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Primus inter pares. Le leadership politique et pluralité dans la Condition de l'homme moderne de Hannah Arendt

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par Raphaël RDAS MBOMBO MWENDELA bupela bwa Nzambi
Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachélier en philosophie 2006
  

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I. 2. La pluralité consubstantielle à la politique 

L'exploration des formes de l'activité humaine non seulement met à jour les structures qui conditionnent l'existence, mais aussi entend protéger l'action politique du critérium du travail et de l'oeuvre. D'où, ce qui sert de norme dans les deux premières activités de la condition humaine, n'a pas automatiquement droit de cité dans l'action politique où l'homme n'est ni en face de la nature, ni la plus haute espèce parmi les espèces animales, mais un humain parmi les autres humains. Il faut donc reléguer le travail, l'oeuvre et l'action dans leurs sphères propres.

En fait, Hannah Arendt s'insurge contre la prédominance moderne du travail qui, transgressant sa sphère propre, s'annexe notamment tout le domaine de l'oeuvre et de l'action politique. Aussi remarque-t-elle que « même les présidents, les rois, les premiers ministres voient dans leurs fonctions des emplois nécessaires à la vie de la société, et parmi les intellectuels il ne reste que quelques solitaires pour considérer ce qu'ils font comme des oeuvres et non comme des moyens de gagner leur vie.»23(*) Mais, pourquoi Arendt relègue-t-elle le travail et l'oeuvre dans le domaine de l'apolitique ?

Le travail est essentiellement apolitique parce qu'elle est « l'activité dans laquelle l'homme n'est ni uni au monde ni aux autres hommes, seul avec son corps, face à la brutale nécessité de rester en vie. »24(*) Cependant, on pourrait arborer l'argument selon lequel l'homme au travail est d'une certaine façon uni aux autres hommes pour soutenir que le travail est en quelque manière politique. Hannah Arendt reconnaît que l'animal laborans vit en présence et en compagnie d'autrui, les autres hommes au travail, mais cette compagnie n'a pas les marques distinctives d'une pluralité in se.25(*) Bien que dans sa nature le travail peut rassembler les hommes en équipes dans lesquelles les individus agissent ensemble comme un seul l'homme, l'esprit de communauté qu'imprègne le travail ne donne pas encore naissance à une communauté pleinement politique parce que pleinement humaine.

Un autre argument corroborant l'aspect apolitique du travail, c'est le fait que celui-ci requiert l'effacement de toute conscience d'individualité et d'identité et ne repose pas sur l'égalité mais sur l'uniformité : 

l'uniformité qui règne dans une société basée sur le travail et la consommation, et qui s'exprime dans le conformisme, est intimement liée à l'expérience somatique du travail en commun, où le rythme biologique du travail unit le groupe de travailleurs au point que chacun d'eux a le sentiment de ne plus être un individu, mais véritablement de faire corps avec les autres.26(*)

En sus, le travail s'accompagne toujours du nivellement et du conformisme qui non seulement sont apolitiques, mais peuvent bien être aussi en certaines proportions antipolitiques. L'esprit de communauté que nécessite le travail est une nature collective qui loin de fonder une réalité reconnaissable, identifiable pour chaque membre de l'équipe, réclame au contraire l'annulation de soi. C'est pour cette raison que « toutes les « valeurs » dérivées du travail, outre sa fonction évidente dans le processus vital, sont entièrement « sociales » : elles ne diffèrent pas essentiellement du surcroît de plaisir que l'on éprouve à manger et boire en compagnie.»27(*)

Bien qu'il échappe au cycle de la répétition du même qui mine et ruine le travail, l'homo faber n'est pas encore aussi politique, il est apolitique mais à un degré différent de l'homo laborans : contrairement à l'animal laborans dont la vie sociale est grégaire et `sans-monde', et qui, par conséquent, est incapable de construire ou d'habiter un domaine public, l'homo faber est parfaitement capable d'avoir un domaine public à lui, même s'il ne s'agit pas de domaine politique proprement dit.28(*)

L'homo faber arrive quand même à combattre l'isolement complet dans lequel il est plongé quand il fabrique ses artefacts : il crée, mutatis mutandis, son domaine public, où par le biais de ses produits, il apparaît et s'unit, à quelques égards, à d'autres hommes. Son domaine public, c'est le marché où il peut se livrer à la parade en exposant les oeuvres de ses mains : « en lui-même, l'homo faber reste apolitique puisqu'il vit dans « l'isolement » [...] même si par le marché, l'ouvrier accède bien à un substitut d'espace public. »29(*) Autrement dit, « les gens qui se rencontrent au marché ne sont pas d'abord des personnes : ce sont des producteurs de produits ; ils ne viennent pas pour se faire voir, ni même pour montrer leurs talents [...], mais pour montrer leurs produits.»30(*) C'est encore une vie inhumaine dans une société où l'échange des produits est devenu la principale activité publique ; les hommes perdent leur valeur en tant qu'hommes ; ils ne sont plus jugés en tant que personnes mais en tant que producteurs, d'après la qualité de leur production.

On peut donc dire que l'homo faber est apolitique parce que « les formes spécifiquement politiques de l'union, de l'action en commun et du dialogue échappent complètement au domaine de la productivité artisanale, ce n'est qu'en s'arrêtant, lorsque son produit est achevé, que l'ouvrier peut sortir de son isolement. »31(*) Puisque dans la politique nul ne peut agir seul, la puissance du marché de l'homo faber est celle d'échange combiné que chacun des participants a acquise dans l'isolement.32(*) C'est qui est à fustiger à ce stade c'est bien le manque des relations avec autrui qui s'absorbe dans le primat des produits.

Tout compte fait, l'animal laborans et l'homo faber, contrairement à l'homme de l'action politique, sont donc à proprement parler apolitiques parce qu'ils inclinent à traiter la parole et l'action d'occupations oiseuses. Ce qui compte pour ces deux types d'hommes c'est l'exercice de la force pour le premier et le déploiement de la violence, comme refus de la naturalité, pour le second.

Nous pouvons provisoirement dire que la force et la violence chez Hannah Arendt, si elles ne sont pas pré-politiques, sont alors antipolitiques. L'animal laborans et l'homo faber ont leurs yeux non pas tournés vers les hommes, mais vers la nature :

la nature, aux yeux de l'animal laborans, est la grande pourvoyeuse de toutes les bonnes choses qui appartiennent également à tous ses enfants, lesquels « les lui prennent » et « s'y mêlent » dans le travail et la consommation. La même nature, aux yeux de l'homo faber, le constructeur du monde, « ne fournit des matériaux presque sans valeur en eux-mêmes », et dont toute la valeur réside dans l'oeuvre accomplie sur eux.33(*)

Il ressort de cette exploration de la vita activa, par ses trois modalités fondamentales, que seule l'action est humainement politique. La pluralité est consubstantielle à la politique comme agir entre pairs. C'est avec et par elle que se réalise l'action politique chez Hannah Arendt : « Si tous les aspects de la condition humaine ont de quelque façon rapport à la politique, cette pluralité est spécifiquement la condition- non seulement la conditio sine qua non, mais encore la conditio per quam- de toute vie politique. »34(*)

En conséquence, la pluralité est la loi de la terre et vivre, comme l'avait si bien compris les Romains, est toujours inter homines esse, c'est-à-dire `être parmi les hommes'. Nous accédons dans l'univers politique où l'homme se situe directement en présence d'autres hommes, sans intermédiaire quelconque, ni pour exercer la force, ni pour déployer la maîtrise des outils et la fabrication des objets, mais pour échanger les paroles, agir ensemble, et partant donner place à l'action de tout un chacun. La politique et tout ce qui y va de pair présupposent la pluralité vécue dans la mise en commun de paroles et d'actions.

* 23 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, pp. 11-12.

* 24 Idem, p.239.

* 25 Ibidem.

* 26 Idem, p. 241.

* 27 Idem, p.240.

* 28 Idem, p. 180.

* 29 André Enegrén, La pensée politique de Hannah Arendt, p. 42.

* 30 Hannah Arendt, La condition de l'homme moderne, p. 236.

* 31 Idem, p. 181.

* 32 Idem, p. 236.

* 33 Idem, p. 151.

* 34 Idem, p. 16.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault