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Primus inter pares. Le leadership politique et pluralité dans la Condition de l'homme moderne de Hannah Arendt

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par Raphaël RDAS MBOMBO MWENDELA bupela bwa Nzambi
Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachélier en philosophie 2006
  

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CHAPITRE PREMIER

LA PLURALITÉ : CONDITIO SINE QUA NON ET CONDITIO PER QUAM DE LA POLITIQUE

Il s'affirme dans la pensée politique de Arendt la pertinence et la radicalité de la pluralité comme thérapie efficace contre la mégalomanie et le monisme totalitaire : « Apparemment simple, cette idée de pluralisme mérite d'être approfondie puisqu'elle résonne dans toute la pensée de Arendt, dont elle ordonne les clivages à des niveaux très divers, et conduit notamment à un pluralisme politique. »8(*). La pluralité s'impose avec radicalité dans toute vie humaine, car « aucune vie humaine, fût-ce la vie de l'ermite au désert, n'est possible sans un monde qui, directement ou indirectement, témoigne de la présence d'autres humains.»9(*)

Dans ce chapitre, nous nous donnons comme tâche de comprendre cette pluralité qui influe sur ce que nous pouvons appeler la conception arendtienne du leadership. En quoi cette pluralité est-elle intrinsèquement liée à l'action politique au point de soutenir qu'il n'y a point de politique sans les hommes au pluriel ? Pourquoi cette pluralité est-elle à la fois conditio sine qua non et conditio per quam de la politique ? Il nous semble pour l'instant indiqué de restituer brièvement le surgissement de cette condition humaine de pluralité.

I.1. De l'isolement du travail et de l'oeuvre à la pluralité de l'action

Dans ce qu'elle appelle la vita activa, `ce que nous faisons', Hannah Arendt désigne trois activités humaines fondamentales : le travail, l'oeuvre et l'action. Et ces trois activités sont fondamentales dans la mesure où elles sont l'expression complète des conditions de base dans lesquelles la vie sur terre est donnée à tout être humain : les activités qui traditionnellement sont à la portée de tous les êtres humains. 10(*)

S'agissant du travail, Hannah Arendt le fait correspondre au processus biologique du corps humain, dont la croissance spontanée, le métabolisme et éventuellement la corruption sont liés aux productions élémentaires : « A son origine comme à sa fin, le travail tourne dans le cercle du processus naturel, puisqu'il vise exclusivement à la satisfaction des besoins primitifs de la vie : activité qui [...] ne laisse aucune trace durable, le résultat de l'effort laborieux [s'évanouit] dans la consommation qui en détruit le produit.»11(*)

La condition humaine du travail est la vie elle-même : l'homme travaille à la sueur de son front pour vivre, pour maintenir son processus vital. C'est pour cela qu'il n'y a pas tellement de différence, à ce stade, entre l'homme et l'animal. Hannah Arendt appelle l'homme soumis au travail l'animal laborans : « l'activité du travail n'a pas besoin de la présence d'autrui, encore qu'un être peinant dans une complète solitude ne puisse passer pour humain : ce serait un animal laborans, au sens rigoureux du terme. »12(*)

Par opposition au travail, l'oeuvre se présente comme un refus de la naturalité de l'existence humaine. Car, elle produit un monde artificiel d'objets qui diffèrent de tout milieu naturel.13(*) En cela, l'oeuvre assure une certaine durabilité et stabilité du monde. Elle est donc à la fois monument du passé et mémoire pour le futur. Aussi loge-t-elle chacune des vies individuelles à l'intérieur de ses frontières, mais se destine à leur survivre et à les transcender toutes : l'appartenance-au-monde, la mondanité, est la condition humaine de l'oeuvre.14(*)

L'homme qui produit les artefacts est appelé l'homo faber parce qu'il est de quelque degré supérieur à l'animal laborans : « l'homme à l'ouvrage, fabriquant, construit un monde qu'il serait seul à habiter, serait encore fabricateur, non toutefois homo faber : il aurait perdu sa qualité spécifiquement humaine et serait plutôt un dieu - non certes le Créateur, mais un démiurge tel que Platon l'a décrit dans un de ses mythes. »15(*)

La dernière activité humaine, mais pas la moindre, est l'action entendue ici comme action politique. L'action, correspondant à la condition humaine de la pluralité, est la seule activité mettant directement en rapport les hommes, sans l'intermédiaire des objets ni de la matière. Elle est en outre la seule activité qui demeure la prérogative de l'homme exclusivement ; ni bête ni dieu n'en est capable, elle seule dépend entièrement de la constante présence d'autrui.16(*)

L'action trouve sa vérité et son sens non pas au niveau de l'homme au singulier, mais à l'échelle de l'homme au pluriel. En réalité, ce sont les hommes, et non pas l'homme, qui vivent sur terre et habitent les monde : « les hommes au pluriel, c'est-à-dire les hommes en tant qu'ils vivent et se meuvent et agissent en ce monde, n'ont l'expérience de l'intelligible que parce qu'ils parlent, se comprennent les uns les autres, se comprennent eux-mêmes. »17(*)

Ainsi, la pluralité humaine est la condition de l'action, parce que nous sommes tous pareils : nous sommes humains, donc égaux, sans que jamais personne soit identique à aucun autre homme vécu, vivant ou encore à naître.18(*) Il va sans dire que l'action politique refuse l'isolement, car être isolé, c'est être privé d'agir : « l'action et la parole veulent être entourées de la présence d'autrui de même que la fabrication a besoin de la présence de la nature pour y trouver ses matériaux et d'un monde pour y placer ses produits. »19(*)

En comparant le travail et l'oeuvre d'une part et l'action d'autre part, Hannah Arendt montre à suffisance que les deux premières activités se réalisent et s'accomplissent dans l'isolement : l'animal laborans et l'homo faber sont soumis à un régime d'isolement qui ne sait pas les mettre directement en face des hommes. Cet isolement contredit parfaitement la condition humaine de la pluralité. Par son isolement pour produire les artefacts, l'homo faber fuyant le monde et ses habitants, nie l'espace que le monde offre aux hommes et, plus que tout, cette part publique du monde où chaque chose et chaque homme s'exposent à la vue d'autrui.20(*) Et dans l'`oeuvrer', l'artisan ou l'ouvrier, avant qu'il n'expose l'oeuvre de ses mains dans un semblant d'espace public', a nécessairement besoin de s'isoler du monde des hommes.

Cependant, cette situation de l'isolement ne concerne pas seulement l'homo faber ; elle est davantage le gage de l'animal laborans. Bien que les conditions sociales du travail et l'organisation du travail exigent la présence simultanée de plusieurs travailleurs pour toute tâche donnée et brisent les barrières de l'isolement, l'animal laborans est celui qui dans et par son travail ne se trouve en rapport qu'avec de la matière, non avec des hommes. Dans le travail, le corps reste captif de son métabolisme avec la nature, l'identité se confond dans l'uniformité et, au mieux, il n'est possible que de faire corps avec autrui sans qu'il n'y ait jamais réelle communauté.21(*)

On ne se doute, vu les considérations qui précèdent, que le travail et l'oeuvre ne sont pas capables de pluralité où les hommes agissent et parlent entre eux. La pluralité ne sait surgir à un stade où l'homme ne traite qu'avec la nature soit dans la servitude naturelle du travail de notre corps, soit dans la violence artificielle de l'oeuvre de nos mains. Pour Arendt, on ne devient vraiment homme qu'en dépassant le privatif de ces activités non plurielles.

Force est donc de dire que l'activité spécifiquement humaine n'est ni le travail qui promeut le processus de la vie biologique, ni l'oeuvre qui façonne le monde, mais l'action qui nécessite toujours la pluralité des hommes. Autrement dit, le fondement de la pluralité se trouve dans la dimension ontologique même de l'homme. S'il est évident pour Aristote que l'homme est un animal politique par nature, Hannah Arendt soutiendrait que l'homme n'est pas à concevoir au singulier, car il est `toujours-déjà-au-pluriel'.

La pluralité nous introduit dans l'univers du politique où l'homme est censé créer les conditions d'un devenir positif avec autrui : ni l'univers laborieux du besoin, ni le monde des artefacts ne sont à même de faire droit à la pluralité humaine.22(*)

* 8 André Enegrén, La pensée politique de Hannah Arendt, p. 45.

* 9 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 31.

* 10 Idem, pp. 12-15.

* 11 André Enegrén, Op. Cit., p.35.

* 12 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 31.

* 13 Idem, p. 15.

* 14 Par l'oeuvre, l'homme donne naissance à un monde qui est le refus de la naturalité. De ce fait, il trouve dans ce monde, caractérisé par la stabilité et la permanence des produits de ses mains, sa patrie. Autrement dit, le monde d'objets faits de main d'homme, l'artifice humain érigé par l'homo faber, devient pour les mortels une patrie dont la stabilité résiste et survit au mouvement toujours changeant de leurs vies et de leurs actions.

* 15Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 31.

* 16 Idem, pp. 15 et 32.

* 17 Idem, p. 11.

* 18 Idem., p.17.

* 19 Idem., pp. 211- 212.

* 20 Idem., p. 89

* 21 André Enegrén, Op. Cit., p. 41.

* 22 Idem, p. 42.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard