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Primus inter pares. Le leadership politique et pluralité dans la Condition de l'homme moderne de Hannah Arendt

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par Raphaël RDAS MBOMBO MWENDELA bupela bwa Nzambi
Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachélier en philosophie 2006
  

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II. 3. La pluralité vécue dans l'espace politique 

L'égalité politique tout comme la liberté, soutient, Hannah Arendt, ne peut s'appliquer que dans certaines limites et à l'intérieur des limites d'un espace. Il n'est de pluralité effective, c'est-à-dire d'action et de parole en commun, qu'à l'intérieur de l'espace politique. Sans doute, il est question de la polis grecque, car c'est avec l'avènement de la polis que s'est formée de manière tangible l'espace politique chez les Grecs.53(*)

La polis chez les Grecs n'a pas toujours existé ; elle est l'oeuvre d'une volonté politique où les hommes ont accepté, sans coercition et sans influence contraignante, le `vivre-ensemble'. Pour éviter tout arbitraire et prendre en considération la pluralité qui exige l'impartialité, les Grecs délimitèrent les contours d'un espace artificiel par la loi : « avant que les hommes se missent à agir, il fallait un espace défini et une structure où puissent avoir lieu toutes les actions subséquentes, l'espace étant le domaine public de la polis et sa structure c'est la loi. »54(*) Mais, pourquoi cette organisation de la polis doit-elle être garantie par la loi ?

Comme nous pouvons bien le remarquer, l'espace politique présuppose une législation. Ce n'est donc pas dans l'anarchie que les hommes doivent agir les uns avec les autres et se considérer tous comme égaux et distincts. En d'autres mots, au seuil de l'espace politique se place la nécessité du cadre constitutionnel qui doit prévenir toute démesure dans l'agir en commun et ainsi ordonner et canaliser les rapports entre les acteurs politiques. Tout citoyen ayant franchi cet espace, par son courage, doit développer la vertu de la modération et celle du respect des limites. Nul ne peut dire, qu'il soit à la tête de l'Etat, que tout lui est permis.

Ainsi, la législation avait pour mission pré-politique de clarifier les règles de jeu : « a leur avis [chez les Grecs], le législateur était, comme le constructeur du rempart, un homme qui avait à faire et terminer son ouvrage avant que l'activité politique pût commencer. »55(*) Bien plus, l'organisation de la polis chez les Grecs était garantie par des lois de peur que personne n'en change l'identité au point de la rendre méconnaissable.56(*)

L'espace politique pour les Grecs et pour Arendt, qui veut en être l'héritière, permet non pas de brimer la pluralité humaine et faire prévaloir la vérité d'un seul ou la loi d'un seul, mais de promouvoir un lieu où s'exprime radicalement la participation commune aux décisions. La polis s'y présente ainsi comme un remède contre la fragilité des affaires humaines :

le remède originel, préphilosophie, que les Grecs avaient trouvé pour cette fragilité était la fondation de la polis. La polis, née et toujours enracinée dans l'expérience et l'opinion grecques antérieures à la polis, de ce pourquoi il vaut la peine, pour les hommes, de vivre ensemble [...], à savoir la mise en commun «  des paroles et des actes », avait une double fonction. En premier lieu elle était destinée à permettre aux hommes de faire de façon permanente, encore que sous certaines réserves, ce qui n'avait été possible que comme une entreprise rare, extraordinaire, pour laquelle il leur fallait quitter leurs foyers. La seconde fonction de la polis [...] est d'offrir un remède à la futilité de l'action et du langage : car pour un exploit digne de renommée il y avait assez peu de chances de n'être pas oublié, de devenir vraiment « immortel » [...] La polis [...] garantit que ceux agissent pourront fonder ensemble le souvenir immortel de leurs actes bons et mauvais, inspirer l'admiration de leur siècle et des siècles futurs.57(*)

Il appert que l'espace politique est un lieu privilégié de l'incroyable floraison des talents et des génies. La cité grecque du début à la fin, a eu pour premier objectif de faire de l'extraordinaire un phénomène ordinaire de la vie quotidienne : « la polis devait multiplier les occasions d'acquérir la « gloire immortelle », c'est-à-dire multiplier en chacun les chances de se distinguer, de faire voir en parole et en acte qui il était en son unique individualité »58(*)

Il faut aussi retenir que l'espace politique en tant que monde commun, nous rassemble mais aussi nous empêche de tomber les uns sur les autres. De la sorte, il est un espace du débat et de délibération à plusieurs : les choses y sont vues par un grand nombre d'hommes sous une variété d'aspects sans changer d'identité. C'est un espace éclaté, décentralisé, un monde `poly-archique' plutôt que `mono-archique'. Les citoyens y voient l'identité dans la parfaite diversité et alors seulement apparaît la réalité du monde, sûre et vraie : dans les conditions d'un monde commun c'est la variété des perspectives qui garantit le réel.59(*)

Hannah Arendt refuse que la polis passe pour une immense famille ; elle récuse l'hystérie des foules et les conditions de la société de masse où les gens se comportent tous soudain comme en un immense `foyer-national' en multipliant et prolongeant niaisement la perspective de leurs voisins ou le commandement de leur guide'. La polis refuse aussi l'incursion du privé dans son organisation, car le privé fait que les hommes deviennent privés. Ils sont privés de voir et d'entendre autrui, comme d'être vus et entendus par autrui ; ils se font tous prisonniers de la subjectivité de leur propre expérience qui ne cesse pas d'être singulière. « La privation tient à l'absence des autres ; en ce qui les concerne l'homme privé n'apparaît point, c'est donc comme s'il n'existait pas. Ce qu'il fait reste sans importance, sans conséquence pour les autres, ce qui compte pour lui ne les intéresse pas.»60(*)

De ce qui précède, le domaine public se présente au vu et au su de tout le monde, car le mot `public', soutient Arendt, « désigne le monde lui-même en ce qu'il nous est commun à tous et se distingue de la place que nous y possédons individuellement.»61(*) L'espace politique est un espace qui offre à tous et à chacun un lieu de rencontre, mais une rencontre qui n'est pas une collision. Car, ceux qui s'y présentent y ont des places différentes, la place de l'un ne coïncide pas plus avec celle d'un autre que deux objets ne peuvent coïncider dans l'espace: 

ce public space, qui est le propre du seul domaine politique, doit donc être entendu au sens fort comme un lieu commun, un espace à plusieurs voix qui permet non pas d'être devant tous, mais face à face en entente directe qui interdit l'anonymat. Une fois celui-ci résorbé, la politique dégénère en dispersion tyrannique, où nous est contestée toute marque d'individuation, ou en concentration totalitaire qui, « en écrasant les hommes les uns contre les autres », les réduit à l'état de masse amorphe.62(*)

* 53 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 219.

* 54 Idem, p. 219.

* 55 Ibidem.

* 56 Idem, p. 231.

* 57 Idem, pp. 221-222.

* 58 Ibidem.

* 59 Idem, p. 69.

* 60 Idem, p. 70.

* 61 Idem, p. 63.

* 62 André Enegrén, La pensée politique de Hannah Arendt, p. 49.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld