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de la libération de la créativité théorique au renouveau de la philosophie africaine dans sur la "philosophie africaine" de paulin hountondji

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par kouamé hyacinthe kouakou
Université de Bouaké (côte d'ivoire) - Maîtrise 2005
  

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CONCLUSION

Notre tâche, tout au long de ce mémoire, a consisté à éclairer la conception de Paulin HOUNTONDJI sur la philosophie africaine, non sans avoir procédé à son évaluation critique à la lumière d'autres conceptions. Il fait d'emblée le constat de l'existence d'oeuvres philosophiques africaines. Mais en prononçant un tel verdict, HOUNTONDJI n'entend nullement se complaire dans un enthousiasme débordant, il n'entend nullement s'inscrire comme les ethnophilosophes Africains dans cette ligne revendicative qui consiste à exhumer à cor et à cri l'existence d'une authentique pensée africaine, originale, unique en son genre. C'est justement un tel état d'esprit que HOUNTONDJI a voulu combattre tout au long de son oeuvre. On pourrait aisément s'en apercevoir à travers le sous-titre du livre `'critique de l'ethnophilosophie''. En clair, en professant l'existence d'une philosophie africaine, HOUNTONDJI entend ruiner à jamais la fausse conception de la philosophie qui a prévalu en Afrique, depuis l'apparition du livre du Révérend Père Placide TEMPELS, dont la première traduction date de 1945, c'est-à-dire dès la fin de la seconde Guerre Mondiale. En effet, le Père franciscain, avec sa Philosophie bantoue, a ouvert la voie à un certain nombre d'écrits sur l'Afrique, aussi bien du côté des intellectuels Européens que des intellectuels Africains.

Il fut un temps - ou même des temps - où l'Europe se positionna comme le centre du monde. La civilisation Européenne, par excellence, devint la meilleure d'entre toutes. Tous ceux qui se trouvaient en dehors des frontières européennes étaient purement et simplement exclus du champ de l'humanité. Barbares, primitifs, sauvages, voilà ce qu'ils étaient. Une telle conception du monde, à partir de l'Europe trouva assise dans une sorte d'unanimité, avouée ou non, entre tous les intellectuels et hommes politiques Européens.

Pourtant, la tendance ne tarda pas à se renverser. Comme le souligne HOUNTONDJI : «La même Europe qui a produit TYLOR et LÉVY-BRUHL a aussi produit LEVI-STRAUSS. La même Europe qui a produit le comte de Gobineau a également produit Jean-Paul SARTRE. La même Europe qui a produit HITLER avait auparavant produit LÉNINE. Signe que la culture européenne est elle-même pluraliste, traversée par les tendances et les courants les plus divers. Signe que lorsque nous parlons de «la» civilisation occidentale au singulier nous ne savons peut-être pas bien de quoi nous parlons. Nous supposons peut-être à tort une identité de sens entre des courants opposés et inconciliables.»129(*) Ce que nous avons à retenir de ce constat de HOUNTONDJI, c'est la mise en exergue des contradictions internes qui ont traversé de part en part l'Europe, contradictions symbolisées par la lutte entre l'ethnologie impériale et l'ethnocentrisme occidental (LÉVI -BRUHL, TYLOR, MORGAN) d'un côté, et l'anthropologie occidentale, appuyée par les intellectuels, de l'autre.

TEMPELS, en affirmant l'existence d'une philosophie bantoue en particulier et africaine en général, laissait du coup entrevoir l'idée de l'existence de cultures autres que celle de l'Europe. Ce en quoi se retrouvent très bien d'ailleurs les ethnologues d'un type nouveau, qui, animés d'une sorte de zèle apostolique, revendiquent une culture pour l'Afrique. Ce qui n'est pas fait pour déplaire aux intellectuels Africains qui voyaient là une chance de salut pour l'Afrique et les Africains. Ils pourront de ce fait affirmer, sans être confrontés à une quelconque contradiction, que l'Africain existe au même titre que l'Européen ; plus encore, il existe d'une façon originale et singulière.

À tout point de vue, nous nous rendons compte que l'Afrique cesse une fois au moins d'apparaître sous la plume de l'ethnologue «progressiste» et du «nationaliste» du Tiers-monde comme cette terre maudite, cet enfer, ce monde barbare où la raison, en dépit de quelques tentatives, n'est pas encore parvenue à la pleine jouissance d'elle-même.

Ceci est un fait, on ne le saurait le nier. Mais ce que HOUNTONDJI déplore, c'est l'affirmation au nom d'une telle idée, de l'inexistence d'une philosophie africaine au même titre que la philosophie occidentale. En Europe, le sujet pris individuellement peut être philosophe à la condition de satisfaire aux exigences propres à cette discipline. En Afrique, on appréhende sous le nom de `'philosophe'' l'adhésion à un système de croyances, clos, achevé. Tout se passe comme si chez l'Africain, il n' y avait aucune possibilité de rentrer en colloque avec soi-même : rechercher un refuge chez soi et déterminer d'après soi. L'Africain ignore donc tout d'une existence solitaire et de ce que cela implique comme activité de pensée singulière et originale. C'est contre cette vision de l'Africain, tout entier absorbé dans le groupe que s'insurge HOUNTONDJI. Alors que les ethnophilosophes Africains ont vu en la philosophie africaine une simple adhésion à un système de croyances solidement établi, HOUNTONDJI estime, au contraire, que la philosophie africaine est d'abord et avant tout une affaire personnelle de l'Africain, pris individuellement comme sujet. L'ethnophilosophie a, à tort, méconnu l'existence d'une pensée, qui ne soit pas celle du groupe, mais celle du sujet lui-même. Non seulement elle l'a méconnue, mais elle l'a jugée impensable. Ainsi, malgré les tentatives d'un Marcel GRIAULE qui s'est efforcé de transcrire les paroles d'un homme, en l'occurrence un sage dogon, OGOTEMMÊLI, l'ethnologue français, dans sa préface prend plaisir à nier que cette pensée appartint en propre à OGOTEMMÊLI. Il fait du sage dogon le simple gardien de la tradition ancestrale, le répétiteur servile de la sagesse du groupe, au lieu d'être un penseur original. Ceci laisse voir qu'il ne saurait exister dans une société non occidentale une pluralité d'opinions. À ce titre, toute pensée ici n'est que simple actualisation d'une pensée collective diffuse, niant du coup la possibilité de l'individu et de l'individualité comme tels dans une société non occidentale. Du revers de la main, HOUNTODJI balaie de telles conceptions. Il entend de ce fait responsabiliser l'Africain, sujet d'une authentique philosophie africaine. En plus, plutôt que de s'accorder à exalter par-delà le temps et les générations, les valeurs africaines, HOUNTONDJI estime au contraire qu'il faut accorder une place de choix à la réflexion sur la science africaine. On peut le dire : l'Africain doit prendre ses responsabilités désormais. C'est à lui qu'il appartient de prendre en main le devenir de l'Afrique. Au-delà du simple cadre de la philosophie, l'intellectuel Africain voit sa responsabilité engagée dans le sens du développement du continent Africain. Le philosophe Africain, précise-t-il, ne peut être issu d'un continent autre que l'Afrique. Le philosophe Africain est donc d'abord et avant tout un Africain issu de la culture proprement africaine.

On a vite fait sur le continent Africain de faire la course à l'avoir, au gain matériel au détriment d'une sérieuse reconversion des mentalités. C'est dire que le véritable problème aujourd'hui sur notre continent, ce n'est ni la richesse matérielle ni la puissance militaire, ni quelque artifice inventé par les humains en vue d'apaiser leur soif insatiable de l'avoir, mais le véritable problème, disons-nous, c'est-à-dire la préoccupation majeure chez l'africain c'est son ouverture à la sphère du penser. Nous n'entendons pas par-là que l'Africain jusqu'ici n'a jamais pensé. Ce serait refuser de reconnaître le mérite d'une certaine élite qui n'a de cesse de se singulariser, de se particulariser grâce à un exercice vigilant de la raison au service de l'Afrique et des Africains. Mais, malheureusement, l'Afrique, dans sa majorité, méconnaît cette élite-là. Bien plus, ces hommes et ces femmes qui osent s'affirmer de par leur grande ouverture d'esprit, apparaissent aux yeux de la foule comme des renégats, des gens occupés à ne rien faire. Plutôt que la pensée créatrice, on recherche une puissance matérielle exagérée ; plutôt que la raison vigilante, on recherche la force brute et sauvage. Ce qui triomphe aujourd'hui sur notre continent, c'est l'usage fait de cette force aveugle qui vous étrangle, qui coupe le souffle, rendant impossible un hypothétique appel au secours. Longtemps, on a voulu parler au nom de cette masse opprimée d'hommes et femmes. On a de ce fait prétendu qu'en Afrique l'une des vertus cardinales était l'unanimité entre les membres de chaque communauté. Au nom d'une telle unanimité, on s'est accordé à refuser la parole à ces milliers d'hommes et de femmes qui, pourtant, avaient quelque chose à dire, au grand bonheur de l'Afrique. Pourtant, le résultat aujourd'hui est là : pour n'avoir pas pris le soin très tôt d'écouter tous les avis, l'Afrique apparaît plus que jamais divisée, livrée à elle-même. Que faire? Pour HOUNTONDJI : «ce n'est pas par la matraque que nous réaliserons l'unité de pensée au sein des peuples. C'est au contraire en reconnaissant à tous et à chacun le droit à la parole, le droit à l'erreur et à la critique.»130(*)

Pour qui se soucie aujourd'hui du devenir de l'Afrique et des Africains, un tel appel mérite d'être pris au sérieux. Pour une fois, les politiques Africains doivent s'évertuer à comprendre qu'ils ne pourront aisément sauver l'Afrique du naufrage qu'à la seule condition de substituer aux matraques et autres mitraillettes - conçues comme instruments du rapport avec le peuple - la discussion franche et sincère avec ce peuple-là. Il faut à tout prix instaurer un dialogue franc avec le peuple. Permettre à tout un chacun de s'exprimer aussi librement qu'il le pourra. D'ailleurs, la grandeur d'un pouvoir s'obtient à travers l'estime qu'on porte au peuple et non l'ampleur de la force utilisée contre ce peuple-là. Car comme le souligne Alvin TOFFLER, «la principale faiblesse de la force brute ou de la violence est son absolu manque de souplesse. Elle ne peut servir qu'à punir : finalement c'est un pouvoir de basse qualité (...) La qualité vraiment supérieure s'obtient par le maniement du savoir.»131(*) Le politique Africain doit ainsi comprendre qu'il ne peut parvenir à consolider son pouvoir qu'à condition de renoncer à jamais à la violence exercée contre le peuple, pour privilégier un type de rapports basés sur le bon usage du verbe.

Il apparaît plus que jamais impérieux de refaire l'Afrique sur la base d'une véritable promotion du savoir et non de l'avoir. Pour ce faire, l'Africain, en dépit de ses convictions politiques, religieuses, ou de son appartenance sociale, se doit d'être considéré comme un être à part entière. Son droit à la différence doit être reconnu et au nom de cette différence, il doit être en mesure de dire oui ou non lorsque le besoin se fait sentir, de rectifier le tir à tout moment. En réalité, l'Africain aujourd'hui doit être à même de montrer, selon le mot de Ambroise KOM que «le continent peut se gouverner, changer les moeurs politiques qui ont occasionné la ruine de l'Afrique et en un peu plus de trente ans, ont fait d'elle la région la plus déshéritée de la planète. Après avoir été exploités et marginalisés par diverses colonisations, n'est-il pas ironique que les Africains soient aujourd'hui devenus les artisans de leur propre déchéance?»132(*) Mais pour y parvenir, il faut des mentalités d'un type nouveau à même d'inviter au changement et à la reconversion ceux qui, plus de trois décennies durant, ont dirigé l'Afrique avec des pratiques héritées de la colonisation. Mais pour que ces mentalités nouvelles puissent éclore, il faut à tout prix libérer le discours en Afrique et comprendre une fois pour toutes que se trouve révolue l'époque du `'nègre béni oui - oui'' ; le `'yes man'' (selon les anglophones).

Il convient, à ce titre, de préserver sous toutes ses formes la liberté d'expression. C'est à ce seul prix que non seulement l'Africain se sentira enfin chez soi, mais pourra par la même occasion contribuer à l'éclosion d'une véritable activité intellectuelle dont la philosophie est l'un des indices les plus sérieux. HOUNTONDJI dira dans ce contexte : «Le développement de la littérature philosophique africaine suppose la levée d'un certain nombre d'obstacles politiques. Il suppose en particulier que soient reconnues, défendues, jalousement préservées, sous tous les régimes, les libertés démocratiques et notamment la liberté de critique : celle-là dont la suppression constitue le but et comme le but et comme l'unique raison d'être des idéologies officielles. Philosopher dans l'Afrique d'aujourd'hui oblige à prendre conscience de cette exigence : du prix inestimable de la liberté d'expression comme condition nécessaire de toute science, de tout développement théorique et, finalement de tout progrès politique et économique réel.»133(*)

Certes ; comme nous avons eu à le souligner ; la position défendue par HOUNTONDJI au sujet de la philosophie africaine n'a toujours pas recueilli l'adhésion de certains intellectuels Africains. N'est-ce pas là le sens de l'activité philosophique qui se nourrit de perpétuelles remises en cause dans le cadre d'un débat sans cesse rebondissant ? Toutefois, il convient de noter qu'une avancée significative en politique et en économie sur le continent africain passe inévitablement par une libération effective du discours théorique. Libérer le discours, c'est non seulement créer les conditions d'émergence de la philosophie africaine, mais c'est aussi et surtout donner à l'Afrique la base d'un développement durable d'autant plus qu'elle aura trouvé les voies d'accès à une réussite économique, politique et sociale. L'avenir est à ce prix.

* 129 HOUNTONDJI. - Sur la «philosophie africaine» (Yaoundé, CLÉ, 1980), p. 220

* 130 HOUNTONDJI, op. cit., p. 256

* 131 TOFFLER (Alvin). - Les nouveaux pouvoirs (Paris, Fayard, 1991), p. 34

* 132 KOM (Ambroise), « Intellectuels Africains et enjeux de la démocratie : misère, répression, exil » in « Politique Africaine » n°51 (Paris, Karthala, octobre 1993), pp. 66-67

* 133 HOUNTONDJI, op. cit., p. 76-77

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius