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La pluralité comme condition de l'action et du pouvoir politique chez Hannah Arendt

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par André-Joël MAKWA
Université Pontificale Grégirienne/ Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius-Kinshasa - Graduat en Philosophie 2006
  

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III. 2. CONSEQUENCES DE L'ASCENSION DU TRAVAIL

La société moderne, avec sa technique et son industrie est donc devenue une société de travailleurs. Tout tourne désormais autour du travail, un travail qui est économique : « toute activité y est devenue moyen de gagner sa vie ». Rien ne se fait sans qu'on puisse faire allusion au travail, même les activités qui, dans la Grèce antique, se différenciaient du travail, par leur importance, sont réduites à un état moindre que le travail. Il n'y a plus de catégories, encore moins de classes : « il ne reste plus de classes, plus d'aristocratie politique ou spirituelle, qui puisse provoquer une naturalisation des autres facultés de l'homme. Même les présidents, les rois, les premiers ministres voient dans leurs fonctions des emplois nécessaires à la vie de la société »106(*).

Mais si dans cette société des travailleurs, tous les produits doivent conduire à la consommation, quelle est alors la part réservée à ceux qui viendront après nous, puisqu'avec l'oeuvre et l'action, l'on partage le monde non seulement avec ceux qui nous ont précédés, mais aussi avec ceux qui viendront après nous ?

La société des travailleurs est née de l'émancipation du travail. Les travailleurs sont entrés dans la sphère publique comme des égaux. Toutefois, le caractère antipolitique du travail demeure toujours. Le changement de l'oeuvre en travail a conduit à la prédominance de celui-ci. « L'émancipation du travail n'a pas abouti à son égalité avec les autres activités de la vita activa, mais à sa prédominance à peu près incontestée. »107(*) Cette société de consommateurs a tout réduit au gagne-pain, à l'économique et toute activité jugée inutile n'a désormais aucun sens.

Avec cette émancipation, l'action et la parole n'ayant plus d'ampleur dans la société de l'animal laborans, sont qualifiées de passe-temps et de bavardage. Si l'action est écartée dans cette société, cela implique qu'il n'y existe pas de révélation de « qui » ni de communication directe entre les hommes, et la pluralité y est donc inopérante. Par conséquent, il n'y a pas de liberté dans le sens d' « agir » dans un espace où les hommes sont égaux, et distincts.

Le travail, même en commun, ne renvoie pas à l'égalité mais à une uniformité. C'est sur cette uniformité que repose la sociabilité engendrée par le travail. Et « si la pluralité a le double caractère de l'égalité et de la distinction, la sociabilité du travail se caractérise, elle, par le double caractère de l'uniformité et de l'inaptitude à l'action dans lequel se reconnaît l'animal laborans. »108(*)

C'est dans ce même sens qu'Etienne Tassin affirme que lorsque le travail absorbe l'oeuvre, ce dernier se substitue à l'action.

Par ailleurs, il convient de souligner que la substitution du faire à l'agir n'est pas que le propre de la société moderne. Mais il vaut la peine de l'analyser puisqu'elle est la clé de compréhension de l'action. L'époque moderne, préoccupée de produits tangibles et de bénéfices démontrables, n'a pas été  la première à dénoncer la vanité de l'action et de la parole ainsi que la politique. Cette époque est contre la triste frustration induite par l'action dans ses résultats imprévisibles, son processus irréversible et l'anonymat de ses auteurs. Hannah Arendt affirme qu'il a été tenté de trouver un substitut à l'action pour épargner au domaine des affaires humaines le hasard et l'irresponsabilité morale qui sont inhérents à une pluralité d'agents. Le schème de la fabrication permet en effet d'échapper aux calamités de l'action. Etienne Tassin, parlant de cette substitution de l'action par l'agir, déclare que « le domaine politique réglé sur l'action est le domaine de l'inachèvement, de la fragilité [mais], celui de la technique commandé par la poésis est le domaine de la maîtrise. »109(*)

Cette tentative de remplacer l'agir par le faire est manifeste dans les réquisitoires contre la démocratie, par le fait même, contre la politique. C'est la raison pour laquelle d'aucuns ont opté pour l'autorité d'un seul (la monarchie) dans ses nombreuses ramifications depuis la franche tyrannie d'un homme dressé contre tous, jusqu'au despotisme bienveillant et à ces sortes de démocraties dans lesquelles le grand nombre forme un corps collectif, le peuple étant "plusieurs en un" et se constituant en "monarque".110(*) Hannah Arendt pense que la solution platonicienne du « roi-philosophe » n'est pas loin de la tyrannie comme gouvernement d'un seul.

Pour elle, la caractéristique de toutes les évasions de la politique est le concept de gouvernement. Autrement dit, les hommes ne peuvent vivre ensemble légitimement et politiquement que lorsque les uns sont chargés de commander et les autres contraints d'obéir. Hannah Arendt affirme que c'est dans cette affirmation que l'on retrouve le lieu commun qui est présent dans les pensées d'Aristote et de Platon chez qui « toute communauté politique est faite de ceux qui gouvernent et de ceux qui sont gouvernés. »111(*)

La substitution du faire à l'agir accompagne aussi la dégradation de la politique devenue un moyen pour une fin. Cette tentative a été présente dans l'antiquité avec la protection des bons contre le règne de mauvais, au Moyen-Âge avec le salut des âmes, et à l'époque moderne dans la productivité et dans le progrès social. C'est vraiment l'époque moderne qui a défini l'homme comme homo faber, dont la tâche est de fabriquer les outils et de produire des objets durables. C'est ainsi qu'on a interprété l'agir en termes de faire. « Il a fallu l'âge moderne, convaincu que l'homme ne peut connaître que ce qu'il fait, que ses facultés prétendument supérieures dépendent du faire et qu'il est donc avant tout homo faber et non animal laborans ».112(*)

Retenons ici que la substitution du faire à l'agir n'est pas le trait caractéristique de l'époque moderne mais une disposition déjà présente chez Platon et Aristote : « Platon et Aristote ont tendance à inverser les rapports entre l'oeuvre et l'action en faveur de l'oeuvre. »113(*)

* 106 Idem., p. 11.

* 107 Idem., p. 144.

* 108 Tassin, Le trésor perdu, Hannah Arendt. L'intelligence de l'action politique, p. 232.

* 109 Idem, 235

* 110 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 248.

* 111 Idem., p. 249.

* 112 Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, p. 256.

* 113 Idem., p. 332.

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