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L'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun

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par Etienne KENFACK TEMFACK
Université de Douala-Cameroun - D.E.A. de droit public 2005
  

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    INTRODUCTION GENERALE.

    Le 18 janvier 1996, le Président de la République promulguait la " loi constitutionnelle n° 96-06 portant révision de la constitution du 02 juin 1972". Cette loi allait faire l'objet d'un grand débat1(*) au sein de la doctrine camerounaise, au point de provoquer une scission. A l'origine, la procédure ayant conduit à l'adoption de ce qui est la «Constitution de la République du Cameroun. » Faut-il le rappeler, elle débute le 30 octobre 1991 avec la Tripartite et s'achève le 18 janvier 1996. Cinq ans d'une procédure dont on ne peut ne pas relever la complexité2(*). Pas au sens de la rigidité de la constitution telle qu'exposée par la doctrine, plutôt de la difficulté à la nommer. Procédure de révision ou d'établissement d'une nouvelle Constitution ? Nouvelle Constitution ou révision de la Constitution de 1972. Quoiqu'il en soit, cette controverse doctrinale sur le nom de baptême de la Loi Fondamentale du 18 janvier 1996 n'est pas sans précédent.

    La Constitution n'est pas un corps de règles immuables, insusceptible de révision. Elle doit s'adapter aux changements de la société dans laquelle elle prend corps. Le risque existe et il est grand que sous l'apparence d'une révision, le changement de la Constitution ne se mue en "changement de Constitution"3(*). Si les révisions constitutionnelles intervenues entre 1984 et 1990 n'ont pas vraiment soulevé de vague, celle de 1961 a par contre fait l'objet d'une vive discussion parmi les juristes camerounais. A l'origine... La procédure ayant conduit à la promulgation de la "loi n° 61-24 du 1er septembre 1961 portant révision constitutionnelle et tendant à adapter la Constitution actuelle aux nécessités du Cameroun réunifié."

    Le mérite que l'on peut reconnaître à cette controverse de la doctrine et à cette doctrine controversée tient principalement à l'affirmation de la primauté de l'approche historico-formelle dans la définition de la constitution4(*). Le débat sur la constitution actuelle semble répondre à une certaine tradition. Il se fonde sur un droit constitutionnel bâti autour de nouvelles constitutions et de révisions constitutionnelles, se succédant dans un temps relativement court : trente six ans. Mais au-delà de cette tradition, il convient de se poser une importante question : quelle est la valeur des constitutions camerounaises ? C'est sur ce postulat que pourrait reposer la présente étude qui porte sur l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun. Il s'agit sous ce thème de mener une réflexion sur ce que le Pr. Kamto appelle « la dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant », déclinée sous l'angle de la force juridique de la norme constitutionnelle camerounaise.

    Aborder cette question suppose préalablement un consensus autour de certains présupposés. Comme le souligne le Pr. Georges Burdeau, un mot est susceptible de «  désigner plusieurs objets possibles »5(*). Le souci de clarté exige alors que nous procédions à la limitation et à la précision des frontières notionnelles de notre sujet ; ceci en répondant à trois questions essentielles :

    1- qu'est-ce que l'autorité ?

    2- qu'est-ce qu'une norme ?

    3- a quoi renvoie la norme constitutionnelle ?

    La notion d'autorité n'est pas facile à circonscrire. Son champ sémantique est discordant et renvoie à des phénomènes parfois obscurs. Un savant est une autorité, de même qu'un chef traditionnel ou le préfet du Wouri. Parfois l'autorité se confond avec le pouvoir. D'ailleurs le Dictionnaire Larousse le définit comme « le droit ou le pouvoir de commander et de se faire obéir ». Mais la défiance du constituant français qui préféra au terme de « pouvoir » celui « d'autorité judiciaire traduit bien l'idée selon laquelle la notion d'autorité se charge de moins de force. Aussi le Dictionnaire constitutionnel d'Olivier Duhamel et Yves Mény la présente comme la capacité à se faire obéir ou respecter ».

    Toutefois, il faudrait admettre que la notion d'autorité porte en son sein les caractères du pouvoir qui est la capacité, du latin potestas. Elle est en définitive, suivant en cela le Pr. Ondoa, la force juridique.

    De manière générale, la norme est « la signification d'une phrase par laquelle on déclare que quelque chose doit être »6(*). Le Pr. Georges Burdeau la distingue d'une proposition qui, elle, indique juste que quelque chose est. Il rejoint en cela la conception kelsénienne du droit qui se situe dans la perspective positiviste. Pour le maître autrichien en effet, le droit est un « devoir être » (sollen), et ne doit pas être confondu avec la volonté humaine qui est un « être » (sein). La norme fixe une obligation de comportement. Le lexique droit constitutionnel de Pierre Avril et de Jean Gicquel le traduit en ces termes : « prescription qui formule le comportement qui doit être observé ».

    La norme sera au fondement du normativisme juridique conçu par Hans Kelsen. Il envisage le droit comme un système de normes tout en relevant au passage qu'il existe d'autres systèmes normatifs. Ces derniers peuvent s'articuler autour des règles de la morale, de la courtoisie, des codes d'honneur, etc. il en conclut qu'on identifie une norme « lorsqu'on constate qu'une certaine phrase acquiert une signification prescriptive du fait d'un système normatif »7(*). Il est sous ce rapport intéressant de savoir à quoi renvoie une norme constitutionnelle.

    D'emblée nous dirons qu'une norme constitutionnelle est une norme juridique, c'est-à-dire qu'elle appartient au système normatif qui s'articule autour du droit. Mais on peut objecter qu'il s'agit d'une définition de l'inconnu par un l'inconnu. Ni le lexique droit constitutionnel ni le dictionnaire constitutionnel ne s'intéresse à la notion de manière explicite. Nous nous en tiendrons alors à une approche stipulative qui, sans être vraie ou fausse, a le mérite d'être utile à notre étude. C'est à Eisenmann qu'on la doit, qui affirme que la norme constitutionnelle est la règle de « la législation constitutionnelle »8(*). Il s'agit du texte appelé « Constitution » C'est un ensemble de règles relatives à l'organisation, la dévolution et l'exercice du pouvoir élaborées suivant une procédure spéciale. Le Pr. Roger Gabriel Nlep est plus disert lorsqu'il appréhende la notion. Il postule en effet, au regard de la jurisprudence du juge administratif camerounais, que

    la norme constitutionnelle intègre les principes contenus dans le préambule et les dispositions du corpus constitutionnel9(*). C'est dans le même sens qu'abonde le Pr. Adolphe Minkoa She, mais en des termes quelque peu mathématiques lorsqu'il affirme que "la Constitution actuelle" comprend "les 69 articles du texte du 18 janvier 1996" et "la vingtaine d'alinéas que comporte le préambule"10(*). Autant dire que la norme constitutionnelle n'est pas uniquement la règle contenue dans le document appelé "Constitution", mais qu'elle est également la règle contenue dans les textes auxquels la Constitution renvoie expressément ou implicitement. L'autorité de la norme constitutionnelle intéresse donc la force juridique des règles constitutionnelles et les principes de valeur constitutionnelle, tant il est vrai que la valeur constitutionnelle est considérée comme la valeur suprême. La pertinence de cette affirmation mérite certainement une attention.

    L'INTERET DE LA RECHERCHE

    Statut de l'Etat, la Constitution est dans l'ordre juridique interne la référence des références. Eblouissante puisque éclairée par le siècle des Lumières, elle entame une lente décadence au XXème siècle au point qu'en 1956 le Pr. Georges Burdeau constate que "ni dans les faits, ni dans les esprits, les Constitutions n'occupent plus cette place prépondérante"11(*); elle est, conclut-il "une notion en survivance"12(*). L'avènement de la Vème République en France consacrera la revanche du droit sur la science politique dans l'étude du droit constitutionnel. Travail prométhéen du juge constitutionnel qui pousse le doyen Louis Favoreu à dire que "le Droit peut désormais avoir plus d'importance dans l'étude du droit constitutionnel que fa science politique"13(*). Pour le Pr. Dominique Rousseau la justice constitutionnelle est au principe d'une nouvelle idée de la Constitution. Cette idée c'est que la Constitution n'est plus un simple acte écrit. Par son action, le juge constitutionnel français "tue le texte constitutionnel, le dévore ensuite pour mieux se l'approprier, prendre

    sa place et le faire revivre par sa voix »14(*); il devient ainsi un corps de règles obligatoires. La constitutionnalisation des branches du droit public et privé conduit incontestablement à l'affirmation selon laquelle en France, l'autorité de la norme constitutionnelle est fortement établie.

    L'évolution du constitutionnalisme camerounais depuis la Constitution du 04 mars 1960 est révélatrice d'une difficulté certaine de la règle de droit suprême à « éduquer » le système juridique et politique. Surtout il y a beaucoup de limites dans le principe de la supériorité de la norme de valeur constitutionnelle. Le droit constitutionnel camerounais semble s'être construit plus sur des bases politiques que juridiques. Postuler alors que la Constitution est la règle au-dessus de toutes les autres est sur plusieurs points déficient. Déficient par ce que la dynamique constitutionnelle est articulée autour de procédures détournées et des révisions constitutionnelles dont l'objectif n'a pas toujours d'adapter le Droit aux évolutions de la société camerounaise. Déficient aussi parce que la doctrine camerounaise ne s'est pas vraiment préoccupée de théoriser dans des ouvrages de référence pour le juriste ou l'apprenti en droit les grands principes relatifs à la suprématie constitutionnelle. Aussi le droit constitutionnel camerounais apparaît-il être ce que l'on voit et entend ; au surplus lui est-il consacré une « légère » attention dans l'enseignement du Droit public en général et du droit constitutionnel en particulier dans les universités du pays. Notre étude se voudrait sous ce rapport une contribution à la connaissance du droit de la constitution camerounaise et du droit des Constitutions camerounaises.

    Dans cette entreprise, il faut nécessairement faire tomber les préjugés et a priori sur ce droit constitutionnel « embrigadé » dans son enseignement par la science politique. Nous ne pouvons dès lors poser le principe de l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun qu'en confrontant la dynamique constitutionnelle aux principes généraux qui encadrent la création, la révision et le respect de la loi fondamentale. L'histoire des Constitutions camerounaises laisse une impression : la norme fondamentale n'est plus celle qu'on ne touche « qu'avec des mains tremblantes ». A l'appui de cette thèse, la dizaine de révision qu'a connu la Constitution du 02 juin 1972. A l'évidence, la stabilité de la règle constitutionnelle, élément important de sa suprématie, a été profondément affectée et sa majesté effritée par des procédures détournées et donc source de controverses. Et même

    la loi fondamentale du 18 janvier 1996 n'a pas a priori contribué à l'affirmation de la primauté des règles constitutionnelles. En effet, si la doctrine admet qu'elle a revisité le droit constitutionnel camerounais tel qu'il était, certains auteurs ont jugé qu'elle n'a « guère produit d'effet », voire « qu'elle demeure jusqu'à présent inerte »15(*). D'autres encore soulèvent le problème des ambiguïtés de ses dispositions se traduisant par une reformulation du principe républicain et les paradoxes de l'Etat de droit16(*). Pour d'autres enfin le régime politique camerounais est introuvable17(*) au regard des dispositions de cette loi.

    Sous ce rapport, le texte du 18 janvier 1996 semble ne pas être un apport dans la construction d'un droit constitutionnel camerounais rénové. Mais nous ne pouvons occulter la mise en place effective de la chambre des comptes, la promulgation des lois portant organisation et fonctionnement du Conseil Constitutionnel et fixant statut des membres du dit Conseil. Aussi les différentes lois relatives à la décentralisation. Elles répondent dans une certaine mesure à la question de savoir quel est le Droit applicable et appliqué au Cameroun. Pourtant on ne peut nier que l'inexistence matérielle du Conseil Constitutionnel, du Sénat et des Régions fait encore problème et limite assurément notre thèse.

    D'un autre coté, le fondement de l'autorité de la norme constitutionnelle divise la doctrine. Comment justifier l'obligation de respecter la volonté du constituant si aucune règle ne l'habilite à établir ? C'est surtout la question même de l'identification du souverain qui apparaît problématique. Une Constitution n'existe qu'autant que l'on peut reconnaître à son « concepteur » la qualité de souverain constituant. Or la tradition constitutionnelle camerounaise est que la souveraineté appartient au peuple, mais le recours à ce dernier, considéré par les auteurs comme « la sanction obligatoire de la Constitution » n'est qu'une option secondaire en fait et en droit. Et voilà que surgit toute la problématique de la démocratie prise dans sa pureté et donc hostile à toute idée de représentation pour des nécessités d'ordre pratique qu'impose une sorte de « partage de la souveraineté ». La quête de l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun trouve dans ce partage une

    raison de s'interroger sur sa stabilité, tant il est vrai que la révision de la Constitution rend compte d'une appropriation du pouvoir constituant par les pouvoirs institués.

    Le Droit doit être supérieur aux sujets sinon il n'en est pas. Il y a de ce fait un enjeu considérable dans la définition de la Constitution. Pour les acteurs du système constitutionnel, c'est l'importance des entraves à leur liberté d'action. La Constitution leur prescrit de se comporter d'une certaine manière qui est soit conforme, soit compatible, mais jamais contraire à ses dispositions. L'autorité de la Constitution sous ce rapport ne peut-être envisagée que de la sanction des éventuelles dérogations explicites ou implicites aux principes constitutionnels par des normes inférieures. Sur cette question, le constituant camerounais a toujours prévu un contrôle de constitutionnalité des actes du pouvoir réglementaire. Contrôle rendu d'ailleurs spécieux par une procédure compliquée et une organisation juridictionnelle centralisée, aggravée par l'adhésion du juge administratif à la "théorie de l'écran législatif 18(*) dont la conséquence est le maintien dans l'ordonnancement juridique des normes inconstitutionnelles.

    Ce légicentrisme inhibitif dont les origines remontent à la révolution française, fausse le principe même de la pyramide des normes, qui postule que toute norme juridique soit application d'une norme supérieure et création d'une norme inférieure. La doctrine admet qu'en l'absence d'une justice constitutionnelle, la suprématie de la constitution n'est qu'une simple vue de l'esprit19(*). Assurer l'autorité de la norme supérieure demande que soient posés des mécanismes de vérification et que soit créée un organe chargé de la mise en oeuvre de la procédure de validation. Ce gardien de la suprématie constitutionnelle est appelé au Cameroun le conseil constitutionnel. Il faut donc se demander quel peut être l'apport du Conseil Constitutionnel dans l'affirmation de cette supériorité des règles issues de la législation constitutionnelle.

    Un autre axe d'intérêt est constitué par les rapports que la Constitution entretient avec le droit international. Avec l'option moniste, le constituant camerounais a opté pour ce que le Pr. Narcisse Mouelle Kombi nomme le "primat de l'ordre international sur l'ordre interne"20(*). L'impératif des normes du jus cogens sert d'appui aux partisans de la supra constitutionnalité internationale dont l'argumentation repose sur le principe que "le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme"21(*). Cette conception conduit évidemment à renier la souveraineté du pouvoir constituant qui dès lors n'est plus libre de créer n'importe quel droit. Cette thèse peut-elle prospérer ? Elle aboutirait dans l'affirmative à la contestation du fondement même du système juridique camerounais. Dans la négative l'on aboutirait à la violation d'un engagement international justifiée par le respect du droit interne de l'Etat. La thèse contraire n'est pas non plus à l'abri de toute critique. D'où la nécessité de s'appesantir sur les influences réciproques de cette relation qui n'est certainement pas fondée sur l'égalité.

    LA PROBLEMATIQUE DU THEME

    La doctrine n'envisage aujourd'hui la question de l'autorité de la Constitution que corrélativement a l'existence d'un juge constitutionnel. Position systématisée par Charles Eisenmann qui affirme que seule la justice constitutionnelle aboutit à faire de la Constitution "la règle de droit suprême"22(*). Faut-il alors admettre qu'avant 1921 la loi fondamentale autrichienne n'était pas supérieure aux lois ordinaires ? Ou alors qu'avant 1958 en France, la Constitution n'était ni une règle de droit ni la règle de droit suprême ? Certainement une réponse négative s'impose à ces questions, sinon il faudrait convenir que l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun n'est qu'illusoire, tant il est vrai que la justice constitutionnelle, du moins sur un plan matériel, n'existe pas encore. L'intérêt est donc grand de trouver et de prouver que la Constitution est revêtue d'une véritable autorité, et cela en l'absence de toute justice constitutionnelle. L'interrogation portera sous ce prisme sur son fondement et sa légitimité.

    L'adhésion relativement récente du Cameroun à une justice constitutionnelle calquée sur le modèle européen nous pousse à considérer la position du Pr. Eisenmann avec une certaine retenue. Puisque la création d'un Conseil Constitutionnel ne garantit pas toujours le respect de la primauté constitutionnelle. De même que l'indépendance de cet organe ne saurait être fondée sur une simple interprétation des dispositions y relatives. Ceci se vérifie aisément en France, car c'est pratiquement en 1971, soit treize ans après sa création, que le Conseil constitutionnel va s'affirmer comme le gardien du respect de la Constitution. Pour le Pr. D. Rousseau, « la décision du 16 juillet 1971 (...) opère une véritable révolution politique en rompant avec les principes traditionnels du droit français et en particulier la souveraineté de la loi ». (23) il nous paraît donc hasardeux de remettre ou de fonder la suprématie des constitutions camerounaises sur une justice constitutionnelle longtemps absente et étant encore aujourd'hui en quête de légitimité et à la recherche de ses prises sur une vie institutionnelle fortement marquée par la sacralisation du pouvoir. Certes la loi fondamentale de 1996 a revisité le droit constitutionnel tel qu'il se présentait antérieurement, mais il faut reconnaître que l'édification d'un droit constitutionnel ne peut se faire en occultant la question de la suprématie des règles issue de la « législation constitutionnelle ». Aussi nous nous posons la question principale de savoir si la norme constitutionnelle transcende l'ordre juridique et politique camerounais de manière à assurer effectivement et efficacement la soumission des pouvoirs constitués. Nous croyons que la Constitution in-forme le système juridico-politique, certes avec quelques hésitations dues à la longue absence d'une justice constitutionnelle effective. Le contrôle de constitutionnalité se veut alors être ce qui confère à l'autorité de la norme constitutionnelle son caractère absolu. Cela signifie aussi qu'en dehors de toute justice constitutionnelle, la Constitution demeure la loi au-dessus de toutes les autres lois. Son élaboration par un pouvoir qui peut « tout faire » et cela suivant une procédure différente de la procédure législative et donc exceptionnelle constituent la justification de cette thèse. Ces facteurs contribuent à hisser la Constitution au sommet de la pyramide des normes, à faire d'elle « le dernier terme auquel l'on puisse confronter une norme » pour apprécier sa validité. C'est le cas en Allemagne, en Italie et aussi en Autriche. Et même si pour le Pr. Philippe Ardant « le principe de la suprématie de la Constitution sur le reste de l'ordre juridique a une valeur explicative incontestable » (24), on ne saurait nier la valeur normative quoique biaisée des Constitutions camerounaises.

    Rien ne permet de reconnaître à la Constitution la qualité de règle inviolable. Elle ne tire de sa majesté aucune immunité contre les probables atteintes des pouvoirs constitués. Abondante est la jurisprudence de la juridiction administrative sur la question (24). Mais il est un principe qu'il faut affirmer, celui de la primauté de la Constitution dans l'ordre juridique interne.

    METHODE ET PLAN

    La détermination des fondements de notre étude nous découvre une autre préoccupation qui, elle, consiste à tracer le chemin à suivre ou suivi pour parvenir à un résultat dont la fiabilité soit tout de même digne d'intérêt. Il s'agit pour nous d'opérer un choix, d'opter pour une technique à même de nous permettre de rendre compte de la réalité, sans aucune fioriture. Comment étudier l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun, c'est l'épineux problème de la méthode.

    Le Pr. Maurice Kamto déclare à juste titre que "le problème de la méthode est au coeur de toute oeuvre scientifique" (25). Elle est définie comme un "ensemble de règles ou de procédés pour atteindre dans les meilleures conditions un objectif'(26). D'elle dépend en effet la fiabilité des résultats attendus ; son explication "permet de mieux saisir la spécificité de la démonstration" de notre étude. Ce choix n'est évidemment pas facile ; il requiert la parfaite connaissance de l'objet d'étude qu'on veut mener. Plus encore lorsqu'il est déjà prouvé que "la démarche méthodologique conditionne le travail scientifique, car la méthode éclaire les hypothèses et détermine les conclusions"(27). Comment donc choisir LA méthode ?

    23 D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit. p 67

    24 Ph. Ardant, Institutions politiques et droit constitutionnel, op. cit. p 55

    24 Cf. supra

    25 Cité par J. Mouangue Kobila, L'indépendance au Cameroun, l'empreinte coloniale, mémoire de maîtrise en droit public, Yaoundé, 1990, p 13.

    26 Lexique des sciences sociales, Paris, Dalioz, 7° édition, 2000, p 275.

    27 M. Kamto, Pouvoir et droit en Afrique noire. Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats d'Afrique noire francophone, Paris, LGDJ, 1987, p 47. ^

    Le choix d'une méthode n'est ni libre ni neutre. Frede Castberg juge que "aucune méthode juridique ne peut échapper à un certain élément de subjectivité et à un certain taux d'arbitraire" (28) Tout ceci justifie que nous ayons préféré à une méthode unique et prêtant le flanc à toute sorte de critique, une méthode multidisciplinaire, laquelle a le mérite de faciliter la délimitation du problème qui se pose à nous afin d'orienter nos recherches.

    Parce qu'il s'agit avant tout d'un travail juridique, l'analyse des textes va nous permettre de poser les grands principes de la suprématie des règles élaborées par le constituant, d'en préciser les fondements et de justifier cette option qui est commune à toutes les Nations dites "civilisées". Nous ne saurions toutefois ignorer que l'exégèse est " impuissante à elle seule pour présider à l'organisation et à la présentation d'un travail juridique." Le Pr. Dominique Rousseau n'argue-t-il pas de ce que " la vie politique d'un pays n'est pas le produit des seules règles de droit"(29), même s'il demeure que le droit est " créateur de réalité en ce qu'il offre des catégories qui servent à percevoir, décrire et apprécier"(30).

    La contextualisation du juridique est d'une importance capitale. Notre étude porte sur le droit constitutionnel camerounais ; et ce cadre géographique est susceptible de modifier et d'infléchir les grandes théories doctrinales. Comment rendre compte du droit sans s'appuyer sur l'observation des faits ? Henri Batifol pense à ce propos qu'"il est des faits qui dictent le droit ; il est des expériences dont la méconnaissance est ruineuse"(31). D'où le recours à l'analyse politique. Le jeu politique imprime souvent à une disposition constitutionnelle une trajectoire autre que celle d'origine. Il en est ainsi par exemple du contrôle de constitutionnalité en France qui, "d'instrument de protection de l'exécutif est devenu tout à la fois instrument d'extension du domaine législatif, de défense des droits et libertés et de contrôle de la politique législative de l'exécutif'(32) Nous tenterons, tout en évitant de verser dans un politisme préjudiciable, de justifier, limiter voire soulever les ambiguïtés du principe. L'analyse politique en tant qu'elle est descriptive, nous permettra d'en cerner les contours par la mise en relief de ce qu'on qualifier de « particularismes camerounaises ».

    28 Cité par J. Mouangue Kobila, op. cit. p 15.

    29 D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit. p 456.

    30 D. Rousseau, ibid. p 455.

    31 Cité par J. Mouangue Kobila, op. cit p 14.

    32 D. Rousseau, id. p 457.

    Enfin il sera intéressant de souligner les spécificités du droit constitutionnel camerounais par une approche comparative. La confrontation au système français autorisera certainement des critiques, des suggestions pour améliorer un mécanisme de garantie et de protection qui fait déjà que notre pays figure au nombre de ceux qui ont pris l'option de ce que le Pr. Dominique Rousseau nomme : " la démocratie par la Constitution ". Elle nous fournira enfin les éléments de relativisation, voire de limitation de la prééminence de la Constitution

    au regard du développement du droit international, aidé en cela par la jurisprudence du juge constitutionnel français. Tous ces présupposés éclairent davantage le thème de notre étude et justifie le plan que nous avons adopté.

    > Première partie: Les fondements de l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun

    > Deuxième partie: Les garanties de l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun

    PREMIERE PARTIE:

    LES FONDEMENTS de l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun

    La force normative des Constitutions camerounaises depuis la loi fondamentale du 4 mars 1960 a connu des fortunes diverses, au point où poser le principe de leur suprématie sur le système normatif et surtout sur le Président de la République, pouvoir constitué, ne puisse se faire qu'avec beaucoup de nuances. II faut le reconnaître, la dynamique constitutionnelle camerounaise fait apparaître au premier plan le Chef de l'Etat, principal et prépondérant maître de l'élaboration et de la révision des Constitutions. Pourtant, nous ne pouvons ne pas affirmer cette suprématie.

    La réponse du Droit Constitutionnel camerounais relativement à la question de l'autorité de la Constitution emprunte au droit constitutionnel moderne. Mais avec des "aménagements" qui marque ce qui peut être qualifié de "spécificités du droit constitutionnel camerounais". C'est à la fois une identification difficile du Souverain constituant qui seul est compétent en matière constitutionnelle, mais c'est aussi une procédure certes exceptionnelle, pourtant source de controverses. Cependant ces aléas n'empêchent pas de poser les fondements de la suprématie constitutionnelle, que nous établissons sur deux plan: la compétence exclusive du Souverain constituant en matière constitutionnelle, tant il est vrai qu'"une Constitution suppose avant tout un pouvoir constituant (1) (Chapitre 1), et la mise en oeuvre d'une procédure exceptionnelle tant en ce qui concerne la création que la révision de la règle constitutionnelle (chapitre 2).

    1 Siéyès, cité par M. Ondoa, "La distinction Constitution souple et Constitution rigide en droit constitutionnel français", in Annales de la faculté des sciences juridiques et politiques. Université de Douala, n°l, année 2002, p 96.

    CHAPITRE 1 :

    LA COMPETENCE EXCLUSIVE DU CONSTITUANT DANS L'ELABORATION DES NORMES CONSTITUTIONNELLES

    La dynamique constitutionnelle camerounaise révèle une intégration totale des grands principes qui gouvernent le droit constitutionnel moderne, et notamment ceux relatifs à l'élaboration et à la révision de la norme constitutionnelle. L'élaboration, autant que la révision de la Constitution sont des moments importants dans la vie de tout Etat. Pour Jean Gicquel, "son avènement [l'élaboration de la Constitution] représente un moment privilégié dans la vie d'un peuple."(l) En fait, l'on peut affirmer sans risque de se tromper que la Constitution est "l'acte de naissance de l'Etat." Le caractère fondateur de la norme de droit suprême réalise l'unanimité de la doctrine. Et sur ce postulat, certains auteurs bâtissent son autorité. Mais qu'en est-il réellement ?

    La norme constitutionnelle tant dans sa création que dans sa révision, obéit à des règles sans lesquelles il serait quasiment impossible de lui reconnaître une quelconque force juridique. Sous ce rapport, le postulat est que la matière constitutionnelle est le champ d'action exclusif du pouvoir constituant. Il est " celui ou ceux dont le consentement a permis l'entrée en vigueur du texte."(2) Le pouvoir constituant est " l'auteur de la Constitution." Son exclusivité se justifie en ce qu'aucun autre pouvoir au sein de l'Etat ne peut élaborer des règles de valeur constitutionnelle, car "seul le pouvoir constituant peut faire la Constitution." (3) Ce postulat ne vaut cependant que si le constituant se présente comme étant le Souverain. Il ne s'agit pas ici de la souveraineté comme un attribut du constituant, mais comme une identification de celui qui donne à la norme constitutionnelle sa force juridique. Le constituant est le souverain. Pouvoir de droit originaire et suprême, la souveraineté est l'élément irréductible du constituant. La conséquence en est une division de la doctrine sur la problématique de la souveraineté du pouvoir de révision de la Constitution. (4)

    1 J. Giequel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 19° édition, 2003 p 161

    2 G. Burdeau et al. Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 20e édition, 1999, p 40.

    3 La science constitutionnelle ne reconnaît pas aux pouvoirs constitués une compétence en matière constitutionnelle. Au surplus, le souverain prévoit-il une intervention des organes de l'Etat dans la procédure de révision de la Constitution. Cette intervention est cependant limitée, car elle ne saurait être utilisée pour évincer le peuple de sa place de souverain constituant par l'élaboration d'une nouvelle Constitution. La doctrine parle dans ce cas de détournement de procédure. Voir sur la question M. Kamto, "Révision constitutionnelle ou écriture d'une nouvelle Constitution", in Lex Lata, n° 23-24, février-mars 1996, pp 17 et SS.

    4 Pour les partisans de la limitation du pouvoir constituant institué, la révision de la Constitution est nécessairement limitée par l'interdiction de modifier certaines dispositions constitutionnelles. Pour M. Kamto, la thèse de la révision totale de la Constitution est inconcevable car on pourrait aboutir à l'écriture d'une nouvelle Constitution par la procédure de révision. Une autre partie de la doctrine estime que la souveraineté du pouvoir constituant dérivé ne rencontre aucun obstacle dans sa manifestation. Disons simplement que la portée de cette souveraineté dépend de la compétence ou non du juge à contrôler les limites au pouvoir de révision.

    Si l'on appelle indifféremment "pouvoir constituant" celui qui a compétence en matière constitutionnelle, il faut distinguer selon qu'il s'agit de rédiger une nouvelle Constitution ou de modifier celle qui existe déjà. Aussi parle-t-on de pouvoir constituant originaire et de pouvoir constituant dérivé. Loin d'être une simple division de principe, la dualité du pouvoir constituant présente des conséquences précises en droit constitutionnel. Celles-ci portent avant tout sur l'identification du souverain. Et même si pour Pierre Pactet la détermination de celui qui exercera le pouvoir constituant est plus intéressante que celle de son titulaire (5), nous ne saurions cependant occulter la question. Ceci est d'autant plus intéressant en droit constitutionnel camerounais, au regard de ce que nous pourrions appeler la "confiscation" du pouvoir constituant par les pouvoirs institués, au mépris du principe démocratique qui voudrait que "le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation" (6). Ce n'est pas cependant une caractéristique camerounaise que d'affirmer, certes de manière implicite mais répétée, que "le peuple n'est pas toujours le mieux éclairé." La dynamique constitutionnelle camerounaise nous impose alors, dans l'entreprise d'identification du souverain constituant, de la mettre en rapport avec la dualité du pouvoir constituant (section 1); dualité qui conduit à une certaine instabilité de la norme constitutionnelle trop souvent livrée aux "caprices" des représentants du peuple (section 2).

    SECTION 1 : LA DUALITE DU POUVOIR CONSTITUANT DANS L'IDENTIFICATION DU SOUVERAIN CONSTITUANT

    L'identification du souverain est rendue difficile par la dualité du pouvoir constituant. Il faut en effet relever que la souveraineté est une et indivisible. Aussi, la distinction pouvoir constituant originaire - pouvoir constituant dérivé ne peut-elle que se heurter à une souveraineté qui ne peut être partagée. Face à une doctrine divisée, la jurisprudence admet aujourd'hui que la révision de la norme constitutionnelle est de la compétence d'un pouvoir constituant pouvoir qui "n'est pas d'une autre nature que le pouvoir initial."(7) Reconnaître comme le fait Georges Vedel que la "révision de la Constitution est de la compétence du pouvoir originaire" c'est indubitablement adhérer à la thèse selon laquelle "le pouvoir constituant dérivé doit son existence à une concession de la théorie démocratique aux commodités pratiques"(8).

    5 Pour le Pr. Pactet, la question de l'identification du Souverain constituant n'est digne d'intérêt que lorsqu'elle porte sur celui qui le mettra en oeuvre. Et "c'est généralement le Gouvernement de fait détenant le pouvoir à ce moment qui va le mettre en oeuvre". Voir P. Pactet, Institutions politiques. Droit constitutionnel, Armand Colin, Paris, 20'°"' éd. 2001.

    6 Article 3 DDHC de 1789

    7 G. Vedel cité par J. Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 19e édition, 2003, p 172.

    8 La démocratie dans sa stricte conception n'admet pas de représentation. C'est le "gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple". Sous ce rapport, seul le peuple personnellement serait compétent en matière constitutionnelle. Mais la démocratie telle qu'elle est théorisée repose sur la notion de "représentation". Sur la base de cette représentation, qui suppose la souveraine du peuple, le pouvoir constituant institué naîtra pour éviter de trop "déranger" le peuple et parfois une moindre modification de la Constitution. Voir

    L'histoire du constitutionnalisme du Cameroun indépendant conforte cette affirmation. Tout laisse finalement croire que la thèse de la dualité du pouvoir constituant n'est plus que pure théorie du droit constitutionnel (paragraphe 1) car pratiquement le souverain et par conséquent le pouvoir constituant est un (paragraphe 2).

    PARAGRAPHE 1 : UNE DUALITE SUR LE PLAN DE LA THEORIE DU DROIT CONSTITUTIONNEL

    La dualité du pouvoir constituant est affirmée autant par la doctrine que par la jurisprudence. Mais elle n'implique pas les mêmes conséquences selon que l'on se place du côté du juge ou de celui des auteurs. C'est cette divergence, qui peut de même être établie au sein de la doctrine qui nous autorise à penser que la distinction constituant originaire -constituant institué (I) et les incidences qui s'attachent à celle-ci (II) ne revêtent plus désormais qu'une simple valeur explicative, n'étant séparés que par le temps.

    I - LA VALEUR EXPLICATIVE DE LA DISTINCTION CONSTITUANT ORIGINAIRE -CONSTITUANT INSTITUE

    L'indivisibilité de la souveraineté ne permet pas d'envisager qu'un autre pouvoir puisse avoir une compétence en matière constitutionnelle. (9) La suprématie de la norme fondamentale repose en effet sur son élaboration par un pouvoir qui n'est soumis à aucun contrôle, un pouvoir souverain. Sous ce rapport, l'on ne peut que s'interroger sur la division de ce pouvoir en "originaire" et "dérivé". L'interrogation est d'autant plus pertinente que toutes les Constitutions camerounaises ont posé que "la souveraineté nationale appartient au peuple" Elle justifie ainsi non seulement qu'aucune fraction du peuple ni aucun individu ne puisse s'en attribuer l'exercice, mais encore que toute autorité émane de la nation souveraine. Or comme le précise Carré de Malberg, en reposant la souveraineté sur la nation l'on admet qu'il n'y a qu'une volonté. Sous ce postulat, la distinction constituant originaire - constituant dérivé, qui apparaît comme un moyen de distinguer l'élaboration de la modification de la Constitution (A) permet surtout de reconnaître les titulaires de ces deux pouvoirs (B).

    dans ce sens. Dictionnaire constitutionnel, p 777.

    9 Le peuple étant le seul souverain, toute autre autorité dans l'Etat ou de l'Etat ne peut réclamer pour lui le bénéfice de ce pouvoir, à moins de le tenir du peuple lui-même. Il faut en effet préciser que si le peuple est souverain, il exerce cependant cette souveraineté plus par intermédiaire que directement. Mais cette "délégation" ne constitue pas une dépossession car la souveraineté est inaliénable et imprescriptible, une et indivisible. Et comme seul le souverain est compétent en matière constitutionnelle, il s'ensuit que la qualité d'intermédiaire des autorités de l'Etat leur attribue compétence pour réviser la Constitution.

    A) Le pouvoir d'élaborer et de modifier la norme constitutionnelle

    Symbolique, solennelle, l'élaboration d'une Constitution est un moment privilégié dans toute société politique. Elle marque le passage d'une organisation sociale au stade le plus achevé que l'on puisse concevoir : l'Etat. Qu'elle intervienne dans une situation de "vide juridique" ou après une Révolution, la manifestation d'un pouvoir originaire atteste de la naissance d'un nouvel Etat (1). Dans cette oeuvre de structuration de la société, ce qui est définitif est l'Etat. En effet la dynamique de l'idée de société qui a prévalu à la rédaction de la Constitution initiale implique nécessairement qu'à un moment, certaines modifications de la loi fondamentale s'imposent. Celles-ci se feront par la mise en oeuvre d'un pouvoir constituant institué (2).

    1- Un pouvoir initial pour fonder l'Etat

    Le droit constitutionnel est construit sur des fictions. Souveraineté, Etat, pouvoir constituant ne sont en réalité que des produits d'une construction intellectuelle. Des notions juridiques destinées à produire des effets. L'Etat est une fiction dont l'existence ne peut être prouvée qu'au moyen de sa Constitution (10). C'est ainsi que la Constitution du 04 mars 1960 donnera naissance à l'Etat du Cameroun, qui n'était alors qu'un territoire sous tutelle. Le caractère fondateur de la Constitution réalise l'unanimité au sein de la doctrine. La Constitution crée l'Etat par le mécanisme de l'institutionnalisation du pouvoir. Elle lui donne une forme précise, et l'on peut alors affirmer qu'il s'agit d'un Etat unitaire ou d'un Etat fédéral; d'un régime présidentiel ou d'un régime parlementaire. Sous ces considérations, la succession d'un Etat fédéral à un Etat unitaire en 1961 rentre dans la situation normale de la manifestation d'un pouvoir originaire, car comme le précise Pierre Pactet, "un réaménagement important de la Constitution marquant par exemple le passage d'un Etat unitaire à un Etat fédéral peut être considéré comme l'écriture d'une nouvelle Constitution". (11) Le pouvoir constituant originaire est donc le pouvoir qui pose les fondations de l'Etat par l'élaboration d'une Constitution.

    2- Un pouvoir institué pour restructurer l'Etat

    L'élaboration d'une Constitution n'est pas une fin en soit. L'évolution de l'idée de société qui a prévalu à son adoption rend impératif certains ajustements afin qu'elle ne tombe

    10 l'Etat est une organisation sociale qui n'existe que par la Constitution. L'accord est unanime sur la nature fondatrice de la Constitution, car seule elle donne une forme à une société où généralement le pouvoir est personnalisé. Pour J.P. Jacqué, "toute société comporte un corps de règles écrites ou non destinées à fixer les modalités d'acquisition et d'exercice du pouvoir politique. Ces règles constituent la Constitution

    11 P. Pactet, Institutions politiques. Droit constitutionnel, op cit p 74.

    pas en désuétude. Le caractère perfectible de la Constitution vient surtout de ce qu'il est prévu en son sein même une procédure pour sa modification. Toutes les Constitutions camerounaises depuis 1960 ont toujours réservé un titre consacré à la révision de la Constitution. Cette entreprise ressortit de la compétence du pouvoir constituant institué ou dérivé, dans la matérialisation de l'idée avancée par Royer-Collard pour qui "les Constitutions ne sont pas des tentes dressées pour le sommeil. "(12) La mise en oeuvre d'un pouvoir constituant dérivé répond donc à une nécessité: celle de rendre le "pacte fondamental" en conformité avec l'évolution de la société. C'est du moins le principe de la révision.

    B) La détermination des titulaires

    L'identification de ceux ou celles qui mettent en oeuvre soit le pouvoir originaire, soit le pouvoir dérivé repose plus sur une observation des faits que sur une réflexion prenant appui sur les textes. Le droit constitutionnel camerounais offre des éléments d'analyse qui tantôt confortent la théorie constitutionnelle, tantôt la contredisent. Il ressort de cela que l'identification des titulaires du pouvoir constituant qui repose sur un principe (1), pose en réalité le problème du titulaire de la souveraineté et de celui qui l'exerce effectivement (2).

    1- Une identification de principe

    La détermination de ceux qui mettent en oeuvre le pouvoir constituant sur le strict terrain de la théorie constitutionnelle n'est concevable que par l'affirmation d'un principe. Pour D. Georges Lavroff, "le pouvoir constituant est reparti entre le peuple et ses représentants. Le peuple en est le titulaire principal et les représentants interviennent à titre secondaire."(13) II résulte de cela que te pouvoir constituant, qu'il soit originaire ou dérivé, à pour titulaires le peuple et ses représentants. Ce principe est consacré au Cameroun par les référendums constituants de 1960 et de 1972 et par les "révisions" de 1961 et de 1996. Il ressort un chasse-croisé entre le peuple et ses représentants, dans une sorte de "construction - déconstruction" de la règle de droit suprême. Cependant, il convient de noter que les révisions constitutionnelles que le Cameroun a connues jusqu'à présent ont été ratifiées par les représentants du peuple. Il semble donc que le droit constitutionnel camerounais consacre une sorte de "distribution" du pouvoir constituant : le peuple comme constituant originaire uniquement et ses représentants comme constituant institué(14)

    12 Royer-Collard, cité par J. Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, op cit. p 171.

    13 D.G. Lavroff, Droit constitutionnel de la Vè République, Dalioz, 2*°" éd. 1997.

    14 Sous le strict plan de la procédure, il est aisé de reconnaître que le peuple camerounais est toujours intervenu chaque fois qu'il s'est agit pour les autorités de l'Etat d'établir une nouvelle Constitution, et donc de poser les bases d'un nouvel Etat. Les référendums constituants de 1960 et de 1972 s'opposent ainsi aux multiples recours au pouvoir de révision, et parfois pour ratifier une nouvelle Constitution qui pour ses concepteurs n'est qu'une loi constitutionnelle.

    2- La problématique de la détention et de l'exercice du pouvoir constituant

    Elle est posée par Pierre Pactet qui souligne que le véritable problème n'est pas de savoir à qui appartient le pouvoir constituant, mais plutôt qui l'exercera. Le postulat posé par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est repris par les différentes Constitutions camerounaises qui disposent que "la souveraineté nationale appartient au peuple camerounais..." Il résulte de là que, conformément à l'idéal démocratique, le souverain et par corollaire le pouvoir constituant c'est le peuple camerounais. Il n'apparaît pas pourtant au regard du droit constitutionnel camerounais que le peuple soit la "sanction obligatoire de la Constitution." On pourrait plutôt noter une prégnance de la notion de "représentation" corollaire de la souveraineté nationale dans l'identification de celui qui décide de "l'exception". Certes le peuple est souverain, mais l'exercice de cette souveraineté se fait par "l'intermédiaire (...) des membres du Parlement... "(15) II s'ensuit une différenciation entre le détenteur de la souveraineté et celui qui l'exerce effectivement.

    Cependant la distinction pouvoir constituant originaire - pouvoir constituant dérivé n'est pas à proprement parler une identification entre celui qui exerce la souveraineté et celui qui en est le détenteur. Car le recours au peuple est prévu par les Constitutions camerounaises comme mode de ratification d'une loi de révision. Cette distinction à de fortes incidences sur le pouvoir de modification de la norme suprême.

    II- LES INCIDENCES DE LA DISTINCTION

    L'idée est sans doute que la norme fondamentale ne doit pas être "touchée" par n'importe qui. Celle-ci est le domaine réservé du pouvoir constituant. Dans la mise en oeuvre de cette proposition, on aboutira au refus du pouvoir constituant aux pouvoirs constitués (A). En même temps les nécessités de la stabilité du pacte social conduiront le "pouvoir d'improvisation des Constitutions" à instituer des garde-fous à l'exercice du pouvoir de révision (B) car, faut-il le rappeler, la stabilité de la Constitution participe de sa suprématie.

    A) Le refus du pouvoir constituant aux pouvoirs constitués

    L'exclusivité du souverain en matière constitutionnelle est loin d'être une simple affirmation de principe. En tenant compte à la fois de la qualité du peuple, détenteur exclusif de la souveraineté et des implications de la théorie de la souveraineté nationale, on peut véritablement prescrire que seul le constituant traite de la matière constitutionnelle. Il en

    15 Article 2 alinéa 1° Constitution du 18 janvier 1996

    résulte un refus du pouvoir constituant aux pouvoirs constitués. Pas très marqué dans les précédentes constitutions camerounaises, ce refus se manifeste désormais par la distinction entre Parlement-législateur et Parlement-constituant (1), et par l'indispensable reconstitution de la souveraineté dans la procédure de révision (2).

    1- La distinction Parlement-législateur - Parlement-constituant

    Le Parlement dans son rôle de législateur est limité, car la Constitution énumère les matières qui ressortissent de sa compétence. De plus, le vote des lois est fait par les deux chambres prises séparément. Il n'en est pas de même du Parlement lorsqu'il joue le rôle de constituant. Il faudrait noter qu'en la matière il s'agit d'un organe peut être pas indépendant mais tout au moins différent de celui qui adopte les lois "ordinaires". Le droit constitutionnel attribue à cette instance le nom de "congrès".

    2- La reconstitution de la souveraineté pour la révision de la Constitution

    Le refus du pouvoir constituant aux pouvoirs constitués signifie l'interdiction de confier "entièrement" le pouvoir de réviser la norme suprême à l'un des organes de l'Etat. D n'interdit pas, comme le précise Georges Burdeau, "de leur attribuer un rôle dans la procédure de révision. "(16) Le droit constitutionnel camerounais consacre l'idée selon laquelle la révision de la constitution passe par la reconstitution de la souveraineté (17), "partagée" entre les différentes autorités de l'Etat. Ainsi, le Président de la République intervient en amont pour l'initiative de la révision et en aval pour la promulgation de la loi constitutionnelle. Entre ces deux moments, il y a le Congrès constitué des représentants du peuple qui procède au vote du texte. La révision de la Constitution est donc de la compétence du souverain.

    Cette entreprise de modification fait toutefois l'objet de beaucoup de controverse relativement à la conditionnalité du pouvoir mis en oeuvre.

    B) La conditionnalité du pouvoir de révision

    Indépendamment de toute autre considération, la simple lecture des Constitutions camerounaises laisse entendre qu'il existe des contraintes à l'exercice du pouvoir constituant dérivé. La doctrine demeure cependant divisée sur la valeur de ces contraintes. Mais il serait intéressant d'identifier ces limites qui sont à la fois formelles (1) et matérielles (2)

    16 Georges Burdeau et al. Droit constitutionnel, op cit. p 40

    17 L'idée est que le souverain étant seul constituant et la souveraineté étant indivisible, il faut que chaque autorité de l'Etat qui détient une parcelle de cette souveraineté intervienne dans la procédure de révision afin que la loi constitutionnelle soit l'expression d'une action conjointe du représentant de la nation et des représentants du peuple.

    1- Les limitations de forme

    Elles résultent de ce qu'il est prévu dans la Constitution la procédure qui doit être suivie pour sa modification. Le pouvoir de révision apparaît ainsi comme un pouvoir déterminé dans sa procédure. Contrairement à lui, le pouvoir constituant originaire se présente comme un "phénomène métajuridique". Il est, selon l'expression de Maurice Kamto, un "pur fait", "a-juridique". Disons simplement que le pouvoir constituant originaire est un pouvoir qui se manifeste comme il veut. D'ailleurs et suivant en cela la thèse de la conditionnante du constituant institué défendue notamment par M. Kamto, "le pouvoir constituant est un pouvoir initial, autonome et inconditionné", mais il "est tenu par les conditions qu'il a lui-même fixées"(18) lorsqu'il s'agit de modifier la Constitution. Mais ces limites ne valent qu'autant qu'elles peuvent être sanctionnées par le juge constitutionnel. En l'état actuel de notre droit constitutionnel, il ne nous est pas possible de faire une appréciation objective. La position actuelle du juge constitutionnel français va dans le sens de l'incompétence en la matière.

    2- Les interdictions de fond à la révision

    Certaines dispositions de la loi fondamentale sont soustraites en principe au pouvoir du constituant institué. Ce dernier ne peut porter atteinte à "la forme républicaine, à l'unité et à l'intégrité territoriale de l'Etat et aux principes démocratiques qui régissent la République."(19) La valeur de cette interdiction est contestée en droit et en fait. Certains auteurs font en effet valoir qu'elles sont "peu démocratiques", car aboutissant à faire prévaloir "l'opinion du constituant d'il y a peut être des décennies sur l'opinion éventuellement contraire du peuple d'aujourd'hui." De plus insiste D.G. Lavroff, le constituant "n'est pas tenu pour l'éternité, puisqu'il a toujours la possibilité d'abroger ces limites pour retrouver la totalité de sa libre détermination. "(20) Le Conseil constitutionnel a consacré la souveraineté du pouvoir de révision en considérant qu'il peut "tout faire"(21), freinant ainsi l'ardeur des défenseurs d'une certaine idée de supra constitutionnalité (22), doctrine qui postule l'existence de règles supérieures au constituant et qui s'imposent à lui.

    18 D.G. Lavroff, Droit constitutionnel de la Vè République, op cit.

    19 Cette interdiction de fond au pouvoir de révision qui figurait déjà dans le texte de 1960, disparaît de la Constitution de 1961 pour resurgir dans la Constitution du 02 juin 1972. Elle est reprise par l'article 64 de la Constitution du 18 janvier 1996.

    20 D.G. Lavroff, op cit.

    21 CC n° 03^69 DC, 26 mars 2003, organisation décentralisée de la République

    22 La question de la supraconstitutionnalité paraît remettre en question la souveraineté du pouvoir constituant et donc la suprématie de la Constitution. Pour ses défenseurs, il existerait "un ensemble de règles de droit positif d'un rang plus élevé que la Constitution, dont le contenu s'imposerait au constituant et dont une autorité pourrait assurer le respect". Il est d'abord apparu que ses règles étaient contenues dans les limitations au pouvoir de revision, et le juge constitutionnel français a posé que l'exercice du pouvoir de révision n'était pas sans réserve. Mais alors que l'on s'attendait à ce qu'il se reconnaisse compétent le cas échéant pour contrôler le respect de ces limites, il a estimé dans une décision du 26 mars 2003 que le pouvoir de révision est souverain au même titre que le constituant originaire. Au demeurant "rien n'empêche, argue le Pr. Louis Favoreu, qu'il y ait des normes supérieures à la Constitution, pour autant qu'elles ne fassent pas partie du système juridique en question". Et même la tentative de voir en ces normes supra constitutionnelles les droits fondamentaux se heurte en droit au Préambule de la Constitution qui reconnaît aux dits droits et aux textes qui les posent la valeur constitutionnelle, qui est en soi la plus haute valeur qu'on puisse conférer à une règle en droit interne.

    La théorie générale reprise par le droit constitutionnel camerounais consacre donc la dualité du pouvoir constituant. Avec une sorte de division entre le peuple et ses représentants relativement au constituant originaire et au constituant dérivé. Toutefois, cette distinction et les conséquences qui s'y rattachent ne résistent pas à une unicité pratique se traduisant déjà par l'utilisation de l'expression "pouvoir constituant" pour qualifier tant l'auteur de l'élaboration que celui de la révision.

    PARAGRAPHE II : UNE UNICITE SUR LE PLAN DE LA PRATIQUE CONSTITUTIONNELLE

    Si la théorie constitutionnelle envisage une dualité du pouvoir constituant, celle-ci ne produit pratiquement pas d'effet. Toute tentative dans ce sens se heurte aujourd'hui à un obstacle pratiquement impossible à surmonter : la souveraineté du pouvoir constituant. L'unicité du pouvoir constituant se décline ainsi comme le corollaire du caractère indivisible de la souveraineté. La thèse de la conditionnalité du pouvoir de révision perd sous ce rapport toute consistance, face à un pouvoir constituant qui "peut tout faire", et un juge constitutionnel qui affirme que "il n'y a pas de juge de la souveraineté nationale." D'un autre côté, les partisans de la thèse de la possibilité de réviser totalement la Constitution dont Magloire Ondoa y trouvent un véritable soutien. Ce n'est en tout cas pas le droit constitutionnel camerounais qui le démentirait, tant il est vrai que si la distinction constituant originaire - constituant institué existe, il ne s'agit en fait que des modes d'expression du souverain (I), car il est aisé de remarquer que la révision de la constitution est de la compétence du pouvoir constituant originaire (II).

    I- CONSTITUANT ORIGINAIRE ET CONSTITUANT DERIVE: DEUX MODES D'EXPRESSION DU SOUVERAIN

    L'unicité du pouvoir constituant ne peut être valablement contestée, sauf à remettre en cause l'indivisibilité de la souveraineté. L'attachement affirmé et proclamé aux valeurs démocratiques par les différentes normes fondamentales camerounaises conforte l'idée que "la

    L'idée de supra constitutionnalité se heurte surtout, devant l'incompétence du juge constitutionnel à contrôler les lois constitutionnelles, au problème de la sanction des dites règles. Car si elles s'imposent au Constituant, non seulement celui-ci n'est pas souverain, mais cette imposition doit nécessairement être garantie par une sanction et donc un juge du souverain. Le juge français s'y est refusé, prenant ainsi une position différente de celles des juges allemands et italiens qui, par leur jurisprudence, ont donné forme et consistance à la distinction schmittienne entre la Constitution qui est formée de principes politiques fondamentaux et intangibles de l'Etat, et les lois constitutionnelles qui ne sont que "les règles techniques relatives à l'organisation des pouvoirs publics, à leurs compétences et à leurs rapports mutuels". Il en résulte un contrôle juridictionnel des lois constitutionnelles par le juge constitutionnel. Sur la supra constitutionnalité, lire :

    J.P Camby, "Supra constitutionnalité : la fin d'un mythe", in RDP, n° 1,2003, pp 672 et SS. D. Maillard Desgrées Du Loû, "Le pouvoir constituant dérivé reste souverain", in RDP, n° 3,2003, pp 727 et SS.

    communauté politique forme une société immortelle." Pour cette raison, la souveraineté nationale appartiendra tout naturellement au peuple. Et comme le souligne Carré de Malberg, "si la Nation est souveraine, il n'y a qu'une volonté"(23) Celle-ci s'exprime différemment selon qu'il s'agit de créer l'Etat ou de procéder à quelques modifications indispensables du pacte fondamental. Aussi l'unicité du peuple (A) conduira à la construction de l'indivisibilité de la souveraineté (B).

    A) Le principe de l'unicité pratique du peuple

    La division du peuple ne saurait être que théorique, dans le but de donner une certaine effectivité à la distinction pouvoir constituant originaire - pouvoir constituant dérivé. Mais au regard de l'évolution du droit constitutionnel moderne, cette distinction est illusoire, car on ne peut véritablement pas distinguer le peuple "entre générations anciennes, présentes et futures." Le peuple de 1960 ne peut être supérieur au peuple de 1996 ; il s'agit du même peuple camerounais. L'unicité se justifie ainsi par une ineffectivité constatée de la dualité organique du peuple (1), et la confusion entre les titulaires du pouvoir constituant (2).

    1- L'ineffectivité de la dualité organique du peuple

    Admettre la dualité organique du peuple c'est reconnaître que "si le peuple est souverain (...) lorsqu'il intervient comme pouvoir constituant originaire, il est en revanche soumis au droit positif, donc à la Constitution, lorsqu'il agit en tant que pouvoir constitué. "(24) Or tant les auteurs que la jurisprudence confirment que l'acte de votation du peuple, à quelque moment qu'il intervienne, est la manifestation d'un pouvoir suprême. L'impossibilité de diviser le peuple sape donc le fondement de la dualité du pouvoir constituant et explique, suivant en cela Thomas Meindl, que la formule "pouvoir constituant" sans autre qualificatif soit utilisée pour identifier aussi bien le pouvoir d'élaboration que celui de révision de la constitution. Dans le respect de cette unicité du peuple, on peut comprendre que le Président Paul Biya présente l'Assemblée nationale lors de la procédure constituante de 1996 comme les "représentants souverains du peuple"(25). Comme l'explique si bien Carré de

    23 Carré de Malberg, cité par Dictionnaire constitutionnel, p 753.

    24 Th. Meindi, " Le Conseil constitutionnel aurait pu se reconnaître compétent", in RDP n° 3, 2003, pp 743 et SS.

    25 Cette confusion est relevée par le Pr. Luc Sindjoun, car s'agissant de l'écriture d'une nouvelle Constitution, il est conforme à la théorie démocratique que le nouveau texte soit ratifié par le peuple. Certes une assemblée constituante souveraine peut rédiger et adopter le texte, mais cette assemblée doit être élue par le peuple. En l'espèce, l'Assemblée nationale n'était composée que des représentants "ordinaires" du peuple et par conséquent, incompétente pour procéder à l'adoption de la Constitution du 18 janvier 1996. Pour une grande partie de la doctrine camerounaise et conformément à la science constitutionnelle, l'Assemblée nationale n'est pas souveraine car aucune disposition de la Constitution de 1972 ne lui reconnaissait le pouvoir de se substituer au peuple dans l'élaboration d'une nouvelle loi fondamentale. Pour une vue complète sur la question lire M. Ondoa, "La Constitution duale : recherches sur les dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun", in Revue africaine de science juridique, vol 1 n° 2, 2000, pp 20 et SS ; L. Donfack Sokeng, "Les ambiguïtés de la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun", in S. Méloné, A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.) La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun, Aspects juridiques et politiques, Yaoundé, Friedrich EBERT 1996, ppl6etSS;

    Malberg parlant des implications de la souveraineté nationale, "la volonté de la nation est identique à celle de ceux qui sont habilités à parler en son nom." D'ailleurs que l'élaboration d'une constitution par la seule assemblée constituante est admise en droit constitutionnel comme un mode démocratique. Mais dans le cas où la nouvelle Constitution serait élaborée par le pouvoir de révision comme cela a été le cas de la Constitution du 1er septembre 1961, "il est logique et conforme à la théorie démocratique que le nouveau texte soit adopté par le peuple."

    2- La confusion entre titulaires du pouvoir constituant

    Elle est consacrée par la Constitution qui dispose que "la souveraineté nationale appartient au peuple camerounais qui l'exerce soit par l'intermédiaire (...) des membres du Parlement, soit par voie de référendum". Cette confusion ne conteste cependant pas que "le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation..." On y verrait plutôt une concurrence dans l'exercice de la souveraineté en matière constitutionnelle. Il faut en effet relever que le Parlement n'est pas souverain lorsqu'il exerce sa fonction législative (26), alors que la jurisprudence du Conseil constitutionnel français consacre le principe de l'incompétence en matière d'adoption de la loi par la voie du référendum. Noiens volens, la confusion entre titulaires du pouvoir constituant conduit inévitablement à reconnaître aux membres du Parlement la qualité de "représentants souverains" en matière de révision constitutionnelle.

    La dualité du pouvoir constituant ne peut être utilement posée sans remettre en cause le principe de l'unité pratique du peuple. Cette dualité ne pouvait véritablement pas recevoir une application concrète au regard de l'indivisibilité de la souveraineté.

    B) L'indivisibilité de la souveraineté

    La souveraineté appartient au peuple. Il s'ensuit que toute division du peuple entraîne une division de la souveraineté. Cela est purement contradictoire. Aussi l'indivisibilité de la souveraineté implique-t-elle que le Parlement ne soit que le représentant du peuple (1) excluant ainsi toute distinction entre la volonté du peuple et la sienne (2).

    26 Le Parlement n'est pas souverain lorsqu'il exerce la fonction législative. A l'appui de cette thèse, l'existence d'un contrôle de constitutionnalité des lois. L'idée selon laquelle la loi est l'expression de la volonté générale a été reconsidérée en France notamment par ce que certains auteurs n'ont pas hésité à qualifier de "seconde révolution". Il s'agit de la Constitution du 4 octobre 1958 qui consacre un Conseil constitutionnel garant du respect de la primauté de la Constitution. Mais si le Parlement en tant que législateur n'est pas = souverain, il n'en est pas de même lorsqu'il agit en tant que pouvoir constituant. La jurisprudence constitutionnelle française est pour la souveraineté. La souveraineté en matière législative revient au peuple car le Conseil constitutionnel affirme également son incompétence pour connaître d'une loi adoptée par référendum. Il s'agit là d'un refus qui pourrait contribuer davantage à politiser le recours au peuple.

    1- la qualité de "représentant" des membres du Parlement

    Le Parlement a cette particularité d'être composé de représentants du souverain. Alors que le Président de la République est présenté comme le "chef de l'Etat", le député dans l'exercice de son mandat "représente l'ensemble de la Nation". La qualité de représentant des membres du Parlement respecte ainsi le caractère inaliénable et imprescriptible de la souveraineté. Celle-ci demeure la propriété du peuple qui ne s'en trouve pas dépossédé du fait de la délégation. L'autorité de la norme constitutionnelle semble donc sauvegardée par ce principe, car à quelque niveau que ce soit, la matière constitutionnelle relèvera de la compétence exclusive du souverain.

    2- L'identité de la volonté du peuple et de ses représentants

    Le système de la représentation ne signifie pas nécessairement une confusion entre la volonté du souverain et celle de ses représentants. En fait le peuple s'engage par avance à faire sienne les décisions que prendra le Parlement dans l'exercice de ses attributions(27). Bien entendu et comme nous l'avons vu plus haut, ce principe est absolu pour ce qui est de la fonction constituante du Parlement. En attendant la position du juge constitutionnel camerounais sur la question, force est de reconnaître que le refus du juge constitutionnel français de contrôler les lois constitutionnelles étaye cette thèse.

    L'exclusivité du souverain en matière constitutionnelle postule alors que tant l'élaboration que la modification de la norme fondamentale soient effectuées par le pouvoir constituant. Surtout que le pouvoir de révision est le souverain.

    II- LA COMPETENCE DU CONSTITUANT ORIGINAIRE EN MATIERE DE REVISION CONSTITUTIONNELLE

    La révision de la Constitution est l'occasion de la mise en oeuvre d'un pouvoir constituant dérivé ou institué. Or qui dit institution dit forcément limitation. L'idée défendue notamment par M. Kamto est que le pouvoir de révision n'est pas un pouvoir souverain. Pourtant et au regard notamment de la jurisprudence française et des expériences camerounaises de 1961 et 1996, on peut réellement affirmer que le pouvoir constituant institué est un pouvoir souverain (A). La conséquence est la valeur suprême de la loi constitutionnelle (B)

    27 La démocratie telle qu'elle est vécue aujourd'hui est bien loi de la pensée de Carré de Malberg pour qui "ce n'est pas la volonté du peuple qui détermine celle des représentants, c'est au contraire le peuple qui fait siennes par avance les volontés que ses représentants viendront à énoncer". L'avènement de la justice constitutionnelle introduit un rapport nouveau : la démocratie directe au sein de la démocratie représentative. Désormais il faudra distinguer entre les volontés des représentants ce qui est conforme à la volonté du peuple et ce qui ne l'est pas. C'est à proprement parler un renversement de la pensée de la pensée du théoricien français. Pour des développements plus importants, voir G. Burdeau et alii. Droit constitutionnel, op cit. pp 160 et SS.

    A) La souveraineté du pouvoir de révision

    "La souveraineté nationale ne peut se donner aucune chaîne (...) il est de son essence de pouvoir ce qu'elle voudra et de la manière dont elle le voudra"(28). Cette proposition épuise la thèse de la souveraineté du pouvoir de révision qui est le souverain. Il est sous ce rapport un pouvoir inconditionné (1). Plus encore avec la thèse de la "révision de la révision"(29) développée par Léon Duguit, l'on admet que le pouvoir constituant institué puisse réviser toute la Constitution (2).

    1- Un pouvoir inconditionné

    Il peut "tout faire" ; c'est en ces termes que le juge constitutionnel français consacre la souveraineté du pouvoir de révision, qu'il soit exercé par le peuple ou ses représentants. En déclarant que "le pouvoir constituant est souverain: qu'il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter les dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime approprié"(30), le juge constitutionnel français admet qu'il n'y a certes pas de "supra constitutionnalité", mais que le souverain est au-dessus de la Constitution. Face à cette inconditionnalité, les barrières posées par les pères de la constitution initiale, tant dans la forme que dans le fond s'effondrent. Nous devons toutefois tempérer nos propos car la valeur de ces limites dépend de la compétence ou non du juge à garantir leur respect. Peut être le juge constitutionnel camerounais s'inspirera-t-il de la décision de son homologue français qui a le mérite de respecter la souveraineté sans laquelle il serait impossible de traiter la norme constitutionnelle comme une règle supérieure.

    2- La possibilité de la révision totale de la constitution

    C'est une thèse défendue notamment par M. Ondoa. Déjà que sous le strict respect de son appellation, la Constitution actuelle est issue d'une révision totale de la constitution du 02 juin 1972. Le risque est pourtant grand, et M. Kamto le relève fort à propos, que la révision totale de la Constitution aboutisse à l'écriture d'une nouvelle Constitution; que "changer la constitution revient à changer de Constitution'^ 1). Il n'en demeure pas moins qu'en

    28 Frochot devant l'assemblée constituante le 03 septembre 1791, cité par D.G. Lavroff, Droit constitutionnel de la Vè République, op cit.

    29 Pour le maître de l'école de Bordeaux, la révision des dispositions constitutionnelles est possible par application de la "révision de la révision". Dans un premier temps, l'on procède à une révision pour éliminer l'interdiction de réviser. Cet obstacle étant enlevé, la révision est alors possible. Cette thèse concevable théoriquement se heurte à des commodités pratiques, car elle exige une double procédure. Mais la mise en application de cette théorie aboutirait à l'élaboration d'une nouvelle Constitution par la procédure de révision. En effet, le pouvoir de révision est certes souverain, mais il ne peut élaborer une nouvelle Constitution; or changer la forme républicaine pourrait aboutir à changer l'Etat puisque tous les Etats ne sont pas Républicains. Aussi cette théorie ne réalise pas vraiment une adhésion de la doctrine, surtout que la reconnaissance de la souveraineté du pouvoir de révision lui fait perdre tout intérêt théorique.

    30 DC, 26 mars 2003

    31 L'expression est empruntée à D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, Paris, 6*°" éd. 2001, p 214.

    admettant que la modification de la Constitution ressortit de la compétence du constituant originaire, l'on pose que cette modification puisse intéresser toutes les dispositions de la loi fondamentale. Certes cela peut aboutir à une "fraude à la Constitution"(32), mais ce serait proprement renier l'unicité du peuple que de postuler que le pouvoir constituant institué soit conditionné. De la souveraineté du pouvoir de révision, il résulte une valeur supérieure de la loi constitutionnelle.

    B) La valeur de la loi constitutionnelle

    Le droit constitutionnel allemand et le droit constitutionnel italien notamment opère une distinction entre la constitution et les lois constitutionnelles, avec comme conséquence le contrôle par le juge constitutionnel ces dernières (33). La loi constitutionnelle, c'est à dire celle portant révision de la Constitution, a de ce fait une valeur inférieure à la Constitution. Il n'en est pas de même en droit français. La valeur suprême de la loi constitutionnelle est établie (1). En droit constitutionnel camerounais l'exemple de la "loi constitutionnelle" du 18 janvier 1996 ne permet pas d'avoir une conviction totale (2).

    1- Une valeur suprême en droit constitutionnel français

    La loi constitutionnelle a une valeur constitutionnelle en droit français. Longtemps hésitante (34), la jurisprudence constitutionnelle l'a finalement consacrée dans une décision du 26 mars 2003. Le juge français après avoir posé que l'exercice du pouvoir constituant dérivé n'était pas sans réserve, s'est finalement déclaré incompétent pour apprécier la constitutionnalité d'une loi portant révision de la Constitution, et cela quel que soit son auteur.

    2- Une détermination difficile en droit constitutionnel camerounais

    Cette difficulté réside tout d'abord sur la promulgation de la "loi constitutionnelle" du 18 janvier 1996, alors que le Président de la République pouvait contester ses dispositions. En effet la constitution de 1972 dont la loi de 1996 n'était que la "révision" prévoyait un contrôle de constitutionnalité des lois à la diligence du Président de la République. En promulguant le

    32 L'expression est de Liet-Veaux. La fraude signifie qu'une nouvelle Constitution serait établie par la procédure de révision. Lire sur la question M. Kamto, "Dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant" RJA, 1995; F. Mbome "Constitution du 02 juin 1972 révisée ou nouvelle Constitution" , in S. Méloné, A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.) La reforme constitutionnelle du Î8 janvier 1996 au Cameroun, aspects juridiques et politiques, op cit. pp 16 et SS.

    33 La Cour constitutionnelle italienne a affirmé dans un arrêt n° 1146 du 15/12/1988 que "la Constitution italienne comprend quelques principes suprêmes qui ne peuvent être renversés ou modifiés dans leur contenu essentiel même pas par une loi de révision constitutionnelle ou par d'autres lois constitutionnelles" .Grandes décisions du Conseil constitutionnel, p 821.

    34 Le Conseil constitutionnel dans une décision précédente Maastricht III s'était déclaré incompétent pour contrôler la conformité d'une loi constitutionnelle adoptée par le peuple, laissant ainsi entendre implicitement qu'il contrôlerait celle qui serait adoptée par le Congrès puisque ayant déjà posé que l'exercice du pouvoir de revision n'était pas sans réserve. Mais depuis le 26 mars 2003, le juge constitutionnel a définitivement assis sa jurisprudence en la matière: il n'y a pas de distinction entre le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant institué.

    texte de 1996, le Président admet soit la constitutionnalité des dispositions, soit l'impossibilité de faire procéder à un contrôle des lois constitutionnelles. L'autre difficulté réside sur le défaut d'une position explicite du juge constitutionnel sur la question, puisque la justice constitutionnelle est encore à ses balbutiements. Nous pensons humblement au regard de la souveraineté du pouvoir constituant, que la loi constitutionnelle devrait bénéficier d'une immunité juridictionnelle.

    La dualité du pouvoir constituant est acceptable du moment qu'est préservée l'exclusivité du souverain dans l'élaboration ou la révision du pouvoir constituant. C'est surtout la confusion qu'il y a au niveau des titulaires qui introduit une incidence fâcheuse dans la construction de la suprématie constitutionnelle.

    SECTION 2: L'INSTABILITE DE LA REGLE CONSTITUTIONNELLE SOUS L'EFFET DE LA VARIATION DU POUVOIR CONSTITUANT

    La norme constitutionnelle doit être stable. Elle ne doit pas pouvoir être modifiable facilement, au gré des majorités et des caprices des pouvoirs institués. Aussi était-il nécessaire d'élever le référendum constituant au rang de "sanction obligatoire de la Constitution." Mais cette possibilité se heurte à des difficultés d'ordre pratique, car il n'est pas vraiment aisé pour un pays comme le nôtre, confronté à de sérieuses difficultés économiques, d'organiser une consultation populaire chaque fois qu'il faille modifier la règle suprême. L'exercice concurrent de la souveraineté par le peuple et ses représentants aura donc pour effet de rendre la norme constitutionnelle instable. Elle apparaît ainsi à la fois comme une norme modifiable par les pouvoirs constitués (paragraphe 1) et surtout modifiable sans l'intervention du peuple souverain (paragraphe 2).

    PARAGRAPHE 1: UNE NORME MODIFIABLE PAR LES POUVOIRS CONSTITUES

    L'exclusivité du pouvoir constituant en matière constitutionnelle induit que les pouvoirs institués, c'est à dire les organes de l'Etat ne puissent modifier la constitution. Cette interdiction est la garantie de la stabilité et de la longévité du pacte commun. On ne peut pourtant pas affirmer que ce principe est affirmé en droit constitutionnel camerounais. L'analyse des révisions constitutionnelles, surtout celles qui ont été faites entre 1983 et 1996, rend compte d'une stabilité qui dépend de la conjoncture politique (I) rendant problématique la viabilité de la Constitution (II).

    I- UNE STABILITE DEPENDANTE DE LA CONJONCTURE POLITIQUE

    La Constitution doit être garantie dans sa stabilité. Cette garantie aurait pu résider dans une totale exclusion des pouvoirs constitués du champ de la Constitution. Mais des commodités pratiques ont justifié que des rôles leur soient attribués dans la procédure constituante. Les incidences sont néfastes, car la stabilité de la Constitution est désormais soumise aux aléas des variations de la température politique. Illustratrices sont à ce sujet les révisions constitutionnelles du 18 novembre 1983 et du 17 mars 1988(35). Le moins qu'on puisse dire est qu'elles induisent une destination idéologique de la Constitution (A) en même temps qu'elles en font un objet de propagande (B).

    A) La destination idéologique de la Constitution

    La valeur suprême de la Constitution est fortement contestée par l'objectif qui précède à sa rédaction ou à sa révision. Elle se présente d'abord comme un texte au service d'une idéologie. Il ne s'agit donc pas d'un "pacte social", mais la mise en oeuvre d'une politique. Aussi M. Kamto affirme-t-il que le fédéralisme institué par la Constitution de 1961 n'était pour le président Ahidjo qu'une "transition". Cet indice est révélateur de ce qu'avant 1996, la loi fondamentale est au service de "l'idéologie de la construction nationale" qui prône la primauté de l'Etat (1) et la subsidiarité du droit (2).

    1- La primauté de l'Etat

    Les révisions constitutionnelles sont guidées par une seule volonté: consolider le pouvoir entre les mains de son détenteur. Ces révisions sont adoptées par une Assemblée nationale alors "chambre d'enregistrement" des desirata du Président de la République. La distribution des compétences est faite de telle sorte que l'Exécutif apparaît comme le pouvoir -^ et les autres organes de l'Etat de simples contre-pouvoirs, voire des pouvoirs subordonnés. Telle se présente la constitution du 2 juin 1972 qui institue, selon l'expression de M. Kamto "un régime de monocentrisme présidentiel". Il faudrait aussi relever la révision du 4 février 1984 qui supprime le poste de Premier Ministre et celle du 23 avril 1991 qui le rétablie, pour avoir la mesure d'une quête obnubilée d'un Etat fort et donc d'un Président tout-puissant.

    35 Voir M. Kamto, "Dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant", op cit.

    2- Le caractère accessoire du Droit

    La Constitution porte la marque de la primauté de l'Etat, n'étant consacrée généralement qu'à l'organisation du pouvoir politique. Aucune garantie n'est prévue pour que cette organisation acquière une certaine stabilité, car tout changement politique est susceptible d'entraîner une modification de la Constitution. Celle-ci n'est plus "un corps de règles obligatoires"(36), car le Droit est sous l'autorité de celui qui peut décider à tout moment de l'exception. L'idéologie de la construction nationale contribue à relativiser la force juridique de la règle de droit suprême qui exprime moins une idée de droit qu'une vision du pouvoir du chef de l'Etat (37).

    La destination idéologique de la Constitution cédera la place en 1996 à un droit constitutionnel de politique internationale dans les circonstances de son élaboration.

    B) Un objet de propagande

    La Constitution est censée être une vision de société idéale, et non le résultat de pressions extérieures. L'autonomie constitutionnelle est en effet un principe consacré en droit. La CIJ précise à ce sujet que "chaque Etat possède le droit fondamental de choisir et de mettre en oeuvre comme il l'entend son système politique, économique et social. "(38) Pourtant les difficultés économiques ont contraint le Cameroun comme plusieurs autres pays africains à élaborer une Constitution répondant aux exigences des bailleurs de fonds. Ce maquillage constitutionnel aboutit à faire exister une Constitution réelle à côté d'une Constitution théorique (1); cette dernière n'étant plus qu'une simple façade (2).

    1- La permanence*d'une constitution réelle à côté d'une constitution théorique

    Jean Gicquel définissait la Constitution comme "l'encadrement juridique des phénomènes politiques"(39). Si la constitution in-forme effectivement le Droit camerounais, il reste que la politique se laisse difficilement encadrer par les normes. Ce que Georges Vedel

    36 L'abbé Siéyes, cité par M. Ondoa, "La distinction entre Constitution souple et Constitution rigide en droit constitutionnel français" in Annales de la faculté des sciences juridiques et politiques. Université de Douala, n° 1 année 2002, pp 66 et SS.

    37 L'idéologie de la construction nationale qui prend racine au Cameroun dés la proclamation de l'indépendance repose sur un postulat simple: le pain avant la liberté. Cette idée irrigue le dispositif constitutionnel au point où "tout ce dit et se fait prétend l'être au nom du progrès" Sous ce rapport, "le droit apparaît comme un instrument de construction de l'unité nationale", "un instrument de politique du développement" qui conditionne les structures de l'Etat à la recherche des solutions au développement. L'idéologie se caractérise ainsi par la "mobilisation de l'ensemble du potentiel national en vue de la réalisation d'une part de l'unité nationale, d'autre part du développement national" Cène synthèse repose sur les travaux d'éminents professeurs, et notamment M. Kamto qui pose les grands développements de cette idéologie dans sa thèse Pouvoir et droit en Afrique. Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats d'Afrique noire francophone, LGDJ, Paris, 1987; M. Ondoa "Le droit de la responsabilité publique dans les Etats en développement: contribution à l'étude de l'originalité des droits africains", thèse de Doctorat d'Etat en droit public

    38 CU, arrêt sur l'affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, 1986.

    39 J. Gicquel, cité par I. Abiabag, Cours de droit constitutionnel, année 1999-2000.

    nommait "l'insoutenable autonomie du politique"(40) trouve ici toute sa vigueur, tant il est vrai que tout est politisé. Le résultat en est la permanence d'une Constitution réelle, fruit de la pratique, à côté du texte. Certes une Constitution en quelque lieu qu'on puisse se trouver c'est "un texte, un esprit et une pratique"(41), mais la prééminence du texte doit nécessairement avoir un impact sur les esprits et influencer la pratique. Ce qu'on observe pour le moment, c'est une lenteur à donner pleine effectivité à un texte qui a déjà plus de huit ans d'existence, traduction de la "résistance" du pouvoir à un ordre constitutionnel dont la particularité est de rompre avec les traditions constitutionnelles camerounaises.

    2- La loi fondamentale: une façade politique

    Elle a pour objectif de "contenter" les bailleurs de fonds par la satisfaction de principes aux slogans de l'Etat de droit. Aussi Philippe Ardant remarque-t-il que "beaucoup de Constitutions dans le tiers-monde ne sont que des façades"(42). D'ailleurs on constate que la règle fondamentale ne résiste pas bien souvent à l'ivresse du pouvoir et au désir de son détenteur de le conserver le plus longtemps possible. La loi fondamentale camerounaise n'a pas encore subi de modification depuis son adoption. Ceci pourrait s'expliquer par le fait que non seulement elle n'est pas encore "totalement" en vigueur", mais aussi que celui qui décide de l'exception ne s'est pas encore retrouvée dans la situation de "passation obligatoire" du pouvoir.

    La stabilité de la loi fondamentale court un risque énorme par la possibilité qu'on les pouvoirs constitués, et principalement le Président de la République conforté par une majorité parlementaire, de la réviser. Ces considérations posent assurément une interrogation sur la viabilité de la Constitution.

    II- UNE NORME A LA VIABILITE PROBLEMATIQUE

    La longévité de la norme fondamentale est difficile à réaliser dans les pays du tiers-monde. Lorsqu'elle n'est tout simplement pas abrogée par le "nouvel homme fort", elle est

    40 G. Vedel, cité par D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op cit. p 456.

    41 L'expression est du Général de Gaulle lors d'une conférence de presse le 31 janvier 1964, cité par 0. Duhamel et Y. Mény, Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992.

    42 Ph. Ardant, Institutions politiques et droit constitutionnel, LGDJ, Paris, 11*-- éd. 1999 p 54.

    sans cesse remodelée au point de perdre son essence. Alors que les Etats-Unis ont une Constitution qui a plus de deux siècles d'existence et que la France connaît une Constitution depuis 1958, le Cameroun a connu depuis 1960 quatre Constitutions et près d'une dizaine de révisions constitutionnelles. C'est la conséquence de ce que la Constitution, qui exprime en fait le pouvoir d'un homme (A) ne repose pas sur un large consensus (B)

    A) L'expression du pouvoir d'un homme

    La loi fondamentale est généralement la perception que le "chef a du pouvoir. Pour Laurent Gaba, cette perception a pour conséquence "la perversion de l'ensemble des institutions étatiques, à commencer par la loi fondamentale elle-même."(43) La quête d'un pouvoir sans partage conduit à la personnification du pouvoir (1); et la révision devient ainsi un véritable instrument de la garantie de la prééminence du pouvoir sur le droit (2).

    1- La personnification du pouvoir

    Véritable déviance des Républiques dites "bananières", l'institutionnalisation de l'homme est substituée à l'institutionnalisation du pouvoir. Sous ce prisme, la loi fondamentale aménage le pouvoir de manière à ce que le "chef soit tout-puissant. C'est ainsi que la constitution de 1972 institue selon l'expression de M. Kamto un "présidentialisme absolutiste", tandis que l'analyse de la loi fondamentale de 1996 fait dire à F. Eboussi Boulaga que le pouvoir du chef de l'Etat est "un pouvoir absolu et totémisé"(44). Il faut tout simplement en conclure que la relation entre la constitution et le pouvoir repose sur "l'asservissement" de la Constitution par la "sacralisation" du pouvoir. Heureusement qu'avec les données nouvelles de l'Etat de droit, le pouvoir commence véritablement a subir l'influence du Droit.

    2- La récurrence des révisions pour pérenniser le pouvoir

    Après le coup d'Etat manqué d'avril 1984, une série de réformes constitutionnelle va avoir lieu. Celles-ci auront pour but à la fois de couper le "cordon ombilical" qui liait alors le Président de la République à son prédécesseur, de donner une légitimité populaire au Président et de renforcer son pouvoir. La révision n'a donc plus pour but d'adapter la loi fondamentale aux évolutions de la société, mais de solidifier le pouvoir et le conserver.

    43 L. Gaba, L'Etat de droit, la démocratie et le développement économique en Afrique subsaharienne. L'harmattan, 2000, p 78.

    44 F. Eboussi Boulaga, cité par L. Donfack Sokeng, "Les ambiguïtés de la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun", op CIL p 51.

    Cette subordination aux "humeurs" du politique pourrait être relativisée si la Constitution reposait au moins sur un large consensus.

    B) L'absence de consensus autour de la loi fondamentale

    La viabilité et la longévité de la Constitution reposeraient en principe sur l'adhésion générale autour des principes qu'elle pose. Mais il est de tradition en droit constitutionnel camerounais que l'élaboration des Constitutions ne procède pas d'un consensus. La rédaction secrète de la Constitution de 1972 (1) et le rejet des résultats de la Tripartite et du "large débat" (2) participent de cette tendance à problématiser la viabilité de la loi fondamentale.

    1- La rédaction secrète de la Constitution du 2 juin 1972

    La fédération semble n'avoir été envisagée par le Président Ahidjo que comme une étape pour la réunion des deux parties du Cameroun. L'avènement de cet Etat unitaire et donc de la Constitution de 1972 sera "tenu secret jusqu'à la dernière minute". La Constitution du 2 juin 1972 sera, semble-t-il élaborée par un expert français sans que soit associés l'UNC ou les instances constitutionnelles de l'Etat. Le texte sera cependant soumis au référendum et adopté, sans pour autant réaliser le consensus nécessaire puisqu'il sera contesté par les anglophones (45).

    2- Le rejet des propositions de la Tripartite et du "large débat"

    La procédure constituante de 1996 a engendré la Tripartite et le "grand débat"(46), dont le but était de connaître les voeux du peuple camerounais, pris dans ses différentes composantes, sur te nouveau projet de société qui allait engager le pays sur le sentier laborieux de la démocratie. Mais les propositions issues de ces consultations populaires ont tout simplement été rejetées par le dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale du projet de loi n°590/PLJ/AN portant révision de la Constitution du 2 juin 1972, texte élaboré par un comité consultatif constitutionnel sur la base des "propositions du Président de la République."

    L'instabilité de la norme constitutionnelle vient aussi de ce que sa modification peut se faire sans le recours au souverain constituant qu'est le peuple.

    45 Cf. infia

    46 La Tripartite était une sorte d'assemblée constituante qui devait conduire un processus constitutionnel divisé en trois phases. Mais ses travaux furent interrompus pour plusieurs raison, et une autre procédure allait être relancée sous la direction et le contrôle du Président de la République. Celle-ci comportait la participation du peuple à l'élaboration du nouveau pacte commun par le fameux "grand débat" ou "large débat". Pour des plus amples développements, voir, F. Mbome, "Constitution du 2 juin révisée ou nouvelle Constitution", in La reforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun, aspects juridiques et politiques, op cit.

    PARAGRAPHE 2: UNE NORME MODIFIABLE SANS L'INTERVENTION DU PEUPLE SOUVERAIN CONSTITUANT

    Nous relèverons ici la subsidiarité du référendum dans la procédure constituante (I) et la confiscation du pouvoir constituant par les pouvoirs constitués (II).

    I- LA SUBSIDIARITÉ DU REFERENDUM DANS LA PROCEDURE CONSTITUANTE

    Le recours au peuple souverain constituant n'est pas très usité en droit constitutionnel camerounais. Pour tout dire le référendum est une procédure constituante subsidiaire. Une subsidiarité consacrée par les textes (A) et préjudiciable à la suprématie constitutionnelle (B).

    A) Une subsidiarité consacrée par les textes

    Les différentes Constitutions camerounaises ont toujours privilégié la voie parlementaire (1) pour la révision de la Constitution. Et même lorsque le référendum est envisagé, il reste une option à la discrétion du Président de la République (2).

    1- Le privilège accordé à la voie parlementaire

    Tant la Constitution du 4 mars 1960 que celle du 1er septembre 1961 avait consacré la voie parlementaire comme moyen de révision. Ainsi l'article 49 alinéa 3 de la première Constitution camerounaise disposait-il que "la révision doit être votée à la majorité des deux tiers des membres composant l'Assemblée." Cette disposition sera reprise par toutes les suivantes, certes avec quelques nuances qui n'étaient cependant pas de nature à remettre en question la primauté du Parlement. Il ressort ainsi de l'article 63 alinéa 3 de la loi fondamentale du 18 Janvier 1996 que "le Parlement se réunit en Congrès lorsqu'il est appelé à se prononcer sur un projet ou une proposition de révision de la Constitution (...) Le texte est adopté à la majorité absolue des membres le composant."(47) Que ce soit un projet ou une proposition, la voie parlementaire apparaît comme le chemin privilégié par le constituant. Cette solution est différente de la solution française qui marque sa préférence pour le référendum (48).

    2- L'option du référendum laissée à la discrétion du Président de la République

    L'autorité de la norme aurait certainement gagné en effectivité si le référendum avait été élevé au rang de "sanction obligatoire de la Constitution". En laissant l'option au Président

    47 Article 63 alinéa 3 Constitution de 1996

    48 II ressort de l'article 89 de la Constitution du 4 octobre 1958, qu'après que le texte soit adopté en termes identiques par les deux chambres, "la révision est définitive après avoir été approuvée par référendum". L'alinéa 3 laisse clairement entendre que la voie populaire est la voie "normale" et que le recours au Congrès n'est que la voie secondaire.

    de la République, la possibilité lui est offerte de recourir au peuple pour contourner un refus du Parlement ou de choisir la voie parlementaire pour éviter un désaveu populaire. Le système français est appréciable, car le Parlement intervient obligatoirement dans la procédure de révision. C'est une sage précaution, tant il est vrai que "le peuple n'est pas toujours le mieux éclairé", qui permet de dégager un large consensus autour de la norme fondamentale.

    Le constituant camerounais gagnerait à s'en inspirer, car ce choix n'est pas sans conséquence sur la stabilité de la norme constitutionnelle.

    B) Une subsidiarité préjudiciable à la stabilité constitutionnelle

    Ce préjudice résulte de la pratique consistant en l'exclusion du peuple de la procédure de révision (1) désormais soumise aux caprices d'une majorité parlementaire (2).

    1- L'exclusion pratique du peuple de la procédure de révision

    Si l'on considère toutes les révisions constitutionnelles, celles de 1961 et de 1996 incluses, on ne peut que se rendre à l'évidence que le peuple est réduit à jouer un rôle d'observateur dans la procédure de révision. On pourrait même se demander si la Constitution de 1972 aurait été adoptée par référendum si le Président Ahidjo avait eu aussi la "profonde conviction" d'obtenir les voix des députés anglophones siégeant à l'Assemblée fédérale. La voie populaire n'apparaissait-elle pas plus politique que juridique, tant il est vrai que "le peuple n'a pas le droit d'amendement, il accepte ou rejette en bloc le texte". Quoiqu'il en soit, le rejet implicite de la consultation populaire est consacré par le recours permanent aux "représentants souverains du peuple".

    2- Une stabilité soumise aux "caprices" d'une majorité parlementaire

    La stabilité constitutionnelle ne dépendrait plus alors que du bon vouloir du parti dominant. Ce schéma est envisageable en l'état actuel de notre droit constitutionnel. Par le fait des dispositions transitoires, l'Assemblée nationale exerce les attributions du Parlement. Elle pourrait donc intenter avec succès une révision constitutionnelle. D'ailleurs elle en a l'habitude, certes pas sous l'ère du pluralisme mais l'opposition ne serait pas vraiment un obstacle insurmontable devant la ferme volonté de bouleverser l'ordre constitutionnel.

    En consacrant la subsidiarité du référendum, on remet ainsi l'entièreté du pouvoir constituant aux pouvoirs constitués.

    II- LA CONFISCATION DU POUVOIR CONSTITUANT PAR LES POUVOIRS CONSTITUES

    Les commodités pratiques de l'exercice du pouvoir constituant ont conduit à attribuer des rôles aux pouvoirs institués dans la procédure de révision. Mais il est loisible de constater qu'ils ont confisqué ce pouvoir. Cela se traduit par l'emprise présidentielle sur le processus constitutionnel (A) et la pleine souveraineté des représentants du peuple (B).

    A) L'emprise présidentielle sur le processus constitutionnel

    L'élaboration des Constitutions autant que les révisions constitutionnelles révèlent une présence hégémonique du président de la République. Cette emprise s'explique par un pouvoir discrétionnaire et exclusif de l'opportunité (1) et de la gravité (2) de toute initiative en matière constitutionnelle.

    1- Juge de l'opportunité de l'élaboration et de la révision de la constitution

    Nouvelles ou révisées, l'histoire des Constitutions camerounaises est celle des projets et des visions du chef de l'Etat (49). En effet, en mettant de côté la constitution de 1960 qui rentre dans la logique juridique de la naissance d'un nouvel Etat, "la dynamique constitutionnelle du Cameroun" porte l'estampille du Président. L'illustration la plus forte et la plus remarquable demeure cette phrase du président Ahmadou Ahidjo devant l'Assemblée nationale fédérale le 9 mai 1972: "ma conviction, mesdames et messieurs les députés, ma profonde conviction est que le moment est venu de dépasser l'organisation fédérale de l'Etat". Le même constat peut être fait pour la loi fondamentale du 18 janvier 1996, qui est selon l'auditoire du Président de la République tantôt une "nouvelle Constitution", tantôt une "révision" de la Constitution de 1972. A la fin, c'est un Président convaincu que le temps était "enfin" venu de concrétiser les choses qui fait déposer le 24 novembre 1995 un projet de loi portant sur la "révision de la Constitution du 2 juin 1972."

    2- Juge de la gravité de toute réforme constitutionnelle

    Cette gravité tient tant au nombre de dispositions qui feront l'objet de modification que la terminologie même de la réforme. Ainsi en 1961, alors que l'avènement de l'Etat fédéral

    49 Voir à ce propos V. Miafo Donfack, "Le Président de la République et les Constitutions au Cameroun", in La reforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun, aspects juridiques et politiques, op cit. pp 252 et SS.

    exigeait l'élaboration d'une nouvelle Constitution, le président décide que ce sera une "loi (...) portant révision constitutionnelle et tendant à adapter la Constitution actuelle aux nécessités du Cameroun unifié". Le constat que nous pouvons faire ici est que la Constitution et les révisions constitutionnelles au Cameroun servent les desseins du chef de l'Etat. Ainsi en est-il par exemple de la révision du 18 novembre 1983 dont l'objectif, précise le Pr. Kamto, était de "se donner une légitimité populaire et républicaine et se débarrasser de cette légitimité monarchique" que le Président Biya avait hérité de son prédécesseur. La Constitution a depuis longtemps cessé d'être cet acte qu'on ne touche "qu'avec des mains tremblantes". Tournée, détournée et retournée afin de réaliser un voeu, le pouvoir absolu; servir une ambition, demeurer au pouvoir; justifier une pratique, le patrimonialisme; servir de "détergent" pour un régime contraint de démocratiser et de libéraliser. Mais ici encore, ces impératifs doivent être acclimatés afin que "l'équilibre de nos sociétés n'en soit pas bouleversé". Un équilibre mieux un statu quo qui rend l'ordre constitutionnel en servitude permanente.

    B) La souveraineté des représentants du peuple

    Le peuple a été évincé de sa place de souverain constituant par ses représentants. Ceux-ci sont en effet souverains dans l'élaboration (1) et la révision (2) de la Constitution.

    1- La souveraineté dans l'élaboration.

    Elle résulte de leur substitution au souverain constituant dans le processus constitutionnel de 1961 et de 1996. S'il est reconnu que lors d'un changement de Constitution le pouvoir constituant dérivé peut préparer le nouveau texte, le principe démocratique voudrait que la ratification définitive soit faite par le peuple souverain constituant. Mais érigée en assemblée constituante souveraine, l'Assemblée nationale s'est reconnue le droit de saisir toute la Constitution de 1972 et de réécrire chacune de ses dispositions, affirmant ainsi sa souveraineté dans l'élaboration de la Constitution, et cela en dehors de toute habilitation.

    2- La souveraineté dans la révision

    II est désormais établi que les règles de limitation du pouvoir constituant dérivé ne sont pas des barrières infranchissables. L'unité de la souveraineté et la qualité de représentant du

    Souverain confère au Parlement-constituant un pouvoir inconditionné. Il peut modifier toute la Constitution, du moment qu'il ne change pas l'esprit des institutions. Le cas échéant, il s'agira de l'écriture d'une nouvelle Constitution par la procédure de révision, ce qui est une "fraude à la Constitution".

    La question du souverain constituant ne peut être traitée aujourd'hui en occultant les modalités de la démocratie, particulièrement la représentation. "Le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple" est irréalisable sur le plan pratique. Aussi faut-il recourir aux principes. En l'espèce, il est que la souveraineté appartient au peuple, seul il en est le détenteur. Mais seize millions de camerounais ne peuvent pas s'asseoir pour réviser une constitution, plus encore pour l'élaborer. Et puisque l'élaboration d'une Constitution peut être faite, selon le principe démocratique, par une assemblée qui rédige et adopte, on doit pouvoir admettre que le recours au peuple souverain constituant n'est pas nécessairement une "sanction obligatoire de la Constitution". Bien entendu toute manifestation du pouvoir constituant doit procéder d'une délégation populaire et être conduite selon une procédure qui marque le caractère solennel du pacte fondamental. C'est l'élément indispensable de l'exclusivité du constituant en matière constitutionnelle, fondement de la suprématie de la norme fondamentale.

    CHAPITRE II

    LA PROCEDURE EXCEPTIONNELLE DE CREATION DE LA NORME CONSTITUTIONNELLE

    La création de la norme constitutionnelle n'est pas un événement banal. C'est ici l'occasion de prendre la pleine mesure de la dimension symbolique qui s'attache à la constitution et qui justifie par conséquent la procédure solennelle qui préside tant à son élaboration qu'à sa révision. La suprématie de la loi fondamentale trouve ainsi sa justification dans les formes en lesquelles celle-ci est conçue. Comme le souligne si bien Pierre Pactet, "c'est la procédure de révision qui permet de reconnaître à la loi constitutionnelle une valeur supérieure à celle des lois ordinaires" (1). La création de la règle de valeur constitutionnelle obéit aux exigences de ce que Charles Eisenmann appelait "la législation constitutionnelle.'^) C'est un ensemble de conditions de forme qui entourent la fabrication de la constitution. De fait, toute règle élaborée suivant cette forme se verra conférer la valeur suprême. Comme nous le verrons, la forme est un trait caractéristique de la reconnaissance du pouvoir constituant. Mais quelle est cette forme? Quel est le contenu des règles de la législation constitutionnelle? Rend-elle compte de la supériorité de la norme fondamentale? D'emblée on peut en relever le caractère exceptionnel, et surtout sa rupture avec la procédure législative dont elle se distingue fondamentalement. Il faut souligner que la procédure d'élaboration de la Constitution n'est pas déterminée a priori, car "il est de son essence [le pouvoir constituant] de pouvoir ce qu'elle voudra et de la manière dont elle le voudra". Sous ce rapport se décline nécessairement la nature "métaphysique" du pouvoir constituant en sa forme originaire. Aussi souligne M. Kamto, l'appréciation que l'on peut faire ne peut être que politique et non juridique (3).

    La procédure constituante a des incidences importantes sur la suprématie constitutionnelle. Aussi le droit constitutionnel camerounais et la doctrine y trouvent un champ fertile où se développent les plus grandes controverses. Le cycle constitutionnel camerounais se décline en effet en une succession de procédures dont le moins qu'on puisse

    1. P. Pactet, Institutions politiques. Droit constitutionnel, Armand Colin, Paris, 20'°"' éd., 2001.

    2. Voir Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d'Autriche, Econoirrica, PUAM, 1972. La législation constitutionnelle est selon le Pr. Eisenmann la forme dans laquelle est moulée toute règle à laquelle on veut conférer une valeur suprême. Elle se distingue de la législation ordinaire par son caractère exceptionnel et ses contraintes qui peuvent porter sur le quorum ou la majorité requise.

    3. Il est admis en droit constitutionnel que la manifestation du pouvoir constituant originaire est insusceptible d'encadrement juridique, c'est-à-dire qu'on ne peut pas dire qu'il empruntera telle forme. Le pouvoir constituant peut ce qu'il veut et dans la forme qu'il veut; et une Constitution pourrait très bien être élaborée par la procédure législative. Le caractère exceptionnel de la procédure constituante à l'origine repose finalement sur le fait qu'elle n'est organisée par aucun texte.

    dire est qu'elles sont loin des schémas classiques établis en Droit. Disons tout simplement que l'élaboration des Constitutions au Cameroun offre l'image d'une procédure véritablement ambiguë (section 1), tandis que la procédure de révision dont le critère essentiel est de j permettre la distinction entre la Constitution et la loi, met la règle constitutionnelle entre rigidité et souplesse (section 2).

    SECTION 1: UNE AUTORITE ETABLIE SUR UNE PROCEDURE CONSTITUANTE

    VERITABLEMENT AMBIGUË

    L'élaboration d'une Constitution ne se fait pas selon une procédure fixée à l'avance. C'est la conséquence de la souveraineté du pouvoir constituant. Celui-ci se détermine selon les modalités que lui seul fixe. D en résulte que la procédure d'élaboration de la Constitution ne peut être "ni régulière ni irrégulière"(4). Cette vision sténotypée est loin d'être aussi simple en pratique, surtout en droit constitutionnel camerounais. L'élaboration des Constitutions à une exception près, est source de controverse car véritablement ambiguë. Une ambiguïté construite au fil des bouleversements sociopolitiques (paragraphe 1) dont la loi fondamentale du 18 janvier 1996, texte discuté dans sa création (paragraphe 2) est, au stade actuel de notre droit, l'exemple le plus significatif.

    PARAGRAPHE 1: UNE AMBIGUÏTE CONSTRUITE

    De l'analyse de la dynamique constitutionnelle camerounaise, seule la Constitution du 4 mars 1960 échappe à une controverse dans son élaboration. Peut être parce que le pouvoir constituant qui présida à son élaboration s'est développé sur un terrain véritablement vierge(5). Adoptée 1e 21 février 1960 par référendum et promulguée le 4 mars de la même année, la toute première Constitution du Cameroun marque son accession au statut d'Etat. Son avènement est plutôt célébré que décrié, car la loi fondamentale porte l'estampille du souverain constituant. Mais dès 1961 la législation constitutionnelle s'engage par le fait des politiques sur un chemin difficile caractérisé par l'ambiguïté des procédures par lesquelles est élaborée la règle de droit suprême. Cette ambiguïté est décelable à travers la "révision" de la Constitution du 4 mars 1960 (I) et le référendum constituant de 1972 (II).

    4. Le pouvoir constituant est un pouvoir inconditionné. Aucune règle ne le limite car précise P. Pactet" les assemblées constituantes sont maîtresses de leur procédure puisque libres et inconditionnées du fait de la disparition de l'ordre juridique antérieure". A cause de cette souveraineté du pouvoir constituant, la doctrine soutient qu'une "révision constitutionnelle ne saurait être anticonstitutionnelle".

    5. La Constitution du 04 mars est celle qui crée l'Etat du Cameroun. Elle est sur le plan de la science constitutionnelle l'acte fondateur de l'Etat, puisqu'il n'existait jusqu'à cette date aucun Etat connu dans le monde et dénommé Cameroun. Avec la loi fondamentale de 1961, le Cameroun sort de la tutelle pour exister par lui-même et pour lui-même.

    I- LA "REVISION" CONSTITUTIONNELLE DU ler SEPTEMBRE 1961

    La promulgation de la "loi n°61-24 du 1er septembre 1961 portant révision constitutionnelle et tendant à adapter la Constitution actuelle aux nécessités du Cameroun réunifié" marque le début de ce que nous qualifions d'ambiguïté. Elle provoque une controverse sur la nature de l'acte (A). Toutefois, cette opposition n'empêche pas la reconnaissance a posteriori du non-respect des conditions d'élaboration des Constitutions (B).

    A) La controverse entre politique et juristes sur la nature de l'acte

    La question est de savoir s'il s'est agit en l'espèce d'une "fraude à la Constitution". Alors que l'intitulé même de l'acte défend la thèse de la révision (1), la doctrine soutient qu'il s'agit de l'écriture d'une nouvelle Constitution (2).

    1- La thèse politique de la révision

    L'intitulé de l'acte promulgué le 1er septembre 1961 conforte la thèse de la révision(6). Il était juste question de mettre la loi fondamentale en conformité avec quelques modifications socio-politiques faisant suite au rattachement de la partie occidental du pays à l'ensemble du Cameroun. C'est la marque d'un "Cameroun réunifié" et en marche vers son unification qui seule pourra exiger une nouvelle Constitution (7). D'ailleurs le texte est adopté par l'Assemblée nationale, exerçant la compétence de pouvoir constituant institué que lui reconnaissait l'article 49 alinéa 3 de la constitution de 1960.

    2- La thèse doctrinale de l'écriture d'une nouvelle Constitution

    Pour M. Kamto, l'intitulé de l'acte promulgué le 1er septembre 1961 est "trompeuse" car, poursuit-il "sous le couvert de la révision de cette Constitution [celle du 4 mars I960], on a doté le Cameroun d'une nouvelle Constitution (8) Il ne s'agit ni plus ni moins que d'une violation de la procédure. La doctrine repose sa thèse sur le fait que la Constitution de 1961 "modifie substantiellement la nature du régime politique du Cameroun."(9) C'est un texte qui trouve son fondement dans la réunification de l'Etat indépendant du Cameroun et du "Southem Cameroon". De cette réunification naîtra la République fédérale du Cameroun. Or

    6 Sur le plan formel en effet, le texte du 1° septembre 1961 est bien une revision constitutionnelle car la procédure mise en oeuvre est celle ui était prévue pour la modification de la Constitution du 04 mars 1960.

    7 L'idée avancée par le Pr. Kamto est que le fédéralisme n'était qu'une étape provisoire, car le Président Ahidjo aspirait unir les Camerouns n un seul Etat. Le discours que tint ce dernier juste avant de soumettre au référendum le projet de Constitution de la République Unie du Cameroun confirme cette thèse. Selon le Président Ahidjo, il était enfin temps de dépasser la forme fédérale pour bâtir un Cameroun fort et prospère. Les camerounais le plébisciteront.

    8 M. Kamto, "Dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant", RJA, 1995, pli.

    9 Alors que la Constitution du 04 mars établissait un Etat unitaire avec un régime de type parlementaire, la loi fondamentale du 1° septembre 1961 institue un régime "complexe", selon l'expression de M. Kamto. Celui-ci est présidentiel au niveau fédéral et

    parlementaire au niveau des Etats fédérés.

    il est admis en droit constitutionnel qu'il peut avoir création d'un nouvel Etat par la réunification d'Etats. Et M. Kamto de conclure qu'il s'agit de la "IIème République camerounaise."

    La thèse de la "fraude" et par conséquent de l'écriture d'une nouvelle Constitution par la procédure de révision est aujourd'hui plus que confortée.

    B) L'établissement a posteriori d'une violation de la procédure constituante

    La thèse de l'écriture d'une nouvelle Constitution trouve sa justification au regard du droit constitutionnel. Il est en effet établi que " le passage d'un Etat unitaire à un Etat fédéré peut être considéré comme l'écriture d'une nouvelle Constitution. "(10) Mais loin d'emprunter la voie normale, l'élaboration de la Constitution de 1961 constitue ce que M. François Mbomè qualifie de "détournement de procédure"(l 1) surtout que "aucune disposition réglementaire, législative ou a fortiori constitutionnelle, faisant de l'Assemblée nationale en fonction un organe habilité à voter une nouvelle Constitution" n'existait. En votant la "loi n°61-24", les députés crée un nouvel Etat (1), condamnant ainsi à la disparition les institutions de la Constitution de 1960 (2).

    1- L'avènement d'un nouvel Etat: la République fédérale du Cameroun

    L'Etat fédéral du Cameroun procède de la Constitution du 1" septembre 1961. En établissant une Constitution nouvelle par la procédure de révision, les pouvoirs institués s'arrogent un pouvoir qui ne leur est pas reconnu dans la logique démocratique. Car même si le pouvoir de révision peut tout faire, il est pourtant limité par l'esprit du texte quand bien même il réviserait* toute la constitution. Dans cette perspective, il ne peut élaborer une nouvelle Constitution par la mise en oeuvre de la procédure de révision. La logique démocratique voudrait que, même si la rédaction d'une nouvelle Constitution est faite par le pouvoir constituant dérivé, la ratification ressortisse à la compétence du peuple souverain constituant. En se situant en marge de ce schéma, la procédure constituante de 1961 s'illustre par son irrégularité. Encore que la Constitution de 1960 ayant été adopté par référendum, il revenait encore au peuple camerounais de revenir sur les principes qu'il avait posés (12)

    10 Cette opinion est défendue notamment par le Pr. Pactet. Il est de même établi en droit constitutionnel classique qu'il y a nouvel Etat et donc nouvelle Constitution lorsque deux ou plusieurs Etats se réunissent pour former un Etat fédéral.

    11 F. Mbomè, "Constitution du 2 juin 1972 révisée ou nouvelle Constitution", in La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun. Aspects juridiques et politiques, op cit. p33.

    12 II s'agit du principe dit du parallélisme des formes et des procédures.

    2- La disparition des institutions de la Constitution de 1960

    Quelle était la force juridique de la Constitution de 196l? Nous pouvons dire sans risque de nous tromper qu'elle s'est imposée comme le nouveau socle du droit constitutionnel camerounais. Sa puissance abrogative se traduit par la disparition des institutions mises en place par la Constitution de 1960. Tel est par exemple le cas de l'Assemblée nationale qui est remplacée par le Parlement fédéral; on peut aussi remarquer la substitution de la dénomination "République fédérale du Cameroun" à celle de "République du Cameroun". Mais il faut souligner, comme le fait déjà M. Kamto et à sa suite M. Mbomè, que le texte de 1961 sur le strict plan formel est une loi de révision. Il serait donc abusif de parler d'un pouvoir constituant originaire, car celui-ci se manifeste en une procédure qui se veut "insusceptible d'appréhension juridique". Aucun texte, aucune loi ne lui impose une attitude: il peut ce qu'il veut et en la forme qu'il désire. C'est un pouvoir suprême.

    La controverse née de la Constitution de 1961 allait être revitalisée par le référendum constituant du 20 mai 1972 qui donne naissance à la République Unie du Cameroun.

    II- LE REFERENDUM CONSTITUANT DU 20 MAI 1972 ET LA CONSTITUTION DU 02 JUIN 1972

    Dans un article intitulé "A propos de la thèse minoritaire sur le statut du référendum du 20 mai 1972 ou la quête du droit dans le métajuridique", James Mouangue Kobila, reprenant la thèse du Pr. Kamto, écrit que "la Constitution du 02 juin 1972 apparaît comme l'oeuvre d'un pouvoir constituant originaire agissant ex-nihilo" et, conclut-il "la critique de la procédure ne peut être juridique mais politique." Il s'agit de montrer que le référendum constituant du 20 mai 1972 n'a pas été à l'abri de toute critique (A), cependant que son autorité à été reconnue par la doctrine et en fait (B).

    A) Une procédure diversement interprétée

    Le 20 mai 1972, le peuple camerounais est interpellé directement par le Président Ahidjo pour donner son avis sur une question ainsi libellée: "approuvez-vous, dans le but de consolider et d'accélérer le développement économique, social et culturel de la nation le projet de Constitution soumise au peuple camerounais par le Président de la République fédérale du Cameroun et instituant une République une et indivisible sous la dénomination de République Unie du Cameroun?" Adoptée à la majorité écrasante de 99,90%, la constitution de la IIIème République était promulguée le 02 juin 1972. Présentant tous les caractères d'une procédure

    constituante régulière (2), le référendum va pourtant faire l'objet d'une vive contestation allant jusqu'à déclarer "invalide" la loi fondamentale de 1972 (1).

    1- Une procédure manifestement illégale

    La régularité de la procédure constituante est contestée par quelques auteurs mais surtout par l'élite anglophone. Invoquant à l'appui de leur thèse le non-respect par le Président Ahidjo de l'article 47 de la Constitution du 1er septembre 1961. Celui-ci détermine les conditions de révision de la Constitution et dispose que:

    " L'initiative de la révision appartient concurremment au Président de la

    République Fédérale après consultation des Premiers ministres des Etats

    fédérés et aux députés de l'Assemblée fédérale (...)

    La révision doit être votée à la majorité simple des membres composant

    l'Assemblée fédérale à condition toutefois que cette majorité comporte

    la majorité des représentants à l'Assemblée fédérale de chacun des Etats

    fédérés."

    Sur le fondement de cette disposition, la procédure constituante sera déclarée contraire à la Constitution du 1" septembre 1961, et la Constitution du 2 juin 1972 sans valeur. Mais il s'agit là de la procédure prévue pour la révision de la Constitution. Par conséquent, cet argument ne saurait prospérer. Il faut en effet remarquer qu'en 1972, il s'est agit de la création d'un nouvel Etat et, en l'espèce, de la manifestation d'un pouvoir originaire qui ne peut se déterminer selon des formes préétablies. C'est pourquoi conclut le Pr. Kamto, le Président Ahidjo a eu recours à une procédure non prévue par la Constitution fédérale pour la révision: le référendum.

    2- Une procédure constituante en tout point régulière

    II est revenu à M. Kamto d'être le porte-parole de la doctrine majoritaire qui défend la thèse de la régularité de la procédure constituante du 20 mai 1972. L'argument de l'irrégularité reposant sur la violation de la procédure de révision, il est établi qu'il ne s'est agit nullement d'une révision, mais de l'établissement d'une nouvelle Constitution(13) Ce qui explique, comme le démontre si bien M. Kamto que le Président ait opté pour un référendum.

    13 Voir à ce propos M. Kamto, "Dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant", op cit. Aussi sur la même question, J Mouangue Kobila, « Q propos de la thèse minoritaire sur le statut du référendum du 20 mai 1972 ou la quête du droit dans le métajuridique »

    En recourant au souverain constituant qui est le peuple, la procédure constituante affirme son respect des principes qui président à l'élaboration des constitutions, tels qu'ils sont posés par la science constitutionnelle. Plus encore, elle se revêt d'une autorité telle qu'il ne peut en être conçue de plus élevée, car étant l'expression "directe" de la volonté du souverain. D'où sa nature de loi fondamentale (14).

    B) La réformation du système juridico-politique camerounais par la Constitution de

    1972

    La Constitution du 2 juin 1972 produit pratiquement les mêmes effets que sa devancière par rapport à la Constitution du 4 mars 1960. Le droit constitutionnel voit encore son fondement bouleversé car la réforme est visible tant sur les institutions (1) que sur le système juridique (2).

    1- La réforme institutionnelle

    C'est l'avènement d'un nouvel Etat, selon les schémas établis en droit constitutionnel. La République Unie du Cameroun succède à l'Etat fédéral, ce qui se traduit par un bouleversement total des institutions. Les trois assemblées disparaissent au profit de l'Assemblée nationale, et le Président Ahidjo réalise son ambition: être le Président d'un "grand" Cameroun. L'analyse des dispositions du texte fait dire à M. Kamto que le régime politique qui s'en dégage est "un présidentialisme autoritaire." (15) Le Président de la République est la pièce maîtresse de l'architecture institutionnelle, encore que la rédaction du texte s'est fait dans le plus grand secret, et que le choix du référendum était plus un moyen de contourner le blocage qu'aurait assurément constitué l'absence de la majorité requise des députés du Cameroun anglophone. A la lumière de tout cela, l'idée selon laquelle la fédération n'avait été envisagée par le Président Ahidjo que comme une transition, certes dangereuse mais nécessaire, retrouve toute sa pertinence.

    2- La réforme du système juridique

    Elle se traduit par les "fameuses" ordonnances de 1972 dont l'une porte organisation judiciaire. Cette réforme, à quelques exceptions près, est totale car aux termes de l'article 38:

    "La législation résultant des lois et règlements applicables dans l'Etat

    14 L'intervention directe du peuple dans la procédure constituante est regardée comme le mode le plus démocratique d'élaboration de la Constitution. Elle est aussi l'un des éléments de rigidité de la loi fondamentale.

    15 M. Kamto, "Dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant", op cit. p 17.

    fédéral du Cameroun et dans les Etats fédérés à la date de prise d'effet de la présente constitution reste en vigueur dans ses dispositions qui ne sont pas contraires aux stipulations de celle-ci, et tant qu'elle n'aura pas été modifiée par voie législative ou réglementaire."

    L'in-formation du système juridique par la Constitution de 1972 se traduit également par la réformation de l'architecture judiciaire désormais surplombée par la Cour suprême en lieu et place de la Cour fédérale de justice.

    Les discussions sur la procédure constituante seront relancées à l'occasion de l'adoption de la loi fondamentale du 18 janvier 1996, créant ainsi en droit constitutionnel camerounais une tradition.

    PARAGRAPHE 2: UNE AMBIGUÏTE REAFFIRME PAR L'ELABORATION DE LA LOI FONDAMENTALE DU 18 JANVIER 1996

    La promulgation du texte intitulé "loi n°96-06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972"(16), provoque au sein de la doctrine camerounaise un soulèvement général. A l'origine, la procédure ayant présidé à l'élaboration et à l'adoption de ce qu'une partie de la doctrine qualifie de "Constitution de la IIIème République bis". Car au- delà des discours politiques et de l'ambiguïté entretenue à dessein ou non par le Président de la République (7), la question de la procédure empruntée autant que celle de la nature de l'acte promulgué le 18 janvier 1996 restent frappantes d'actualité. L'opposition est véritable au sein de la doctrine. Divisée en deux tendances (I), la controverse autorise pourtant aujourd'hui un dépassement (II).

    I- LES DEUX TENDANCES DE LA DOCTRINE CAMEROUNAISE

    La promulgation de la loi fondamentale du 18 janvier, tout en rappelant la tradition camerounaise en la matière, a donné à la doctrine une autre occasion de s'affronter sur le terrain du droit constitutionnel. Cette divergence d'opinion est construite autour d'une question: le texte promulgué le 18 janvier 1996 est-il la nouvelle Constitution du Cameroun ou une simple

    16 Ce qui est considéré et appliqué comme "Constitution de la République du Cameroun" est littéralement intitulé "loi n° 96-06...". Les auteurs ont vite rapproché cet intitulé de celle de la loi fondamentale du 1er septembre 1961.

    17 Cf. supra

    révision de la Constitution du 02 juin 1972? Les réponses des auteurs révèlent une opposition qui porte sur deux points: la qualification de la procédure (A) et la détermination de la nature de l'acte (B) qui en est le corollaire.

    A) La qualification de la procédure constituante

    La procédure constituante ayant présidé à l'adoption de la loi fondamentale du 18 janvier 1996 est révélatrice selon M. Donfack Sokeng de "la lutte acharnée des forces en présence pour le contrôle du pouvoir suprême de l'Etat symbolisé ici par la maîtrise du pouvoir constituant.(18) Interpellé sur la qualification de la procédure suivie par le pouvoir constituant, une partie de la doctrine affirme sa régularité (1) tandis que l'autre dénonce un détournement de procédure (2).

    1- La thèse de la régularité de la procédure constituante de 1996

    Défendue notamment par M. Ondoa, la thèse de la régularité de la procédure constituante de 1996 semble s'appuyer d'abord sur l'intitulé même de l'acte. Cet intitulé invalide, précise M. Ondoa, "toute interprétation contraire à l'idée de révision. "(19) II s'agit d'une loi qui porte sur la révision de la Constitution du 02 juin 1972. Mais en dehors de cet argument tiré d'une exégèse stricte de l'entête du dit texte, les défenseurs de la thèse de la régularité font valoir la conformité de la procédure aux dispositions de l'article 36 du titre DC de la constitution de 1972 relative à la révision constitutionnelle. Mais la Constitution de 1972 à été totalement révisée! Tout en admettant qu'une révision constitutionnelle peut porter sur toutes les dispositions de la constitution, M. Ondoa précise cependant qu'elle ne doit pas aboutir à une "abrogation complète de toutes les règles et institutions contenues dans le texte constitutionnel", car alors conclut-il, "l'organe chargé de la révision perdrait sa nature essentiellement limitée de pouvoir de révision pour se transformer en pouvoir constituant originaire." Or il se trouve que si l'Assemblée nationale a effectivement modifié toute la Constitution de 1972, elle n'a cependant pas excédé les limites fixées qui portent notamment sur la forme républicaine de l'Etat. Sous ce rapport, "l'opération du 18 janvier 1996 présente tous les éléments de conformité au droit positif camerounais."

    18 L. Donfack Sokeng, "Les ambiguïtés de la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun", in La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun. Aspects juridiques et politiques, op cit. p37.

    19 M. Ondoa, "La constitution duale: recherches sur les dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun", in Revue africaine de science juridique, vol 1 n° 2,2000.

    2- La thèse du détournement de procédure

    La procédure constituante de 1996 n'est pas sans rappeler celle de 1961. Sauf qu'ici il se dégage à la fois un détournement de procédure, mais surtout une succession de procédure (20). Les partisans, nombreux, de la thèse du détournement font valoir que la procédure de révision de la constitution de 1972 a été utilisée pour écrire une nouvelle Constitution. Pour M. Donfack Sokeng en effet, la procédure indiquée au départ par le Président de la République révélait "les trois phases classiques préconisées par la théorie constitutionnelle relative à l'adoption d'une Constitution moderne et démocratique..." Sous ce prisme, la Tripartite, le "grand" ou "large débat" ne peuvent que conforter la décision de rompre avec l'ordre antérieur. Le "plus jamais ça" de Jean Gicquel trouve sa résonance dans le "changement" réclamé à cor et à cri par le peuple camerounais. Mais ce changement qui, selon les participants aux rencontres de la Tripartite, ne pouvait reposer que sur l'élaboration d'une nouvelle Constitution, se perdra dans une procédure conduite, selon l'expression de F. Mbomè "sur un imbroglio total."

    Cette controverse sur la procédure rejaillit sur la nature de l'acte promulgué le 18 janvier 1996.

    B) La nature controversée du texte promulgué le 18 janvier 1996

    C'est tout logiquement que l'on peut envisager la controverse sur la nature de l'acte né de la procédure constituante qui débute le 30 octobre 1991 avec la Tripartite et s'achève le 18 janvier 1996. Ici encore on observera que la doctrine est divisée entre partisans d'une loi constitutionnelle (1) et défenseurs d'une nouvelle Constitution (2).

    1- Une simple loi constitutionnelle

    L'intitulé du texte renseigne que le texte promulgué par le Président de la République est bel et bien une "loi (...) portant révision de la Constitution du 02 juin 1972." C'est la conséquence logique que "la démarche camerounaise du 18 janvier 1996 affirme sa régularité."(2l) La souveraineté du pouvoir constituant rendant illusoire toute tentative de le limiter matériellement lorsqu'il agit en tant que pouvoir de révision, la révision totale de la

    20 Parti sur une logique d'élaboration d'une nouvelle Constitution, le débat institué par la Tripartite va être court-circuité par le Président de la République. Ce dernier va définir une procédure qui ne différait pas fondamentalement de celle des participants aux rencontres de la Tripartite, car elle préconisait trois phases qui selon le Pr. Donfack Sokeng, "n'étaient pas sans rappeler les trois phases classiques préconisées par la théorie constitutionnelle relative à l'adoption d'une Constitution moderne et démocratique". Le Parlement saisi du projet de révision allait lui aussi instituer une autre procédure en reprenant et en réécrivant toute la Constitution du 2 juin 1972, depuis le Préambule jusqu'au dernier article.

    21 M. Ondoa, "La constitution duale: recherches sur les dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun", op. cit.

    Constitution du 02 juin 1972 était possible. Plus encore, cette révision pouvait être adoptée par l'Assemblée nationale suivant la procédure législative ordinaire; la Constitution de 1972 étant souple. Ces limites matérielles ne reposant non pas sur l'impossibilité de réviser toutes les dispositions de la constitution que la théorie de la double révision élaborée par Duguit permet de réfuter, mais sur l'interdiction d'utiliser la procédure de révision pour changer par exemple la forme républicaine de l'Etat. Etant resté dans ces limites lors des débats, le texte de 1996 est assurément une loi constitutionnelle. Cette thèse à le mérite d'admettre à la fois la souveraineté du pouvoir constituant institué consacrée par la jurisprudence française, et la fraude que pourrait constituer la rédaction d'une nouvelle Constitution par le pouvoir constituant dérivé.

    2- Une nouvelle Constitution

    L'idée que le texte promulgué le 18 janvier 1996 est la nouvelle constitution du Cameroun repose sur une série d'arguments développés notamment par M. Kamto. Tout d'abord, l'éminent Professeur affirme que le projet déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale ne portait aucune indication quant aux dispositions qui devaient faire l'objet de modification. A la suite de cela, il fait valoir que pratiquement toute la Constitution de 1972 a été révisée. Enfin M. Kamto insiste sur la manière dont le projet de révision a été discuté à l'Assemblée nationale. Pour toutes ces raisons, conclut-il, l'acte promulgué le 18 janvier 1996, au-delà de son intitulé, est bien une nouvelle Constitution. C'est une position identique qu'adopte M. Donfack Sokeng quand il affirme que "la procédure de révision de la Constitution (...) a certainement violé les limites matérielles assignées audit pouvoir de révision en élaborant une Constitution nouvelle..."

    La controverse doctrinale relative à la loi fondamentale du 18 janvier 1996 semble se ramener à une opposition entre partisans de la théorie de la révision complète de la Constitution et ceux qui postulent que la révision constitutionnelle ne saurait intéresser toutes les dispositions constitutionnelles. Il est important, pensons-nous, d'opérer un dépassement.

    II- UNE OPPOSITION A DEPASSER

    La question est de savoir si la loi fondamentale du 18 janvier 1996, en dehors de toute considération de forme, est en fait et en droit à la base du droit constitutionnel camerounais tel qu'il se présente aujourd'hui. Il apparaît au regard du texte même de ce qui est "la Constitution de la République du Cameroun" que le droit constitutionnel moderne du Cameroun ne peut

    être envisagé que dans une perspective ambivalente (A). Mais ce "visage de Janus" ne peut occulter l'emprise de la loi fondamentale du 18 janvier 1996 sur la société politique (B).

    A) Le double socle du droit constitutionnel camerounais

    Contrairement à la situation de 1961, les institutions créées par la Constitution du 02 juin 1972 ont du mal à disparaître de l'univers institutionnel camerounais. Ceci tient au fait que la Constitution du 18 janvier 1996 même si elle est en vigueur et par conséquent à la base du droit constitutionnel camerounais(l), elle a par le fait des dispositions transitoires, consacré ce que M. Ondoa appelle "la survie de l'ancienne Constitution." (2)

    1- La Constitution du 18 janvier 1996: socle principal du droit constitutionnel camerounais

    Le droit constitutionnel n'est plus enseigné de nos jours par référence à la Constitution du 02 juin 1972. La loi fondamentale du 18 janvier 1996 est à la base de la construction d'un nouveau droit constitutionnel (22), sans doute celui de l'ère moderne. L'architecture normative tel qu'envisagé par le grand maître autrichien Hans Kelsen repose désormais au Cameroun sur la Constitution de 1996. Sa place au sommet de la pyramide des normes est attestée notamment par sa capacité à invalider certains textes de loi pris sous l'empire de la constitution de 1972. Û en est ainsi par exemple de l'ordonnance n°72/06 et plus précisément son article 9(23). On peut aussi citer le cas de l'article 22 de la loi du 16 décembre fixant les conditions d'élection des députés à l'Assemblée nationale et l'article 3 alinéa 2 du Règlement intérieur de l'Assemblée nationale qui a été récemment modifié pour se conformer aux dispositions de la Constitution de 1996(24). L'on peut donc observer que la loi fondamentale effectue un "toilettage général" du droit constitutionnel camerounais et lui donne un visage véritablement nouveau.

    22 Cf. infra

    23 Cet article est devenu caduc depuis la promulgation de la loi fondamentale du 18 janvier 1996. En effet il définissait de manière limitative les matières qui composent le contentieux administratif de l'Etat et des autres collectivités territoriales décentralisées. Au regard de cet article, le juge administratif apparaissait comme un juge d'attribution, alors que le juge judiciaire était considéré comme le juge de droit commun de l'administratif. Avec la Constitution nouvelle, le juge retrouve la plénitude des compétences en matière administrative, puisque l'article 40 alinéa 1" dispose que "la chambre administrative connaît de l'ensemble du contentieux administratif de l'Etat et des autres collectivités publiques".

    24 Cet article déclaré non conforme à la Constitution par la Cour suprême siégeant comme Conseil constitutionnel dans une décision n°001/CC/02-03 du 28/11/2002, a été modifié par la loi n° 2002-5 du 2 décembre 2002 modifiant et complétant certaines dispositions du règlement intérieur de l'Assemblée nationale. Le juge constitutionnel constate que "la procédure de validation prévue par le règlement intérieur de l'Assemblée nationale dans (...) apparaît comme un contrôle a posteriori de la décision du Conseil constitutionnel déclarant élu des candidats à l'élection législative; qu'une telle procédure, en vigueur avant l'institution du Conseil constitutionnel par la Constitution du 18 janvier 1996 ne trouve plus sa raison d'être en l'état". Cette décision frappe aussi d'inconstitutionnalité les articles 4 nouveau, 5 nouveau, 6 nouveau, 7 nouveau et 10 in fine du règlement intérieur de la chambre.

    2- Une base incidente: la Constitution du 02 juin 1972

    Si le droit constitutionnel actuel repose sur la constitution de 1996, on ne peut cependant nier qu'il est construit en partie sur des considérations exclusivement théoriques. En effet la mise en place des nouvelles institutions demeurent jusqu'à ce jour attendue. Certes le dispositif normatif est déjà palpable (25), mais l'institution reste au niveau des expectatives. Pour M. Ondoa, la survie de la constitution du 02 juin 1972 traduit une "impuissance abrogative" de la Constitution de 1996 qui "se révèle molle dans sa volonté d'effacer de manière rapide et efficace l'ordre ancien." Le trouble constitutionnel que constitue l'applicabilité de certaines dispositions de la Constitution de 1972 pourrait certainement porter préjudice à l'autorité du pacte fondamental de 1996, mais ce serait ignorer qu'il s'agit aussi en l'espèce de l'application dudit texte et plus précisément de l'article 67 alinéa 2.

    La loi fondamentale du 18 janvier 1996 a assurément rénové le droit constitutionnel camerounais tel qu'il existait sous la constitution de 1972. Il faut en effet souligner que ce texte porte en lui l'idée de constitutionnalisme, mouvement dont l'origine se situe au siècle des Lumières et qui postule que l'existence de la constitution est une garantie contre l'arbitraire car "elle définit un Etat de droit où n'est possible que ce qui est conforme aux règles qu'elle pose."

    B) L'emprise de la Constitution de 1996 sur la société politique

    L'adhésion aux valeurs du constitutionnalisme introduit certainement une nouvelle vision du pouvoir par la classe politique camerounaise, au premier rang duquel le Président de la République. La Constitution qui est promulguée le 18 janvier 1996 n'est pas véritablement celle que le Président souhaitait, car c'est à l'ultime moment que la procédure et la transition démocratique qu'il conduisait à son rythme vont lui échapper au profit de l'Assemblée nationale. Par ce fait, la Constitution de 1996 marque sa volonté d'encadrer le pouvoir. Une entreprise certes difficile (1) mais qui permet de rejeter l'analyse politiste dans la détermination du régime politique camerounais (2)

    1- Un encadrement difficile du politique

    La suspension de certaines dispositions de la Constitution de 1996 est présentée comme une réminiscence des réflexes d'antan. Certes cette suspension n'affecte nullement la force obligatoire des dites dispositions. Celle-ci est indiscutable car elle se rattache à leur

    25 Mis à part les lois du 21 avril 2004 relatives d'une part à l'organisation et au fonctionnement du Conseil constitutionnel, et d'autre part au statut des membres du dit Conseil, il y a également la promulgation des lois relatives à la décentralisation. Ces dernières sont contenues dans Cameroon tribune n° 8146/4431 du 26/07/2004, n° 8148/4433 du 28/07/2004 etn°8149/4434 du 29/07/2004.

    promulgation. D'ailleurs souligne M. Ondoa, "la suspension (...) n'ôte-t-elle pas leur force juridique aux dispositions concernées" car " la force obligatoire et la valeur constitutionnelle des dispositions suspendues au Cameroun découlent de leur promulgation et de leur publication."(26) II s'agit donc visiblement de la volonté de l'autorité politique de retarder autant que possible l'avènement d'un Gouvernement constitutionnellement limité tel que le prévoit la Constitution. La difficulté est grande quant à la détermination du terme de cette situation qui perdure depuis plus de huit ans déjà, et qui ne rend pas aisé l'oeuvre d'encadrement du politique par le Droit. Cette entreprise devant beaucoup, au regard du cas français, à l'activité du juge constitutionnel. Malheureusement, l'institution est encore matériellement inexistante.

    2- Le rejet de l'analyse politiste dans la détermination du régime politique camerounais

    La Constitution permet-elle de déterminer le régime politique camerounais? Une réponse affirmative semble s'imposer à cette question. Il ne s'agit cependant pas de ranger le Cameroun dans l'une des catégories de régimes politiques existants, mais d'analyser les dispositions du texte. De cette analyse, il ressort que le régime politique camerounais n'est ni parlementaire, ni même présidentiel. Certains auteurs postulent même son caractère libéral fondé sur la reconnaissance de la valeur constitutionnelle du préambule et des garanties qui lui sont affectées (27). En tout cas la détermination du dit régime ne peut se faire en dehors d'une analyse des règles constitutionnelles d'organisation du pouvoir. De là il résulte qu'il s'agit d'un régime qui n'entre dans aucune catégorie répertoriée, un régime qui a sa nature propre. Celle-ci n'est pas le fait des rapports de force, mais d'une distribution particulière du pouvoir entre les différents organes de l'Etat.

    Les procédures d'élaboration des Constitutions camerounaises ont construit une sorte de tradition constitutionnelle consistant à emprunter des voies détournées pour établir un Etat nouveau. Cependant ces procédures aussi contestables soient-elles ont rarement affecté la qualité de règle supérieure de l'acte résultant. Mais il n'en est pas de même des procédures de révision, dont l'évolution en dents de scie marque une certaine flexibilité de cette autorité.

    SECTION 2 : LA REGLE CONSTITUTIONNELLE ENTRE RIGIDITE ET SOUPLESSE

    Le recours au critère de "volonté générale", ou "d'expression de la volonté du peuple" pour justifier la suprématie des règles constitutionnelles trouve ses limites en ce que la loi

    26 M. Ondoa, "La constitution duale: recherches sur les dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun", op cit. p 50.

    27 Voir Y. Moluh, "L'introuvable nature du régime camerounais issu de la Constitution du 18 janvier 1996", in La reforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun. Aspects juridiques et politiques, op cit. pp 242 et SS

    votée par le Parlement est aussi l'expression de la volonté générale. Il était donc indispensable de trouver un autre critère de suprématie. La doctrine élabore alors le concept de rigidité et de souplesse. Le concept de "rigidité" est élaboré par Dicey et Bryce. Prenant appui sur la procédure prévue pour la révision de la constitution, la rigidité de la Constitution signifie que cette procédure est différente de celle qui préside à l'adoption des lois "ordinaires". Il s'agit de garantir contre une "éventuelle usurpation que pourrait commettre le Parlement" la supériorité de ce que Charles Debbasch appelle "l'expression plus solennelle et plus profonde de la volonté générale"(28): la Constitution. Il apparaît pourtant au regard de la dynamique constitutionnelle camerounaise une difficulté de la norme constitutionnelle à affirmer sa suprématie sur la loi. L'analyse des procédures de révision prévues par les différents textes aboutit à un constat: une oscillation de la règle suprême entre rigidité et souplesse. Celle-ci est le fait d'un double mouvement de construction et de déconstruction (paragraphe 1) qui semble être rompu par la loi fondamentale du 18 janvier 1996. En effet au regard de ses dispositions, la distinction entre Constitution et loi apparaît effective (paragraphe 2).

    PARAGRAPHE 1: LA CONSTRUCTION DE LA SOUPLESSE ET LA DECONSTRUCTION DE LA RIGIDITE DE LA NORME CONSTITUTIONNELLE

    Il s'agit pour nous de démontrer que la supériorité de la norme constitutionnelle sur la loi sur le fondement de la procédure de révision a connu beaucoup de variations en droit constitutionnel camerounais. Tantôt supérieur, tantôt égal mais jamais inférieur à la loi, l'autorité de la Constitution porte la marque d'un double mouvement résultant de l'analyse des dispositions relatives à la procédure de révision. Il en résulte une autorité hésitante participant de la construction de sa souplesse (I) et de la déconstruction de sa rigidité (II).

    I- LA CONSTRUCTION DE LA SOUPLESSE DE LA NORME CONSTITUTIONNELLE

    Le concept de souplesse se définit généralement par rapport à celui de rigidité. Disons tout simplement que qualifier une constitution de souple, c'est affirmer que la procédure par laquelle elle peut être révisée est identique à la procédure législative. Mais dans le contexte camerounais la construction de la souplesse de la norme constitutionnelle déborde le cadre textuel pour se reconnaître dans le relâchement des contraintes de la procédure de révision (A) et la négation de la règle du parallélisme des formes (B).

    28 Ch. Debbasch et alii. Droit constitutionnel et institutions politiques, Economica, Paris, 4*"° éd. 2001, p 92

    A) Le relâchement des contraintes de la procédure de révision

    La procédure de révision de la Constitution doit nécessairement être différente de la procédure législative afin de marquer la supériorité de la loi fondamentale sur l'acte voté par le Parlement. Si l'on admet que la loi est comme la Constitution l'expression de la volonté générale, le vote de la loi se fait cependant "en une forme moins solennelle, moins grave et moins profonde." Tel est le principe qui sous-tend la primauté de la règle constitutionnelle. Mais il est loisible dans le contexte camerounais de constater une résistante à ce principe par le passage d'une procédure véritablement contraignante en 1960 et 1961 (1) à une révision possible par la procédure législative sous l'empire de la Constitution de 1972 (2).

    1- D'une procédure véritablement contraignante...

    Aux termes de l'article 49 alinéa 3 de la constitution du 04 mars 1960, "la révision doit être votée à la majorité des deux tiers des membres composant l'Assemblée." La doctrine établie que le quota exigé pour l'adoption d'une révision est révélateur de son caractère rigide. Au regard de cette disposition, il est clair que la constitution de 1960 était une Constitution rigide et donc supérieure à la loi, car il fallait une majorité "qualifiée" de deux tiers pour que sa révision soit acquise. C'est dans une volonté identique de consacrer cette supériorité que le constituant de 1961, tout en disposant que la "révision doit être votée à la majorité simple des membres composant l'Assemblée fédérale..." précise que cette majorité ne peut être acquise qu'à condition de comporter "la majorité des représentants à l'Assemblée fédérale de chacun des Etats fédérés."(29) Cette condition, qui n'était pas requise en matière d'adoption des lois, introduit indubitablement dans une constitution en principe souple un élément frappant de rigidification. Ainsi est consacrée la suprématie de la loi fondamentale sur la loi "ordinaire". Ce principe établi en droit constitutionnel camerounais va connaître avec l'avènement de la Constitution du 02 juin 1972 une contestation ouverte.

    2- ...A une révision par la procédure législative

    La Constitution du 02 juin 1972 rompt avec l'affirmation de la suprématie des règles constitutionnelles sur la loi. Le titre IX qui traite de la révision de la Constitution ne laisse subsister aucun doute dans la pensée: la constitution du 02 juin 1972 est une Constitution

    29 Article 47 alinéa 4 Constitution du 1" septembre 1961

    souple. Ce constat est d'ailleurs fait par M. Ondoa qui justifie par cela la thèse de la régularité de la procédure constituante de 1996. Parce que la procédure de révision de la constitution de 1972 ne s'identifie pas par rapport à la procédure législative, elle ne peut être regardée comme une Constitution rigide. Cela peut certainement justifier la multitude de modification dont elle a été l'objet (30). La construction de la souplesse en dehors de la substitution d'une procédure législative à une procédure contraignante s'accompagne d'une violation des règles du parallélisme des formes

    B) La négation de la règle du parallélisme des formes

    La règle du parallélisme des formes et des procédures exige que la modification d'une norme ne puisse être faite que par l'organe et la procédure qui ont participé à son élaboration. Celle règle, rapportée à la matière constitutionnelle pourrait aboutir dans une stricte application au refus total du pouvoir constituant aux pouvoir constitués. Car une constitution adoptée par référendum ferait obligatoirement appel au peuple pour toute modification mineure ou majeure. Cependant son aménagement est assoupli (31). Peut être est-ce cela qui justifie endroit constitutionnel camerounais une négation réitéré de cette règle traduite par la modification totale d'une Constitution référendaire par la voie du Parlement (1) ayant pour corollaire une substitution critiquable de l'Assemblée nationale au peuple (2).

    1- La révision totale d'une constitution référendaire par une loi parlementaire

    L'intervention directe du peuple dans l'adoption d'une Constitution est considérée par a la science constitutionnelle comme une preuve de rigidité dans un système majoritaire. Aussi la révision totale par une loi parlementaire ne peut qu'aboutir à lui faire perdre ce caractère que garantit la règle du parallélisme des formes et des procédures. Plutôt deux fois qu'une, en 1961 et en 1996, l'Assemblée nationale va procéder à une révision totale d'une Constitution adoptée par référendum, en l'occurrence la Constitution du 04 mars 1960 et celle du 02 juin 1972. Ce fait heurte de plein fouet l'opinion d'une grande partie de la doctrine, qui pense en

    30 La Constitution du 02 juin 1972 a subi pas moins d'une dizaine de révision constitutionnelle. La plupart de ces révisions étaient guidées par des motifs politiques, et se situe dans l'intervalle de temps 1983-1992.

    31 S'il fallait absolument recourir au peuple pour modifier une Constitution adoptée par référendum, alors il est fort possible que la Constitution de 1972 n'aurait pas subi autant de modifications. Pour éviter un blocage que pourrait constituer l'impossibilité d'organiser un référendum pour une révision pourtant nécessaire, la doctrine admet le cas particulier où il s'agit de la révision totale de ladite Constitution. En l'espèce, la science constitutionnelle préconise un recours obligatoire au peuple.

    effet que "une révision globale de la Constitution ne peut être possible que s'il y a une participation directe du peuple", a fortiori lors que la Constitution objet de révision a été adoptée par référendum. Il n'y a en effet que le peuple pour revenir sur les principes qu'il a posés.

    2- La substitution critiquable du législateur au constituant

    La modification totale de la Constitution par le législateur tel qu'on l'a observé en 1996 sape complètement le fondement de la rigidité constitutionnelle. Celle-ci repose sur la distinction entre pouvoir constituant et pouvoirs constitués, avec comme conséquence le refus du premier au second. Dès lors, la Constitution ne peut être qu'assouplie. Comme le relève si bien M. Ondoa, "la souplesse découle de l'appropriation par les pouvoirs constitués en l'occurrence, le Président de la République et le Parlement, de la totalité de la fonction constituante. "(32) En s'accaparant du pouvoir constituant, les pouvoirs constitués et surtout l'Assemblée nationale prennent la place du souverain constituant ; une compétence qui ne leur est pourtant pas reconnue, voire qui leur est refusée dans l'objectif de poser la suprématie de la constitution sur la loi.

    Mis à mal par l'assouplissement progressif des règles qui participent de sa révision, la suprématie de la norme constitutionnelle est aussi bousculée par la déconstruction de sa rigidité.

    II- LA DECONSTRUCTION DE LA RIGIDITE DE LA NORME CONSTITUTIONNELLE

    La rigidité constitutionnelle est à la fois affirmée et remise en cause. Elle est affirmée par le recours au peuple dans l'adoption de la Constitution comme ce fut le cas en 1972, mais contestée par la confusion entre constituant originaire et constituant dérivé (A). Cette suprématie est en même temps affirmée par une procédure spéciale telle qu'on peut l'observer dans la constitution de 1996, mais remise en question par la révision aisée des dispositions portant révision de la Constitution (B)

    32 M. Ondoa, "La Constitution duale : Recherches sur les dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun", op cit

    A) La confusion entre pouvoir constituant et pouvoirs constitués

    Elle conduit inéluctablement à assouplir la norme constitutionnelle placée désormais dans une situation de dépendance préjudiciable face aux organes de l'Etat disposant du pouvoir constituant. Cette confusion rendue effective par la souplesse des règles de la procédure de révision est aggravée par la logique majoritaire (1) et a conduit plusieurs fois au Cameroun à l'élaboration d'une nouvelle Constitution par les pouvoirs constitués (2)

    1- Une confusion aggravée par le fait majoritaire

    Déjà aisée sous le parti unique, la révision de la Constitution connaît à l'ère moderne le fait majoritaire, dont la conséquence est des plus négative sur la rigidité de la Constitution (33). Ce qui est considéré par les auteurs comme "le fait de l'opinion publique qui forme la majorité, du corps législatif qui la représente, du pouvoir exécutif qui est son instrument, du système judiciaire qui n'est autre que la majorité revêtue du droit de prononcer les arrêts" aboutit à la maîtrise du pouvoir normatif par un parti politique. Sous ce considérant, l'on admet que les contraintes de la procédure de révision ne sont plus dès lors que "des obstacles symboliques, insusceptibles en tout état de cause d'opposer une résistance sérieuse à la réalisation de la révision. "(34) Le peuple souverain se trouve dépossédé de son pouvoir au profit des pouvoirs institués. De fait, la stabilité et la supériorité de la Constitution ne sont plus que chimères, car "la Constitution est laissée à la merci des représentants ordinaires du peuple qui s'arrogent le droit de la modifier, sans le peuple et parfois contre lui."(35)

    2- L'élaboration d'une nouvelle Constitution par les pouvoirs constitués

    II est admis que "dans une conception stricte de la démocratie et du droit constitutionnel, seul le peuple détient le pouvoir constituant originaire. Dans les autres cas c'est un abus de langage et une fraude à la démocratie que de parler de Constitution."(36) Mais alors que le pouvoir constituant dérivé est considéré comme une "concession de la théorie démocratique aux commodités pratiques", le recours au peuple quant à lui est regardé

    33 Le fait majoritaire est la reconstitution de l'unité du pouvoir politique autour de l'exécutif par le jeu de la majorité attribuant au camp victorieux la maîtrise totale du pouvoir normal. Cette situation est porteuse de risque en ce qu'elle crée une connivence entre le Parlement et l'exécutif. En matière d'élaboration des lois, le Dr Issa Abiabag relève que "le véritable chef de l'atelier législatif est le Président de la République". Sur le plan de l'autorité de la norme constitutionnelle, le fait majoritaire fait perdre toute valeur aux contraintes de la procédure de révision.

    34 M. Ondoa, "La distinction entre Constitution souple et Constitution rigide en droit constitutionnel français", op. cit. P 86.

    35 M. Ondoa, ibid. p 84.

    36 0. Duhamel et Y. Mény, Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, p 753.

    par une partie de la doctrine comme une "concession du libéralisme à la démocratie". Quoiqu'il en soit, il est patent en droit constitutionnel camerounais que la déconstruction de la rigidité constitutionnelle doit beaucoup à l'érection de l'Assemblée nationale au rang de souverain constituant. Certes on ne pourrait raisonnablement contester aujourd'hui la souveraineté du pouvoir constituant dérivé, et même si une constitution nouvelle peut être élaborée par le pouvoir de révision, elle ne saurait l'être par la procédure de révision. Aussi la doctrine ne peut que se soulever lorsque comme en 1961 ou en 1996, une nouvelle Constitution est élaborée au mépris de la distinction pouvoir constituant - pouvoirs institués. Hors mis cette confusion que l'on ne peut que dénoncer au regard de ses implications, il est tout aussi important de relever que la déconstruction de la rigidité de la Constitution tient aussi à la souplesse des dispositions relatives à la révision.

    B) La souplesse des dispositions relatives à la révision

    Elle tient à la facilité de leur révision (1). Tirant les leçons des révisions de la Constitution de 1972, la suprématie constitutionnelle gagnerait certainement à rendre difficile la révision de la procédure de révision (2).

    1- Des règles facilement révisables

    Les règles relatives à la révision de la Constitution ne sont entourées d'aucune protection. Comme toutes les autres dispositions, elles peuvent être révisées. Ainsi une Constitution rigide peut très bien devenir souple, et vice-versa. Les deux hypothèses n'ont pas encore été observées au Cameroun, s'agissant d'une même Constitution. Toutefois, l'on est déjà passé d'une Constitution rigide en 1961 à une Constitution souple en 1972; et d'une Constitution souple en 1972 à une Constitution rigide en 1996.

    2- Une suprématie renforcée par une éventuelle rigidification des règles relatives à la révision

    Pour Charles Eisenmann, la différence de procédure justifie l'existence de deux catégories de lois : celle de la législation ordinaire et celle de la législation constitutionnelle. Sous ce prisme, seules bénéficient de la supériorité les règles revêtues de la forme constitutionnelle. Û y a donc un intérêt certain dans l'analyse de la procédure de révision de la constitution. Si celle-ci est identique à la procédure législative, la Constitution n'est pas sur le plan formel, supérieure à la loi. Nous pensons donc que si la procédure de révision conférait déjà à la Constitution un caractère rigide, la difficile révision de dites dispositions affecterait d'un coefficient plus élevé cette rigidité. Il suffirait de prévoir une majorité plus qualifiée que celle prévue pour l'adoption des autres dispositions constitutionnelles. En attendant une éventuelle traduction en droit positif, il faut remarquer que la constitution de 1996 crée une "révolution" dans le droit constitutionnel camerounais en rendant effective la distinction Constitution - loi.

    PARAGRAPHE 2: L'EFFECTIVITE DE LA DISTINCTION CONSTITUTION-LOI A L'AUNE DE LA CONSTITUTION DE 1996

    Le droit constitutionnel camerounais a certainement connu une importante mutation avec la constitution du 18 janvier 1996. A la lumière de la procédure qui est prévue pour son éventuelle modification, on peut relever une totale rupture avec l'ordre constitutionnel de la Constitution précédente. Le désaveu de la souveraineté du Parlement (II) traduit alors la rupture avec l'égalité entre constituant et législateur sous l'empire de la Constitution du 02 juin 1972 (I).

    I- L'EGALITE PREJUDICIABLE ENTRE CONSTITUANT ET LEGISLATEUR SOUS L'EMPIRE DE LA CONSTITUTION DE 1972

    La souveraineté de la Constitution sous l'empire de la constitution du 02 juin 1972 était fortement contestée par la reconnaissance au législateur ordinaire d'un pouvoir constituant. Ceci à travers l'identité de la procédure législative et de la procédure constituante (A) que corroborait un contrôle de constitutionnalité "absurde" (B).

    A) L'identité de la procédure législative et de la procédure constituante

    Dès lors qu'il n'y a pas matériellement une définition de la Constitution, seul le critère formel permet alors de distinguer la Constitution de la loi. C'est tout au moins à cette conclusion qu'aboutit Charles Eisenmann qui affirme que "la possibilité d'une définition juridique matérielle de la Constitution tient en effet exclusivement au caractère particulier des lois de procédure."(37) Pourtant, cette particularité des lois de procédure n'est pas consacrée par la Constitution de 1972 qui fait de l'Assemblée nationale l'organe de ratification (1) et cela sans qu'il soit exigé une majorité qualifiée pour l'adoption (2)

    37 Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d'Autriche, op. cit. p 6.

    1- L'Assemblée nationale, organe chargé de la ratification

    Le pouvoir constituant dérivé est très souvent partagé entre le peuple et ses représentants, mais l'on admet que l'organe chargé d'approuver la révision soit différent ou indépendant de l'Assemblée ordinaire. Aucune de ces solutions ne retiendra la préférence du constituant de 1972, qui fera des représentants ordinaires du peuple et suivant la procédure législative le pouvoir constituant. Certainement l'existence d'un Parlement bicaméral (38) aurait permis de donner plus d'effectivité à l'autorité de la norme constitutionnelle. Mais par calcul politique ou par simple considération financière tenant à la difficulté d'assurer le fonctionnement de deux chambres qui, le cas échéant se seraient réunies en Congrès pour voter une révision constitutionnelle, le constituant de 1972 préféra confier à l'assemblée ordinaire le pouvoir de remplacer le souverain et cela selon la procédure ordinaire législative.

    2- La non exigence d'une majorité qualifiée pour l'adoption du texte

    Le droit constitutionnel bâti sous l'égide de la Constitution du 02 juin 1972 est un droit très éloigné des grands principes constitutionnels relatifs à la suprématie de la règle de droit fondamental. En confiant le pouvoir de réviser la Constitution à l'assemblée ordinaire, le constituant aurait pu lui imposer une majorité qualifiée pour l'adoption du texte. Mais la tradition de rigidité constitutionnelle posée par la Constitution du 04 mars 1960 et réaffirmée par celle de 1er septembre 1961 est totalement bafouée par la Constitution de 1972. Le texte soumis à l'Assemblée nationale est adopté comme la loi "à la majorité des membres composant l'Assemblée nationale." A cette identité de procédure s'ajoute un contrôle de constitutionnalité dont la logique est difficile à saisir.

    B) L'absurdité d'un contrôle de constitutionnalité

    Elle se justifie à deux points de vue: l'absence de suprématie de la Constitution sur la loi (1) et la reconnaissance d'un pouvoir constituant au législateur ordinaire (2).

    1- L'absence de suprématie de la Constitution sur la loi

    La suprématie de la Constitution a obligatoirement aujourd'hui la mise en place de garantie pour en assurer l'effectivité. Or il est admis que lorsqu'une Constitution est souple,

    38 Le bicamérisme est considéré comme un élément de rigidification de la Constitution. L'image du Sénat "chambre de censure" tel qu'il s'est construit en France peut susciter quelques enthousiasmes relativement à sa capacité à tempérer les effets du fait majoritaire. Les représentants des collectivités locales, se présentent ainsi comme les véritables "défenseurs" des intérêts du peuple pris comme la masse populaire. Mais seule la pratique confortera ou démentira la thèse selon laquelle le bicamérisme camerounais est une garantie de la stabilité constitutionnelle.

    elle n'est pas supérieure à la loi. D'où le paradoxe d'instituer un contrôle de constitutionnalité qui n'est que l'instrument de l'effectivité de la distinction Constitution - loi et de la supériorité de la première sur la seconde. Mais puisque la Constitution de 1972 affirmait sa souplesse, on se pose la question de savoir que garantissait le dit contrôle. Certainement pas la suprématie de la loi fondamentale, puisqu'on l'espèce elle n'était pas posée en tant que principe.

    2- La reconnaissance d'un pouvoir constituant au législateur ordinaire

    La science constitutionnelle envisage deux conséquences de la rigidité. D'abord l'impossibilité pour le législateur de modifier la Constitution interdit qu'il vote des lois qui lui sont contraires. Il s'agirait alors d'une "révision déguisée." Ensuite les pouvoirs constitués ne peuvent renoncer à exercer les attributions que la Constitution leur confie; il s'agit de "compétences" et non de "droits". Sous ce rapport, "abandonner un pouvoir inscrit dans la Constitution équivaut à une révision implicite de la Constitution." Tout ceci ne vaut que sous condition de rigidité, car pour une Constitution souple comme celle de 1972, l'Assemblée nationale pouvait très bien adopter une loi ordinaire dérogeant à un principe constitutionnel sans que cette loi soit inconstitutionnelle. En prévoyant une procédure constituante identique à la procédure législative, le constituant reconnaissait explicitement au législateur le pouvoir de porter atteinte régulièrement à l'autorité de la norme constitutionnelle.

    Une révolution s'opère cependant avec la Constitution du 18 janvier 1996, qui revient au principe de la suprématie constitutionnelle.

    II- LE DESAVEU DE LA SOUVERAINETE DU PARLEMENT PAR LE CONSTITUANT DE "LA NOUVELLE GCNERATION"

    La suprématie constitutionnelle avec la loi fondamentale du 18 janvier 1996 retrouve toute sa pertinence. Il faut dire que son titre XI prévoit pour sa modification une procédure spéciale et contraignante (A) marquée par l'apparition d'un nouvel organe de ratification: le Congrès (B).

    A) Une procédure de révision spéciale et contraignante

    De son caractère spécial on retient qu'elle est différente de la procédure législative. C'est surtout son aspect contraignant qui marque sa différence. Celui-ci tient à un bicamérisme égalitaire (1) et au vote à une majorité qualifiée (2).

    1- Un bicamérisme égalitaire

    L'égalité entre le Sénat et l'Assemblée nationale lors de la révision de la constitution est une caractéristique de la procédure de révision. En effet le bicamérisme tel qu'il apparaît dans la procédure législative est inégalitaire. La préférence est accordée à l'Assemblée nationale qui statue "définitivement" sur un texte de loi lorsqu'il s'est révélé impossible pour les deux chambres de parvenir à un compromis. Mais en matière constitutionnelle le Sénat et l'Assemblée nationale sont au même pied d'égalité. Cette égalité est cependant moins marquée au Cameroun qu'en France, où le texte doit d'abord être voté en termes identiques par les deux chambres prises séparément, avant son éventuelle ratification par le Congrès.

    2- Le vote à une majorité qualifiée

    Le projet ou la proposition de révision n'est adoptée que s'il a réuni la majorité requise. Selon la Constitution, "le texte est adopté à la majorité absolue des membres le composant. Le Président de la République peut demander une seconde lecture. Dans ce cas, la révision est votée à la majorité des deux tiers des membres composant le Parlement." Faut-il le rappeler, l'Assemblée nationale tout comme le Sénat adopte les lois "à la majorité simple" des députés ou des sénateurs.

    Cette ratification est faite par un organe tout aussi spécial.

    B) Une assemblée constituante ad hoc pour la ratification: le Congrès

    II succède à l'assemblée ordinaire de la Constitution de 1972. D doit son existence à la création d'un Parlement bicaméral (1) et c'est un organe souverain (2).

    1- Un organe lié à la création d'un Parlement bicaméral

    L'exclusion du législateur ordinaire du domaine de la Constitution fait émerger le Congrès en tant qu'organe chargé de la ratification du projet ou de la proposition de révision. Le Congrès qui est la réunion simultanée des deux chambres du Parlement doit donc son existence à l'avènement du bicamérisme dans le droit constitutionnel camerounais de la "nouvelle génération". Sa compétence est cependant concurrente à celle du peuple souverain car aux termes de l'article 63 alinéa 4 "le Président de la République peut décider de soumettre tout projet ou toute proposition de révision de la Constitution au référendum."

    2- Un organe souverain

    Cette souveraineté n'est pas usurpée. Elle s'intègre parfaitement aux principes constitutionnels relatifs à la révision de la Constitution. Le constituant de 1996 contrairement à celui de 1972 a opté pour une assemblée constituante différente de l'assemblée ordinaire. La réunion du Parlement en Congrès est en soi l'expression de ce symbolisme dont doit se revêtir l'élaboration autant que la révision de la Constitution. Surtout, elle fait renaître l'idée selon laquelle "on ne touche à la Constitution qu'avec des mains tremblantes". Ces mains sont celles du souverain.

    Les règles de la législation constitutionnelles au Cameroun, qu'elles président à l'élaboration d'une constitution ou à la modification de celle existante ont démontré la particularité d'un droit constitutionnel construit sur des ambiguïtés et des principes trop vite remis en question. Pourtant il demeure une certitude, celle d'une autorité affirmée de la règle élaborée suivant la procédure de la législation constitutionnelle. En la matière, la science constitutionnelle du Cameroun affirme encore son attachement aux grands principes qui gouvernent le droit constitutionnel classique. Cependant cette autorité quoique posée peut très bien être bafouée en pratique, et l'est même. D'où la nécessité de lui donner pleine effectivité. Jadis reposant sur un contrôle politique, la suprématie constitutionnelle fait aujourd'hui l'objet d'une véritable protection. L'étude de celle-ci fera l'objet de la deuxième partie de notre travail.

    DEUXIEME PARTIE

    LES GARANTIES DE L'AUTORITE DE LA NORME CONSTITUTIONNELLE

    La suprématie des règles issues de la législation constitutionnelle est considérée comme un simple voeu pieux lorsque des mécanismes ne sont pas mis en oeuvre pour sanctionner les violations éventuelles des principes qu'elle pose par les pouvoirs institués. L'adhésion n'est plus aujourd'hui unanime à l'idée de protection qui prévalait en 1789. Pour les révolutionnaires, la protection de la Constitution doit être confiée "à la fidélité du corps législatif, du roi et des juges, à la vigilance des pères de familles, aux épouses et aux mères, à l'affection des jeunes citoyens, au courage de tous les français." Mais l'histoire a révélé l'utopie de cette pensée. Aussi est-il apparu nécessaire d'opérer un choix entre laisser aux pouvoirs constitués et surtout au Parlement le choix de respecter la Constitution ou alors les y contraindre. Après beaucoup de réticences, le constituant camerounais s'est enfin décidé à tirer toutes les implications de la suprématie constitutionnelle, en mettant en place des garanties juridictionnelle destinées à donner pleine effectivité au principe; ceci à travers le contrôle de constitutionnalité.

    Le droit constitutionnel camerounais a rapidement comblé une "lacune" de la constitution du 04 mars 1960, qui n'avait pas cru indispensable de protéger la Constitution contre ce qui peut être appelé un "légicentrisme inhibitif. Mais l'idée que la loi est toujours l'expression de la volonté générale est remise en question par la Constitution de 1961 qui avance "timidement" que "la loi n'exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution." Une idée qui sera reprise par le constituant de 1972 avant d'être véritablement concrétisée par la loi fondamentale du 18 janvier 1996. Au demeurant, l'effectivité du contrôle de constitutionnalité et l'affermissement de l'autorité de la norme constitutionnelle que l'on peut observer aujourd'hui (chapitre 2) ne doit pas occulter le fait que cette suprématie à été fortement éprouvée par la dynamique du contrôle de constitutionnalité en droit constitutionnel camerounais (chapitre 1); le Président de la République intervenant encore ici comme le juge de "dernier ressort" de la constitutionnalité des lois.

    CHAPITRE I:

    LA SUPREMATIE CONSTITUTIONNELLE A L'EPREUVE DE LA DYNAMIQUE DU CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITE EN DROIT CAMEROUNAIS

    Le postulat est posé par Charles Eisenmann qui le formule en termes précis et concis: "la suprématie de la Constitution dans l'Etat lui confère tout naturellement la qualité de mètre suprême de la régularité juridique"(l). L'observateur remarquera pourtant que cette qualité sans être explicitement affirmée en droit constitutionnel camerounais, était implicitement reniée. On a pu ainsi développer, par exemple en droit administratif, la théorie de l'écran législatif. L'adhésion rapide du droit camerounais à l'idée de contrôle de l'Exécutif dans sa manifestation d'administrateur s'est accompagnée corrélativement d'une hostilité à faire de même pour le législateur, sous le fondement que la loi est l'expression de la volonté générale. Pendant longtemps au Cameroun, il a été admis en fait sinon en droit que contrôler la volonté du Parlement c'était contrôler la volonté du souverain. La conséquence est inévitablement une suprématie discutée de la norme constitutionnelle (section 1). Mais l'adhésion du Cameroun au constitutionnalisme conçue comme "l'avènement du droit et de la justice au coeur du fonctionnement de la démocratie libérale et pluraliste à travers le contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois "(2) allait restaurer une autorité bafouée (section 2).

    SECTION 1: UNE SUPREMATIE DISCUTEE SOUS LE DROIT CONSTITUTIONNEL DE "L'ANCIENNE GENERATION"

    La sauvegarde de la primauté de la règle constitutionnelle est très vite apparue comme une nécessité pour* le constituant camerounais. D'où l'organisation d'un contrôle de constitutionnalité dès la Constitution fédérale de 1961 qui venait corriger un oubli du constituant de 1960. Cette organisation sera reprise tel quel par la loi fondamentale du 02 juin 1972. Ce faisant le constituant camerounais affirmait son scepticisme quant à la fidélité des pouvoirs constitués à la norme supérieure. Pourtant comme le relève déjà L. Donfack Sokeng, l'espoir né de "l'instauration d'un gouvernement constitutionnellement limité" allait rapidement "céder le pas au désenchantement"(3). L'expérience ayant révélé que cette garantie était illusoire au regard d'un contrôle de constitutionnalité par voie d'action inopérant (paragraphe 1) et un contrôle par voie d'exception inexistant (paragraphe 2).

    1. Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la haute cour constitutionnelle d'Autriche, Economica, PUAM, 1923,p 13.

    2. L. Donfaek Sokeng, "Le contrôle de constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui. Réflexions sur certains aspects de la réception du constitutionnalisme moderne en droit camerounais", in S. Méloné, A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.) La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun. Aspects juridiques et politiques, Yaoundé, Friedrich EBERT, 1996, pp 362 et SS.

    3. L. Donfack Sokeng, op. cit. p 363.

    PARAGRAPHE 1: UN CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITE PAR VOIE D'ACTION INOPERANT

    L'idée d'un contrôle de constitutionnalité des lois posée par la Constitution du 1" septembre 1961 est reprise par celle de 1972 qui dispose que "le Président de la République saisit la Cour suprême (...) lorsqu'il estime qu'une loi est contraire à la présente Constitution" (4). Ce contrôle va pourtant pécher par une ineffectivité criarde. L'inopérationnalité du contrôle de constitutionnalité sous le droit constitutionnel de l'ancienne génération pourrait reposer sur le blocage de la chambre constitutionnelle de la haute juridiction (I) qui aura pour conséquence de substituer au contrôle juridictionnel prévu par la Constitution un contrôle totalement politique (II).

    I- LE BLOCAGE DE "LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE"DE LA COUR SUPREME

    De la lecture de l'article 32 de la Constitution du 02 juin 1972, il ressort que "lorsque la Cour suprême est appelée à se prononcer dans les cas prévus aux alinéas 7, 10 et 27, elle est complétée à nombre égal par des personnalités désignées en raison de leur compétence et de leur expérience pour une période d'un an par le Président de la République". L'analyse de cette disposition permet de relever que le contrôle de constitutionnalité est dévolu à une formation spéciale de la Cour suprême que L. Donfack Sokeng nommera la "chambre constitutionnelle". Cette tâche ne sera pourtant pas remplie, car la chambre constitutionnelle se retrouvera bloquée; un blocage qui reposerait sur deux facteurs: la nature de l'organe (A) et sa dépendance du politique (B).

    A) Un blocage lié à la nature de l'organe

    L'institution d'un contrôle de constitutionnalité en 1961 puis en 1972 laisse perplexe. Si l'on peut comprendre son opportunité sous le régime fédéral de 1961, sa confirmation par le constituant de 1972 semble répondre plus à une "folie des grandeurs" qu'à une réelle volonté de garantir l'autorité de la norme constitutionnelle (5). Alors que le Parlement est "une chambre d'enregistrement des volontés du Président de la République" et que la Constitution est souple l'idée d'un contrôle de constitutionnalité en 1972 va se heurter en pratique au blocage de l'organe chargé de sa mise en oeuvre. En effet, en subordonnant sa mise en place à l'existence d'un litige (1) le constituant en fait une sorte d'institution ad hoc (2).

    4 Voir notamment l'article 14 de la Constitution du 1" septembre 1961 et l'article 10 de la Constitution du 02 juin 1972.

    5 Le contrôle de constitutionnalité rempli en 1961 une véritable fonction de garantie de l'autorité de la Constitution, car celle-ci se distingue véritablement de la loi et affirme sa supériorité. Il n'en est pas de même en 1972 puisque, comme nous le démontrons, la Constitution n'affirmait pas vraiment sa supériorité sur la loi, ce qui aurait justifier un contrôle de cette suprématie. A moins de retrouver cène suprématie dans son adoption par référendum; mais en organisant une révision par la procédure législative, le constituant de 1972 a ouvert la voie à une contestation de cette suprématie par la loi ordinaire.

    1- Sa mise en place est subordonnée à l'existence d'un litige sur la loi

    La difficulté est alors de trouver un litige sur la loi. La discipline partisane et l'allégeance de gré ou de force au Président de la République sont si fortes, qu'on imagine mal un projet de loi faisant l'objet d'un litige. Par leur tradition du vote par applaudissement, les parlementaires du parti unique ont développé la pratique de "projet déposé égal projet adopté". Aussi, en subordonnant la mise en place de la chambre constitutionnelle à l'existence d'un litige sur la loi, le constituant rend-il illusoire toute idée de contrôle. On pourrait tout aussi croire qu'en disposant que "le Président de la République saisit la Cour suprême..." cela suppose que la chambre existe indépendamment de tout litige(6). Mais un tel raisonnement ne saurait prospérer outre mesure, car la Cour suprême dans sa formation initiale n'a aucune compétence pour connaître de la constitutionnalité des lois. En fait, elle apparaît comme la permanence de la chambre constitutionnelle.

    2- Une sorte d'institution ad hoc

    Une institution ad hoc est une institution créée par un texte pour une mission précise et qui a vocation à disparaître avec la fin de la mission. Mais le caractère ad hoc de la chambre constitutionnelle est un peu plus complexe. La Constitution ne crée pas en effet une chambre constitutionnelle au sein de la Cour suprême, mais envisage la formation d'un organe spécial pour résoudre un problème qui viendrait à naître. La chambre constitutionnelle est une institution qui n'existe pas tant qu'un litige sur la constitutionnalité des lois n'est pas né. Cette nature ad hoc ne signifie donc pas que l'institution est temporaire, car en disposant que "le mandat des personnalités ainsi désignées est prorogé de plein droit jusqu'à la nomination de «leurs successeurs", l'ordonnance n°72/6 du 26 août 1972 affirmait incontestablement son caractère permanent. Une permanence qui ne pouvait cependant être envisagée qu'après la mise en place effective de l'organe. Celle-ci n'aura jamais lieu. Le blocage de l'institution peut également être posé sur le fondement de sa dépendance au politique.

    B) Un blocage lié à sa dépendance politique

    La chambre constitutionnelle de la Cour suprême n'a jamais fonctionné. Ce blocage serait lié à une forte dépendance politique de l'institution dans son existence (1) et de ses membres dans un éventuel office (2).

    6 Le Pr. Donfack Sokeng défend la thèse de l'existence de la chambre constitutionnelle. Il soutient en effet qu'admettre l'idée selon laquelle la mise en place de ladite chambre était subordonnée à la naissance d'un litige "foule aux pieds l'idéal de justice en permettant au Président de la République, partie au procès d'en influencer grossièrement l'issue par la nomination des personnalités présumées acquises d'office à sa cause." Pourtant, rien ne garantit que cette nomination intervenant en dehors de ce cas aurait donné aux dites personnalités "les moyens de leur infidélité" à celui à qui ils doivent d'être là. Au demeurant, la rédaction ambiguë de l'article 33 de la Constitution ne permet pas une totale adhésion à cette position.

    1- La dépendance politique de l'institution dans son existence

    La chambre était mise en place à l'occasion d'un litige; mais l'existence d'un litige dépendait du Président de la République(7). De plus, c'est encore le Président de la République qui nommait, et cela de manière absolument discrétionnaire, les personnalités appelées à compléter la Cour siégeant en matière constitutionnelle. L'existence de la chambre constitutionnelle présente alors toutes les caractéristiques d'une institution dépendant du bon vouloir du Président de la République qui seul pouvait décider de sa mise en place.

    2- La dépendance des membres de la chambre

    II est assez difficile de postuler pour une indépendance des membres de la Cour suprême siégeant en matière constitutionnelle. Tant les membres permanents de la Cour que les personnalités désignées en sus pour régler la question de la constitutionnalité de la loi étaient nommés par le Président de la République. Certes la nomination de ces personnalités est faite sur la base de critères objectifs mais, et rejoignant en cela L. Donfack Sokeng, le Chef de l'Etat est "seul juge de leur compétence et de leur expérience."(8) Sous ce prisme se dessine la dépendance de ces personnalités qui ne disposent pas des "moyens de leur infidélité vis-à-vis du Président de la République." Plus encore dans un Cameroun où le culte de la gratitude est le credo repris par tous, on n'imaginerait pas ces membres dans un éventuel litige, désavouer le Président de la République à qui ils doivent forcément faire allégeance pour espérer une reconduction au terme de leur mandat. Malheureusement, la Chambre n'ayant jamais été mise en place, cette théorie est impossible à vérifier. Quoiqu'il en soit, l'autorité de la norme souffre cruellement de garantie, pour ne pas dire qu'elle n'est qu'un voeu pieux. Ce blocage de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême va consacrer l'exclusivité du contrôle politique de la loi et donc du respect de la Constitution.

    II- LA SUBSTITUTION D'UN CONTROLE POLITIQUE A UN CONTROLE JURIDICTIONNEL

    Toutes les Constitutions jouissent d'une protection politique. Ce contrôle est dévolu au Président de la République. Toutes les Constitutions camerounaises ont consacré ce contrôle en disposant que "le Président de la République veille au respect de la Constitution." (9) Bien

    7 Artisan principal sinon unique des lois, le Président de la République s'est toujours vu reconnaître le droit d'initiative en matière législative, à l'exception de la Constitution du 4 mars 1960. Aussi, les lois ne sont que la mise en oeuvre de la politique présidentielle. La configuration du Parlement sous le parti unique permet difficilement d'envisager un litige sur la constitutionnalité de la loi et donc de trouver la pertinence du contrôle prévu à cet effet et en même temps fermé dans son activation.

    8 L. Donfack Sokeng, "Le contrôle de constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui Réflexions sur certains aspects de la réception du constitutionnalisme moderne en droit camerounais", op. cit.

    9 Ce rôle retrouve certainement une nouvelle vigueur avec l'institution d'un contrôle de constitutionnalité des lois tel qu'il est organisé par la loi fondamentale du 18 janvier 1996.

    peu de Constitutions peuvent cependant se vanter d'avoir en plus de cette protection politique une protection juridictionnelle (10). C'est ce contrôle juridictionnel par une formation spéciale de la Cour Suprême qui sera remplacé par un contrôle exclusivement politique. Cette substitution qui trouve sa cause dans la vacuité des dispositions constitutionnelles relatives au dit contrôle juridictionnel (A), se traduit par l'érection du Président de la République au rang de juge constitutionnel (B).

    A) La vacuité des dispositions constitutionnelles relatives au contrôle juridictionnel

    Les imperfections du contrôle de constitutionnalité par la chambre constitutionnelle de la Cour Suprême sont patentes au regard de la Constitution du 02 juin 1972. Nous pouvons relever les ambiguïtés de rédaction de l'article 33 (1) et le silence de la Constitution quant à la portée d'une décision d'inconstitutionnalité (2).

    1- Les ambiguïtés de rédaction de l'article 33.

    Cet article subordonne l'existence de la chambre constitutionnelle au bon vouloir du Président de la République. En effet on ne saurait nier que ladite chambre « n'a à ce jour jamais été réunie », et a fortiori existé. A l'appui de cette affirmation, le fait que son existence était conditionnée par celle d'un litige sur la constitutionnalité de la loi et la saisine par le Président de la République. Seule une interprétation trop extensive pourrait aboutir à affirmer l'existence de cette chambre constitutionnelle au même titre que la chambre judiciaire ou la chambre administrative. Il apparaît vraisemblablement au regard de l'ordonnance n° 76/6 du 26 août 1972 que le constituant a entendu créer une institution permanente, mais la rédaction de l'article 33 n'autorise pas à parler d'une chambre constitutionnelle sans une action du Chef de l'Etat . La permanence de la juridiction n'étant envisageable qu'une fois que les premières personnalités en sus auraient été nommées. Cela heurte certes l'idéal de justice comme s'en inquiète le Pr. Donfack Sokeng, mais cela explique aussi pourquoi elle n'a pas existé. De plus une telle institution aurait pesé sur le budget de l'Etat dans un contexte où il était probablement impossible qu'un litige naisse sur la constitutionnalité de la loi. (11)

    Le silence de la Constitution quant à la décision d'inconstitutionnalité

    Le constituant de 1972 est resté silencieux sur la portée de la décision d'inconstitutionnalité. Pourrait-on y voir un aveu de l'impossibilité d'un quelconque différend

    10 Voir à ce sujet J. Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, Paris, 19ème éd. P 176

    11 Cf. supra

    sur la loi comme nous l'évoquions plus haut? Nous sommes tentés de répondre à cette question par l'affirmative. Sinon comment expliquer que ni la Constitution, ni l'ordonnance n°72/6, ni l'ordonnance n°75/16 fixant la procédure et le fonctionnement de la Cour suprême ne traite de l'autorité des décisions rendues par une institution qu'on veut permanente. Dans le silence, on pourrait dire que les dispositions de l'article 16 de l'ordonnance n°72/6 seraient applicables aux décisions de la chambre constitutionnelle (12). Mais loin de conforter la suprématie de la Constitution, elle l'écorcherait car laissant le Président de la République libre de promulguer une loi déclarée inconstitutionnelle. Cette vacuité de la constitution va aboutir à mettre l'institution "en veilleuse", laissant ainsi au Chef de l'Etat le soin d'apprécier la constitutionnalité des lois.

    B) L'élévation du Président de la République au rang de juge constitutionnel

    Le contrôle de constitutionnalité est normalement fait par un juge constitutionnel. Son organisation par la Constitution de 1961 et par suite de 1972 ne pouvait qu'aboutir à un blocage de l'institution dont l'émergence du Président de la République en tant que "véritable juge de la constitutionnalité"(13) ne pouvait qu'en être la conséquence logique. Seul il peut saisir la Cour suprême d'une question d'inconstitutionnalité (1) et il peut ensuite utiliser son pouvoir de nomination pour influencer la décision du juge constitutionnel (2).

    1- Seul il peut saisir la Cour suprême d'une question d'inconstitutionnalité

    La saisine de la Cour suprême d'un différend sur une loi est, selon l'expression de L. Donfack Sokeng "marqué du sceau de l'exclusion". Le Président de la République dispose seul du droit de saisir la Cour sur la constitutionnalité de la loi. Initiateur de la loi et dans un contexte de parti unique, on voit mal comment ce dernier aurait saisi la Cour d'un texte qu'il a lui-même introduit au Parlement, et qui n'a subi pratiquement aucune modification. C'aurait été se prévaloir de sa propre turpitude, et cela nul ne le peut. Au demeurant, la Constitution de 1972 étant souple, elle était révisable par une simple loi parlementaire. La seule condition étant de mettre au frontispice du texte "loi portant révision...". Un éventuel contrôle n'aurait certainement pas été libre de toute influence, l'institution étant pratiquement "rattachée" au Président de la République qui disposait d'un pouvoir d'instruction des décisions de la juridiction.

    12 Au regard de cette disposition, les décisions de la Cour suprême "s'imposent aux juridictions inférieures". La valeur de la décision d'inconstitutionnalité demeure donc incertaine selon que le Président décide ou non de promulguer la loi. Ce silence des textes et surtout de la Constitution ouvre la porte à toutes les interprétations, le plus souvent pas dans le sens de la suprématie de la norme constitutionnelle.

    13 Voir L. Donfack Sokeng, "Le contrôle de constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui", op. cit.

    2- La possibilité d'influencer la décision du juge constitutionnel

    Appelée à se prononcer sur la constitutionnalité d'une loi, la Cour suprême devait être complétée par des personnalités nommées par le Président de la République. Aussi regrettable que cela puisse être, cette disposition offrait au Président la possibilité d'orienter la décision de la chambre. Tout un flou entoure la "compétence" et "l'expérience" des personnalités à désigner pour compléter la Cour. Rien ne permet donc d'affirmer qu'ils n'auraient pas eu pour seule compétence leur fidélité au Président et pour expérience leur militantisme vigoureux en faveur de ses idéaux. De fait, en reliant la désignation de ces membres temporaires de la chambre constitutionnelle à la saisine de la Cour, le constituant n'a-t-il pas entendu mettre entre les mains du Président un "joker" dans une hypothétique modification du projet de loi par un amendement jugé inopportun? La pratique aurait permis de se faire une idée sur la question. Pour nous, cela paraît envisageable au regard de la rédaction du texte constitutionnel.

    L'inopérationnalité du contrôle de constitutionnalité par voie d'action aura pour conséquence de laisser l'autorité de la norme constitutionnelle à la "fidélité" des pouvoirs institués. Le résultat sera l'introduction dans l'ordonnancement juridique des normes manifestement inconstitutionnelles, que le juge constitutionnel ne pourra pas sanctionner et que le juge judiciaire se refusera à contrôler.

    PARAGRAPHE 2: UN CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITÉ PAR VOIE D'EXCEPTION INEXISTANT

    La suprématie des règles constitutionnelles déjà non garantie par le juge constitutionnel était»aussi contestée par l'inexistence d'un contrôle de constitutionnalité par voie d'exception. Il résultait en effet des dispositions de la Constitution du 1" septembre 1961 et de 1972 que seul était prévu c'est-à-dire organisé un contrôle par voie d'action par la chambre constitutionnelle et sur saisine du Président de la République. Le refus des tribunaux de connaître des exceptions de constitutionnalité (I) va faire l'objet d'une véritable jurisprudence tant du juge judiciaire que du juge administratif. Une jurisprudence qui consacre le caractère spécieux de la prééminence hiérarchique de la constitution (II).

    I- LE REFUS REITERE DES TRIBUNAUX DE CONNAITRE DES QUESTIONS DE CONSTITUTIONNALITÉ

    Le juge judiciaire et le juge administratif ont tous deux affirmé leur incompétence en matière de contrôle de constitutionnalité des lois. Cette incompétence qui peut être relevé à deux niveaux (A) n'est cependant pas à l'abri de toute critique (B).

    A) L'irrecevabilité du moyen tiré de l'inconstitutionnalité devant le juge

    Le juge judiciaire et le juge administratif camerounais ont fait de l'irrecevabilité du moyen tiré de l'inconstitutionnalité une jurisprudence imprégnant le droit judiciaire et le droit administratif 14). Cette irrecevabilité est justifiée par le recours aux dispositions constitutionnelles (1) dont le juge déduit son incompétence (2).

    1- L'inorganisation d'un contrôle de constitutionnalité par voie d'exception

    Le refus des juges de garantir la primauté des règles constitutionnelles sur la loi est, au terme de la jurisprudence judiciaire et administrative, justifiée par la non organisation d'un tel contrôle par le constituant. A l'appui de cette position, l'article 14 de la Constitution fédérale et l'article 10 de la Constitution de l'Etat unitaire. Pour le juge camerounais, il apparaît au regard de ces dispositions que seul est prévu au Cameroun un contrôle de constitutionnalité par voie d'action, cette position est magnifiée par le juge administratif dans une affaire SGTE. Répondant au demandeur qui réclamait l'annulation d'un acte administratif sur le fondement de l'inconstitutionnalité de la loi qui lui servait de base, le juge pose "qu'à supposer même que le principe de la non rétroactivité des lois soit une règle constitutionnelle, et que la loi du 30 juin 1966 pour l'avoir méconnue soit inconstitutionnelle, en l'absence d'un contrôle de constitutionnalité des lois par voie d'exception.. ."(15) il ne saurait garantir la suprématie de la règle constitutionnelle sur la loi. Le juge affirme par-là son incompétence.

    2- Une incompétence déduite des textes

    L'incompétence du juge en matière de contrôle de constitutionnalité par voie d'exception repose sur une lente construction à la base duquel se trouve le texte constitutionnel. Le juge estime en effet que le contrôle de constitutionnalité ne ressortit pas de sa compétence, car seule la Cour suprême dans sa chambre constitutionnelle en a l'exclusivité. Il s'agit donc d'une incompétence à deux niveaux. Comme le souligne L. Donfack Sokeng, "il s'agit d'une incompétence matérielle [et] d'une incompétence personnelle. "(16) Aussi de la lecture combinée des articles 10 et 33 de la Constitution du 02 juin 1972, le juge pose-t-il non seulement qu'il n'est pas le juge compétent en matière de contrôle de constitutionnalité des lois, mais aussi qu'un tel contrôle ne peut être actionné que par le Président de la République (17). Cette jurisprudence sera fortement critiquée par la doctrine

    14 voir notamment les arrêts CFJ-AP du 30/09/1969, SGTE, CFJ-CAY du 29/03/1972, Eitel Mouelle,; arrêt n°9 du 05/05/1973, ÇA Garoua,

    15 Arrêt n° 68 CFJ-AP du 30/09/1969, SGTE.

    16 Cf. infra

    17 Tel est l'argumentaire du juge de la Cour d'appel de Garoua dans l'affaire dite "des coffres-forts" du 05/05/1973.

    B) Une incompétence critiquée et critiquable

    La position du juge camerounais relativement à la question de l'exception d'inconstitutionnalité soulève l'ire de la doctrine. L'idée avancée est que le juge peut exercer un tel contrôle, tant il est vrai que cela ne lui est pas expressément interdit (1). Au surplus sa position n'est pas conforme au droit car "il tire une conséquence extrême et absolue d'une règle simplement dévolutive dont on peut relativiser la portée."(18) II s'ensuit une compétence que l'on peut fonder sur la théorie des compétences implicites (2).

    1- Un contrôle non interdit par les textes

    L'argumentaire reposant sur la non organisation d'un contrôle de constitutionnalité par voie d'exception par le constituant se heurte à une réplique non moins pertinente: aucune disposition constitutionnelle n'interdit au juge d'exercer un tel contrôle. Il se trouve que "si l'on peut déduire que le contrôle de constitutionnalité par voie d'action est réservé en droit camerounais au seul Président de la République, rien n'autorise à conclure à l'inexistence dans notre droit de la possibilité d'un contrôle de constitutionnalité par voie d'exception" (19). La possibilité de contrôler la constitutionnalité des lois ne lui ayant pas été expressément refusé, l'attitude du juge camerounais ne peut qu'être contestable car, conclut L. Donfack Sokeng, il "refuse de faire usage du pouvoir d'interprétation que lui reconnaît la loi"(20).

    2- L'hypothèse d'un contrôle sur le fondement des compétences implicites

    Le juge camerounais aurait pu se reconnaître compétent pour examiner la constitutionnalité d'une loi à l'occasion d'un litige sans pour autant violer la constitution. Le juge est investi du pouvoir d'interpréter la loi, c'est à dire d'en déterminer la signification. En usant de ce pouvoir, il peut se reconnaître une compétence qui, sans lui être expressément attribuée, ne lui est pas clairement refusée. Les compétences implicites sont une technique d'interprétation qui consiste à combler les lacunes créées par le silence du droit, en induisant des compétences expresses l'objectif visé par le législateur pour en déduire les moyens nécessaires. Le constituant a prévu que la loi sera inférieure à la constitution. Sur le plan juridique, cela signifie qu'elle doit être conforme à la constitution. Il suit de là que toute "loi

    18 M. Kamto et P.G. Pougoué, cité par L. Donfack Sokeng "Le contrôle de constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui". Pour ces Professeurs, la seule organisation d'un contrôle de constitutionnalité par voie d'action ne peut aboutir à moins d'une interprétation "par trop restrictive des textes" à la négation d'un contrôle par voie d'exception. Cette position est également celle qu'adopte le Pr. Donfack Sokeng dans son article. Une position à tout point de vue défendable, puisque le contrôle de constitutionnalité de la loi fait par le juge Marshall dans la célèbre affaire Marbury vs Madison ne reposait par sur un texte, mais sur le principe que la primauté de la Constitution oblige les juges à la faire prévaloir sur les lois qui la contredisent.

    19 C'est par ce travail d'interprétation que le juge Marshall va poser le principe du contrôle de constitutionnalité. Son argumentation repose sur un postulat: "la Constitution prime sur tout acte législatif qui lui est contraire". Et la question de l'applicabilité d'une loi contraire à la Constitution apparaît "infiniment moins complexe qu'importante", car il n'y a pas de moyen terme dans cette alternative: la Constitution doit être considérée devant les tribunaux comme la loi suprême.

    émanant du pouvoir législatif et contraire à la constitution doit par conséquent être écartée"(20). Il revenait donc au juge de garantir la suprématie de la Constitution. Son refus ne pouvait que relativiser l'effectivité de cette autorité.

    II- LE CARACTERE SPECIEUX DE LA PREEMINENCE HIERARCHIQUE DE LA CONSTITUTION

    L'effectivité de la suprématie constitutionnelle ne peut être envisagée que de manière modérée au regard des difficultés à mettre en oeuvre les garanties juridictionnelles nécessaires. De l'attitude des tribunaux et donc des juges, on relève une négation de la théorie des sources du Droit (A) et un rejet de la théorie de la hiérarchie des normes qui en est le corollaire (B).

    A) La négation de la théorie de la hiérarchie des sources du Droit

    II est évident que le refus du juge camerounais de connaître de l'exception d'inconstitutionnalité des lois est en soi un refus d'adhérer au principe selon lequel il existe une hiérarchie entre les différents pouvoirs normatifs (21). Cette négation est traduite par la résurgence de la nature législative de la Constitution (1) et la remise en cause de la supériorité du pouvoir constituant sur le pouvoir législatif (2).

    1- La résurgence de la nature législative de la Constitution

    Le juge rappelle, de fort belle manière, que "il est généralement admis que les principes contenus dans le préambule de la Constitution (...) ont valeur de principes généraux du droit, c'est-à-dire non pas supérieur mais égale à celle de la loi ordinaire"(22). La discussion sur la valeur du préambule est ainsi à l'origine du rappel "qu'il n'existe aucune catégorie particulière *et identifiable d'actes juridiques dénommés Constitution. Celle-ci se présentant toujours sous la forme et la nature d'une loi"(23). Mais au-delà de cette contestation de la valeur constitutionnelle du préambule, c'est toute la Constitution qui est ramenée à sa nature législative par le refus du juge d'exercer un contrôle de constitutionnalité par voie d'exception. Qu'il l'ait voulu ou non, le juge affirme implicitement que le pouvoir constituant n'est pas supérieur au pouvoir législatif.

    20 Arrêt Marbury vs Madison, 1803.

    21 Cf. infra.

    22 Arrêt n° 68 CFJ-CAY du 30/09/1969, SGTE.

    23 Voir M. Ondoa, "La distinction entre Constitution souple Constitution rigide en droit constitutionnel français", in Annales de la faculté des sciences juridiques et politiques. Université de Douala, n° 1,2002, p 68.

    2- La remise en question de la suprématie du pouvoir constituant sur l'organe législatif

    En conférant aux dispositions du préambule une valeur législative, le juge en conclut que "le législateur peut y déroger expressément". Cette remise en cause de la supériorité de l'organe constituant est contraire aux principes dégagés suivant les critères posés depuis la philosophie politique des Lumières. Il résulte de cette philosophie que la hiérarchie des sources du droit place au premier rang les organes titulaires du pouvoir constituant, devant les organes législatifs et les organes exécutifs. Cette hiérarchie conditionne la hiérarchie des normes et la négation de la première ne peut que conduire au rejet de la seconde.

    B) Le rejet de la théorie de la hiérarchie des normes

    Le Droit conçu comme un système normatif est pensé par le juriste autrichien Hans. Kelsen qui postule que "l'ordre juridique n'est pas un système de normes juridiques placées au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide ou une hiérarchie formée d'un certain nombre d'étages ou couches de normes successives."(24) La hiérarchie des normes dans son principe place la Constitution au sommet de la pyramide. Mais cette place n'est pas reconnue à toute la loi fondamentale car la valeur constitutionnelle de certaines de ses dispositions est discutée (1). Cette discussion conduisant à la création d'un ordre juridique dérogatoire et généralement articulé autour de la loi (2).

    1- La discussion de la valeur constitutionnelle de certaines dispositions de la loi fondamentale

    La jurisprudence camerounaise s'est montrée hostile à la reconnaissance de la valeur constitutionnelle de certaines dispositions figurant pourtant dans le texte promulgué sous le titre de "Constitution", en l'occurrence les principes contenus dans le préambule (25). Il ne s'est pas agit pour le juge d'opérer au sein des dispositions de valeur constitutionnelles celles qui étaient plus applicables que d'autres, mais le juge camerounais a pratiquement dénier à certaines règles la valeur qui était la leur du fait de leur élaboration par le pouvoir constituant et dans les formes exceptionnelles requises. Ce faisant, le juge a vidé la règle de toute autorité puisque "le législateur peut y déroger expressément"; celle-ci n'ayant qu'une valeur supra décrétale et infra-constitutionnelle. Il s'ensuit inévitablement la construction d'un ordre dérogatoire à la Constitution

    24 H. Kelsen, cité par P. Gélard et J. Meunier, Institutions et politiques et droit constitutionnel, Paris, Montchrestien, 2im° éd. 1997. Il s'agit de l'exposé de ce que l'on appelle le nonnativisme kelsénien qui postule qu'une norme ne doit sa qualité que par rapport à sa conformité à une nonne qui lui est supérieure.

    25 La doctrine camerounaise avant l'avènement de la Constitution de 1996 était divisée sur la question de la valeur du Préambule. Contre la thèse de la valeur constitutionnelle défendue notamment par MM. Minkoa She et F.X. Mbouyom, les professeurs Pougoué et Kamto nient toute valeur juridique aux dites dispositions. L'article 65 de la nouvelle Constitution a tranché.

    2- La construction d'un désordre juridique infra constitutionnel dérogatoire à la Constitution

    L'ordre juridique camerounais est truffé de normes dont l'inconstitutionnalité est clairement reconnue (26), mais quasiment impossible à constater par le juge. Devant l'hostilité réitérée du juge à l'égard d'un contrôle de constitutionnalité par voie d'exception, l'idée même d'un "ordre" est véritablement illusoire. On ne peut en effet parler d'ordre que dans la perspective où "toute norme juridique est application d'une norme supérieure et création d'une norme inférieure". Mais la persistance de la théorie de l'écran législatif magnifiée par le juge administratif et le refus du juge judiciaire de reconnaître aux dispositions du préambule la valeur constitutionnelle ont inévitablement conduit à la construction d'un "désordre juridique" caractérisé par l'existence de normes infra constitutionnelles dérogatoires aux principes de valeur supérieure. L'adhésion au constitutionalisme en 1996 a permis cependant de stopper cette déviance et de rétablir la règle constitutionnelle dans sa primauté.

    SECTION 2: UNE SUPREMATIE RESTAUREE PAR L'ADHESION AU CONSTITUTIONNALISME DU CONSTITUTANT DE 1996

    L'autorité de la norme constitutionnelle semble retrouver une nouvelle vie au regard de la garantie que lui assure la constitution du 18 janvier 1996. Le moins qu'on puisse dire à l'analyse de ce texte est qu'il substitue une justice constitutionnelle déléguée à un contrôle de constitutionnalité retenue par le Président de la République (paragraphe 1). En instituant une garantie juridictionnelle inspirée du modèle européen, le constituant camerounais consacre irrémédiablement le caractère obligatoire des règles constitutionnelles (paragraphe 2).

    PARAGRAPHE 1: D'UN CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITÉ RETENU A UNE JUSTICE CONSTITUTIONNELLE DELEGUEE

    Le 21 avril 2004, le Président de la République promulguait la loi portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel. De l'avis de certains, ce texte place le Cameroun "sur la voie d'une modernité juridique irréversible" car "il s'agit de nouvelles avancées en vue d'une consolidation de l'Etat de droit"(27). Pour le juriste, c'est surtout l'option ferme du Cameroun pour une véritable justice constitutionnelle libérée de l'emprise du politique. Cette rupture est marquée par la création du Conseil constitutionnel, juridiction spécialisée (I) et institution permanente et indépendante (II).

    26 Cf. infra.

    27 Makon ma Pondi, "Une innovation majeure", in Cameroon Tribune du 22 avril 2004.

    I- LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL, UNE INSTITUTION SPECIALISEE DANS LE CONTROLE DU RESPECT DE LA CONSTITUTION

    L'analyse combinée des dispositions constitutionnelles et de la loi portant organisation du Conseil constitutionnel autorise à conclure qu'il s'agit d'une institution spécialisée. Cette spécialisation tient à ce que l'institution se situe en dehors de l'ordre judiciaire (A) et s'attache également à sa nature (B).

    A) Une institution en dehors de l'ordre judiciaire

    Alors que le pouvoir judiciaire fait l'objet du titre V de la Constitution, le Conseil constitutionnel est traité dans un titre VII qui lui est entièrement consacré. Le constituant opère déjà une distinction entre le pouvoir judiciaire qui est "exercé par la Cour suprême, les Cours d'appel et les tribunaux"(28) et la juridiction chargée d'être la "bouche de la constitution"(29). Aussi l'organisation de ladite juridiction ne pouvait que traduire cette spécialisation qui repose sur les conditions spéciales exigées des éventuels conseillers (1) et l'exclusion explicite des juges (2).

    1- Des compétences spéciales exigées des éventuels Conseillers

    Les postulants au poste de Conseillers doivent satisfaire à des exigences particulières. Ces exigences portent sur un double plan car aux termes de la Constitution:

    "Les membres du Conseil constitutionnels sont choisis parmi les personnalités de réputation professionnelle établie.

    Ils doivent jouir d'une grande intégrité morale et d'une compétence reconnue"(30).

    Il transparaît dans cette disposition une volonté de faire de la juridiction constitutionnelle un organe spécialisé, en exigeant de ses membres une compétence en matière constitutionnelle (31). En poussant un peu plus loin notre analyse, nous pouvons dire que l'application rigoureuse de cette disposition aboutirait comme en France à un privilège des professeurs de droit dans la désignation des membres du Conseil (32). Cela ne pourrait que servir l'autorité de la norme constitutionnelle dont la garantie est une condition préalable à

    28 Article 37 alinéa 2 Constitution de 1996

    29 L'expression est empruntée à Montesquieu, cité par D. Rousseau, "Une résurrection: la notion de Constitution", in RDP, 1990, pp 5 et SS.

    30 Article 51 alinéa 1 §2 Constitution de 1996.

    31 Le texte ne précise pas exactement le domaine de cette compétence, mais il la technicité de la matière conduirait en toute logique à une mise en avant du champ des sciences juridiques et politiques comme domaine par excellence.

    32 Le Conseil constitutionnel français comprenait en 2001 huit juristes sur les neuf membres. Pour une étude plus approfondie, voir D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit. pp 40 et SS.

    l'avènement d'un Etat de droit. En même temps ces exigences semblent exclure les juges de l'ordre judiciaire.

    2- L'hypothèse de l'exclusion des juges de l'ordre judiciaire

    Le juge judiciaire peut-il être membre du Conseil? Une réponse affirmative semble devoir s'imposer au regard tant des dispositions constitutionnelles que de la loi fixant le statut des membres du Conseil constitutionnel. L'exclusion des juges de la haute cour est toutefois expressément posée par cette loi organique qui dispose que "les fonctions de membre du Conseil constitutionnel sont incompatibles avec la qualité de membre de la Cour suprême". En ce qui concerne les juges des Cours d'appel et des Tribunaux, leur exclusion est plus problématique. En effet, le pouvoir dont dispose le Conseil supérieur de la magistrature en matière de nomination des membres du Conseil laisse subsister la possibilité qu'un juge "ordinaire" puisse siéger au Conseil. C'est une hypothèse très probable au regard notamment de l'exigence d'une "réputation professionnelle établie" sans précision du domaine. Mais loin de relativiser l'option d'une prépondérance de juriste dans le choix des membres du Conseil, elle la conforte et ne peut que contribuer à renforcer le caractère spécialisé de cette juridiction dont la nature reste à préciser.

    B) Une spécialisation attachée à sa nature

    Le Conseil constitutionnel est un organe à la fois politique et juridictionnel (1). Mais c'est aussi une juridiction spéciale garante de la suprématie constitutionnelle (2).

    1- Un organe politique et juridictionnel

    La détermination de la nature du Conseil constitutionnel français a fait l'objet d'une controverse doctrinale. Une partie de la doctrine postulait la nature politique alors que l'autre optait pour la thèse juridictionnelle (33). L'organisation du Conseil constitutionnel camerounais pourrait de même susciter un tel débat. Mais ce serait ignorer les doubles fonctions du Conseil qui en font indubitablement un organe à la fois politique et juridictionnel. En effet la régulation du fonctionnement des pouvoirs publics qui lui est dévolue fait dire à L. Donfack Sokeng qu'il "ne pourra se déterminer qu'en tenant compte des enjeux politique de la question sur laquelle il serait appelé à statuer" (34). De l'autre côté, l'on s'attend à un débat

    33 Voir sur cette controverse D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op cit. pp 53 et SS.

    34 L. Donfack Sokeng, "Le contrôle de constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui", op cit. 396.

    juridique sur le contrôle de constitutionnalité qui fera ressortir le rôle éminemment juridictionnel de l'institution. Aussi, une analyse de la nature de l'organe sans tenir compte de cette ambivalence serait partielle sinon partiale. Cette ambivalence n'empêche cependant pas de poser préalablement que le Conseil est garant de la suprématie constitutionnelle.

    2- Une juridiction spéciale garante de la suprématie constitutionnelle

    Le Conseil constitutionnel est d'abord "l'instance compétente en matière constitutionnelle"(36) dont le rôle est de garantir la suprématie des règles issues de la législation constitutionnelle. Ses compétences, qui se déclinent à la fois sur l'angle politique et sur l'angle juridictionnel(37), ne peuvent s'analyser sans une intégration préalable de cet objectif qui est au fondement même de son existence. Le Conseil devrait, au travers de sa jurisprudence, se substituer au Président de la République dans le rôle de gardien de la Constitution; c'est du moins le voeu de la doctrine camerounaise. Cette garantie par une activité intense du juge constitutionnel pourrait aboutir non seulement à la consécration effective de la valeur constitutionnelle du préambule par la sanction de la violation des principes qu'il contient, mais surtout à la transformation comme en France de la Constitution en "charte jurisprudentielle des droits et libertés"(38). Ceci est fort possible au regard du statut de l'institution

    II- UNE INSTITUTION PERMANENTE ET INDEPENDANTE

    Contrairement à la chambre constitutionnelle, le Conseil constitutionnel jouit d'une permanence et d'une indépendance statutaire. Organe créé par le souverain (A), elle entretient un espoir certain au regard du statut particulier de ses membres (B).

    A) Un organe créé par le Souverain

    La garantie de la suprématie de la norme constitutionnelle est assurément renforcée par le fait que cette garantie a elle-même une valeur constitutionnelle. Ce qui est une rupture par rapport à la chambre constitutionnelle dont il est avéré que son existence n'était pas acquise de droit. Celle du Conseil constitutionnel repose sur la promulgation de la constitution du 18 janvier 1996 (1) et sur l'impossible blocage du Président de la République dans sa mise en place effective (2).

    36 Article 46 Constitution de 1996.

    37 Cf.infra.

    38 Le Pr. D. Rousseau pense que l'activité du juge constitutionnel est à l'origine de la résurrection de la Constitution qui n'était plus déjà qu'une "notion en survivance". Par sa jurisprudence, le Conseil est parvenu à créer un "espace ouvert à la reconnaissance indéfinie des droits et libertés." Lire aussi les développements plus importants dans D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit. pp 385 et SS.

    1- L'existence du Conseil par la promulgation de la Constitution du 18 janvier 1996

    Le Conseil constitutionnel est crée par la Constitution du 18 janvier 1996 dont la promulgation l'a rendu juridiquement existante (39). En d'autres termes, le Conseil constitutionnel existe depuis le 18 janvier 1996, sous réserve de sa mise en place effective; les lois organiques portant d'une part sur son organisation et son fonctionnement, et d'autre part sur le statut des membres ayant déjà été promulguées. Ne reste plus attendue que la nomination des membres que l'inexistence matérielle du Sénat pourrait encore retarder. A moins que le Président de l'Assemblée nationale se reconnaisse, sur le fondement des dispositions transitoires, le pouvoir de désigner en sus de ses trois membres, ceux dont le pouvoir de nomination appartient au Président du Sénat. Ce qui serait contraire aux dispositions constitutionnelles, car cette nomination est une prérogative du Président du Sénat et non du Sénat. Quoiqu'il en soit, le Conseil ne saurait être bloqué à ce niveau par le Président de la République.

    2- L'impossible blocage dans la mise en place effective du Conseil

    Assurément il n'en sera pas du Conseil constitutionnel comme de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême qui ne vît jamais le jour du fait de "l'inertie" du Président de la République. Pour mieux marquer cette différence, la Cour suprême exerce déjà les attributions du Conseil et l'on peut déjà parler d'une jurisprudence constitutionnelle en l'absence d'un Conseil constitutionnel. Il est improbable que le Conseil constitutionnel ne voit pas le jour pour quelques raisons que ce soit, et surtout pas par une inaction du Président de la République. Contrairement à la compétence dont il disposait sous la Constitution de 1972, celle de la Constitution de 1996 est indubitablement une compétence finalisée: il doit désigner trois membres et prendre le décret qui entérine la nomination des membres du Conseil dès l'instant où tous les autres membres ont été désignés par les autorités compétentes. Une fois nommés, les juges jouissent d'une indépendance dans l'exercice de leurs fonctions.

    B) Un statut particulier pour le juge constitutionnel

    L'efficacité d'une justice repose sur l'indépendance de ceux qui sont chargés de la rendre. Sous ce prisme, l'efficacité du Conseil constitutionnel ne peut faire l'objet d'un doute. L'autorité de la règle constitutionnelle peut certainement envisager un avenir prometteur tant

    39 En s'interrogeant sur la valeur constitutionnelle des dispositions suspendues d'application par l'effet des dispositions transitoires, le Pr. Ondoa soutient que celles-ci ont une force obligatoire indéniable. L'on peut postuler sur cette théorie l'existence d'un Conseil constitutionnel au Cameroun qui "résulte de l'existence juridique de l'acte" qui le crée; laquelle existence est prouvée par "sa promulgation et sa publication." Cette reconnaissance, poursuit M. Ondoa implique une "obligation" pour les pouvoirs publics de procéder à sa "mise en application". Lire à propos M. Ondoa, "La Constitution duale: Recherches sur les dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun", op. cit. pp 50 et SS.

    il est vrai que le juge constitutionnel, inamovible (1) et couvert d'immunités (2) dans l'exercice de ses fonctions, a les arguments nécessaires pour assurer efficacement la primauté de la Constitution.

    1- Un juge inamovible

    Les membres du Conseil constitutionnel sont nommés pour un mandat de neuf ans non renouvelable (40). Après sa nomination, le juge n'est plus lié par celui à qui il doit d'être « Conseiller ». Certainement la culture de l'ingratitude commencera par le Conseil. En effet le mandat du juge constitutionnel est non susceptible de révocation (41). L'inamovibilité est la pierre angulaire de la construction de toute indépendance de la justice. En consacrant au plus haut niveau cette prérogative du juge constitutionnel, le constituant a certainement entendu mettre le juge dans les conditions idéales d'objectivité et d'impartialité qui sied à toute bonne administration de la justice et plus encore de la justice constitutionnelle. Cette inamovibilité est complétée par les immunités.

    2- Un juge couvert d'immunités

    Aux termes de la loi fixant le statut des membres du Conseil constitutionnel, "aucun membre du Conseil constitutionnel ne peut être inquiété, poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé en raison des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions"(42). Une saine interprétation de cette disposition aboutirait à l'idée que cette immunité couvre le Conseiller pendant et après la fin de son mandat. La thèse contraire ne pouvant qu'être préjudiciable à l'indépendance du juge qui pourrait alors craindre d'éventuelles représailles à «la fin de son mandat. Toutes ces précautions ne peuvent qu'induire la naissance d'une véritable justice constitutionnelle au Cameroun, consécration du caractère obligatoire de la Constitution.

    PARAGRAPHE 2: LA CONSECRATION DU CARACTERE OBLIGATOIRE DES REGLES CONSTITUTIONNELLES

    Droit et sanction sont-ils indissociables? Rapportée à la Constitution, la réponse a été affirmative pendant longtemps. Mais l'émergence d'une justice constitutionnelle autorise bien

    40 Article 9 loi fixant le statut des membres du Conseil constitutionnel

    41 Idem.

    42 Article 12 loi fixant le statut des membres du Conseil constitutionnel

    à penser que la Constitution ne peut véritablement imposer qu'autant qu'un oeil veille et est capable de "reprendre" celui qui s'écarte de la voie constitutionnelle. La justice constitutionnelle peut ainsi se décliner comme moyen de réalisation du Droit par l'oeuvre de soumission des pouvoirs publics (I) et moyen d'assurer la primauté de la Constitution par le contrôle de constitutionnalité (II).

    I- LA REALISATION DU DROIT PAR L'OEUVRE DE SOUMISSION DES POUVOIRS PUBLICS

    Le postulat est posé par l'abbé Sieyès lorsqu'il affirme que "la Constitution est un corps de règles obligatoires". Mais cette obligation ne s'est pas toujours imposée aux organes de l'Etat. La justice constitutionnelle impose donc une définition identique de la Constitution aux pouvoirs constitués: l'ensemble des règles qui déterminent le champ de leur compétence. Ceci au moyen de sa compétence de régulateur du fonctionnement des institutions (A). Cette régulation vient compléter le contrôle déjà effectif de l'Exécutif en son bras séculier l'administration (B).

    A) Le respect de l'organisation du pouvoir par la régulation du Conseil constitutionnel

    La Constitution est organisation du pouvoir (43) entre les différents organes de l'Etat. La régulation du Conseil devrait donc consister à veiller au respect de la séparation des pouvoirs (1) et au règlement des différends entre les pouvoirs publics (2).

    1- La distribution du pouvoir entre les institutions de l'Etat

    Les principes constitutionnels consacrent la séparation des pouvoirs, définissant les compétences de chaque organe. Le respect de la constitution est ici qu'aucun organe n'empiète pas dans le domaine réservé à un autre pouvoir. On s'attendrait surtout à ce que le juge constitutionnel s'investisse dans la garantie de l'indépendance du pouvoir judiciaire. D'autant plus qu'il ressort des dispositions de la constitution nouvelle que le pouvoir judiciaire "est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif'(44). Une innovation dont il faut relever toute la pertinence, et qui vérifie encore que le Cameroun est sur le chemin laborieux de l'Etat de droit.

    43 L'article 16 de la déclaration de 1789 dispose à cet effet que "toute société dans laquelle 1a garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de Constitution". D'ailleurs, constatera le Pr. Rousseau, "pendant longtemps la Constitution a été définie seulement à partir de la deuxième partie de l'article 16 de la DDHC". Ceci a conduit à une négation des droits et à une prééminence de l'Etat qui conduit généralement en Afrique à une soumission du Droit au pouvoir. Or, le constitutionnalisme c'est d'abord la Constitution comme énoncé des droits intangibles par le fait même de leur formulation dans un document opposable à tous. D'où l'exaltation de l'action du juge constitutionnel qui permet aujourd'hui de revenir à cette conception révolutionnaire de la Constitution: d'abord la garantie des droits.

    44 Article 37 alinéa 2 in fine Constitution de 1996.

    2- Le règlement des différends entre l'Etat et les Régions

    La Constitution du 18 janvier 1996 change l'organisation territoriale en instituant les Régions. Ce sont des collectivités territoriales décentralisées disposant d'une certaine autonomie politique et économique. L'Etat assure la tutelle sur les Régions. Parce qu'il s'agit d'une organisation trop proche du fédéralisme, on peut craindre que l'Etat, au moyen de cette tutelle ne se substitue aux organes de la Région pour retrouver un pouvoir qu'il a été contraint de partager. La Constitution offre à cet effet la possibilité aux Présidents des Exécutifs régionaux de saisir le Conseil lorsque les intérêts de leur Régions sont en cause. Le Conseil sera certainement beaucoup interpellé sur cette question car la mise en place des Régions affectera des automatismes qu'il ne sera pas aisé d'abandonner. Cette régulation complète le contrôle déjà exercé sur l'activité administrative de l'Etat.

    B) Le contrôle détaché des Règlements

    Le contrôle de constitutionnalité fait abstraction de la soumission de l'exécutif au droit. Certes dans un système comme le nôtre où l'initiative législative est un apanage du Gouvernement, on peut conclure que le contrôle de constitutionnalité intéresse par ce fait l'exécutif. Mais ce serait oublier que la quasi-totalité de l'activité de l'exécutif est d'ordre administratif. D'où l'intérêt de s'appesantir sur le contrôle qui y est fait. Il s'agit d'un contrôle de constitutionnalité (1) qui est fortement relativisé par la théorie de l'écran législatif (2).

    1- Un contrôle de constitutionnalité

    Le contrôle des règlements administratifs est un authentique contrôle de constitutionnalité effectué par le juge administratif. Il s'agit d'un contrôle qui existe depuis l'accession du Cameroun à l'indépendance et depuis la Constitution du 04 mars 1960. Le contrôle de constitutionnalité des règlements résulte du principe de juridicité posé par Charles Eisenmann qui pense que l'administration dans son action doit respecter un faisceau de normes au premier rang desquelles la Constitution. Aussi le juge administratif se reconnaît-il compétent pour vérifier la constitutionnalité d'un règlement administratif à la règle supérieure. Encore faut-il qu'une loi ne s'interpose pas.

    2- Un contrôle relativisé par la théorie de l'écran législatif

    Le contrôle des règlements administratif se heurte souvent en pratique à l'écran législatif. C'est le cas où le règlement affirme sa régularité par rapport à la loi, mais est irrégulier par rapport à la constitution. Dans cette situation et faisant application de la théorie

    de l'écran législatif développée par Raymond Odent, le juge administratif s'est toujours refusé à apprécier la constitutionnalité du règlement, motif pris de ce que l'exercice d'un contrôle de constitutionnalité sur le règlement induirait un contrôle de la constitutionnalité de la loi. Or il se défend d'être au Cameroun le juge de la constitutionnalité des lois. Aussi le contrôle en amont de la constitutionnalité des lois par le juge constitutionnel ne peut qu'aider le juge administratif à mieux remplir son office.

    II- LA PRIMAUTE DE LA CONSTITUTION PAR LE CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITÉ

    Compétente en matière constitutionnelle,

    "Le Conseil constitutionnel statue souverainement sur la constitutionnalité des lois, traités et accords internationaux;

    Les règlements intérieurs de l'Assemblée nationale et du Sénat, avant leur mise en application quant à leur conformité à la Constitution.»(45)

    De l'analyse de cette disposition, il ressort que la primauté de la constitution est assurée au moyen d'un contrôle de constitutionnalité qui à trois démembrements (A). Ce contrôle est aussi soit facultatif soit obligatoire (B).

    A) Un contrôle de constitutionnalité à trois démembrements

    II s'agit d'un contrôle de constitutionnalité des lois (1), d'un contrôle de conformité (2) et d'un contrôle de contrariété (3).

    1- Le contrôle de constitutionnalité des lois

    Le contrôle de constitutionnalité traduit le passage de la loi d'un acte général à un acte délimité. Désormais en effet la loi sera "l'acte pris par le Parlement pris dans la forme de la loi

    et dans le domaine de la loi". La Constitution ayant depuis longtemps déterminé les matières qui ressortissent à la compétence du législateur, il reviendra au juge constitutionnel de s'assurer qu'il respecte ces limites. Certes la loi est aussi l'expression de la volonté générale, mais le constituant a prévu qu'elle sera cependant inférieure à la Constitution. En l'absence d'un contrôle de constitutionnalité, la suprématie constitutionnelle est "platonique" et la loi demeure en fait sinon en droit la norme suprême. Le contrôle de constitutionnalité tel qu'il est prévu et organisé en droit constitutionnel camerounais déclare la fin du légicentrisme, car "la loi n'exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution"

    .45 Article 47 alinéa 1 Constitution de 1996

    2- Le contrôle de conformité

    La terminologie "contrôle de conformité" peut être utilisée pour qualifier le contrôle de constitutionnalité des règlements intérieurs des Assemblées politiques délibérantes. L'organisation interne des assemblées n'échappe plus au contrôle par le juge constitutionnel depuis la Constitution de 1996. La légitimité et la nécessité d'un tel contrôle reposerait sur l'idée que "modifier son règlement est toujours pour une assemblée tenté d'accroître un pouvoir d'intervention limité par la constitution"(46). L'avènement de la nouvelle Constitution camerounaise a ainsi motivé un changement profond du règlement intérieur de l'Assemblée nationale (47) dont le juge constitutionnel a eu à connaître. Cet office du juge constitutionnel, saisi par le Président de l'Assemblée nationale, a abouti à une déclaration de non conformité de certains articles du règlement intérieur de la chambre.

    3- Le contrôle de contrariété

    II intéresse le contrôle de constitutionnalité des traités et accords internationaux. Le contrôle de contrariété ne figurait n'était prévu par aucune Constitution camerounaise jusqu'à l'avènement de la loi fondamentale du 18 janvier 1996. Tout au plus la Constitution du 04 mars 1960 disposait-elle que "il [le Président de la République] soumet avant ratification les traités à l'approbation de l'Assemblée nationale"(48). L'innovation de la Constitution nouvelle va bien au-delà de la ratification et de l'approbation pour soumettre ces formalités d'intégration des normes internationales dans l'ordre juridique interne à un éventuel contrôle du Conseil constitutionnel. La particularité de ce contrôle réside en ce qu'il n'aboutit pas au rejet de la norme internationale, mais à la modification de la Constitution préalablement à la ratification ou l'approbation. Certains y ont vu une supra constitutionnalité du droit international sur le droit interne. Certes l'option moniste avec supériorité du droit international est manifeste au regard de la Constitution de 1996(49), mais il faudrait aussi admettre que l'ordre juridique international régulièrement approuvé ou ratifié n'a qu'une valeur supra législative, d'autant plus que la science constitutionnelle referme l'ordre juridique interne sur la Constitution. Ainsi toute règle à laquelle on voudrait conférer la valeur suprême sera moulée en la forme constitutionnelle. Au demeurant, le traité ou accord international ne sera ratifié ou approuvé qu'autant qu'il n'est pas contraire à la Constitution. Selon la matière sur laquelle il porte, le contrôle sera soit facultatif, soit obligatoire.

    46 D. Rousseau, "Chronique de jurisprudence constitutionnelle", in RDP 2000, pp 17 et SS.

    47 Cf. supra.

    48 Article 39

    49 Voir les développements faits par N. Mouelle Kombi, "La loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 et le droit international", in S. Méloné, A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.). La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun. Aspects juridiques et politiques, op. cit. pp 126 et SS.

    B) Un contrôle facultatif ou obligatoire

    Le contrôle de constitutionnalité est facultatif pour les lois, traités et accords internationaux (1) et obligatoire pour les règlements des Assemblées (2).

    1- Le contrôle facultatif des lois, traités et accords internationaux

    Le contrôle de constitutionnalité des lois, traités et accords internationaux n'est possible que s'il y a saisine du juge constitutionnel. C'est donc un contrôle facultatif, car il n'y a pas obligation de saisine. Le contrôle facultatif rapporté à la loi semble ne pas vraiment militer en faveur de la garantie de la suprématie constitutionnelle, car le juge pourrait très bien ne pas être saisi d'une loi pourtant inconstitutionnelle. Mais en même temps, faire du contrôle de constitutionnalité des lois un contrôle obligatoire serait faire du Conseil une "troisième chambre". Ce qui n'a jamais été l'intention du constituant, car plusieurs mécanismes existent déjà pour élaguer la loi de toute trace d'inconstitutionnalité avant sa promulgation (50). La justice constitutionnelle se révélera cependant très utile en démocratie majoritaire car ultimum remedies contre la tendance à "la tyrannie de la majorité". Ce contrôle facultatif des lois se justifierait aussi au regard du contrôle obligatoire des règlements des assemblées qui est fait en amont.

    2- Le contrôle obligatoire des règlements intérieurs des assemblées

    Rompant avec la traditionnelle autonomie des assemblées magnifiée par les précédentes Constitutions camerounaises, la loi fondamentale du 18 janvier 1996 institue un contrôle obligatoire des règlements intérieurs de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ceux-ci doivent "avant leur mise en application" être contrôlés pour s'assurer de "leur conformité à la Constitution". Ce contrôle est effectué sur saisine "obligatoire" par le Président de la chambre concerné tant il est vrai que la mise en application est subordonnée à la décision de conformité rendue par le juge constitutionnel. Ainsi le Président de l'Assemblée nationale a-t- il saisi la Cour suprême siégeant comme Conseil constitutionnel en novembre 2002 du règlement intérieur de la chambre afin que la Cour exerce sa sanction.

    50 La Constitution de 1996 comme les précédentes prévoit déjà un contrôle de la constitutionnalité des propositions et projets de lois au niveau de la conférence des présidents. Certains auteurs ont même assimilé ce contrôle à un contrôle de constitutionnalité des lois. Mais cette thèse ne peut être utilement reçue. Comme le relève déjà M. Donfack Sokeng, le contrôle de constitutionnalité des lois suppose une loi, c'est-à-dire un acte projet ou une proposition de loi qui a fait l'objet d'adoption par le Parlement. Dans le cas contraire, il serait abusif de parler d'un contrôle de constitutionnalité des lois, car la loi n'existe pas encore.

    L'évolution de la garantie juridictionnelle de l'autorité de la norme constitutionnelle démontre les difficultés du principe de la suprématie de la loi fondamentale à se réaliser. Comme le précise Georges Burdeau, "la suprématie des lois constitutionnelles serait un vain mot si elles pouvaient être impunément violées par les organes de l'Etat". Pendant longtemps, cette suprématie a été discutée et même contestée par la reconnaissance en fait et en droit de la supériorité de la loi. Car en l'absence d'un contrôle de constitutionnalité, la garantie politique de la Constitution apparaissait chimérique. En effet si on peut violer impunément la Constitution, on le peut légitimement. L'adhésion du Cameroun au constitutionnalisme révolutionne certainement tout le droit constitutionnel camerounais; du moins crée-t-elle un réel enthousiasme quant à l'avènement d'un "gouvernement constitutionnellement limité". La pertinence d'un tel raisonnement mérite cependant une analyse de l'emprise de la justice constitutionnelle sur le système politique et juridique du Cameroun.

    CHAPITRE II:

    L'EFFECTIVITE DE LA JUSTICE CONSTITUTIONNELLE ET L'AFFERMISSEMENT DE L'AUTORITE DE LA NORME CONSTITUTIONNELLE

    L'affirmation de la primauté de la Constitution et le respect de la norme constitutionnelle en quelque lieu que l'on puisse se trouver, sont indubitablement établis sur une justice constitutionnelle qui exerce une emprise sur la réalité à travers l'activité du juge constitutionnel(l). On ne saurait prendre pour argent comptant l'adhésion du Cameroun aux valeurs du constitutionnalisme pour arguer d'une effectivité de la justice constitutionnelle et plus encore de l'affermissement de l'autorité de la norme fondamentale. Assurément un regard nouveau s'impose aujourd'hui sur le droit constitutionnel camerounais, mais ce regard est tributaire d'une justice constitutionnelle dont l'effectivité ne peut plus être discutée. Le mérite en revient à la Cour suprême siégeant comme Conseil constitutionnel, qui permet d'avoir déjà une jurisprudence constitutionnelle en l'absence de l'organe chargé du contentieux constitutionnel. La promulgation de la loi portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel nous permet ainsi d'apporter une modeste contribution à l'étude du contrôle de constitutionnalité en droit constitutionnel camerounais. D'emblée, on peut dire que l'alignement de ce contrôle sur le modèle européen de justice constitutionnelle n'est pas en soi une garantie d'efficacité, tant il est vrai que le droit tout comme la justice doit prendre racine dans la société où il est produit, étant nécessairement le produit de cette société. Il ne s'est pas s'agit d'un mimétisme improductif cependant, car l'organisation du contrôle de constitutionnalité tel qu'il transparaît dans les textes présente des particularités qu'il faut absolument relever. De même soulignera-t-on que ce contrôle, tel qu'il est dans sa dernière mouture, révèle de profonds changements avec celui contenu dans l'avant-projet de Constitution de 1994. Nolens volens, le contrôle de constitutionnalité est une réalité en droit constitutionnel camerounais. Et même si son organisation reste à parfaire (section 1), on ne peut nier que "la naissance du juge constitutionnel camerounais"(2) visible par sa jurisprudence contribue à l'affermissement de la suprématie constitutionnelle (section 2).

    1. La primauté de la Constitution implique obligatoirement qu'elle soit respectée par tous. La justice constitutionnelle vient parachever cette oeuvre de hiérarchisation en soumettant toutes les autres normes à la norme supérieure. Dans l'impossibilité d'être par elle-même un "corps de règles obligatoires" et donc respectée, la Constitution va s'armer de normes de sanction. Mais la justice constitutionnelle ne peut rester au rang de simple dissuasion, car le contrôle de constitutionnalité des lois comme nous l'avons précisé plus haut existe au Cameroun depuis 1961, sans que cela empêche des lois inconstitutionnelles de pulluler au sein de l'ordre juridique. Une justice constitutionnelle ne peut donc garantir la primauté et le respect de la loi fondamentale que par une activité du juge constitutionnel. Celle-ci a déjà permis d'extirper du règlement intérieur de l'Assemblée nationale des dispositions inconstitutionnelles.

    2. L'expression est empruntée à A.D. Olinga, "La naissance du juge constitutionnel camerounais: la commission électorale nationale autonome devant la Cour suprême", Juridis périodique, n°36, oct-nov-déc 1998, pp 71 et SS.

    SECTION 1: UNE ORGANISATION A PARFAIRE

    Prise dans son principe, la justice constitutionnelle est en soi une véritable révolution dans le droit constitutionnel camerounais. Mais il serait illusoire de croire que le chemin du juge constitutionnel a été aplanie, de manière à faciliter son office. L'option pour un contrôle concentré et abstrait est déjà critiquable (3) lorsqu'en l'espèce les juges se refusent à exercer un contrôle concret des lois. Ce problème peut toutefois être relativisé si les juges tirent toutes les conséquences de leur "nouvelle indépendance"(4) telle qu'elle transparaît dans la nouvelle Constitution; également s'ils admettent toutes les implications du principe de la supériorité desnormes constitutionnelles. Celles-ci commandent déjà au juge constitutionnel saisi d'un litige sur la loi de faire respecter la norme supérieure. Cette entreprise n'est pourtant pas aussi simple car l'accès au juge (paragraphe 1) autant que son office (paragraphe 2) sont rendus laborieux par une organisation en quelques points lacunaire.

    PARAGRAPHE 1: L'ACCES AU JUGE CONSTITUTIONNEL

    L'accès au juge constitutionnel est l'un des points sur lequel la Constitution de 1996 présente une avancée par rapport à l'avant-projet de Constitution de 1994(5). Cet accès qui est facilité par une extension du droit de saisine (I) est susceptible cependant d'être bloqué par la prégnance des intérêts politiques (II).

    I- UN ACCES FACILITE PAR L'EXTENSION DU DROIT DE SAISINE

    La saisine de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême était une exclusivité du Président de la République. La Constitution du 18 janvier 1996 dans la distribution du droit de saisine du Conseil constitutionnel veut s'inscrire véritablement dans le courant démocratique véhiculé aujourd'hui à travers l'idéologie libérale. Ceci est traduit par un droit de saisine étendu. Le contrôle peut ainsi être actionné par tous les auteurs de la loi (A) et par ceux qui n'ont pas participé à cette élaboration (B).

    A) La saisine par les différents auteurs de la loi

    L'accès au juge constitutionnel est ouvert à tous ceux qui participent à la fabrication de

    3 Ce contrôle ouvre la voie à des tractations, des compromis et même des compromissions d'où la norme constitutionnelle sortira amoindrie. Certes faire du contrôle de constitutionnalité des lois un contrôle obligatoire serait élever le Conseil au rang de "troisième chambre", ce qui est contraire à l'idée du constituant. Au moins pourrait-on comme en France rendre obligatoire le contrôle des lois organiques; mais les conditions formelles d'une telle obligation font défaut, car la loi organique fait en France l'objet d'une procédure spéciale. Voir aussi D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, Paris, 6™° éd. 2001, pp 190 -191.

    4 L'indépendance de la justice est expressément affirmée dans la Constitution nouvelle qui déclare que "le pouvoir judiciaire est (...) indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif." C'est donc une indépendance qui ne dépend plus du Président de la République, mais qui est "constitutionnellement" garantie. Les juges peuvent sur ce postulat se permettre quelques libertés notamment en matière de contrôle concret des lois.

    5 Voir sur la question L. Donfack Sokeng, "Le contrôle de constitutionnalité des lois tuer et aujourd'hui", op. cit.

    la loi, depuis l'initiative jusqu'à l'adoption définitive. On peut distinguer les trois grands requérants (1) des parlementaires ayant qualité pour saisir le juge constitutionnel (2).

    1- Les trois grands requérants

    L'accès au Conseil est ouverte au Président de la République, au Président de l'Assemblée nationale et au Président du Sénat (6).

    La saisine du Conseil constitutionnel est d'abord un droit réservé au Président de la République. Gardien du respect de la Constitution, il doit s'assurer que la loi n'a pas dérogé aux principes de valeur supérieure. Mais cette mission n'est pas aussi aisée, quand on sait que la quasi-totalité des lois est d'origine gouvernementale et donc initiée par le Président lui- même. Peut-il contester la constitutionnalité d'une loi dont il est l'initiateur? Si cela était inconcevable sous un Parlement "caisse de résonance", l'avènement du pluralisme et l'arrivée de l'opposition au Parlement auquel s'ajoute une utilisation abondante du droit d'amendement ont contribué à modeler le projet du Président de la République. Il n'est donc pas exclu qu'une inconstitutionnalité puisse se glisser dans la loi lors de la procédure de "fabrication". La protection politique de la Constitution confiée au Président de la République trouve ainsi toute sa pertinence par la possibilité de saisir le Conseil. Le Conseil peut aussi être saisi par le Président de l'Assemblée nationale ou le Président du Sénat. Ce privilège accordé au politique s'est cependant accompagné d'une ouverture de la saisine à la minorité parlementaire.

    2- Les parlementaires ayant qualité pour saisir le Conseil

    L'extension du droit de saisine à la minorité parlementaire constitue pour L. Donfack Sokeng un moyen pour ces derniers de "contrôler efficacement les majorités en vue de censurer toute dérive dictatoriale qui s'appuierait essentiellement sur une démocratie majoritaire pas toujours soucieuse du respect de la Constitution (7). En effet, aux termes de l'article 47 alinéa 2 de la Constitution de 1996, le Conseil constitutionnel peut être valablement saisi par le tiers des députés ou le tiers des sénateurs. Par cela, le constituant, qui affirme sa nature libérale et démocrate, offre les moyens pour "éviter le "vous avez tort juridiquement parce que vous êtes politiquement minoritaire", et multiplie les chances de la norme fondamentale d'être garantie dans sa suprématie. Le constituant de 1996 innove véritablement en accordant à certaines personnes qui n'ont pas participé à la conception de la loi de saisir le Conseil

    6 Article 47 alinéa 2 Constitution de 1996

    7 L. Donfack Sokeng, "Le contrôle de constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui", op. cit.

    B) Une particularité camerounaise: le droit de saisine des Présidents des exécutifs régionaux

    Il s'agit d'une prérogative personnelle (1) qui est conditionnée dans son exercice (2).

    1- Une prérogative personnelle

    Le Conseil constitutionnel ne peut être saisi que par le Président du Conseil régional. C'est une spécificité du droit constitutionnel camerounais par rapport au droit français. La création des Régions par la Constitution de 1996 était un moyen de tempérer les velléités sécessionnistes qui secouaient le pays (8), menaçant l'intégrité du territoire. Mais si cette création ne pose pratiquement pas de problème, le droit de saisine du Président du Conseil régional ne réalise pas une totale adhésion de la doctrine. Certains préconisent qu'en confiant plutôt ce droit au Conseil régional, cela aurait été "plus démocratique". Quoiqu'il en soit, ce droit est limité dans son exercice par une condition de fond.

    2- Un droit subordonné à une condition de fond

    Le droit de saisine des Présidents des exécutifs régionaux n'a pas une portée générale. La Constitution pose une condition à la saisine du Conseil constitutionnel par les autorités politiques des régions. Aux termes de l'article 47 alinéa 2 (§2), "les Présidents des exécutifs régionaux peuvent saisir le Conseil constitutionnel lorsque les intérêts de leur régions sont en cause". Il ne s'agit donc pas de garantir la suprématie constitutionnelle, mais il apparaît plutôt que ce droit est une arme contre l'empiétement de l'Etat dans le domaine de compétence des régions. Sous ce rapport conclut M. Donfack Sokeng, la juridiction constitutionnelle se présente comme le "contre-pouvoir garant du régionalisme constitutionnel"(9). Cependant il est clairement établi que le constituant, par cette distribution large du droit de saisine du juge constitutionnel, se situe dans une perspective "d'une démocratisation progressive du contrôle de constitutionnalité des lois"(10). Pourtant l'accès au juge peut être bloqué malgré cela.

    II- UN ACCES SUSCEPTIBLE D'ETRE BLOQUE PAR LA PREGNANCE DES INTERETS POLITIQUES

    L'accès au juge constitutionnel peut être bloqué par des facteurs introduisant dans le débat sur la constitutionnalité de la loi des considérations politiques. L'impuissance du juge

    8 La Constitution de 1972 a réalisé une unification qui n'était pas voulue par tous. La dénonciation de la procédure constituante de 1972 par l'élite anglophone aboutissait à une seule conclusion: le retour à l'Etat fédéral dans lequel les anglophones se sentaient "pris en compte". Cette revendication de la prise en compte de leur identité culturelle réapparaît au cours des discussions de la Tripartite. Finalement, le consensus semble s'être fait sur le Régionalisme.

    9 Voir "Le contrôle de constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui", op cit.

    10 L. Donfack Sokeng, ibid.

    constitutionnel face à l'inconstitutionnalité (B) peut ainsi résulter de l'accord de la classe politique sur la loi (A).

    A) L'hypothèse de l'accord de la classe politique sur la loi

    La classe politique peut bloquer l'examen de la loi par le Conseil constitutionnel en s'abstenant d'actionner en inconstitutionnalité. Cet accord reposerait alors sur une solidarité partisane (1) qu'accentuerait l'incapacité de la minorité ne remplissant pas les conditions de saisine (2).

    1- La solidarité partisane

    Cette hypothèse est parfaitement concevable en démocratie majoritaire. Rien ne garantit a priori la constitutionnalité de la loi(ll), et plus encore lorsque par solidarité de classe, les politiques qui ont le monopole de la saisine du juge constitutionnel empêchent l'examen de la loi. Egalement concevable en démocratie non majoritaire mais dans un Parlement où se retrouvent différentes bannières politiques comme sous la seconde législature de l'ère pluraliste, l'examen de la loi pourrait être bloqué par une entente entre le Président de l'Assemblée nationale qui doit transmettre les lois votées au Président de la République aux fins de promulgation et ce dernier. Une entente qui aboutirait à une promulgation rapide de la loi. Cette hypothèse difficilement concevable s'est pourtant produite en France, empêchant ainsi l'examen d'une loi dont 60 sénateurs voulaient contester la constitutionnalité. Il peut aussi arriver que la minorité soit trop faible pour saisir le juge.

    2- Une minorité parlementaire ne remplissant pas les conditions de saisine

    Pour que le Conseil soit valablement saisi par les parlementaires, il faut soixante signatures sur l'acte de saisine. Il peut arriver comme sous la législature qui s'est ouverte en 2002 que la minorité parlementaire ne puisse pas satisfaire à cette condition de quantité (12) à cause d'une majorité véritablement "écrasante". Alors le "vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire" retrouve ici toute sa pertinence. L'émiettement de l'opposition parlementaire peut aussi constituer un blocage à l'office du juge. En effet, la

    11 La constitutionnalité de la loi reposerait d'abord sur la présomption de "fidélité" du pouvoir législatif. Le caractère facultatif du contrôle de constitutionnalité des lois démontre ainsi qu'il revient aux représentants du peuple de décider de ce que prescrit la Constitution, de

    déterminer le sens d'un principe constitutionnel. Ceci est cependant susceptible d'occasionner une modification implicite de la Constitution par l'adoption d'une loi inconstitutionnelle.

    12 Cette insuffisance se fait déjà ressentir au niveau de l'utilisation de l'initiative législative et de l'élaboration des lois. L'opposition est absorbée par un parti tout-puissant qui peut ce qu'il veut. Lire aussi J. Mouangue Kobila, "Création des normes: les occasions manquées du nouveau parlementarisme pluraliste au Cameroun", in Solon, Revue africaine du parlementarisme et de la démocratie, vol 1, n°l, 1999, pp 47 et SS; I. Abiabag, "Le droit d'amendement dans le droit parlementaire camerounais", in Annales de la facultés des sciences

    juridiques et politiques. Université de Douala, n°l année 2002, pp 43 et SS.

    réunion des signatures nécessaires va requérir certainement du temps. Or une fois transmise au Président de la République, la loi peut être promulguée n'importe quand dans un délai maximal de quinze jours; surtout qu'il n'existe pas encore comme en France les fameuses "conventions de la constitution'^! 3). Cette abstention ne peut qu'être préjudiciable à la garantie de l'autorité de la norme constitutionnelle.

    B) L'impuissance du juge face à l'inconstitutionnalité

    La justice a le bras mort cela est bien connu. Sinon le juge constitutionnel se saisirait lui-même afin de faire respecter la norme constitutionnelle. La multitude des titulaires du droit de le saisir semble sous ce rapport un trompe l'oeil. Certains auteurs ont suggéré alors pour atténuer les effets de cette loi revêtue de l'immunité juridictionnelle (1) que les Tribunaux soient admis au nombre des titulaires du droit de saisir le juge constitutionnel (2).

    1- Une loi inconstitutionnelle revêtue de l'immunité juridictionnelle

    La promulgation d'une loi lui confère une immunité juridictionnelle définitive. Son inconstitutionnalité ne peut être utilement invoquée à l'occasion d'un litige, car les juges se refusent à exercer un contrôle de constitutionnalité par voie d'exception. Ceci est aggravé par le fait que le constituant n'a organisé qu'un contrôle abstrait et a priori. En d'autres termes, la loi une fois promulguée ne peut être encore déférée devant le juge constitutionnel aux fins de sanction. Certes le juge constitutionnel français a admis qu'il pouvait contrôler la constitutionnalité d'une loi déjà promulguée^ 4), mais il s'agit d'un contrôle incident et dans des conditions restreintes et difficiles à réaliser. Ainsi, la loi promulguée conserve toute son immunité, quand bien même son inconstitutionnalité aurait été couverte par la prégnance des intérêts politiques rendant subsidiaire la suprématie constitutionnelle. Il suffirait pour relativiser ces effets d'accorder aux Tribunaux le droit de saisir le juge constitutionnel.

    2- L'éventuel saisine du Conseil par les Tribunaux

    Le constituant camerounais s'est illustré par l'extension du droit de saisine aux Président des Exécutifs régionaux, mais il l'aurait été encore plus en intégrant les tribunaux dans ce cercle fermé. En l'absence d'un contrôle concret de la loi et face à la multiplicité des

    13 C'est une sorte d'entente implicite entre Président de la République, Premier Ministre, groupes parlementaires et Conseil constitutionnel qui consiste à "ne jamais précipiter une promulgation afin de laisser aux requérants le temps de récolter les signatures nécessaires". Mais comme le précise le Pr. Rousseau, cela ne peut "couvrir le droit que le Président détient de la Constitution de promulguer la loi votée au moment où il veut dans le délai de quinze jours."

    14 Voir à ce propos CC 05- 187 DC 25/01/1985, Etat d'urgence en Nouvelle - Calédonie, in L. Favoreu et L. Philip, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Sirey, 9'°" éd. 1997. Le Conseil constitutionnel a ainsi déclaré inconstitutionnelle des dispositions d'une loi déjà promulguée dans un arrêt CC 99-140 DC 16/03/1999.

    cas d'inconstitutionnalité soulevés tant devant le juge judiciaire que devant le juge administratif, il aurait été souhaitable comme le préconise déjà M. Donfack Sokeng, que soit mis en place "un mécanisme de renvoi auprès du Conseil constitutionnel". Cela aurait assurément permis de s'assurer que "la loi au moment où elle s'applique est ou n'est pas conforme à la Constitution". En demeurant dans la logique d'un contrôle concret susceptible de donner lieu à plusieurs interprétations de la loi, la qualification de l'exception d'inconstitutionnalité en question préjudicielle venant compléter les imperfections d'un contrôle abstrait et a priori donnerait certainement à la règle constitutionnelle une plus grande garantie. Surtout que l'office du juge constitutionnel fait aussi l'objet de beaucoup de manquements dans son organisation.

    PARAGRAPHE 2: L'OFFICE DU JUGE CONSTITUTIONNEL

    L'activité du juge constitutionnel régulièrement saisi d'un litige sur la loi est organisée par la loi du 21 avril 2004. L'analyse des dispositions relatives à l'office du juge amène à la conclusion selon laquelle il faut quelques modifications et quelques précisions sans lesquelles l'instance serait entravée, aboutissant ainsi à une protection lacunaire de la Constitution. Celles-ci intéressent autant les normes de référence du contrôle (I) que la procédure (II).

    I- LES NORMES DE REFERENCE DU CONTROLE

    Ni la Constitution ni la loi portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel ne s'intéressent aux normes qui feront l'objet de référence dans le contrôle des lois. C'est par une simple interprétation de l'article 47 de la Constitution et, en recourant à la doctrine, qu'on peut esquisser une énumération des dits textes. De là il résulte que si le "bloc de constitutionnalité" occupe une place prépondérante (A), il reste un doute quant à un contrôle par référence aux traités et accords internationaux (B).

    A) La prépondérance du "bloc de constitutionnalité"

    Le terme n'est plus très utilisé aujourd'hui, car la doctrine semble être revenue depuis le début des années 1980 à celui de Constitution. Au demeurant, la constitutionnalité de la loi devrait être appréciée au regard tant de la constitution de 1996 (1) que des principes de valeur constitutionnelle (2).

    1- La constitutionnalité de la loi appréciée par rapport à la Constitution de 1996

    La Constitution du 18 janvier 1996 devrait être le premier texte auquel se référera le juge constitutionnel. Cette hypothèse se dégage logiquement de l'essence même du contrôle de constitutionnalité qui est de veiller au respect de la Constitution par la loi. Le juge devra donc rechercher la régularité de la loi par confrontation de ses dispositions aux principes énoncés par la Constitution. C'est d'ailleurs la référence aux articles 46, 47 et 48 alinéa 1, 50 et 67 alinéa 4 de la loi fondamentale de 1996 qui est posée comme préalable par le juge constitutionnel saisi du règlement intérieur de l'Assemblée nationale, dans sa décision du 28 novembre 2002. Le terme "Constitution" est ici englobant, car il intègre le préambule qui, aux termes de la loi fondamentale de 1996 "fait partie intégrante de la Constitution". Déjà les normes de référence du contrôle révèlent leur caractère pluriel. Sous ce fondement, le juge constitutionnel pourrait véritablement retrouver une compétence qui lui était dévolue dans l'avant-projet de constitution de 1994: "juge de la violation des droits et libertés". Dans ce rôle, le juge constitutionnel contribuerait incontestablement et pour une part importante à l'émergence de l'Etat de droit qui semble être l'objectif du constituant.

    2- Les principes de valeur constitutionnelle de référence du contrôle

    Ils sont contenus dans les textes internationaux auxquels renvoie expressément le préambule de la Constitution. Le constituant camerounais, en intégrant le préambule dans la Constitution, confère par cela même valeur constitutionnelle aux principes qu'il contient et aux textes auquel il renvoie. Il s'agit de "la déclaration universelle des droits de l'homme, la charte des Nations Unies, la charte africaine des droits de l'homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées"(15). On peut postuler à bon droit que cette intégration renforce davantage l'idée de la constitution comme en France et par l'activité du juge constitutionnel d'un espace exclusif des gouvernés. Cette multiplicité laisse cependant en pan la question de l'intégration des traités internationaux.

    B) La problématique de l'intégration des Traités internationaux

    Le problème qui se pose ici est de savoir si la constitutionnalité de la loi peut être appréciée par rapport à une convention internationale. Deux éléments nous autorisent à répondre à cette question par l'affirmative: la supériorité de la convention sur la loi (1) et l'obligation de l'Etat sur le principe de la réciprocité (2).

    5 Voir le Préambule de la Constitution du 18 janvier 1996

    1- Un contrôle fondé sur la supériorité de la norme internationale

    Aux termes de la Constitution du 18 janvier 1996, "les traités ou accords internationaux régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois"(16). En admettant que la supériorité entraîne nécessairement la conformité, la loi devra donc démontrer sa conformité à la norme internationale. Empruntant la voie tracée par la Cour de cassation qui écarte l'application d'une loi postérieure contraire à un traité(17), le Conseil constitutionnel français a admis le traité comme norme de référence du contrôle de constitutionnalité des lois en affirmant que "l'Etat est en droit de définir les conditions d'admission des étrangers sur son territoire sous réserve du respect des engagements internationaux et des principes de valeur constitutionnelle (18). De plus il serait illogique que le traité, qui est capable de modifier la Constitution le cas échéant, puisse être contredit par une simple loi parlementaire. Le respect étant déjà posé par un principe dont la valeur constitutionnelle est implicitement admise.

    2- Le contrôle sur le principe réciprocité

    En contredisant une norme internationale dûment ratifiée ou approuvée par une disposition législative, l'Etat engage sa responsabilité sur le plan international. L'édiction d'une loi contraire à la convention ne rend cependant pas la norme illégale(19). Mais parce que l'Etat s'est engagé à remplir son obligation, non seulement en organisant la subordination de la Constitution à l'ordre juridique international mais aussi en lui conférant une valeur supérieure à la loi, toute norme dérogatoire devrait pouvoir être sanctionnée par le juge constitutionnel sur le fondement du principe la réciprocité. Le juge constitutionnel camerounais gagnerait certainement en s'inspirant des solutions de son homologue français. Celles-ci ont le mérite de ne pas contredire les dispositions de la Constitution camerounaise. On devrait avoir un contrôle profond qui ne sera cependant pas aisé au regard de la procédure.

    II- LA PROCEDURE DUCONTROLE DE CONSTITUTIONNALITÉ

    La procédure de contrôle de constitutionnalité telle que prévue par la loi du 21 avril 2004 frappe par son exhaustivité. Au point où on s'inquiéterait de son efficacité, si elle n'avait

    16 Article 45

    17 Le Conseil d'Etat n'a pas rapidement adhéré comme la Cour de Cassation à l'idée que la suprématie du traité sur la loi impliquait la conformité de la loi et le cas échéant la sanction de celle-ci. Dans un arrêt du 24/05/1975 Société des cafés Jacques Vabres, la Cour de cassation écartait l'application d'une loi postérieure contraire à un traité. Le Conseil d'Etat suivra dans un arrêt du 20/10/1989, Nicolo.

    18 CC 92-307 DC, 25/02/1992. Lire les commentaires de D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit. pp 116 et SS.

    19 Voir N. Quoc Dinh et alii. Droit international public, LGDJ, Paris, 6e""' éd. 1999, p 59.

    fait ses preuves sous d'autres cieux. C'est une procédure simple, révélatrice d'un Conseil- juridiction (A) qui gagnerait à être améliorée (B).

    A) Une procédure révélatrice d'un Conseil Constitutionnel - juridiction

    En analysant la procédure de contrôle de la constitutionnalité des lois, la nature juridictionnelle du Conseil constitutionnel apparaît indubitablement. De l'ouverture de l'instance au prononcé de la décision, on perçoit un souci de juridiciser le débat politique sur la loi (1) et une mise en avant du principe du contradictoire qui caractérise un procès (2).

    1- La juridicisation du débat politique sur la loi

    Le Conseil n'est pas saisi d'un débat politique, mais d'un différend sur la constitutionnalité d'une loi. Sous ce rapport, la loi du 21 avril 2004 précise que cette saisine se fait "par simple requête datée et signée du requérant"(20). Cette requête doit obligatoirement "être motivée et comporter un exposé des moyens de fait et de droit qui la fondent"(21). Autant dire que le juge constitutionnel n'entend pas être pris dans des discussions portant sur des idéologies; plutôt il devra être l'arbitre impartial qui apprécie souverainement la valeur des arguments juridiques développés pour et contre la constitutionnalité de la loi. D'ailleurs précise la loi du 21 avril, "les décisions et avis du Conseil constitutionnel comportent (...) les moyens de fait et de droit dont il est saisi, les motifs sur lesquels ils se fondent et un dispositif'(22). Il est évident qu'il s'agit d'un procès opposant deux parties.

    2- Le contrôle: un procès opposant deux parties

    Le contrôle de constitutionnalité des lois est un procès qui oppose deux parties. Le caractère contradictoire de la procédure est expressément posé par la loi portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel. Non seulement ce texte dispose que "la procédure devant le Conseil constitutionnel est (...) contradictoire"(23), mais en plus l'utilisation des termes comme les "parties" et l'obligation pour le Conseil saisi de l'inconstitutionnalité d'une loi d'en donner avis au Président de la République et aux Président des chambres du Parlement pour information de leur membres respectifs (24) confirment la thèse d'un procès. Devant le juge on devrait ainsi retrouver un demandeur et un défenseur qui

    20 Article 19 alinéa 1 in fine

    21 Article 19 alinéa 2

    22 Article 14 alinéa 1

    23 Article 57

    24 Article 19 alinéa 3

    essayent de convaincre le juge au moyen d'argument de droit de la justesse de leur cause. Il reviendra au juge de s'élever au-dessus de cette querelle pour remplir effectivement son rôle de gardien de la Constitution. Les moyens mis à sa disposition ne facilitent pas vraiment cette tâche.

    B) Une procédure à améliorer

    La procédure constitutionnelle pèche par sa brièveté (1) et le secret des débats (2).

    1- Un délai trop bref pour l'instance

    Aux termes de la loi du 21 avril 2004, "le Conseil constitutionnel doit se prononcer dans un délai de quinze jours"(25). Ce délai est très court en France où il est prévu que le juge rend sa décision un mois après saisine (26). On peut comprendre le souci du constituant de ne pas vouloir retarder indéfiniment une loi qui pourrait se révéler ne contenir aucun élément d'inconstitutionnalité, mais ce délai ne laisse pas vraiment à l'instruction de se faire avec beaucoup de sérieux. De plus, ce délai peut être ramené à huit jours si le Président de la République en fait la demande (27). Il ne paraît pas possible, sous réserve de la pratique, que l'instruction prévue aux articles 60 et 61 de la loi du 21 avril 2004 soit correctement conduite en un temps si bref. Une prorogation est d'autant plus nécessaire que les travaux du Conseil portent sur le rapport du Rapporteur chargé de l'instruction (28). Il ne faudrait pas que ce rapport souffre dans son objectivité d'un manque de temps et soit à l'origine d'une mauvaise décision. Certainement un examen parallèle du dossier par chaque juge comme cela se fait en France contribuerait à atténuer les effets de cette brièveté du délai imparti au Conseil.

    2- Un débat sur la loi marqué par le secret

    Dénonçant le caractère secret des débats devant le Conseil constitutionnel français, Dominique Rousseau affirme que l'autorité des juges constitutionnels et de leurs décisions, leur indépendance, leur respectabilité "ne sont pas remises en cause ou amoindries par la connaissance publique de leur débats, des votes et des opinions dissidentes"(29). La procédure constitutionnelle au Cameroun se caractérise par un secret total que ne vient écorcher que la publicité de la décision qui est rendue en séance publique et publiée au Journal Qffîciel(30).

    25 Article 19 alinéa 4

    26 Voir à ce propos l'article 61 alinéa 3 de la Constitution du 4 octobre 1958

    27 Article 19 alinéa 4 in fine

    28 Article 61 et 63

    29 D. Rousseau Droit du contentieux constitutionnel, op cit. p 36.

    30 Article 15 alinéas 1 et 2 et article 64.

    La question est donc de savoir si ce secret, qui est décrié ailleurs, justifie d'une pertinence au Cameroun. On peut y voir dans son principe le souci d'offrir au juge plus d'assurance. Le secret participerait ainsi de la volonté de faciliter les premiers pas d'une justice dont tout le monde n'est pas partisan, et dont certains relèvent le caractère non démocratique (31), renforcé par une désignation discrétionnaire de ses membres. Rien n'empêche qu'il y ait par la suite une évolution par une pratique des juges. Cela ne pourrait que contribuer à l'affermissement de la règle supérieure.

    SECTION 2: L'AFFERMISSEMENT DE LA SUPREMATIE CONSTITUTIONNELLE

    Elle résulte d'un contrôle de constitutionnalité effectif, dont la décision du 28 novembre 2002 semble être la pierre principale. Le contrôle de la suprématie constitutionnelle a été pensé au Cameroun depuis 1961, mais pratiquement la loi demeurait supérieure ou tout au moins égale à la Constitution. La Constitution de 1996 a posé en termes clairs le principe de la primauté des règles issues de la législation constitutionnelle. La loi du 21 avril et la jurisprudence constitutionnelle autorisent à postuler désormais la normativisation de la règle constitutionnelle (paragraphe 1) et mieux encore la construction d'un droit constitutionnel camerounais rénové (paragraphe 2).

    PARAGRAPHE 1: LA NORMATIVISATION DE LA REGLE CONSTITUTIONNELLE

    Le constituant camerounais a choisi de ne plus laisser aux pouvoirs constitués l'alternative de respecter la Constitution ou non. Ceci par l'institutionnalisation de la justice constitutionnelle, qui» seule "transforme donc en normes véritablement juridiques ce qui seulement se voulait tel"(32). Par la médiation du juge constitutionnel (I) et l'autorité qui est attachée à ses décisions (II) , la norme constitutionnelle "devient ainsi et ainsi seulement la règle de droit suprême"(33).

    I- LA MEDIATION DU JUGE CONSTITUTIONNEL DANS LA NORMATIVISATION DE LA CONSTITUTION

    La dynamique constitutionnelle camerounaise mise en relation avec l'autorité de la norme fondamentale est illustratrice de ce que la Constitution ne possède pas une signification

    31 Voir à ce propos G. Burdeau et alii. Droit constitutionnel, LGDJ, Paris, 26'°° éd. 1999, pp 61 et SS.

    32 Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la haute cour constitutionnelle d'Autriche, Economica, PUAM, Marseille, 1972, p 22

    33 Ch. Eisenmann, ibid.

    s'imposant aux acteurs constitutionnels (34). Aussi la justice constitutionnel est considérée comme le "messie" de la Constitution, car "la parole du souverain ne s'affirme comme parole normative que par l'agir juridictionnel"(35). La "résurrection" de la loi fondamentale camerounaise repose sur le positionnement du juge constitutionnel comme gardien de sa suprématie qui dans son office met en avant le motif tiré de la violation de la Constitution (A) et sanctionne la norme inférieure inconstitutionnelle (B).

    A) La mise en avant du motif tiré de la violation de la Constitution: le cas du règlement

    intérieur de l'Assemblée nationale

    Le contrôle de constitutionnalité consiste selon Charles Eisenmann, "uniquement à vérifier qu'une règle quelconque ne déroge pas irrégulièrement à la Constitution" (3 6). La loi du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel conforte cette thèse qui dispose que "le Conseil constitutionnel est l'instance compétente en matière de contrôle de constitutionnalité". D'où la mise en avant du motif tiré de la violation de la Constitution dans le contrôle de la régularité matérielle (1) et de la régularité formelle de l'acte (2).

    1- Le contrôle de la régularité matérielle de la loi

    La loi n'est plus un acte général. La Constitution énumère les matières qui ressortissent de la compétence du législateur (37). Aussi, en disposant hors de ce champ matériel défini par le constituant, la loi viole la Constitution. La loi ne doit empiéter ni dans le domaine du règlement ni dans celui du constituant. Ce contrôle, qualifié de "contrôle de la constitutionnalité interne", consiste selon D. Rousseau à "vérifier d'abord si le Parlement n'a pas porté atteinte aux droits et libertés par suite d'une erreur commise sur la signification des principes constitutionnels, sur ce qu'ils permettaient de décider"(38) Mais il s'agirait aussi pour le juge constitutionnel de s'assurer que "le législateur n'a pas commis une erreur d'appréciation des faits et des circonstances sur lesquels il a fondé sa loi"(39). Le contrôle matériel de la loi déborde donc le simple cadre de la conformité pour s'intéresser à l'opportunité même de la loi. Mais il ne s'agit là que d'un développement du contrôle corrélative à une emprise progressive de la justice constitutionnelle. On s'attend tout au moins

    34 L'affirmation selon laquelle "la Constitution est un corps de règles obligatoires ou n'est rien" ne se charge de sens qu'avec la justice constitutionnelle, qui par la sanction donne consistance et forme à cette obligation. Lire aussi D. Rousseau, "Une résurrection: la notion de Constitution", in RDP, 1990.

    35 D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op cit. p 486.

    36 Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la haute cour constitutionnelle d'Autriche, op cit. p 20.

    37 Voir l'article 26

    38 D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op cit. p 140.

    39 D. Rousseau, ibid.

    à ce que le juge constitutionnel camerounais s'assure que l'acte pris par le Parlement relève bien du domaine de la loi. Toutefois cet acte doit également être pris dans les formes requises.

    2- Le contrôle de la régularité formelle de la loi

    Ce contrôle s'intéresse à l'élaboration de la loi pour s'assurer qu'elle l'a été selon les règles constitutionnelles. En France, ce contrôle s'articule autour du vice de procédure et de l'incompétence. L'incompétence signifie que "la loi entre bien dans la compétence du Parlement, mais non dans celui qui l'a prise". Il en est ainsi à cause de la procédure particulière qui caractérise l'adoption des lois dites "organiques". La Constitution française, contrairement à la loi fondamentale camerounaise, distingue la procédure d'adoption des lois ordinaires de celle des lois organiques (40). Aussi, en élaborant une loi organique par la procédure législative, le législateur ordinaire empiète-t-il dans le domaine du législateur organique. Le droit constitutionnel camerounais ne fait pas cette distinction de procédure, ou tout au moins cette distinction a été abandonnée, qui figurait dans la Constitution du 04 mars 1960. Le contrôle du Conseil ne portera alors que sur le respect par le législateur des règles constitutionnelles qui président à l'élaboration des lois. Le contrôle aboutit nécessairement à une décision.

    B) La sanction du contrôle de la norme inférieure

    Le contrôle du juge aboutit à une décision. Aux termes de l'article 23 de la loi du 21 avril 2004 "la décision du Conseil constitutionnel déclarant qu'une disposition de la loi n'est pas contraire à la Constitution met fin à la suspension du délai de promulgation". Mais la décision du juge constitutionnel peut aussi être négative, comme cela a été le cas du règlement intérieur de l'Assemblée nationale (1) En matière législative, l'inconstitutionnalité de la loi s'analysera surtout en une sanction du législateur ordinaire (2).

    1- La sanction du règlement intérieur de l'Assemblée nationale: la décision du 28/11/2002

    Vidant sa saisine le 28 novembre 2002, la Cour suprême dans l'exercice de ses prérogatives de juge constitutionnel (41), allait poser les bases d'une jurisprudence volontariste en matière de garantie de la suprématie constitutionnelle. Le juge constitutionnel estime en effet que "la procédure de validation" organisée par le règlement intérieur de la

    40 Lire à ce sujet l'article 46 de la Constitution du 4 octobre 1958.

    41 Ces prérogatives lui sont reconnues sur le fondement de l'article 67 alinéa 4 de la Constitution. Il faut ainsi relever, à la suite de A.D Olinga, que "la Cour suprême agit en tant que juge constitutionnel sans l'être tout à fait, ni du point de vue organique, ni du point de vue procédural."

    chambre et "en vigueur avant l'institution du Conseil constitutionnel (...) ne trouve plus sa raison d'être".(42)

    Cette procédure est, au terme de l'argumentaire du juge constitutionnel, considérée comme un"contrôle a posteriori de la décision du Conseil constitutionnel déclarant élu des candidats à l'élection législative". Or les décisions de cette institution sont revêtues de l'autorité absolue de chose jugée et s'imposent erga omnes. Aussi cela ne peut être interprété que comme une violation de la Constitution, c'est d'ailleurs à cette conclusion que parvient le juge qui décide que "les dispositions des articles 3 alinéa 2, 3, 4, 5, 6 et 7, 4 nouveau, 5 nouveau, 6 nouveau, 7 nouveau et 10 in fine sont déclarés contraires à la Constitution". Le juge constitutionnel, juge de la Cour suprême a fait montre ici d'une rigueur appréciable dans l'interprétation de la lettre de la Constitution. Comme le soutient Claude Momo, "la Cour a rejoint la doctrine qui considérait que la validation des mandats était en contradiction flagrante avec le rôle nouveau de juge électoral dévolu au Conseil constitutionnel."(43) Bien plus, cette décision rassure quant à la primauté de la norme constitutionnelle sur les règles d'organisation interne des assemblées, alors que cette suprématie sur la loi reste encore au stade normatif.

    2- L'inconstitutionnalité de la loi et la sanction du législateur ordinaire

    La sanction de la loi c'est la sanction de son auteur. En l'occurrence le Parlement. L'inconstitutionnalité apparaît ainsi en dernière analyse comme une "incompétence du législateur". Parce que la Constitution procède à une distribution de la compétence législative entre législateur et constituant, le législateur ne saurait, sans commettre un "excès de pouvoir" ou un "détournement de pouvoir" disposer dans un domaine qui est réservé au constituant. Le Pr. Eisenmann dit fort à propos qu'"il n'existe pas de règle de droit qui puisse à aucun moment faire définitivement obstacle à l'insertion valable dans le système du droit d'une disposition quelconque, à sa transformation régulière en norme juridique"(44). Pour l'éminent Professeur, l'interrogation ne peut porter que sur l'autorité compétente pour édicter la règle. Ceci justifie que la disposition déclarée inconstitutionnelle puisse être validée par une seconde lecture du Parlement (45). Cette disposition conforte la thèse selon laquelle la règle peut être posée, mais pas par le législateur. Il s'ensuit normalement l'exigence d'une majorité absolue (46) pour l'adoption. Dans ce cas il est intéressant de s'interroger sur la valeur de la décision du juge constitutionnel.

    42 Décision n° 001/CC/02-03 du 28/11/2002

    43 C. Momo, "Heurs et malheurs de la justice constitutionnelle au Cameroun", article inédit

    44 Ch. Eisenmann, op cit. pp 18 -19.

    45 Article 26 in fine de la loi du 21 avril 2004

    46 Article 19 alinéa 3 et article 24 alinéa 3 de la Constitution

    II- L'AUTORITE DES DECISIONS DU JUGE CONSTITUTIONNEL

    Selon l'article 50 alinéa 1 de la Constitution, "les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives, militaires et juridictionnelles, ainsi qu'à toute personne physique ou morale". A cette autorité absolue (A), la loi du 21 avril 2004 apporte quelques bémols (B).

    A) Une autorité absolue dans son principe

    Le Conseil constitutionnel rend des décisions souveraines (1) ayant valeur constitutionnelle (2).

    1- Une décision souveraine

    Le Conseil statue souverainement, c'est-à-dire avec une autorité telle qu'il ne peut en être de plus élevée. U rend par conséquent des décisions revêtues de la même autorité. La Constitution et la loi portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel s'accordent pour dire que "une fois la sentence rendue, elle est tenue pour définitivement acquise". La souveraineté des décisions du Conseil signifie également qu'elles s'imposent à tous, car "une décision déclarée inconstitutionnelle ne peut être ni promulguée ni mise en application". Le caractère normatif ne lui est pas reconnu sur le fondement que "un acte législatif contraire à la Constitution n'est pas une loi". Dans le même sens "le règlement intérieur n'entre en vigueur qu'après avoir été reconnu dans sa totalité conforme à la Constitution" (47). En fin de compte, la compétence reconnue au Conseil peut se transformer en un pouvoir.

    2- Une décision ayant valeur constitutionnelle

    La doctrine intègre dans le "bloc de constitutionnalité" les décisions du juge constitutionnel (48). Elles ont valeur constitutionnelle en ce qu'elles s'imposent au respect de tous. Le juge constitutionnel parle avec l'autorité de la Constitution; il est constituant. Mais il ne s'agit que d'un pouvoir constituant dérivé qui s'explique par le pouvoir d'interprétation qui lui est reconnu et par lequel il "tue le texte constitutionnel, le dévore ensuite pour mieux se l'approprier, prendre sa place et le faire revivre par sa voix, son action jurisprudentiel"(49).Cependant si les décisions du juge constitutionnel s'imposent à tous, il demeure une limite certaine: le pouvoir constituant.

    47 Article 27 alinéa 5 de la loi portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel

    48 Voir R.G Niep, Cours de droit administratif général, Université de Douala, année 2000-2001

    49 D. Rousseau, "Une résurrection: la notion de Constitution", op cit.

    B) Une autorité cependant limitée

    Le juge constitutionnel n'est pas le Souverain. S'il est admissible qu'il n'existe aucune norme au-dessus de la Constitution, le Souverain est au-dessus de la Constitution (50). Par conséquent une inconstitutionnalité peut être contournée en recourant à lui (1) ou en procédant à une seconde délibération (2). Ainsi est annihilée toute possibilité d'un éventuel « gouvernement des juges" en droit constitutionnel camerounais.

    1- L'inconstitutionnalité contournée par le recours au Constituant

    Cette hypothèse n'est pas expressément prévue par les textes. Mais en reprenant la thèse de Charles Eisenmann selon laquelle toute règle peut être posée mais par l'autorité compétente, la décision d'inconstitutionnalité n'empêche pas le constituant qui "peut tout faire » parce que souverain, de prendre le contre-pied de la décision du juge. Cela s'est déjà vu en France à propos de la loi sur le droit d'asile (51). Aucun obstacle ne peut se dresser en face du souverain puisque "un peuple a le droit imprescriptible de changer ses lois, même les meilleures"(52). Il ne serait pas étonnant qu'une loi déclarée inconstitutionnelle puisse devenir constitutionnelle par la modification de la Constitution. En définitive, il semble bien qu'il n'ait d'inconstitutionnalité que de l'incompétence du législateur ordinaire, puisque la loi du 21avril prévoit aussi un moyen de contourner la décision du juge.

    2- L'inconstitutionnalité contournée par la seconde délibération

    Elle est prévue dans le cas où une seule disposition de la loi serait déclarée inconstitutionnelle; ladite disposition étant séparable de l'ensemble de la loi. Mais il faut encore que le Président de la République, à qui l'option revient en tant que gardien du respecte de la Constitution, le demande. Dans ce cas la disposition est adoptée suivant une procédure qui n'est pas celle de la loi ordinaire. La question qui se pose alors est celle de savoir si le Parlement se réunit en Congrès ou alors s'il suffit que la disposition soit adoptée à la majorité absolue par les membres de chacune des deux chambres. Au regard de la procédure législative de la Constitution du 18 janvier 1996 on peut dire que la loi étant votée par les deux chambres et la demande de seconde lecture étant prévue tant pour le Sénat que pour l'Assemblée nationale, le Parlement doit se prononcer sur la disposition déclarée inconstitutionnelle

    .50 Les deux révisions constitutionnelles intervenues au Togo après la mon du Président Eyadema démontrent que le souverain n'est pas lié par les règles qu'il a posées. En cela on rejoint la position du théoricien allemand C. Schmitt qui estime que le véritable constituant est celui qui peut à tout moment décider de "l'exception". Il s'agit ni plus ni moins que de la soumission de la loi fondamentale au pouvoir et à ceux qui le détiennent. Lire aussi J. Du Bois de Gaudusson, "Trente ans d'institutions constitutionnelles et politiques. Points de repère et interrogation", in Afrique contemporaine. n° spécial, 4'"" trimestre, 1992, pp 56 et SS.

    51 Voir D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op cit. p 163.

    52 JJ. Rousseau, cité par JP Camby, "Supra constitutionnalité: la fin d'un mythe", in RDP, n°l, 2003, p 671

    L'inconstitutionnalité est neutralisée par le vote à la majorité absolue; ce qui marque la primauté des représentants du peuple sur les juges. Pourtant il est certain que la justice constitutionnelle augure d'un nouveau droit camerounais.

    PARAGRAPHE 2: LA CONSTRUCTION D'UN DROIT CONSTITUTIONNEL CAMEROUNAIS RENOVE

    Ce renouvellement est dû principalement à l'institutionnalisation de la justice constitutionnelle. Celle-ci restaure la Constitution dans son statut de "mètre" de la régularité juridique (I). On ne s'étonnerait pas alors de voir émerger un droit constitutionnel jurisprudentiel (II), faisant de la loi fondamentale "un espace vivant et ouvert".

    I- LA CONSTITUTION "METRE" DE LA REGULARITE JURIDIQUE

    La justice constitutionnelle est assurément au principe d'une nouvelle idée de la Constitution au Cameroun. Elle n'est plus "un programme politique, à la rigueur obligatoire moralement, un recueil de bons conseils à l'usage du législateur, dont il est juridiquement libre de tenir ou de ne pas tenir compte"(53). Mais parce que la justice constitutionnelle fait de la constitution le "principe de validité toute juridique"(54), il s'ensuit une redéfinition de la notion de norme (A) et donc la subordination à la Constitution de toutes les règles infra- légales (B).

    A) La redéfinition de la notion de norme

    L'entrée d'une norme dans l'ordre juridique n'était subordonnée qu'à sa régularité formelle. Avec la justice constitutionnelle, la règle doit désormais sa nature de norme juridique à la satisfaction des exigences de validité (1) et de conformité (2).

    1- Le critère de validité

    La norme doit être valide. Le critère de validité renvoie ici aux conditions formelles de production de la règle. La Constitution détermine les voies à emprunter pour l'élaboration des règles. C'est pourquoi Charles Eisenmann définira aussi la Constitution comme l'ensemble des règles "sur la création des nonnes juridiques générales"(55). La norme ne sera considérée

    53 Ch. Eisenmann, op cit p 22

    54 Ibid.

    55 Idem. P 3

    comme valide qu'autant qu'elle est élaborée dans le respect de la procédure constitutionnelle. A cette condition formelle s'ajoute désormais par la justice constitutionnelle un autre critère: celui de la conformité (56).

    2- Le critère de conformité

    Rendue désormais obligatoire par l'institution du Conseil constitutionnel, la Constitution est "le dernier terme auquel on puisse rapporter et comparer une règle de droit"(57) pour en apprécier la conformité. Le critère de conformité signifie que la norme ne doit pas contredire un principe de valeur constitutionnel. La loi doit être conforme à la Constitution sous peine d'inconstitutionnalité et donc du refus de lui reconnaître la qualité de règle juridique. A la fin soutien Louis Favoreu, "il ne peut y avoir norme que s'il y a déjà une autre norme qui lui attribue cette qualité"(58). Cette norme est désormais la loi fondamentale du l8 janvier l996.

    B) La subordination à la Constitution des règles infra légales

    La conformité de la loi implique la conformité des autres règles; la loi devient ainsi un "aiguilleur" de la création des règles infra légales (1) et un facteur d'ordre dans le système juridique (2).

    1- La loi "aiguilleur" de la législation infra légale

    La loi est dans l'architecture normative la règle qui met en forme les principes énoncés dans la Constitution. Par sa conformité, elle conditionne nécessairement l'édiction des autres règles qui lui sont directement ou indirectement inférieures. Il s'agit surtout des règlements administratifs, dont la conformité à la loi est un principe établi en droit camerounais et sanctionné par la juridiction administrative. La conformité de la loi faciliterait aussi le contrôle de constitutionnalité des règlements rendu spécieux par la fameuse théorie de l'écran législatif (59). Véritablement, c'est tout le système juridique qui se trouvera ordonné.

    2- Un système juridique ordonné

    II ne s'agira pas simplement d'un voeu pieux, mais le système juridique camerounais retrouve son attribut "d'ordre juridique" par la restauration de la Constitution dans sa place au

    56 Voir L. Favoreu, Droit constitutionnel, Dalloz, Paris, 2ème éd. 1999

    57 Ch. Eisenmann, op cit. p 13

    58 L. Favoreu, Droit constitutionnel, op. cit.

    59 Lire notamment les développements de R.G. Nlep, "Le juge administratif et les nonnes internes, constitutionnelles ou infra constitutionnelle en matière de droits fondamentaux", in Solon, Revue africaine de parlementarisme et de la démocratie, vol 1 n°l, 1999,ppl35etSS.

    sommet de la pyramide garantie par la justice constitutionnelle qui fait en sorte que toute norme juridique soit d'abord et avant tout application d'une norme supérieure. Sous ce rapport, le système juridique ne peut être qu'ordonné. Cet ordonnancement ne pouvant être complet qu'avec la hardiesse du juge à priver d'effet juridique les normes qui sont devenues caduques et dont le contrôle ne peut être effectué par le juge constitutionnel. Car la loi promulguée est parfaite et ne peut plus faire l'objet d'un contrôle. Tout de même, la justice constitutionnelle ne se révélera efficace qu'avec l'émergence d'un droit constitutionnel jurisprudentiel.

    II- L'HYPOTHESE D'UN DROIT CONSTITUTIONNEL JURISPRUDENTIEL

    La jurisprudence constitutionnelle de la Cour suprême siégeant comme Conseil constitutionnel augure d'une nouvelle ère pour la Constitution camerounaise. Les circonstances qui ont présidé à son élaboration devraient logiquement entraîner le juge constitutionnel sur le terrain de la primauté des droits fondamentaux et de l'idéal démocratique (A) dont les garanties ne manquent pas de pertinence (B) dans l'édification d'un Etat de droit aux bases solides.

    A) La primauté des droits fondamentaux et de l'idéal démocratique

    La mobilisation de la communauté internationale autour du respect des droits de l'homme semble démontrer que, ainsi que dispose l'article 2 de la DDHC "le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme". Cette idée aiguille en tout cas la Constitution camerounaise qui s'illustre par une attention particulière aux droits fondamentaux (1) et l'option en faveur de la démocratie (2).

    1- La primauté des droits fondamentaux

    Ces droits sont proclamés dans le préambule qui, "fait partie intégrante de la Constitution". L'influence de l'idéologie de l'Etat de droit transparaît aisément dans le changement quantitatif du dit préambule. Il passe d'une vingtaine d'alinéas à près d'une trentaine. On remarque aussi une augmentation des textes internationaux de référence. Alors que la Constitution de 1972 ne mentionnait que la Charte des Nations Unies et la DUDH, le constituant de 1996 ajoute la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et les conventions y relatives. Le peuple camerounais affirme ainsi son "attachement aux droits fondamentaux" dont l'Etat garantit la jouissance "à tous les citoyens de l'un et l'autre sexe".

    Les droits fondamentaux irriguent le dispositif institutionnel camerounais. Ils commandent une organisation du pouvoir dans le respect de la pensée de Montesquieu. Quel danger y aurait-il encore pour la liberté alors que l'option pour la démocratie est clairement exprimée?

    2- L'option en faveur de la démocratie

    II s'agit de la démocratie représentative, celle dans laquelle le peuple gouverne par l'intermédiaire de représentants élus. Il s'agit aussi de la démocratie nouvelle qualifiée de "démocratie constitutionnelle". C'est celle dans laquelle les droits des gouvernés sont constitués séparément de ceux des gouvernants. La justice constitutionnelle est à la cheville de cette nouvelle construction, qui rejette la confusion gouvernants- gouvernés et soumet les premiers aux seconds par la technique du contrôle de constitutionnalité. Le Cameroun se présente comme une République "démocratique", qui "reconnaît et protège les valeurs traditionnelles conformes aux principes démocratiques". Faut-il encore préciser que le pouvoir est organisé suivant le principe de la distinction entre celui qui fait la loi, celui qui l'exécute et celui qui en sanctionne les violations? Qualifié de "principe émergeant du droit international" (60), l'Etat de droit trouve assurément un terrain fertile au Cameroun. Les droits fondamentaux et la démocratie ne sont pas seulement proclamés, ils sont affectés de garanties.

    B) La pertinence des garanties offertes par le constituant

    L'Etat de droit n'est pas une nouveauté en Afrique. Ainsi que le précise Donfack Sokeng, "la référence à l'Etat de droit figurait déjà (...) dans les constitutions des premières années d'indépendance"(61). Mais il a fallu attendre le vent d'Est pour voir le Cameroun se détaché de l'idéologie de la construction nationale pour proclamer "son attachement aux valeurs de l'Etat de droit, c'est-à-dire à un ordre juridique dans lequel les autorités sont soumises effectivement à la règle de droit"(62). Soumission garantie par la primauté de la Constitution (1) et le contrôle juridictionnel des organes de l'Etat (2).

    1- La primauté de la Constitution

    La Constitution camerounaise couronne le système juridique et politique du pays ; ceci par l'intégration des règles procédurales qui ne siéent qu'aux constitutions rigides,

    60 J-Y. Morin, cité par L. Donfack Sokeng, "L'Etat de droit en Afrique", in Afrique juridique et politique. La Revue du CERDIP, vol 1 n° 2,juil-déc2002,p87.

    61 L. Donfack Sokeng, "L'Etat de droit en Afrique", op cit. p 91.

    62 K. Ahadzi, "Les nouvelles tendances du constitutionnalisme africain: le cas des Etats d'Afrique noire francophone", in Afrique juridique et politique. La Revue du CERDIP, vol 1 n°2,juil-dée 2002, p 39

    c'est-à-dire celles qui affirment leur suprématie sur la loi et sur toute autre norme dans l'ordre interne. La primauté de la Constitution "représente incontestablement un des piliers fondamentaux de l'Etat de droit". Elle est la règle qui définit la production des règles et impose aux pouvoirs publics d'emprunter les voies prévues par elle pour la création de toute norme juridique. Evidemment cette primauté serait illusoire s'il n'y avait un contrôle juridictionnel organisé par le constituant.

    2- Le contrôle juridictionnel des pouvoirs constitués

    II s'agit du contrôle de constitutionnalité, celui des règlements et des lois. En créant une juridiction constitutionnelle indépendante, le constituant camerounais affirme une fois de plus son attachement aux valeurs de la démocratie libérale, tout en lui conférant "une autonomie renforcée à l'égard de tout organe de l'Etat". Contrôle de constitutionnalité des règlements et contrôle de constitutionnalité des lois forment désormais au Cameroun la garantie certaine de la prééminence hiérarchique de la Constitution, pilier principal de l'Etat de droit.

    Le texte du 18 janvier 1996 est au socle d'un nouveau droit constitutionnel camerounais. Celui-ci puise aux sources du constitutionnalisme libéral une inspiration nouvelle pour bâtir un ordre juridique au sommet duquel se place la Constitution. Loin d'être une simple déclaration d'intention, cette option est d'abord la traduction d'un changement réclamé à cor et à cri par un peuple fatigué d'être confondu au lieu d'être représenté. C'est aussi l'expression de la volonté des détenteurs du pouvoir politique dans les années de braise 1990-1992 de contrôler et de conduire ce changement. C'est enfin l'adhésion du Cameroun à une vision prééminente de la Constitution à travers le contrôle de constitutionnalité.

    CONCLUSION GENERALE

    Une réflexion sur l'autorité de la norme constitutionnelle aujourd'hui ne peut se faire en faisant abstraction d'un contexte interne et international en perpétuelle mutation. Assurément une telle étude aboutirait à un résultat autre que celui auquel nous sommes parvenus si elle avait été faite avant 1996. Le 18 janvier 1996, le Cameroun affichait aux yeux du monde un visage différent, fondamentalement revigoré par une cure dans les eaux du constitutionnalisme moderne caractérisé par son libéralisme. Emergeant aux aurores d'une année véritablement nouvelle, la Constitution du 18 janvier 1996 introduisait des données sans lesquelles la présente étude perdrait tout intérêt en tant que contribution à l'étude du droit constitutionnel camerounais rénové.

    L'autorité de la norme constitutionnelle doit aujourd'hui faire face à de nombreux impératifs. Celle d'abord de la relativisation de son socle: le pouvoir constituant. "Pouvoir de droit originaire et suprême", il autorisait la construction non pas d'un principe, mais d'une règle fondamentale du droit constitutionnel: la suprématie des normes issues de ce que le Pr. Charles Eisenmann nomma "la législation constitutionnelle". Après plus de deux cents ans, la Constitution méritait d'être reconsidérée. Changer pour devenir, ou plutôt redevenir ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être: la "garantie des droits". A force de n'être que la technique de séparation des pouvoirs, elle avait fini par se confondre à elle. Mais en renvoyant généralement à la loi organique pour traduire les principes qu'elle pose, la Constitution démontre qu'elle n'est pas le seul texte qui traite du pouvoir. Aussi était-il important pour nous de rechercher dans le juridique le fondement de l'autorité de la règle constitutionnelle, les raisons pour laquelle dans l'ordre juridique interne, elle trouve sa place au sommet de la "pyramide des normes" et cela même si certaines normes en dessous d'elle ne lui sont pas conformes.. Ce fondement, nous l'avons trouvé en le pouvoir constituant qui seul peut élaborer des règles de valeur constitutionnelle, car "la Constitution suppose avant tout un pouvoir constituant." Sous ce postulat on pourrait donner à n'importe quelle norme la valeur suprême, même s'il s'agit des règles sur l'abattage d'animaux; il faudrait pour cela qu'elle soit posée par le souverain constituant.

    Pourtant, l'exclusivité du constituant en matière constitutionnelle permet moins de construire la notion de Constitution que d'expliquer que cette dernière est dans l'ordre interne "le mètre" qui juge de la validité de toutes les autres normes. A moins de préciser que le pouvoir constituant est souverain. La souveraineté du pouvoir constituant est incontestable liée à son détenteur: le peuple. De cette souveraineté il tire une liberté totale et absolue lorsqu'il élabore la règle constitutionnelle. Tel est du moins le principe. A l'époque moderne, la liberté du pouvoir constituant doit nécessairement composer avec les données inhérentes à toute participation à une société. L'abandon progressive de la "folie des grandeurs" s'accompagne de l'immixtion chaque jour un peu plus croissante d'un droit que certains qualifient de supranational et de super étatique, dans la sphère du droit interne. Par exemple, près de 70% des textes en vigueur aujourd'hui dans l'Union Européenne sont votées par le Parlement Européen. De même qu'en Afrique, le droit uniforme OHADA conquiert progressivement un champ d'action de plus en plus vaste; champ qui hier encore était de la compétence du droit interne sous l'autorité de la règle de droit suprême. Mais tout ceci ne présente qu'un intérêt moindre au regard de la mondialisation des droits de l'homme. Rien ne semble aujourd'hui échapper aux tentacules de cette notion qui impose et s'impose comme "l'idéal commun" de l'humanité, et donc rassemblant derrière lui toute la communauté internationale. Devenu l'étalon de valeur, le respect des droits de l'homme permet de mesurer le degré de "civilisation" de chaque membre du concert des nations. Un concert qu'on voudrait harmonieux, débarrassé des aléas culturels, religieux et idéologiques. Sous ce rapport, aucun Etat ne peut justifier sa violation d'une obligation internationale par le recours à son droit interne. Autant dire avec le Commissaire du gouvernement Frydman dans ses conclusions sur l'affaire Nicolo que "l'époque de la suprématie inconditionnelle du droit interne est révolue."(l)

    Cependant, on ne saurait contester qu'il reste souverain, qu'il est de son essence de pouvoir ce qu'il voudra et comme il voudra. Au surplus peut-on affirmer pour tenter une vaine limitation de ce pouvoir, que "le pouvoir de tout faire n'en donne pas le droit." Mais on devrait encore se résoudre à admettre comme le fait déjà la science constitutionnelle et cela bien avant le juge constitutionnel qu'"il est de l'essence de la puissance souveraine de ne pouvoir être limitée; elle peut tout ou elle n'est rien."(2) Sous ce prisme, on ne peut que convenir avec le Pr. Prosper Weil pour qui "le droit public tient du miracle".

    La souveraineté du pouvoir constituant réactualise la question de la subsidiarité de toute organisation du pouvoir que soulevait déjà Stéphane Rials.(3) "Un peuple est toujours maître de changer ses lois, même les meilleures", du moment qu'elles se révèlent inaptes à

    1 Cité par M. Ondoa, "La distinction entre Constitution souple et Constitution rigide en droit constitutionnel français" in Annales de la faculté des sciences juridiques et politiques. Université de Douala, n° 1 année 2002, p 105

    2 J.J Rousseau, cité par I. Abiabag, Cours de Droit constitutionnel. Université de Douala, 1999 - 2000.

    3 Cet auteur rappelle que "la volonté générale, même constitutionnelle, ne peut porter atteinte à la liberté et à l'égalité des droits qui lui sont liées." Pour lui le fondement du droit "réside dans le respect de la personne dans sa vie et sa dignité." De cela conclut-il, on peut postuler "l'organisation du pouvoir et la subsidiarité de cette organisation par rapport à la personne." Mais pratiquement, cette question est moins délicate, car il n'existe pas de juge du Constituant. Aussi peut-il poser des règles qui portent atteinte à cette égalité. Dans ce sens, le constituant camerounais de 1996 proclame à la fois l'égalité de tous les hommes en droits et en devoirs et la protection des "droits des populations autochtones." Il s'agit là de ce que le Pr. Donfack Sokeng a qualifié de "définition plurielle et contradictoire de la citoyenneté républicaine." De plus, il faut reconnaître qu'un droit qui n'est pas posé sous forme de règle par l'autorité compétente ne peut être légitimement réclamé.

    jouer le rôle de régulateur social qui leur est dévolu, avec le degré d'efficacité le plus élevé qu'on puisse espérer. Certes comme l'a prouvé le cas togolais, la recherche de l'efficacité de la règle n'est pas toujours au principe d'une modification de la norme constitutionnelle. Dans ce cas, la souveraineté du pouvoir constituant se révèle dans son aspect le plus négatif, car si elle assure à la Constitution une notoriété incontestable, elle est aussi à l'origine de sa vassalisation au pouvoir.

    La suprématie des règles constitutionnelles ne peut se concevoir à l'époque moderne qu'en ayant à l'esprit cette idée de souveraineté du pouvoir constituant. Une souveraineté de la quête d'un mieux-être. Non seulement celui du peuple de l'Etat, mais aussi celui de la communauté internationale. En effet la frontière n'est plus aujourd'hui la limite du droit interne. Le droit interne de l'Etat "traque" ses ressortissants jusque dans le territoire d'un autre Etat, tandis que le droit international se libère progressivement de ses présupposés classiques pour saisir directement l'individu à l'intérieur de la frontière sans nécessairement recourir à l'Etat. Cela n'est absolument pas une contestation de la supériorité de la Constitution, du moment où elle consacre la ratification comme le "mécanisme autosuffisant" pour l'application d'une norme internationale au Cameroun. La relation Droit interne - Droit international est assez complexe pour être réduite à une simple question de hiérarchie. La ratification d'un engagement international ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution lorsque la norme internationale est contraire à la loi fondamentale; mais une fois ratifiée, elle prend place dans l'ordre interne après la Constitution. Car s'il existe des normes supérieures à la Constitution, celles-ci n'appartiennent cependant pas au système et ne sont pas d'une supériorité hiérarchique.

    L'autorité de*la norme constitutionnelle ne saurait cependant se réduire à une affirmation de principe. Incontestablement la loi fondamentale du 18 janvier 1996 trône majestueusement au-dessus de l'édifice institutionnel du Cameroun, rassurée par un contrôle de constitutionnalité qui a fait défaut à une réclamation identique de ses devancières. Mais au-delà, il était intéressant de s'interroger sur toutes les conséquences de cette position. Longtemps ignorée, la question de la conformité fait une rentrée fort remarquable dans le droit constitutionnel camerounais de l'ère libérale. La justice constitutionnelle est au fondement de ce renouveau. Sa particularité: elle est calquée sur un modèle réclamant à son profit une forte légitimité, le modèle européen. Celui-là même qui transformera une "notion en survivance"(4) en un "véritable Lazare constitutionnel (5). La justice constitutionnelle est

    4 G. Burdeau, cité par D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, Paris, 6*°" éd., 2001, p 427.

    5 D. Rousseau, "Une résurrection: la notion de Constitution", Revue de Droit public, 1990

    porteuse d'espoirs que seuls le temps et la hardiesse du juge constitutionnel camerounais permettront de faire le départ entre rêve et utopie. Le constitutionalisme africain s'oppose toujours au constitutionalisme européen, qualifié depuis toujours de modèle. Pas forcément sur le plan du Droit tel que posé, mais de l'écart qui existe très souvent entre le principe et la réalité. La réalisation du Droit au Cameroun se dessine ainsi comme un autre champ d'investigation qui s'offre au juriste, relativement à la construction de la primauté de la règle constitutionnelle à l'aune de l'activité de celui qui prononce les paroles de la Constitution. La juridicisation de la loi fondamentale du 18 janvier 1996 permettra de procéder à l'écriture d'une nouvelle page de la science constitutionnelle camerounaise : celle de la hiérarchie des normes et de son corollaire le contrôle de constitutionnalité. A la recherche de la dualité validité - conformité comme condition d'insertion d'une norme dans le système juridique, comme critère d'affectation du qualificatif « norme ». L'oeuvre de hiérarchisation rentre par cela même dans une phase terminale avec l'institution du juge constitutionnel comme « gardien » du respect de la Constitution.

    La construction d'une sphère des droits des gouvernés séparée de celle des gouvernants, visible à travers la jurisprudence du Conseil Constitutionnel français fait dire au Pr. D. Rousseau que la Constitution est « la charte jurisprudentielle des droits et libertés ». Plus encore par sa jurisprudence, le Conseil Constitutionnel contribue au maintien du peuple dans son rôle de souverain ; car désormais la loi ne sera la volonté générale qu'autant qu'elle est conforme aux principes de valeur constitutionnelle. La sacralisation du pouvoir dont les effets peuvent encore être observés dans la lente exécution du texte du 18 janvier 1996 joue un rôle de premier plan dans l'éviction du peuple camerounais de sa place de souverain constituant au profit du Chef de l'Etat qui se révèle bien souvent comme celui qui décide de l'exception. Contrairement à la France, il s'agirait plutôt au Cameroun de rétablir le peuple dans son droit imprescriptible et inaliénable de souverain constituant, de Souverain tout simplement. Dans cette perspective, le rôle des futurs Conseillers sera primordial tant il est vrai que la primauté de la Constitution est le premier pilier dans l'édification d'un Etat de droit.

    La Constitution du 18 janvier 1996 n'a certainement pas fini de susciter des sujets de discussions et des thèmes de réflexions. L'innovation qu'elle apporte dans le droit constitutionnel camerounais est révolutionnaire, tant sous l'empire des Constitutions de 1960, 1961 et 1972 la suprématie des règles constitutionnelles ne pouvait être posée avec autant de conviction. Il s'agit d'un mouvement qu'il appartiendra au juge constitutionnel, membre du Conseil constitutionnel, de rendre irréversible.

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    Ø M. Ondoa, « Le droit de la responsabilité dans les Etats en développement : contribution à l'étude de l'originalité des droits africains », Thèse de Doctorat d'Etat en droit public

    TEXTES

    Ø Constitution du 04 mars 1960

    Ø Constitution du 1er septembre 1961

    Ø Constitution du 02 juin 1972 (versions 1979 et 1984)

    Ø Constitution du 18 janvier 1996

    Ø Constitution française du 04 octobre 1958

    Ø Loi n° 2004/004 du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil Constitutionnel

    Ø Loi n° 2004/005 du 21 avril 2004 fixant le statut des membres du conseil constitutionnel

    Ø Ordonnance n° 72/6 du 26 août 1972 fixant l'organisation de la Cour Suprême modifiée par la loi n° 76/28 du 16 décembre 1976

    * 1 La doctrine camerounaise est divisée sur la question de savoir s'il s'agit de l'écriture d'une "nouvelle" Constitution ou de la "révision" de la Constitution du 2 juin 1972. Voir sur ce point M. Kamto, "Révision constitutionnelle ou écriture d'une nouvelle Constitution" in Lex Lata, n° 23-24 fév-mars 1996; M. Ondoa, "La Constitution duale: Recherches sur les dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun" in Revue africaine de sciences juridiques, vol 1 n°2, 2000, pp 20 et s.

    * 2 Le changement réclamé par le peuple camerounais va pousser les pouvoirs publics à convoquer la Tripartite, sorte de conférence nationale souveraine, qui mettra sur pied un comité de rédaction sur les questions constitutionnelles. Ce comité rédigera un avant-projet de Constitution qui sera confié pour aménagement à un comité technique. Le résultat de ce travail sera communiqué au président de la République dont les "propositions" seront examinées par un comité consultatif constitutionnel. Le texte finalement arrêté par le Président de la République sera déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 24 novembre 1996. Pour plus de détails. Voir F. Mbome, " Constitution du 2 juin 1972 révisée ou nouvelle Constitution" in S. Méloné, A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.) La reforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun Aspects juridiques et politiques, Yaoundé, Friedrich EBERT 1996, pp 16 et s.

    * 3 D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Paris, Montchrestien, 6e édition, 2001, p 214

    * 4 afin que la loi ne soit plus seulement dans la pensée du roi, ce qui était dangereux pour les libertés, les participants aux Etats Généraux de 1789 vont formaliser l'idée selon laquelle les droits de l'homme étant imprescriptibles, ils devaient être consignés dans un document intangible. Ainsi « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de constitution ». L'approche historico-formelle est ainsi préalable à toute tentative de définition de la constitution. Dire que la constitution est d'abord formelle c'est reconnaître qu'il n'y a pas une catégorie d'actes juridiques que l'on qualifie de constitution. C'est une loi revêtue d'un symbolisme découlant des mécanismes de son élaboration.

    * 5 G. Burdeau, Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 26ème éd. 1999, p 55

    * 6 G. Burdeau, Droit constitutionnel, op. cit. p 10

    * 7 G. Burdeau, ibid. p 12

    * 8 Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la haute cour constitutionnelle d'Autriche, Marseille, PUAM, 1972, p 4

    * 9 II s'agit d'une appréciation de l'arrêt n° 197/CFJ-CAY du 25 mai 1972, Nana Tchana Daniel Roger c/ Etat du Cameroun. En acceptant de connaître au fond la requête du Sieur Nana qui sollicitait du juge administratif l'annulation du décret présidentiel prononçant la dissolution de l'association chrétienne des Témoins de Jéhovah au motif qu'il violait les dispositions du préambule de la constitution et notamment la déclaration universelle des droits de l'homme qui proclame la liberté de culte, il reconnaît ainsi que le préambule a valeur constitutionnelle. V. dans ce sens R. G. Niep, " Le juge de l'administration et les normes internes, constitutionnelles ou infra-constitutionnelle en matière de droits fondamentaux" in Revue Selon

    * 10 A ; Minkoa She, "Quelques variations sur la portée de la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996" in S. Méloné, A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.), La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun. Aspects juridiques et politiques, op. cit. p 72

    * 11 G. Burdeau, cité par D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit. p452

    * 12 G. Burdeau, cité par D. Rousseau, ibid. p 453

    * 13 L. Favoreu, cité par D. Rousseau, id. p453

    * 14 D. Rousseau, « Une résurrection : la notion de constitution », Revue de droit public, 1990, p 16.

    * 15 M. Ondoa, « La Constitution duale : recherches sur les dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun », op. cit. p 39

    * 16 Voir L. Donfack Sokeng, «  Les ambiguïtés de la « révision constitutionnelle » du 18 janvier 1996 au Cameroun », in S. Méloné, A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.), La reforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun Aspects juridiques et politiques, op. cit. pp 34 et ss.

    * 17 Voir Y. Moluh, « L'introuvable nature du régime camerounais issu de la Constitution du 18 janvier 1996 », in S. Méloné, A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.), La reforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun Aspects juridiques et politiques, op. cit. pp 242 et ss.

    * 18 Le juge administratif camerounais s'est toujours refusé à confronter un acte administratif à la Constitution lorsqu'on l'espèce une loi s'interpose entre l'acte et la constitution. Le juge camerounais considère en effet que contrôler la constitutionnalité de l'acte querellé reviendrait à exercer un contrôle de constitutionnalité de la loi faisant écran. Or précise-t-il, "le juge administratif n'est pas au ^ Cameroun juge de la constitutionnalité des lois". Cf.:

    - Arrêt n° 68 CFJ/CAY du 30 septembre 1969, Société des grands travaux de l'Est

    -Arrêtn0 17CS/APdu 19mars 1981, Kouang Guillaume, Collectivité Déïdo-Douala et Monkam Tientcheu David

    * 19 La supériorité des règles de la "législation constitutionnelle" ne serait que chimérique si elles pouvaient être impunément violées par les ouvoirs constitués. L'affirmation de la suprématie constitutionnelle emporte nécessairement la sanction de toute norme qui lui est contraire. Cette idée est soutenue par des auteurs tels que : P. Ardant, Institutions politiques et droit constitutionnel, op. cit. pp 99 et s ; J.P. Jacqué, Droit constitutionnel et institutions politiques. Mémento Dalioz, Paris, 4e édition, 2000, p 64.

    * 20 N. Mouelle Kombi, "La loi constitutionnelle camerounaise du 18 janvier 1996 et le droit international", in S. Mélonè, A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.), La reforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun. Aspects juridiques et politiques, op. cit. p 143

    * 21 Article 2 Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789

    * 22 Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la haute cour constitutionnelle d'Autriche, op. cit. p 22






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