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de la libération de la créativité théorique au renouveau de la philosophie africaine dans sur la "philosophie africaine" de paulin hountondji

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par kouamé hyacinthe kouakou
Université de Bouaké (côte d'ivoire) - Maîtrise 2005
  

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B - LA DIFFICILE RECONQUÊTE DE L'IDENTITÉ PERDUE

Il est évident que la rencontre de l'Occidental (ici l'Européen par excellence) avec l'Africain s'est assignée dès le départ une mission, on ne peut plus noble. Elle s'est appréhendée et conçue dans ses intentions comme une visée d'humanisation. Question pour l'Européen d'apporter à l'Africain tout ce qui lui manquait en vue d'accéder loyalement au rang d'homme. Mais, entre l'intention et l'acte, que de fossé, que d'écart! Car, la visée d'humanisation se mue tout simplement en entreprise d'assimilation, en une aliénation du Noir jusqu'au point où celui-ci ignore tout de ses racines, de son être intime et profond.

Aux yeux de l'Européen, l'Africain n'est tout simplement qu'une chose étrange, un objet par la médiation duquel il a pu donner la preuve de sa suprématie et de sa puissance. Pour l'Africain, il n'y a pas l'ombre d'un doute : l'homme par excellence c'est bien l'Européen. Leur rencontre n'a contribué qu'à renforcer la puissance et la suprématie de celui-ci au détriment de celui-là. Les Africains en sont conscients. Batouala, déplorant la défaite des siens devant les Blancs affirme : «Notre soumission ne nous a pas mérité leur bienveillance. Et d'abord non contents de s'appliquer à supprimer nos chères coutumes, ils n'ont eu de cesse qu'ils ne nous aient imposé les leurs. Ils n'y ont à la longue, que trop bien réussi. Résultat : la plus morne tristesse règne, désormais, par tout le pays noir. Les Blancs sont ainsi faits, que la joie de vivre disparaît des lieux où ils prennent quartiers. Depuis que nous les subissons, plus le droit de jouer quelque argent que ce soit au « patara ». Plus le droit non plus de nous enivrer. Nos danses et nos chants troublent leur sommeil. Les danses et les chants sont pourtant notre vie.»27(*)

On comprend à la lumière de tels propos, empreints d'amertume, toute la douleur qui est celle de l'Africain à l'occasion de sa rencontre avec l'Européen. C'est comme si en un éclair, la joie de vivre qui le caractérisait jusque-là, avait cédé la place à un sentiment de détresse, à une privation de vie. La colonisation, en fin de compte, n'a laissé aux Africains que la nostalgie du passé.

Défaite, capitulation, soumission, les termes ne sont peut-être pas assez forts pour exprimer l'effacement du nègre devant l'homme venu d'au-delà des mers. Barbares, sauvages, primitifs, les Africains le sont aux yeux de l'Européen et ils continueront de l'être. Que vaut finalement un peuple où l'Esprit en lui-même continue d'errer dans une obscurité où l'on n'entretient la moindre illusion quant au jaillissement d'une insignifiante source de lumière?

Pour l'Européen, l'image de l'Afrique n'est point reluisante. La voie de l'accomplissement, dans ces conditions, passe inévitablement par l'adhésion aux valeurs et à la langue du Blanc. Mais très vite, l'Afrique commence par douter de ce choix. Elle commence par s'interroger sur le sens réel de sa présence, de son être - au - monde. Jacques CHEVRIER tire fort bien la conclusion qui découle de cette méditation : «Aliéné dans une fausse culture qui le coupe de ses racines, il (l'Africain) éprouve alors le vertige de l'angoisse et se retourne avec nostalgie vers son passé28(*) C'est alors que commencent par se faire entendre les voix des intellectuels Africains. Tous ont a à choeur de laver l'affront subi par la mère - patrie pendant des décennies. Ils militent en faveur d'une authentique reconnaissance. Ce qui est réconfortant à leurs yeux, c'est la caution bienveillante que leur apporte l'intelligentsia européenne. Il s'agit d'un drame intérieur que traverse l'Occident lui-même du fait des attitudes contradictoires à l'égard de tout le mépris dont est victime le continent noir. Il s'agit d'un cri d'alarme des intellectuels Européens en vue de donner une nature plus humaine des relations entre colonisateurs et colonisés au profit de ceux-ci. Désormais, le nègre est présenté sous une vision nouvelle à travers la littérature européenne en général et la littérature française en particulier. Guy MICHAUD nous en donne un aperçu : «Ce n'est guère qu'au lendemain de la deuxième guerre mondiale qu'a été entrepris, parallèlement au processus de décolonisation, un effort sincère de démythification. La revue Présence africaine, les travaux de Georges BALANDIER, les écrits de SARTRE, de Roland BARTHES et de quelques autres ont largement contribué à assainir les relations entre les peuples et à les purger de tout l'imaginaire qu'elles colportent à notre insu. C'est là une entreprise d'hygiène collective dont l'importance ne peut échapper à personne.»29(*) La même Europe qui a contribué à l'émergence des négriers, colons et autres missionnaires, voit éclore en son sein une autre race d'hommes pour qui, tous les hommes, sans exception, sont dotés de la même valeur. La couleur de la peau et la situation géographique cessent d'apparaître comme des critères de différenciation. Elles ne deviennent que des artifices ou des accidents de la nature. C'est comme si les intellectuels Européens demandaient à l'Europe entière de se relever au nom du sacro-saint respect de l'universalité de l'humaine condition qui exige de chaque homme le même degré d'estime aussi bien pour lui-même que pour les autres. Dès lors, on estime que le meilleur moyen de se confesser réside dans la reconnaissance des valeurs et de la dignité de la race noire en vue de redonner un visage plus humain aux relations entre les peuples. C'est en cela que consiste pour l'essentiel la tâche des intellectuels Européens qui lancent un véritable cri d'alarme. Désormais, du côté des intellectuels Africains, on se trouve réconforté. La lutte pour la reconnaissance se trouve d'une manière ou d'une autre légitimée par l'apport des intellectuels Européens ; du moins en partie ; ce qui constitue une sorte de caution morale. Ainsi donc le mal qui ronge depuis longtemps l'Afrique sera exorcisé.

Il s'agit là d'une libération aussi bien politique que culturelle. Et pour y parvenir, il convient d'exhiber à la face de l'Europe les valeurs propres à la race noire ; c'est-à-dire la manière d'être originale du Noir. C'est à partir de ce moment que commence le mouvement de la Négritude sous l'autorité d'une poignée d'étudiants et d'intellectuels Noirs repliés à Paris et nourris des oeuvres des écrivains Négro-Américains. Morton SCHOOLMAN met à ce propos un point d'honneur à célébrer les mérites du mouvement de la Négritude : «La théorie de la Négritude a certainement joué un rôle positif en libérant un certain nombre d'Africains de l'emprise du colonialisme. À tout le moins, elle représente l'expression d'une révolte culturelle qui permet à l'Africain d'affirmer son humanité et sa force sous le joug colonial. Et bien qu'elle n'eût pas grand-chose à avoir avec l'indépendance de l'Afrique, la Négritude compta certainement beaucoup pour ceux des Africains qui s'efforçaient de se décoloniser eux-mêmes avant de libérer leur pays.»30(*)

Il s'agissait donc pour les chantres de la Négritude d'affirmer l'humanité du Noir. Est-il besoin de le rappeler : ce mouvement doit sa paternité à un triumvirat célèbre en exil à la Sorbonne : Léopold Sédar SENGHOR, Aimé CÉSAIRE et Léon Gontran DAMAS.

Mais, précision importante : la vraie prise de conscience avait commencé d'agiter l'Amérique au début du XXe siècle. En 1903, paraît le livre Âmes Noires de William E. B. DU BOIS. Ses écrits dénonçaient la situation scandaleuse faite aux Noirs des ?tats - Unis. Il invitait à ce titre Blancs et Noirs à se défaire de l'image stéréotypée du Nègre sous-homme, inconscient et taré. DU BOIS fut donc d'une manière ou d'une autre le premier à avoir pensé la Négritude dans sa totalité et dans sa spécificité. Le mérite de DU BOIS a été non seulement d'avoir revendiqué les droits des Noirs - Américains, mais aussi d'avoir tourné ses pensées vers l'Afrique. En témoignent ses écrits, à la mesure de son désir d'exilé : «Il ne s'agit pas d'un pays, c'est un monde, un univers, se suffisant à lui-même... C'est un grand coeur du monde noir où l'esprit désire ardemment mourir. C'est une vie si brûlante, entourée de tant de flammes qu'on y naît avec une âme terrible, pétillante de vie. On y saute à l'encontre du soleil pour y faire venir comme une grande main du destin, la force lente, tranquille et écrasante du sommeil tout-puissant , du silence d'un pouvoir immuable qui se retrouve au - delà, à l'intérieur et tout autour.»31(*) C'est l'éclosion chez DU BOIS d'un africanisme sentimental, à la mesure de son désir d'exilé.

C'est alors que, dix ans plus tard, on assiste à l'émergence du premier mouvement littéraire nègre qui prend l'appellation de «new negro» ou «négro renaissance», que nous présente Jacques CHEVRIER : «Mouvement à caractère social et littéraire, le «New Negro» dénonçait la situation de mendiant culturel du Noir américain, manifestait la prise de conscience de son identité et traduisait sa volonté de réhabiliter un long passé déformé par l'idéologie esclavagiste. Plus qu'une réaction de compensation à l'impossible assimilation, le «New Negro» fut donc une quête spirituelle destinée à remettre le Noir américain en possession de sa personnalité aliénée par la culture dominante.»32(*) Telle est l'idéologie prônée par ce mouvement qui rassemble principalement : LANGSTON Hughes, Claude MAC KAY, COUNTEE Kullen, STERLING Brown, Jean TOOMER. Ensemble, ils lancent le premier grand cri nègre qui attirera l'attention du monde entier et dont l'influence telle une traînée de poudre gagne les Antilles françaises, Cuba, Haïti, puis la France, creuset de la jeune élite des colonies africaines.

Ce vent ne laissera guère indifférente l'élite des colonies françaises qui s'empara du mouvement et où pour la première fois on évoqua l'idée de «Négritude». Ce terme jaillit de la «rencontre» mémorable à LOUIS-LE-GRAND entre DAMAS, CÉSAIRE, et SENGHOR. La jeune élite aliénée et isolée commença par proclamer que les valeurs occidentales européennes devraient être rejetées. La culture africaine, dit-on, était riche, belle et digne de susciter l'émulation. Plus encore on affirmait même que le fait d'être Noir était quelque chose de réellement unique.

Plus qu'une simple apologie du Noir, il s'agit pour les intellectuels Noirs de relever un malentendu les opposant à l'Occident : l'Afrique vit. Elle vit au rythme de la beauté, de la sagesse, de l'endurance, du courage, de la patience, de l'ironie.

Comme pour dire que le beau, le bon, le vertueux ne sont pas l'apanage du seul homme Blanc ; plus encore ils sont des valeurs authentiquement nègres. Il s'agit sous la plume des écrivains de la Négritude d'un véritable changement de plan qui consiste à substituer l'estime au mépris, car le Nègre reste fermement convaincu qu'il ne fait pas partie d'une race inférieure ; à ce titre, il n'est lui-même un être inférieur. Il revendique lui aussi le droit à l'existence, un mode d'être qui ne soit plus considéré comme à l'arrière-plan de l'existence elle-même.

L'Afrique ne veut donc plus de la tutelle de l'Occident ; elle veut plutôt faire entendre les échos de sa voix, sans laisser le soin à quelqu'un d'autre de le faire à sa place. Ce qu'elle veut c'est la reconquête de son identité perdue en prenant en main son propre destin. CÉSAIRE semble résumer ce désir avoué de l'Afrique et des Africains: «L'histoire des Nègres est un drame en trois épisodes. Les Nègres furent d'abord asservis (des idiots et des brutes, disait-on)... Puis on tourna vers eux un visage plus indulgent. On s'est dit : ils valent mieux que leur réputation. Et on a essayé de les former. On les a assimilés. Ils furent à l'école des maîtres «de grands enfants», disait-on. Car seul l'enfant est perpétuellement à l'école des maîtres.

Les jeunes Nègres aujourd'hui ne veulent ni asservissement ni « assimilation ». Ils veulent l'émancipation. Des hommes, dira-t-on car seul l'homme marche sans précepteur sur les grands chemins de la Pensée.»33(*)

L'heure de l'affirmation de soi, de son identité propre a ainsi sonné avec le mouvement la Négritude. Il existe désormais une voix africaine qui ne finisse de retentir. On bat en brèche la mission civilisatrice de l'Occident vis-à-vis des pays réputés «sauvages». Avec le mouvement de la Négritude, le Blanc se voit plus que jamais forcé de penser que l'être - au - monde du Noir n'est pas un accident ;mais fait partie de ce vaste ensemble qu'est le Monde. La Négritude entend biffer à jamais ces expressions à l'allure péjorative de «barbare», «sauvage», «primitif» qu'on attribue à l'Afrique et à la race noire. Toute chose que Frantz FANON avait déjà perçue lorsqu'il écrivait ces lignes : «Ségou, Djenné, villes de plus cent mille habitants... On parle de docteurs noirs (Docteurs en théologie qui allaient à la Mecque discuter du CORAN). Tout cela exhumé, étalé viscères au vent, me permit de retrouver une catégorie historique valable. Le Blanc s'était trompé, je n'étais pas un primitif, pas davantage un demi - homme, j'appartenais à une race qui, il y a de cela deux mille ans, travaillait déjà l'or et l'argent34(*) Plus l'ombre d'un seul doute : le Noir a été, est, et restera toujours un homme. Toutes ces clameurs, les panégyriques de la race noire chantées, la fierté d'être Noir, ne visaient qu'un seul objectif : exhumer à la face de l'Occident cet autre nécessaire qu'il a semblé ignorer par mépris et par fierté. Le Noir aspire désormais à une authentique reconnaissance ; refusant d'être englouti et dilué dans la masse des valeurs occidentales. Noble intention!

Mais demandons-nous de savoir si cette entreprise a pu satisfaire les attentes à la mesure de toutes les espérances. Les intellectuels Africains en général et le mouvement de la Négritude en particulier ont-ils pu obtenir de la part du Blanc une reconnaissance véritable du Noir? Celui-ci a-t-il pu affirmer son identité propre et la poser à côté du Blanc, assainissant de ce fait les relations entre les peuples ? La réponse de Marcien TOWA est sans équivoque : la Négritude est la servante du colonialisme. Elle a fait plus de mal à la cause de la libération de l'Afrique. En clair l'affirmation de la personnalité, de l'identité du Noir aboutit à un constat d'échec. Ceci, TOWA en est bien conscient. C'est pourquoi, il passe au crible de la critique la négritude senghorienne. Il écrit à ce propos : «Mais Senghor qui, par voie intuitive et empirique, s'est persuadé que la raison faisait partie du patrimoine héréditaire blanc, et l'émotion de celui du nègre, tire de cette conviction des conclusions toutes différentes. Son problème peut se formuler de la façon suivante : le monde moderne auquel le nègre doit s'adapter pour survivre, repose sur la technique et la science qui sont le privilège racial, biologiquement héréditaire du blanc. Mais d'un autre côté, la constitution biologique du nègre qui fait de lui un émotif et un mystique, lui interdit de pouvoir jamais rivaliser avec le blanc sur le terrain de la raison et de la science.»35(*) Et à TOWA de citer SENGHOR : «Croyez- vous que nous puissions jamais battre les européens dans la mathématique, les hommes singuliers exceptés, qui confirmeraient que nous ne sommes pas une race abstraite?»36(*) TOWA nous éclaire sur le sens de tels propos : «Autrement dit, le nègre, tant qu'il demeure tel, n'a pas de place égale à celle du blanc, dans un monde fondé sur la raison et la science.»37(*) SENGHOR, comme le constate TOWA, reconnaît si volontiers l'européanité exclusive de la raison quand l'émotion et l'instinct sont l'apanage du Nègre. C'est ce qui amène TOWA à s'interroger sur les desseins réels de SENGHOR : est-ce de nier ou de servir l'impérialisme européen?

Pour HOUNTONDJI, il y a assurément une complicité entre intellectuel Africain et intellectuel Occidental qui n'a de cesse de reconnaître la valeur de la culture occidentale. Aussi constate-t-il : «Césaire n'invente donc rien quand il prétend que la non - technicité des Noirs, loin d'être un défaut est au contraire une vertu ; qu'elle est l'envers d'une disponibilité essentielle que l'Europe ignore ; que l'Occident n'a rien à apprendre aux autres cultures pour ce qui est des qualités essentielles de l'homme, du sens de la fraternité, de l'ouverture au monde, de l'enracinement. CESAIRE lui-même le sait d'ailleurs parfaitement. (...) De la sorte, la démarche nationaliste n'a jamais consisté dans les colonies à rejeter globalement la culture du colonisateur ; elle a toujours, en fait, consisté à choisir, parmi les nombreux courants de cette culture, ceux précisément qui étaient les plus favorables au Tiers-Monde ; ou plutôt à retrouver dans un second temps, à partir d'une révolte spontanée et d'une affirmation de soi d'abord irréfléchie, ces courants favorables, qui contrastaient violemment avec la pratique coloniale vécue. Ainsi s'est établie, entre le nationaliste du Tiers-Monde et l'anthropologue progressiste d'Occident une véritable complicité.»38(*)

La lutte pour la reconnaissance, pour l'affirmation l'identité du Noir n'aura en rien contribué à épurer complètement la mentalité du Noir et à la débarrasser de toute contagion occidentale. D'une façon ou d'une autre, le Noir continue d'assimiler la culture occidentale, à des degrés divers. On pourrait parler d'une revendication vaine et stérile qui n'aura fonctionné que sur le papier à travers les écrits des uns et des autres. On pratique à merveille ce qu'en réalité on donne la triste et morne impression de combattre.

En réalité, on ne se livre qu'à un exhibitionnisme creux qui ne consiste qu'à offrir en spectacle les cultures noires et à les aliéner à l'Occident. Rien de plus.

Il ne s'est donc agi que d'une piètre exhumation des valeurs africaines aux yeux de l'Occident. Ce qui est loin d'être une affirmation de son identité. Situation devant laquelle HOUNTONDJI ne demeure longtemps insensible car pour lui : «La recherche de l'originalité est toujours solidaire d'un désir de paraître. Elle n'a de sens que dans le rapport à l'autre, dont, on veut à tout prix se distinguer. Rapport ambigu dans la mesure où on affirme sa différence, mais où, en l'affirmant, on n'a de cesse que l'autre ne l`ait effectivement reconnue. Cette reconnaissance se faisant malheureusement attendre, le désir du sujet, pris à son propre piège, se creuse toujours davantage jusqu'à s'aliéner complètement dans une attention inquiète aux moindres gestes de l'autre, aux moindres mouvements de son regard.»39(*) L'Africain aspirant à la reconnaissance se trouve finalement pris dans un piège ; le piège de l'aliénation. En voulant se particulariser vis-à-vis de l'autre, on finit par s'aliéner à la façon d'être de l'autre.

Le reproche principal fait aux tenants de la Négritude est de prôner explicitement la supériorité du Blanc sur le Noir. HOUNTONDJI lui-même peut-il échapper à un tel reproche quand il revendique avec fierté sa formation occidentale? Parlant de ALTHUSSER, il écrit : «Je faisais bon marché des nuances du maître qui prévenait, (...), que la philosophie n'avait d'objet comme les sciences mais des enjeux. Pour moi, comme pour tout disciple pressé,...»40(*)  Plus loin, il évoque «les analyses inspirées par ces `'colères'' diagnostiquées par mon maître Canguilhem...»41(*) L'allégeance au maître Blanc et sa célébration à n'en point finir ne sont pas que l'apanage de SENGHOR. HOUNTONDJI également s'y adonne, quoique de manière implicite, même s'il se trouve dans un registre autre que le mouvement de la Négritude.

L'Africain, au travers du mouvement de la Négritude était plutôt soucieux d'un désir de paraître en lieu et place d'une action véritable. Continuer à chanter que le Noir symbolise la beauté, la richesse, c'est en fin de compte renfermer l'Afrique sur elle-même ; faisant d'elle un bâtiment sans fenêtre, sans aucune possibilité de communication avec l'extérieur. Le cri d'alarme des intellectuels Africains ne visait tout simplement qu'à exalter cette spécificité de l'être - au - monde du Noir. Le Professeur DIBI Kouadio Augustin le constate aisément : «En revendiquant une différence spécifique, le désir secret de l'Afrique était de retrouver, pour l'affirmer, l'identité libre d'elle-même, de venir boire à la coupe d'une sorte de virginité où elle croit lire ce que le destin lui a personnellement confié, et de présenter, en fierté, à un monde qui lui dénierait toute valeur, ce qu'elle considère comme sa relation inaltérée au temps, exclusive de tout partage, tout entière inexposable et, de cette façon, infiniment riche!»42(*)

C'est en cela que consiste l'exhibitionnisme ; le désir d'être et de s'affirmer aux yeux des autres qui pendant longtemps ne nous ont accordé la moindre valeur. L'Afrique, aux yeux du monde recherche une différence bien spécifique à elle ; donnant la preuve qu'elle a une manière d'être qui ne se confond pas avec celle des autres. C'est pourquoi, tous en coeur, les intellectuels Africains s'extasient devant la beauté des femmes africaines, la sexualité exacerbée de l'Homme Noir. Cette attitude se présente finalement comme un voile posé sur le visage de l'Afrique qui non seulement ne voit pas les autres mais n'est pas vu en retour. C'est pourquoi pour le Professeur DIBI Kouadio Augustin, «l'Afrique échoue à faire reconnaître à l'Europe sa particularité, parce que celle-ci, visée comme une chose, substantiellement, comme une détermination immuable qu'aucun regard venant de l'extérieur ne peut pénétrer, confesse de cette façon même qu'elle trouve seulement dans l'obscurité sa fidèle compagne et ne peut rien communiquer43(*) Comment en réalité ce qui est dans l'obscurité et ne peut rien communiquer peut-il être reconnu par l'Autre? La communication ne demeure-t-elle pas ce qui, inévitablement, lie le sujet à Autrui? N'est-ce pas par l'entremise de la communication que les relations personnelles prennent assise et fondement? En disant «TU», le sujet brise par-là même les liens de la solitude et entre du coup en relation avec l'Autre. Il s'ouvre à l'Autre et se fait reconnaître en même temps par l'Autre. Mais, n'être pas en mesure de communiquer, c'est rester fermé sur soi, ne donnant aucune possibilité à l'Autre de nous saisir.

La quête inlassable de l'Africain pour sa reconnaissance, pour son identité décrit finalement un cercle qui constitue un retour vers ce qu'on voulait fuir : l'aliénation.

* 27 MARAN (René).- Batouala, cité par CHEVRIER (Jacques), op.cit., p50

* 28 CHEVRIER (Jacques) op.cit., p.51

* 29 FANOUDH-SIEFER N'DRI (Léon). - Le mythe du nègre et de l'Afrique noire dans la littérature française (Dakar, NEA, 1980), (Préface), pp 9-10

* 30 SCHOOLMAN (Morton), op.cit., pp.87-88

* 31 DU BOIS (William Edberg B.) cité par KESTELOOT (Lilyan).- Anthologie Négro-Africaine (Paris, ÉDICEF, Marabout, 1992), p.15

* 32 CHEVRIER (Jacques), op.cit., p.32

* 33 CÉSAIRE (Aimé) in «L'Étudiant Noir », cité par KESTELOOT (Lilyan), op. cit., p. 83

* 34 FANON (Frantz), op.cit., p.105

* 35 TOWA (Marcien).- Léopold Sédar Senghor : Négritude ou servitude? (Yaoundé, CLÉ, 1980), p.107

* 36 SENGHOR (Léopold Sédar) cité par TOWA, op.cit., p.107

* 37 TOWA, op.cit., p.107

* 38 HOUNTONDJI (Paulin) Sur la « philosophie africaine » (Yaoundé, CLÉ, 1980), pp.224-225

* 39 HOUNTONDJI, op.cit., p.34

* 40 HOUNTONDJI (Paulin).- Combats pour le sens (Cotonou, Flamboyant, 1997), p.111

* 41 HOUNTONDJI, op.cit., p.118

* 42 DIBI Kouadio Augustin, op.cit., p.40

* 43 DIBI, op.cit., p.51

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote