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FAI: vers un devenir médium


par Gregory de Prittwitz
CELSA - la Sorbonne
Traductions: Original: fr Source:

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2. Du déterminisme technologique et des usages

L'assimilation de la jonction par interactivité comme expliqué plus haut, à travers l'institutionnalisation du media Internet a révélé des évolutions dans les habitudes de consommation. Le paradigme technologique attribué à Marshall Macluhan prend ici toute sa dimension. Macluhan prophétisa l'avènement d'un réseau planétaire issu des nouvelles technologies de la communication électronique formant un immense « village global » qui s'est concrétisé avec le développement de la micro-informatique, de l'Internet et du multimédia. Macluhan parle alors de la « simulation technologique de la conscience »6(*). Michel Fillon7(*) reprend l'auteur canadien et analyse le medium Internet comme une refonte de l'espace-temps communicationnel : « Le canal devient plus important que le contenu, le médium devient le message. L'abolition de l'espace et du temps amène une nouvelle échelle des perceptions humaines et entraîne la résurgence de l'homme « tribal » à l'ère électronique et mondiale. Nous pensons comme nous communiquons ».

Pierre Lévy s'est attaché à l'étude des potentialités des nouvelles technologiques, notamment sur le plan cognitif, pour faire valoir une forme de déterminisme technologique. L'auteur aborde la technique selon ses incidences sur les structures mentales et les modes de pensées : « le cyberespace manifeste des propriétés neuves, qui en font un instrument de coordination non hiérarchique, de mise en synergie rapide des intelligences, d'échange de connaissances et de navigation dans les savoirs »8(*). Le paradigme technologique est ici pondéré par la nécessité d'une jonction entre outil et utilisateur :

« l'hypertexte ou le multimédia interactif se prêtent particulièrement aux usages éducatifs. [...] Plus activement une personne participe à l'acquisition d'un savoir, mieux elle intègre et retient ce qu'elle a appris. Or, le multimédia interactif, grâce à sa dimension réticulaire et non linéaire, favorise une attitude exploratoire, voire ludique, face au matériau à assimiler. C'est donc un instrument bien adapté à une pédagogie active».9(*)

Pierre Lévy considère les potentialités de mutation anthropologique inspirée par le cyberespace : « l'intelligence collective est basée sur le partage des savoirs : ces technologies intellectuelles [...] peuvent être partagées entre un grand nombre d'individus et accroissent donc le potentiel d'intelligence collective des groupes humains »10(*).

Il en est pour qui l'avènement du multisignal Internet relève plus du déterminisme sociologique que du déterminisme technologique, parmi lesquels les socio-constructivistes. Le déterminisme technologique strict semble déséquilibré, parce que cela impliquerait une prédictabilité du comportement humain à l'intérieur de contraintes technologiques. Selon Florence Millerand, la tendance des années 80-90 veut que « les chercheurs vont s'attacher à l'étude du sens que chaque micro-acteur social entend donner à sa vie et les comportements de refus, de détournements ou de contournements d'usages imposés vont être questionnés.11(*) » 

Le propos n'est pas ici de statuer qui de la technologie ou de l'Homme a enclenché la modification des comportements. Il demeure que la démocratisation (évolution du taux de pénétration en France) d'Internet coïncide avec l'augmentation de nombre de media mis à disposition du faire-réceptif. En effet, « en devenant plus nombreux et plus divers, en élargissant l'offre, les supports ont agi sur la demande, tandis que la culture de masse, que les médias contribuaient à développer, a fait naître de nouvelles attentes.»12(*)

La technologie joue de toute évidence un rôle central dans l'évolution de la pratique communicationnelle. Cependant, comme nous le verrons plus tard, la façon dont Internet a proposé de nouvelles perspectives s'est accompagnée d'un élan des actants révolutionnaire dans les pratiques médiatiques. Cette analyse est corroborée par un certain nombre de recherches scientifiques récentes qui semblent faire fi des positions symétriques réductrices du déterminisme social et du déterminisme technologique. « La démarche de la psychologie cognitive a consisté à prendre au sérieux cette analyse, et à formuler à titre d'hypothèse l'idée qu'une très grande partie des représentations humaines, et des connaissances correspondantes, est inscrite, coulée dans le moule propositionnel »13(*) affirme Jean-Pierre Meunier. « Formuler cette hypothèse, c'est supposer que les représentations humaines sont organisées, pour l'essentiel, comme l'est le langage. »

Portées par Piaget, l'interactionnisme social et le constructivisme, en opposition à l'innéisme, sont les théories qui présupposent une assimilation par l'action: "On ne connaît un objet qu'en agissant sur lui et en le transformant."14(*). Il insiste sur la dimension disjonctive de l'acquisition : « l'acquisition d'une information se traduit par une "perturbation" qui va entraîner chez l'individu un "déséquilibre" du champ cognitif et exiger un travail de synthèse pour assimiler, intégrer, critiquer, admettre, ajouter cette nouvelle dans un champ cognitif alors enrichi."15(*) Selon Meunier, « la conception piagétienne présente l'activité cognitive comme une activité intra-individuelle issue de l'intériorisation de la relation interindividuelle ».16(*)

Le psychologue russe Vygotsky a quant à lui insisté davantage encore sur le rôle du social dans le cognitif : "[...] toutes les fonctions mentales supérieures sont des relations sociales intériorisées [...] leur organisation, leur structure génétique et leurs moyens d'action - en un mot, leur nature entière est sociale. Même les processus mentaux (internes, individuels) conservent une nature quasi sociale. Dans leur propre sphère privée, les êtres humains conservent les fonctions de l'interaction sociale»17(*). L'analyse de Vygotsky sur le rôle de l'organisation sociale dans le cognitif valorise ainsi la thèse d'une acception globale d'Internet comme nouveau medium, validée par les structures inter et intra personnelles.

Cette acception d'un nouveau medium renvoie à une analyse pragmatique de ce mouvement de masse : celle de l'usage quotidien, terreau de la diffusion du medium Internet dans l'ensemble de la société.

* 6 MAC LUHAN M. (1968) - « Pour comprendre les medias »

* 7 FILION Michel (2005) sur « Marshall Macluhan», par Judith Fitzgerald - Département de travail social et des sciences sociales - Université du Québec en Outaouais

* 8 LEVY Pierre (1994) « L'intelligence collective. Pour une anthropologie du cyberespace ». La Découverte, Paris.

* 9 LEVY Pierre (1990) « Les technologies de l'intelligence ». La Découverte, Paris.

* 10 LEVY Pierre (1994) « L'intelligence collective. Pour une anthropologie du cyberespace ». La Découverte, Paris.

* 11 MILLERAND Florence (1998) Thèse : « Usages des NTIC : les approches de la diffusion, de l'innovation et de l'appropriation »- Université de Montréal

* 12 EVENO Patrick, SONNAC Nathalie (2006) « Les médias, une histoire d'argent ? » Le temps des Media-CAIRN

* 13 MEUNIER Jean-Pierre, Daniel Peraya (2004) « Introduction aux théories de la communication » - de Boeck Université

* 14 PIAGET Jean (1970) « Psychologie et épistémologie », Paris, Denoël.

* 15 PIAGET Jean (1940) Citation

* 16 MEUNIER Jean-Pierre, PERAYA Daniel (1999) « Vers une sémiotique cognitive »

* 17 VYGOTSKY L., cité par J.V Wertshc -« La médiation sémiotique de la vie mentale » - in J-P Bronckart, V. John-Steiner, C.P Panofsky, B. Schneuwly, Vigotsky aujourd'hui, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1985

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