. def. de « cession » G. Cornu, Vocabulaire juridique, H. Capitant, P.U.F, 7ème éd, 2006, p.141.

* 137 En plus de ceux classiquement avancés, notamment l'absence de valeur patrimoniale de la dette, et l'importance de la personnalité du débiteur pour le créancier.

* 138 Bull. 2004, IV, N° 214, p.240. V. note E. Savaux infra note suiv.

* 139 Dans ce sens V. E. Savaux, note sous Com. 7 dec. 2004, Rep. Defrénois Juill. 2005, art. 38142 p.627

* 140 Cette réclamation constitue, selon la jurisprudence, son consentement à l'opération de délégation. V. Com. 7 dec. 2004, précité. On peut s'interroger sur ce consentement, a posteriori, à l'offre de délégation. En effet, que se passerait-il devant les juridictions si le délégué, au lieu d'invoquer une exception, invoquait une révocation de l'offre de délégation préalablement à l'action en paiement valant acceptation? L'offre n'est-elle pas révocable avant l'acceptation du délégataire ?

* 141 Cf. Art L.632-1, I C. Co. La période suspecte est celle comprise entre la date de la cessation des paiements (reportée) et le jugement d'ouverture de la procédure.

* 142 La nullité n'est toutefois pas encourue si la délégation est conclue avant la date de l'insolvabilité notoire même si son exécution est postérieure, en ce sens v. Com. 4 oct. 2005 Bull. IV N° 198 p.214

* 143 V. Art. L. 622-7 C. CO. et le contournement possible de l'interdiction de payer les créances antérieures par la compensation de créance connexes.

* 144 V. Art. L 632-1, 4° du Code de Commerce : il en résulte que sont nuls, s'ils sont intervenus pendant la périodes suspecte « Tout paiement pour dettes échues, fait autrement qu'en espèces, effets de commerce, virements, bordereaux de cession visés par la loi no 81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises ou tout autre mode de paiement communément admis dans les relations d'affaires ».

* 145 Com. 30 nov. 1993, Bull. civ. IV, N° 439

* 146 Com. 23 janv. 2001: Bull. civ. IV, N° 22

* 147 M. Billiau, La délégation de créance, Essai d'une théorie juridique de la délégation en Droit français, Thèse Paris 1989, LGDJ Tome 207, N°4, p.10.

* 148 V. supra p.6, D. Legeais, qui avoue que: « Le renouveau de l'institution (délégation) est manifeste ».

* 149 Le doyen Moneger, in Joël Monéger, Émergence et évolution du fonds de commerce, AJDI 2001 p.1042, a ainsi pu écrire : « La notion de fonds de commerce serait-elle mal comprise, serait-elle autre que ce que les praticiens pensent ? Ils vendent, ils louent, ils évaluent, ils liquident des fonds de commerce et ceux-ci seraient autres que ce qu'ils croient (...) En effet, le fonds de commerce est au nombre des choses connues que le droit a peine à nommer ».

* 150 M. Billiau, thèse précitée, N°4, p.10

* 151 V. supra, M. Billiau, p 68.

* 152 M. Billiau, La délégation de créance, Essai d'une théorie juridique de la délégation en Droit français, Thèse Paris 1989, LGDJ Tome 207, N°41, p.52

* 153 PH. Dupichot, thèse précité N° 360, p. 300, écrivit (avant la réforme du 23 Mars 2006) que « la délégation présente (...) l'insigne avantage d'être une technique juridique "prévue" par le Législateur, à la différence de la garantie autonome ou du constitut ». « Prévue » est-il l'équivalent de nommé ? La Doctrine semble réservée sur la nature de la délégation.

* 154 H. Synvet, commentaires sur les articles de l'avant projet « Catala », de réforme du droit des obligations et de la prescription, relatifs à la délégation : (Art.1275 à 1282), V. ref. infra note suiv.

* 155 V. avant projet « Catala » de reforme du droit des obligations et de la prescription, rapport remis au garde des sceaux, p. 60, www.ladocumentationfrançaise.fr/rapportspublics .

* 156 Loc. cit. p. 6o.

* 157 « Sont nommés les contrats qui correspondent à un "moule" connu et font à ce titre l'objet d'un corps de règles propres ». A. Bénabent, contrats spéciaux civils et commerciaux, 7ème éd. Montchrestien, 2006, N°2, p.2. Il ne sous semble pas que les deux seuls art. 1275 et 1276 du Code Civil puissent constituer ce fameux corps de règles propres.

* 158 Au reste, l'avant projet « Catala » de réforme du droit des obligations et de la prescription ne définit pas mieux la délégation puisqu'il se contente d'énoncer en son article 1275 qu'« il y a délégation lorsque, sur ordre d'une personne, le délégant, une autre personne, le délégué, s'engage envers une troisième le délégataire qui l'accepte comme débiteur ». « Il y a délégation... », il s'agit d'une formule illustrative, une véritable définition nécessiterait l'emploi d'un verbe d'état, par ex. la formule suivante : « la délégation est... ». Il semble que personne n'ose s'aventurer à définir la délégation.

* 159 Les ouvrages et manuels à jour de la réforme du 23 Mars 2006 considèrent sans peine qu'il s'agit de nouvelles sûretés nommées. V. par ex. P. Ancel, droit des sûretés, 4ème éd. LITEC, 2006, N° 29, p17

* 160 Si deux art. du Code Civil sont consacrés à la délégation, seuls les art. 2321 et 2322 sont respectivement consacrés à la garantie autonome et à la lettre d'intention.

* 161 PH. Malaurie, L.Aynes, PH. Stoffel-Munck, Droit civil, les obligations, Defrénois, 2ème éd. 2005, N°1365, p.779 : « Deux éléments la caractérisent (la délégation) : l'initiative du délégant (...) qui se réalise par un engagement du délégué ».

* 162 En matière d'indication de paiement, « le créancier n'acquiert aucun droit contre le tiers, lequel ne s'engage pas personnellement, ce qui distingue l'indication de paiement de la délégation ». A. Bénabent, Droit civil, les obligations, Montchrestien 10ième Ed. 2005 N° 758, P. 526. Dans le même sens, V. Godon, la distinction entre délégation de paiement et indication de paiement, Defrénois 2000, 193.

* 163 Voire celle d' expromissio (expromission [art.1274 du C.Civ]), si l'ancien débiteur est libéré par le créancier (en cas de novation), PH. Malaurie, L.Aynes, PH. Stoffel-Munck, Droit civil, les obligations, Defrénois, 2ème éd. 2005, N°1339, p. 769.

* 164 Civ 3ème 28 janv. 2003, N° 01-16053, inédit : « Attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a retenu que la société (...) entrepreneur principal délégant (...) le sous traitant délégataire, les époux x maîtres de l'ouvrage délégués, par leur attitude, leur règlement direct de facture avaient donné leur consentement à la délégation de créance ».

* 165 La cause de la délégation est classiquement placée dans les rapports entre le délégué et le délégant. Dans notre exemple, de tels rapports peuvent ne pas exister.

* 166 PH. Malaurie, L.Aynes, PH. Stoffel-Munck, op. cit. N°1371, p.786.

* 167 R. Marty, délégation de débiteur à titre de garantie et reprise de dettes, LPA, 30 nov. 2006 N° 239, N° 3, p. 6

* 168 Certains auteurs font référence à cette distinction fonctionnelle, mais il ne semble pas qu'ils fassent de chacune des délégations une notion autonome. V. par ex. M. Cabrillac, C. Mouly, droit des sûretés, 7ème éd., LITEC, 2005.

* 169 V. énoncé de la définition usuelle supra, p.7

* 170 M. Billiau, La délégation de créance, Essai d'une théorie juridique de la délégation en Droit français, Thèse Paris 1989, LGDJ Tome 207, N°1, p.2.

* 171 « Ce qui démontre l'existence d'une opération juridique à trois personnes, c'est que la convention qui concerne trois intéressés a pour effet d'entraîner la création d'un lien de droit entre deux seulement d'entre eux ». C. Larroumet, Les opérations juridiques à trois personnes en droit privé, thèse Bordeaux, 1968, N°3, p.5.

* 172 V. supra A. Bénabent p. 76

* 173 C. Larroumet, op. cit. N° 11, p.12.

* 174 V. supra théorie proposée M. Billiau, p. 21. Celle-ci est donc partiellement vérifiée.

* 175 Au lieu d'une technique d'imitation, certains auteurs analysent la délégation en garantie comme une sûreté personnelle par destination. Ex. J.-B. Seube, droit des sûretés, 3ème éd. Dalloz, 2006, N°16, p. 8. Il nous semble que l'une comme l'autre des deux analyses soient pertinentes.

* 176 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, 7ème ed. P.U.F. p. 886.

* 177 P. Crocq, propriété et garantie, thèse, LGDJ, tome 248, 1995, N° 282.

* 178 Seule la 1ère ch. Civ. de la cour de cassation s'autorise à limiter l'autonomie de l'obligation du délégué en matière de délégation incertaine. V. Civ. 1ère 17 mars 1992, précité p.52. Contra, Com. 25 Fev. 1992, précité p. 53.

* 179 Ex. art. 1387-1 du C. civ, qui vise « les dettes ou sûretés », consenties par les époux dans le cadre de la gestion d'une entreprise. Ou l'art. L. 225-35 al. 4 du C. Co. qui prévoit un régime d'autorisation par le CA des « cautions avals et garanties » donnés par les SA. Dans les deux, cas la qualification de la délégation en sûreté ou garantie peut être déterminante.

* 180 G. Cornu précité, p.12.

* 181 La cause objective se « présente donc de façon identique, invariable et stéréotypée, dans tous les contrats de même nature ». D. Mazeaud, La cause, in, Le Code Civil, un présent, un passé, un avenir, éd. Dalloz, 2004, N° 9, p. 455.

* 182 V. D. Mazeaud citant Rouast : « Si vous avez compris la cause c'est qu'on vous l'a mal expliquée ». D. Mazeaud, La cause, in, Le Code Civil, un présent, un passé, un avenir, éd. Dalloz, 2004, N°1, p. 451.

* 183 V. déf. « régime » G. Cornu, Vocabulaire juridique H. Henri Capitant, P.U.F, 7ème éd, 2006 p.772, III, 2

* 184 Art. 1244 du C. Civ : « Le débiteur ne peut forcer le créancier à recevoir en partie le paiement d'une dette, même divisible ».

* 185 Com. 25 fev. 1992, précité, p. 53.

* 186 Com. 22 av. 1997, Bull. civ. IV, N° 98.

* 187 Civ. 1ère 17 mars 1992, précité p.52.

* 188 Le conflit entre les Chambres de la Cour de Cassation se résorberait du même coup, ce qui n'est pas un moindre avantage.

* 189 Au reste, il serait illogique de conclure une délégation-sûreté novatoire de l'engagement du délégant envers le délégataire. La dette du débiteur initial s'éteignant par novation, il n'y aurait en effet plus rein à garantir.

* 190 C. Lachièze, la délégation-sûreté, D. 2006, p.234, N° 9, p.235

* 191 C. Lachièze op. cit. N°9, p. 235

* 192 Pour la délégation V. Civ. 1ère, 2 av. 1968, précité p.52






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci