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Place des vicimes devant la justice pénale internationale

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par MABIALA J. Alain
Université d'Evry Val d'Essonne - 3ème cycle en droits de l'homme et droit humanitaire 2007
  

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De la consécration progressive de la place de la victime devant la juridiction pénale internationale

Dans la procédure d'inspiration anglo-saxonne que pratiquent les deux tribunaux ad hoc, la victime est, selon la formule de Claude Jorda, président du TPIY, « comme une balle de ping-pong » que se renvoient le procureur et les avocats de la défense, lors des interrogatoires et des contre-interrogatoires. Pour autant, la consécration de la place de la victime devant la justice pénale internationale fut longue et progressive tant au niveau des textes protecteurs qu'au sein des premiers procès internationaux. Du projet Moynier aux Tribunaux ad hoc (chapitre I), il a fallu attendre la décision du 17 janvier 2006 de la Chambre préliminaire I de la CPI examinant la situation en République démocratique du Congo pour que la victime ait, de façon pratique, un régime spécifique devant la justice pénale internationale (Chapitre II).

Du projet Moynier à la Haye en passant par les Tribunaux ad hoc

L'histoire des différentes guerres montre une évolution constante du nombre de victimes; et ce, parmi les populations civiles. Le projet Moynier de juridiction pénale internationale marque, en 1872, la première volonté de prise en considération de la victime puisque l'article 7 §1 de ce texte prévoit la possibilité d'accorder une indemnité aux victimes de guerre32(*).

Néanmoins, les premiers pas de la justice pénale internationale ont davantage été marqués par la priorité accordée à l'établissement de la culpabilité de l'accusé, sans aucun égard envers ses victimes. Pour s'en convaincre, lors du premier procès international, à Nuremberg, les procureurs anglais et américains n'ont appelé à témoigner aucune des victimes du régime nazi. Aussi, les premiers traités de droit international humanitaire - particulièrement les 4 conventions de Genève du 12 août 1949 - protégeaient les victimes de crimes internationaux mais ne stipulaient aucun droit au déclenchement d'une action judiciaire, ni aucune possibilité d'intervention au cours d'un procès et encore moins de droit à indemnisation33(*).

C'est à partir des années 60 que les victimes se virent reconnaître un rôle actif et non plus passif face aux crimes qu'elles subissaient. Des textes universels ou des conventions régionales ont progressivement consacré certains droits propres aux victimes34(*). Un mouvement rassemblant nombre d'intellectuels et d'ONG, sous l'influence de la doctrine pénale de la « défense sociale », militait pour une telle évolution. Enfin une reconnaissance majeure des droits des victimes interviendra avec la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes de l'abus de pouvoir de 198535(*).

Au regard des dispositions pertinentes du Statut de Rome inhérentes à la place des victimes, les statuts des Tribunaux ad hoc sont plutôt décevants36(*). La place réservée à la victime dans ces premières juridictions pénales internationales depuis Nuremberg ne correspond pas aux espérances37(*). Au sein des statuts, une seule disposition intitulée « Protection des victimes et des témoins », traite de la place de la victime, en renvoyant simplement au Règlement de procédure et de preuve38(*). Ce dernier ne les autorise à participer personnellement à la phase judiciaire.

Si le Procureur représente officiellement les victimes, sa volonté d'aller vite est parfois contradictoire avec leurs intérêts. Elles ne peuvent non plus recevoir de réparation ou de compensation aux souffrances endurées39(*). A cet égard, une Section d'aide aux victimes et aux témoins fut mise en place afin d'abord de garantir la sécurité des témoins et ensuite de proposer une aide tant logistique que psychologique.

Une telle absence de dispositions plus favorables aux victimes s'explique par la volonté d'agir rapidement et de se focaliser ainsi sur le châtiment des coupables, alors que nombreux étaient ceux qui dénonçaient la passivité des grandes puissances face à la purification ethnique en ex-Yougoslavie ou face au génocide Rwandais40(*).

Les victimes étaient ainsi appréhendées non comme un objectif majeur de la répression mais comme un moyen d'établir la culpabilité des accusés, le parquet disposant de moins de preuves formelles que son prédécesseur à Nuremberg.

On comprend ainsi toutes les précautions prises par les Tribunaux ad hoc à l'égard des témoignages41(*). Cependant et reconnaissons-le que les tribunaux ad hoc ont été les laboratoires de la Cour pénale internationale. La Cour pénale internationale est le fruit d'un contexte bien particulier sinon unique42(*).

La volonté de construire un « nouvel ordre mondial», de dépasser l'équilibre westphalien fondé sur les souverainetés étatiques ou d'oeuvrer à une communauté universelle fondée sur des valeurs humanistes. Contrairement aux statuts des TPI portés par les diplomates au sein du Conseil de sécurité, la Cour pénale internationale fut plus directement négociée par la société civile.

Ainsi l' « esprit de Rome43(*) » marque une rupture dans la place que les victimes occupent devant la justice pénale internationale44(*). Car en fait, devant les tribunaux ad hoc, ainsi, la victime n'a pas une place reconnue en tant que telle. Elle n'a droit ni à aucune indemnisation, ni réparation, si ce n'est la restitution de biens volés. La victime n'existe qu'en tant que témoin, le plus souvent de l'accusation. Cette difficulté de se constituer partie civile produit des effets pervers. Pour s'en, convaincre, lors du procès au TPIY de l'ex-président serbe, Slobodan Milosevic, des victimes, citées à comparaître comme témoins, n'ont même pas pu relater leur traumatisme car instrumentalisées par le procureur pour valider tel ou tel point précis de l'accusation, avant d'être soumises à une kyrielle de questions du contre-interrogatoire que menait l'accusé en personne, puisqu'il était son propre et seul avocat.

Du régime spécifique accordé aux victimes par la Cour pénale internationale

Le Statut de la Cour pénale internationale accorde, pour la première fois dans l'histoire du droit pénal international une place substantielle aux victimes. En effet, le régime particulier accordé aux victimes par le Statut de Rome est apprécié de manière extensive :

Aux fins du Statut et du Règlement :

a) Le terme « victime » s'entend de toute personne physique qui a subi un préjudice du fait de la commission d'un crime relevant de la compétence de la Cour;

b) Le terme « victime » peut aussi s'entendre de toute organisation ou institution dont un bien consacré à la religion, à l'enseignement, aux arts, aux sciences ou à la charité, un monument historique, un hôpital ou quelque autre lieu ou objet utilisé à des fins humanitaires a subi un dommage direct45(*).

Précisément, les victimes vont pouvoir alimenter leur quête de vérité en interrogeant les témoins, bénéficiant d'une écoute inestimable en s'exprimant devant la Cour, obtenir du coupable une réparation avec, le cas échéant, l'aide de l'institution. De nouveaux standards de participation, de protection et d'indemnisation qui étaient jusqu'alors absents de la justice pénale internationale vont ainsi bénéficier aux victimes. L'Unité spécialisée de la participation des victimes et des réparations a été chargée de réguler l'ensemble de ces dispositions progressistes.

Une participation effective des victimes a comme corollaire la nécessité de leur accorder une protection conséquente. Aussi, le régime de Rome leur octroie l'aide d'un représentant et des garanties de sécurité que nous développerons dans la deuxième partie relative à l'intervention de la victime dans la procédure. En conséquence, tout au long de leurs démarches, les victimes bénéficient de l'aide et du soutien du Bureau du conseil public pour les victimes crée le 19 décembre 2005.

Parallèlement, le Statut de Rome prévoit un fonds d'affectation spéciale au profit des victimes46(*). Le Fonds a pour objet de transmettre les indemnités. Il s'agit de garantir que les victimes auront la possibilité de bénéficier d'une indemnité leur permettant de mieux faire face à leurs difficultés matérielles ou psychiques. Cela constitue, incontestablement, une avancée remarquable.

De l'intervention de la victime dans la procédure

La CPI comporte deux aspects révolutionnaires pour les victimes, qui ont été acquis de haute lutte durant les négociations du Statut à Rome : la participation des victimes au procès et le droit à des réparations. Ainsi, le régime spécifique accordé à la victime dans le procès pénal international nous pousse à examiner son intervention dans la procédure ; et ce, avant (Chapitre I), pendant (II) et après (Chapitre III) le procès. D'autant qu'il était donc essentiel que les victimes soient au coeur de l'action de la CPI à tous les stades de la procédure.

Avant le procès

Dans le Statut Rome créant la CPI, il est prévu explicitement que le procureur peut engager des enquêtes sur des renseignements fournis par la victime ou par des ONG de défense des droits humains. C'est l'article 15 du Statut de Rome. Cet article dispose que :

« Le Procureur peut ouvrir une enquête de sa propre initiative au vu de renseignements concernant des crimes relevant de la compétence de la Cour. Le Procureur vérifie le sérieux des renseignements reçus. À cette fin, il peut rechercher des renseignements supplémentaires auprès d'États, d'organes de l'Organisation des Nations Unies, d'organisations intergouvernementales et non gouvernementales, ou d'autres sources dignes de foi qu'il juge appropriées, et recueillir des dépositions écrites ou orales au siège de la Cour ».

De ce fait, la victime peut donc inciter le procureur à ouvrir une enquête (section I). Sachant que la victime ne peut pas saisir directement la Cour (section II). Cependant, la victime doit être tenue au courant, sans délai, si le procureur venait à décider de ne plus ouvrir d'enquête. La notification de cette décision à la victime doit être motivée (section III).

De l'incitation de la victime d'ouvrir une enquête par le procureur

Personne n'est mieux placé que les victimes et les ONG pour connaître la réalité des crimes de masse ainsi que l'identité présumée de leurs auteurs. Le Haut- Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU estime que 90% des informations sur les violations massives des droits humains émanent d'ONG, elles mêmes en contact direct avec des victimes. Dans la finalité aussi bien que dans les modalités de mise en oeuvre de la justice internationale, il y a une convergence d'intérêts qui est donc reconnue entre le procureur et les victimes (Cf. article 15 du Statut de la CPI).

Ici, il s'agit de l'ouverture d'une enquête. Cela ne signifie nullement que la plainte est recevable, ni que la Cour est compétente. L'article 15-4 précise, en effet, que le dernier mot reviendra à la Cour en vertu de l'article 17 car "La compétence de la CPI est complémentaire de celle des juridictions nationales".

Le procureur lui-même doit obtenir l'accord de la Chambre préliminaire pour ouvrir une instruction. La Chambre préliminaire est généralement composée de trois juges, mais peut aussi statuer avec un seul juge selon les conditions des articles 39-2b, iii et 57-2b. La Chambre préliminaire a pour mandat d'encadrer le procureur et de s'assurer qu'il n'ouvre pas d'enquêtes sans justification. Si le procureur entend ouvrir une instruction et en demander l'autorisation à la Chambre préliminaire, il en avertit les victimes, que ce soit individuellement ou collectivement. Il peut les avertir aussi via les organisations de victimes ou leur avocat. Les victimes peuvent adresser des représentations écrites à la Chambre préliminaire pour faire valoir leur point de vue et inciter celle-ci à donner son autorisation. La Chambre peut alors leur demander de plus amples renseignements ainsi qu'au procureur. Elle peut également tenir une audience. La Chambre préliminaire autorise ou non l'ouverture de l'enquête par une décision motivée, c'est-à-dire argumentée, qu'elle communique aux victimes qui lui ont exposé leur point de vue (règle 50). En cas de refus d'autorisation, le procureur peut faire une nouvelle demande « en se fondant sur des éléments de preuves nouveaux ayant trait à la même situation ». Les victimes ont donc tout intérêt à transmettre au procureur tous éléments de faits et de preuves nouveaux au sujet de la même affaire, puisque rien n'interdit à celui-ci de les examiner à plusieurs reprises (article 15-6).

En clair, cette phase de la procédure ne donne à la victime aucun droit de saisir « directement » la Cour.

De l'impossibilité de saisir directement la Cour par la victime

Le droit de déposer des preuves de la commission de crimes auprès du procureur de la CPI ne signifie pas que les victimes puissent saisir directement la Cour. Dans certains systèmes juridiques - tels celui de la France - il existe pourtant cette possibilité de se constituer partie civile. En effet, il s'agit précisément de l'article 85 du code de procédure pénale : les victimes peuvent déclencher par voie d'action des poursuites en agissant devant le doyen des juges d'instruction, même si le procureur est opposé à de telles poursuites.

En revanche, dans le Statut de la CPI, seul le procureur peut en principe ouvrir une enquête.

La Chambre préliminaire peut, cependant dans certaines conditions, imposer au procureur d'ouvrir une enquête, notamment à la demande des victimes, lorsque le procureur a refusé de le faire parce qu'il a estimé qu'une enquête ne servirait pas "les intérêts de la justice". Pour parvenir à cette décision, le procureur doit prendre en compte la gravité du crime mais aussi les intérêts des victimes. Cette décision du procureur sera notifiée aux victimes (Cf. section suivante relative à l'obligation d'informer la victime) en vertu de la règle 92 du Règlement de procédure et de preuve qui pourront déposer des observations devant la Chambre préliminaire pour que celle-ci impose au procureur l'ouverture d'une enquête.

Le cas le plus intéressant, qui n'a pas de réponse claire dans le Statut, est celui de l'inaction du procureur. La question qui se pose est celle de savoir si les victimes peuvent dans certains cas se plaindre d'un refus du procureur. Mais que va-t-il se passer si le procureur ne répond pas ?

Il faut ici se souvenir que la Chambre préliminaire a été créée pour contrôler les actions du procureur, particulièrement en ce qui concerne la question de l'ouverture des enquêtes. Les pouvoirs de la Chambre préliminaire sont ici énormes et il n'est pas exagéré de rappeler que l'article 15 du Statut n'aurait jamais été adopté sans l'existence d'un contrôle de toutes les actions du procureur, dans un sens négatif ou positif. Il est donc tout à fait possible qu'un jour soit posée la question devant la Chambre préliminaire, par les victimes, de l'inaction du procureur et du pouvoir de la Chambre préliminaire de contrôler aussi bien l'action que l'inaction de celui-ci. Le pouvoir du procureur d'ouvrir une enquête devant la CPI n'est pas un pouvoir exclusif : c'est un pouvoir prioritaire en ce que le procureur est le premier à décider de la suite à donner aux informations reçues, mais il n'est pas le seul et son pouvoir est soumis, notamment à la demande des victimes, au pouvoir de contrôle de la Chambre préliminaire.

Cependant, quelle qu'en soit sa décision, le Procureur doit informer la victime; et ce, par tout moyen et sans délai.

De l'obligation d'informer la victime

Le procureur peut décider de ne pas ouvrir d'enquête, s'il estime que les renseignements qui lui ont été communiqués ne sont pas suffisants ou ne justifient pas une telle enquête. Il doit alors avertir sans délai ceux qui lui ont transmis les informations et donner les raisons de son refus. La notification doit indiquer la possibilité d'adresser au procureur de « nouveaux renseignements sur la même situation à la lumière de faits ou d'éléments de preuves nouveaux » (règle 49 du Règlement de procédure et de preuve). Si après enquête, le procureur décide de ne pas poursuivre, il informe de sa décision et de ses raisons la Chambre préliminaire et l'Etat qui lui a soumis la situation, ou le cas échéant, le Conseil de sécurité ou une ONG si c'est l'un d'eux qui l'a saisi.

Cette participation de la victime dès le début de l'enquête est une innovation importante qui mérite une attention digne et particulière. Cette reconnaissance de la participation de la victime dès le commencement de l'enquête est, comme avons-nous dit en amont, sans précédent dans « l'univers pénal international ». Certainement, elle s'explique par le lobbying des organisations de défense des droits de l'homme à Rome et le soutien qu'elles ont reçu, à la fois de pays "progressistes" en matière de droit pénal international (comme la France), et de la majorité des Etats à tradition continentale qui connaissent dans leur droit interne le concept de "partie civile", totalement étranger à la Common Law (système juridique anglophone).

Mais au-delà de la mécanique politique qui a permis d'arriver à ce résultat, la justice internationale, si elle vise à "débloquer" des sociétés divisées par la guerre, ne peut plus faire l'impasse sur le rôle décisif que sont amenés à jouer tous ceux qui se considèrent victimes dans la perspective de la reconstruction. L'objectif de la justice internationale n'est pas tant de sanctionner à hauteur de leur incommensurable gravité "des crimes qu'on ne peut ni punir, ni pardonner", selon la formule de l'essayiste Hannah Arendt, mais, à travers le rituel d'un procès, d'individualiser les responsabilités des crimes, afin de lever le soupçon de la culpabilité collective, tout en combattant le révisionnisme et l'impunité, sources de nouvelles haines et violences.

Cette percée s'explique, en définitive, par l'évolution des relations internationales marquées notamment par le rôle désormais reconnu des organisations non gouvernementales (ONG) et la place déterminante qu'occupe la victime dans les mentalités collectives. Ce double changement résulte lui-même d'un ensemble de facteurs de natures très différentes : l'individualisme de plus en plus fort, l'organisation des victimes en groupes de pression, la médiatisation des conflits, qui rend plus concrètes et plus immédiates les souffrances des populations, mais aussi et surtout, l'instrumentalisation politique des "victimes" par des organisations qui y voient une source supplémentaire de légitimité politique dans leur combat.

Quelle est, par ailleurs, la place de la victime pendant le procès ?

Pendant le procès

Le Statut de Rome créant la CPI prévoit, outre la participation de la victime au début du procès, la possibilité pour elle d'intervenir dans la procédure au fond (section I). Par contre une question demeure : les droits de la défense sont -ils respectés ? (section II).

De l'intervention de la victime dans la procédure au fond

D'emblée, il faut reconnaître que l'article 6 (b) de la Déclaration de 1985 prévoyait déjà que le point de vue des victimes devrait être entendu dans la procédure pénale : « En permettant que les vues et les préoccupations des victimes soient présentées et examinées aux phases appropriées des instances, lorsque leurs intérêts personnels sont en cause, sans préjudice des droits de la défense, et dans le cadre du système de justice pénale du pays. »

Aussi, le Statut de la CPI prévoit bel et bien une place pour les victimes, non seulement dans la phase préparatoire mais aussi et surtout dans la procédure au fond. L'article central concernant les victimes est l'article 68 relatif à la Protection et participation au procès des victimes et des témoins. Une véritable ouverture a ainsi été créée pour une intervention dans la procédure. Voici ce que dit cet article :

«3. Lorsque les intérêts personnels des victimes sont concernés, la Cour permet que leurs vues et préoccupations soient exposées et examinées, à des stades de la procédure qu'elle estime appropriés et d'une manière qui n'est ni préjudiciable ni contraire aux droits de la défense et aux exigences d'un procès équitable et impartial. Ces vues et préoccupations peuvent être exposées par les représentants légaux des victimes lorsque la Cour l'estime approprié, conformément au Règlement de procédure et de preuve. »

Conformément au Statut de Rome, les victimes peuvent introduire une demande en vue d'intervenir dans la procédure. Une telle demande sera en principe accueillie par la Chambre si le requérant est réellement une victime au sens du Règlement. Les victimes peuvent se faire représenter individuellement ou collectivement par des avocats ou d'autres conseils. Ceux-ci seront invités aux audiences et recevront de la part du greffe une copie des pièces de procédure. Avec l'article 91 du Règlement de procédure et de preuve, la percée est complète. Cet article prévoit que les conseils des victimes auront en principe le droit d'assister aux audiences. Dans des circonstances exceptionnelles seulement, la Chambre pourra limiter l'intervention de ces conseils aux plaidoiries ou au dépôt de conclusions.

Toutefois, si, dans les débats sur la question de la culpabilité, les droits des représentants des victimes sont encore quelque peu limités par rapport à ceux de la défense, ces limites disparaissent complètement dans la phase de la procédure où est plaidée l'indemnisation du préjudice. Dans cette perspective, les droits de la défense sont-ils observés pendant un procès auquel la victime est confrontée ?

De la victime et les droits de la défense

Le Statut de Rome, en accordant un certain nombre des garanties à la victime, porte atteinte aux droits de la défense des accusés. Tel est le cas non seulement du témoignage anonyme, mais aussi de l'interrogatoire à distance ou des limites apportées à l'interrogatoire de victimes de crimes sexuels.

En effet, le témoignage anonyme est source de conflits entre deux droits fondamentaux.

D'un coté, la nécessité d'accorder une protection à l'égard des victimes et des témoins et de l'autre, celle d'assurer un procès équitable à l'accusé. Cela implique que celui-ci puisse prendre connaissance de l'intégralité du dossier et interroger ou de faire interroger les témoins à charge. La CPI a prévu à la règle 87 du Règlement de procédure et de preuve un ensemble de moyens garantissant l'anonymat, tout en respectant les droits de l'accusé.

Les conditions et les modalités pratiques pour bénéficier d'un témoignage sous anonymat sont laissées à l'appréciation de la Cour. Les audiences peuvent être tenues à huis clos dans l'intérêt des victimes, en particulier les enfants et les victimes d'abus sexuels. Ils peuvent être interrogés par vidéoconférence. Quand la sécurité d'un témoin ou de sa famille est menacée, le procureur peut retenir certaines preuves et en communiquer uniquement un résumé. L'identité de certains témoins peut être écartée du dossier public. De telles mesures doivent cependant être compatibles avec les droits de l'accusé à un procès équitable.

Les témoins peuvent aussi introduire eux-mêmes une demande de protection auprès de la Chambre, y compris une demande d'anonymat.

Ainsi, la règle 87 prévoit une série de mesures pour protéger les témoins et les victimes:

? La suppression du nom de la victime, du témoin ou de toute autre personne menacée, des procès-verbaux de la Chambre rendus publics ;

? L'interdiction au procureur, à la défense ou à toute autre personne participant à la procédure de révéler de telles informations à un tiers ;

? L'utilisation de moyens électroniques ou autres moyens spéciaux pour altérer l'image et la voix et le recours à la vidéoconférence et à la télévision en circuit fermé et d'autres méthodes techniques ;

? Le recours à un pseudonyme pour désigner une victime, un témoin ou toute autre personne menacée ;

? Le recours à une procédure tenue à huis clos partiel.

Toutefois, la nature des crimes jugés par les juridictions internationales ne peut pas justifier qu'on réduise substantiellement les droits de l'accusé. Au contraire, la justice pénale internationale doit être exemplaire aussi pour ce qui concerne les droits de la défense. Il y a lieu, de ce fait, de prendre en considération le fait que la procédure devant la CPI ne sera pas purement accusatoire, et que le procureur aura aussi l'obligation d'instruire à décharge, ce qui compense en partie certaines mesures qui pourraient paraître restrictives par rapport aux droits de la défense. Enfin, c'est la Cour qui devra toujours chercher l'équilibre entre les intérêts des personnes en cause (accusés, victimes et témoins) et ceux de la justice elle-même. Et ce, même après le procès.

Après le procès

C'est à travers l'indemnisation du préjudice encouru (section I) et la protection voire la sécurité de la victime (section II) qu'il incombe d'appréhender l'après-procès; d'autant plus que :

« Les crimes de masse par leur nature même nécessitent souvent la participation directe ou indirecte d'individus, dont certains détiennent des postes gouvernementaux ou des responsabilités militaires »47(*).

De l'indemnisation du préjudice encouru

Déjà, le 12 octobre 2000, le président du TPIY a adressé au secrétaire général des Nations Unies un rapport détaillé sur le problème de l'indemnisation des victimes et de leur participation aux procédures, qui plaide pour la création d'un fonds d'indemnisation, avec un renvoi explicite à la Commission d'indemnisation des Nations Unies. Mais, on peut se demander s'il y a, en droit international, une base juridique pour les demandes directes d'indemnisation des victimes, les victimes de crimes de guerre étant traditionnellement renvoyées à l'intervention de leur État pour éventuellement négocier une indemnisation. Ici encore, c'est la Déclaration de l'Assemblée générale de 1985 qui a introduit dans le droit international la notion d'un droit personnel à l'indemnisation du préjudice. Aujourd'hui, il est généralement admis que les victimes de crimes internationaux peuvent prétendre à une indemnisation. Le rapport final que le rapporteur spécial a présenté à la Commission des droits de l'homme en 1999 met en évidence le droit des victimes de crimes internationaux aux formes suivantes de réparation : indemnisation, réadaptation, satisfaction et garanties de non renouvellement48(*). La Commission d'indemnisation des Nations Unies est une application claire de ce principe, fût-ce dans le cadre de crimes contre la paix.

Le Statut de la Cour pénale internationale prévoit la possibilité d'accorder une indemnité aux victimes. Selon son article 75 :

«1. La Cour établit des principes applicables aux formes de réparations, telles que la restitution, l'indemnisation ou la réhabilitation, à accorder aux victimes ou à leurs ayants droit. Sur cette base, la Cour peut, sur demande, ou de son propre chef dans des circonstances exceptionnelles, déterminer dans sa décision l'ampleur du dommage, de la perte ou du préjudice causé aux victimes ou à leurs ayants droit, en indiquant les principes sur lesquels elle fonde sa décision.

2. La Cour peut rendre contre une personne condamnée une ordonnance indiquant la réparation qu'il convient d'accorder aux victimes ou à leurs ayants droit. Cette réparation peut prendre notamment la forme de la restitution, de l'indemnisation ou de la réhabilitation. Le cas échéant, la Cour peut décider que l'indemnité accordée à titre de réparation est versée par l'intermédiaire du Fonds visé à l'article 79. »

Cette disposition constitue une avancée considérable. Elle prévoit non seulement la réparation matérielle mais aussi la restitution et la réhabilitation. De plus, il s'agira d'une compétence de la Cour elle même, qui pourra estimer le dommage à réparer sans même qu'une demande spécifique soit formulée. La condamnation peut être prononcée à charge du prévenu, mais la Cour peut également octroyer une indemnisation à charge d'un fonds qui sera alimenté par des amendes ainsi que par le produit de biens confisqués, et complété par des contributions volontaires49(*). Les États parties au traité sont tenus non seulement d'exécuter sur les biens du condamné une condamnation à des dommages et intérêts, mais aussi de collaborer avec la Cour en vue de localiser ces biens50(*).

Malheureusement, le Statut ne prévoit pas la condamnation des complices ou de ceux qui donnent les instructions, lesquels peuvent être éventuellement des personnes morales ou même des Etats51(*). Toutefois, une décision de la CPI revêtue de l'autorité de la chose jugée lie les États nationaux et peut, lorsque le droit interne le permet, constituer la base de procédures à charge de tiers (notamment devant un tribunal civil). Enfin, l'article 75, paragraphe 6, dispose que l'indemnisation obtenue devant la CPI ne peut porter préjudice aux droits que le droit interne reconnaît à la victime.

En conséquence, les victimes ont droit à des réparations (article 75 du Statut). Cet article consacre la place centrale accordée par le droit international à l'individu victime de crimes internationaux.

Un rappel historique s'impose. Car, lorsque des avoirs de l'ex-président serbe, Slobodan Milosevic, furent saisis en Suisse en juin 1999 (comme c'est le cas récemment de la confiscation des biens de Jean Pierre BEMBA, arrêté à Bruxelles pour enrôlement d'enfants et crime contre l'humanité52(*)), aucune victime n'a eu droit à une indemnisation.

Cette décision d'accorder des réparations est le fruit d'une proposition française soutenue par les Etats scandinaves et fortement appuyée par les ONG. De manière plus large, elle résulte aussi de la volonté de corriger les causes du malaise ressenti au sein du TPIR, s'agissant du traitement des victimes.

L'absence de toute réparation devant le TPIR ajoutée au fait que les détenus sont traités selon les normes internationales de protection les plus élevées avaient créé une asymétrie choquante dans le processus de justice. Ainsi, les femmes violées touchées par le virus du sida n'ont pas droit à un traitement médical, alors que les prévenus et condamnés, qui les ont contaminées, bénéficient, eux, d'une trithérapie aussi longtemps qu'ils restent en prison. Cette réalité choquante a contribué - parmi bien d'autres facteurs - à limiter l'impact de la justice internationale auprès des victimes rwandaises du génocide. Le cas du Rwanda montre aussi, devant l'immensité de la tragédie et la pauvreté des ressources pécuniaires disponibles, l'impossibilité d'offrir une réparation substantielle aux centaines de milliers de victimes. Forts de ces enseignements, les Etats ont revisité les règles existantes en matière de réparation à l'occasion de la rédaction du Statut de la CPI. Ils ont à la fois décidé d'accorder des réparations, tout en limitant pratiquement leur étendue. Les rédacteurs du Statut n'ont pas retenu la responsabilité pécuniaire des Etats, ni celle des sociétés (les « personnes morales »).

La CPI ne pourra poursuivre que des individus, mais non les Etats et les entreprises.

La Cour peut donc d'elle-même et sans qu'une demande spécifique ait été formulée, fixer le dommage à réparer. La condamnation peut être prononcée à charge du prévenu, mais la Cour peut également octroyer une indemnisation à charge d'un fonds qui pourra être alimenté « par des amendes ainsi que par le produit de biens confisqués » (article 79-2 du Statut : « la Cour peut ordonner que le produit des amendes et des biens confisqués soit versé au fonds »), et sera complété par des contributions volontaires.

L'incertitude demeure sur la capacité du Fonds d'indemnisation à effectivement être en mesure de payer des réparations aux victimes, dans le cas où les personnes condamnées sont insolvables.

La Cour a l'obligation de donner « une publicité adéquate des mesures en réparation » (règle 96) pour que le plus grand nombre de victimes soit en mesure de faire valoir leur demande. Si le nombre de victimes est très élevé, la Cour peut accorder une réparation collective (règle 97-1). La Règle 97 dit :

« 1. Compte tenu de l'ampleur du dommage, de la perte ou du préjudice, la

Cour peut accorder une réparation individuelle ou, lorsqu'elle l'estime appropriée, une réparation collective, ou les deux.

2. La Cour peut soit d'office, soit à la demande des victimes ou de leurs représentants légaux, soit à la demande de la personne reconnue coupable, désigner des experts compétents pour l'aider à déterminer l'ampleur du dommage, de la perte ou du préjudice causé aux victimes ou à leurs ayants droit et pour suggérer diverses options en ce qui concerne les types et modalités appropriés de réparation. Le cas échéant, la Cour invite les victimes ou leurs représentants légaux et la personne reconnue coupable ainsi que les personnes et Etats intéressés à faire des observations sur les expertises (...). »

Les Etats conviennent d'exécuter les décisions de la Cour à propos des réparations. Dans certains cas, les Etats seront également tenus, aux termes du droit international ou de leur législation interne, de veiller à l'indemnisation des victimes, parce que le condamné n'est pas en mesure de le faire ou parce que l'Etat est également responsable du crime commis.

Dans le Statut de la CPI, l'article 75 affirme :

« 1. La Cour établit des principes applicables aux formes de réparation, telles que la restitution, l'indemnisation ou la réhabilitation, à accorder aux victimes ou à leurs ayants droit. Sur cette base, la Cour peut, sur demande, ou de son propre chef dans des circonstances exceptionnelles, déterminer dans sa décision l'ampleur du dommage, de la perte ou du préjudice causé aux victimes ou à leurs ayants droit, en indiquant les principes sur lesquels elle fonde sa décision.

2. La Cour peut rendre contre une personne condamnée une ordonnance indiquant la réparation qu'il convient d'accorder aux victimes ou à leurs ayants droit. Cette réparation peut prendre notamment la forme de la restitution, de l'indemnisation ou de la réhabilitation. Le cas échéant, la Cour peut décider que l'indemnité accordée à titre de réparation est versée par l'intermédiaire du Fonds visé à l'article 79. »

Toutefois, une interrogation mérite d'être résolue concernant le fonctionnement du Fonds d'indemnisation des victimes. La victime à droit à la réparation mais qui va payer les réparations ? Les criminels condamnés par la CPI ? Les banques, les multinationales et les sociétés nationales qui les ont soutenus ? Les entreprises publiques et semi-publiques qui les soutenaient ou qu'ils dirigeaient directement ou indirectement ? L'Etat ?

En vertu des dispositions du Statut de Rome, seules les personnes physiques devront payer des réparations. L'Etat et les personnes morales (les sociétés) ne réparent pas les dommages causés aux victimes. Cela satisfait des pays occidentaux (notamment les Etats-Unis, la France et même la Suisse) qui redoutent que certaines de leurs entreprises soient entraînées dans des procédures de réparation, parce qu'elles font des affaires avec des régimes dictatoriaux. Des plaintes collectives ont été déposées, par exemple, contre diverses banques suisses et multinationales américaines, accusées d'avoir soutenu le régime d'apartheid en Afrique du Sud. Parallèlement, les sociétés pétrolières françaises (Elf...) sont accusées d'avoir joué un rôle substantiel dans le déclenchement des différentes guerres en Afrique - par exemple la guerre au Congo Brazzaville du 05 juin 1997- .

De la protection et la sécurité de la victime

Comparaître devant la justice pour une victime, qu'elle soit internationale ou nationale, est un exercice difficile. Cela signifie accepter d'évoquer des actes traumatiques, dont en a été la victime directe ou le témoin.

Accepter de comparaître devant la justice signifie parfois aussi risquer sa vie. Pour illustrer cet aspect, citons les témoins potentiels du TPIY qui ont été assassinés. Par exemple, Milan Levar, un témoin clef de l'accusation, de nationalité croate, qui avait accepté de déposer devant le TPIY sur les exactions commises par les forces croates à l'égard de civils serbes, a été assassiné le 29 août 2000. L'enquête sur sa mort n'a jamais abouti, mais personne ne doute qu'elle soit liée à sa décision de témoigner devant le TPIY.

De ce fait, la Cour pénale internationale est responsable de la sécurité, du bien-être physique et psychologique, de la dignité et du respect de la vie privée des victimes, des témoins et de leurs proches. Certains témoins sont soumis à des pressions extrêmement fortes, pouvant émaner aussi bien de ceux qui veulent une lourde condamnation de l'accusé que de ceux qui, au contraire, cherchent à l'exonérer. Ces pressions peuvent aussi prendre la forme de menaces de représailles contre des membres de leur famille, s'ils ne témoignent pas dans le sens voulu. Là encore, l'expérience du TPIY est éloquente.

Dans le procès Tadic53(*), un témoin "L" avait été "préparé" par les autorités bosniaques pour qu'il "charge" l'accusé. Mais les contradictions et les imprécisions de son témoignage ont permis aux juges de découvrir la supercherie.

Dans un autre cas, l'affaire Simic, l'avocat bosno-serbe de l'accusé, n'hésitant pas à recourir à des menaces de mort, avait voulu obliger un témoin à revenir sur sa déposition. Il lui faisait répéter à l'aide d'un enregistreur "la nouvelle version".

Mais qu'en est-il du soutien aux victimes d'abus sexuels ?

Ce n'est que ces dix dernières années que le droit international, notamment à travers le génocide au Rwanda et les conflits de l'ex-Yougoslavie, a pris la mesure des viols et des violences sexuelles qui s'y sont produits. Les femmes en sont les premières victimes, mais les hommes sont aussi concernés. Sur 600 témoins interrogés par le TPIR dans la période 1999-2000, 113 avaient été confrontés à des délits de violences sexuelles54(*). Pourtant, en dépit de la gravité de ces actes, les juges du TPIR ont quelquefois manqué de tact, voire de respect à l'égard de personnes abusées.

Conscients de ces problèmes, le Statut de Rome a chargé le greffier d'un rôle capital : celui d'aider, de conseiller et de protéger les victimes. Pour accomplir sa tâche, le greffier s'appuie sur "la Division d'aide aux victimes et aux témoins". Le greffier qui doit être "de haute moralité" (exigence non requise dans les Statuts du TPIY et du TPIR) joue un rôle important pour les victimes et les témoins.

Conformément aux dispositions de l'article 43-6, le greffier de la CPI a mis sur pied une « division chargée, en consultation avec le Bureau du procureur, de conseiller et d'aider de toute manière appropriée les témoins, les victimes qui comparaissent devant la Cour  et les autres personnes auxquelles les dépositions de ces témoins peuvent faire courir un risque, ainsi que de prévoir les mesures et les dispositions à prendre pour assurer leur protection et leur sécurité ».

En somme, sous la responsabilité du greffier, la Division d'aide aux victimes et aux témoins assure la sécurité et la protection des victimes et des témoins ou de toute personne mise en danger par leurs déclarations à la Cour. Elle doit aussi mettre en garde le procureur et la Cour sur les dangers encourus par les victimes et les témoins qui ont accepté de déposer. Le droit à la protection s'étend à toutes les personnes (membres de la famille, par exemple) qui peuvent être menacées suite à une comparution devant la Cour.

Cependant et de ce qui précède, pourquoi certains pays, pourtant partie au Statut de Rome créant la CPI, hésitent d'intégrer certaines dispositions du dit Statut dans leur législation interne, dispositions favorables à la reconnaissance de la place de la victime devant la justice pénale internationale ? Est-ce pour des raisons politiquement égoïstes ? La politique et la justice ne sont-elles pas deux domaines sémantiquement indépendants ? Dans un monde où la souffrance de l'autre n'est que relative, la place accordée à la victime par la CPI se trouve altérer par le comportement des Etats.

Ainsi, en se rapprochant des Etats et de l'ONU, les droits des victimes subissent les avatars du système westphalien se manifestant par des Etats qui détournent l'objectif poursuivi par la justice internationale, celui de redonner une dignité aux victimes de la folie humaine et des crimes internationaux les plus graves.

I

De la nécessité d'intégration « effective » du Statut de Rome dans la législation interne des Etats parties.

Le Statut de Rome créant la CPI fait une obligation aux Etats Parties de coopérer avec la Cour (section 1). Cette coopération doit se faire « pleinement » en vertu du chapitre IX. Relatif à la « coopération internationale et assistance judiciaire » du Statut de Rome.

Malheureusement, les Etats privilégient leurs propres intérêts en votant des lois fantaisistes55(*), contribuant à freiner l'évolution de la justice pénale internationale. Car, l'impunité dont jouissent certains auteurs des crimes graves - protégés par certains Etats - constitue un obstacle substantiel à la réalisation « effective » de l'objectif poursuivi par la CPI, celui de restaurer ce qui a été brisé par les crimes les plus graves. Découle, alors, l'inapplicabilité de certaines dispositions (dispositions inhérentes à la place accordée à la victime) du Statut de Rome par les Etats à travers l'impunité des auteurs de crimes les plus graves (section 2).

De l'obligation de coopération des Etats avec la CPI

Conformément aux dispositions du présent Statut, article 86 Obligation générale de coopérer, les États Parties coopèrent « pleinement » avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu'elle mène pour les crimes relevant de sa compétence

Cet article 86 du Statut pose l'obligation pour les Etats Parties de coopérer pleinement avec la Cour. Aucune force de police n'ayant été créée par le Traité de Rome, il appartient aux Etats d'exécuter les décisions de la Cour relatives aux enquêtes, aux poursuites et à l'exécution des peines. L'effectivité de la CPI repose donc sur la capacité et la volonté des Etats à coopérer.

En effet, aucun mécanisme contraignant n'a été instauré. L'article 87, relatif aux demandes de coopération, précise que si un Etat ne satisfait pas une demande de coopération de la Cour, celle-ci peut en référer à l'Assemblée des Etats Parties ou au Conseil de sécurité (dans les cas où c'est celui-ci qui a saisi la Cour). L'Assemblée n'a cependant aucun pouvoir coercitif pour contraindre les Etats récalcitrants à coopérer.

Corrélativement, si la Cour sollicite la coopération d'un Etat non Partie au Statut, celui-ci peut signer un arrangement ad hoc, afin de fixer les modalités de sa coopération. Cependant, pour coopérer avec un Etat qui n'est pas partie au Statut en l'absence de tout arrangement, la Cour est totalement démunie.

De l'impunité des auteurs des crimes graves et l'inapplicabilité de certaines dispositions du Statut de Rome relatives à la victime.

Certains Etats  laissent supposer une enquête difficile lorsqu'ils ne veulent pas ou tout simplement hésitent d'appliquer certaines dispositions du Statut de Rome créant la CPI. En outre, les obstacles les plus couramment rencontrés à l'exercice effectif de poursuites sont attachés aux suspects (auteurs de crimes) à savoir : l'amnistie, la grâce et les immunités.

Nos propos porteront spécialement sur l'immunité qui est la protection juridique, les garanties accordées à un individu pour le protéger dans les actes qu'il accomplit dans l'exercice de ses fonctions. C'est cette immunité dont bénéficient certains auteurs des crimes les plus graves qui fait que la victime ne puisse guère faire valoir tous ses droits et garanties devant la justice pénale internationale.

Alors que, le droit international ne reconnaît pas ces immunités lorsque la personne a commis des crimes graves de droit international comme la torture, les crimes de guerre, génocide et/ou les crimes contre l'humanité.

Cependant et depuis toujours, une pratique internationale, d'ailleurs encore largement en vigueur, reconnaissait une immunité totale aux chefs d'Etat en exercice56(*). Cela explique pourquoi les plus grands dictateurs, auteurs des crimes les plus graves, pouvaient continuer à circuler dans n'importe quel Etat sans avoir à répondre de leurs actes ni à s'en inquiéter57(*).

Cela dit, cette pratique internationale de « libre circulation » et donc cette impunité des criminels lorsqu'ils occupent une fonction étatique constitue une violation du principe de la compétence universelle. Ce principe de la compétence universelle a, par ailleurs, été repris par le Statut de la Cour pénale internationale, adopté à Rome le 17 juillet 1998, dans son article 27 :

« 1. Le présent Statut s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'Etat ou de gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de représentant élu ou d'agent d'un Etat, n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine.

2. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne ».

Ce principe est d'une importance particulière puisqu'il fait de la CPI une instance judiciaire digne et crédible pour les victimes des crimes internationaux.

En outre, l'immunité reconnue aux chefs d'Etat ne paraît pas s'appliquer en matière de crime de droit international, tels les crimes de guerre, les crimes contre la paix ou les crimes contre l'humanité. L'immunité d'un chef d'Etat, même en exercice, ne devrait jamais être opposée, puisqu'elle aboutirait à ce qu'il n'y ait pas d'effectivité possible du Statut de Rome créant la CPI et partant des conventions internationales de défense des droits de l'homme, qui deviendraient simplement des déclarations d'intention, sans force contraignante, et contraires aux lois et principes essentiels de l'humanité. Quel gâchis pour les avancées significatives de la justice pénale internationale et pour les victimes des crimes internationaux !

En définitive, le principe de la compétence universelle devrait rester, malgré les entraves souvent rencontrés, un véritable instrument pour lutter contre l'impunité afin que la victime puisse se voir reconnaître une place qui lui est accordée devant la justice pénale internationale. Il constitue un instrument légal très intéressant pour dépasser un des concepts clefs du droit international, à savoir : le concept de la souveraineté des Etats. Ce concept paralyse l'applicabilité effective des normes internationalement reconnues par les Etats eux-mêmes.

En reconnaissant aux Etats le caractère universel de leur juridiction pour certains actes considérés comme particulièrement graves par la communauté internationale, on met ainsi à mal l'écran protecteur de la souveraineté des Etats en lui préférant une exigence morale qui est le droit qu'a toute victime de voir l'acte particulièrement odieux qui l'a meurtri, être puni.

Dans une société internationale tellement attachée à ce concept de souveraineté, le principe de compétence universelle fait, donc, valablement figure novatrice. Mais une question demeure : pourquoi les Etats continuent de violer les règles qu'eux-mêmes ont librement consenties ? Disons simplement pour terminer que, pour la sauvegarde des droits humains inhérente aux crimes les plus graves (crime contre l'humanité, crime de guerre, génocide...), c'est politiquement inacceptable et inadmissible, juridiquement inapplicable et humainement insupportable58(*).

Il est vrai que les crimes perpétrés ailleurs que sur le territoire de compétence des tribunaux pénaux internationaux ad hoc et avant l'entrée en vigueur du Statut de la CPI sont définitivement à l'abri des poursuites internationales. Ceci, malheureusement, écarte nombre de massacres du XXe siècle comme ceux liés au Goulag, aux dictatures sud-américaines, aux dictateurs africains, au régime Khmer Rouge ou encore à la Révolution culturelle chinoise.

Par ailleurs, au niveau national, chaque Etat peut produire des procès correspondant à ses lois. Dans la plupart des cas, ces procès constituent des mascarades ne reconnaissant guère la place des victimes de multiples traumatismes. Avons-nous dit, le régime de la Cour pénale internationale - participation, protection et indemnisation - est sans précédent et constitue potentiellement une première réponse substantielle à ces multiples traumatismes59(*).

Malheureusement et arrêtons-nous une minute au soutien politique et financier des Etats les plus puissants qui affectent le bon fonctionnement de la CPI. On sait que le bureau du procureur dépend, pour bâtir des actes d'accusation, de la coopération des Etats (comme nous venons de le voir en amont). Et là encore, les pays les plus forts, ceux qui disposent de services de renseignements importants dotés notamment de satellites espions, ou de moyens d'écoutes sophistiqués, décideront selon leurs intérêts et leur bon vouloir de transmettre des pièces à conviction au procureur de la CPI.

L'exemple du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie est révélateur : on se souvient encore qu'il a fallu attendre mai 1999 pour que Slobodan Milosevic soit inculpé, car les pays occidentaux rechignaient jusqu'à la guerre du Kosovo à transmettre des preuves qui auraient permis d'inculper celui qui était perçu encore comme le garant de la stabilité des Balkans.

Dans quelle mesure encore, la CPI pourra-t-elle surmonter la farouche hostilité américaine, sans parler de celle, plus discrète, de la Russie60(*) et de la Chine ? Car, sans négliger les profonds obstacles qui demeurent encore à la postérité de cette Cour - une institution marqué par le poids du politique sur le judiciaire - on ne peut que souligner le noble objectif de cette juridiction : celui du pari de la dissuasion dans un monde de prédation.

Dans ce long cheminement vers l'émergence d'une « communauté internationale effective », il parait indispensable que les victimes des crimes internationaux et de la folie humaine se voient reconnaître une première place devant la CPI. Et, cette première place doit, de tout temps, être défendue afin que « justice soit faite », une justice non pas sélective mais plutôt impartiale, efficace et équitable.

* 32 Cf. Moynier, Gustave, « Note sur la création d'une institution judiciaire internationale propre à prévenir et à réprimer les infractions à la Convention de Genève », Bulletin international des sociétés de secours aux militaires blessés, N° 11, 1872, p. 122, Article 7.

* 33 Walleyn, Luc, « Victimes et témoins de crimes internationaux : du droit à une protection au droit à la parole », Revue internationale de la Croix-Rouge, Vol. 84, n° 845, mars 2002, pp. 51-77.

* 34 Voir notamment les articles 2 et 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 qui développent l'article 8 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Voir également la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 ou les articles 3 et surtout 14 de la Convention contre la torture de 1984. Ces différents textes reconnaissent le droit de plainte ou d'indemnisation aux victimes dont les droits fondamentaux ont été violés.

* 35 Cf. Résolution N° 40-34 adoptée par l'Assemblée générale de l'O.N.U., sur le rapport de la Troisième Commission (A/40/881), 29 novembre 1985.

* 36 Les Tribunaux pénaux internationaux pour l'ex Yougoslavie et pour le Rwanda ont été crées par les résolutions 827 (25 mai 1993) et 955 (8 novembre 1994) du Conseil de sécurité des Nations Unies.

* 37 Cf. Maison, Raphaëlle, « La place de la victime », in Ascencio, Hervé, Decaux, Emmanuel et Pellet Alain (dirs.), Droit international pénal, Paris, Pedone, 2000, pp. 779-784.

* 38 Voir les articles 22 et 21 des Statuts du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda.

* 39 La règle 106 ne fait que renvoyer aux juridictions nationales. Cf. Article 106 «Indemnisation des victimes» , Règlement de procédure et de preuves du TPIY (IT/32/Rev.37), disponible sur http://www.un.org/icty/legaldoc-f/index-f.htm

* 40 Voir la formulation explicite de la Résolution 827 ; « Décide par la présente résolution de créer un tribunal international dans le seul but de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire international commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie (...) » (S/RES/827, 25 mai 1993)

* 41 Ici, la jurisprudence des tribunaux a été l'objet de vives critiques. Le zèle avec lequel le TPIY notamment a souhaité protéger le témoignage de la victime a pu aboutir à remettre en cause les garanties de l'accusé au droit à un procès équitable. Voir la possibilité d'assurer l'anonymat des victimes et des témoins reconnu dans l'affaire Tadic (1995), cf. Leigh, Monroe, « Witnesses Anonymity is Inconsistent with Due Process », American Journal of International Law, Vol. 91, 1997, pp. 80-83.

* 42 Fernandez, Julian, « CPI : Genèse et déclin de l' « esprit de Rome », Annuaire Français des Relations Internationales, Vol. VII, 2006, pp. 59-76.

* 43 Ce terme signifie les dispositions du Statut de Rome créant la CPI

* 44 Le Statut de Rome fait ainsi référence dès son préambule aux victimes de violations massives des droits fondamentaux ; « Les Etats Parties au présent Statut, (...) Ayant à l'esprit qu'au cours de ce siècle, des millions d'enfants, de femmes et d'hommes ont été victimes d'atrocités qui défient l'imagination et heurtent profondément la conscience humaine, (...) ». Cf. Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Document des Nations Unies, A/CONF.183/9, 17 juillet 1998 (en vigueur depuis le 1er juillet 2002), Préambule.

* 45 Cf. Règlement de procédure et de preuve de la Cour pénale internationale (ci après Règlement...), Document n° ICC-ASP/1/3, disponible sur www.icc-cpi.int, Règle 85 « Définition des victimes ». Il s'agit d'une victoire pour les O.N.G. mais aussi pour certains Etats, dont la France, qui souhaitait une définition large conforme à la Résolution 40/34 de 1985.

* 46 Cf. Statut de Rome..., Article 79 « Fonds au profit des victimes ».

* 47 Rapport de la Commission de droit international, 1996

* 48 Rapport du Rapporteur spécial C. Bassiouni, Doc. ONU E/CN. 4/2000/62, Annexe no 21

* 49 Statut de la CPI, art. 79

* 50 Ibid., art. 75 (4) et 5.

* 51 C'est généralement le cas lors des conflits. C'est soit l'Etat soit une société qui est derrière la réalisation de la folie humaine.

* 52 Pour plus d'actualité sur l'affaire BEMBA, Cf. le site de la Coalition pour la CPI http://www.iccnow.org/?lang=fr

* 53 Affaire Procureur c/ Dusko Tadic, Aff. N°IT-94-1-A, décision relative à la requête de l'Appelant aux fins de prorogation de délai et d'admission de moyens de preuve supplémentaires du 15 octobre 1998.

* 54 Voir toutes ces informations sur le site du TPIR, http://69.94.11.53/FRENCH/index.htm

* 55 Cf. L'adoption par le Sénat, dans la nuit du 10 au 11 juin 2008, du projet de loi sur la compétence universelle en France. Cette adoption laisse présager deux choses : D'une part, la France ne contribuera pas à la poursuite des auteurs des crimes les plus graves puisqu'il faudra que ces auteurs résident habituellement en France. D'autre part et par conséquent, les victimes ne peuvent pas ou ne pourront plus provoquer les poursuites ou déclencher une enquête contre les crimes les plus graves.

* 56 Rappelons-le, le principe d'immunité a été abrogé par la Cour internationale de justice, dans l'affaire célèbre Yérodia (CIJ du 14 février 2002 sur l'affaire du mandat d'arrêt du 11 avril 2000 opposant la RDC et le Royaume de Belgique).

* 57 C'est le cas de l'affaire du Beach au Congo Brazzaville où les crimes les plus odieux ont été perpétrés et qui bénéficient de la complicité de la France (Cf. mandat d'arrêt international puis relâchement du général J.F NDENGUE par les autorités françaises). La FIDH a dénoncé cette pratique qui entrave la lutte contre l'impunité des plus hauts responsables. Voir le lien sur l'affaire des disparus du Beach : Le droit des victimes à un recours effectif en question  http://www.fidh.org/spip.php?article50&decoupe_recherche=affire%20du%20beach

* 58 C'est pourquoi, par exemple à propos de l'adoption par le Sénat français du projet de loi sur la compétence universelle, la FIDH pense que la France renforce l'impunité des criminels internationaux sur son territoire (Voir le lien http://www.fidh.org/spip.php?article5626) et la Coalition Française pour la Cour Pénale Internationale (CFCPI) voit dans le « texte complaisant » (vote du Sénat) une « incompréhensible résistance de la France à participer avec le reste du monde à la constitution d'un système de justice pénale international, protecteur des crimes les plus graves, ceux qui touchent à l'essence même de l'humanité » .

* 59 Rappelons que c'était seulement en 2006 qu'un banc pour les victimes et leurs représentants légaux était, finalement et pour la première fois, prévus aux fins de résoudre leurs traumatismes causés par la folie humaine.

* 60 Surtout en tenant compte du conflit actuel qui oppose la Géorgie et la Russie : « Donnant suite aux événements survenus récemment en Géorgie et compte tenu d'informations selon lesquelles des crimes relevant de la compétence de la CPI pourraient avoir été commis, Luis Moreno-Ocampo, le Procureur de la Cour, a confirmé aujourd'hui que son Bureau procédait à une analyse de la situation dans ce pays » (Cf., Communiqué de Presse du BdP de la CPI, ICC-OTP-20080820-PR346 FRA, 20 août 2008,) Plus d'informations :

http://www.icc-cpi.int/press/pressreleases/413.html  .

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