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Primus inter pares. Le leadership politique et pluralité dans la Condition de l'homme moderne de Hannah Arendt

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par Raphaël RDAS MBOMBO MWENDELA bupela bwa Nzambi
Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachélier en philosophie 2006
  

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II.2. La pluralité dans son double caractère d'égalité et de distinction

La pluralité comprise par l'action et la parole de tous, inaugure un système politique autorisant l'expression de toutes les opinions. En d'autres termes, Hannah Arendt voudrait responsabiliser tous les citoyens et par-là leur faire comprendre que l'édification de leur Etat est l'affaire de tous et de chacun. Pour cela, il sied de comprendre que l'Etat est toujours fait des hommes qui doivent être égaux et distincts à la fois. Mais que comprendre par cette égalité et cette distinction ?

Les hommes ayant adopté l'agir au pluriel, sont conviés d'intégrer les deux réalités inhérentes à cette pluralité. En principe, il s'agit d'une seule réalité qui se comprend dans un double mouvement :

la pluralité humaine, condition fondamentale de l'action et de la parole, a le double caractère de l'égalité et de la distinction. Si les hommes n'étaient pas égaux, ils ne pourraient se comprendre les uns les autres, ni comprendre ceux qui les ont précédés ni préparer l'avenir et prévoir les besoins de ceux qui viendront après eux. Si les hommes n'étaient pas distincts, chaque être humain se distinguant de tout autre être présent, passé et futur, ils n'auraient besoin ni de la parole ni de l'action pour se faire comprendre.44(*)

Arendt met un accent particulier sur la valeur de l'égalité dans l'établissement d'un Etat. Dans l'espace politique arendtien, il n'y a pas de `plus- hommes' ni des `moins-hommes'. Il n'y a pas non plus de race aryenne !

Cependant, l'égalité dont parle Arendt n'est pas une égalité de par notre naissance. Car, elle est une égalité politique qui prend sa source dans l'égalité grecque, instituée parce que les hommes par nature ne sont pas égaux et qu'ils ont besoin d'une institution artificielle, la polis, qui par la vertu de sa norme les rends égaux : « l'égalité que l'on trouve dans le domaine public est nécessairement une égalité de gens inégaux qui ont besoin d'être `égalisées' à certains égards et pour des fins politiques spécifiques. »45(*)

En parlant de l'égalité politique, il sied donc de faire la part des choses, car  cette isonomie ne signifie guère une égalité des biens, autrement dit une égalité économique. Ce qui revient à dire qu'il n'y a d'égalité politique que lorsque tous les citoyens ont accès à l'espace public et que la loi, identique pour chacun, autorise l'égale participation au pouvoir.46(*) S'il faut le dire autrement, l'égalité politique cherche à mettre un terme aux rapports de domination ou de soumission dans la polis. Elle s'inscrit en faux contre toute tendance d'inféoder la politique par le rapport maître-esclave ou par la relation entre un seigneur et ses vassaux. L'égalité politique vise à établir les relations parfaitement réciproques entre tous. Mais, cela ne veut nullement dire qu'une fois les citoyens reconnus égaux, ils cessent d'êtres distincts.

D'aucuns jugeraient paradoxale cette égalité politique du fait qu'elle aille de pair avec la distinction. Hannah Arendt supprime le malentendu : « si l'action en tant que commencement correspond au fait de la naissance, elle est l'actualisation de la condition humaine de natalité, la parole correspond au fait de l'individualité, elle est l'actualisation de la condition humaine de pluralité, qui est de vivre en être distinct et unique parmi les égaux.»47(*) C'est donc une erreur politique que de ne pas remarquer qu'inévitablement les hommes se révèlent comme sujets, comme personnes distinctes et uniques même s'ils se consacrent tout entier à des objectifs mondains ou matériels.48(*)

Dans l'égalité de condition politique, on ne s'attend pas à ce que tous les citoyens travaillent comme un seul homme dans un esprit de communauté frisant l'uniformité ou le conformisme La nature collective, caractéristique du travail, loin de fonder une réalité reconnaissable, identifiable pour chaque membre, requiert au contraire, en fait l'effacement de toute conscience d'individualité et d'identité.49(*) L'égalité politique refuse que la polis soit organisée en un `ménage national', une seule et énorme famille où les citoyens auraient les mêmes opinions et les mêmes intérêts. Bien plus, il faut rejeter la tendance de l'esprit grégaire régnant au sein d'un troupeau dirigé par un seul berger. C'est pour cela qu'Arendt adopte l'égalité grecque au grand dam de l'égalité moderne. En effet, cette égalité moderne, fondée sur le conformisme inhérente à la société de masse et qui n'est possible que parce que le comportement a remplacé l'action comme mode primordial des relations humaines, diffère à tous les points de vue de l'égalité antique, notamment de celle des cités grecques : appartenir au petit nombre des égaux, c'était pouvoir vivre au milieu de ses pairs.50(*)

Il en résulte que les communautés politiques ne sont réalisables que lorsque les gens différents et inégaux, au paravent, prennent conscience et veulent vivre ensemble. Et ce qui règne dans une telle communauté, c'est la relation de citoyenneté : les critères ethniques, raciaux, tribaux et ceux du foyer tombent caduques. On retiendra alors que le respect des distinctions et des différences, ouvre à une compétition loyale culminant dans l'excellence. Les Grecs en sont, pour Hannah Arendt, le paradigme on ne peut plus indépassable :

le domaine public lui-même était animé d'un farouche esprit de compétition : on devait constamment s'y distinguer de tous les autres, s'y montrer constamment par des actes, des succès incomparables, le meilleur de tous [...] en d'autres termes, le domaine public était réservé à l'individualité ; c'était le seul qui permettait à l'homme de montrer ce qu'il était réellement, ce qu'il avait d'irremplaçable. C'est pour pouvoir courir cette chance, par amour d'une cité qui la leur procurait à tous, que les citoyens acceptaient de prendre leur part des charges de la défense, de la justice et de l'administration.51(*)

Toute compte fait, aller au principe du politique ne veut pas dire résorber les différences, mais les affiner. Il ne faudrait pas confondre la symphonie avec l'unisson et le rythme avec le pas cadencé, car la polis humaine ne pense pas sous le signe de l'unité : « le politique diversifie autant qu'il assemble et les discordances elles-mêmes ne demandent jamais à être résolues comme une composition. »52(*) Cependant, la question que l'on pourrait se poser à présent est celle de savoir où cette égalité et cette distinction pourraient-elles être vraiment vécues ? Puisqu'il s'agit de l'égalité politique, l'espace susceptible de nous accueillir en tant qu'égaux et hommes distincts, vivant dans la pluralité effective, c'est l'espace politique.

* 44 Idem, p. 198.

* 45 Idem, p. 242.

* 46 André Enegrén, La pensée politique de Hannah Arendt, p. 46.

* 47 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 200.

* 48 Idem, p. 206.

* 49 Idem, p. 240.

* 50 Idem, p. 51.

* 51 Idem, p. 51.

* 52 André Enegrén, La pensée politique de Hannah Arendt, p. 45.

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