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FAI: vers un devenir médium


par Gregory de Prittwitz
CELSA - la Sorbonne
Traductions: Original: fr Source:

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C. Les communautés au centre du processus de réappropriation des media

1. Formation et valeur des communautés

a) Typologie des communautés

La communitas, c'est le partage d'une ressource le "munus". Roberto Esposito45(*) a montré que ce "munus" relève de l'économie du don, un donum (don) qui crée un officium (devoir) particulier, le devoir donner. Esposito définit la communauté comme « l'ensemble des personnes unies non pas par une propriété, mais exactement par un devoir ou une dette ». Il prend le parti d'une communauté où le devoir prend le pas sur le don : « La communauté ne s'appartient pas elle-même, l'être en commun qui la constitue l'extériorise en la rappelant au principe de la dette qui la fonde précisément sur l'exercice d'un devoir, sur la nécessité de remplir un vide inextinguible. » La logique vitale d'une communauté est qu'on ne peut pas ne pas donner. Même si le mot a glissé vers une acception positive (un supra individu né de l'addition des sujets et d'une mise en commun), le sens de communauté relève encore du sacrificiel. Le terme "Communauté" corrobore l'idée qu'il s'agit de créer des regroupements qui reposent sur un « devoir donner », que ce soit, du temps, du sens, du document, de l'information que le collaborateur, « l'autre » membre de la communauté saura juger. Esposito analyse la communauté comme la mise en exergue de « notre altérité constitutive».

Cette « obligation de rendre », participe à la formation d'un paradoxe avec le terme de collaboration. On retrouve chez Marx cette notion de coopération. L'auteur de Le Capital46(*) considère la coopération comme une valorisation commune des valeurs unitaires : « il s'agit non seulement d'augmenter les forces productives individuelles mais de créer par le moyen de la coopération une force nouvelle ne fonctionnant que comme force collective ». Il ajoute que « le seul contact social produit une émulation et une excitation des esprits animaux qui élèvent la capacité individuelle d'exécution,[...] cela vient de ce que l'homme est par nature, sinon un animal politique, suivant l'opinion d'Aristote, mais dans tous les cas un animal social ». Chez Marx, la coopération n'est pas consentie. Sa notion de la communauté englobe la notion d'élévation, ce qu'il faut rapprocher de la dimension de contournement qui émane de la formation de communauté sur des supports non médiés.

En couplant les visions d'Esposito sur la communauté et celles de Marx sur la coopération, on pourrait arbitrairement en déduire que la communauté, c'est une forme sociale artificielle qui favorise une économie du don.

Dans le cadre de l'étude sur les communautés présentes sur Internet et de leur poids croissant dans l'actualisation des usages médiatiques, on complétera la définition précédente par « c'est une forme sociale artificielle médiée par des techniques qui favorise une économie du don ». L'occasion de rappeler l'importance du déterminisme technologique cher à Macluhan à cette question que l'on aurait tendance, voir plus haut, à traiter sous la seule lumière de la sociologie. On pourrait ainsi conclure que le mot communauté est très pertinent pour une économie de l'échange de biens symboliques (codes, données, contenus). La souplesse structurelle d'Internet a permis la création d'une myriade de sites de toute taille centrés sur des thèmes particuliers.

La dimension de contournement médiatique, la nécessité d'accession à une forme de décentration du rapport communicationnel et la faculté du récepteur à réinsérer l'information dans son cadre idéologique ont participé à la formation des communautés sur Internet.

Une communauté virtuelle, centrée sur un intérêt commun, fonctionne selon des principes établis. Chaque communauté à ses propres règles, mais on recoupe un certain nombre de dispositions communes à l'ensemble des sites. Il est intéressant de noter, que la communauté du don, proclamée égalitaire et libertaire, recense une hiérarchisation des intervenants. Selon la fréquence des collaborations, chacun des utilisateurs est classé par ordre d'importance au sein de la communauté. Le niveau le plus élevé dans la graduation de la valeur collaborative, par ailleurs uniquement mesuré de façon quantitative est assimilé à celui de super utilisateur. Cette typologie d'internautes, souvent chargée de l'auto régulation de la communauté, a des pouvoirs et un degré d'implication qui dépassent amplement ceux des simples participants. Il est envisageable que cet engagement répond souvent à une dynamique de reconnaissance communautaire, au-delà d'un comportement altruiste.

Certains spécialistes de la sociologie des groupes ont tenu à valoriser les réseaux. La loi de Metcalfe47(*) veut que la valeur d'un réseau soit proportionnelle au carré du nombre de points connectés, la loi de Reed48(*) (1999) ajoute une dimension humaine à la dimension technologique: «Les réseaux qui encouragent la construction de groupes qui communiquent créent une valeur qui croît de façon exponentielle avec la taille du réseau, soit, beaucoup plus rapidement que la loi de Metcalfe. J'appellerai de tels réseaux des réseaux formateurs de groupes». Sur son site Web, Reed explique que sa loi et celle de Metcalfe « sont des lois de croissance qui indiquent comment la valeur d'un réseau est créée pour ses usagers ». La valeur est ici conçue comme celle de la « connectivité potentielle », c'est à dire « le nombre de choix que les participants d'un réseau peuvent faire (pour s'affilier à des groupes) dans une architecture donnée ».

Jean Heutte, blogueur spécialisé dans l'étude de la communication de groupe, classe les communautés sous trois niveaux : les communautés d'intérêt, les communautés de pratiques et les communautés de projet.

Même virtuelle, la communauté est bien réelle, mais les interactions sortent du cadre spatio-temporel d'une relation physique. Internet permet à une relation virtuelle de prendre forme dans un espace infini, et dont la quantité des interliens se compte en milliard dans le cadre d'une relation Internet. Pour Prax49(*), comprendre le fonctionnement des communautés, c'est comprendre les mécanismes de création de valeur dans la société du savoir, sachant qu'une communauté est un échange entre au moins deux personnes, qui s'enrichissent mutuellement.

b) Les motivations d'adhésion

La pyramide des besoins schématise une théorie élaborée à partir des observations réalisées dans les 1940 par Abraham Maslow50(*) sur la motivation. Maslow estime que le besoin, indispensable à la vie de l'homme, a des origines physiologiques, instinctives, mais aussi culturelles et sociales. Il engendre des motivations. D'où l'idée d'une pyramide des besoins : organiques, de sécurité, d'appartenance, d'estime, et enfin de réalisation de soi. Ils doivent être satisfaits dans l'ordre, avec passage d'un niveau à un autre. L'intégration à une communauté, non pas en tant que simple lecteur, mais en tant que collaborateur semble correspondre aux étages les plus hauts dans la pyramide de Maslow, ceux relatifs au sentiment d'appartenance et à l'estime des autres et de soi. Cependant, le premier niveau, s'il est nuancé rassemble des paramètres inhérents à certains usages sur le net, notamment à travers les communautés. La notion de besoin organique est sous tendu dans le contexte des communautés par le terme « nécessité ». L'individu - fragilisé par les contraintes du monde non virtuel, trouve dans les communautés l'environnement, les contacts, les informations dont il a absolument besoin pour parvenir à ses fins : trouver un emploi; trouver une âme soeur, développer son réseau social professionnel, apporter de l'aide en qualité de citoyen, choisir, sans se tromper, un produit impliquant pour lui. Dans ce cas, le recours à la communauté est ressenti comme un soutien, même si la dimension ludique n'est jamais absente de l'activité qui y est déployée.

À travers le terme « estime», il s'agit plutôt de traduire l'idée de combler un désir ou une envie plutôt qu'un besoin ou une nécessité. Le champ de motivation de la reconnaissance relève plus de la seule volonté de l'individu que de la réponse à une contrainte. Participer à une communauté de ce type ne traduit pas un état de fragilité mais plutôt une capacité à s'affirmer au sein d'un groupe ou à en tirer un avantage, voire à y asseoir une forme de leadership. Cependant, on peut s'interroger sur la viabilité non pas de la teneur des besoins de l'être humain du schéma de Maslow, mais sur la hiérarchisation qu'en fait l'auteur dans le cadre d'une intégration à une communauté virtuelle. En effet, un point semble rompre cette hiérarchisation. La participation à une communauté virtuelle ne semble plus relever aujourd'hui d'un prolongement du sentiment d'appartenance jusqu'à l'estime des autres. Internet et sa myriade de communautés ont vu l'apparition des avatars. L'anonymat est par essence un des points forts de ce médium, à travers duquel on laisse croire à l'ensemble des protagonistes à une forme de liberté sans frontières que l'emprunt d'un nom imaginaire ne fait que renforcer. Il est aujourd'hui évident que l'anonymat est un des leviers de la prise de possession par le public des contributions. Derrière son écran, untel n'est plus son état civil, il est son avatar. Très peu d'utilisateurs inscrivent leur nom de famille dans l'espace émetteur d'identité. Cette inscription des collaborations dans l'anonymat civil nuance ainsi la théorie de Maslow hiérarchisant les besoins.

À la lumière de la pyramide de Maslow, il convient de noter que ces besoins ne sont que partiellement comblés par les éditeurs de contenus historiques, puisqu'ils ne savent répondre à la dernière étape -la réalisation de soi- qu'à retardement. En effet, seule l'accumulation de données et de connaissances dans la durée peut procurer ce sentiment, alors qu'Internet et de façon sous-jacente les communautés savent répondre à ce besoin dans des délais plus courts, puisqu'il y'a échange et démédiation.

Cependant, malgré la dimension anonyme que revêt la majorité des communautés, on assiste avec le phénomène Facebook51(*) à une divulgation de l'identité de l'utilisateur. Facebook met en relation non pas des avatars mais des personnes physiques qui ont des liens sociaux réels. Facebook peut donc être considéré comme une excroissance virtuelle de la vie réelle. Pour pouvoir se connecter à ses amis, pour pouvoir consulter leurs profil, et surtout, et c'est la rampe de lancement de Facebook, retrouver des anciens amis, il faut divulguer son identité. Pour la première fois, tout à chacun est disponible dans les moteurs de recherche de Facebook, mais aussi ceux de google. Cette tendance va à l'encontre des usages qui ont régi le web pendant des années. Pour la première fois, les intervenants ont leur identité propre. Même le développement massif des blogs n'avait pas réussi à forcer leurs propres auteurs à se démasquer autant. Facebook a réussi ce tour de force puisqu'il propose des prolongements réticulaires dont les issues sont improbables mais ô combien ludiques. Facebook a investi la toile à une vitesse que jalousent l'ensemble des grands acteurs de la toile. Les possibilités qu'offrent Facebook sont étonnantes dans le sens où pour la première fois, l'existence virtuelle a un impact immédiat sur la vie réelle. Les employeurs visitent les profils et l'on peut devenir ami avec son supérieur hiérarchique. On pourrait expliquer ce phénomène à travers le terme d'extimité, qui sous tend que chacun des membres de cette communauté fasse non plus preuve de discrétion mais qu'au contraire, qu'il mette en exergue sa réussite virtuelle dans la vie réelle et réciproquement à travers une mise en scène savamment étudiée.

On pourrait donc en conclure, qu'en fin de compte, les théories de Maslow s'avèrent avec le temps, alors qu'elles furent contredites jusqu'il y'a peu par les usages du web. Cela illustre plus encore la complexité des usages liés aux besoins de l'être humain sur la toile. Cette tendance à l'extimité corrobore l'idée d'un besoin davantage assumé d'une recentralisation de son « moi » au sein du rapport communicationnel, de l'énoncé. FaceBook relate à chaque instant les déroulements énonciatifs de sa communauté. Ceux-ci sont écrits par chacun des utilisateurs et sont une extériorisation publique de son intimité. Il faudrait en conclure que les écarts dans la perception et l'accès à l'énoncé du « moi » sont immenses entre le medium historique et le réseau communautaire.

* 45 ESPOSITO Robert. 2001 « Communitas, origine et destin de la communauté ». puf, collège international de philosophie

* 46 MARX Karl, 1867 « Das Kapital »

* 47 METCALFE Robert, - Citation -

* 48 REED David, 2001 « The Law of the Pack » (Harvard Business Review)

* 49 PRAX, Jean-Yves 2003 « Le management territorial à l'ère des réseaux »

* 50 MASLOW A., 1989 Vers une psychologie de l'être, Fayard, Paris.

* 51 FaceBook : Site Web de réseau social destiné à rassembler des personnes proches ou inconnues

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