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de la libération de la créativité théorique au renouveau de la philosophie africaine dans sur la "philosophie africaine" de paulin hountondji

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par kouamé hyacinthe kouakou
Université de Bouaké (côte d'ivoire) - Maîtrise 2005
  

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CHAPITRE I

LE PARADOXE DE LA RECHERCHE

DE L'ORIGINALITÉ EN AFRIQUE NOIRE

A - DE LA RENCONTRE AVEC L'AUTRE À L'ALIÉNATION DE SOI

L'existence humaine se perçoit sous le mode de l'altérité. En ce sens, la vie elle-même se veut plurielle ; elle se dit au pluriel, elle se conjugue au pluriel. Prenant conscience de cette réalité qui apparaît à la limite comme une vérité axiomatique, l'existant lui-même aspire à partir de cet instant à la rencontre avec l'Autre.

Dans sa singularité, il souhaite la médiation de l'Autre. Il veut que celui-ci vienne à imprimer sa marque sur son existence, car son être - au - monde se vit sous le mode de l'être - avec. Ainsi l'entend SARTRE : «Par le je pense, contrairement à la philosophie de DESCARTES, contrairement à la philosophie de KANT, nous nous atteignons nous-mêmes en face de l'autre, et l'autre est aussi certain pour nous que nous-mêmes. Ainsi l'homme qui s'atteint directement par le cogito découvre aussi tous les autres et il les découvre comme la condition de son existence. Il se rend compte qu'il ne peut rien être (au sens où on dit qu'on est spirituel ou qu'on est méchant, ou qu'on est jaloux) sauf si les autres le reconnaissent comme tel. Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l'autre. L'autre est indispensable à mon existence, aussi bien d'ailleurs qu'à la connaissance que j'ai de moi.»14(*)

Au coeur du projet de l'existence humaine, se trouve inscrite l'altérité comme sa réalité fondamentale. La singularité, l'individualité apparaissent comme vidées de tout contenu, car l'homme ne saurait supporter et concevoir ce retrait dans une sorte de solipsisme. Finalement, l'individu va transformer l'équation ÊTRE=ÊTRE AVEC en un besoin de l'Autre ; en un désir de l'Autre. Ce désir se traduit par un mouvement vers l'Autre ; une quête de l'Autre ; une tension vers l'Autre. Mouvement qui, en lui-même, est loin d'être fortuit : il s'agit d'aller vers l'Autre, soit pour en faire le moyen de notre propre réalisation, soit pour nous offrir nous-même comme moyen de sa réalisation. Inévitablement se crée une rencontre avec l'Autre. Relation qui se vit sous le mode du partage, du donner et du recevoir.

Partager avec autrui ce que nous avons, ce que nous sommes et ce que nous savons, voilà finalement le charme de la vie elle-même car, l'individu ne saurait ici en faire autrement, au risque de «pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu'il est en nous, le bien général de tous les hommes.»15(*) De ce fait, la loi morale inscrite en chaque homme l'oblige à donner, à faire goûter à l'Autre le plaisir de recevoir.

Noble démarche! Noble intention! L'individu, dans sa pure intériorité, dans sa retraite intérieure réalise ceci : il ne s'appartient pas parce qu'il ne s'est pas créé. Il s'est surpris à exister dans un monde déjà constitué. Et malgré tout le privilège qu'il s'octroie, poussé par un certain narcissisme, il lui est toujours impossible de répondre suivant les catégories de la raison à la question : « D'où viens-je ? », tout comme toutes les autres questions relatives à l'origine des choses et des autres êtres. C'est pourquoi, s'abandonnant à sa foi, il finit par reconnaître qu'il ne saurait être à l'origine de sa présence au monde. Il reconnaît et assume dans une sorte d'impuissance et d'humiliation, la finitude de son être. Il se lie dès lors à l'Être suprême, Créateur des cieux et de la terre, qui n'est autre que Dieu.

Désormais, l'individu trouve dans sa relation à Dieu le sens de son existence. Tout est l'oeuvre de Dieu ; tout a été créé par Dieu. Voilà l'heureux constat auquel il finit par aboutir. Dieu, par un acte d'amour, a créé les humains ; par un acte d'amour, il a permis que ceux-ci viennent à l'existence. Finalement, la relation de Dieu aux hommes se conjugue sous le mode de l'Amour. N'est-ce pas ce que déclare La Bible en Jean 3 :16 : «Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son fils unique, afin que quiconque croit en lui ne soit pas détruit, mais ait la vie éternelle.»?16(*) S'il est vrai que Dieu a tant aimé le monde jusqu'à sacrifier son fils unique pour sauver ce monde-là, pourquoi donc l'individu qui réalise que tous les individus sont des créatures de Dieu ne mettrait-il pas tout en oeuvre afin de venir en aide à son prochain? Dès lors, l'amour du prochain se pose comme un appel silencieux à l'endroit de l'individu. L'apôtre Jean ne clamait-il pas ainsi aux hommes : «Bien-aimés, si c'est ainsi que Dieu nous a aimés, alors nous sommes tenus de nous aimer les uns les autres.»?17(*)

Prenant conscience d'une telle réalité, l'Europe éveillée se fait un devoir de réveiller l'Afrique qui continue de dormir d'un sommeil profond. C'est alors qu'elle initie vers l'Afrique un mouvement qui est conçu comme acte d'amour. Cette fois-ci, les intentions paraissent avoir changé. Nous n'avons plus affaire à la barbarie de l'esclavage et de la traite négrière qui, des siècles durant, ont dépeuplé l'Afrique, la vidant du coup de ses bras valides, l'appelant à se renouveler, à se repeupler.

Pour une fois, l'Afrique n'a pas affaire aux esclavagistes et aux négriers de tout bord. Elle accueille désormais, une autre catégorie d'Européens : les colons et les missionnaires. Ceux-ci veulent apporter à l'Africain la seule manière d'être, de faire et de croire qui soit authentique, qui soit vraie.

Pour l'Européen, tout chez l'Africain n'es qu'infériorité. Tout chez lui n'est que bassesse. Il est en dessous de la civilisation occidentale. Il ne s'est pas encore ouvert à l'humanité. Les principes universels lui demeurent de ce fait inconnus. Il n'a ni raison, ni science. Pire : l'Africain n'a pas de religion.

Au sujet de la religion, HEGEL écrit : «La religion commence avec la conscience de l'existence de quelque chose qui soit supérieur à l'homme. Cette forme d'expérience n'existe pas chez les nègres.»18(*) Ce "quelque chose de supérieur" à l'homme dont parle HEGEL, c'est bien Dieu. Aux yeux de HEGEL, l'Africain ne connaît pas Dieu, Être suprême par excellence.

Dans ces conditions, l'Africain pense incarner cette suprématie-là. Il est l'élément supérieur au sein de la nature. Bien plus, c'est lui domine cet élément naturel. Il est la force transcendante. C'est pourquoi HEGEL, reprenant les mots d'Hérodote pour qui : «En Afrique, tous les hommes sont magiciens.»19(*), précise à son tour : «Cela veut dire que l'Africain, comme être spirituel, s'arroge un pouvoir sur la nature, et c'est ce que signifie un tel pouvoir magique. (...) Dans la magie, il n'y a pas l'intuition d'un Dieu, d'une croyance morale, mais bien au contraire l'homme y est représenté comme la puissance suprême, comme celui qui, avec les forces de la nature, n'a d'autre rapport que celui du commandement.»20(*)

La spiritualité chez l'Africain se vit sous le mode du commandement ; commandement à l'égard de la nature, à l'égard des forces naturelles. L'esprit de l'Africain est traversé de part en part par la magie.

Prenant acte d'un tel état de croyance chez l'Africain, le missionnaire qui débarque en Afrique, n'a d'autre but que de remplacer ce sens de la magie de l'Africain par un sentiment authentiquement religieux. À la conscience magicienne de l'Africain, le missionnaire se propose de substituer la conscience religieuse. Ici, on est soumis à un Être suprême : Dieu. Pour le missionnaire, il s'agit d'enseigner Dieu à l'Africain. Il entreprend à ce titre de lui faire comprendre que sa vie n'a de sens et de valeur que par référence à Dieu. On présente à l'Africain l'image de ce Père généreux, omniprésent, omnipotent ; ce Dieu «miséricordieux et compatissant ; lent à la colère et abondant en bonté de coeur et de vérité.»21(*) L'Africain comprit désormais que jusque-là il s'était égaré dans les sentiers de la spiritualité. Il a même fait preuve d'ingratitude car, refusant de reconnaître les bienfaits de ce Père à qui il se devait de rendre gloire. Mais jusque-là, il ne l'avait pas fait.

Si le missionnaire entreprit de rallier l'âme du Noir à Dieu, le colon, quant à lui, choisit d'unir l'âme et le corps du Noir à la civilisation. Être civilisé, c'est être blanc. Accepter l'équation BLANC=CIVILISATION comme vraie, c'est par conséquent admettre le binôme inverse ÊTRE NOIR=ÊTRE CIVILISÉ comme faux.

Ainsi, à défaut de devenir blanc, l'Africain se doit désormais de penser, d'agir et de faire comme le Blanc. Comme le souligne Morton SCHOOLMAN : «La période précoloniale et préindustrielle de l'histoire de l'Afrique est qualifiée de«primitive» par les Européens et elle est simplement considérée comme une regrettable «étape» de transition précédent l'avènement d'une civilisation «blanche» moderne et hautement industrialisée. L'Afrique précoloniale et traditionnelle est condamnée à l'oubli puisque, dans le système de valeur occidental, elle n'a rien contribué au progrès de l'humanité22(*) L'Afrique est alors appelée à renoncer à son moi profond et intime en vue d'opérer une mutation qui va la conduire vers la civilisation.

C'est ici que Frantz FANON va insister sur la langue du colonisateur comme facteur déterminant dans le processus de la civilisation : «Parler une langue, c'est assumer un monde, une culture. L'Antillais qui veut être blanc le sera d'autant plus qu'il aura fait sien l'instrument culturel qu'est le langage. (...). Historiquement, il faut comprendre que le Noir veut parler le français, car c'est la clef susceptible d'ouvrir les portes qui, il y a cinquante ans encore, lui étaient interdites. »23(*) Parler couramment cette nouvelle langue, qui est celle du colonisateur, permet au colonisé d'aller plus loin que la communication banale et quotidienne avec le colonisateur, plus loin que les rapports de politesse et les transactions commerciales. Il s'agit pour le colonisé d'intégrer l'univers existentiel du colonisateur, d'apprendre son histoire, d'intégrer sa culture. Et, de même que la langue et l'histoire de l'Homme Blanc sont «supérieures» à la langue et à l'histoire des Africains, la civilisation blanche est supérieure à la civilisation africaine. «Civilisation» et «blanc» deviennent de ce fait des compléments indissociables.

La religion, et précisément l'Église et la colonisation apportées par l'irruption de l'Occident entraînent le bouleversement de la société africaine. Jacques CHEVRIER ne manque justement pas d'en parler : «En cette fin du XXe siècle la valeur - drapeau de l'Occident c'est le progrès ; au nom du progrès on assiste donc à une entreprise systématique de laïcisation de la société africaine. Sous le couvert hypocrite d'une morale strictement utilitariste, le mercantilisme, la bureaucratie et l'Eglise s'attaquent aux structures archaïques et détruisent en quelques décennies l'équilibre et l'harmonie des communautés qui avaient toujours réussi à sauvegarder leur sens sacré du mythe et du mystère. La langue des Blancs relègue au second plan les parlers du coeur tandis que les fétiches sont jetés dans les brasiers allumés par les missionnaires trop zélés. Aux danses et aux chants de naguère ont désormais succédé l'ennui et l'exploitation de l'homme par l'homme : la prose a chassé la poésie.»24(*) Le ton est ainsi donné.

Ce qui, dès le départ, avait été conçu comme acte d'amour , comme visée d'humanisation et moyen de réalisation de l'autre, ne revêt au contraire que la forme d'une attaque, d'une destruction, d'une exploitation. L'Africain ne se reconnaît plus. La langue du Blanc que le Noir a surtout apprise par le canal de l'école l'a consumé jusqu'au dernier degré son être. L'école où on prétendait former le jeune nègre en lui apprenant la langue en même temps que l'histoire et la culture occidentales, ne lui a laissé aucune chance de se reconnaître. C'est justement ce que dans une vision prophétique, la Grande Royale a décrit, lorsque, s'adressant à son peuple, elle affirma : «L'école où je pousse nos enfants tuera en eux ce qu'aujourd'hui nous aimons et conservons avec soin, à juste titre. Peut-être notre souvenir lui-même mourra-t-il en eux, il en est qui ne nous reconnaîtront pas. Ce que je propose c'est que nous acceptions de mourir en nos enfants et que les étrangers qui nous ont défaits prennent en eux toute la place que nous aurons laissée libre.»25(*) La très belle civilisation dont on a tant chanté les éloges n'est finalement qu'aliénation et acculturation.

Le dialogue avec l'Occident, conçu au départ comme moyen d'humanisation de l'Homme Noir, plutôt que de contribuer à l'enrichissement de la culture africaine, n'a fait au contraire que l'appauvrir en la rongeant de l'intérieur. Finalement, cet acte d'amour initié par l'homme venu d'au-delà des mers à l'égard du Noir n'est resté qu'une déclaration de principe ; d'autant plus que dans les faits, il s'est trahi lui-même. C'est ici que réside tout le sens du constat fait par HOUNTONDJI : «Le colonialisme a donc bloqué les cultures africaines, réduit leur pluralisme interne, atténué les discordances, affaibli les tensions où elles puisaient précisément leur vitalité, pour ne plus laisser aux Africains que l'alternance tronquée entre «aliénation» culturelle (corrélat supposé d'une trahison politique) et nationalisme culturel (revers obligé, et parfois substitut dérisoire, du nationalisme politique).»26(*)

Comme on peut le constater, la rencontre entre l'Afrique et l'Europe a tout simplement joué en la défaveur du continent noir ; l'Africain, désormais incapable de se reconnaître comme un être à part entière. C'est donc avec amertume qu'il se surprend dans des habits nouveaux qui, tout en voilant son être propre, le présentent sous un aspect étrange. C'est en somme le constat de l'aliénation de l'Africain. Prenant acte d'une telle situation et, bien loin de se résigner, les intellectuels Africains s'assignent pour mission de redonner au continent noir son identité perdue afin de le repositionner aux côtés des autres peuples et surtout l'Europe, dans une relation de coexistence. N'est-ce pas à la limite une entreprise difficile ?

* 14 SARTRE (Jean-Paul).- L'Existentialisme est un humanisme, cité par MÉDINA (José).- La philosophie comme débat entre les textes (ouvrage collectif), (Paris, Magnard, Collection Textes et Contextes, 1996), p.264

* 15 DESCARTES (René).- Discours de la méthode (Paris, Union Générale d'Éditions, collection 10/18, 1951), p.90

* 16 LA BIBLE, traduction du monde nouveau (New York, Éditions Watchtower Bible and Tract Society, 1984),

Jean 3 :16, p.1316

* 17 LA BIBLE, op.cit., I Jean 4 :11, p.1516

* 18 HEGEL (Georg Wilhem Friedrich).- La raison dans l'histoire, traduction Kostas PAPAIOANNOU (Paris, Éditions CHRISTIAN BOURGOIS, collection 10/18, 1979), p.253

* 19 HÉRODOTE, cité par HEGEL, op.cit., p.253

* 20 HEGEL, op.cit., p.253

* 21 LA BIBLE, op.cit., Exode 34 :6, p.121

* 22 SCHOOLMAN (Morton), «Le joug colonial et la réaction de l'Afrique » in La politique africaine `'Théories et pratiques (Paris, collection Nouveaux Horizons, 1981), p.45

* 23 FANON (Frantz).- Peau noire masques blancs (Paris, Éditions du Seuil, collection Points, 1952), p.30

* 24 CHEVRIER (Jacques), op.cit., p.50

* 25 KANE (Cheick Hamidou).- L'aventure ambiguë (Paris, 10/18, Julliard, 1961), p.57

* 26 HOUNTONDJI (Paulin), op.cit., p.234

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams