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Radiographie de l'interactivité radiophonique

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par Blandine Schmidt
Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3 - Master 2 recherche Sciences de l'information et de la Communication 2008
  

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B. Sphère privée /sphère publique : la rupture médiatique

Les émissions interactives, de par leur dispositif qui intégre la parole d'anonymes dans leur contenu, ont fait entrer la sphère privée au sein de l'espace public. Ce glissement impulsé par la radio, et repris à la télévision, a été à l'origine de nombreuses polémiques.

Dès l'arrivée de Menie Grégoire sur les ondes de RTL, les premières critiques se font entendre. En 1968, l'émission de Menie Grégoire et celle de Françoise Dolto sur Europe 1 furent attaquées par l'Ordre des médecins dans Le Figaro dans un article les qualifiants de «radios strip-tease ». La direction de RTL a subi des pressions afin que soient interdites les «consultations radiophoniques ». Ce sont les auditeurs qui vinrent au secours de l'émission en répondant massivement par courrier à l'appel à mobilisation d'un médecin favorable à l'animatrice. Mais les hostilités ne s'arrêtèrent pas là, comme le raconte Cardon: « en décembre 1976, ensuite, Menie Grégoire fut violemment prise à partie lors d'une émission de télévision, «L'homme en question », que FR3 [devenu France 3] lui avait consacrée à une heure de grande écoute. Soumise à un long interrogatoire, l'animatrice ne put contenir ses larmes devant son public et ses accusateurs (le journaliste du « Nouvel Observateur », Guy Sitbon, et la psychanalyste, Ginette Michaud). Dans un climat de tension peu fréquent dans un débat télévisé, l'animatrice fut tour à tour sommée de s'expliquer sur: 1) son appartenance à la «bourgeoisie », qui rendait suspect le «maternage » du « public populaire »,
· 2) son statut de « vedette », qui lui interdisait de partager l'expérience des personnes ordinaires qu'elle convoquait dans son émission ,
· 3) l'imposture du recours à la référence psychanalytique (interventionnisme directif, caractère incontrôlé de ses «analyses expresses », etc.),
· 4) l'inconséquence thérapeutique de sa médiation, qui risquait de produire des effets névrotiques,
· 5) enfin, le fait que le type de relation qu'elle entretenait avec les auditeurs contribuait tacitement à la dissimulation des rapports sociaux et à leur

»127

reproduction. Ce récit nous montre bien l'indignation de certaines hautes sphères de la

société face à un nouveau phénomène. Plébiscitée par un public qui a grand besoin de sortir du silence, Menie Grégoire fut le bouc émissaire de tous les maux potentiels que pouvaient engendrer la rupture entre la sphère privée et la sphère publique.

127CARDON Dominique, op. cit.

Aujourd'hui, même si certaines critiques persistent, nous pouvons constater que ce phénomène s'est affirmé et continue d'évoluer dans la société contemporaine. Les médias (principalement la télévision, la radio) intègrent à leurs programmes de nombreuses émissions s'immisçant dans la vie privée des anonymes. En effet, la banalisation de l'intrusion des médias dans la sphère privée est partie intégrante d'un mode radiophonique en pleine expansion. Peu à peu les émissions interactives grignotent les moindres recoins du domaine privé. Les émissions service, par l'ampleur des thématiques abordées, en sont l'illustration.

Les émissions service souhaitent aider les anonymes dans tous les domaines de leur vie quotidienne. La radio apparaît a insi comme l'interlocuteur privilégié des individus, en se positionnant de manière valorisante. «Ça peut vous arriver» sur RTL utilise à outrance ce dispositif, se mettant au service des auditeurs vivant des situations sinon complexes du moins spectaculaires. La mise en scène dans cette émission est un élément primordial. L'animateur, figure centrale du dispositif, s'introduit dans la vie privée d'un individu victime d'un abus. Plus qu'un médiateur, il devient acteur du quotidien d'un auditeur, prenant la parole à sa place tout en lui dictant la marche à suivre. La proximité établie entre les deux parties n'est qu'illusion. En effet, l'échange engagé à l'antenne entre l'animateur et l'auditeur est convivial, décontracté voire amical. Mais une fois les micros coupés, l'auditeur retourne dans la solitude de son quotidien. La radio, loin de vouloir établir une relation durable, s'insère dans la vie privée pour créer un contenu médiatique mettant en scène la réalité. Le cas d'un auditeur devient une histoire à suspense, où la victime prend le rôle de héros de sa propre vie. Le nombre élevé d'appelants est la preuve que ce dispositif est très convoité par le public.

Les auditeurs sont en effet très nombreux à vouloir participer à ces émissions, leurs motivations ne pouvant se résumer au seul besoin d'assistance. Dans ce sens, les individus sont animés par un besoin de sortir de leur statut d'homme ou de femme ordinaire pour être propulsé au sein de l'espace public. Pour Ehrenberg, prendre la parole au sein d'un média à titre privé est un moyen pour l'anonyme d'accéder à une dignité humaine via une marque de reconnaissance incarnée par le passage à l'antenne. Dans ce sens, «le manque de retenue ou l'impudeur en sont peut-être la conséquence, mais non la cause, parce qu'une dose minimale de narcissisme est la condition de l'action individuelle et que cette dose implique elle-même

un minimum de reconnaissance de soi par un autre »128 , pouvant être dans notre cas, la globalité des auditeurs d'une station. Le «spectacle de la réalité », tel que le nomme cet auteur, joue sur une sensibilité collective. L'accès à l'antenne certifie l'authenticité du problème de l'auditeur, tout en amplifiant la crédibilité de ce dernier.

L'émission qui incite l'auditeur à dévoiler les aspects les plus intimes de sa personne est celle de Brigitte Lahaie sur RMC-Info. «Lahaie, l'amour et vous », de part son champ d'action: l'amour, la sexualité, et l'intime, pénètre dans l'intimité des relations amoureuses, brisant les tabous qui peuvent encore exister aujourd'hui. Les témoignages proposent un large panel de pratiques sexuelles, sous les conseils avisés de l'animatrice. En effet, même si cette dernière est à l'écoute des auditeurs, sa place dans le dispositif est bien celle qui émet un point de vue, qui donne un conseil, voire qui dispense un savoir. Pour cela, l'auditeur est tenu de se mettre «radiophoniquement» à nu. Nous pouvons nous interroger sur ce qui incite l'auditeur à franchir la frontière menant à la confession publique? Meh l, qui a analysé les émissions divans à la télévision expose les différentes motivations des individus à participer à ce type de programmes. Dans un premier temps, il vient rechercher une aide pour résoudre un problème, ou une délivrance cathartique. Puis il peut vouloir adresser un message à un proche, en se protégeant derrière un intermédiaire, incarné ici par le média. Il peut aussi à l'inverse vouloir toucher un plus large public afin de défendre une cause personnelle. Enfin, il peut espérer une certaine reconnaissance sociale, une intégration en dépit dÕun problème.129 L'intervenant espère ainsi tirer bénéfice de son passage à l'antenne. Il sacrifie sa vie privée à un dessein plus cher à ses yeux.

Nous souhaiterions conclure en mettant en avant le danger de ce type de raisonnement. En effet, les intervenants se donnent tout entier aux médias, qui spectacularise leur récit personnel. L'homme ordinaire peut avoir l'impression, parfois à juste titre, que ses souhaits ont été exaucés, même si ce n'est pas systématiquement le cas. Dans ce sens, la relation médiatique pose un problème de responsabilité au niveau sociétal. Le recours dÕun individu à un média, afin que ce dernier, à un degré d'implication plus ou moins élevé résolve son

128 EHRNBERG Alain, L'individu incertain, Paris, Calman Lévy, 1995, p 190

129MEHL Dominique, La télévision de l'intimité, Paris, Le Seuil, 1996 cite in DELEU Christophe, op. cit.

problème, ne peut pas être considéré comme un remède universel. Brigitte Lahaie ne pourra jamais remplacer une consultation suivie auprès d'un psychologue ou d'un sexologue ; Julien Courbet ne pourra dispenser le recours aux services d'un avocat, d'un huissier ou d'un Médiateur de la République. Il reste difficile de délimiter dans quelles proportions les médias sont les révélateurs et les témoins de certaines pratiques sociales ou s'ils sont acteurs, voire prescripteurs, de remèdes sociétaux. La poursuite des recherches dans ce sens, afin de comprendre la portée du média dans la société, offrirait une continuité dans la réflexion engagée.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci