INTRODUCTION GENERALE.
Le 18 janvier 1996, le Président de la
République promulguait la " loi constitutionnelle n° 96-06 portant
révision de la constitution du 02 juin 1972". Cette loi allait faire
l'objet d'un grand débat1(*) au sein de la doctrine camerounaise, au point de
provoquer une scission. A l'origine, la procédure ayant conduit à
l'adoption de ce qui est la «Constitution de la République du
Cameroun. » Faut-il le rappeler, elle débute le 30 octobre 1991
avec la Tripartite et s'achève le 18 janvier 1996. Cinq ans d'une
procédure dont on ne peut ne pas relever la complexité2(*). Pas au sens de la
rigidité de la constitution telle qu'exposée par la doctrine,
plutôt de la difficulté à la nommer. Procédure de
révision ou d'établissement d'une nouvelle Constitution ?
Nouvelle Constitution ou révision de la Constitution de 1972. Quoiqu'il
en soit, cette controverse doctrinale sur le nom de baptême de la Loi
Fondamentale du 18 janvier 1996 n'est pas sans précédent.
La Constitution n'est pas un corps de règles immuables,
insusceptible de révision. Elle doit s'adapter aux changements de la
société dans laquelle elle prend corps. Le risque existe et il
est grand que sous l'apparence d'une révision, le changement de la
Constitution ne se mue en "changement de Constitution"3(*). Si les révisions
constitutionnelles intervenues entre 1984 et 1990 n'ont pas vraiment
soulevé de vague, celle de 1961 a par contre fait l'objet d'une vive
discussion parmi les juristes camerounais. A l'origine... La procédure
ayant conduit à la promulgation de la "loi n° 61-24 du 1er
septembre 1961 portant révision constitutionnelle et tendant à
adapter la Constitution actuelle aux nécessités du Cameroun
réunifié."
Le mérite que l'on peut reconnaître à
cette controverse de la doctrine et à cette doctrine controversée
tient principalement à l'affirmation de la primauté de l'approche
historico-formelle dans la définition de la constitution4(*). Le débat sur la
constitution actuelle semble répondre à une certaine tradition.
Il se fonde sur un droit constitutionnel bâti autour de nouvelles
constitutions et de révisions constitutionnelles, se succédant
dans un temps relativement court : trente six ans. Mais au-delà de
cette tradition, il convient de se poser une importante question : quelle
est la valeur des constitutions camerounaises ? C'est sur ce postulat que
pourrait reposer la présente étude qui porte sur
l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun. Il s'agit sous ce
thème de mener une réflexion sur ce que le Pr. Kamto appelle
« la dynamique constitutionnelle du Cameroun
indépendant », déclinée sous l'angle de la force
juridique de la norme constitutionnelle camerounaise.
Aborder cette question suppose préalablement un
consensus autour de certains présupposés. Comme le souligne le
Pr. Georges Burdeau, un mot est susceptible de «
désigner plusieurs objets possibles »5(*). Le souci de clarté exige
alors que nous procédions à la limitation et à la
précision des frontières notionnelles de notre sujet ; ceci
en répondant à trois questions essentielles :
1- qu'est-ce que l'autorité ?
2- qu'est-ce qu'une norme ?
3- a quoi renvoie la norme constitutionnelle ?
La notion d'autorité n'est pas facile à
circonscrire. Son champ sémantique est discordant et renvoie à
des phénomènes parfois obscurs. Un savant est une
autorité, de même qu'un chef traditionnel ou le préfet du
Wouri. Parfois l'autorité se confond avec le pouvoir. D'ailleurs le
Dictionnaire Larousse le définit comme « le
droit ou le pouvoir de commander et de se faire obéir ». Mais
la défiance du constituant français qui préféra au
terme de « pouvoir » celui « d'autorité
judiciaire traduit bien l'idée selon laquelle la notion
d'autorité se charge de moins de force. Aussi le Dictionnaire
constitutionnel d'Olivier Duhamel et Yves Mény la
présente comme la capacité à se faire obéir ou
respecter ».
Toutefois, il faudrait admettre que la notion
d'autorité porte en son sein les caractères du pouvoir qui est la
capacité, du latin potestas. Elle est en définitive,
suivant en cela le Pr. Ondoa, la force juridique.
De manière générale, la norme est
« la signification d'une phrase par laquelle on déclare que
quelque chose doit être »6(*). Le Pr. Georges Burdeau la distingue d'une
proposition qui, elle, indique juste que quelque chose est. Il rejoint en cela
la conception kelsénienne du droit qui se situe dans la perspective
positiviste. Pour le maître autrichien en effet, le droit est un
« devoir être » (sollen), et ne doit pas être
confondu avec la volonté humaine qui est un
« être » (sein). La norme fixe une obligation de
comportement. Le lexique droit constitutionnel de Pierre Avril et de Jean
Gicquel le traduit en ces termes : « prescription qui formule le
comportement qui doit être observé ».
La norme sera au fondement du normativisme juridique
conçu par Hans Kelsen. Il envisage le droit comme un système de
normes tout en relevant au passage qu'il existe d'autres systèmes
normatifs. Ces derniers peuvent s'articuler autour des règles de la
morale, de la courtoisie, des codes d'honneur, etc. il en conclut qu'on
identifie une norme « lorsqu'on constate qu'une certaine phrase
acquiert une signification prescriptive du fait d'un système
normatif »7(*). Il
est sous ce rapport intéressant de savoir à quoi renvoie une
norme constitutionnelle.
D'emblée nous dirons qu'une norme constitutionnelle est
une norme juridique, c'est-à-dire qu'elle appartient au système
normatif qui s'articule autour du droit. Mais on peut objecter qu'il s'agit
d'une définition de l'inconnu par un l'inconnu. Ni le lexique droit
constitutionnel ni le dictionnaire constitutionnel ne s'intéresse
à la notion de manière explicite. Nous nous en tiendrons alors
à une approche stipulative qui, sans être vraie ou fausse, a le
mérite d'être utile à notre étude. C'est à
Eisenmann qu'on la doit, qui affirme que la norme constitutionnelle est la
règle de « la législation
constitutionnelle »8(*). Il s'agit du texte appelé
« Constitution » C'est un ensemble de règles
relatives à l'organisation, la dévolution et l'exercice du
pouvoir élaborées suivant une procédure spéciale.
Le Pr. Roger Gabriel Nlep est plus disert lorsqu'il appréhende la
notion. Il postule en effet, au regard de la jurisprudence du juge
administratif camerounais, que
la norme constitutionnelle intègre les principes
contenus dans le préambule et les dispositions du corpus
constitutionnel9(*). C'est
dans le même sens qu'abonde le Pr. Adolphe Minkoa She, mais en des termes
quelque peu mathématiques lorsqu'il affirme que "la Constitution
actuelle" comprend "les 69 articles du texte du 18 janvier 1996" et "la
vingtaine d'alinéas que comporte le préambule"10(*). Autant dire que la norme
constitutionnelle n'est pas uniquement la règle contenue dans le
document appelé "Constitution", mais qu'elle est également la
règle contenue dans les textes auxquels la Constitution renvoie
expressément ou implicitement. L'autorité de la norme
constitutionnelle intéresse donc la force juridique des règles
constitutionnelles et les principes de valeur constitutionnelle, tant il est
vrai que la valeur constitutionnelle est considérée comme la
valeur suprême. La pertinence de cette affirmation mérite
certainement une attention.
L'INTERET DE LA RECHERCHE
Statut de l'Etat, la
Constitution est dans l'ordre juridique interne la référence des
références. Eblouissante puisque éclairée par le
siècle des Lumières, elle entame une lente
décadence au XXème siècle au point qu'en 1956
le Pr. Georges Burdeau constate que "ni dans les faits, ni
dans les esprits, les Constitutions n'occupent plus cette place
prépondérante"11(*); elle est, conclut-il "une notion en
survivance"12(*).
L'avènement de la Vème République en France
consacrera la revanche du droit sur la science politique dans l'étude du
droit constitutionnel. Travail prométhéen du juge constitutionnel
qui pousse le doyen Louis Favoreu à dire que "le Droit peut
désormais avoir plus d'importance dans l'étude du droit
constitutionnel que fa science politique"13(*). Pour le Pr. Dominique Rousseau la justice
constitutionnelle est au principe d'une nouvelle idée de la
Constitution. Cette idée c'est que la Constitution n'est plus un simple
acte écrit. Par son action, le juge constitutionnel français "tue
le texte constitutionnel, le dévore ensuite pour mieux se l'approprier,
prendre
sa place et le faire revivre par sa voix »14(*); il devient ainsi un corps de
règles obligatoires. La constitutionnalisation des branches du droit
public et privé conduit incontestablement à l'affirmation selon
laquelle en France, l'autorité de la norme constitutionnelle est
fortement établie.
L'évolution du constitutionnalisme camerounais depuis
la Constitution du 04 mars 1960 est révélatrice d'une
difficulté certaine de la règle de droit suprême à
« éduquer » le système juridique et
politique. Surtout il y a beaucoup de limites dans le principe de la
supériorité de la norme de valeur constitutionnelle. Le droit
constitutionnel camerounais semble s'être construit plus sur des bases
politiques que juridiques. Postuler alors que la Constitution est la
règle au-dessus de toutes les autres est sur plusieurs points
déficient. Déficient par ce que la dynamique constitutionnelle
est articulée autour de procédures détournées et
des révisions constitutionnelles dont l'objectif n'a pas toujours
d'adapter le Droit aux évolutions de la société
camerounaise. Déficient aussi parce que la doctrine camerounaise ne
s'est pas vraiment préoccupée de théoriser dans des
ouvrages de référence pour le juriste ou l'apprenti en droit les
grands principes relatifs à la suprématie constitutionnelle.
Aussi le droit constitutionnel camerounais apparaît-il être ce que
l'on voit et entend ; au surplus lui est-il consacré une
« légère » attention dans l'enseignement du
Droit public en général et du droit constitutionnel en
particulier dans les universités du pays. Notre étude se voudrait
sous ce rapport une contribution à la connaissance du droit de la
constitution camerounaise et du droit des Constitutions camerounaises.
Dans cette entreprise, il faut nécessairement faire
tomber les préjugés et a priori sur ce droit constitutionnel
« embrigadé » dans son enseignement par la science
politique. Nous ne pouvons dès lors poser le principe de
l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun qu'en confrontant
la dynamique constitutionnelle aux principes généraux qui
encadrent la création, la révision et le respect de la loi
fondamentale. L'histoire des Constitutions camerounaises laisse une
impression : la norme fondamentale n'est plus celle qu'on ne touche
« qu'avec des mains tremblantes ». A l'appui de cette
thèse, la dizaine de révision qu'a connu la Constitution du 02
juin 1972. A l'évidence, la stabilité de la règle
constitutionnelle, élément important de sa suprématie, a
été profondément affectée et sa majesté
effritée par des procédures détournées et donc
source de controverses. Et même
la loi fondamentale du 18 janvier 1996 n'a pas a priori
contribué à l'affirmation de la primauté des règles
constitutionnelles. En effet, si la doctrine admet qu'elle a revisité le
droit constitutionnel camerounais tel qu'il était, certains auteurs ont
jugé qu'elle n'a « guère produit d'effet »,
voire « qu'elle demeure jusqu'à présent
inerte »15(*).
D'autres encore soulèvent le problème des ambiguïtés
de ses dispositions se traduisant par une reformulation du principe
républicain et les paradoxes de l'Etat de droit16(*). Pour d'autres enfin le
régime politique camerounais est introuvable17(*) au regard des dispositions de
cette loi.
Sous ce rapport, le texte du 18 janvier 1996 semble ne pas
être un apport dans la construction d'un droit constitutionnel
camerounais rénové. Mais nous ne pouvons occulter la mise en
place effective de la chambre des comptes, la promulgation des lois portant
organisation et fonctionnement du Conseil Constitutionnel et fixant statut des
membres du dit Conseil. Aussi les différentes lois relatives à la
décentralisation. Elles répondent dans une certaine mesure
à la question de savoir quel est le Droit applicable et appliqué
au Cameroun. Pourtant on ne peut nier que l'inexistence matérielle du
Conseil Constitutionnel, du Sénat et des Régions fait encore
problème et limite assurément notre thèse.
D'un autre coté, le fondement de l'autorité de
la norme constitutionnelle divise la doctrine. Comment justifier l'obligation
de respecter la volonté du constituant si aucune règle ne
l'habilite à établir ? C'est surtout la question même
de l'identification du souverain qui apparaît problématique. Une
Constitution n'existe qu'autant que l'on peut reconnaître à son
« concepteur » la qualité de souverain constituant.
Or la tradition constitutionnelle camerounaise est que la souveraineté
appartient au peuple, mais le recours à ce dernier,
considéré par les auteurs comme « la sanction
obligatoire de la Constitution » n'est qu'une option secondaire en
fait et en droit. Et voilà que surgit toute la problématique de
la démocratie prise dans sa pureté et donc hostile à toute
idée de représentation pour des nécessités d'ordre
pratique qu'impose une sorte de « partage de la
souveraineté ». La quête de l'autorité de la
norme constitutionnelle au Cameroun trouve dans ce partage une
raison de s'interroger sur sa stabilité, tant il est
vrai que la révision de la Constitution rend compte d'une appropriation
du pouvoir constituant par les pouvoirs institués.
Le Droit doit être supérieur aux sujets sinon il
n'en est pas. Il y a de ce fait un enjeu considérable dans la
définition de la Constitution. Pour les acteurs du système
constitutionnel, c'est l'importance des entraves à leur liberté
d'action. La Constitution leur prescrit de se comporter d'une certaine
manière qui est soit conforme, soit compatible, mais jamais contraire
à ses dispositions. L'autorité de la Constitution sous ce rapport
ne peut-être envisagée que de la sanction des éventuelles
dérogations explicites ou implicites aux principes constitutionnels par
des normes inférieures. Sur cette question, le constituant camerounais a
toujours prévu un contrôle de constitutionnalité des actes
du pouvoir réglementaire. Contrôle rendu d'ailleurs
spécieux par une procédure compliquée et une organisation
juridictionnelle centralisée, aggravée par l'adhésion du
juge administratif à la "théorie de l'écran
législatif 18(*)
dont la conséquence est le maintien dans l'ordonnancement juridique des
normes inconstitutionnelles.
Ce légicentrisme inhibitif dont les origines remontent
à la révolution française, fausse le principe même
de la pyramide des normes, qui postule que toute norme juridique soit
application d'une norme supérieure et création d'une norme
inférieure. La doctrine admet qu'en l'absence d'une justice
constitutionnelle, la suprématie de la constitution n'est qu'une simple
vue de l'esprit19(*).
Assurer l'autorité de la norme supérieure demande que soient
posés des mécanismes de vérification et que soit
créée un organe chargé de la mise en oeuvre de la
procédure de validation. Ce gardien de la suprématie
constitutionnelle est appelé au Cameroun le conseil constitutionnel. Il
faut donc se demander quel peut être l'apport du Conseil Constitutionnel
dans l'affirmation de cette supériorité des règles issues
de la législation constitutionnelle.
Un autre axe d'intérêt est constitué par
les rapports que la Constitution entretient avec le droit international. Avec
l'option moniste, le constituant camerounais a opté pour ce que le Pr.
Narcisse Mouelle Kombi nomme le "primat de l'ordre international sur l'ordre
interne"20(*).
L'impératif des normes du jus cogens sert d'appui aux partisans
de la supra constitutionnalité internationale dont l'argumentation
repose sur le principe que "le but de toute association politique est la
conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme"21(*). Cette conception conduit
évidemment à renier la souveraineté du pouvoir constituant
qui dès lors n'est plus libre de créer n'importe quel droit.
Cette thèse peut-elle prospérer ? Elle aboutirait dans
l'affirmative à la contestation du fondement même du
système juridique camerounais. Dans la négative l'on aboutirait
à la violation d'un engagement international justifiée par le
respect du droit interne de l'Etat. La thèse contraire n'est pas non
plus à l'abri de toute critique. D'où la nécessité
de s'appesantir sur les influences réciproques de cette relation qui
n'est certainement pas fondée sur l'égalité.
LA PROBLEMATIQUE DU
THEME
La doctrine n'envisage aujourd'hui la question de
l'autorité de la Constitution que corrélativement a l'existence
d'un juge constitutionnel. Position systématisée par Charles
Eisenmann qui affirme que seule la justice constitutionnelle aboutit à
faire de la Constitution "la règle de droit suprême"22(*). Faut-il alors admettre
qu'avant 1921 la loi fondamentale autrichienne n'était pas
supérieure aux lois ordinaires ? Ou alors qu'avant 1958 en France, la
Constitution n'était ni une règle de droit ni la règle de
droit suprême ? Certainement une réponse négative s'impose
à ces questions, sinon il faudrait convenir que l'autorité de la
norme constitutionnelle au Cameroun n'est qu'illusoire, tant il est vrai que la
justice constitutionnelle, du moins sur un plan matériel, n'existe pas
encore. L'intérêt est donc grand de trouver et de prouver que la
Constitution est revêtue d'une véritable autorité, et cela
en l'absence de toute justice constitutionnelle. L'interrogation portera sous
ce prisme sur son fondement et sa légitimité.
L'adhésion relativement récente du Cameroun
à une justice constitutionnelle calquée sur le modèle
européen nous pousse à considérer la position du Pr.
Eisenmann avec une certaine retenue. Puisque la création d'un Conseil
Constitutionnel ne garantit pas toujours le respect de la primauté
constitutionnelle. De même que l'indépendance de cet organe ne
saurait être fondée sur une simple interprétation des
dispositions y relatives. Ceci se vérifie aisément en France, car
c'est pratiquement en 1971, soit treize ans après sa création,
que le Conseil constitutionnel va s'affirmer comme le gardien du respect de la
Constitution. Pour le Pr. D. Rousseau, « la décision du 16
juillet 1971 (...) opère une véritable révolution
politique en rompant avec les principes traditionnels du droit français
et en particulier la souveraineté de la loi ». (23) il nous
paraît donc hasardeux de remettre ou de fonder la suprématie des
constitutions camerounaises sur une justice constitutionnelle longtemps absente
et étant encore aujourd'hui en quête de légitimité
et à la recherche de ses prises sur une vie institutionnelle fortement
marquée par la sacralisation du pouvoir. Certes la loi fondamentale de
1996 a revisité le droit constitutionnel tel qu'il se présentait
antérieurement, mais il faut reconnaître que l'édification
d'un droit constitutionnel ne peut se faire en occultant la question de la
suprématie des règles issue de la « législation
constitutionnelle ». Aussi nous nous posons la question principale de
savoir si la norme constitutionnelle transcende l'ordre juridique et politique
camerounais de manière à assurer effectivement et efficacement la
soumission des pouvoirs constitués. Nous croyons que la Constitution
in-forme le système juridico-politique, certes avec quelques
hésitations dues à la longue absence d'une justice
constitutionnelle effective. Le contrôle de constitutionnalité se
veut alors être ce qui confère à l'autorité de la
norme constitutionnelle son caractère absolu. Cela signifie aussi qu'en
dehors de toute justice constitutionnelle, la Constitution demeure la loi
au-dessus de toutes les autres lois. Son élaboration par un pouvoir qui
peut « tout faire » et cela suivant une procédure
différente de la procédure législative et donc
exceptionnelle constituent la justification de cette thèse. Ces facteurs
contribuent à hisser la Constitution au sommet de la pyramide des
normes, à faire d'elle « le dernier terme auquel l'on puisse
confronter une norme » pour apprécier sa validité.
C'est le cas en Allemagne, en Italie et aussi en Autriche. Et même si
pour le Pr. Philippe Ardant « le principe de la suprématie de
la Constitution sur le reste de l'ordre juridique a une valeur explicative
incontestable » (24), on ne saurait nier la valeur normative quoique
biaisée des Constitutions camerounaises.
Rien ne permet de reconnaître à la Constitution
la qualité de règle inviolable. Elle ne tire de sa majesté
aucune immunité contre les probables atteintes des pouvoirs
constitués. Abondante est la jurisprudence de la juridiction
administrative sur la question (24). Mais il est un principe qu'il faut
affirmer, celui de la primauté de la Constitution dans l'ordre juridique
interne.
METHODE ET PLAN
La détermination des fondements de notre étude
nous découvre une autre préoccupation qui, elle, consiste
à tracer le chemin à suivre ou suivi pour parvenir à un
résultat dont la fiabilité soit tout de même digne
d'intérêt. Il s'agit pour nous d'opérer un choix, d'opter
pour une technique à même de nous permettre de rendre compte de la
réalité, sans aucune fioriture. Comment étudier
l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun, c'est
l'épineux problème de la
méthode.
Le Pr. Maurice Kamto déclare à juste titre que
"le problème de la méthode est au coeur de toute oeuvre
scientifique" (25). Elle est définie comme un "ensemble de règles
ou de procédés pour atteindre dans les meilleures conditions un
objectif'(26). D'elle dépend en effet la fiabilité des
résultats attendus ; son explication "permet de mieux saisir la
spécificité de la démonstration" de notre étude. Ce
choix n'est évidemment pas facile ; il requiert la parfaite connaissance
de l'objet d'étude qu'on veut mener. Plus encore lorsqu'il est
déjà prouvé que "la démarche méthodologique
conditionne le travail scientifique, car la méthode éclaire les
hypothèses et détermine les conclusions"(27). Comment donc
choisir LA méthode ?
23 D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit.
p 67
24 Ph. Ardant, Institutions politiques et droit
constitutionnel, op. cit. p 55
24 Cf. supra
25 Cité par J. Mouangue Kobila, L'indépendance
au Cameroun, l'empreinte coloniale, mémoire de maîtrise en droit
public, Yaoundé, 1990, p 13.
26 Lexique des sciences sociales, Paris, Dalioz, 7°
édition, 2000, p 275.
27 M. Kamto, Pouvoir et droit en Afrique noire. Essai
sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats d'Afrique
noire francophone, Paris, LGDJ, 1987, p 47.
^
Le choix d'une méthode n'est ni libre ni neutre. Frede
Castberg juge que "aucune méthode juridique ne peut échapper
à un certain élément de subjectivité et à un
certain taux d'arbitraire" (28) Tout ceci justifie que nous ayons
préféré à une méthode unique et
prêtant le flanc à toute sorte de critique, une méthode
multidisciplinaire, laquelle a le mérite de faciliter la
délimitation du problème qui se pose à nous afin
d'orienter nos recherches.
Parce qu'il s'agit avant tout d'un travail juridique,
l'analyse des textes va nous permettre de poser les grands principes de la
suprématie des règles élaborées par le constituant,
d'en préciser les fondements et de justifier cette option qui est
commune à toutes les Nations dites "civilisées". Nous ne
saurions toutefois ignorer que l'exégèse est " impuissante
à elle seule pour présider à l'organisation et à la
présentation d'un travail juridique." Le Pr. Dominique Rousseau
n'argue-t-il pas de ce que " la vie politique d'un pays n'est pas le produit
des seules règles de droit"(29), même s'il demeure que le droit
est " créateur de réalité en ce qu'il offre des
catégories qui servent à percevoir, décrire et
apprécier"(30).
La contextualisation du juridique est d'une importance
capitale. Notre étude porte sur le droit constitutionnel camerounais ;
et ce cadre géographique est susceptible de modifier et
d'infléchir les grandes théories doctrinales. Comment rendre
compte du droit sans s'appuyer sur l'observation des faits ? Henri Batifol
pense à ce propos qu'"il est des faits qui dictent le droit ; il est des
expériences dont la méconnaissance est ruineuse"(31). D'où
le recours à l'analyse politique. Le jeu politique imprime souvent
à une disposition constitutionnelle une trajectoire autre que celle
d'origine. Il en est ainsi par exemple du contrôle de
constitutionnalité en France qui, "d'instrument de protection de
l'exécutif est devenu tout à la fois instrument d'extension du
domaine législatif, de défense des droits et libertés et
de contrôle de la politique législative de l'exécutif'(32)
Nous tenterons, tout en évitant de verser dans un politisme
préjudiciable, de justifier, limiter voire soulever les
ambiguïtés du principe. L'analyse politique en tant qu'elle est
descriptive, nous permettra d'en cerner les contours par la mise en relief de
ce qu'on qualifier de « particularismes camerounaises ».
28 Cité par J. Mouangue Kobila, op. cit. p 15.
29 D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel,
op. cit. p 456.
30 D. Rousseau, ibid. p 455.
31 Cité par J. Mouangue Kobila, op. cit
p 14.
32 D. Rousseau, id. p 457.
Enfin il sera intéressant de souligner les
spécificités du droit constitutionnel camerounais par une
approche comparative. La confrontation au système français
autorisera certainement des critiques, des suggestions pour améliorer un
mécanisme de garantie et de protection qui fait déjà que
notre pays figure au nombre de ceux qui ont pris l'option de ce que le Pr.
Dominique Rousseau nomme : " la démocratie par la Constitution ". Elle
nous fournira enfin les éléments de relativisation, voire de
limitation de la prééminence de la Constitution
au regard du développement du droit international,
aidé en cela par la jurisprudence du juge constitutionnel
français. Tous ces présupposés éclairent davantage
le thème de notre étude et justifie le plan que nous avons
adopté.
> Première partie: Les fondements
de l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun
> Deuxième partie: Les garanties de
l'autorité de la norme constitutionnelle au Cameroun
PREMIERE PARTIE:
LES FONDEMENTS de l'autorité de la norme
constitutionnelle au Cameroun
La force normative des Constitutions camerounaises depuis la
loi fondamentale du 4 mars 1960 a connu des fortunes diverses, au point
où poser le principe de leur suprématie sur le système
normatif et surtout sur le Président de la République, pouvoir
constitué, ne puisse se faire qu'avec beaucoup de nuances. II faut le
reconnaître, la dynamique constitutionnelle camerounaise fait
apparaître au premier plan le Chef de l'Etat, principal et
prépondérant maître de l'élaboration et de la
révision des Constitutions. Pourtant, nous ne pouvons ne pas affirmer
cette suprématie.
La réponse du Droit Constitutionnel camerounais
relativement à la question de l'autorité de la Constitution
emprunte au droit constitutionnel moderne. Mais avec des "aménagements"
qui marque ce qui peut être qualifié de
"spécificités du droit constitutionnel camerounais". C'est
à la fois une identification difficile du Souverain constituant qui seul
est compétent en matière constitutionnelle, mais c'est aussi une
procédure certes exceptionnelle, pourtant source de controverses.
Cependant ces aléas n'empêchent pas de poser les fondements de la
suprématie constitutionnelle, que nous établissons sur deux plan:
la compétence exclusive du Souverain constituant en matière
constitutionnelle, tant il est vrai qu'"une Constitution suppose avant tout un
pouvoir constituant (1) (Chapitre 1), et la mise en
oeuvre d'une procédure exceptionnelle tant en ce qui concerne la
création que la révision de la règle
constitutionnelle (chapitre 2).
1 Siéyès, cité par M. Ondoa, "La
distinction Constitution souple et Constitution rigide en droit constitutionnel
français", in Annales de la faculté des sciences juridiques
et politiques. Université de Douala, n°l, année 2002, p
96.
CHAPITRE 1 :
LA COMPETENCE EXCLUSIVE DU CONSTITUANT DANS
L'ELABORATION DES NORMES CONSTITUTIONNELLES
La dynamique constitutionnelle camerounaise
révèle une intégration totale des grands principes qui
gouvernent le droit constitutionnel moderne, et notamment ceux relatifs
à l'élaboration et à la révision de la norme
constitutionnelle. L'élaboration, autant que la révision de la
Constitution sont des moments importants dans la vie de tout Etat. Pour Jean
Gicquel, "son avènement [l'élaboration de la Constitution]
représente un moment privilégié dans la vie d'un
peuple."(l) En fait, l'on peut affirmer sans risque de se tromper que la
Constitution est "l'acte de naissance de l'Etat." Le caractère fondateur
de la norme de droit suprême réalise l'unanimité de la
doctrine. Et sur ce postulat, certains auteurs bâtissent son
autorité. Mais qu'en est-il réellement ?
La norme constitutionnelle tant dans sa création que
dans sa révision, obéit à des règles sans
lesquelles il serait quasiment impossible de lui reconnaître une
quelconque force juridique. Sous ce rapport, le postulat est que la
matière constitutionnelle est le champ d'action exclusif du pouvoir
constituant. Il est " celui ou ceux dont le consentement a permis
l'entrée en vigueur du texte."(2) Le pouvoir constituant est " l'auteur
de la Constitution." Son exclusivité se justifie en ce qu'aucun autre
pouvoir au sein de l'Etat ne peut élaborer des règles de valeur
constitutionnelle, car "seul le pouvoir constituant peut faire la
Constitution." (3) Ce postulat ne vaut cependant que si le constituant se
présente comme étant le Souverain. Il ne s'agit pas ici de la
souveraineté comme un attribut du constituant, mais comme une
identification de celui qui donne à la norme constitutionnelle sa force
juridique. Le constituant est le souverain. Pouvoir de droit originaire et
suprême, la souveraineté est l'élément
irréductible du constituant. La conséquence en est une division
de la doctrine sur la problématique de la souveraineté du pouvoir
de révision de la Constitution. (4)
1 J. Giequel, Droit constitutionnel et institutions
politiques, Paris, Montchrestien, 19° édition, 2003 p 161
2 G. Burdeau et al. Droit constitutionnel, Paris,
LGDJ, 20e édition, 1999, p 40.
3 La science constitutionnelle ne reconnaît pas aux
pouvoirs constitués une compétence en matière
constitutionnelle. Au surplus, le souverain prévoit-il une intervention
des organes de l'Etat dans la procédure de révision de la
Constitution. Cette intervention est cependant limitée, car elle ne
saurait être utilisée pour évincer le peuple de sa place de
souverain constituant par l'élaboration d'une nouvelle Constitution. La
doctrine parle dans ce cas de détournement de procédure. Voir sur
la question M. Kamto, "Révision constitutionnelle ou écriture
d'une nouvelle Constitution", in Lex Lata, n° 23-24,
février-mars 1996, pp 17 et SS.
4 Pour les partisans de la limitation du pouvoir constituant
institué, la révision de la Constitution est
nécessairement limitée par l'interdiction de modifier certaines
dispositions constitutionnelles. Pour M. Kamto, la thèse de la
révision totale de la Constitution est inconcevable car on pourrait
aboutir à l'écriture d'une nouvelle Constitution par la
procédure de révision. Une autre partie de la doctrine estime que
la souveraineté du pouvoir constituant dérivé ne rencontre
aucun obstacle dans sa manifestation. Disons simplement que la portée de
cette souveraineté dépend de la compétence ou non du juge
à contrôler les limites au pouvoir de révision.
Si l'on appelle indifféremment "pouvoir constituant"
celui qui a compétence en matière constitutionnelle, il faut
distinguer selon qu'il s'agit de rédiger une nouvelle Constitution ou de
modifier celle qui existe déjà. Aussi parle-t-on de pouvoir
constituant originaire et de pouvoir constituant dérivé. Loin
d'être une simple division de principe, la dualité du pouvoir
constituant présente des conséquences précises en droit
constitutionnel. Celles-ci portent avant tout sur l'identification du
souverain. Et même si pour Pierre Pactet la détermination de celui
qui exercera le pouvoir constituant est plus intéressante que celle de
son titulaire (5), nous ne saurions cependant occulter la question. Ceci est
d'autant plus intéressant en droit constitutionnel camerounais, au
regard de ce que nous pourrions appeler la "confiscation" du pouvoir
constituant par les pouvoirs institués, au mépris du principe
démocratique qui voudrait que "le principe de toute souveraineté
réside essentiellement dans la nation" (6). Ce n'est pas cependant une
caractéristique camerounaise que d'affirmer, certes de manière
implicite mais répétée, que "le peuple n'est pas toujours
le mieux éclairé." La dynamique constitutionnelle camerounaise
nous impose alors, dans l'entreprise d'identification du souverain
constituant, de la mettre en rapport avec la dualité du pouvoir
constituant (section 1); dualité qui conduit à une certaine
instabilité de la norme constitutionnelle trop souvent livrée aux
"caprices" des représentants du peuple (section 2).
SECTION 1 : LA DUALITE DU POUVOIR CONSTITUANT DANS
L'IDENTIFICATION DU SOUVERAIN CONSTITUANT
L'identification du souverain est rendue difficile par la
dualité du pouvoir constituant. Il faut en effet relever que la
souveraineté est une et indivisible. Aussi, la distinction pouvoir
constituant originaire - pouvoir constituant dérivé ne peut-elle
que se heurter à une souveraineté qui ne peut être
partagée. Face à une doctrine divisée, la jurisprudence
admet aujourd'hui que la révision de la norme constitutionnelle est de
la compétence d'un pouvoir constituant pouvoir qui "n'est pas d'une
autre nature que le pouvoir initial."(7) Reconnaître comme le fait
Georges Vedel que la "révision de la Constitution est de la
compétence du pouvoir originaire" c'est indubitablement adhérer
à la thèse selon laquelle "le pouvoir constituant
dérivé doit son existence à une concession de la
théorie démocratique aux commodités pratiques"(8).
5 Pour le Pr. Pactet, la question de l'identification du
Souverain constituant n'est digne d'intérêt que lorsqu'elle porte
sur celui qui le mettra en oeuvre. Et "c'est généralement le
Gouvernement de fait détenant le pouvoir à ce moment qui va le
mettre en oeuvre". Voir P. Pactet, Institutions
politiques. Droit constitutionnel, Armand Colin, Paris, 20'°"'
éd. 2001.
6 Article 3 DDHC de 1789
7 G. Vedel cité par J. Gicquel,
Droit constitutionnel et institutions politiques,
Paris, Montchrestien, 19e édition, 2003, p 172.
8 La démocratie dans sa stricte conception
n'admet pas de représentation. C'est le "gouvernement du peuple par le
peuple et pour le peuple". Sous ce rapport, seul le peuple personnellement
serait compétent en matière constitutionnelle. Mais la
démocratie telle qu'elle est théorisée repose sur la
notion de "représentation". Sur la base de cette représentation,
qui suppose la souveraine du peuple, le pouvoir constituant institué
naîtra pour éviter de trop "déranger" le peuple et parfois
une moindre modification de la Constitution. Voir
L'histoire du constitutionnalisme du Cameroun
indépendant conforte cette affirmation. Tout laisse finalement croire
que la thèse de la dualité du pouvoir constituant n'est plus que
pure théorie du droit constitutionnel (paragraphe 1) car pratiquement le
souverain et par conséquent le pouvoir constituant est un (paragraphe
2).
PARAGRAPHE 1 : UNE DUALITE SUR LE PLAN DE LA THEORIE DU
DROIT CONSTITUTIONNEL
La dualité du pouvoir constituant est affirmée
autant par la doctrine que par la jurisprudence. Mais elle n'implique pas les
mêmes conséquences selon que l'on se place du côté du
juge ou de celui des auteurs. C'est cette divergence, qui peut de même
être établie au sein de la doctrine qui nous autorise à
penser que la distinction constituant originaire -constituant institué
(I) et les incidences qui s'attachent à celle-ci (II) ne revêtent
plus désormais qu'une simple valeur explicative, n'étant
séparés que par le temps.
I - LA VALEUR EXPLICATIVE DE LA DISTINCTION
CONSTITUANT ORIGINAIRE -CONSTITUANT INSTITUE
L'indivisibilité de la souveraineté ne permet
pas d'envisager qu'un autre pouvoir puisse avoir une compétence en
matière constitutionnelle. (9) La suprématie de la norme
fondamentale repose en effet sur son élaboration par un pouvoir qui
n'est soumis à aucun contrôle, un pouvoir souverain. Sous ce
rapport, l'on ne peut que s'interroger sur la division de ce pouvoir en
"originaire" et "dérivé". L'interrogation est d'autant plus
pertinente que toutes les Constitutions camerounaises ont posé que "la
souveraineté nationale appartient au peuple" Elle justifie ainsi non
seulement qu'aucune fraction du peuple ni aucun individu ne puisse s'en
attribuer l'exercice, mais encore que toute autorité émane de la
nation souveraine. Or comme le précise Carré de Malberg, en
reposant la souveraineté sur la nation l'on admet qu'il n'y a qu'une
volonté. Sous ce postulat, la distinction constituant originaire -
constituant dérivé, qui apparaît comme un moyen de
distinguer l'élaboration de la modification de la Constitution (A)
permet surtout de reconnaître les titulaires de ces deux pouvoirs (B).
dans ce sens. Dictionnaire
constitutionnel, p 777.
9 Le peuple étant le seul souverain, toute autre
autorité dans l'Etat ou de l'Etat ne peut réclamer pour lui le
bénéfice de ce pouvoir, à moins de le tenir du peuple
lui-même. Il faut en effet préciser que si le peuple est
souverain, il exerce cependant cette souveraineté plus par
intermédiaire que directement. Mais cette "délégation" ne
constitue pas une dépossession car la souveraineté est
inaliénable et imprescriptible, une et indivisible. Et
comme seul le souverain est compétent en matière
constitutionnelle, il s'ensuit que la qualité d'intermédiaire des
autorités de l'Etat leur attribue compétence pour réviser
la Constitution.
A) Le pouvoir d'élaborer et de modifier la
norme constitutionnelle
Symbolique, solennelle, l'élaboration d'une
Constitution est un moment privilégié dans toute
société politique. Elle marque le passage d'une organisation
sociale au stade le plus achevé que l'on puisse concevoir : l'Etat.
Qu'elle intervienne dans une situation de "vide juridique" ou après une
Révolution, la manifestation d'un pouvoir originaire atteste de la
naissance d'un nouvel Etat (1). Dans cette oeuvre de
structuration de la société, ce qui est définitif est
l'Etat. En effet la dynamique de l'idée de société qui a
prévalu à la rédaction de la Constitution
initiale implique nécessairement qu'à un moment, certaines
modifications de la loi fondamentale s'imposent. Celles-ci se
feront par la mise en oeuvre d'un pouvoir constituant institué (2).
1- Un pouvoir initial pour fonder l'Etat
Le droit constitutionnel est construit sur des fictions.
Souveraineté, Etat, pouvoir constituant ne sont en réalité
que des produits d'une construction intellectuelle. Des notions juridiques
destinées à produire des effets. L'Etat est une fiction dont
l'existence ne peut être prouvée qu'au moyen de sa Constitution
(10). C'est ainsi que la Constitution du 04 mars 1960 donnera naissance
à l'Etat du Cameroun, qui n'était alors qu'un territoire sous
tutelle. Le caractère fondateur de la Constitution réalise
l'unanimité au sein de la doctrine. La Constitution crée l'Etat
par le mécanisme de l'institutionnalisation du pouvoir. Elle lui donne
une forme précise, et l'on peut alors affirmer qu'il s'agit d'un Etat
unitaire ou d'un Etat fédéral; d'un régime
présidentiel ou d'un régime parlementaire. Sous ces
considérations, la succession d'un Etat fédéral à
un Etat unitaire en 1961 rentre dans la situation normale de la manifestation
d'un pouvoir originaire, car comme le précise Pierre Pactet, "un
réaménagement important de la Constitution marquant par exemple
le passage d'un Etat unitaire à un Etat fédéral peut
être considéré comme l'écriture d'une nouvelle
Constitution". (11) Le pouvoir constituant originaire est donc le pouvoir qui
pose les fondations de l'Etat par l'élaboration d'une Constitution.
2- Un pouvoir institué pour restructurer
l'Etat
L'élaboration d'une Constitution n'est pas une fin en
soit. L'évolution de l'idée de société qui a
prévalu à son adoption rend impératif certains ajustements
afin qu'elle ne tombe
10 l'Etat est une organisation sociale qui n'existe que par
la Constitution. L'accord est unanime sur la nature fondatrice de la
Constitution, car seule elle donne une forme à une société
où généralement le pouvoir est personnalisé. Pour
J.P. Jacqué, "toute société comporte un corps de
règles écrites ou non destinées à fixer les
modalités d'acquisition et d'exercice du pouvoir politique. Ces
règles constituent la Constitution
11 P. Pactet, Institutions politiques. Droit
constitutionnel, op cit p 74.
pas en désuétude. Le caractère
perfectible de la Constitution vient surtout de ce qu'il est prévu en
son sein même une procédure pour sa modification. Toutes les
Constitutions camerounaises depuis 1960 ont toujours réservé un
titre consacré à la révision de la Constitution. Cette
entreprise ressortit de la compétence du pouvoir constituant
institué ou dérivé, dans la matérialisation de
l'idée avancée par Royer-Collard pour qui "les Constitutions ne
sont pas des tentes dressées pour le sommeil. "(12) La mise en oeuvre
d'un pouvoir constituant dérivé répond donc à une
nécessité: celle de rendre le "pacte fondamental" en
conformité avec l'évolution de la société. C'est du
moins le principe de la révision.
B) La détermination des titulaires
L'identification de ceux ou celles qui mettent en oeuvre soit
le pouvoir originaire, soit le pouvoir dérivé repose plus sur une
observation des faits que sur une réflexion prenant appui sur les
textes. Le droit constitutionnel camerounais offre des éléments
d'analyse qui tantôt confortent la théorie constitutionnelle,
tantôt la contredisent. Il ressort de cela que l'identification des
titulaires du pouvoir constituant qui repose sur un principe (1), pose en
réalité le problème du titulaire de la souveraineté
et de celui qui l'exerce effectivement (2).
1- Une identification de principe
La détermination de ceux qui mettent en oeuvre le
pouvoir constituant sur le strict terrain de la théorie
constitutionnelle n'est concevable que par l'affirmation d'un principe. Pour D.
Georges Lavroff, "le pouvoir constituant est reparti entre le peuple et ses
représentants. Le peuple en est le titulaire principal et les
représentants interviennent à titre secondaire."(13) II
résulte de cela que te pouvoir constituant, qu'il soit originaire ou
dérivé, à pour titulaires le peuple et ses
représentants. Ce principe est consacré au Cameroun par les
référendums constituants de 1960 et de 1972 et par les
"révisions" de 1961 et de 1996. Il ressort un chasse-croisé entre
le peuple et ses représentants, dans une sorte de "construction -
déconstruction" de la règle de droit suprême. Cependant, il
convient de noter que les révisions constitutionnelles que le Cameroun a
connues jusqu'à présent ont été ratifiées
par les représentants du peuple. Il semble donc que le droit
constitutionnel camerounais consacre une sorte de "distribution" du pouvoir
constituant : le peuple comme constituant originaire uniquement et ses
représentants comme constituant institué(14)
12 Royer-Collard, cité par J. Gicquel, Droit
constitutionnel et institutions politiques, op cit. p 171.
13 D.G. Lavroff, Droit constitutionnel
de la Vè République, Dalioz, 2*°" éd. 1997.
14 Sous le strict plan de la
procédure, il est aisé de reconnaître que le peuple
camerounais est toujours intervenu chaque fois qu'il s'est agit pour les
autorités de l'Etat d'établir une nouvelle Constitution, et donc
de poser les bases d'un nouvel Etat. Les référendums constituants
de 1960 et de 1972 s'opposent ainsi aux multiples recours au pouvoir de
révision, et parfois pour ratifier une nouvelle Constitution qui pour
ses concepteurs n'est qu'une loi constitutionnelle.
2- La problématique de la détention et
de l'exercice du pouvoir constituant
Elle est posée par Pierre Pactet qui souligne que le
véritable problème n'est pas de savoir à qui appartient le
pouvoir constituant, mais plutôt qui l'exercera. Le postulat posé
par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est repris par
les différentes Constitutions camerounaises qui disposent que "la
souveraineté nationale appartient au peuple camerounais..." Il
résulte de là que, conformément à l'idéal
démocratique, le souverain et par corollaire le pouvoir
constituant c'est le peuple camerounais. Il n'apparaît pas
pourtant au regard du droit constitutionnel
camerounais que le peuple soit la "sanction obligatoire de la Constitution." On
pourrait plutôt noter une prégnance de la notion de
"représentation" corollaire de la souveraineté nationale dans
l'identification de celui qui décide de "l'exception". Certes le peuple
est souverain, mais l'exercice de cette souveraineté se fait par
"l'intermédiaire (...) des membres du Parlement... "(15) II s'ensuit une
différenciation entre le détenteur de la souveraineté et
celui qui l'exerce effectivement.
Cependant la distinction pouvoir constituant originaire -
pouvoir constituant dérivé n'est pas à proprement parler
une identification entre celui qui exerce la souveraineté et celui qui
en est le détenteur. Car le recours au peuple est prévu par les
Constitutions camerounaises comme mode de ratification d'une loi de
révision. Cette distinction à de fortes incidences sur le pouvoir
de modification de la norme suprême.
II- LES INCIDENCES DE LA
DISTINCTION
L'idée est sans doute que la norme fondamentale ne doit
pas être "touchée" par n'importe qui. Celle-ci est le domaine
réservé du pouvoir constituant. Dans la mise en oeuvre de cette
proposition, on aboutira au refus du pouvoir constituant aux pouvoirs
constitués (A). En même temps les nécessités de la
stabilité du pacte social conduiront le "pouvoir d'improvisation des
Constitutions" à instituer des garde-fous à l'exercice du pouvoir
de révision (B) car, faut-il le rappeler, la stabilité de la
Constitution participe de sa suprématie.
A) Le refus du pouvoir constituant aux pouvoirs
constitués
L'exclusivité du souverain en matière
constitutionnelle est loin d'être une simple affirmation
de principe. En tenant compte à la fois de la qualité du peuple,
détenteur exclusif de la souveraineté et des implications de la
théorie de la souveraineté nationale, on peut
véritablement prescrire que seul le constituant traite de la
matière constitutionnelle. Il en
15 Article 2 alinéa 1° Constitution du 18 janvier
1996
résulte un refus du pouvoir constituant aux pouvoirs
constitués. Pas très marqué dans les
précédentes constitutions camerounaises, ce refus se manifeste
désormais par la distinction entre Parlement-législateur et
Parlement-constituant (1), et par l'indispensable reconstitution de la
souveraineté dans la procédure de révision (2).
1- La distinction Parlement-législateur -
Parlement-constituant
Le Parlement dans son rôle de législateur est
limité, car la Constitution énumère les matières
qui ressortissent de sa compétence. De plus, le vote des lois est fait
par les deux chambres prises séparément. Il n'en est pas de
même du Parlement lorsqu'il joue le rôle de constituant. Il
faudrait noter qu'en la matière il s'agit d'un organe peut être
pas indépendant mais tout au moins différent de celui qui adopte
les lois "ordinaires". Le droit constitutionnel attribue à cette
instance le nom de "congrès".
2- La reconstitution de la souveraineté pour la
révision de la Constitution
Le refus du pouvoir constituant aux pouvoirs constitués
signifie l'interdiction de confier "entièrement" le pouvoir de
réviser la norme suprême à l'un des organes de l'Etat. D
n'interdit pas, comme le précise Georges Burdeau, "de leur attribuer un
rôle dans la procédure de révision. "(16) Le droit
constitutionnel camerounais consacre l'idée selon laquelle la
révision de la constitution passe par la reconstitution de la
souveraineté (17), "partagée" entre les différentes
autorités de l'Etat. Ainsi, le Président de la République
intervient en amont pour l'initiative de la révision et en aval pour la
promulgation de la loi constitutionnelle. Entre ces deux moments, il y a le
Congrès constitué des représentants du peuple qui
procède au vote du texte. La révision de la Constitution est donc
de la compétence du souverain.
Cette entreprise de modification fait toutefois l'objet de
beaucoup de controverse relativement à la conditionnalité du
pouvoir mis en oeuvre.
B) La conditionnalité du pouvoir de
révision
Indépendamment de toute autre considération, la
simple lecture des Constitutions camerounaises laisse entendre qu'il existe des
contraintes à l'exercice du pouvoir constituant dérivé. La
doctrine demeure cependant divisée sur la valeur de ces contraintes.
Mais il serait intéressant d'identifier ces limites qui sont à la
fois formelles (1) et matérielles (2)
16 Georges Burdeau et al. Droit constitutionnel, op
cit. p 40
17 L'idée est que le souverain étant seul
constituant et la souveraineté étant indivisible, il faut que
chaque autorité de l'Etat qui détient une parcelle de cette
souveraineté intervienne dans la procédure de révision
afin que la loi constitutionnelle soit l'expression d'une action conjointe du
représentant de la nation et des représentants du peuple.
1- Les limitations de forme
Elles résultent de ce qu'il est prévu dans la
Constitution la procédure qui doit être suivie pour sa
modification. Le pouvoir de révision apparaît ainsi comme un
pouvoir déterminé dans sa procédure. Contrairement
à lui, le pouvoir constituant originaire se présente comme un
"phénomène métajuridique". Il est, selon l'expression de
Maurice Kamto, un "pur fait", "a-juridique". Disons simplement que le pouvoir
constituant originaire est un pouvoir qui se manifeste comme il veut.
D'ailleurs et suivant en cela la thèse de la conditionnante du
constituant institué défendue notamment par M. Kamto, "le pouvoir
constituant est un pouvoir initial, autonome et inconditionné", mais il
"est tenu par les conditions qu'il a lui-même fixées"(18)
lorsqu'il s'agit de modifier la Constitution. Mais ces limites ne valent
qu'autant qu'elles peuvent être sanctionnées par le juge
constitutionnel. En l'état actuel de notre droit constitutionnel, il ne
nous est pas possible de faire une appréciation objective. La position
actuelle du juge constitutionnel français va dans le sens de
l'incompétence en la matière.
2- Les interdictions de fond à la
révision
Certaines dispositions de la loi fondamentale sont soustraites
en principe au pouvoir du constituant institué. Ce dernier ne peut
porter atteinte à "la forme républicaine, à l'unité
et à l'intégrité territoriale de l'Etat et aux principes
démocratiques qui régissent la République."(19) La valeur
de cette interdiction est contestée en droit et en fait. Certains
auteurs font en effet valoir qu'elles sont "peu démocratiques", car
aboutissant à faire prévaloir "l'opinion du constituant d'il y a
peut être des décennies sur l'opinion éventuellement
contraire du peuple d'aujourd'hui." De plus insiste D.G. Lavroff, le
constituant "n'est pas tenu pour l'éternité, puisqu'il a toujours
la possibilité d'abroger ces limites pour retrouver la totalité
de sa libre détermination. "(20) Le Conseil constitutionnel a
consacré la souveraineté du pouvoir de révision en
considérant qu'il peut "tout faire"(21), freinant ainsi l'ardeur des
défenseurs d'une certaine idée de supra constitutionnalité
(22), doctrine qui postule l'existence de règles supérieures au
constituant et qui s'imposent à lui.
18 D.G. Lavroff, Droit constitutionnel de la Vè
République, op cit.
19 Cette interdiction de fond au pouvoir de révision
qui figurait déjà dans le texte de 1960, disparaît de la
Constitution de 1961 pour resurgir dans la Constitution du 02
juin 1972. Elle est reprise par l'article 64 de la Constitution du 18 janvier
1996.
20 D.G. Lavroff, op cit.
21 CC n° 03^69 DC, 26 mars 2003, organisation
décentralisée de la République
22 La question de la supraconstitutionnalité
paraît remettre en question la souveraineté du pouvoir constituant
et donc la suprématie de la Constitution. Pour ses défenseurs, il
existerait "un ensemble de règles de droit positif d'un rang plus
élevé que la Constitution, dont le contenu s'imposerait au
constituant et dont une autorité pourrait assurer le respect". Il est
d'abord apparu que ses règles étaient contenues dans les
limitations au pouvoir de revision, et le juge constitutionnel français
a posé que l'exercice du pouvoir de révision n'était pas
sans réserve. Mais alors que l'on s'attendait à ce qu'il se
reconnaisse compétent le cas échéant pour contrôler
le respect de ces limites, il a estimé dans une décision du 26
mars 2003 que le pouvoir de révision est souverain au même titre
que le constituant originaire. Au demeurant "rien n'empêche, argue le Pr.
Louis Favoreu, qu'il y ait des normes supérieures à la
Constitution, pour autant qu'elles ne fassent pas partie du système
juridique en question". Et même la tentative de voir en ces normes supra
constitutionnelles les droits fondamentaux se heurte en droit au
Préambule de la Constitution qui reconnaît aux dits droits et aux
textes qui les posent la valeur constitutionnelle, qui est en soi la plus haute
valeur qu'on puisse conférer à une règle en droit
interne.
La théorie générale reprise par le droit
constitutionnel camerounais consacre donc la dualité du pouvoir
constituant. Avec une sorte de division entre le peuple et ses
représentants relativement au constituant originaire et au constituant
dérivé. Toutefois, cette distinction et les conséquences
qui s'y rattachent ne résistent pas à une unicité pratique
se traduisant déjà par l'utilisation de l'expression "pouvoir
constituant" pour qualifier tant l'auteur de l'élaboration que celui de
la révision.
PARAGRAPHE II : UNE UNICITE SUR LE PLAN DE LA PRATIQUE
CONSTITUTIONNELLE
Si la théorie constitutionnelle envisage une
dualité du pouvoir constituant, celle-ci ne produit pratiquement pas
d'effet. Toute tentative dans ce sens se heurte aujourd'hui à un
obstacle pratiquement impossible à surmonter : la souveraineté du
pouvoir constituant. L'unicité du pouvoir constituant se décline
ainsi comme le corollaire du caractère indivisible de la
souveraineté. La thèse de la conditionnalité du pouvoir de
révision perd sous ce rapport toute consistance, face à un
pouvoir constituant qui "peut tout faire", et un juge constitutionnel qui
affirme que "il n'y a pas de juge de la souveraineté nationale." D'un
autre côté, les partisans de la thèse de la
possibilité de réviser totalement la Constitution dont Magloire
Ondoa y trouvent un véritable soutien. Ce n'est en tout cas pas le droit
constitutionnel camerounais qui le démentirait, tant il est vrai que si
la distinction constituant originaire - constituant institué existe, il
ne s'agit en fait que des modes d'expression du souverain (I), car il est
aisé de remarquer que la révision de la constitution est de la
compétence du pouvoir constituant originaire (II).
I- CONSTITUANT ORIGINAIRE ET CONSTITUANT DERIVE:
DEUX MODES D'EXPRESSION DU SOUVERAIN
L'unicité du pouvoir constituant ne peut être
valablement contestée, sauf à remettre en cause
l'indivisibilité de la souveraineté. L'attachement affirmé
et proclamé aux valeurs démocratiques par les différentes
normes fondamentales camerounaises conforte l'idée que "la
L'idée de supra constitutionnalité se heurte
surtout, devant l'incompétence du juge constitutionnel à
contrôler les lois constitutionnelles, au problème de la sanction
des dites règles. Car si elles s'imposent au Constituant, non seulement
celui-ci n'est pas souverain, mais cette imposition doit nécessairement
être garantie par une sanction et donc un juge du souverain. Le juge
français s'y est refusé, prenant ainsi une position
différente de celles des juges allemands et italiens qui, par leur
jurisprudence, ont donné forme et consistance à la distinction
schmittienne entre la Constitution qui est formée de principes
politiques fondamentaux et intangibles de l'Etat, et les lois
constitutionnelles qui ne sont que "les règles techniques relatives
à l'organisation des pouvoirs publics, à leurs compétences
et à leurs rapports mutuels". Il en résulte un contrôle
juridictionnel des lois constitutionnelles par le juge constitutionnel. Sur la
supra constitutionnalité, lire :
J.P Camby, "Supra constitutionnalité : la fin d'un
mythe", in RDP, n° 1,2003, pp 672 et SS. D. Maillard Desgrées Du
Loû, "Le pouvoir constituant dérivé reste souverain", in
RDP, n° 3,2003, pp 727 et SS.
communauté politique forme une société
immortelle." Pour cette raison, la souveraineté nationale appartiendra
tout naturellement au peuple. Et comme le souligne Carré de Malberg, "si
la Nation est souveraine, il n'y a qu'une volonté"(23) Celle-ci
s'exprime différemment selon qu'il s'agit de créer l'Etat ou de
procéder à quelques modifications indispensables du pacte
fondamental. Aussi l'unicité du peuple (A) conduira à la
construction de l'indivisibilité de la souveraineté (B).
A) Le principe de l'unicité pratique du peuple
La division du peuple ne saurait être que
théorique, dans le but de donner une certaine effectivité
à la distinction pouvoir constituant originaire - pouvoir constituant
dérivé. Mais au regard de l'évolution du droit
constitutionnel moderne, cette distinction est illusoire, car on ne peut
véritablement pas distinguer le peuple "entre générations
anciennes, présentes et futures." Le peuple de 1960 ne peut être
supérieur au peuple de 1996 ; il s'agit du même
peuple camerounais. L'unicité se justifie ainsi par une
ineffectivité constatée de la dualité organique du peuple
(1), et la confusion entre les titulaires du pouvoir constituant (2).
1- L'ineffectivité de la dualité
organique du peuple
Admettre la dualité organique du peuple c'est
reconnaître que "si le peuple est souverain (...) lorsqu'il intervient
comme pouvoir constituant originaire, il est en revanche soumis au droit
positif, donc à la Constitution, lorsqu'il agit en tant que pouvoir
constitué. "(24) Or tant les auteurs que la jurisprudence confirment que
l'acte de votation du peuple, à quelque moment qu'il intervienne, est la
manifestation d'un pouvoir suprême. L'impossibilité de diviser le
peuple sape donc le fondement de la dualité du pouvoir constituant et
explique, suivant en cela Thomas Meindl, que la formule "pouvoir constituant"
sans autre qualificatif soit utilisée pour identifier aussi bien le
pouvoir d'élaboration que celui de révision de la constitution.
Dans le respect de cette unicité du peuple, on peut comprendre que le
Président Paul Biya présente l'Assemblée nationale lors de
la procédure constituante de 1996 comme les "représentants
souverains du peuple"(25). Comme l'explique si bien Carré de
23 Carré de Malberg, cité par Dictionnaire
constitutionnel, p 753.
24 Th. Meindi, " Le Conseil constitutionnel aurait pu se
reconnaître compétent", in RDP n° 3, 2003, pp 743 et SS.
25 Cette confusion est relevée par le Pr. Luc
Sindjoun, car s'agissant de l'écriture d'une nouvelle Constitution, il
est conforme à la théorie démocratique que le nouveau
texte soit ratifié par le peuple. Certes une assemblée
constituante souveraine peut rédiger et adopter le texte, mais cette
assemblée doit être élue par le peuple. En l'espèce,
l'Assemblée nationale n'était composée que des
représentants "ordinaires" du peuple et par conséquent,
incompétente pour procéder à l'adoption de la Constitution
du 18 janvier 1996. Pour une grande partie de la doctrine camerounaise et
conformément à la science constitutionnelle, l'Assemblée
nationale n'est pas souveraine car aucune disposition de la Constitution de
1972 ne lui reconnaissait le pouvoir de se substituer au peuple dans
l'élaboration d'une nouvelle loi fondamentale. Pour une vue
complète sur la question lire M. Ondoa, "La Constitution duale :
recherches sur les dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun",
in Revue africaine de science juridique, vol 1 n° 2, 2000, pp 20 et SS ;
L. Donfack Sokeng, "Les ambiguïtés de la révision
constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun", in S. Méloné,
A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.) La réforme constitutionnelle du
18 janvier 1996 au Cameroun, Aspects juridiques et politiques,
Yaoundé, Friedrich EBERT 1996, ppl6etSS;
Malberg parlant des implications de la souveraineté
nationale, "la volonté de la nation est identique à celle de ceux
qui sont habilités à parler en son nom." D'ailleurs que
l'élaboration d'une constitution par la seule assemblée
constituante est admise en droit constitutionnel comme un mode
démocratique. Mais dans le cas où la nouvelle Constitution serait
élaborée par le pouvoir de révision comme cela a
été le cas de la Constitution du 1er septembre 1961,
"il est logique et conforme à la théorie démocratique que
le nouveau texte soit adopté par le peuple."
2- La confusion entre titulaires du pouvoir
constituant
Elle est consacrée par la Constitution qui dispose que
"la souveraineté nationale appartient au peuple camerounais qui l'exerce
soit par l'intermédiaire (...) des membres du Parlement, soit par voie
de référendum". Cette confusion ne conteste cependant pas que "le
principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la
Nation..." On y verrait plutôt une concurrence dans l'exercice de la
souveraineté en matière constitutionnelle. Il faut en effet
relever que le Parlement n'est pas souverain lorsqu'il exerce sa fonction
législative (26), alors que la jurisprudence du Conseil constitutionnel
français consacre le principe de l'incompétence en matière
d'adoption de la loi par la voie du référendum. Noiens
volens, la confusion entre titulaires du pouvoir constituant conduit
inévitablement à reconnaître aux membres du Parlement la
qualité de "représentants souverains" en matière de
révision constitutionnelle.
La dualité du pouvoir constituant ne peut être
utilement posée sans remettre en cause le principe de l'unité
pratique du peuple. Cette dualité ne pouvait véritablement pas
recevoir une application concrète au regard de l'indivisibilité
de la souveraineté.
B) L'indivisibilité de la souveraineté
La souveraineté appartient au peuple. Il s'ensuit que
toute division du peuple entraîne une division de la souveraineté.
Cela est purement contradictoire. Aussi l'indivisibilité de la
souveraineté implique-t-elle que le Parlement ne soit
que le représentant du peuple (1) excluant ainsi toute
distinction entre la volonté du peuple et la sienne (2).
26 Le Parlement n'est pas souverain lorsqu'il exerce la
fonction législative. A l'appui de cette thèse, l'existence d'un
contrôle de constitutionnalité des lois. L'idée selon
laquelle la loi est l'expression de la volonté générale a
été reconsidérée en France notamment par ce que
certains auteurs n'ont pas hésité à qualifier de "seconde
révolution". Il s'agit de la Constitution du 4 octobre 1958 qui consacre
un Conseil constitutionnel garant du respect de la primauté de la
Constitution. Mais si le Parlement en tant que législateur n'est pas
= souverain, il n'en est pas de même lorsqu'il agit en tant
que pouvoir constituant. La jurisprudence constitutionnelle française
est pour la souveraineté. La souveraineté en matière
législative revient au peuple car le Conseil constitutionnel affirme
également son incompétence pour connaître d'une loi
adoptée par référendum. Il s'agit là d'un refus qui
pourrait contribuer davantage à politiser le recours au peuple.
1- la qualité de "représentant" des
membres du Parlement
Le Parlement a cette particularité d'être
composé de représentants du souverain. Alors que le
Président de la République est présenté comme le
"chef de l'Etat", le député dans l'exercice de son mandat
"représente l'ensemble de la Nation". La qualité de
représentant des membres du Parlement respecte ainsi le caractère
inaliénable et imprescriptible de la souveraineté. Celle-ci
demeure la propriété du peuple qui ne s'en trouve pas
dépossédé du fait de la délégation.
L'autorité de la norme constitutionnelle semble donc sauvegardée
par ce principe, car à quelque niveau que ce soit, la matière
constitutionnelle relèvera de la compétence exclusive du
souverain.
2- L'identité de la volonté du peuple et
de ses représentants
Le système de la représentation ne signifie pas
nécessairement une confusion entre la volonté du souverain et
celle de ses représentants. En fait le peuple s'engage par avance
à faire sienne les décisions que prendra le Parlement dans
l'exercice de ses attributions(27). Bien entendu et comme nous l'avons vu plus
haut, ce principe est absolu pour ce qui est de la fonction constituante du
Parlement. En attendant la position du juge constitutionnel camerounais sur la
question, force est de reconnaître que le refus du juge constitutionnel
français de contrôler les lois constitutionnelles étaye
cette thèse.
L'exclusivité du souverain en matière
constitutionnelle postule alors que tant l'élaboration que
la modification de la norme fondamentale soient effectuées par
le pouvoir constituant. Surtout que le pouvoir de
révision est le souverain.
II- LA COMPETENCE DU CONSTITUANT
ORIGINAIRE EN MATIERE DE REVISION CONSTITUTIONNELLE
La révision de la Constitution est l'occasion de la
mise en oeuvre d'un pouvoir constituant dérivé ou
institué. Or qui dit institution dit forcément limitation.
L'idée défendue notamment par M. Kamto est que le pouvoir de
révision n'est pas un pouvoir souverain. Pourtant et au regard notamment
de la jurisprudence française et des expériences camerounaises de
1961 et 1996, on peut réellement affirmer que le pouvoir constituant
institué est un pouvoir souverain (A). La conséquence est la
valeur suprême de la loi constitutionnelle (B)
27 La démocratie telle qu'elle est vécue
aujourd'hui est bien loi de la pensée de Carré de Malberg pour
qui "ce n'est pas la volonté du peuple qui détermine celle des
représentants, c'est au contraire le peuple qui fait siennes par avance
les volontés que ses représentants viendront à
énoncer". L'avènement de la justice constitutionnelle introduit
un rapport nouveau : la démocratie directe au sein de la
démocratie représentative. Désormais il faudra distinguer
entre les volontés des représentants ce qui est conforme à
la volonté du peuple et ce qui ne l'est pas. C'est à proprement
parler un renversement de la pensée de la pensée du
théoricien français. Pour des développements plus
importants, voir G. Burdeau et alii. Droit constitutionnel, op cit. pp
160 et SS.
A) La souveraineté du pouvoir de
révision
"La souveraineté nationale ne peut se donner aucune
chaîne (...) il est de son essence de pouvoir ce qu'elle voudra et de la
manière dont elle le voudra"(28). Cette proposition épuise la
thèse de la souveraineté du pouvoir de révision qui est le
souverain. Il est sous ce rapport un pouvoir inconditionné (1). Plus
encore avec la thèse de la "révision de la révision"(29)
développée par Léon Duguit, l'on admet que le pouvoir
constituant institué puisse réviser toute la Constitution (2).
1- Un pouvoir inconditionné
Il peut "tout faire" ; c'est en ces termes que le juge
constitutionnel français consacre la souveraineté du pouvoir de
révision, qu'il soit exercé par le peuple ou ses
représentants. En déclarant que "le pouvoir constituant est
souverain: qu'il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter
les dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime
approprié"(30), le juge constitutionnel français admet qu'il n'y
a certes pas de "supra constitutionnalité", mais que le souverain est
au-dessus de la Constitution. Face à cette inconditionnalité, les
barrières posées par les pères de la constitution
initiale, tant dans la forme que dans le fond s'effondrent. Nous devons
toutefois tempérer nos propos car la valeur de ces limites dépend
de la compétence ou non du juge à garantir leur respect. Peut
être le juge constitutionnel camerounais s'inspirera-t-il de la
décision de son homologue français qui a le mérite de
respecter la souveraineté sans laquelle il serait impossible de traiter
la norme constitutionnelle comme une règle supérieure.
2- La possibilité de la révision totale
de la constitution
C'est une thèse défendue notamment par M. Ondoa.
Déjà que sous le strict respect de son appellation, la
Constitution actuelle est issue d'une révision totale de la constitution
du 02 juin 1972. Le risque est pourtant grand, et M. Kamto le relève
fort à propos, que la révision totale de la Constitution
aboutisse à l'écriture d'une nouvelle Constitution; que "changer
la constitution revient à changer de Constitution'^ 1). Il n'en demeure
pas moins qu'en
28 Frochot devant l'assemblée constituante le 03
septembre 1791, cité par D.G. Lavroff, Droit constitutionnel de la
Vè République, op cit.
29 Pour le maître de l'école de Bordeaux, la
révision des dispositions constitutionnelles est possible par
application de la "révision de la révision". Dans un premier
temps, l'on procède à une révision pour éliminer
l'interdiction de réviser. Cet obstacle étant enlevé, la
révision est alors possible. Cette thèse concevable
théoriquement se heurte à des commodités pratiques, car
elle exige une double procédure. Mais la mise en application de cette
théorie aboutirait à l'élaboration d'une nouvelle
Constitution par la procédure de révision. En effet, le pouvoir
de révision est certes souverain, mais il ne peut élaborer une
nouvelle Constitution; or changer la forme républicaine pourrait aboutir
à changer l'Etat puisque tous les Etats ne sont pas Républicains.
Aussi cette théorie ne réalise pas vraiment une adhésion
de la doctrine, surtout que la reconnaissance de la souveraineté du
pouvoir de révision lui fait perdre tout intérêt
théorique.
30 DC, 26 mars 2003
31 L'expression est empruntée à D. Rousseau,
Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, Paris, 6*°"
éd. 2001, p 214.
admettant que la modification de la Constitution ressortit de
la compétence du constituant originaire, l'on pose que cette
modification puisse intéresser toutes les dispositions de la loi
fondamentale. Certes cela peut aboutir à une "fraude à la
Constitution"(32), mais ce serait proprement renier l'unicité du peuple
que de postuler que le pouvoir constituant institué soit
conditionné. De la souveraineté du pouvoir de révision, il
résulte une valeur supérieure de la loi constitutionnelle.
B) La valeur de la loi constitutionnelle
Le droit constitutionnel allemand et le droit constitutionnel
italien notamment opère une distinction entre la constitution et les
lois constitutionnelles, avec comme conséquence le contrôle par le
juge constitutionnel ces dernières (33). La loi constitutionnelle, c'est
à dire celle portant révision de la Constitution, a de ce fait
une valeur inférieure à la Constitution. Il n'en est pas de
même en droit français. La valeur suprême de la loi
constitutionnelle est établie (1). En droit constitutionnel camerounais
l'exemple de la "loi constitutionnelle" du 18 janvier 1996 ne permet pas
d'avoir une conviction totale (2).
1- Une valeur suprême en droit constitutionnel
français
La loi constitutionnelle a une valeur constitutionnelle en
droit français. Longtemps hésitante (34), la jurisprudence
constitutionnelle l'a finalement consacrée dans une décision du
26 mars 2003. Le juge français après avoir posé que
l'exercice du pouvoir constituant dérivé n'était pas sans
réserve, s'est finalement déclaré incompétent pour
apprécier la constitutionnalité d'une loi portant révision
de la Constitution, et cela quel que soit son auteur.
2- Une détermination difficile en droit
constitutionnel camerounais
Cette difficulté réside tout d'abord sur la
promulgation de la "loi constitutionnelle" du 18 janvier 1996, alors que le
Président de la République pouvait contester ses dispositions. En
effet la constitution de 1972 dont la loi de 1996 n'était que la
"révision" prévoyait un contrôle de
constitutionnalité des lois à la diligence du Président de
la République. En promulguant le
32 L'expression est de Liet-Veaux. La fraude signifie qu'une
nouvelle Constitution serait établie par la procédure de
révision. Lire sur la question M. Kamto, "Dynamique constitutionnelle du
Cameroun indépendant" RJA, 1995; F. Mbome "Constitution du 02 juin 1972
révisée ou nouvelle Constitution" , in S. Méloné,
A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.) La reforme constitutionnelle du
Î8 janvier 1996 au Cameroun, aspects juridiques et politiques, op
cit. pp 16 et SS.
33 La Cour constitutionnelle italienne a affirmé dans
un arrêt n° 1146 du 15/12/1988 que "la Constitution italienne
comprend quelques principes suprêmes qui ne peuvent être
renversés ou modifiés dans leur contenu essentiel même pas
par une loi de révision constitutionnelle ou par d'autres lois
constitutionnelles" .Grandes décisions du Conseil
constitutionnel, p 821.
34 Le Conseil constitutionnel dans une décision
précédente Maastricht III s'était déclaré
incompétent pour contrôler la conformité d'une loi
constitutionnelle adoptée par le peuple, laissant ainsi entendre
implicitement qu'il contrôlerait celle qui serait adoptée par le
Congrès puisque ayant déjà posé que l'exercice du
pouvoir de revision n'était pas sans réserve. Mais depuis le 26
mars 2003, le juge constitutionnel a définitivement assis sa
jurisprudence en la matière: il n'y a pas de distinction entre le
pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant institué.
texte de 1996, le Président admet soit la
constitutionnalité des dispositions, soit l'impossibilité de
faire procéder à un contrôle des lois constitutionnelles.
L'autre difficulté réside sur le défaut d'une position
explicite du juge constitutionnel sur la question, puisque la justice
constitutionnelle est encore à ses balbutiements. Nous pensons
humblement au regard de la souveraineté du pouvoir constituant, que la
loi constitutionnelle devrait bénéficier d'une immunité
juridictionnelle.
La dualité du pouvoir constituant est acceptable du
moment qu'est préservée l'exclusivité du souverain dans
l'élaboration ou la révision du pouvoir constituant. C'est
surtout la confusion qu'il y a au niveau des titulaires qui introduit une
incidence fâcheuse dans la construction de la suprématie
constitutionnelle.
SECTION 2: L'INSTABILITE DE LA REGLE CONSTITUTIONNELLE SOUS
L'EFFET DE LA VARIATION DU POUVOIR CONSTITUANT
La norme constitutionnelle doit être stable. Elle ne
doit pas pouvoir être modifiable facilement, au gré des
majorités et des caprices des pouvoirs institués. Aussi
était-il nécessaire d'élever le référendum
constituant au rang de "sanction obligatoire de la Constitution." Mais cette
possibilité se heurte à des difficultés d'ordre pratique,
car il n'est pas vraiment aisé pour un pays comme le nôtre,
confronté à de sérieuses difficultés
économiques, d'organiser une consultation populaire chaque fois qu'il
faille modifier la règle suprême. L'exercice concurrent de la
souveraineté par le peuple et ses représentants aura donc pour
effet de rendre la norme constitutionnelle instable. Elle apparaît ainsi
à la fois comme une norme modifiable par les pouvoirs constitués
(paragraphe 1) et surtout modifiable sans l'intervention du peuple souverain
(paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1: UNE NORME MODIFIABLE PAR LES POUVOIRS
CONSTITUES
L'exclusivité du pouvoir constituant en matière
constitutionnelle induit que les pouvoirs institués, c'est à dire
les organes de l'Etat ne puissent modifier la constitution. Cette interdiction
est la garantie de la stabilité et de la longévité du
pacte commun. On ne peut pourtant pas affirmer que ce principe est
affirmé en droit constitutionnel camerounais. L'analyse des
révisions constitutionnelles, surtout celles qui ont été
faites entre 1983 et 1996, rend compte d'une stabilité qui dépend
de la conjoncture politique (I) rendant problématique la
viabilité de la Constitution (II).
I- UNE STABILITE DEPENDANTE DE LA CONJONCTURE
POLITIQUE
La Constitution doit être garantie dans sa
stabilité. Cette garantie aurait pu résider dans une totale
exclusion des pouvoirs constitués du champ de la Constitution. Mais des
commodités pratiques ont justifié que des rôles leur soient
attribués dans la procédure constituante. Les incidences sont
néfastes, car la stabilité de la Constitution est
désormais soumise aux aléas des variations de la
température politique. Illustratrices sont à ce sujet les
révisions constitutionnelles du 18 novembre 1983 et du 17 mars 1988(35).
Le moins qu'on puisse dire est qu'elles induisent une destination
idéologique de la Constitution (A) en même temps qu'elles en font
un objet de propagande (B).
A) La destination idéologique de la
Constitution
La valeur suprême de la Constitution est fortement
contestée par l'objectif qui précède à sa
rédaction ou à sa révision. Elle se présente
d'abord comme un texte au service d'une idéologie. Il ne s'agit donc pas
d'un "pacte social", mais la mise en oeuvre d'une politique. Aussi M. Kamto
affirme-t-il que le fédéralisme institué par la
Constitution de 1961 n'était pour le président Ahidjo qu'une
"transition". Cet indice est révélateur de ce qu'avant 1996, la
loi fondamentale est au service de "l'idéologie de la construction
nationale" qui prône la primauté de l'Etat (1) et la
subsidiarité du droit (2).
1- La primauté de l'Etat
Les révisions constitutionnelles sont guidées
par une seule volonté: consolider le pouvoir entre les mains de son
détenteur. Ces révisions sont adoptées par une
Assemblée nationale alors "chambre d'enregistrement" des
desirata du Président de la République. La distribution
des compétences est faite de telle sorte que l'Exécutif
apparaît comme le pouvoir -^ et les autres organes de l'Etat de simples
contre-pouvoirs, voire des pouvoirs subordonnés. Telle se
présente la constitution du 2 juin 1972 qui institue, selon l'expression
de M. Kamto "un régime de monocentrisme présidentiel". Il
faudrait aussi relever la révision du 4 février 1984 qui supprime
le poste de Premier Ministre et celle du 23 avril 1991 qui le rétablie,
pour avoir la mesure d'une quête obnubilée d'un Etat fort et donc
d'un Président tout-puissant.
35 Voir M. Kamto, "Dynamique constitutionnelle du Cameroun
indépendant", op cit.
2- Le caractère accessoire du Droit
La Constitution porte la marque de la primauté de
l'Etat, n'étant consacrée généralement qu'à
l'organisation du pouvoir politique. Aucune garantie n'est prévue pour
que cette organisation acquière une certaine stabilité, car tout
changement politique est susceptible d'entraîner une modification de la
Constitution. Celle-ci n'est plus "un corps de règles obligatoires"(36),
car le Droit est sous l'autorité de celui qui peut décider
à tout moment de l'exception. L'idéologie de la construction
nationale contribue à relativiser la force juridique de la règle
de droit suprême qui exprime moins une idée de droit qu'une vision
du pouvoir du chef de l'Etat (37).
La destination idéologique de la Constitution
cédera la place en 1996 à un droit constitutionnel de politique
internationale dans les circonstances de son élaboration.
B) Un objet de propagande
La Constitution est censée être une vision de
société idéale, et non le résultat de pressions
extérieures. L'autonomie constitutionnelle est en effet un principe
consacré en droit. La CIJ précise à ce sujet que "chaque
Etat possède le droit fondamental de choisir et de mettre en oeuvre
comme il l'entend son système politique, économique et social.
"(38) Pourtant les difficultés économiques ont contraint le
Cameroun comme plusieurs autres pays africains à élaborer une
Constitution répondant aux exigences des bailleurs de fonds. Ce
maquillage constitutionnel aboutit à faire exister une Constitution
réelle à côté d'une Constitution théorique
(1); cette dernière n'étant plus qu'une simple façade
(2).
1- La permanence*d'une constitution réelle
à côté d'une constitution théorique
Jean Gicquel définissait la
Constitution comme "l'encadrement juridique des phénomènes
politiques"(39). Si la constitution in-forme effectivement le Droit
camerounais, il reste que la politique se laisse difficilement encadrer par les
normes. Ce que Georges Vedel
36 L'abbé Siéyes, cité par M. Ondoa, "La
distinction entre Constitution souple et Constitution rigide en droit
constitutionnel français" in Annales de la faculté des
sciences juridiques et politiques. Université de Douala, n° 1
année 2002, pp 66 et SS.
37 L'idéologie de la construction nationale qui prend
racine au Cameroun dés la proclamation de l'indépendance repose
sur un postulat simple: le pain avant la liberté. Cette idée
irrigue le dispositif constitutionnel au point où "tout ce dit et se
fait prétend l'être au nom du progrès" Sous ce rapport, "le
droit apparaît comme un instrument de construction de l'unité
nationale", "un instrument de politique du développement" qui
conditionne les structures de l'Etat à la recherche des solutions au
développement. L'idéologie se caractérise ainsi par la
"mobilisation de l'ensemble du potentiel national en vue de la
réalisation d'une part de l'unité nationale, d'autre part du
développement national" Cène synthèse repose sur les
travaux d'éminents professeurs, et notamment M. Kamto qui pose les
grands développements de cette idéologie dans sa thèse
Pouvoir et droit en Afrique. Essai sur les fondements du
constitutionnalisme dans les Etats d'Afrique noire
francophone, LGDJ, Paris, 1987; M. Ondoa "Le droit de la
responsabilité publique dans les Etats en
développement: contribution à l'étude de
l'originalité des droits africains", thèse de Doctorat d'Etat en
droit public
38 CU, arrêt sur l'affaire des activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua, 1986.
39 J. Gicquel, cité par I. Abiabag,
Cours de droit constitutionnel, année 1999-2000.
nommait "l'insoutenable autonomie du politique"(40) trouve ici
toute sa vigueur, tant il est vrai que tout est politisé. Le
résultat en est la permanence d'une Constitution réelle, fruit de
la pratique, à côté du texte. Certes une Constitution en
quelque lieu qu'on puisse se trouver c'est "un texte, un esprit et une
pratique"(41), mais la prééminence du texte doit
nécessairement avoir un impact sur les esprits et influencer la
pratique. Ce qu'on observe pour le moment, c'est une lenteur à donner
pleine effectivité à un texte qui a déjà plus de
huit ans d'existence, traduction de la "résistance" du pouvoir à
un ordre constitutionnel dont la particularité est de rompre avec les
traditions constitutionnelles camerounaises.
2- La loi fondamentale: une façade
politique
Elle a pour objectif de "contenter" les bailleurs de fonds par
la satisfaction de principes aux slogans de l'Etat de droit. Aussi Philippe
Ardant remarque-t-il que "beaucoup de Constitutions dans le tiers-monde ne sont
que des façades"(42). D'ailleurs on constate que la règle
fondamentale ne résiste pas bien souvent à l'ivresse du pouvoir
et au désir de son détenteur de le conserver le plus longtemps
possible. La loi fondamentale camerounaise n'a pas encore subi de modification
depuis son adoption. Ceci pourrait s'expliquer par le fait que non seulement
elle n'est pas encore "totalement" en vigueur", mais aussi que celui qui
décide de l'exception ne s'est pas encore retrouvée dans la
situation de "passation obligatoire" du pouvoir.
La stabilité de la loi fondamentale court un risque
énorme par la possibilité qu'on les pouvoirs constitués,
et principalement le Président de la République conforté
par une majorité parlementaire, de la réviser. Ces
considérations posent assurément une interrogation sur la
viabilité de la Constitution.
II- UNE NORME A LA VIABILITE
PROBLEMATIQUE
La longévité de la norme fondamentale est
difficile à réaliser dans les pays du tiers-monde. Lorsqu'elle
n'est tout simplement pas abrogée par le "nouvel homme fort", elle
est
40 G. Vedel, cité par D. Rousseau, Droit du
contentieux constitutionnel, op cit. p 456.
41 L'expression est du
Général de Gaulle lors d'une conférence de presse le 31
janvier 1964, cité par 0. Duhamel et Y. Mény,
Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992.
42 Ph. Ardant, Institutions politiques et droit
constitutionnel, LGDJ, Paris, 11*-- éd. 1999 p 54.
sans cesse remodelée au point de perdre son essence.
Alors que les Etats-Unis ont une Constitution qui a plus de deux siècles
d'existence et que la France connaît une Constitution depuis 1958, le
Cameroun a connu depuis 1960 quatre Constitutions et près d'une dizaine
de révisions constitutionnelles. C'est la conséquence de ce que
la Constitution, qui exprime en fait le pouvoir d'un homme (A) ne repose pas
sur un large consensus (B)
A) L'expression du pouvoir d'un homme
La loi fondamentale est généralement la
perception que le "chef a du pouvoir. Pour Laurent Gaba, cette perception a
pour conséquence "la perversion de l'ensemble des institutions
étatiques, à commencer par la loi fondamentale
elle-même."(43) La quête d'un pouvoir sans partage conduit à
la personnification du pouvoir (1); et la révision devient ainsi un
véritable instrument de la garantie de la prééminence du
pouvoir sur le droit (2).
1- La personnification du pouvoir
Véritable déviance des Républiques dites
"bananières", l'institutionnalisation de l'homme est substituée
à l'institutionnalisation du pouvoir. Sous ce prisme, la loi
fondamentale aménage le pouvoir de manière à ce que le
"chef soit tout-puissant. C'est ainsi que la constitution de 1972 institue
selon l'expression de M. Kamto un "présidentialisme absolutiste", tandis
que l'analyse de la loi fondamentale de 1996 fait dire à F. Eboussi
Boulaga que le pouvoir du chef de l'Etat est "un pouvoir absolu et
totémisé"(44). Il faut tout simplement en conclure que la
relation entre la constitution et le pouvoir repose sur "l'asservissement" de
la Constitution par la "sacralisation" du pouvoir. Heureusement qu'avec les
données nouvelles de l'Etat de droit, le pouvoir commence
véritablement a subir l'influence du Droit.
2- La récurrence des révisions pour
pérenniser le pouvoir
Après le coup d'Etat manqué d'avril 1984, une
série de réformes constitutionnelle va avoir lieu. Celles-ci
auront pour but à la fois de couper le "cordon ombilical" qui liait
alors le Président de la République à son
prédécesseur, de donner une légitimité populaire au
Président et de renforcer son pouvoir. La révision n'a donc plus
pour but d'adapter la loi fondamentale aux évolutions de la
société, mais de solidifier le pouvoir et le conserver.
43 L. Gaba, L'Etat de droit, la démocratie et le
développement économique en Afrique subsaharienne.
L'harmattan, 2000, p 78.
44 F. Eboussi Boulaga, cité par L. Donfack Sokeng,
"Les ambiguïtés de la révision constitutionnelle du 18
janvier 1996 au Cameroun", op CIL p 51.
Cette subordination aux "humeurs" du politique pourrait
être relativisée si la Constitution reposait au moins sur un large
consensus.
B) L'absence de consensus autour de la loi
fondamentale
La viabilité et la longévité de la
Constitution reposeraient en principe sur l'adhésion
générale autour des principes qu'elle pose. Mais il est de
tradition en droit constitutionnel camerounais que l'élaboration des
Constitutions ne procède pas d'un consensus. La rédaction
secrète de la Constitution de 1972 (1) et le rejet des résultats
de la Tripartite et du "large débat" (2) participent de cette tendance
à problématiser la viabilité de la loi fondamentale.
1- La rédaction secrète de la
Constitution du 2 juin 1972
La fédération semble n'avoir été
envisagée par le Président Ahidjo que comme une étape pour
la réunion des deux parties du Cameroun. L'avènement de cet Etat
unitaire et donc de la Constitution de 1972 sera "tenu secret jusqu'à la
dernière minute". La Constitution du 2 juin 1972 sera, semble-t-il
élaborée par un expert français sans que soit
associés l'UNC ou les instances constitutionnelles de l'Etat. Le texte
sera cependant soumis au référendum et adopté, sans pour
autant réaliser le consensus nécessaire
puisqu'il sera contesté par les anglophones (45).
2- Le rejet des propositions de la Tripartite et du
"large débat"
La procédure constituante de 1996 a engendré la
Tripartite et le "grand débat"(46), dont le but était de
connaître les voeux du peuple camerounais, pris dans ses
différentes composantes, sur te nouveau projet de société
qui allait engager le pays sur le sentier laborieux de la démocratie.
Mais les propositions issues de ces consultations populaires ont tout
simplement été rejetées par le dépôt sur le
bureau de l'Assemblée nationale du projet de loi n°590/PLJ/AN
portant révision de la Constitution du 2 juin 1972, texte
élaboré par un comité consultatif constitutionnel sur la
base des "propositions du Président de la République."
L'instabilité de la norme constitutionnelle vient aussi
de ce que sa modification peut se faire sans le recours au souverain
constituant qu'est le peuple.
45 Cf. infia
46 La Tripartite était une sorte
d'assemblée constituante qui devait conduire un processus
constitutionnel divisé en trois phases. Mais ses travaux furent
interrompus pour plusieurs raison, et une autre procédure allait
être relancée sous la direction et le contrôle du
Président de la République. Celle-ci comportait la participation
du peuple à l'élaboration du nouveau pacte commun par le fameux
"grand débat" ou "large débat". Pour des plus amples
développements, voir, F. Mbome, "Constitution du 2 juin
révisée ou nouvelle Constitution", in La reforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun, aspects juridiques et
politiques, op cit.
PARAGRAPHE 2: UNE NORME MODIFIABLE SANS
L'INTERVENTION DU PEUPLE SOUVERAIN CONSTITUANT
Nous relèverons ici la subsidiarité du
référendum dans la procédure constituante (I) et la
confiscation du pouvoir constituant par les pouvoirs constitués (II).
I- LA SUBSIDIARITÉ DU REFERENDUM DANS LA
PROCEDURE CONSTITUANTE
Le recours au peuple souverain constituant n'est pas
très usité en droit constitutionnel camerounais. Pour tout dire
le référendum est une procédure constituante subsidiaire.
Une subsidiarité consacrée par les textes (A) et
préjudiciable à la suprématie constitutionnelle (B).
A) Une subsidiarité consacrée par les
textes
Les différentes Constitutions camerounaises ont
toujours privilégié la voie parlementaire (1) pour la
révision de la Constitution. Et même lorsque le
référendum est envisagé, il reste une option à la
discrétion du Président de la République (2).
1- Le privilège accordé à la voie
parlementaire
Tant la Constitution du 4 mars 1960 que celle du
1er septembre 1961 avait consacré la voie parlementaire comme
moyen de révision. Ainsi l'article 49 alinéa 3 de la
première Constitution camerounaise disposait-il que "la révision
doit être votée à la majorité des deux tiers des
membres composant l'Assemblée." Cette disposition sera reprise par
toutes les suivantes, certes avec quelques nuances qui n'étaient
cependant pas de nature à remettre en question la primauté du
Parlement. Il ressort ainsi de l'article 63 alinéa 3 de la loi
fondamentale du 18 Janvier 1996 que "le Parlement se réunit en
Congrès lorsqu'il est appelé à se prononcer sur un projet
ou une proposition de révision de la Constitution (...) Le texte est
adopté à la majorité absolue des membres le
composant."(47) Que ce soit un projet ou une proposition, la voie parlementaire
apparaît comme le chemin privilégié par le constituant.
Cette solution est différente de la solution française qui marque
sa préférence pour le référendum (48).
2- L'option du référendum laissée
à la discrétion du Président de la
République
L'autorité de la norme aurait certainement gagné
en effectivité si le référendum avait été
élevé au rang de "sanction obligatoire de la Constitution". En
laissant l'option au Président
47 Article 63 alinéa 3 Constitution de 1996
48 II ressort de l'article 89 de la Constitution du 4
octobre 1958, qu'après que le texte soit adopté en termes
identiques par les deux chambres, "la révision est définitive
après avoir été approuvée par
référendum". L'alinéa 3 laisse clairement entendre que la
voie populaire est la voie "normale" et que le recours au Congrès n'est
que la voie secondaire.
de la République, la possibilité lui est
offerte de recourir au peuple pour contourner un refus du Parlement ou de
choisir la voie parlementaire pour éviter un désaveu populaire.
Le système français est appréciable, car le Parlement
intervient obligatoirement dans la procédure de révision. C'est
une sage précaution, tant il est vrai que "le peuple n'est pas toujours
le mieux éclairé", qui permet de dégager un large
consensus autour de la norme fondamentale.
Le constituant camerounais gagnerait à s'en inspirer,
car ce choix n'est pas sans conséquence sur la stabilité de la
norme constitutionnelle.
B) Une subsidiarité préjudiciable
à la stabilité constitutionnelle
Ce préjudice résulte de la pratique consistant
en l'exclusion du peuple de la procédure de révision (1)
désormais soumise aux caprices d'une majorité parlementaire
(2).
1- L'exclusion pratique du peuple de la
procédure de révision
Si l'on considère toutes les révisions
constitutionnelles, celles de 1961 et de 1996 incluses, on ne peut que se
rendre à l'évidence que le peuple est réduit à
jouer un rôle d'observateur dans la procédure de révision.
On pourrait même se demander si la Constitution de 1972 aurait
été adoptée par référendum si le
Président Ahidjo avait eu aussi la "profonde conviction" d'obtenir les
voix des députés anglophones siégeant à
l'Assemblée fédérale. La voie populaire
n'apparaissait-elle pas plus politique que juridique, tant il est vrai que "le
peuple n'a pas le droit d'amendement, il accepte ou rejette en bloc le texte".
Quoiqu'il en soit, le rejet implicite de la consultation populaire est
consacré par le recours permanent aux "représentants souverains
du peuple".
2- Une stabilité soumise aux "caprices" d'une
majorité parlementaire
La stabilité constitutionnelle ne dépendrait
plus alors que du bon vouloir du parti dominant. Ce schéma est
envisageable en l'état actuel de notre droit constitutionnel. Par le
fait des dispositions transitoires, l'Assemblée nationale exerce les
attributions du Parlement. Elle pourrait donc intenter avec succès une
révision constitutionnelle. D'ailleurs elle en a l'habitude, certes pas
sous l'ère du pluralisme mais l'opposition ne serait pas vraiment un
obstacle insurmontable devant la ferme volonté de bouleverser l'ordre
constitutionnel.
En consacrant la subsidiarité du
référendum, on remet ainsi l'entièreté du pouvoir
constituant aux pouvoirs constitués.
II- LA CONFISCATION DU POUVOIR CONSTITUANT PAR LES
POUVOIRS CONSTITUES
Les commodités pratiques de l'exercice du pouvoir
constituant ont conduit à attribuer des rôles aux pouvoirs
institués dans la procédure de révision. Mais il est
loisible de constater qu'ils ont confisqué ce pouvoir. Cela se traduit
par l'emprise présidentielle sur le processus constitutionnel (A) et la
pleine souveraineté des représentants du peuple (B).
A) L'emprise présidentielle sur le processus
constitutionnel
L'élaboration des Constitutions autant que les
révisions constitutionnelles révèlent une présence
hégémonique du président de la République. Cette
emprise s'explique par un pouvoir discrétionnaire et exclusif de
l'opportunité (1) et de la gravité (2) de toute initiative en
matière constitutionnelle.
1- Juge de l'opportunité de
l'élaboration et de la révision de la constitution
Nouvelles ou révisées, l'histoire des
Constitutions camerounaises est celle des projets et des visions du chef de
l'Etat (49). En effet, en mettant de côté la constitution de 1960
qui rentre dans la logique juridique de la naissance d'un nouvel Etat, "la
dynamique constitutionnelle du Cameroun" porte l'estampille du
Président. L'illustration la plus forte et la plus remarquable demeure
cette phrase du président Ahmadou Ahidjo devant l'Assemblée
nationale fédérale le 9 mai 1972: "ma conviction, mesdames et
messieurs les députés, ma profonde conviction est que le moment
est venu de dépasser l'organisation fédérale de l'Etat".
Le même constat peut être fait pour la loi fondamentale du 18
janvier 1996, qui est selon l'auditoire du Président de la
République tantôt une "nouvelle Constitution", tantôt une
"révision" de la Constitution de 1972. A la fin, c'est un
Président convaincu que le temps était "enfin" venu de
concrétiser les choses qui fait déposer le 24 novembre 1995 un
projet de loi portant sur la "révision de la Constitution du 2 juin
1972."
2- Juge de la gravité de toute réforme
constitutionnelle
Cette gravité tient tant au nombre de dispositions qui
feront l'objet de modification que la terminologie même
de la réforme. Ainsi en 1961, alors que l'avènement de l'Etat
fédéral
49 Voir à ce propos V. Miafo Donfack, "Le
Président de la République et les Constitutions au
Cameroun", in La reforme constitutionnelle du 18 janvier
1996 au Cameroun, aspects juridiques et politiques, op cit. pp 252 et
SS.
exigeait l'élaboration d'une nouvelle Constitution, le
président décide que ce sera une "loi (...) portant
révision constitutionnelle et tendant à adapter la Constitution
actuelle aux nécessités du Cameroun unifié". Le constat
que nous pouvons faire ici est que la Constitution et les révisions
constitutionnelles au Cameroun servent les desseins du chef de l'Etat. Ainsi en
est-il par exemple de la révision du 18 novembre 1983 dont l'objectif,
précise le Pr. Kamto, était de "se donner une
légitimité populaire et républicaine et se
débarrasser de cette légitimité monarchique" que le
Président Biya avait hérité de son
prédécesseur. La Constitution a depuis longtemps cessé
d'être cet acte qu'on ne touche "qu'avec des mains tremblantes".
Tournée, détournée et retournée afin de
réaliser un voeu, le pouvoir absolu; servir une ambition, demeurer au
pouvoir; justifier une pratique, le patrimonialisme; servir de
"détergent" pour un régime contraint de démocratiser et de
libéraliser. Mais ici encore, ces impératifs doivent être
acclimatés afin que "l'équilibre de nos sociétés
n'en soit pas bouleversé". Un équilibre mieux un statu
quo qui rend l'ordre constitutionnel en servitude permanente.
B) La souveraineté des représentants du
peuple
Le peuple a été
évincé de sa place de souverain constituant par ses
représentants. Ceux-ci sont en effet souverains dans
l'élaboration (1) et la révision (2) de la Constitution.
1- La souveraineté dans
l'élaboration.
Elle résulte de leur substitution au souverain
constituant dans le processus constitutionnel de 1961 et de 1996. S'il est
reconnu que lors d'un changement de Constitution le pouvoir constituant
dérivé peut préparer le nouveau texte, le principe
démocratique voudrait que la ratification définitive soit faite
par le peuple souverain constituant. Mais érigée en
assemblée constituante souveraine, l'Assemblée nationale s'est
reconnue le droit de saisir toute la Constitution de 1972 et de
réécrire chacune de ses dispositions, affirmant ainsi sa
souveraineté dans l'élaboration de la Constitution, et cela en
dehors de toute habilitation.
2- La souveraineté dans la
révision
II est désormais établi que les règles de
limitation du pouvoir constituant dérivé ne sont pas des
barrières infranchissables. L'unité de la souveraineté et
la qualité de représentant du
Souverain confère au Parlement-constituant un pouvoir
inconditionné. Il peut modifier toute la Constitution, du moment qu'il
ne change pas l'esprit des institutions. Le cas échéant, il
s'agira de l'écriture d'une nouvelle Constitution par la
procédure de révision, ce qui est une "fraude à la
Constitution".
La question du souverain constituant ne peut être
traitée aujourd'hui en occultant les modalités de la
démocratie, particulièrement la représentation. "Le
gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple" est
irréalisable sur le plan pratique. Aussi faut-il recourir aux principes.
En l'espèce, il est que la souveraineté appartient au peuple,
seul il en est le détenteur. Mais seize millions de camerounais ne
peuvent pas s'asseoir pour réviser une constitution, plus encore pour
l'élaborer. Et puisque l'élaboration d'une Constitution peut
être faite, selon le principe démocratique, par une
assemblée qui rédige et adopte, on doit pouvoir admettre que le
recours au peuple souverain constituant n'est pas nécessairement une
"sanction obligatoire de la Constitution". Bien entendu toute manifestation du
pouvoir constituant doit procéder d'une délégation
populaire et être conduite selon une procédure qui marque le
caractère solennel du pacte fondamental. C'est l'élément
indispensable de l'exclusivité du constituant en matière
constitutionnelle, fondement de la suprématie de la norme
fondamentale.
CHAPITRE II
LA PROCEDURE EXCEPTIONNELLE DE CREATION DE LA NORME
CONSTITUTIONNELLE
La création de la norme constitutionnelle n'est pas un
événement banal. C'est ici l'occasion de prendre la pleine mesure
de la dimension symbolique qui s'attache à la constitution et qui
justifie par conséquent la procédure solennelle qui
préside tant à son élaboration qu'à sa
révision. La suprématie de la loi fondamentale trouve ainsi sa
justification dans les formes en lesquelles celle-ci est conçue. Comme
le souligne si bien Pierre Pactet, "c'est la procédure de
révision qui permet de reconnaître à la loi
constitutionnelle une valeur supérieure à celle des lois
ordinaires" (1). La création de la règle de valeur
constitutionnelle obéit aux exigences de ce que Charles Eisenmann
appelait "la législation constitutionnelle.'^) C'est un ensemble de
conditions de forme qui entourent la fabrication de la constitution. De fait,
toute règle élaborée suivant cette forme se verra
conférer la valeur suprême. Comme nous le verrons, la forme est un
trait caractéristique de la reconnaissance du pouvoir constituant. Mais
quelle est cette forme? Quel est le contenu des règles de la
législation constitutionnelle? Rend-elle compte de la
supériorité de la norme fondamentale? D'emblée on peut en
relever le caractère exceptionnel, et surtout sa rupture avec la
procédure législative dont elle se distingue fondamentalement. Il
faut souligner que la procédure d'élaboration de la Constitution
n'est pas déterminée a priori, car "il est de son essence [le
pouvoir constituant] de pouvoir ce qu'elle voudra et de la manière dont
elle le voudra". Sous ce rapport se décline nécessairement la
nature "métaphysique" du pouvoir constituant en sa forme originaire.
Aussi souligne M. Kamto, l'appréciation que l'on peut faire ne peut
être que politique et non juridique (3).
La procédure constituante a des incidences importantes
sur la suprématie constitutionnelle. Aussi le droit constitutionnel
camerounais et la doctrine y trouvent un champ fertile où se
développent les plus grandes controverses. Le cycle constitutionnel
camerounais se décline en effet en une succession de procédures
dont le moins qu'on puisse
1. P. Pactet, Institutions politiques. Droit
constitutionnel, Armand Colin, Paris, 20'°"' éd., 2001.
2. Voir Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la
Haute Cour constitutionnelle d'Autriche, Econoirrica, PUAM, 1972. La
législation constitutionnelle est selon le Pr. Eisenmann la forme dans
laquelle est moulée toute règle à laquelle on veut
conférer une valeur suprême. Elle se distingue de la
législation ordinaire par son caractère exceptionnel et ses
contraintes qui peuvent porter sur le quorum ou la majorité requise.
3. Il est admis en droit constitutionnel que la
manifestation du pouvoir constituant originaire est insusceptible d'encadrement
juridique, c'est-à-dire qu'on ne peut pas dire qu'il empruntera telle
forme. Le pouvoir constituant peut ce qu'il veut et dans la forme qu'il veut;
et une Constitution pourrait très bien être élaborée
par la procédure législative. Le caractère exceptionnel de
la procédure constituante à l'origine repose finalement sur le
fait qu'elle n'est organisée par aucun texte.
dire est qu'elles sont loin des schémas classiques
établis en Droit. Disons tout simplement que l'élaboration des
Constitutions au Cameroun offre l'image d'une procédure
véritablement ambiguë (section 1), tandis que la procédure
de révision dont le critère essentiel est de j permettre la
distinction entre la Constitution et la loi, met la règle
constitutionnelle entre rigidité et souplesse (section 2).
SECTION 1: UNE AUTORITE ETABLIE SUR UNE PROCEDURE
CONSTITUANTE
VERITABLEMENT
AMBIGUË
L'élaboration d'une Constitution ne se fait pas selon
une procédure fixée à l'avance. C'est la
conséquence de la souveraineté du pouvoir constituant. Celui-ci
se détermine selon les modalités que lui seul fixe. D en
résulte que la procédure d'élaboration de la Constitution
ne peut être "ni régulière ni
irrégulière"(4). Cette vision sténotypée est loin
d'être aussi simple en pratique, surtout en droit constitutionnel
camerounais. L'élaboration des Constitutions à une exception
près, est source de controverse car véritablement ambiguë.
Une ambiguïté construite au fil des bouleversements sociopolitiques
(paragraphe 1) dont la loi fondamentale du 18 janvier 1996, texte
discuté dans sa création (paragraphe 2) est, au stade actuel de
notre droit, l'exemple le plus significatif.
PARAGRAPHE 1: UNE AMBIGUÏTE CONSTRUITE
De l'analyse de la dynamique constitutionnelle camerounaise,
seule la Constitution du 4 mars 1960 échappe à une controverse
dans son élaboration. Peut être parce que le pouvoir constituant
qui présida à son élaboration s'est
développé sur un terrain véritablement vierge(5).
Adoptée 1e 21 février 1960 par référendum et
promulguée le 4 mars de la même année, la toute
première Constitution du Cameroun marque son accession au statut d'Etat.
Son avènement est plutôt célébré que
décrié, car la loi fondamentale porte l'estampille du souverain
constituant. Mais dès 1961 la législation constitutionnelle
s'engage par le fait des politiques sur un chemin difficile
caractérisé par l'ambiguïté des procédures par
lesquelles est élaborée la règle de droit suprême.
Cette ambiguïté est décelable à travers la
"révision" de la Constitution du 4 mars 1960 (I) et le
référendum constituant de 1972 (II).
4. Le pouvoir constituant est un pouvoir
inconditionné. Aucune règle ne le limite car précise P.
Pactet" les assemblées constituantes sont maîtresses de leur
procédure puisque libres et inconditionnées du fait de la
disparition de l'ordre juridique antérieure". A cause de cette
souveraineté du pouvoir constituant, la doctrine soutient qu'une
"révision constitutionnelle ne saurait être
anticonstitutionnelle".
5. La Constitution du 04 mars est celle qui crée
l'Etat du Cameroun. Elle est sur le plan de la science constitutionnelle l'acte
fondateur de l'Etat, puisqu'il n'existait jusqu'à cette date aucun Etat
connu dans le monde et dénommé Cameroun. Avec la loi fondamentale
de 1961, le Cameroun sort de la tutelle pour exister par lui-même et pour
lui-même.
I- LA "REVISION" CONSTITUTIONNELLE DU
ler SEPTEMBRE 1961
La promulgation de la "loi n°61-24 du 1er septembre 1961
portant révision constitutionnelle et tendant à adapter la
Constitution actuelle aux nécessités du Cameroun
réunifié" marque le début de ce que nous qualifions
d'ambiguïté. Elle provoque une controverse sur la nature de l'acte
(A). Toutefois, cette opposition n'empêche pas la reconnaissance a
posteriori du non-respect des conditions d'élaboration des Constitutions
(B).
A) La controverse entre politique et juristes sur la
nature de l'acte
La question est de savoir s'il s'est agit en l'espèce
d'une "fraude à la Constitution". Alors que l'intitulé même
de l'acte défend la thèse de la révision (1), la doctrine
soutient qu'il s'agit de l'écriture d'une nouvelle Constitution (2).
1- La thèse politique de la
révision
L'intitulé de l'acte promulgué le 1er septembre
1961 conforte la thèse de la révision(6). Il était juste
question de mettre la loi fondamentale en conformité avec quelques
modifications socio-politiques faisant suite au rattachement de la partie
occidental du pays à l'ensemble du Cameroun. C'est la marque d'un
"Cameroun réunifié" et en marche vers son unification qui seule
pourra exiger une nouvelle Constitution (7). D'ailleurs le texte est
adopté par l'Assemblée nationale, exerçant la
compétence de pouvoir constituant institué que lui reconnaissait
l'article 49 alinéa 3 de la constitution de 1960.
2- La thèse doctrinale de l'écriture
d'une nouvelle Constitution
Pour M. Kamto, l'intitulé de l'acte promulgué le
1er septembre 1961 est "trompeuse" car, poursuit-il "sous le couvert de la
révision de cette Constitution [celle du 4 mars I960], on a doté
le Cameroun d'une nouvelle Constitution (8) Il ne s'agit ni plus ni moins
que d'une violation de la procédure. La doctrine repose sa thèse
sur le fait que la Constitution de 1961 "modifie substantiellement la nature du
régime politique du Cameroun."(9) C'est un texte qui trouve son
fondement dans la réunification de l'Etat indépendant du Cameroun
et du "Southem Cameroon". De cette réunification naîtra la
République fédérale du Cameroun. Or
6 Sur le plan formel en effet, le texte du 1°
septembre 1961 est bien une revision constitutionnelle car la procédure
mise en oeuvre est celle ui était prévue pour la modification de
la Constitution du 04 mars 1960.
7 L'idée avancée par le Pr. Kamto est que le
fédéralisme n'était qu'une étape provisoire, car le
Président Ahidjo aspirait unir les Camerouns n un seul Etat. Le
discours que tint ce dernier juste avant de soumettre au
référendum le projet de Constitution de la République Unie
du Cameroun confirme cette thèse. Selon le Président Ahidjo, il
était enfin temps de dépasser la forme fédérale
pour bâtir un Cameroun fort et prospère. Les camerounais le
plébisciteront.
8 M. Kamto, "Dynamique constitutionnelle du Cameroun
indépendant", RJA, 1995, pli.
9 Alors que la Constitution du 04 mars établissait
un Etat unitaire avec un régime de type parlementaire, la loi
fondamentale du 1° septembre 1961 institue un régime "complexe",
selon l'expression de M. Kamto. Celui-ci est présidentiel au niveau
fédéral et
parlementaire au niveau des Etats
fédérés.
il est admis en droit constitutionnel qu'il peut avoir
création d'un nouvel Etat par la réunification d'Etats. Et M.
Kamto de conclure qu'il s'agit de la "IIème République
camerounaise."
La thèse de la "fraude" et par conséquent de
l'écriture d'une nouvelle Constitution par la procédure de
révision est aujourd'hui plus que confortée.
B) L'établissement a posteriori d'une violation
de la procédure constituante
La thèse de l'écriture d'une nouvelle
Constitution trouve sa justification au regard du droit constitutionnel. Il est
en effet établi que " le passage d'un Etat unitaire à un Etat
fédéré peut être considéré comme
l'écriture d'une nouvelle Constitution. "(10) Mais loin d'emprunter la
voie normale, l'élaboration de la Constitution de 1961 constitue ce que
M. François Mbomè qualifie de "détournement de
procédure"(l 1) surtout que "aucune disposition réglementaire,
législative ou a fortiori constitutionnelle, faisant de
l'Assemblée nationale en fonction un organe habilité à
voter une nouvelle Constitution" n'existait. En votant la "loi n°61-24",
les députés crée un nouvel Etat (1), condamnant ainsi
à la disparition les institutions de la Constitution de 1960 (2).
1- L'avènement d'un nouvel Etat: la
République fédérale du Cameroun
L'Etat fédéral du Cameroun procède de la
Constitution du 1" septembre 1961. En établissant une Constitution
nouvelle par la procédure de révision, les pouvoirs
institués s'arrogent un pouvoir qui ne leur est pas reconnu dans la
logique démocratique. Car même si le pouvoir de révision
peut tout faire, il est pourtant limité par l'esprit du texte quand bien
même il réviserait* toute la constitution. Dans cette perspective,
il ne peut élaborer une nouvelle Constitution par la mise en oeuvre de
la procédure de révision. La logique démocratique voudrait
que, même si la rédaction d'une nouvelle Constitution est faite
par le pouvoir constituant dérivé, la ratification ressortisse
à la compétence du peuple souverain constituant. En se situant en
marge de ce schéma, la procédure constituante de 1961 s'illustre
par son irrégularité. Encore que la Constitution de 1960 ayant
été adopté par référendum, il revenait
encore au peuple camerounais de revenir sur les principes qu'il avait
posés (12)
10 Cette opinion est défendue notamment par le Pr.
Pactet. Il est de même établi en droit constitutionnel classique
qu'il y a nouvel Etat et donc nouvelle Constitution lorsque deux ou plusieurs
Etats se réunissent pour former un Etat fédéral.
11 F. Mbomè, "Constitution du 2 juin 1972
révisée ou nouvelle Constitution", in La réforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun. Aspects juridiques et
politiques, op cit. p33.
12 II s'agit du principe dit du parallélisme des
formes et des procédures.
2- La disparition des institutions de la Constitution
de 1960
Quelle était la force juridique de la Constitution de
196l? Nous pouvons dire sans risque de nous tromper qu'elle s'est
imposée comme le nouveau socle du droit constitutionnel camerounais. Sa
puissance abrogative se traduit par la disparition des institutions mises en
place par la Constitution de 1960. Tel est par exemple le cas de
l'Assemblée nationale qui est remplacée par le Parlement
fédéral; on peut aussi remarquer la substitution de la
dénomination "République fédérale du Cameroun"
à celle de "République du Cameroun". Mais il faut souligner,
comme le fait déjà M. Kamto et à sa suite M. Mbomè,
que le texte de 1961 sur le strict plan formel est une loi de révision.
Il serait donc abusif de parler d'un pouvoir constituant originaire, car
celui-ci se manifeste en une procédure qui se veut "insusceptible
d'appréhension juridique". Aucun texte, aucune loi ne lui impose une
attitude: il peut ce qu'il veut et en la forme qu'il désire. C'est un
pouvoir suprême.
La controverse née de la Constitution de 1961 allait
être revitalisée par le référendum constituant du 20
mai 1972 qui donne naissance à la République Unie du Cameroun.
II- LE REFERENDUM CONSTITUANT DU 20 MAI 1972 ET LA
CONSTITUTION DU 02 JUIN 1972
Dans un article intitulé "A propos de la thèse
minoritaire sur le statut du référendum du 20 mai 1972 ou la
quête du droit dans le métajuridique", James Mouangue Kobila,
reprenant la thèse du Pr. Kamto, écrit que "la Constitution du 02
juin 1972 apparaît comme l'oeuvre d'un pouvoir constituant originaire
agissant ex-nihilo" et, conclut-il "la critique de la procédure ne peut
être juridique mais politique." Il s'agit de montrer que le
référendum constituant du 20 mai 1972 n'a pas été
à l'abri de toute critique (A), cependant que son autorité
à été reconnue par la doctrine et en fait (B).
A) Une procédure diversement
interprétée
Le 20 mai 1972, le peuple camerounais est
interpellé directement par le Président Ahidjo pour donner son
avis sur une question ainsi libellée: "approuvez-vous, dans le but de
consolider et d'accélérer le développement
économique, social et culturel de la nation le projet de Constitution
soumise au peuple camerounais par le Président de la République
fédérale du Cameroun et instituant une République une et
indivisible sous la dénomination de République Unie du Cameroun?"
Adoptée à la majorité écrasante de 99,90%, la
constitution de la IIIème République était
promulguée le 02 juin 1972. Présentant tous les caractères
d'une procédure
constituante régulière (2), le
référendum va pourtant faire l'objet d'une vive contestation
allant jusqu'à déclarer "invalide" la loi fondamentale de 1972
(1).
1- Une procédure manifestement
illégale
La régularité de la procédure
constituante est contestée par quelques auteurs mais surtout par
l'élite anglophone. Invoquant à l'appui de leur thèse le
non-respect par le Président Ahidjo de l'article 47 de la Constitution
du 1er septembre 1961. Celui-ci détermine les conditions de
révision de la Constitution et dispose que:
" L'initiative de la révision appartient concurremment
au Président de la
République Fédérale après
consultation des Premiers ministres des Etats
fédérés et aux députés de
l'Assemblée fédérale (...)
La révision doit être votée à la
majorité simple des membres composant
l'Assemblée fédérale à condition
toutefois que cette majorité comporte
la majorité des représentants à
l'Assemblée fédérale de chacun des Etats
fédérés."
Sur le fondement de cette disposition, la procédure
constituante sera déclarée contraire à la Constitution du
1" septembre 1961, et la Constitution du 2 juin 1972 sans valeur. Mais il
s'agit là de la procédure prévue pour la révision
de la Constitution. Par conséquent, cet argument ne saurait
prospérer. Il faut en effet remarquer qu'en 1972, il s'est agit de la
création d'un nouvel Etat et, en l'espèce, de la manifestation
d'un pouvoir originaire qui ne peut se déterminer selon des formes
préétablies. C'est pourquoi conclut le Pr. Kamto, le
Président Ahidjo a eu recours à une procédure non
prévue par la Constitution fédérale pour la
révision: le référendum.
2- Une procédure constituante en tout point
régulière
II est revenu à M. Kamto d'être le porte-parole
de la doctrine majoritaire qui défend la thèse de la
régularité de la procédure constituante du 20 mai 1972.
L'argument de l'irrégularité reposant sur la violation de la
procédure de révision, il est établi qu'il ne s'est agit
nullement d'une révision, mais de l'établissement d'une nouvelle
Constitution(13) Ce qui explique, comme le démontre si bien M. Kamto que
le Président ait opté pour un référendum.
13 Voir à ce propos M. Kamto, "Dynamique
constitutionnelle du Cameroun indépendant", op cit. Aussi sur la
même question, J Mouangue Kobila, « Q propos de la
thèse minoritaire sur le statut du référendum du 20 mai
1972 ou la quête du droit dans le métajuridique »
En recourant au souverain constituant qui est le peuple, la
procédure constituante affirme son respect des principes qui
président à l'élaboration des constitutions, tels qu'ils
sont posés par la science constitutionnelle. Plus encore, elle se
revêt d'une autorité telle qu'il ne peut en être
conçue de plus élevée, car étant l'expression
"directe" de la volonté du souverain. D'où sa nature de loi
fondamentale (14).
B) La réformation du système
juridico-politique camerounais par la Constitution de
1972
La Constitution du 2 juin 1972 produit pratiquement les
mêmes effets que sa devancière par rapport à la
Constitution du 4 mars 1960. Le droit constitutionnel voit encore son fondement
bouleversé car la réforme est visible tant sur les institutions
(1) que sur le système juridique (2).
1- La réforme institutionnelle
C'est l'avènement d'un nouvel Etat, selon les
schémas établis en droit constitutionnel. La République
Unie du Cameroun succède à l'Etat fédéral, ce qui
se traduit par un bouleversement total des institutions. Les trois
assemblées disparaissent au profit de l'Assemblée nationale, et
le Président Ahidjo réalise son ambition: être le
Président d'un "grand" Cameroun. L'analyse des dispositions du texte
fait dire à M. Kamto que le régime politique qui s'en
dégage est "un présidentialisme autoritaire." (15) Le
Président de la République est la pièce maîtresse de
l'architecture institutionnelle, encore que la rédaction du texte s'est
fait dans le plus grand secret, et que le choix du référendum
était plus un moyen de contourner le blocage qu'aurait assurément
constitué l'absence de la majorité requise des
députés du Cameroun anglophone. A la lumière de tout cela,
l'idée selon laquelle la fédération n'avait
été envisagée par le Président Ahidjo que comme une
transition, certes dangereuse mais nécessaire, retrouve toute sa
pertinence.
2- La réforme du système
juridique
Elle se traduit par les "fameuses" ordonnances de 1972 dont
l'une porte organisation judiciaire. Cette réforme, à quelques
exceptions près, est totale car aux termes de l'article 38:
"La législation résultant des lois et
règlements applicables dans l'Etat
14 L'intervention directe du peuple dans la procédure
constituante est regardée comme le mode le plus démocratique
d'élaboration de la Constitution. Elle est aussi l'un des
éléments de rigidité de la loi fondamentale.
15 M. Kamto, "Dynamique constitutionnelle du Cameroun
indépendant", op cit. p 17.
fédéral du Cameroun et dans les Etats
fédérés à la date de prise d'effet de la
présente constitution reste en vigueur dans ses dispositions qui ne sont
pas contraires aux stipulations de celle-ci, et tant qu'elle n'aura pas
été modifiée par voie législative ou
réglementaire."
L'in-formation du système juridique par la Constitution
de 1972 se traduit également par la réformation de l'architecture
judiciaire désormais surplombée par la Cour suprême en lieu
et place de la Cour fédérale de justice.
Les discussions sur la procédure constituante seront
relancées à l'occasion de l'adoption de la loi fondamentale du 18
janvier 1996, créant ainsi en droit constitutionnel camerounais une
tradition.
PARAGRAPHE 2: UNE AMBIGUÏTE REAFFIRME PAR
L'ELABORATION DE LA LOI FONDAMENTALE DU 18 JANVIER 1996
La promulgation du texte intitulé "loi n°96-06 du
18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin
1972"(16), provoque au sein de la doctrine camerounaise un soulèvement
général. A l'origine, la procédure ayant
présidé à l'élaboration et à l'adoption de
ce qu'une partie de la doctrine qualifie de "Constitution de la IIIème
République bis". Car au- delà des discours politiques et de
l'ambiguïté entretenue à dessein ou non par le
Président de la République (7), la question de la
procédure empruntée autant que celle de la nature de l'acte
promulgué le 18 janvier 1996 restent frappantes d'actualité.
L'opposition est véritable au sein de la doctrine. Divisée en
deux tendances (I), la controverse autorise pourtant aujourd'hui un
dépassement (II).
I- LES DEUX TENDANCES DE LA DOCTRINE
CAMEROUNAISE
La promulgation de la loi fondamentale du 18 janvier, tout en
rappelant la tradition camerounaise en la matière, a donné
à la doctrine une autre occasion de s'affronter sur le terrain du droit
constitutionnel. Cette divergence d'opinion est construite autour d'une
question: le texte promulgué le 18 janvier 1996 est-il la nouvelle
Constitution du Cameroun ou une simple
16 Ce qui est considéré et appliqué
comme "Constitution de la République du Cameroun" est
littéralement intitulé "loi n° 96-06...". Les auteurs ont
vite rapproché cet intitulé de celle de la loi fondamentale du
1er septembre 1961.
17 Cf. supra
révision de la Constitution du 02 juin 1972? Les
réponses des auteurs révèlent une opposition qui porte sur
deux points: la qualification de la procédure (A) et la
détermination de la nature de l'acte (B) qui en est le corollaire.
A) La qualification de la procédure
constituante
La procédure constituante ayant présidé
à l'adoption de la loi fondamentale du 18 janvier 1996 est
révélatrice selon M. Donfack Sokeng de "la lutte acharnée
des forces en présence pour le contrôle du pouvoir suprême
de l'Etat symbolisé ici par la maîtrise du pouvoir
constituant.(18) Interpellé sur la qualification de la procédure
suivie par le pouvoir constituant, une partie de la doctrine affirme sa
régularité (1) tandis que l'autre dénonce un
détournement de procédure (2).
1- La thèse de la régularité de
la procédure constituante de 1996
Défendue notamment par M. Ondoa, la thèse de la
régularité de la procédure constituante de 1996 semble
s'appuyer d'abord sur l'intitulé même de l'acte. Cet
intitulé invalide, précise M. Ondoa, "toute interprétation
contraire à l'idée de révision. "(19) II s'agit d'une loi
qui porte sur la révision de la Constitution du 02 juin 1972. Mais en
dehors de cet argument tiré d'une exégèse stricte de
l'entête du dit texte, les défenseurs de la thèse de la
régularité font valoir la conformité de la
procédure aux dispositions de l'article 36 du titre DC de la
constitution de 1972 relative à la révision constitutionnelle.
Mais la Constitution de 1972 à été totalement
révisée! Tout en admettant qu'une révision
constitutionnelle peut porter sur toutes les dispositions de la constitution,
M. Ondoa précise cependant qu'elle ne doit pas aboutir à une
"abrogation complète de toutes les règles et institutions
contenues dans le texte constitutionnel", car alors conclut-il, "l'organe
chargé de la révision perdrait sa nature essentiellement
limitée de pouvoir de révision pour se transformer en pouvoir
constituant originaire." Or il se trouve que si l'Assemblée nationale a
effectivement modifié toute la Constitution de 1972, elle n'a cependant
pas excédé les limites fixées qui portent notamment sur la
forme républicaine de l'Etat. Sous ce rapport, "l'opération du 18
janvier 1996 présente tous les éléments de
conformité au droit positif camerounais."
18 L. Donfack Sokeng, "Les ambiguïtés de la
révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun", in La
réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun. Aspects
juridiques et politiques, op cit. p37.
19 M. Ondoa, "La constitution duale: recherches sur les
dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun", in Revue africaine
de science juridique, vol 1 n° 2,2000.
2- La thèse du détournement de
procédure
La procédure constituante de 1996 n'est pas sans
rappeler celle de 1961. Sauf qu'ici il se dégage à la fois un
détournement de procédure, mais surtout une succession de
procédure (20). Les partisans, nombreux, de la thèse du
détournement font valoir que la procédure de révision de
la constitution de 1972 a été utilisée pour écrire
une nouvelle Constitution. Pour M. Donfack Sokeng en effet, la procédure
indiquée au départ par le Président de la
République révélait "les trois phases classiques
préconisées par la théorie constitutionnelle relative
à l'adoption d'une Constitution moderne et démocratique..." Sous
ce prisme, la Tripartite, le "grand" ou "large débat" ne peuvent que
conforter la décision de rompre avec l'ordre antérieur. Le "plus
jamais ça" de Jean Gicquel trouve sa résonance dans le
"changement" réclamé à cor et à cri par le peuple
camerounais. Mais ce changement qui, selon les participants aux rencontres de
la Tripartite, ne pouvait reposer que sur l'élaboration d'une nouvelle
Constitution, se perdra dans une procédure conduite, selon l'expression
de F. Mbomè "sur un imbroglio total."
Cette controverse sur la procédure rejaillit sur la
nature de l'acte promulgué le 18 janvier 1996.
B) La nature controversée du texte
promulgué le 18 janvier 1996
C'est tout logiquement que l'on peut envisager la controverse
sur la nature de l'acte né de la procédure constituante qui
débute le 30 octobre 1991 avec la Tripartite et s'achève le 18
janvier 1996. Ici encore on observera que la doctrine est divisée entre
partisans d'une loi constitutionnelle (1) et défenseurs d'une nouvelle
Constitution (2).
1- Une simple loi constitutionnelle
L'intitulé du texte renseigne que le texte
promulgué par le Président de la République est bel et
bien une "loi (...) portant révision de la Constitution du 02 juin
1972." C'est la conséquence logique que "la démarche camerounaise
du 18 janvier 1996 affirme sa régularité."(2l) La
souveraineté du pouvoir constituant rendant illusoire toute tentative de
le limiter matériellement lorsqu'il agit en tant que pouvoir de
révision, la révision totale de la
20 Parti sur une logique d'élaboration d'une nouvelle
Constitution, le débat institué par la Tripartite va être
court-circuité par le Président de la République. Ce
dernier va définir une procédure qui ne différait pas
fondamentalement de celle des participants aux rencontres de la Tripartite, car
elle préconisait trois phases qui selon le Pr. Donfack Sokeng,
"n'étaient pas sans rappeler les trois phases classiques
préconisées par la théorie constitutionnelle relative
à l'adoption d'une Constitution moderne et démocratique". Le
Parlement saisi du projet de révision allait lui aussi instituer une
autre procédure en reprenant et en réécrivant toute la
Constitution du 2 juin 1972, depuis le Préambule jusqu'au dernier
article.
21 M. Ondoa, "La constitution duale: recherches sur les
dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun", op. cit.
Constitution du 02 juin 1972 était possible. Plus
encore, cette révision pouvait être adoptée par
l'Assemblée nationale suivant la procédure législative
ordinaire; la Constitution de 1972 étant souple. Ces limites
matérielles ne reposant non pas sur l'impossibilité de
réviser toutes les dispositions de la constitution que la théorie
de la double révision élaborée par Duguit permet de
réfuter, mais sur l'interdiction d'utiliser la procédure de
révision pour changer par exemple la forme républicaine de
l'Etat. Etant resté dans ces limites lors des débats, le texte de
1996 est assurément une loi constitutionnelle. Cette thèse
à le mérite d'admettre à la fois la souveraineté du
pouvoir constituant institué consacrée par la jurisprudence
française, et la fraude que pourrait constituer la rédaction
d'une nouvelle Constitution par le pouvoir constituant dérivé.
2- Une nouvelle Constitution
L'idée que le texte promulgué le 18 janvier 1996
est la nouvelle constitution du Cameroun repose sur une série
d'arguments développés notamment par M. Kamto. Tout d'abord,
l'éminent Professeur affirme que le projet déposé sur le
bureau de l'Assemblée nationale ne portait aucune indication quant aux
dispositions qui devaient faire l'objet de modification. A la suite de cela, il
fait valoir que pratiquement toute la Constitution de 1972 a été
révisée. Enfin M. Kamto insiste sur la manière dont le
projet de révision a été discuté à
l'Assemblée nationale. Pour toutes ces raisons, conclut-il, l'acte
promulgué le 18 janvier 1996, au-delà de son intitulé, est
bien une nouvelle Constitution. C'est une position identique qu'adopte M.
Donfack Sokeng quand il affirme que "la procédure de révision de
la Constitution (...) a certainement violé les limites
matérielles assignées audit pouvoir de révision en
élaborant une Constitution nouvelle..."
La controverse doctrinale relative à la loi
fondamentale du 18 janvier 1996 semble se ramener à une opposition entre
partisans de la théorie de la révision complète de la
Constitution et ceux qui postulent que la révision constitutionnelle ne
saurait intéresser toutes les dispositions constitutionnelles. Il est
important, pensons-nous, d'opérer un dépassement.
II- UNE OPPOSITION A DEPASSER
La question est de savoir si la loi fondamentale du 18 janvier
1996, en dehors de toute considération de forme, est en fait et en droit
à la base du droit constitutionnel camerounais tel qu'il se
présente aujourd'hui. Il apparaît au regard du texte même de
ce qui est "la Constitution de la République du Cameroun" que le droit
constitutionnel moderne du Cameroun ne peut
être envisagé que dans une perspective
ambivalente (A). Mais ce "visage de Janus" ne peut occulter l'emprise de la loi
fondamentale du 18 janvier 1996 sur la société politique (B).
A) Le double socle du droit constitutionnel
camerounais
Contrairement à la situation de 1961, les institutions
créées par la Constitution du 02 juin 1972 ont du mal à
disparaître de l'univers institutionnel camerounais. Ceci tient au fait
que la Constitution du 18 janvier 1996 même si elle est en vigueur et par
conséquent à la base du droit constitutionnel camerounais(l),
elle a par le fait des dispositions transitoires, consacré ce que M.
Ondoa appelle "la survie de l'ancienne Constitution." (2)
1- La Constitution du 18 janvier 1996: socle principal
du droit constitutionnel camerounais
Le droit constitutionnel n'est plus enseigné de nos
jours par référence à la Constitution du 02 juin 1972. La
loi fondamentale du 18 janvier 1996 est à la base de la construction
d'un nouveau droit constitutionnel (22), sans doute celui de l'ère
moderne. L'architecture normative tel qu'envisagé par le grand
maître autrichien Hans Kelsen repose désormais au Cameroun sur la
Constitution de 1996. Sa place au sommet de la pyramide des normes est
attestée notamment par sa capacité à invalider certains
textes de loi pris sous l'empire de la constitution de 1972. Û en est
ainsi par exemple de l'ordonnance n°72/06 et plus
précisément son article 9(23). On peut aussi citer le cas de
l'article 22 de la loi du 16 décembre fixant les conditions
d'élection des députés à l'Assemblée
nationale et l'article 3 alinéa 2 du Règlement intérieur
de l'Assemblée nationale qui a été récemment
modifié pour se conformer aux dispositions de la Constitution de
1996(24). L'on peut donc observer que la loi fondamentale effectue un
"toilettage général" du droit constitutionnel camerounais et lui
donne un visage véritablement nouveau.
22 Cf. infra
23 Cet article est devenu caduc depuis la promulgation de la
loi fondamentale du 18 janvier 1996. En effet il définissait de
manière limitative les matières qui composent le contentieux
administratif de l'Etat et des autres collectivités territoriales
décentralisées. Au regard de cet article, le juge administratif
apparaissait comme un juge d'attribution, alors que le juge judiciaire
était considéré comme le juge de droit commun de
l'administratif. Avec la Constitution nouvelle, le juge retrouve la
plénitude des compétences en matière administrative,
puisque l'article 40 alinéa 1" dispose que "la chambre administrative
connaît de l'ensemble du contentieux administratif de l'Etat et des
autres collectivités publiques".
24 Cet article déclaré non conforme à
la Constitution par la Cour suprême siégeant comme Conseil
constitutionnel dans une décision n°001/CC/02-03 du 28/11/2002, a
été modifié par la loi n° 2002-5 du 2 décembre
2002 modifiant et complétant certaines dispositions du règlement
intérieur de l'Assemblée nationale. Le juge constitutionnel
constate que "la procédure de validation prévue par le
règlement intérieur de l'Assemblée nationale dans (...)
apparaît comme un contrôle a posteriori de la décision du
Conseil constitutionnel déclarant élu des candidats à
l'élection législative; qu'une telle procédure, en vigueur
avant l'institution du Conseil constitutionnel par la Constitution du 18
janvier 1996 ne trouve plus sa raison d'être en l'état". Cette
décision frappe aussi d'inconstitutionnalité les articles 4
nouveau, 5 nouveau, 6 nouveau, 7 nouveau et 10 in fine du règlement
intérieur de la chambre.
2- Une base incidente: la Constitution du 02 juin
1972
Si le droit constitutionnel actuel repose sur la constitution
de 1996, on ne peut cependant nier qu'il est construit en partie sur des
considérations exclusivement théoriques. En effet la mise en
place des nouvelles institutions demeurent jusqu'à ce jour attendue.
Certes le dispositif normatif est déjà palpable (25), mais
l'institution reste au niveau des expectatives. Pour M. Ondoa, la survie de la
constitution du 02 juin 1972 traduit une "impuissance abrogative" de la
Constitution de 1996 qui "se révèle molle dans sa volonté
d'effacer de manière rapide et efficace l'ordre ancien." Le trouble
constitutionnel que constitue l'applicabilité de certaines dispositions
de la Constitution de 1972 pourrait certainement porter préjudice
à l'autorité du pacte fondamental de 1996, mais ce serait ignorer
qu'il s'agit aussi en l'espèce de l'application dudit texte et plus
précisément de l'article 67 alinéa 2.
La loi fondamentale du 18 janvier 1996 a assurément
rénové le droit constitutionnel camerounais tel qu'il existait
sous la constitution de 1972. Il faut en effet souligner que ce texte porte en
lui l'idée de constitutionnalisme, mouvement dont l'origine se situe au
siècle des Lumières et qui postule que l'existence de la
constitution est une garantie contre l'arbitraire car "elle définit un
Etat de droit où n'est possible que ce qui est conforme aux
règles qu'elle pose."
B) L'emprise de la Constitution de 1996 sur la
société politique
L'adhésion aux valeurs du constitutionnalisme introduit
certainement une nouvelle vision du pouvoir par la classe politique
camerounaise, au premier rang duquel le Président de la
République. La Constitution qui est promulguée le 18 janvier 1996
n'est pas véritablement celle que le Président souhaitait, car
c'est à l'ultime moment que la procédure et la transition
démocratique qu'il conduisait à son rythme vont lui
échapper au profit de l'Assemblée nationale. Par ce fait, la
Constitution de 1996 marque sa volonté d'encadrer le pouvoir. Une
entreprise certes difficile (1) mais qui permet de rejeter l'analyse politiste
dans la détermination du régime politique camerounais (2)
1- Un encadrement difficile du politique
La suspension de certaines dispositions de la Constitution de
1996 est présentée comme une réminiscence des
réflexes d'antan. Certes cette suspension n'affecte nullement la force
obligatoire des dites dispositions. Celle-ci est indiscutable car elle se
rattache à leur
25 Mis à part les lois du 21 avril 2004 relatives
d'une part à l'organisation et au fonctionnement du Conseil
constitutionnel, et d'autre part au statut des membres du dit Conseil, il y a
également la promulgation des lois relatives à la
décentralisation. Ces dernières sont contenues dans Cameroon
tribune n° 8146/4431 du 26/07/2004, n° 8148/4433 du 28/07/2004
etn°8149/4434 du 29/07/2004.
promulgation. D'ailleurs souligne M. Ondoa, "la suspension
(...) n'ôte-t-elle pas leur force juridique aux dispositions
concernées" car " la force obligatoire et la valeur constitutionnelle
des dispositions suspendues au Cameroun découlent de leur promulgation
et de leur publication."(26) II s'agit donc visiblement de la volonté de
l'autorité politique de retarder autant que possible l'avènement
d'un Gouvernement constitutionnellement limité tel que le prévoit
la Constitution. La difficulté est grande quant à la
détermination du terme de cette situation qui perdure depuis plus de
huit ans déjà, et qui ne rend pas aisé l'oeuvre
d'encadrement du politique par le Droit. Cette entreprise devant beaucoup, au
regard du cas français, à l'activité du juge
constitutionnel. Malheureusement, l'institution est encore
matériellement inexistante.
2- Le rejet de l'analyse politiste dans la
détermination du régime politique camerounais
La Constitution permet-elle de déterminer le
régime politique camerounais? Une réponse affirmative semble
s'imposer à cette question. Il ne s'agit cependant pas de ranger le
Cameroun dans l'une des catégories de régimes politiques
existants, mais d'analyser les dispositions du texte. De cette analyse, il
ressort que le régime politique camerounais n'est ni parlementaire, ni
même présidentiel. Certains auteurs postulent même son
caractère libéral fondé sur la reconnaissance de la valeur
constitutionnelle du préambule et des garanties qui lui sont
affectées (27). En tout cas la détermination du dit régime
ne peut se faire en dehors d'une analyse des règles constitutionnelles
d'organisation du pouvoir. De là il résulte qu'il s'agit d'un
régime qui n'entre dans aucune catégorie
répertoriée, un régime qui a sa nature propre. Celle-ci
n'est pas le fait des rapports de force, mais d'une distribution
particulière du pouvoir entre les différents organes de
l'Etat.
Les procédures d'élaboration des Constitutions
camerounaises ont construit une sorte de tradition constitutionnelle consistant
à emprunter des voies détournées pour établir un
Etat nouveau. Cependant ces procédures aussi contestables soient-elles
ont rarement affecté la qualité de règle supérieure
de l'acte résultant. Mais il n'en est pas de même des
procédures de révision, dont l'évolution en dents de scie
marque une certaine flexibilité de cette autorité.
SECTION 2 : LA REGLE CONSTITUTIONNELLE ENTRE RIGIDITE
ET SOUPLESSE
Le recours au critère de "volonté
générale", ou "d'expression de la volonté du peuple" pour
justifier la suprématie des règles constitutionnelles trouve ses
limites en ce que la loi
26 M. Ondoa, "La constitution duale: recherches sur les
dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun", op cit. p 50.
27 Voir Y. Moluh, "L'introuvable nature du régime
camerounais issu de la Constitution du 18 janvier 1996", in La reforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun. Aspects juridiques et
politiques, op cit. pp 242 et SS
votée par le Parlement est aussi l'expression de la
volonté générale. Il était donc indispensable de
trouver un autre critère de suprématie. La doctrine
élabore alors le concept de rigidité et de souplesse. Le concept
de "rigidité" est élaboré par Dicey et Bryce. Prenant
appui sur la procédure prévue pour la révision de la
constitution, la rigidité de la Constitution signifie que cette
procédure est différente de celle qui préside à
l'adoption des lois "ordinaires". Il s'agit de garantir contre une
"éventuelle usurpation que pourrait commettre le Parlement" la
supériorité de ce que Charles Debbasch appelle "l'expression plus
solennelle et plus profonde de la volonté générale"(28):
la Constitution. Il apparaît pourtant au regard de la dynamique
constitutionnelle camerounaise une difficulté de la norme
constitutionnelle à affirmer sa suprématie sur la loi. L'analyse
des procédures de révision prévues par les
différents textes aboutit à un constat: une oscillation de la
règle suprême entre rigidité et souplesse. Celle-ci est le
fait d'un double mouvement de construction et de déconstruction
(paragraphe 1) qui semble être rompu par la loi fondamentale du 18
janvier 1996. En effet au regard de ses dispositions, la distinction entre
Constitution et loi apparaît effective (paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1: LA CONSTRUCTION DE LA SOUPLESSE ET LA
DECONSTRUCTION DE LA RIGIDITE DE LA NORME CONSTITUTIONNELLE
Il s'agit pour nous de démontrer que la
supériorité de la norme constitutionnelle sur la loi sur le
fondement de la procédure de révision a connu beaucoup de
variations en droit constitutionnel camerounais. Tantôt supérieur,
tantôt égal mais jamais inférieur à la loi,
l'autorité de la Constitution porte la marque d'un double mouvement
résultant de l'analyse des dispositions relatives à la
procédure de révision. Il en résulte une autorité
hésitante participant de la construction de sa souplesse (I) et de la
déconstruction de sa rigidité (II).
I- LA CONSTRUCTION DE LA SOUPLESSE DE LA NORME
CONSTITUTIONNELLE
Le concept de souplesse se définit
généralement par rapport à celui de rigidité.
Disons tout simplement que qualifier une constitution de souple, c'est affirmer
que la procédure par laquelle elle peut être révisée
est identique à la procédure législative. Mais dans le
contexte camerounais la construction de la souplesse de la norme
constitutionnelle déborde le cadre textuel pour se reconnaître
dans le relâchement des contraintes de la procédure de
révision (A) et la négation de la règle du
parallélisme des formes (B).
28 Ch. Debbasch et alii. Droit constitutionnel et
institutions politiques, Economica, Paris, 4*"° éd. 2001, p 92
A) Le relâchement des contraintes de la
procédure de révision
La procédure de révision de la Constitution doit
nécessairement être différente de la procédure
législative afin de marquer la supériorité de la loi
fondamentale sur l'acte voté par le Parlement. Si l'on admet que la loi
est comme la Constitution l'expression de la volonté
générale, le vote de la loi se fait cependant "en une forme moins
solennelle, moins grave et moins profonde." Tel est le principe qui sous-tend
la primauté de la règle constitutionnelle. Mais il est loisible
dans le contexte camerounais de constater une résistante à ce
principe par le passage d'une procédure véritablement
contraignante en 1960 et 1961 (1) à une révision possible par la
procédure législative sous l'empire de la Constitution de 1972
(2).
1- D'une procédure véritablement
contraignante...
Aux termes de l'article 49 alinéa 3 de la constitution
du 04 mars 1960, "la révision doit être votée à la
majorité des deux tiers des membres composant l'Assemblée." La
doctrine établie que le quota exigé pour l'adoption d'une
révision est révélateur de son caractère rigide. Au
regard de cette disposition, il est clair que la constitution de 1960
était une Constitution rigide et donc supérieure à la loi,
car il fallait une majorité "qualifiée" de deux tiers pour que sa
révision soit acquise. C'est dans une volonté identique de
consacrer cette supériorité que le constituant de 1961, tout en
disposant que la "révision doit être votée à la
majorité simple des membres composant l'Assemblée
fédérale..." précise que cette majorité ne peut
être acquise qu'à condition de comporter "la majorité des
représentants à l'Assemblée fédérale de
chacun des Etats fédérés."(29) Cette condition, qui
n'était pas requise en matière d'adoption des lois, introduit
indubitablement dans une constitution en principe souple un
élément frappant de rigidification. Ainsi est consacrée la
suprématie de la loi fondamentale sur la loi "ordinaire". Ce principe
établi en droit constitutionnel camerounais va connaître avec
l'avènement de la Constitution du 02 juin 1972 une contestation
ouverte.
2- ...A une révision par la procédure
législative
La Constitution du 02 juin 1972 rompt avec l'affirmation de la
suprématie des règles constitutionnelles sur la loi. Le titre IX
qui traite de la révision de la Constitution ne laisse subsister aucun
doute dans la pensée: la constitution du 02 juin 1972 est une
Constitution
29 Article 47 alinéa 4 Constitution du 1" septembre
1961
souple. Ce constat est d'ailleurs fait par M. Ondoa qui
justifie par cela la thèse de la régularité de la
procédure constituante de 1996. Parce que la procédure de
révision de la constitution de 1972 ne s'identifie pas par rapport
à la procédure législative, elle ne peut être
regardée comme une Constitution rigide. Cela peut certainement justifier
la multitude de modification dont elle a été l'objet (30). La
construction de la souplesse en dehors de la substitution d'une
procédure législative à une procédure contraignante
s'accompagne d'une violation des règles du parallélisme des
formes
B) La négation de la règle du
parallélisme des formes
La règle du parallélisme des formes et des
procédures exige que la modification d'une norme ne puisse être
faite que par l'organe et la procédure qui ont participé à
son élaboration. Celle règle, rapportée à la
matière constitutionnelle pourrait aboutir dans une stricte application
au refus total du pouvoir constituant aux pouvoir constitués. Car une
constitution adoptée par référendum ferait obligatoirement
appel au peuple pour toute modification mineure ou majeure. Cependant son
aménagement est assoupli (31). Peut être est-ce cela qui justifie
endroit constitutionnel camerounais une négation
réitéré de cette règle traduite par la modification
totale d'une Constitution référendaire par la voie du Parlement
(1) ayant pour corollaire une substitution critiquable de l'Assemblée
nationale au peuple (2).
1- La révision totale d'une constitution
référendaire par une loi parlementaire
L'intervention directe du peuple dans l'adoption d'une
Constitution est considérée par a la science constitutionnelle
comme une preuve de rigidité dans un système majoritaire. Aussi
la révision totale par une loi parlementaire ne peut qu'aboutir à
lui faire perdre ce caractère que garantit la règle du
parallélisme des formes et des procédures. Plutôt deux fois
qu'une, en 1961 et en 1996, l'Assemblée nationale va procéder
à une révision totale d'une Constitution adoptée par
référendum, en l'occurrence la Constitution du 04 mars 1960 et
celle du 02 juin 1972. Ce fait heurte de plein fouet l'opinion d'une grande
partie de la doctrine, qui pense en
30 La Constitution du 02 juin 1972 a subi pas moins d'une
dizaine de révision constitutionnelle. La plupart de ces
révisions étaient guidées par des motifs politiques, et se
situe dans l'intervalle de temps 1983-1992.
31 S'il fallait absolument recourir au peuple pour modifier
une Constitution adoptée par référendum, alors il est fort
possible que la Constitution de 1972 n'aurait pas subi autant de modifications.
Pour éviter un blocage que pourrait constituer l'impossibilité
d'organiser un référendum pour une révision pourtant
nécessaire, la doctrine admet le cas particulier où il s'agit de
la révision totale de ladite Constitution. En l'espèce, la
science constitutionnelle préconise un recours obligatoire au peuple.
effet que "une révision globale de la Constitution ne
peut être possible que s'il y a une participation directe du peuple", a
fortiori lors que la Constitution objet de révision a été
adoptée par référendum. Il n'y a en effet que le peuple
pour revenir sur les principes qu'il a posés.
2- La substitution critiquable du législateur
au constituant
La modification totale de la Constitution par le
législateur tel qu'on l'a observé en 1996 sape
complètement le fondement de la rigidité constitutionnelle.
Celle-ci repose sur la distinction entre pouvoir constituant et pouvoirs
constitués, avec comme conséquence le refus du premier au second.
Dès lors, la Constitution ne peut être qu'assouplie. Comme le
relève si bien M. Ondoa, "la souplesse découle de l'appropriation
par les pouvoirs constitués en l'occurrence, le Président de la
République et le Parlement, de la totalité de la fonction
constituante. "(32) En s'accaparant du pouvoir constituant, les pouvoirs
constitués et surtout l'Assemblée nationale prennent la place du
souverain constituant ; une compétence qui ne leur est pourtant pas
reconnue, voire qui leur est refusée dans l'objectif de poser la
suprématie de la constitution sur la loi.
Mis à mal par l'assouplissement progressif des
règles qui participent de sa révision, la suprématie de la
norme constitutionnelle est aussi bousculée par la déconstruction
de sa rigidité.
II- LA DECONSTRUCTION DE LA RIGIDITE DE LA NORME
CONSTITUTIONNELLE
La rigidité constitutionnelle est à la fois
affirmée et remise en cause. Elle est affirmée par le recours au
peuple dans l'adoption de la Constitution comme ce fut le cas en 1972, mais
contestée par la confusion entre constituant originaire et constituant
dérivé (A). Cette suprématie est en même temps
affirmée par une procédure spéciale telle qu'on peut
l'observer dans la constitution de 1996, mais remise en question par la
révision aisée des dispositions portant révision de la
Constitution (B)
32 M. Ondoa, "La Constitution duale : Recherches sur les
dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun", op cit
A) La confusion entre pouvoir constituant et pouvoirs
constitués
Elle conduit inéluctablement à assouplir la
norme constitutionnelle placée désormais dans une situation de
dépendance préjudiciable face aux organes de l'Etat disposant du
pouvoir constituant. Cette confusion rendue effective par la souplesse des
règles de la procédure de révision est aggravée par
la logique majoritaire (1) et a conduit plusieurs fois au Cameroun à
l'élaboration d'une nouvelle Constitution par les pouvoirs
constitués (2)
1- Une confusion aggravée par le fait
majoritaire
Déjà aisée sous le parti unique, la
révision de la Constitution connaît à l'ère moderne
le fait majoritaire, dont la conséquence est des plus négative
sur la rigidité de la Constitution (33). Ce qui est
considéré par les auteurs comme "le fait de l'opinion publique
qui forme la majorité, du corps législatif qui la
représente, du pouvoir exécutif qui est son instrument, du
système judiciaire qui n'est autre que la majorité revêtue
du droit de prononcer les arrêts" aboutit à la maîtrise du
pouvoir normatif par un parti politique. Sous ce considérant, l'on admet
que les contraintes de la procédure de révision ne sont plus
dès lors que "des obstacles symboliques, insusceptibles en tout
état de cause d'opposer une résistance sérieuse à
la réalisation de la révision. "(34) Le peuple souverain se
trouve dépossédé de son pouvoir au profit des pouvoirs
institués. De fait, la stabilité et la supériorité
de la Constitution ne sont plus que chimères, car "la Constitution est
laissée à la merci des représentants ordinaires du peuple
qui s'arrogent le droit de la modifier, sans le peuple et parfois contre
lui."(35)
2- L'élaboration d'une nouvelle Constitution
par les pouvoirs constitués
II est admis que "dans une conception stricte de la
démocratie et du droit constitutionnel, seul le peuple détient le
pouvoir constituant originaire. Dans les autres cas c'est un abus de langage et
une fraude à la démocratie que de parler de Constitution."(36)
Mais alors que le pouvoir constituant dérivé est
considéré comme une "concession de la théorie
démocratique aux commodités pratiques", le recours au peuple
quant à lui est regardé
33 Le fait majoritaire est la reconstitution de
l'unité du pouvoir politique autour de l'exécutif par le jeu de
la majorité attribuant au camp victorieux la maîtrise totale du
pouvoir normal. Cette situation est porteuse de risque en ce qu'elle
crée une connivence entre le Parlement et l'exécutif. En
matière d'élaboration des lois, le Dr Issa Abiabag relève
que "le véritable chef de l'atelier législatif est le
Président de la République". Sur le plan de l'autorité de
la norme constitutionnelle, le fait majoritaire fait perdre toute valeur aux
contraintes de la procédure de révision.
34 M. Ondoa, "La distinction entre Constitution souple et
Constitution rigide en droit constitutionnel français", op. cit. P
86.
35 M. Ondoa, ibid. p 84.
36 0. Duhamel et Y. Mény, Dictionnaire
constitutionnel, PUF, 1992, p 753.
par une partie de la doctrine comme une "concession du
libéralisme à la démocratie". Quoiqu'il en soit, il est
patent en droit constitutionnel camerounais que la déconstruction de la
rigidité constitutionnelle doit beaucoup à l'érection de
l'Assemblée nationale au rang de souverain constituant. Certes on ne
pourrait raisonnablement contester aujourd'hui la souveraineté du
pouvoir constituant dérivé, et même si une constitution
nouvelle peut être élaborée par le pouvoir de
révision, elle ne saurait l'être par la procédure de
révision. Aussi la doctrine ne peut que se soulever lorsque comme en
1961 ou en 1996, une nouvelle Constitution est élaborée au
mépris de la distinction pouvoir constituant - pouvoirs
institués. Hors mis cette confusion que l'on ne peut que dénoncer
au regard de ses implications, il est tout aussi important de relever que la
déconstruction de la rigidité de la Constitution tient aussi
à la souplesse des dispositions relatives à la
révision.
B) La souplesse des dispositions relatives à la
révision
Elle tient à la facilité de leur révision
(1). Tirant les leçons des révisions de la Constitution de 1972,
la suprématie constitutionnelle gagnerait certainement à rendre
difficile la révision de la procédure de révision (2).
1- Des règles facilement
révisables
Les règles relatives à la révision de la
Constitution ne sont entourées d'aucune protection. Comme toutes les
autres dispositions, elles peuvent être révisées. Ainsi une
Constitution rigide peut très bien devenir souple, et vice-versa. Les
deux hypothèses n'ont pas encore été observées au
Cameroun, s'agissant d'une même Constitution. Toutefois, l'on est
déjà passé d'une Constitution rigide en 1961 à une
Constitution souple en 1972; et d'une Constitution souple en 1972 à une
Constitution rigide en 1996.
2- Une suprématie renforcée par une
éventuelle rigidification des règles relatives à la
révision
Pour Charles Eisenmann, la différence de
procédure justifie l'existence de deux catégories de lois : celle
de la législation ordinaire et celle de la législation
constitutionnelle. Sous ce prisme, seules bénéficient de la
supériorité les règles revêtues de la forme
constitutionnelle. Û y a donc un intérêt certain dans
l'analyse de la procédure de révision de la constitution. Si
celle-ci est identique à la procédure législative, la
Constitution n'est pas sur le plan formel, supérieure à la loi.
Nous pensons donc que si la procédure de révision
conférait déjà à la Constitution un
caractère rigide, la difficile révision de dites dispositions
affecterait d'un coefficient plus élevé cette rigidité. Il
suffirait de prévoir une majorité plus qualifiée que celle
prévue pour l'adoption des autres dispositions constitutionnelles. En
attendant une éventuelle traduction en droit positif, il faut remarquer
que la constitution de 1996 crée une "révolution" dans le droit
constitutionnel camerounais en rendant effective la distinction Constitution -
loi.
PARAGRAPHE 2: L'EFFECTIVITE DE LA DISTINCTION
CONSTITUTION-LOI A L'AUNE DE LA CONSTITUTION DE 1996
Le droit constitutionnel camerounais a certainement connu une
importante mutation avec la constitution du 18 janvier 1996. A la
lumière de la procédure qui est prévue pour son
éventuelle modification, on peut relever une totale rupture avec l'ordre
constitutionnel de la Constitution précédente. Le désaveu
de la souveraineté du Parlement (II) traduit alors la rupture avec
l'égalité entre constituant et législateur sous l'empire
de la Constitution du 02 juin 1972 (I).
I- L'EGALITE PREJUDICIABLE ENTRE CONSTITUANT ET
LEGISLATEUR SOUS L'EMPIRE DE LA CONSTITUTION DE 1972
La souveraineté de la Constitution sous l'empire de la
constitution du 02 juin 1972 était fortement contestée par la
reconnaissance au législateur ordinaire d'un pouvoir constituant. Ceci
à travers l'identité de la procédure législative et
de la procédure constituante (A) que corroborait un contrôle de
constitutionnalité "absurde" (B).
A) L'identité de la procédure
législative et de la procédure constituante
Dès lors qu'il n'y a pas matériellement une
définition de la Constitution, seul le critère formel permet
alors de distinguer la Constitution de la loi. C'est tout au moins à
cette conclusion qu'aboutit Charles Eisenmann qui affirme que "la
possibilité d'une définition juridique matérielle de la
Constitution tient en effet exclusivement au caractère particulier des
lois de procédure."(37) Pourtant, cette particularité des lois de
procédure n'est pas consacrée par la Constitution de 1972 qui
fait de l'Assemblée nationale l'organe de ratification (1) et cela sans
qu'il soit exigé une majorité qualifiée pour l'adoption
(2)
37 Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la Haute
Cour constitutionnelle d'Autriche, op. cit. p 6.
1- L'Assemblée nationale, organe chargé
de la ratification
Le pouvoir constituant dérivé est très
souvent partagé entre le peuple et ses représentants, mais l'on
admet que l'organe chargé d'approuver la révision soit
différent ou indépendant de l'Assemblée ordinaire. Aucune
de ces solutions ne retiendra la préférence du constituant de
1972, qui fera des représentants ordinaires du peuple et suivant la
procédure législative le pouvoir constituant. Certainement
l'existence d'un Parlement bicaméral (38) aurait permis de donner plus
d'effectivité à l'autorité de la norme constitutionnelle.
Mais par calcul politique ou par simple considération financière
tenant à la difficulté d'assurer le fonctionnement de deux
chambres qui, le cas échéant se seraient réunies en
Congrès pour voter une révision constitutionnelle, le constituant
de 1972 préféra confier à l'assemblée ordinaire le
pouvoir de remplacer le souverain et cela selon la procédure ordinaire
législative.
2- La non exigence d'une majorité
qualifiée pour l'adoption du texte
Le droit constitutionnel bâti sous l'égide de la
Constitution du 02 juin 1972 est un droit très éloigné des
grands principes constitutionnels relatifs à la suprématie de la
règle de droit fondamental. En confiant le pouvoir de réviser la
Constitution à l'assemblée ordinaire, le constituant aurait pu
lui imposer une majorité qualifiée pour l'adoption du texte. Mais
la tradition de rigidité constitutionnelle posée par la
Constitution du 04 mars 1960 et réaffirmée par celle de
1er septembre 1961 est totalement bafouée par la Constitution
de 1972. Le texte soumis à l'Assemblée nationale est
adopté comme la loi "à la majorité des membres composant
l'Assemblée nationale." A cette identité de procédure
s'ajoute un contrôle de constitutionnalité dont la logique est
difficile à saisir.
B) L'absurdité d'un contrôle de
constitutionnalité
Elle se justifie à deux points de vue: l'absence de
suprématie de la Constitution sur la loi (1) et la reconnaissance d'un
pouvoir constituant au législateur ordinaire (2).
1- L'absence de suprématie de la Constitution
sur la loi
La suprématie de la Constitution a obligatoirement
aujourd'hui la mise en place de garantie pour en assurer l'effectivité.
Or il est admis que lorsqu'une Constitution est souple,
38 Le bicamérisme est considéré comme
un élément de rigidification de la Constitution. L'image du
Sénat "chambre de censure" tel qu'il s'est construit en France peut
susciter quelques enthousiasmes relativement à sa capacité
à tempérer les effets du fait majoritaire. Les
représentants des collectivités locales, se présentent
ainsi comme les véritables "défenseurs" des intérêts
du peuple pris comme la masse populaire. Mais seule la pratique confortera ou
démentira la thèse selon laquelle le bicamérisme
camerounais est une garantie de la stabilité constitutionnelle.
elle n'est pas supérieure à la loi. D'où
le paradoxe d'instituer un contrôle de constitutionnalité qui
n'est que l'instrument de l'effectivité de la distinction Constitution -
loi et de la supériorité de la première sur la seconde.
Mais puisque la Constitution de 1972 affirmait sa souplesse, on se pose la
question de savoir que garantissait le dit contrôle. Certainement pas la
suprématie de la loi fondamentale, puisqu'on l'espèce elle
n'était pas posée en tant que principe.
2- La reconnaissance d'un pouvoir constituant au
législateur ordinaire
La science constitutionnelle envisage deux conséquences
de la rigidité. D'abord l'impossibilité pour le
législateur de modifier la Constitution interdit qu'il vote des lois qui
lui sont contraires. Il s'agirait alors d'une "révision
déguisée." Ensuite les pouvoirs constitués ne peuvent
renoncer à exercer les attributions que la Constitution leur confie; il
s'agit de "compétences" et non de "droits". Sous ce rapport, "abandonner
un pouvoir inscrit dans la Constitution équivaut à une
révision implicite de la Constitution." Tout ceci ne vaut que sous
condition de rigidité, car pour une Constitution souple comme celle de
1972, l'Assemblée nationale pouvait très bien adopter une loi
ordinaire dérogeant à un principe constitutionnel sans que cette
loi soit inconstitutionnelle. En prévoyant une procédure
constituante identique à la procédure législative, le
constituant reconnaissait explicitement au législateur le pouvoir de
porter atteinte régulièrement à l'autorité de la
norme constitutionnelle.
Une révolution s'opère cependant avec la
Constitution du 18 janvier 1996, qui revient au principe de la
suprématie constitutionnelle.
II- LE DESAVEU DE LA SOUVERAINETE DU PARLEMENT PAR
LE CONSTITUANT DE "LA NOUVELLE GCNERATION"
La suprématie constitutionnelle avec la loi
fondamentale du 18 janvier 1996 retrouve toute sa pertinence. Il faut dire que
son titre XI prévoit pour sa modification une procédure
spéciale et contraignante (A) marquée par l'apparition d'un
nouvel organe de ratification: le Congrès (B).
A) Une procédure de révision
spéciale et contraignante
De son caractère spécial on retient qu'elle est
différente de la procédure législative. C'est surtout son
aspect contraignant qui marque sa différence. Celui-ci tient à un
bicamérisme égalitaire (1) et au vote à une
majorité qualifiée (2).
1- Un bicamérisme égalitaire
L'égalité entre le Sénat et
l'Assemblée nationale lors de la révision de la constitution est
une caractéristique de la procédure de révision. En effet
le bicamérisme tel qu'il apparaît dans la procédure
législative est inégalitaire. La préférence est
accordée à l'Assemblée nationale qui statue
"définitivement" sur un texte de loi lorsqu'il s'est
révélé impossible pour les deux chambres de parvenir
à un compromis. Mais en matière constitutionnelle le Sénat
et l'Assemblée nationale sont au même pied
d'égalité. Cette égalité est cependant moins
marquée au Cameroun qu'en France, où le texte doit d'abord
être voté en termes identiques par les deux chambres prises
séparément, avant son éventuelle ratification par le
Congrès.
2- Le vote à une majorité
qualifiée
Le projet ou la proposition de révision n'est
adoptée que s'il a réuni la majorité requise. Selon la
Constitution, "le texte est adopté à la majorité absolue
des membres le composant. Le Président de la République peut
demander une seconde lecture. Dans ce cas, la révision est votée
à la majorité des deux tiers des membres composant le Parlement."
Faut-il le rappeler, l'Assemblée nationale tout comme le Sénat
adopte les lois "à la majorité simple" des députés
ou des sénateurs.
Cette ratification est faite par un organe tout aussi
spécial.
B) Une assemblée constituante ad hoc pour la
ratification: le Congrès
II succède à l'assemblée ordinaire de la
Constitution de 1972. D doit son existence à la création d'un
Parlement bicaméral (1) et c'est un organe souverain (2).
1- Un organe lié à la création
d'un Parlement bicaméral
L'exclusion du législateur ordinaire du domaine de la
Constitution fait émerger le Congrès en tant qu'organe
chargé de la ratification du projet ou de la proposition de
révision. Le Congrès qui est la réunion simultanée
des deux chambres du Parlement doit donc son existence à
l'avènement du bicamérisme dans le droit constitutionnel
camerounais de la "nouvelle génération". Sa compétence est
cependant concurrente à celle du peuple souverain car aux termes de
l'article 63 alinéa 4 "le Président de la République peut
décider de soumettre tout projet ou toute proposition de révision
de la Constitution au référendum."
2- Un organe souverain
Cette souveraineté n'est pas usurpée. Elle
s'intègre parfaitement aux principes constitutionnels relatifs à
la révision de la Constitution. Le constituant de 1996 contrairement
à celui de 1972 a opté pour une assemblée constituante
différente de l'assemblée ordinaire. La réunion du
Parlement en Congrès est en soi l'expression de ce symbolisme dont doit
se revêtir l'élaboration autant que la révision de la
Constitution. Surtout, elle fait renaître l'idée selon laquelle
"on ne touche à la Constitution qu'avec des mains tremblantes". Ces
mains sont celles du souverain.
Les règles de la législation constitutionnelles
au Cameroun, qu'elles président à l'élaboration d'une
constitution ou à la modification de celle existante ont
démontré la particularité d'un droit constitutionnel
construit sur des ambiguïtés et des principes trop vite remis en
question. Pourtant il demeure une certitude, celle d'une autorité
affirmée de la règle élaborée suivant la
procédure de la législation constitutionnelle. En la
matière, la science constitutionnelle du Cameroun affirme encore son
attachement aux grands principes qui gouvernent le droit constitutionnel
classique. Cependant cette autorité quoique posée peut
très bien être bafouée en pratique, et l'est même.
D'où la nécessité de lui donner pleine effectivité.
Jadis reposant sur un contrôle politique, la suprématie
constitutionnelle fait aujourd'hui l'objet d'une véritable protection.
L'étude de celle-ci fera l'objet de la deuxième partie de notre
travail.
DEUXIEME PARTIE
LES GARANTIES DE L'AUTORITE DE LA NORME
CONSTITUTIONNELLE
La suprématie des règles issues de la
législation constitutionnelle est considérée comme un
simple voeu pieux lorsque des mécanismes ne sont pas mis en oeuvre pour
sanctionner les violations éventuelles des principes qu'elle pose par
les pouvoirs institués. L'adhésion n'est plus aujourd'hui unanime
à l'idée de protection qui prévalait en 1789. Pour les
révolutionnaires, la protection de la Constitution doit être
confiée "à la fidélité du corps législatif,
du roi et des juges, à la vigilance des pères de familles, aux
épouses et aux mères, à l'affection des jeunes citoyens,
au courage de tous les français." Mais l'histoire a
révélé l'utopie de cette pensée. Aussi est-il
apparu nécessaire d'opérer un choix entre laisser aux pouvoirs
constitués et surtout au Parlement le choix de respecter la Constitution
ou alors les y contraindre. Après beaucoup de réticences, le
constituant camerounais s'est enfin décidé à tirer toutes
les implications de la suprématie constitutionnelle, en mettant en place
des garanties juridictionnelle destinées à donner pleine
effectivité au principe; ceci à travers le contrôle de
constitutionnalité.
Le droit constitutionnel camerounais a rapidement
comblé une "lacune" de la constitution du 04 mars 1960, qui n'avait pas
cru indispensable de protéger la Constitution contre ce qui peut
être appelé un "légicentrisme inhibitif. Mais l'idée
que la loi est toujours l'expression de la volonté
générale est remise en question par la Constitution de 1961 qui
avance "timidement" que "la loi n'exprime la volonté
générale que dans le respect de la Constitution." Une idée
qui sera reprise par le constituant de 1972 avant d'être
véritablement concrétisée par la loi fondamentale du 18
janvier 1996. Au demeurant, l'effectivité du contrôle de
constitutionnalité et l'affermissement de l'autorité de la norme
constitutionnelle que l'on peut observer aujourd'hui (chapitre 2) ne doit pas
occulter le fait que cette suprématie à été
fortement éprouvée par la dynamique du contrôle de
constitutionnalité en droit constitutionnel camerounais (chapitre 1); le
Président de la République intervenant encore ici comme le juge
de "dernier ressort" de la constitutionnalité des lois.
CHAPITRE I:
LA SUPREMATIE CONSTITUTIONNELLE A L'EPREUVE DE LA
DYNAMIQUE DU CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITE EN DROIT CAMEROUNAIS
Le postulat est posé par Charles Eisenmann qui le
formule en termes précis et concis: "la suprématie de la
Constitution dans l'Etat lui confère tout naturellement la
qualité de mètre suprême de la régularité
juridique"(l). L'observateur remarquera pourtant que cette qualité sans
être explicitement affirmée en droit constitutionnel camerounais,
était implicitement reniée. On a pu ainsi développer, par
exemple en droit administratif, la théorie de l'écran
législatif. L'adhésion rapide du droit camerounais à
l'idée de contrôle de l'Exécutif dans sa manifestation
d'administrateur s'est accompagnée corrélativement d'une
hostilité à faire de même pour le législateur, sous
le fondement que la loi est l'expression de la volonté
générale. Pendant longtemps au Cameroun, il a été
admis en fait sinon en droit que contrôler la volonté du Parlement
c'était contrôler la volonté du souverain. La
conséquence est inévitablement une suprématie
discutée de la norme constitutionnelle (section 1). Mais
l'adhésion du Cameroun au constitutionnalisme conçue comme
"l'avènement du droit et de la justice au coeur du fonctionnement de la
démocratie libérale et pluraliste à travers le
contrôle juridictionnel de constitutionnalité des lois "(2) allait
restaurer une autorité bafouée (section 2).
SECTION 1: UNE SUPREMATIE DISCUTEE SOUS LE DROIT
CONSTITUTIONNEL DE "L'ANCIENNE GENERATION"
La sauvegarde de la primauté de la règle
constitutionnelle est très vite apparue comme une
nécessité pour* le constituant camerounais. D'où
l'organisation d'un contrôle de constitutionnalité dès la
Constitution fédérale de 1961 qui venait corriger un oubli du
constituant de 1960. Cette organisation sera reprise tel quel par la loi
fondamentale du 02 juin 1972. Ce faisant le constituant camerounais affirmait
son scepticisme quant à la fidélité des pouvoirs
constitués à la norme supérieure. Pourtant comme le
relève déjà L. Donfack Sokeng, l'espoir né de
"l'instauration d'un gouvernement constitutionnellement limité" allait
rapidement "céder le pas au désenchantement"(3).
L'expérience ayant révélé que cette garantie
était illusoire au regard d'un contrôle de
constitutionnalité par voie d'action inopérant (paragraphe 1)
et un contrôle par voie d'exception inexistant (paragraphe 2).
1. Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la
haute cour constitutionnelle d'Autriche, Economica, PUAM, 1923,p 13.
2. L. Donfaek Sokeng, "Le contrôle de
constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui. Réflexions sur
certains aspects de la réception du constitutionnalisme moderne en
droit camerounais", in S. Méloné, A. Minkoa She et L. Sindjoun
(dir.) La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun.
Aspects juridiques et politiques, Yaoundé, Friedrich EBERT, 1996, pp 362
et SS.
3. L. Donfack Sokeng, op. cit. p 363.
PARAGRAPHE 1: UN CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITE PAR
VOIE D'ACTION INOPERANT
L'idée d'un contrôle de constitutionnalité
des lois posée par la Constitution du 1" septembre 1961 est reprise par
celle de 1972 qui dispose que "le Président de la République
saisit la Cour suprême (...) lorsqu'il estime qu'une loi est contraire
à la présente Constitution" (4). Ce contrôle va pourtant
pécher par une ineffectivité criarde.
L'inopérationnalité du contrôle de
constitutionnalité sous le droit constitutionnel de l'ancienne
génération pourrait reposer sur le blocage de la chambre
constitutionnelle de la haute juridiction (I) qui aura pour conséquence
de substituer au contrôle juridictionnel prévu par la Constitution
un contrôle totalement politique (II).
I- LE BLOCAGE DE "LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE"DE
LA COUR SUPREME
De la lecture de l'article 32 de la Constitution du 02 juin
1972, il ressort que "lorsque la Cour suprême est appelée à
se prononcer dans les cas prévus aux alinéas 7, 10 et 27, elle
est complétée à nombre égal par des
personnalités désignées en raison de leur
compétence et de leur expérience pour une période d'un an
par le Président de la République". L'analyse de cette
disposition permet de relever que le contrôle de
constitutionnalité est dévolu à une formation
spéciale de la Cour suprême que L. Donfack Sokeng nommera la
"chambre constitutionnelle". Cette tâche ne sera pourtant pas remplie,
car la chambre constitutionnelle se retrouvera bloquée; un blocage qui
reposerait sur deux facteurs: la nature de l'organe (A) et sa dépendance
du politique (B).
A) Un blocage lié à la nature de
l'organe
L'institution d'un contrôle de
constitutionnalité en 1961 puis en 1972 laisse perplexe. Si l'on peut
comprendre son opportunité sous le régime fédéral
de 1961, sa confirmation par le constituant de 1972 semble répondre plus
à une "folie des grandeurs" qu'à une réelle volonté
de garantir l'autorité de la norme constitutionnelle (5). Alors que le
Parlement est "une chambre d'enregistrement des volontés du
Président de la République" et que la Constitution est souple
l'idée d'un contrôle de constitutionnalité en 1972 va se
heurter en pratique au blocage de l'organe chargé de sa mise en oeuvre.
En effet, en subordonnant sa mise en place à l'existence d'un litige (1)
le constituant en fait une sorte d'institution ad hoc (2).
4 Voir notamment l'article 14 de la Constitution du 1"
septembre 1961 et l'article 10 de la Constitution du 02 juin 1972.
5 Le contrôle de constitutionnalité rempli en
1961 une véritable fonction de garantie de l'autorité de la
Constitution, car celle-ci se distingue véritablement de la loi et
affirme sa supériorité. Il n'en est pas de même en 1972
puisque, comme nous le démontrons, la Constitution n'affirmait pas
vraiment sa supériorité sur la loi, ce qui aurait justifier un
contrôle de cette suprématie. A moins de retrouver cène
suprématie dans son adoption par référendum; mais en
organisant une révision par la procédure législative, le
constituant de 1972 a ouvert la voie à une contestation de cette
suprématie par la loi ordinaire.
1- Sa mise en place est subordonnée à
l'existence d'un litige sur la loi
La difficulté est alors de trouver un litige sur la
loi. La discipline partisane et l'allégeance de gré ou de force
au Président de la République sont si fortes, qu'on imagine mal
un projet de loi faisant l'objet d'un litige. Par leur tradition du vote par
applaudissement, les parlementaires du parti unique ont développé
la pratique de "projet déposé égal projet adopté".
Aussi, en subordonnant la mise en place de la chambre constitutionnelle
à l'existence d'un litige sur la loi, le constituant rend-il illusoire
toute idée de contrôle. On pourrait tout aussi croire qu'en
disposant que "le Président de la République saisit la Cour
suprême..." cela suppose que la chambre existe indépendamment de
tout litige(6). Mais un tel raisonnement ne saurait prospérer outre
mesure, car la Cour suprême dans sa formation initiale n'a aucune
compétence pour connaître de la constitutionnalité des
lois. En fait, elle apparaît comme la permanence de la chambre
constitutionnelle.
2- Une sorte d'institution ad hoc
Une institution ad hoc est une institution créée
par un texte pour une mission précise et qui a vocation à
disparaître avec la fin de la mission. Mais le caractère ad hoc de
la chambre constitutionnelle est un peu plus complexe. La Constitution ne
crée pas en effet une chambre constitutionnelle au sein de la Cour
suprême, mais envisage la formation d'un organe spécial pour
résoudre un problème qui viendrait à naître. La
chambre constitutionnelle est une institution qui n'existe pas tant qu'un
litige sur la constitutionnalité des lois n'est pas né. Cette
nature ad hoc ne signifie donc pas que l'institution est temporaire, car en
disposant que "le mandat des personnalités ainsi désignées
est prorogé de plein droit jusqu'à la nomination de «leurs
successeurs", l'ordonnance n°72/6 du 26 août 1972 affirmait
incontestablement son caractère permanent. Une permanence qui ne pouvait
cependant être envisagée qu'après la mise en place
effective de l'organe. Celle-ci n'aura jamais lieu. Le blocage de l'institution
peut également être posé sur le fondement de sa
dépendance au politique.
B) Un blocage lié à sa dépendance
politique
La chambre constitutionnelle de la Cour suprême n'a
jamais fonctionné. Ce blocage serait lié à une forte
dépendance politique de l'institution dans son existence (1) et de ses
membres dans un éventuel office (2).
6 Le Pr. Donfack Sokeng défend la thèse de
l'existence de la chambre constitutionnelle. Il soutient en effet qu'admettre
l'idée selon laquelle la mise en place de ladite chambre était
subordonnée à la naissance d'un litige "foule aux pieds
l'idéal de justice en permettant au Président de la
République, partie au procès d'en influencer grossièrement
l'issue par la nomination des personnalités présumées
acquises d'office à sa cause." Pourtant, rien ne garantit que cette
nomination intervenant en dehors de ce cas aurait donné aux dites
personnalités "les moyens de leur infidélité" à
celui à qui ils doivent d'être là. Au demeurant, la
rédaction ambiguë de l'article 33 de la Constitution ne permet pas
une totale adhésion à cette position.
1- La dépendance politique de l'institution
dans son existence
La chambre était mise en place à l'occasion d'un
litige; mais l'existence d'un litige dépendait du Président de la
République(7). De plus, c'est encore le Président de la
République qui nommait, et cela de manière absolument
discrétionnaire, les personnalités appelées à
compléter la Cour siégeant en matière constitutionnelle.
L'existence de la chambre constitutionnelle présente alors toutes les
caractéristiques d'une institution dépendant du bon vouloir du
Président de la République qui seul pouvait décider de sa
mise en place.
2- La dépendance des membres de la
chambre
II est assez difficile de postuler pour une
indépendance des membres de la Cour suprême siégeant en
matière constitutionnelle. Tant les membres permanents de la Cour que
les personnalités désignées en sus pour régler la
question de la constitutionnalité de la loi étaient nommés
par le Président de la République. Certes la nomination de ces
personnalités est faite sur la base de critères objectifs mais,
et rejoignant en cela L. Donfack Sokeng, le Chef de l'Etat est "seul juge de
leur compétence et de leur expérience."(8) Sous ce prisme se
dessine la dépendance de ces personnalités qui ne disposent pas
des "moyens de leur infidélité vis-à-vis du
Président de la République." Plus encore dans un Cameroun
où le culte de la gratitude est le credo repris par tous, on
n'imaginerait pas ces membres dans un éventuel litige, désavouer
le Président de la République à qui ils doivent
forcément faire allégeance pour espérer une reconduction
au terme de leur mandat. Malheureusement, la Chambre n'ayant jamais
été mise en place, cette théorie est impossible à
vérifier. Quoiqu'il en soit, l'autorité de la norme souffre
cruellement de garantie, pour ne pas dire qu'elle n'est qu'un voeu pieux. Ce
blocage de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême va consacrer
l'exclusivité du contrôle politique de la loi et donc du respect
de la Constitution.
II- LA SUBSTITUTION D'UN CONTROLE POLITIQUE A UN
CONTROLE JURIDICTIONNEL
Toutes les Constitutions jouissent d'une protection politique.
Ce contrôle est dévolu au Président de la
République. Toutes les Constitutions camerounaises ont consacré
ce contrôle en disposant que "le Président de la République
veille au respect de la Constitution." (9) Bien
7 Artisan principal sinon unique des lois, le
Président de la République s'est toujours vu reconnaître le
droit d'initiative en matière législative, à l'exception
de la Constitution du 4 mars 1960. Aussi, les lois ne sont que la mise en
oeuvre de la politique présidentielle. La configuration du Parlement
sous le parti unique permet difficilement d'envisager un litige sur la
constitutionnalité de la loi et donc de trouver la pertinence du
contrôle prévu à cet effet et en même temps
fermé dans son activation.
8 L. Donfack Sokeng, "Le contrôle de
constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui Réflexions sur
certains aspects de la réception du constitutionnalisme moderne en droit
camerounais", op. cit.
9 Ce rôle retrouve certainement une nouvelle vigueur
avec l'institution d'un contrôle de constitutionnalité des lois
tel qu'il est organisé par la loi fondamentale du 18 janvier 1996.
peu de Constitutions peuvent cependant se vanter d'avoir en
plus de cette protection politique une protection juridictionnelle (10). C'est
ce contrôle juridictionnel par une formation spéciale de la Cour
Suprême qui sera remplacé par un contrôle exclusivement
politique. Cette substitution qui trouve sa cause dans la vacuité des
dispositions constitutionnelles relatives au dit contrôle juridictionnel
(A), se traduit par l'érection du Président de la
République au rang de juge constitutionnel (B).
A) La vacuité des
dispositions constitutionnelles relatives au contrôle juridictionnel
Les imperfections du contrôle de
constitutionnalité par la chambre constitutionnelle de la Cour
Suprême sont patentes au regard de la Constitution du 02 juin 1972. Nous
pouvons relever les ambiguïtés de rédaction de l'article 33
(1) et le silence de la Constitution quant à la portée d'une
décision d'inconstitutionnalité (2).
1- Les ambiguïtés de rédaction de
l'article 33.
Cet article subordonne l'existence de la chambre
constitutionnelle au bon vouloir du Président de la République.
En effet on ne saurait nier que ladite chambre « n'a à ce jour
jamais été réunie », et a fortiori
existé. A l'appui de cette affirmation, le fait que son existence
était conditionnée par celle d'un litige sur la
constitutionnalité de la loi et la saisine par le Président de la
République. Seule une interprétation trop extensive pourrait
aboutir à affirmer l'existence de cette chambre constitutionnelle au
même titre que la chambre judiciaire ou la chambre administrative. Il
apparaît vraisemblablement au regard de l'ordonnance n° 76/6 du 26
août 1972 que le constituant a entendu créer une institution
permanente, mais la rédaction de l'article 33 n'autorise pas à
parler d'une chambre constitutionnelle sans une action du Chef de l'Etat .
La permanence de la juridiction n'étant envisageable qu'une fois que les
premières personnalités en sus auraient été
nommées. Cela heurte certes l'idéal de justice comme s'en
inquiète le Pr. Donfack Sokeng, mais cela explique aussi pourquoi elle
n'a pas existé. De plus une telle institution aurait pesé sur le
budget de l'Etat dans un contexte où il était probablement
impossible qu'un litige naisse sur la constitutionnalité de la loi.
(11)
Le silence de la Constitution quant à la
décision d'inconstitutionnalité
Le constituant de 1972 est resté silencieux sur la
portée de la décision d'inconstitutionnalité. Pourrait-on
y voir un aveu de l'impossibilité d'un quelconque différend
10 Voir à ce sujet J. Gicquel, Droit constitutionnel et
institutions politiques, Montchrestien, Paris, 19ème
éd. P 176
11 Cf. supra
sur la loi comme nous l'évoquions plus haut? Nous
sommes tentés de répondre à cette question par
l'affirmative. Sinon comment expliquer que ni la Constitution, ni l'ordonnance
n°72/6, ni l'ordonnance n°75/16 fixant la procédure et le
fonctionnement de la Cour suprême ne traite de l'autorité des
décisions rendues par une institution qu'on veut permanente. Dans le
silence, on pourrait dire que les dispositions de l'article 16 de l'ordonnance
n°72/6 seraient applicables aux décisions de la chambre
constitutionnelle (12). Mais loin de conforter la suprématie de la
Constitution, elle l'écorcherait car laissant le Président de la
République libre de promulguer une loi déclarée
inconstitutionnelle. Cette vacuité de la constitution va aboutir
à mettre l'institution "en veilleuse", laissant ainsi au Chef de l'Etat
le soin d'apprécier la constitutionnalité des lois.
B) L'élévation du Président de la
République au rang de juge constitutionnel
Le contrôle de constitutionnalité est normalement
fait par un juge constitutionnel. Son organisation par la Constitution de 1961
et par suite de 1972 ne pouvait qu'aboutir à un blocage de l'institution
dont l'émergence du Président de la République en tant que
"véritable juge de la constitutionnalité"(13) ne pouvait qu'en
être la conséquence logique. Seul il peut saisir la Cour
suprême d'une question d'inconstitutionnalité (1) et il peut
ensuite utiliser son pouvoir de nomination pour influencer la décision
du juge constitutionnel (2).
1- Seul il peut saisir la Cour suprême d'une
question d'inconstitutionnalité
La saisine de la Cour suprême d'un différend sur
une loi est, selon l'expression de L. Donfack Sokeng "marqué du sceau de
l'exclusion". Le Président de la République dispose seul du droit
de saisir la Cour sur la constitutionnalité de la loi. Initiateur de la
loi et dans un contexte de parti unique, on voit mal comment ce dernier aurait
saisi la Cour d'un texte qu'il a lui-même introduit au Parlement, et qui
n'a subi pratiquement aucune modification. C'aurait été se
prévaloir de sa propre turpitude, et cela nul ne le peut. Au demeurant,
la Constitution de 1972 étant souple, elle était révisable
par une simple loi parlementaire. La seule condition étant de mettre au
frontispice du texte "loi portant révision...". Un éventuel
contrôle n'aurait certainement pas été libre de toute
influence, l'institution étant pratiquement "rattachée" au
Président de la République qui disposait d'un pouvoir
d'instruction des décisions de la juridiction.
12 Au regard de cette disposition, les décisions de la
Cour suprême "s'imposent aux juridictions inférieures". La valeur
de la décision d'inconstitutionnalité demeure donc incertaine
selon que le Président décide ou non de promulguer la loi. Ce
silence des textes et surtout de la Constitution ouvre la porte à toutes
les interprétations, le plus souvent pas dans le sens de la
suprématie de la norme constitutionnelle.
13 Voir L. Donfack Sokeng, "Le contrôle de
constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui", op. cit.
2- La possibilité d'influencer la
décision du juge constitutionnel
Appelée à se prononcer sur la
constitutionnalité d'une loi, la Cour suprême devait être
complétée par des personnalités nommées par le
Président de la République. Aussi regrettable que cela puisse
être, cette disposition offrait au Président la possibilité
d'orienter la décision de la chambre. Tout un flou entoure la
"compétence" et "l'expérience" des personnalités à
désigner pour compléter la Cour. Rien ne permet donc d'affirmer
qu'ils n'auraient pas eu pour seule compétence leur
fidélité au Président et pour expérience leur
militantisme vigoureux en faveur de ses idéaux. De fait, en reliant la
désignation de ces membres temporaires de la chambre constitutionnelle
à la saisine de la Cour, le constituant n'a-t-il pas entendu mettre
entre les mains du Président un "joker" dans une hypothétique
modification du projet de loi par un amendement jugé inopportun? La
pratique aurait permis de se faire une idée sur la question. Pour nous,
cela paraît envisageable au regard de la rédaction du texte
constitutionnel.
L'inopérationnalité du contrôle de
constitutionnalité par voie d'action aura pour conséquence de
laisser l'autorité de la norme constitutionnelle à la
"fidélité" des pouvoirs institués. Le résultat sera
l'introduction dans l'ordonnancement juridique des normes manifestement
inconstitutionnelles, que le juge constitutionnel ne pourra pas sanctionner et
que le juge judiciaire se refusera à contrôler.
PARAGRAPHE 2: UN CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITÉ PAR
VOIE D'EXCEPTION INEXISTANT
La suprématie des règles constitutionnelles
déjà non garantie par le juge constitutionnel
était»aussi contestée par l'inexistence d'un contrôle
de constitutionnalité par voie d'exception. Il résultait en effet
des dispositions de la Constitution du 1" septembre 1961 et de 1972 que seul
était prévu c'est-à-dire organisé un contrôle
par voie d'action par la chambre constitutionnelle et sur saisine du
Président de la République. Le refus des tribunaux de
connaître des exceptions de constitutionnalité (I) va faire
l'objet d'une véritable jurisprudence tant du juge judiciaire que du
juge administratif. Une jurisprudence qui consacre le caractère
spécieux de la prééminence hiérarchique de la
constitution (II).
I- LE REFUS REITERE DES TRIBUNAUX DE CONNAITRE DES
QUESTIONS DE CONSTITUTIONNALITÉ
Le juge judiciaire et le juge administratif ont tous deux
affirmé leur incompétence en matière de contrôle de
constitutionnalité des lois. Cette incompétence qui peut
être relevé à deux niveaux (A) n'est cependant pas à
l'abri de toute critique (B).
A) L'irrecevabilité du moyen tiré de
l'inconstitutionnalité devant le juge
Le juge judiciaire et le juge administratif camerounais ont
fait de l'irrecevabilité du moyen tiré de
l'inconstitutionnalité une jurisprudence imprégnant le droit
judiciaire et le droit administratif 14). Cette irrecevabilité est
justifiée par le recours aux dispositions constitutionnelles (1) dont le
juge déduit son incompétence (2).
1- L'inorganisation d'un contrôle de
constitutionnalité par voie d'exception
Le refus des juges de garantir la primauté des
règles constitutionnelles sur la loi est, au terme de la jurisprudence
judiciaire et administrative, justifiée par la non organisation d'un tel
contrôle par le constituant. A l'appui de cette position, l'article 14 de
la Constitution fédérale et l'article 10 de la Constitution de
l'Etat unitaire. Pour le juge camerounais, il apparaît au regard de ces
dispositions que seul est prévu au Cameroun un contrôle de
constitutionnalité par voie d'action, cette position est
magnifiée par le juge administratif dans une affaire SGTE.
Répondant au demandeur qui réclamait l'annulation d'un acte
administratif sur le fondement de l'inconstitutionnalité de la loi qui
lui servait de base, le juge pose "qu'à supposer même que le
principe de la non rétroactivité des lois soit une règle
constitutionnelle, et que la loi du 30 juin 1966 pour l'avoir méconnue
soit inconstitutionnelle, en l'absence d'un contrôle de
constitutionnalité des lois par voie d'exception.. ."(15) il ne saurait
garantir la suprématie de la règle constitutionnelle sur la loi.
Le juge affirme par-là son incompétence.
2- Une incompétence déduite des
textes
L'incompétence du juge en matière de
contrôle de constitutionnalité par voie d'exception repose sur une
lente construction à la base duquel se trouve le texte constitutionnel.
Le juge estime en effet que le contrôle de constitutionnalité ne
ressortit pas de sa compétence, car seule la Cour suprême dans sa
chambre constitutionnelle en a l'exclusivité. Il s'agit donc d'une
incompétence à deux niveaux. Comme le souligne L. Donfack Sokeng,
"il s'agit d'une incompétence matérielle [et] d'une
incompétence personnelle. "(16) Aussi de la lecture combinée des
articles 10 et 33 de la Constitution du 02 juin 1972, le juge pose-t-il non
seulement qu'il n'est pas le juge compétent en matière de
contrôle de constitutionnalité des lois, mais aussi qu'un tel
contrôle ne peut être actionné que par le Président
de la République (17). Cette jurisprudence sera fortement
critiquée par la doctrine
14 voir notamment les arrêts CFJ-AP du 30/09/1969, SGTE,
CFJ-CAY du 29/03/1972, Eitel Mouelle,; arrêt n°9 du 05/05/1973,
ÇA Garoua,
15 Arrêt n° 68 CFJ-AP du 30/09/1969, SGTE.
16 Cf. infra
17 Tel est l'argumentaire du juge de la Cour d'appel de
Garoua dans l'affaire dite "des coffres-forts" du 05/05/1973.
B) Une incompétence critiquée et
critiquable
La position du juge camerounais relativement à la
question de l'exception d'inconstitutionnalité soulève l'ire de
la doctrine. L'idée avancée est que le juge peut exercer un tel
contrôle, tant il est vrai que cela ne lui est pas expressément
interdit (1). Au surplus sa position n'est pas conforme au droit car "il tire
une conséquence extrême et absolue d'une règle simplement
dévolutive dont on peut relativiser la portée."(18) II s'ensuit
une compétence que l'on peut fonder sur la théorie des
compétences implicites (2).
1- Un contrôle non interdit par les
textes
L'argumentaire reposant sur la non organisation d'un
contrôle de constitutionnalité par voie d'exception par le
constituant se heurte à une réplique non moins pertinente: aucune
disposition constitutionnelle n'interdit au juge d'exercer un tel
contrôle. Il se trouve que "si l'on peut déduire que le
contrôle de constitutionnalité par voie d'action est
réservé en droit camerounais au seul Président de la
République, rien n'autorise à conclure à l'inexistence
dans notre droit de la possibilité d'un contrôle de
constitutionnalité par voie d'exception" (19). La possibilité de
contrôler la constitutionnalité des lois ne lui ayant pas
été expressément refusé, l'attitude du juge
camerounais ne peut qu'être contestable car, conclut L. Donfack Sokeng,
il "refuse de faire usage du pouvoir d'interprétation que lui
reconnaît la loi"(20).
2- L'hypothèse d'un contrôle sur le
fondement des compétences implicites
Le juge camerounais aurait pu se reconnaître
compétent pour examiner la constitutionnalité d'une loi à
l'occasion d'un litige sans pour autant violer la constitution. Le juge est
investi du pouvoir d'interpréter la loi, c'est à dire d'en
déterminer la signification. En usant de ce pouvoir, il peut se
reconnaître une compétence qui, sans lui être
expressément attribuée, ne lui est pas clairement refusée.
Les compétences implicites sont une technique d'interprétation
qui consiste à combler les lacunes créées par le silence
du droit, en induisant des compétences expresses l'objectif visé
par le législateur pour en déduire les moyens nécessaires.
Le constituant a prévu que la loi sera inférieure à la
constitution. Sur le plan juridique, cela signifie qu'elle doit être
conforme à la constitution. Il suit de là que toute "loi
18 M. Kamto et P.G. Pougoué, cité par L.
Donfack Sokeng "Le contrôle de constitutionnalité des lois hier et
aujourd'hui". Pour ces Professeurs, la seule organisation d'un contrôle
de constitutionnalité par voie d'action ne peut aboutir à moins
d'une interprétation "par trop restrictive des textes" à la
négation d'un contrôle par voie d'exception. Cette position est
également celle qu'adopte le Pr. Donfack Sokeng dans son article. Une
position à tout point de vue défendable, puisque le
contrôle de constitutionnalité de la loi fait par le juge Marshall
dans la célèbre affaire Marbury vs Madison ne reposait par sur un
texte, mais sur le principe que la primauté de la Constitution oblige
les juges à la faire prévaloir sur les lois qui la
contredisent.
19 C'est par ce travail d'interprétation que le juge
Marshall va poser le principe du contrôle de constitutionnalité.
Son argumentation repose sur un postulat: "la Constitution prime sur tout acte
législatif qui lui est contraire". Et la question de
l'applicabilité d'une loi contraire à la Constitution
apparaît "infiniment moins complexe qu'importante", car il n'y a pas de
moyen terme dans cette alternative: la Constitution doit être
considérée devant les tribunaux comme la loi suprême.
émanant du pouvoir législatif et contraire
à la constitution doit par conséquent être
écartée"(20). Il revenait donc au juge de garantir la
suprématie de la Constitution. Son refus ne pouvait que relativiser
l'effectivité de cette autorité.
II- LE CARACTERE SPECIEUX DE LA PREEMINENCE
HIERARCHIQUE DE LA CONSTITUTION
L'effectivité de la suprématie constitutionnelle
ne peut être envisagée que de manière modérée
au regard des difficultés à mettre en oeuvre les garanties
juridictionnelles nécessaires. De l'attitude des tribunaux et donc des
juges, on relève une négation de la théorie des sources du
Droit (A) et un rejet de la théorie de la hiérarchie des normes
qui en est le corollaire (B).
A) La négation de la théorie de la
hiérarchie des sources du Droit
II est évident que le refus du juge camerounais de
connaître de l'exception d'inconstitutionnalité des lois est en
soi un refus d'adhérer au principe selon lequel il existe une
hiérarchie entre les différents pouvoirs normatifs (21). Cette
négation est traduite par la résurgence de la nature
législative de la Constitution (1) et la remise en cause de la
supériorité du pouvoir constituant sur le pouvoir
législatif (2).
1- La résurgence de la nature
législative de la Constitution
Le juge rappelle, de fort belle manière, que "il est
généralement admis que les principes contenus dans le
préambule de la Constitution (...) ont valeur de principes
généraux du droit, c'est-à-dire non pas supérieur
mais égale à celle de la loi ordinaire"(22). La discussion sur la
valeur du préambule est ainsi à l'origine du rappel "qu'il
n'existe aucune catégorie particulière *et identifiable d'actes
juridiques dénommés Constitution. Celle-ci se présentant
toujours sous la forme et la nature d'une loi"(23). Mais au-delà de
cette contestation de la valeur constitutionnelle du préambule, c'est
toute la Constitution qui est ramenée à sa nature
législative par le refus du juge d'exercer un contrôle de
constitutionnalité par voie d'exception. Qu'il l'ait voulu ou non, le
juge affirme implicitement que le pouvoir constituant n'est pas
supérieur au pouvoir législatif.
20 Arrêt Marbury vs Madison, 1803.
21 Cf. infra.
22 Arrêt n° 68 CFJ-CAY du 30/09/1969, SGTE.
23 Voir M. Ondoa, "La distinction entre Constitution souple
Constitution rigide en droit constitutionnel français", in Annales de la
faculté des sciences juridiques et politiques. Université de
Douala, n° 1,2002, p 68.
2- La remise en question de la suprématie du
pouvoir constituant sur l'organe législatif
En conférant aux dispositions du préambule une
valeur législative, le juge en conclut que "le législateur peut y
déroger expressément". Cette remise en cause de la
supériorité de l'organe constituant est contraire aux principes
dégagés suivant les critères posés depuis la
philosophie politique des Lumières. Il résulte de cette
philosophie que la hiérarchie des sources du droit place au premier rang
les organes titulaires du pouvoir constituant, devant les organes
législatifs et les organes exécutifs. Cette hiérarchie
conditionne la hiérarchie des normes et la négation de la
première ne peut que conduire au rejet de la seconde.
B) Le rejet de la théorie de la
hiérarchie des normes
Le Droit conçu comme un système normatif est
pensé par le juriste autrichien Hans. Kelsen qui postule que "l'ordre
juridique n'est pas un système de normes juridiques placées au
même rang, mais un édifice à plusieurs étages
superposés, une pyramide ou une hiérarchie formée d'un
certain nombre d'étages ou couches de normes successives."(24) La
hiérarchie des normes dans son principe place la Constitution au sommet
de la pyramide. Mais cette place n'est pas reconnue à toute la loi
fondamentale car la valeur constitutionnelle de certaines de ses dispositions
est discutée (1). Cette discussion conduisant à la
création d'un ordre juridique dérogatoire et
généralement articulé autour de la loi (2).
1- La discussion de la valeur constitutionnelle de
certaines dispositions de la loi fondamentale
La jurisprudence camerounaise s'est montrée hostile
à la reconnaissance de la valeur constitutionnelle de certaines
dispositions figurant pourtant dans le texte promulgué sous le titre de
"Constitution", en l'occurrence les principes contenus dans le préambule
(25). Il ne s'est pas agit pour le juge d'opérer au sein des
dispositions de valeur constitutionnelles celles qui étaient plus
applicables que d'autres, mais le juge camerounais a pratiquement dénier
à certaines règles la valeur qui était la leur du fait de
leur élaboration par le pouvoir constituant et dans les formes
exceptionnelles requises. Ce faisant, le juge a vidé la règle de
toute autorité puisque "le législateur peut y déroger
expressément"; celle-ci n'ayant qu'une valeur supra
décrétale et infra-constitutionnelle. Il s'ensuit
inévitablement la construction d'un ordre dérogatoire à la
Constitution
24 H. Kelsen, cité par P. Gélard et J. Meunier,
Institutions et politiques et droit constitutionnel, Paris, Montchrestien,
2im° éd. 1997. Il s'agit de l'exposé de ce que l'on appelle
le nonnativisme kelsénien qui postule qu'une norme ne doit sa
qualité que par rapport à sa conformité à une nonne
qui lui est supérieure.
25 La doctrine camerounaise avant l'avènement de la
Constitution de 1996 était divisée sur la question de la valeur
du Préambule. Contre la thèse de la valeur constitutionnelle
défendue notamment par MM. Minkoa She et F.X. Mbouyom, les professeurs
Pougoué et Kamto nient toute valeur juridique aux dites dispositions.
L'article 65 de la nouvelle Constitution a tranché.
2- La construction d'un désordre juridique
infra constitutionnel dérogatoire à la Constitution
L'ordre juridique camerounais est truffé de normes dont
l'inconstitutionnalité est clairement reconnue (26), mais quasiment
impossible à constater par le juge. Devant l'hostilité
réitérée du juge à l'égard d'un
contrôle de constitutionnalité par voie d'exception, l'idée
même d'un "ordre" est véritablement illusoire. On ne peut en effet
parler d'ordre que dans la perspective où "toute norme juridique est
application d'une norme supérieure et création d'une norme
inférieure". Mais la persistance de la théorie de l'écran
législatif magnifiée par le juge administratif et le refus du
juge judiciaire de reconnaître aux dispositions du préambule la
valeur constitutionnelle ont inévitablement conduit à la
construction d'un "désordre juridique" caractérisé par
l'existence de normes infra constitutionnelles dérogatoires aux
principes de valeur supérieure. L'adhésion au constitutionalisme
en 1996 a permis cependant de stopper cette déviance et de
rétablir la règle constitutionnelle dans sa primauté.
SECTION 2: UNE SUPREMATIE RESTAUREE PAR L'ADHESION AU
CONSTITUTIONNALISME DU CONSTITUTANT DE 1996
L'autorité de la norme constitutionnelle semble
retrouver une nouvelle vie au regard de la garantie que lui assure la
constitution du 18 janvier 1996. Le moins qu'on puisse dire à l'analyse
de ce texte est qu'il substitue une justice constitutionnelle
déléguée à un contrôle de
constitutionnalité retenue par le Président de la
République (paragraphe 1). En instituant une garantie juridictionnelle
inspirée du modèle européen, le constituant camerounais
consacre irrémédiablement le caractère obligatoire des
règles constitutionnelles (paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1: D'UN CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITÉ
RETENU A UNE JUSTICE CONSTITUTIONNELLE DELEGUEE
Le 21 avril 2004, le Président de la République
promulguait la loi portant organisation et fonctionnement du Conseil
constitutionnel. De l'avis de certains, ce texte place le Cameroun "sur la voie
d'une modernité juridique irréversible" car "il s'agit de
nouvelles avancées en vue d'une consolidation de l'Etat de droit"(27).
Pour le juriste, c'est surtout l'option ferme du Cameroun pour une
véritable justice constitutionnelle libérée de l'emprise
du politique. Cette rupture est marquée par la création du
Conseil constitutionnel, juridiction spécialisée (I) et
institution permanente et indépendante (II).
26 Cf. infra.
27 Makon ma Pondi, "Une innovation majeure", in Cameroon
Tribune du 22 avril 2004.
I- LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL, UNE INSTITUTION
SPECIALISEE DANS LE CONTROLE DU RESPECT DE LA
CONSTITUTION
L'analyse combinée des dispositions constitutionnelles
et de la loi portant organisation du Conseil constitutionnel autorise à
conclure qu'il s'agit d'une institution spécialisée. Cette
spécialisation tient à ce que l'institution se situe en dehors de
l'ordre judiciaire (A) et s'attache également à sa nature (B).
A) Une institution en dehors de l'ordre
judiciaire
Alors que le pouvoir judiciaire fait l'objet du titre V de la
Constitution, le Conseil constitutionnel est traité dans un titre VII
qui lui est entièrement consacré. Le constituant opère
déjà une distinction entre le pouvoir judiciaire qui est
"exercé par la Cour suprême, les Cours d'appel et les
tribunaux"(28) et la juridiction chargée d'être la "bouche de la
constitution"(29). Aussi l'organisation de ladite juridiction ne pouvait que
traduire cette spécialisation qui repose sur les conditions
spéciales exigées des éventuels conseillers (1) et
l'exclusion explicite des juges (2).
1- Des compétences spéciales
exigées des éventuels Conseillers
Les postulants au poste de Conseillers doivent satisfaire
à des exigences particulières. Ces exigences portent sur un
double plan car aux termes de la Constitution:
"Les membres du Conseil constitutionnels sont choisis parmi
les personnalités de réputation professionnelle
établie.
Ils doivent jouir d'une grande intégrité morale
et d'une compétence reconnue"(30).
Il transparaît dans cette disposition une
volonté de faire de la juridiction constitutionnelle un organe
spécialisé, en exigeant de ses membres une compétence en
matière constitutionnelle (31). En poussant un peu plus loin notre
analyse, nous pouvons dire que l'application rigoureuse de cette disposition
aboutirait comme en France à un privilège des professeurs de
droit dans la désignation des membres du Conseil (32). Cela ne pourrait
que servir l'autorité de la norme constitutionnelle dont la garantie est
une condition préalable à
28 Article 37 alinéa 2 Constitution de 1996
29 L'expression est empruntée à Montesquieu,
cité par D. Rousseau, "Une résurrection: la notion de
Constitution", in RDP, 1990, pp 5 et SS.
30 Article 51 alinéa 1 §2 Constitution de
1996.
31 Le texte ne précise pas exactement le domaine de
cette compétence, mais il la technicité de la matière
conduirait en toute logique à une mise en avant du champ des sciences
juridiques et politiques comme domaine par excellence.
32 Le Conseil constitutionnel français comprenait en
2001 huit juristes sur les neuf membres. Pour une étude plus
approfondie, voir D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit.
pp 40 et SS.
l'avènement d'un Etat de droit. En même temps ces
exigences semblent exclure les juges de l'ordre judiciaire.
2- L'hypothèse de l'exclusion des juges de
l'ordre judiciaire
Le juge judiciaire peut-il être membre du Conseil? Une
réponse affirmative semble devoir s'imposer au regard tant des
dispositions constitutionnelles que de la loi fixant le statut des membres du
Conseil constitutionnel. L'exclusion des juges de la haute cour est toutefois
expressément posée par cette loi organique qui dispose que "les
fonctions de membre du Conseil constitutionnel sont incompatibles avec la
qualité de membre de la Cour suprême". En ce qui concerne les
juges des Cours d'appel et des Tribunaux, leur exclusion est plus
problématique. En effet, le pouvoir dont dispose le Conseil
supérieur de la magistrature en matière de nomination des membres
du Conseil laisse subsister la possibilité qu'un juge "ordinaire" puisse
siéger au Conseil. C'est une hypothèse très probable au
regard notamment de l'exigence d'une "réputation professionnelle
établie" sans précision du domaine. Mais loin de relativiser
l'option d'une prépondérance de juriste dans le choix des membres
du Conseil, elle la conforte et ne peut que contribuer à renforcer le
caractère spécialisé de cette juridiction dont la nature
reste à préciser.
B) Une spécialisation attachée à
sa nature
Le Conseil constitutionnel est un organe à la fois
politique et juridictionnel (1). Mais c'est aussi une juridiction
spéciale garante de la suprématie constitutionnelle (2).
1- Un organe politique et juridictionnel
La détermination de la nature du Conseil
constitutionnel français a fait l'objet d'une controverse doctrinale.
Une partie de la doctrine postulait la nature politique alors que l'autre
optait pour la thèse juridictionnelle (33). L'organisation du Conseil
constitutionnel camerounais pourrait de même susciter un tel
débat. Mais ce serait ignorer les doubles fonctions du Conseil qui en
font indubitablement un organe à la fois politique et juridictionnel. En
effet la régulation du fonctionnement des pouvoirs publics qui lui est
dévolue fait dire à L. Donfack Sokeng qu'il "ne pourra se
déterminer qu'en tenant compte des enjeux politique de la question sur
laquelle il serait appelé à statuer" (34). De l'autre
côté, l'on s'attend à un débat
33 Voir sur cette controverse D. Rousseau, Droit du
contentieux constitutionnel, op cit. pp 53 et SS.
34 L. Donfack Sokeng, "Le contrôle de
constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui", op cit. 396.
juridique sur le contrôle de constitutionnalité
qui fera ressortir le rôle éminemment juridictionnel de
l'institution. Aussi, une analyse de la nature de l'organe sans tenir compte de
cette ambivalence serait partielle sinon partiale. Cette ambivalence
n'empêche cependant pas de poser préalablement que le Conseil est
garant de la suprématie constitutionnelle.
2- Une juridiction spéciale garante de la
suprématie constitutionnelle
Le Conseil constitutionnel est d'abord "l'instance
compétente en matière constitutionnelle"(36) dont le rôle
est de garantir la suprématie des règles issues de la
législation constitutionnelle. Ses compétences, qui se
déclinent à la fois sur l'angle politique et sur l'angle
juridictionnel(37), ne peuvent s'analyser sans une intégration
préalable de cet objectif qui est au fondement même de son
existence. Le Conseil devrait, au travers de sa jurisprudence, se substituer au
Président de la République dans le rôle de gardien de la
Constitution; c'est du moins le voeu de la doctrine camerounaise. Cette
garantie par une activité intense du juge constitutionnel pourrait
aboutir non seulement à la consécration effective de la valeur
constitutionnelle du préambule par la sanction de la violation des
principes qu'il contient, mais surtout à la transformation comme en
France de la Constitution en "charte jurisprudentielle des droits et
libertés"(38). Ceci est fort possible au regard du statut de
l'institution
II- UNE INSTITUTION PERMANENTE ET
INDEPENDANTE
Contrairement à la chambre constitutionnelle, le
Conseil constitutionnel jouit d'une permanence et d'une indépendance
statutaire. Organe créé par le souverain (A), elle entretient un
espoir certain au regard du statut particulier de ses membres (B).
A) Un organe créé par le
Souverain
La garantie de la suprématie de la norme
constitutionnelle est assurément renforcée par le fait que cette
garantie a elle-même une valeur constitutionnelle. Ce qui est une rupture
par rapport à la chambre constitutionnelle dont il est
avéré que son existence n'était pas acquise de droit.
Celle du Conseil constitutionnel repose sur la promulgation de la constitution
du 18 janvier 1996 (1) et sur l'impossible blocage du Président de la
République dans sa mise en place effective (2).
36 Article 46 Constitution de 1996.
37 Cf.infra.
38 Le Pr. D. Rousseau pense que l'activité du juge
constitutionnel est à l'origine de la résurrection de la
Constitution qui n'était plus déjà qu'une "notion en
survivance". Par sa jurisprudence, le Conseil est parvenu à créer
un "espace ouvert à la reconnaissance indéfinie des droits et
libertés." Lire aussi les développements plus importants dans D.
Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit. pp 385 et SS.
1- L'existence du Conseil par la promulgation de la
Constitution du 18 janvier 1996
Le Conseil constitutionnel est crée par la Constitution
du 18 janvier 1996 dont la promulgation l'a rendu juridiquement existante (39).
En d'autres termes, le Conseil constitutionnel existe depuis le 18 janvier
1996, sous réserve de sa mise en place effective; les lois organiques
portant d'une part sur son organisation et son fonctionnement, et d'autre part
sur le statut des membres ayant déjà été
promulguées. Ne reste plus attendue que la nomination des membres que
l'inexistence matérielle du Sénat pourrait encore retarder. A
moins que le Président de l'Assemblée nationale se reconnaisse,
sur le fondement des dispositions transitoires, le pouvoir de désigner
en sus de ses trois membres, ceux dont le pouvoir de nomination appartient au
Président du Sénat. Ce qui serait contraire aux dispositions
constitutionnelles, car cette nomination est une prérogative du
Président du Sénat et non du Sénat. Quoiqu'il en soit, le
Conseil ne saurait être bloqué à ce niveau par le
Président de la République.
2- L'impossible blocage dans la mise en place
effective du Conseil
Assurément il n'en sera pas du Conseil constitutionnel
comme de la chambre constitutionnelle de la Cour suprême qui ne vît
jamais le jour du fait de "l'inertie" du Président de la
République. Pour mieux marquer cette différence, la Cour
suprême exerce déjà les attributions du Conseil et l'on
peut déjà parler d'une jurisprudence constitutionnelle en
l'absence d'un Conseil constitutionnel. Il est improbable que le Conseil
constitutionnel ne voit pas le jour pour quelques raisons que ce soit, et
surtout pas par une inaction du Président de la République.
Contrairement à la compétence dont il disposait sous la
Constitution de 1972, celle de la Constitution de 1996 est indubitablement une
compétence finalisée: il doit désigner trois membres et
prendre le décret qui entérine la nomination des membres du
Conseil dès l'instant où tous les autres membres ont
été désignés par les autorités
compétentes. Une fois nommés, les juges jouissent d'une
indépendance dans l'exercice de leurs fonctions.
B) Un statut particulier pour le juge
constitutionnel
L'efficacité d'une justice repose sur
l'indépendance de ceux qui sont chargés de la rendre. Sous ce
prisme, l'efficacité du Conseil constitutionnel ne peut faire l'objet
d'un doute. L'autorité de la règle constitutionnelle peut
certainement envisager un avenir prometteur tant
39 En s'interrogeant sur la valeur constitutionnelle des
dispositions suspendues d'application par l'effet des dispositions
transitoires, le Pr. Ondoa soutient que celles-ci ont une force obligatoire
indéniable. L'on peut postuler sur cette théorie l'existence d'un
Conseil constitutionnel au Cameroun qui "résulte de l'existence
juridique de l'acte" qui le crée; laquelle existence est prouvée
par "sa promulgation et sa publication." Cette reconnaissance, poursuit M.
Ondoa implique une "obligation" pour les pouvoirs publics de procéder
à sa "mise en application". Lire à propos M. Ondoa, "La
Constitution duale: Recherches sur les dispositions constitutionnelles
transitoires au Cameroun", op. cit. pp 50 et SS.
il est vrai que le juge constitutionnel, inamovible (1) et
couvert d'immunités (2) dans l'exercice de ses fonctions, a les
arguments nécessaires pour assurer efficacement la primauté de la
Constitution.
1- Un juge inamovible
Les membres du Conseil constitutionnel sont nommés pour
un mandat de neuf ans non renouvelable (40). Après sa nomination, le
juge n'est plus lié par celui à qui il doit d'être
« Conseiller ». Certainement la culture de l'ingratitude
commencera par le Conseil. En effet le mandat du juge constitutionnel est non
susceptible de révocation (41). L'inamovibilité est la pierre
angulaire de la construction de toute indépendance de la justice. En
consacrant au plus haut niveau cette prérogative du juge
constitutionnel, le constituant a certainement entendu mettre le juge dans les
conditions idéales d'objectivité et d'impartialité qui
sied à toute bonne administration de la justice et plus encore de la
justice constitutionnelle. Cette inamovibilité est
complétée par les immunités.
2- Un juge couvert d'immunités
Aux termes de la loi fixant le statut des membres du Conseil
constitutionnel, "aucun membre du Conseil constitutionnel ne peut être
inquiété, poursuivi, recherché, arrêté,
détenu ou jugé en raison des opinions ou votes émis par
lui dans l'exercice de ses fonctions"(42). Une saine interprétation de
cette disposition aboutirait à l'idée que cette immunité
couvre le Conseiller pendant et après la fin de son mandat. La
thèse contraire ne pouvant qu'être préjudiciable à
l'indépendance du juge qui pourrait alors craindre d'éventuelles
représailles à «la fin de son mandat. Toutes ces
précautions ne peuvent qu'induire la naissance d'une véritable
justice constitutionnelle au Cameroun, consécration du caractère
obligatoire de la Constitution.
PARAGRAPHE 2: LA CONSECRATION DU CARACTERE OBLIGATOIRE DES
REGLES CONSTITUTIONNELLES
Droit et sanction sont-ils indissociables? Rapportée
à la Constitution, la réponse a été affirmative
pendant longtemps. Mais l'émergence d'une justice constitutionnelle
autorise bien
40 Article 9 loi fixant le statut des membres du Conseil
constitutionnel
41 Idem.
42 Article 12 loi fixant le statut des membres du Conseil
constitutionnel
à penser que la Constitution ne peut
véritablement imposer qu'autant qu'un oeil veille et est capable de
"reprendre" celui qui s'écarte de la voie constitutionnelle. La justice
constitutionnelle peut ainsi se décliner comme moyen de
réalisation du Droit par l'oeuvre de soumission des pouvoirs publics (I)
et moyen d'assurer la primauté de la Constitution par le contrôle
de constitutionnalité (II).
I- LA REALISATION DU DROIT PAR L'OEUVRE DE SOUMISSION
DES POUVOIRS PUBLICS
Le postulat est posé par l'abbé Sieyès
lorsqu'il affirme que "la Constitution est un corps de règles
obligatoires". Mais cette obligation ne s'est pas toujours imposée aux
organes de l'Etat. La justice constitutionnelle impose donc une
définition identique de la Constitution aux pouvoirs constitués:
l'ensemble des règles qui déterminent le champ de leur
compétence. Ceci au moyen de sa compétence de régulateur
du fonctionnement des institutions (A). Cette régulation vient
compléter le contrôle déjà effectif de
l'Exécutif en son bras séculier l'administration (B).
A) Le respect de l'organisation du pouvoir par la
régulation du Conseil constitutionnel
La Constitution est organisation du pouvoir (43) entre les
différents organes de l'Etat. La régulation du Conseil devrait
donc consister à veiller au respect de la séparation des pouvoirs
(1) et au règlement des différends entre les pouvoirs publics
(2).
1- La distribution du pouvoir entre les institutions
de l'Etat
Les principes constitutionnels consacrent la séparation
des pouvoirs, définissant les compétences de chaque organe. Le
respect de la constitution est ici qu'aucun organe n'empiète pas dans le
domaine réservé à un autre pouvoir. On s'attendrait
surtout à ce que le juge constitutionnel s'investisse dans la garantie
de l'indépendance du pouvoir judiciaire. D'autant plus qu'il ressort des
dispositions de la constitution nouvelle que le pouvoir judiciaire "est
indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir
législatif'(44). Une innovation dont il faut relever toute la
pertinence, et qui vérifie encore que le Cameroun est sur le chemin
laborieux de l'Etat de droit.
43 L'article 16 de la déclaration de 1789 dispose
à cet effet que "toute société dans laquelle 1a garantie
des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs
déterminée n'a point de Constitution". D'ailleurs, constatera le
Pr. Rousseau, "pendant longtemps la Constitution a été
définie seulement à partir de la deuxième partie de
l'article 16 de la DDHC". Ceci a conduit à une négation des
droits et à une prééminence de l'Etat qui conduit
généralement en Afrique à une soumission du Droit au
pouvoir. Or, le constitutionnalisme c'est d'abord la Constitution comme
énoncé des droits intangibles par le fait même de leur
formulation dans un document opposable à tous. D'où l'exaltation
de l'action du juge constitutionnel qui permet aujourd'hui de revenir à
cette conception révolutionnaire de la Constitution: d'abord la garantie
des droits.
44 Article 37 alinéa 2 in fine Constitution de
1996.
2- Le règlement des différends entre
l'Etat et les Régions
La Constitution du 18 janvier 1996 change l'organisation
territoriale en instituant les Régions. Ce sont des collectivités
territoriales décentralisées disposant d'une certaine autonomie
politique et économique. L'Etat assure la tutelle sur les
Régions. Parce qu'il s'agit d'une organisation trop proche du
fédéralisme, on peut craindre que l'Etat, au moyen de cette
tutelle ne se substitue aux organes de la Région pour retrouver un
pouvoir qu'il a été contraint de partager. La Constitution offre
à cet effet la possibilité aux Présidents des
Exécutifs régionaux de saisir le Conseil lorsque les
intérêts de leur Régions sont en cause. Le Conseil sera
certainement beaucoup interpellé sur cette question car la mise en place
des Régions affectera des automatismes qu'il ne sera pas aisé
d'abandonner. Cette régulation complète le contrôle
déjà exercé sur l'activité administrative de
l'Etat.
B) Le contrôle détaché des
Règlements
Le contrôle de constitutionnalité fait
abstraction de la soumission de l'exécutif au droit. Certes dans un
système comme le nôtre où l'initiative législative
est un apanage du Gouvernement, on peut conclure que le contrôle de
constitutionnalité intéresse par ce fait l'exécutif. Mais
ce serait oublier que la quasi-totalité de l'activité de
l'exécutif est d'ordre administratif. D'où l'intérêt
de s'appesantir sur le contrôle qui y est fait. Il s'agit d'un
contrôle de constitutionnalité (1) qui est fortement
relativisé par la théorie de l'écran législatif
(2).
1- Un contrôle de
constitutionnalité
Le contrôle des règlements administratifs est un
authentique contrôle de constitutionnalité effectué par le
juge administratif. Il s'agit d'un contrôle qui existe depuis l'accession
du Cameroun à l'indépendance et depuis la Constitution du 04 mars
1960. Le contrôle de constitutionnalité des règlements
résulte du principe de juridicité posé par Charles
Eisenmann qui pense que l'administration dans son action doit respecter un
faisceau de normes au premier rang desquelles la Constitution. Aussi le juge
administratif se reconnaît-il compétent pour vérifier la
constitutionnalité d'un règlement administratif à la
règle supérieure. Encore faut-il qu'une loi ne s'interpose
pas.
2- Un contrôle relativisé par la
théorie de l'écran législatif
Le contrôle des règlements administratif se
heurte souvent en pratique à l'écran législatif. C'est le
cas où le règlement affirme sa régularité par
rapport à la loi, mais est irrégulier par rapport à la
constitution. Dans cette situation et faisant application de la
théorie
de l'écran législatif développée
par Raymond Odent, le juge administratif s'est toujours refusé à
apprécier la constitutionnalité du règlement, motif pris
de ce que l'exercice d'un contrôle de constitutionnalité sur le
règlement induirait un contrôle de la constitutionnalité de
la loi. Or il se défend d'être au Cameroun le juge de la
constitutionnalité des lois. Aussi le contrôle en amont de la
constitutionnalité des lois par le juge constitutionnel ne peut qu'aider
le juge administratif à mieux remplir son office.
II- LA PRIMAUTE DE LA CONSTITUTION PAR LE CONTROLE
DE CONSTITUTIONNALITÉ
Compétente en matière constitutionnelle,
"Le Conseil constitutionnel statue souverainement sur la
constitutionnalité des lois, traités et accords
internationaux;
Les règlements intérieurs de l'Assemblée
nationale et du Sénat, avant leur mise en application quant à
leur conformité à la Constitution.»(45)
De l'analyse de cette disposition, il ressort que la
primauté de la constitution est assurée au moyen d'un
contrôle de constitutionnalité qui à trois
démembrements (A). Ce contrôle est aussi soit facultatif soit
obligatoire (B).
A) Un contrôle de constitutionnalité
à trois démembrements
II s'agit d'un contrôle de constitutionnalité des
lois (1), d'un contrôle de conformité (2) et d'un contrôle
de contrariété (3).
1- Le contrôle de constitutionnalité des
lois
Le contrôle de constitutionnalité traduit le
passage de la loi d'un acte général à un acte
délimité. Désormais en effet la loi sera "l'acte pris par
le Parlement pris dans la forme de la loi
et dans le domaine de la loi". La Constitution ayant depuis
longtemps déterminé les matières qui ressortissent
à la compétence du législateur, il reviendra au juge
constitutionnel de s'assurer qu'il respecte ces limites. Certes la loi est
aussi l'expression de la volonté générale, mais le
constituant a prévu qu'elle sera cependant inférieure à la
Constitution. En l'absence d'un contrôle de constitutionnalité, la
suprématie constitutionnelle est "platonique" et la loi demeure en fait
sinon en droit la norme suprême. Le contrôle de
constitutionnalité tel qu'il est prévu et organisé en
droit constitutionnel camerounais déclare la fin du
légicentrisme, car "la loi n'exprime la volonté
générale que dans le respect de la Constitution"
.45 Article 47 alinéa 1 Constitution de 1996
2- Le contrôle de conformité
La terminologie "contrôle de conformité" peut
être utilisée pour qualifier le contrôle de
constitutionnalité des règlements intérieurs des
Assemblées politiques délibérantes. L'organisation
interne des assemblées n'échappe plus au contrôle par le
juge constitutionnel depuis la Constitution de 1996. La
légitimité et la nécessité d'un tel contrôle
reposerait sur l'idée que "modifier son règlement est toujours
pour une assemblée tenté d'accroître un pouvoir
d'intervention limité par la constitution"(46). L'avènement de la
nouvelle Constitution camerounaise a ainsi motivé un changement profond
du règlement intérieur de l'Assemblée nationale (47) dont
le juge constitutionnel a eu à connaître. Cet office du juge
constitutionnel, saisi par le Président de l'Assemblée nationale,
a abouti à une déclaration de non conformité de certains
articles du règlement intérieur de la chambre.
3- Le contrôle de
contrariété
II intéresse le contrôle de
constitutionnalité des traités et accords internationaux. Le
contrôle de contrariété ne figurait n'était
prévu par aucune Constitution camerounaise jusqu'à
l'avènement de la loi fondamentale du 18 janvier 1996. Tout au plus la
Constitution du 04 mars 1960 disposait-elle que "il [le Président de la
République] soumet avant ratification les traités à
l'approbation de l'Assemblée nationale"(48). L'innovation de la
Constitution nouvelle va bien au-delà de la ratification et de
l'approbation pour soumettre ces formalités d'intégration des
normes internationales dans l'ordre juridique interne à un
éventuel contrôle du Conseil constitutionnel. La
particularité de ce contrôle réside en ce qu'il n'aboutit
pas au rejet de la norme internationale, mais à la modification de la
Constitution préalablement à la ratification ou l'approbation.
Certains y ont vu une supra constitutionnalité du droit international
sur le droit interne. Certes l'option moniste avec supériorité du
droit international est manifeste au regard de la Constitution de 1996(49),
mais il faudrait aussi admettre que l'ordre juridique international
régulièrement approuvé ou ratifié n'a qu'une valeur
supra législative, d'autant plus que la science constitutionnelle
referme l'ordre juridique interne sur la Constitution. Ainsi toute règle
à laquelle on voudrait conférer la valeur suprême sera
moulée en la forme constitutionnelle. Au demeurant, le traité ou
accord international ne sera ratifié ou approuvé qu'autant qu'il
n'est pas contraire à la Constitution. Selon la matière sur
laquelle il porte, le contrôle sera soit facultatif, soit obligatoire.
46 D. Rousseau, "Chronique de jurisprudence
constitutionnelle", in RDP 2000, pp 17 et SS.
47 Cf. supra.
48 Article 39
49 Voir les développements faits par N. Mouelle Kombi,
"La loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 et le droit international", in S.
Méloné, A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.). La réforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun. Aspects juridiques et
politiques, op. cit. pp 126 et SS.
B) Un contrôle facultatif ou
obligatoire
Le contrôle de constitutionnalité est facultatif
pour les lois, traités et accords internationaux (1) et obligatoire pour
les règlements des Assemblées (2).
1- Le contrôle facultatif des lois,
traités et accords internationaux
Le contrôle de constitutionnalité des lois,
traités et accords internationaux n'est possible que s'il y a saisine du
juge constitutionnel. C'est donc un contrôle facultatif, car il n'y a pas
obligation de saisine. Le contrôle facultatif rapporté à la
loi semble ne pas vraiment militer en faveur de la garantie de la
suprématie constitutionnelle, car le juge pourrait très bien ne
pas être saisi d'une loi pourtant inconstitutionnelle. Mais en même
temps, faire du contrôle de constitutionnalité des lois un
contrôle obligatoire serait faire du Conseil une "troisième
chambre". Ce qui n'a jamais été l'intention du constituant, car
plusieurs mécanismes existent déjà pour élaguer la
loi de toute trace d'inconstitutionnalité avant sa promulgation (50). La
justice constitutionnelle se révélera cependant très
utile en démocratie majoritaire car ultimum remedies contre la
tendance à "la tyrannie de la majorité". Ce contrôle
facultatif des lois se justifierait aussi au regard du contrôle
obligatoire des règlements des assemblées qui est fait en
amont.
2- Le contrôle obligatoire des règlements
intérieurs des assemblées
Rompant avec la traditionnelle autonomie des assemblées
magnifiée par les précédentes Constitutions camerounaises,
la loi fondamentale du 18 janvier 1996 institue un contrôle obligatoire
des règlements intérieurs de l'Assemblée nationale et du
Sénat. Ceux-ci doivent "avant leur mise en application" être
contrôlés pour s'assurer de "leur conformité à la
Constitution". Ce contrôle est effectué sur saisine "obligatoire"
par le Président de la chambre concerné tant il est vrai que la
mise en application est subordonnée à la décision de
conformité rendue par le juge constitutionnel. Ainsi le Président
de l'Assemblée nationale a-t- il saisi la Cour suprême
siégeant comme Conseil constitutionnel en novembre 2002 du
règlement intérieur de la chambre afin que la Cour exerce sa
sanction.
50 La Constitution de 1996 comme les
précédentes prévoit déjà un contrôle
de la constitutionnalité des propositions et projets de lois au niveau
de la conférence des présidents. Certains auteurs ont même
assimilé ce contrôle à un contrôle de
constitutionnalité des lois. Mais cette thèse ne peut être
utilement reçue. Comme le relève déjà M. Donfack
Sokeng, le contrôle de constitutionnalité des lois suppose une
loi, c'est-à-dire un acte projet ou une proposition de loi qui a fait
l'objet d'adoption par le Parlement. Dans le cas contraire, il serait abusif de
parler d'un contrôle de constitutionnalité des lois, car la loi
n'existe pas encore.
L'évolution de la garantie juridictionnelle de
l'autorité de la norme constitutionnelle démontre les
difficultés du principe de la suprématie de la loi fondamentale
à se réaliser. Comme le précise Georges Burdeau, "la
suprématie des lois constitutionnelles serait un vain mot si elles
pouvaient être impunément violées par les organes de
l'Etat". Pendant longtemps, cette suprématie a été
discutée et même contestée par la reconnaissance en fait et
en droit de la supériorité de la loi. Car en l'absence d'un
contrôle de constitutionnalité, la garantie politique de la
Constitution apparaissait chimérique. En effet si on peut violer
impunément la Constitution, on le peut légitimement.
L'adhésion du Cameroun au constitutionnalisme révolutionne
certainement tout le droit constitutionnel camerounais; du moins
crée-t-elle un réel enthousiasme quant à
l'avènement d'un "gouvernement constitutionnellement limité". La
pertinence d'un tel raisonnement mérite cependant une analyse de
l'emprise de la justice constitutionnelle sur le système politique et
juridique du Cameroun.
CHAPITRE II:
L'EFFECTIVITE DE LA JUSTICE CONSTITUTIONNELLE ET
L'AFFERMISSEMENT DE L'AUTORITE DE LA NORME CONSTITUTIONNELLE
L'affirmation de la primauté de la Constitution et le
respect de la norme constitutionnelle en quelque lieu que l'on puisse se
trouver, sont indubitablement établis sur une justice constitutionnelle
qui exerce une emprise sur la réalité à travers
l'activité du juge constitutionnel(l). On ne saurait prendre pour argent
comptant l'adhésion du Cameroun aux valeurs du constitutionnalisme pour
arguer d'une effectivité de la justice constitutionnelle et plus encore
de l'affermissement de l'autorité de la norme fondamentale.
Assurément un regard nouveau s'impose aujourd'hui sur le droit
constitutionnel camerounais, mais ce regard est tributaire d'une justice
constitutionnelle dont l'effectivité ne peut plus être
discutée. Le mérite en revient à la Cour suprême
siégeant comme Conseil constitutionnel, qui permet d'avoir
déjà une jurisprudence constitutionnelle en l'absence de l'organe
chargé du contentieux constitutionnel. La promulgation de la loi portant
organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel nous permet ainsi
d'apporter une modeste contribution à l'étude du contrôle
de constitutionnalité en droit constitutionnel camerounais.
D'emblée, on peut dire que l'alignement de ce contrôle sur le
modèle européen de justice constitutionnelle n'est pas en soi une
garantie d'efficacité, tant il est vrai que le droit tout comme la
justice doit prendre racine dans la société où il est
produit, étant nécessairement le produit de cette
société. Il ne s'est pas s'agit d'un mimétisme improductif
cependant, car l'organisation du contrôle de constitutionnalité
tel qu'il transparaît dans les textes présente des
particularités qu'il faut absolument relever. De même
soulignera-t-on que ce contrôle, tel qu'il est dans sa dernière
mouture, révèle de profonds changements avec celui contenu dans
l'avant-projet de Constitution de 1994. Nolens volens, le
contrôle de constitutionnalité est une réalité en
droit constitutionnel camerounais. Et même si son organisation reste
à parfaire (section 1), on ne peut nier que "la naissance du juge
constitutionnel camerounais"(2) visible par sa jurisprudence contribue à
l'affermissement de la suprématie constitutionnelle (section 2).
1. La primauté de la Constitution implique
obligatoirement qu'elle soit respectée par tous. La justice
constitutionnelle vient parachever cette oeuvre de hiérarchisation en
soumettant toutes les autres normes à la norme supérieure. Dans
l'impossibilité d'être par elle-même un "corps de
règles obligatoires" et donc respectée, la Constitution va
s'armer de normes de sanction. Mais la justice constitutionnelle ne peut rester
au rang de simple dissuasion, car le contrôle de
constitutionnalité des lois comme nous l'avons précisé
plus haut existe au Cameroun depuis 1961, sans que cela empêche des lois
inconstitutionnelles de pulluler au sein de l'ordre juridique. Une justice
constitutionnelle ne peut donc garantir la primauté et le respect de la
loi fondamentale que par une activité du juge constitutionnel. Celle-ci
a déjà permis d'extirper du règlement intérieur de
l'Assemblée nationale des dispositions inconstitutionnelles.
2. L'expression est empruntée à A.D. Olinga,
"La naissance du juge constitutionnel camerounais: la commission
électorale nationale autonome devant la Cour suprême", Juridis
périodique, n°36, oct-nov-déc 1998, pp 71 et SS.
SECTION 1: UNE ORGANISATION A PARFAIRE
Prise dans son principe, la justice constitutionnelle est en
soi une véritable révolution dans le droit constitutionnel
camerounais. Mais il serait illusoire de croire que le chemin du juge
constitutionnel a été aplanie, de manière à
faciliter son office. L'option pour un contrôle concentré et
abstrait est déjà critiquable (3) lorsqu'en l'espèce les
juges se refusent à exercer un contrôle concret des lois. Ce
problème peut toutefois être relativisé si les juges tirent
toutes les conséquences de leur "nouvelle indépendance"(4) telle
qu'elle transparaît dans la nouvelle Constitution; également s'ils
admettent toutes les implications du principe de la supériorité
desnormes constitutionnelles. Celles-ci commandent déjà au juge
constitutionnel saisi d'un litige sur la loi de faire respecter la norme
supérieure. Cette entreprise n'est pourtant pas aussi simple car
l'accès au juge (paragraphe 1) autant que son office (paragraphe 2) sont
rendus laborieux par une organisation en quelques points lacunaire.
PARAGRAPHE 1: L'ACCES AU JUGE CONSTITUTIONNEL
L'accès au juge constitutionnel est l'un des points sur
lequel la Constitution de 1996 présente une avancée par rapport
à l'avant-projet de Constitution de 1994(5). Cet accès qui est
facilité par une extension du droit de saisine (I) est susceptible
cependant d'être bloqué par la prégnance des
intérêts politiques (II).
I- UN ACCES FACILITE PAR L'EXTENSION DU DROIT DE
SAISINE
La saisine de la chambre constitutionnelle de la Cour
suprême était une exclusivité du Président de la
République. La Constitution du 18 janvier 1996 dans la distribution du
droit de saisine du Conseil constitutionnel veut s'inscrire
véritablement dans le courant démocratique véhiculé
aujourd'hui à travers l'idéologie libérale. Ceci est
traduit par un droit de saisine étendu. Le contrôle peut ainsi
être actionné par tous les auteurs de la loi (A) et par ceux qui
n'ont pas participé à cette élaboration (B).
A) La saisine par les différents auteurs de la
loi
L'accès au juge constitutionnel est ouvert à
tous ceux qui participent à la fabrication de
3 Ce contrôle ouvre la voie à des tractations,
des compromis et même des compromissions d'où la norme
constitutionnelle sortira amoindrie. Certes faire du contrôle de
constitutionnalité des lois un contrôle obligatoire serait
élever le Conseil au rang de "troisième chambre", ce qui est
contraire à l'idée du constituant. Au moins pourrait-on comme en
France rendre obligatoire le contrôle des lois organiques; mais les
conditions formelles d'une telle obligation font défaut, car la loi
organique fait en France l'objet d'une procédure spéciale. Voir
aussi D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, Paris,
6° éd. 2001, pp 190 -191.
4 L'indépendance de la justice est
expressément affirmée dans la Constitution nouvelle qui
déclare que "le pouvoir judiciaire est (...) indépendant du
pouvoir exécutif et du pouvoir législatif." C'est donc une
indépendance qui ne dépend plus du Président de la
République, mais qui est "constitutionnellement" garantie. Les juges
peuvent sur ce postulat se permettre quelques libertés notamment en
matière de contrôle concret des lois.
5 Voir sur la question L. Donfack Sokeng, "Le
contrôle de constitutionnalité des lois tuer et aujourd'hui", op.
cit.
la loi, depuis l'initiative jusqu'à l'adoption
définitive. On peut distinguer les trois grands requérants (1)
des parlementaires ayant qualité pour saisir le juge constitutionnel
(2).
1- Les trois grands requérants
L'accès au Conseil est ouverte au Président de
la République, au Président de l'Assemblée nationale et au
Président du Sénat (6).
La saisine du Conseil constitutionnel est d'abord un droit
réservé au Président de la République. Gardien du
respect de la Constitution, il doit s'assurer que la loi n'a pas
dérogé aux principes de valeur supérieure. Mais cette
mission n'est pas aussi aisée, quand on sait que la
quasi-totalité des lois est d'origine gouvernementale et donc
initiée par le Président lui- même. Peut-il contester la
constitutionnalité d'une loi dont il est l'initiateur? Si cela
était inconcevable sous un Parlement "caisse de résonance",
l'avènement du pluralisme et l'arrivée de l'opposition au
Parlement auquel s'ajoute une utilisation abondante du droit d'amendement ont
contribué à modeler le projet du Président de la
République. Il n'est donc pas exclu qu'une inconstitutionnalité
puisse se glisser dans la loi lors de la procédure de "fabrication". La
protection politique de la Constitution confiée au Président de
la République trouve ainsi toute sa pertinence par la possibilité
de saisir le Conseil. Le Conseil peut aussi être saisi par le
Président de l'Assemblée nationale ou le Président du
Sénat. Ce privilège accordé au politique s'est cependant
accompagné d'une ouverture de la saisine à la minorité
parlementaire.
2- Les parlementaires ayant qualité pour saisir
le Conseil
L'extension du droit de saisine à la minorité
parlementaire constitue pour L. Donfack Sokeng un moyen pour ces derniers de
"contrôler efficacement les majorités en vue de censurer toute
dérive dictatoriale qui s'appuierait essentiellement sur une
démocratie majoritaire pas toujours soucieuse du respect de la
Constitution (7). En effet, aux termes de l'article 47 alinéa 2 de la
Constitution de 1996, le Conseil constitutionnel peut être valablement
saisi par le tiers des députés ou le tiers des sénateurs.
Par cela, le constituant, qui affirme sa nature libérale et
démocrate, offre les moyens pour "éviter le "vous avez tort
juridiquement parce que vous êtes politiquement minoritaire", et
multiplie les chances de la norme fondamentale d'être garantie dans sa
suprématie. Le constituant de 1996 innove véritablement en
accordant à certaines personnes qui n'ont pas participé à
la conception de la loi de saisir le Conseil
6 Article 47 alinéa 2 Constitution de 1996
7 L. Donfack Sokeng, "Le contrôle de
constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui", op. cit.
B) Une particularité camerounaise: le droit de
saisine des Présidents des exécutifs régionaux
Il s'agit d'une prérogative personnelle (1) qui est
conditionnée dans son exercice (2).
1- Une prérogative personnelle
Le Conseil constitutionnel ne peut être saisi que par le
Président du Conseil régional. C'est une
spécificité du droit constitutionnel camerounais par rapport au
droit français. La création des Régions par la
Constitution de 1996 était un moyen de tempérer les
velléités sécessionnistes qui secouaient le pays (8),
menaçant l'intégrité du territoire. Mais si cette
création ne pose pratiquement pas de problème, le droit de
saisine du Président du Conseil régional ne réalise pas
une totale adhésion de la doctrine. Certains préconisent qu'en
confiant plutôt ce droit au Conseil régional, cela aurait
été "plus démocratique". Quoiqu'il en soit, ce droit est
limité dans son exercice par une condition de fond.
2- Un droit subordonné à une condition
de fond
Le droit de saisine des Présidents des exécutifs
régionaux n'a pas une portée générale. La
Constitution pose une condition à la saisine du Conseil constitutionnel
par les autorités politiques des régions. Aux termes de l'article
47 alinéa 2 (§2), "les Présidents des exécutifs
régionaux peuvent saisir le Conseil constitutionnel lorsque les
intérêts de leur régions sont en cause". Il ne s'agit donc
pas de garantir la suprématie constitutionnelle, mais il apparaît
plutôt que ce droit est une arme contre l'empiétement de l'Etat
dans le domaine de compétence des régions. Sous ce rapport
conclut M. Donfack Sokeng, la juridiction constitutionnelle se présente
comme le "contre-pouvoir garant du régionalisme constitutionnel"(9).
Cependant il est clairement établi que le constituant, par cette
distribution large du droit de saisine du juge constitutionnel, se situe dans
une perspective "d'une démocratisation progressive du contrôle de
constitutionnalité des lois"(10). Pourtant l'accès au juge peut
être bloqué malgré cela.
II- UN ACCES SUSCEPTIBLE D'ETRE BLOQUE PAR LA
PREGNANCE DES INTERETS POLITIQUES
L'accès au juge constitutionnel peut être
bloqué par des facteurs introduisant dans le débat sur la
constitutionnalité de la loi des considérations politiques.
L'impuissance du juge
8 La Constitution de 1972 a réalisé une
unification qui n'était pas voulue par tous. La dénonciation de
la procédure constituante de 1972 par l'élite anglophone
aboutissait à une seule conclusion: le retour à l'Etat
fédéral dans lequel les anglophones se sentaient "pris en
compte". Cette revendication de la prise en compte de leur identité
culturelle réapparaît au cours des discussions de la Tripartite.
Finalement, le consensus semble s'être fait sur le
Régionalisme.
9 Voir "Le contrôle de constitutionnalité des
lois hier et aujourd'hui", op cit.
10 L. Donfack Sokeng, ibid.
constitutionnel face à l'inconstitutionnalité
(B) peut ainsi résulter de l'accord de la classe politique sur la loi
(A).
A) L'hypothèse de l'accord de la classe
politique sur la loi
La classe politique peut bloquer l'examen de la loi par le
Conseil constitutionnel en s'abstenant d'actionner en
inconstitutionnalité. Cet accord reposerait alors sur une
solidarité partisane (1) qu'accentuerait l'incapacité de la
minorité ne remplissant pas les conditions de saisine (2).
1- La solidarité partisane
Cette hypothèse est parfaitement concevable en
démocratie majoritaire. Rien ne garantit a priori la
constitutionnalité de la loi(ll), et plus encore lorsque par
solidarité de classe, les politiques qui ont le monopole de la saisine
du juge constitutionnel empêchent l'examen de la loi. Egalement
concevable en démocratie non majoritaire mais dans un Parlement
où se retrouvent différentes bannières politiques comme
sous la seconde législature de l'ère pluraliste, l'examen de la
loi pourrait être bloqué par une entente entre le Président
de l'Assemblée nationale qui doit transmettre les lois votées au
Président de la République aux fins de promulgation et ce
dernier. Une entente qui aboutirait à une promulgation rapide de la loi.
Cette hypothèse difficilement concevable s'est pourtant produite en
France, empêchant ainsi l'examen d'une loi dont 60 sénateurs
voulaient contester la constitutionnalité. Il peut aussi arriver que la
minorité soit trop faible pour saisir le juge.
2- Une minorité parlementaire ne remplissant
pas les conditions de saisine
Pour que le Conseil soit valablement saisi par les
parlementaires, il faut soixante signatures sur l'acte de saisine. Il peut
arriver comme sous la législature qui s'est ouverte en 2002 que la
minorité parlementaire ne puisse pas satisfaire à cette condition
de quantité (12) à cause d'une majorité
véritablement "écrasante". Alors le "vous avez juridiquement tort
parce que vous êtes politiquement minoritaire" retrouve ici toute sa
pertinence. L'émiettement de l'opposition parlementaire peut aussi
constituer un blocage à l'office du juge. En effet, la
11 La constitutionnalité de la loi reposerait d'abord
sur la présomption de "fidélité" du pouvoir
législatif. Le caractère facultatif du contrôle de
constitutionnalité des lois démontre ainsi qu'il revient aux
représentants du peuple de décider de ce que prescrit la
Constitution, de
déterminer le sens d'un principe constitutionnel. Ceci
est cependant susceptible d'occasionner une modification implicite de la
Constitution par l'adoption d'une loi inconstitutionnelle.
12 Cette insuffisance se fait déjà ressentir au
niveau de l'utilisation de l'initiative législative et de
l'élaboration des lois. L'opposition est absorbée par un parti
tout-puissant qui peut ce qu'il veut. Lire aussi J. Mouangue Kobila,
"Création des normes: les occasions manquées du nouveau
parlementarisme pluraliste au Cameroun", in Solon, Revue africaine du
parlementarisme et de la démocratie, vol 1, n°l, 1999, pp 47 et SS;
I. Abiabag, "Le droit d'amendement dans le droit parlementaire camerounais", in
Annales de la facultés des sciences
juridiques et politiques. Université de Douala,
n°l année 2002, pp 43 et SS.
réunion des signatures nécessaires va
requérir certainement du temps. Or une fois transmise au
Président de la République, la loi peut être
promulguée n'importe quand dans un délai maximal de quinze jours;
surtout qu'il n'existe pas encore comme en France les fameuses "conventions de
la constitution'^! 3). Cette abstention ne peut qu'être
préjudiciable à la garantie de l'autorité de la norme
constitutionnelle.
B) L'impuissance du juge face à
l'inconstitutionnalité
La justice a le bras mort cela est bien connu. Sinon le juge
constitutionnel se saisirait lui-même afin de faire respecter la norme
constitutionnelle. La multitude des titulaires du droit de le saisir semble
sous ce rapport un trompe l'oeil. Certains auteurs ont suggéré
alors pour atténuer les effets de cette loi revêtue de
l'immunité juridictionnelle (1) que les Tribunaux soient admis au nombre
des titulaires du droit de saisir le juge constitutionnel (2).
1- Une loi inconstitutionnelle revêtue de
l'immunité juridictionnelle
La promulgation d'une loi lui confère une
immunité juridictionnelle définitive. Son
inconstitutionnalité ne peut être utilement invoquée
à l'occasion d'un litige, car les juges se refusent à exercer un
contrôle de constitutionnalité par voie d'exception. Ceci est
aggravé par le fait que le constituant n'a organisé qu'un
contrôle abstrait et a priori. En d'autres termes, la loi une fois
promulguée ne peut être encore déférée devant
le juge constitutionnel aux fins de sanction. Certes le juge constitutionnel
français a admis qu'il pouvait contrôler la
constitutionnalité d'une loi déjà promulguée^ 4),
mais il s'agit d'un contrôle incident et dans des conditions restreintes
et difficiles à réaliser. Ainsi, la loi promulguée
conserve toute son immunité, quand bien même son
inconstitutionnalité aurait été couverte par la
prégnance des intérêts politiques rendant subsidiaire la
suprématie constitutionnelle. Il suffirait pour relativiser ces effets
d'accorder aux Tribunaux le droit de saisir le juge constitutionnel.
2- L'éventuel saisine du Conseil par les
Tribunaux
Le constituant camerounais s'est illustré par
l'extension du droit de saisine aux Président des Exécutifs
régionaux, mais il l'aurait été encore plus en
intégrant les tribunaux dans ce cercle fermé. En l'absence d'un
contrôle concret de la loi et face à la multiplicité des
13 C'est une sorte d'entente implicite entre Président
de la République, Premier Ministre, groupes parlementaires et Conseil
constitutionnel qui consiste à "ne jamais précipiter une
promulgation afin de laisser aux requérants le temps de récolter
les signatures nécessaires". Mais comme le précise le Pr.
Rousseau, cela ne peut "couvrir le droit que le Président détient
de la Constitution de promulguer la loi votée au moment où il
veut dans le délai de quinze jours."
14 Voir à ce propos CC 05- 187 DC 25/01/1985, Etat
d'urgence en Nouvelle - Calédonie, in L. Favoreu et L. Philip, Les
grandes décisions du Conseil constitutionnel, Sirey, 9'°"
éd. 1997. Le Conseil constitutionnel a ainsi déclaré
inconstitutionnelle des dispositions d'une loi déjà
promulguée dans un arrêt CC 99-140 DC 16/03/1999.
cas d'inconstitutionnalité soulevés tant devant
le juge judiciaire que devant le juge administratif, il aurait
été souhaitable comme le préconise déjà M.
Donfack Sokeng, que soit mis en place "un mécanisme de renvoi
auprès du Conseil constitutionnel". Cela aurait assurément permis
de s'assurer que "la loi au moment où elle s'applique est ou n'est pas
conforme à la Constitution". En demeurant dans la logique d'un
contrôle concret susceptible de donner lieu à plusieurs
interprétations de la loi, la qualification de l'exception
d'inconstitutionnalité en question préjudicielle venant
compléter les imperfections d'un contrôle abstrait et a priori
donnerait certainement à la règle constitutionnelle une plus
grande garantie. Surtout que l'office du juge constitutionnel fait aussi
l'objet de beaucoup de manquements dans son organisation.
PARAGRAPHE 2: L'OFFICE DU JUGE
CONSTITUTIONNEL
L'activité du juge constitutionnel
régulièrement saisi d'un litige sur la loi est organisée
par la loi du 21 avril 2004. L'analyse des dispositions relatives à
l'office du juge amène à la conclusion selon laquelle il faut
quelques modifications et quelques précisions sans lesquelles l'instance
serait entravée, aboutissant ainsi à une protection lacunaire de
la Constitution. Celles-ci intéressent autant les normes de
référence du contrôle (I) que la procédure (II).
I- LES NORMES DE REFERENCE DU CONTROLE
Ni la Constitution ni la loi portant organisation et
fonctionnement du Conseil constitutionnel ne s'intéressent aux normes
qui feront l'objet de référence dans le contrôle des lois.
C'est par une simple interprétation de l'article 47 de la Constitution
et, en recourant à la doctrine, qu'on peut esquisser une
énumération des dits textes. De là il résulte que
si le "bloc de constitutionnalité" occupe une place
prépondérante (A), il reste un doute quant à un
contrôle par référence aux traités et accords
internationaux (B).
A) La prépondérance du "bloc de
constitutionnalité"
Le terme n'est plus très utilisé aujourd'hui,
car la doctrine semble être revenue depuis le début des
années 1980 à celui de Constitution. Au demeurant, la
constitutionnalité de la loi devrait être appréciée
au regard tant de la constitution de 1996 (1) que des principes de valeur
constitutionnelle (2).
1- La constitutionnalité de la loi
appréciée par rapport à la Constitution de
1996
La Constitution du 18 janvier 1996 devrait être le
premier texte auquel se référera le juge constitutionnel. Cette
hypothèse se dégage logiquement de l'essence même du
contrôle de constitutionnalité qui est de veiller au respect de la
Constitution par la loi. Le juge devra donc rechercher la
régularité de la loi par confrontation de ses dispositions aux
principes énoncés par la Constitution. C'est d'ailleurs la
référence aux articles 46, 47 et 48 alinéa 1, 50 et 67
alinéa 4 de la loi fondamentale de 1996 qui est posée comme
préalable par le juge constitutionnel saisi du règlement
intérieur de l'Assemblée nationale, dans sa décision du 28
novembre 2002. Le terme "Constitution" est ici englobant, car il intègre
le préambule qui, aux termes de la loi fondamentale de 1996 "fait partie
intégrante de la Constitution". Déjà les normes de
référence du contrôle révèlent leur
caractère pluriel. Sous ce fondement, le juge constitutionnel pourrait
véritablement retrouver une compétence qui lui était
dévolue dans l'avant-projet de constitution de 1994: "juge de la
violation des droits et libertés". Dans ce rôle, le juge
constitutionnel contribuerait incontestablement et pour une part importante
à l'émergence de l'Etat de droit qui semble être l'objectif
du constituant.
2- Les principes de valeur constitutionnelle de
référence du contrôle
Ils sont contenus dans les textes internationaux auxquels
renvoie expressément le préambule de la Constitution. Le
constituant camerounais, en intégrant le préambule dans la
Constitution, confère par cela même valeur constitutionnelle aux
principes qu'il contient et aux textes auquel il renvoie. Il s'agit de "la
déclaration universelle des droits de l'homme, la charte des Nations
Unies, la charte africaine des droits de l'homme et des peuples et toutes les
conventions internationales y relatives et dûment ratifiées"(15).
On peut postuler à bon droit que cette intégration renforce
davantage l'idée de la constitution comme en France et par
l'activité du juge constitutionnel d'un espace exclusif des
gouvernés. Cette multiplicité laisse cependant en pan la question
de l'intégration des traités internationaux.
B) La problématique de l'intégration des
Traités internationaux
Le problème qui se pose ici est de savoir si la
constitutionnalité de la loi peut être appréciée par
rapport à une convention internationale. Deux éléments
nous autorisent à répondre à cette question par
l'affirmative: la supériorité de la convention sur la loi (1) et
l'obligation de l'Etat sur le principe de la réciprocité (2).
5 Voir le Préambule de la Constitution du 18 janvier
1996
1- Un contrôle fondé sur la
supériorité de la norme internationale
Aux termes de la Constitution du 18 janvier 1996, "les
traités ou accords internationaux régulièrement
approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication, une
autorité supérieure à celle des lois"(16). En admettant
que la supériorité entraîne nécessairement la
conformité, la loi devra donc démontrer sa conformité
à la norme internationale. Empruntant la voie tracée par la Cour
de cassation qui écarte l'application d'une loi postérieure
contraire à un traité(17), le Conseil constitutionnel
français a admis le traité comme norme de référence
du contrôle de constitutionnalité des lois en affirmant que
"l'Etat est en droit de définir les conditions d'admission des
étrangers sur son territoire sous réserve du respect des
engagements internationaux et des principes de valeur constitutionnelle (18).
De plus il serait illogique que le traité, qui est capable de modifier
la Constitution le cas échéant, puisse être contredit par
une simple loi parlementaire. Le respect étant déjà
posé par un principe dont la valeur constitutionnelle est implicitement
admise.
2- Le contrôle sur le principe
réciprocité
En contredisant une norme internationale dûment
ratifiée ou approuvée par une disposition législative,
l'Etat engage sa responsabilité sur le plan international.
L'édiction d'une loi contraire à la convention ne rend cependant
pas la norme illégale(19). Mais parce que l'Etat s'est engagé
à remplir son obligation, non seulement en organisant la subordination
de la Constitution à l'ordre juridique international mais aussi en lui
conférant une valeur supérieure à la loi, toute norme
dérogatoire devrait pouvoir être sanctionnée par le juge
constitutionnel sur le fondement du principe la réciprocité. Le
juge constitutionnel camerounais gagnerait certainement en s'inspirant des
solutions de son homologue français. Celles-ci ont le mérite de
ne pas contredire les dispositions de la Constitution camerounaise. On devrait
avoir un contrôle profond qui ne sera cependant pas aisé au regard
de la procédure.
II- LA PROCEDURE DUCONTROLE DE
CONSTITUTIONNALITÉ
La procédure de contrôle de
constitutionnalité telle que prévue par la loi du 21 avril 2004
frappe par son exhaustivité. Au point où on s'inquiéterait
de son efficacité, si elle n'avait
16 Article 45
17 Le Conseil d'Etat n'a pas rapidement adhéré
comme la Cour de Cassation à l'idée que la suprématie du
traité sur la loi impliquait la conformité de la loi et le cas
échéant la sanction de celle-ci. Dans un arrêt du
24/05/1975 Société des cafés Jacques Vabres, la Cour de
cassation écartait l'application d'une loi postérieure contraire
à un traité. Le Conseil d'Etat suivra dans un arrêt du
20/10/1989, Nicolo.
18 CC 92-307 DC, 25/02/1992. Lire les commentaires de D.
Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit. pp 116 et SS.
19 Voir N. Quoc Dinh et alii. Droit international public,
LGDJ, Paris, 6e""' éd. 1999, p 59.
fait ses preuves sous d'autres cieux. C'est une
procédure simple, révélatrice d'un Conseil- juridiction
(A) qui gagnerait à être améliorée (B).
A) Une procédure révélatrice d'un
Conseil Constitutionnel - juridiction
En analysant la procédure de contrôle de la
constitutionnalité des lois, la nature juridictionnelle du Conseil
constitutionnel apparaît indubitablement. De l'ouverture de l'instance au
prononcé de la décision, on perçoit un souci de
juridiciser le débat politique sur la loi (1) et une mise en avant du
principe du contradictoire qui caractérise un procès (2).
1- La juridicisation du débat politique sur la
loi
Le Conseil n'est pas saisi d'un débat politique, mais
d'un différend sur la constitutionnalité d'une loi. Sous ce
rapport, la loi du 21 avril 2004 précise que cette saisine se fait "par
simple requête datée et signée du requérant"(20).
Cette requête doit obligatoirement "être motivée et
comporter un exposé des moyens de fait et de droit qui la fondent"(21).
Autant dire que le juge constitutionnel n'entend pas être pris dans des
discussions portant sur des idéologies; plutôt il devra être
l'arbitre impartial qui apprécie souverainement la valeur des arguments
juridiques développés pour et contre la constitutionnalité
de la loi. D'ailleurs précise la loi du 21 avril, "les décisions
et avis du Conseil constitutionnel comportent (...) les moyens de fait et de
droit dont il est saisi, les motifs sur lesquels ils se fondent et un
dispositif'(22). Il est évident qu'il s'agit d'un procès opposant
deux parties.
2- Le contrôle: un procès opposant deux
parties
Le contrôle de constitutionnalité des lois est un
procès qui oppose deux parties. Le caractère contradictoire de la
procédure est expressément posé par la loi portant
organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel. Non seulement ce
texte dispose que "la procédure devant le Conseil constitutionnel est
(...) contradictoire"(23), mais en plus l'utilisation des termes comme les
"parties" et l'obligation pour le Conseil saisi de
l'inconstitutionnalité d'une loi d'en donner avis au Président de
la République et aux Président des chambres du Parlement pour
information de leur membres respectifs (24) confirment la thèse d'un
procès. Devant le juge on devrait ainsi retrouver un demandeur et un
défenseur qui
20 Article 19 alinéa 1 in fine
21 Article 19 alinéa 2
22 Article 14 alinéa 1
23 Article 57
24 Article 19 alinéa 3
essayent de convaincre le juge au moyen d'argument de droit de
la justesse de leur cause. Il reviendra au juge de s'élever au-dessus
de cette querelle pour remplir effectivement son rôle de gardien de la
Constitution. Les moyens mis à sa disposition ne facilitent pas vraiment
cette tâche.
B) Une procédure à
améliorer
La procédure constitutionnelle pèche par sa
brièveté (1) et le secret des débats (2).
1- Un délai trop bref pour
l'instance
Aux termes de la loi du 21 avril 2004, "le Conseil
constitutionnel doit se prononcer dans un délai de quinze jours"(25). Ce
délai est très court en France où il est prévu que
le juge rend sa décision un mois après saisine (26). On peut
comprendre le souci du constituant de ne pas vouloir retarder
indéfiniment une loi qui pourrait se révéler ne contenir
aucun élément d'inconstitutionnalité, mais ce délai
ne laisse pas vraiment à l'instruction de se faire avec beaucoup de
sérieux. De plus, ce délai peut être ramené à
huit jours si le Président de la République en fait la demande
(27). Il ne paraît pas possible, sous réserve de la pratique, que
l'instruction prévue aux articles 60 et 61 de la loi du 21 avril 2004
soit correctement conduite en un temps si bref. Une prorogation est d'autant
plus nécessaire que les travaux du Conseil portent sur le rapport du
Rapporteur chargé de l'instruction (28). Il ne faudrait pas que ce
rapport souffre dans son objectivité d'un manque de temps et soit
à l'origine d'une mauvaise décision. Certainement un examen
parallèle du dossier par chaque juge comme cela se fait en France
contribuerait à atténuer les effets de cette
brièveté du délai imparti au Conseil.
2- Un débat sur la loi marqué par le
secret
Dénonçant le caractère secret des
débats devant le Conseil constitutionnel français, Dominique
Rousseau affirme que l'autorité des juges constitutionnels et de leurs
décisions, leur indépendance, leur respectabilité "ne sont
pas remises en cause ou amoindries par la connaissance publique de leur
débats, des votes et des opinions dissidentes"(29). La procédure
constitutionnelle au Cameroun se caractérise par un secret total que ne
vient écorcher que la publicité de la décision qui est
rendue en séance publique et publiée au Journal
Qffîciel(30).
25 Article 19 alinéa 4
26 Voir à ce propos l'article 61 alinéa 3 de la
Constitution du 4 octobre 1958
27 Article 19 alinéa 4 in fine
28 Article 61 et 63
29 D. Rousseau Droit du contentieux constitutionnel, op cit. p
36.
30 Article 15 alinéas 1 et 2 et article 64.
La question est donc de savoir si ce secret, qui est
décrié ailleurs, justifie d'une pertinence au Cameroun. On peut y
voir dans son principe le souci d'offrir au juge plus d'assurance. Le secret
participerait ainsi de la volonté de faciliter les premiers pas d'une
justice dont tout le monde n'est pas partisan, et dont certains relèvent
le caractère non démocratique (31), renforcé par une
désignation discrétionnaire de ses membres. Rien n'empêche
qu'il y ait par la suite une évolution par une pratique des juges. Cela
ne pourrait que contribuer à l'affermissement de la règle
supérieure.
SECTION 2: L'AFFERMISSEMENT DE LA SUPREMATIE
CONSTITUTIONNELLE
Elle résulte d'un contrôle de
constitutionnalité effectif, dont la décision du 28 novembre 2002
semble être la pierre principale. Le contrôle de la
suprématie constitutionnelle a été pensé au
Cameroun depuis 1961, mais pratiquement la loi demeurait supérieure ou
tout au moins égale à la Constitution. La Constitution de 1996 a
posé en termes clairs le principe de la primauté des
règles issues de la législation constitutionnelle. La loi du 21
avril et la jurisprudence constitutionnelle autorisent à postuler
désormais la normativisation de la règle constitutionnelle
(paragraphe 1) et mieux encore la construction d'un droit constitutionnel
camerounais rénové (paragraphe 2).
PARAGRAPHE 1: LA NORMATIVISATION DE LA REGLE
CONSTITUTIONNELLE
Le constituant camerounais a choisi de ne plus laisser aux
pouvoirs constitués l'alternative de respecter la Constitution ou non.
Ceci par l'institutionnalisation de la justice constitutionnelle, qui»
seule "transforme donc en normes véritablement juridiques ce qui
seulement se voulait tel"(32). Par la médiation du juge constitutionnel
(I) et l'autorité qui est attachée à ses décisions
(II) , la norme constitutionnelle "devient ainsi et ainsi seulement la
règle de droit suprême"(33).
I- LA MEDIATION DU JUGE CONSTITUTIONNEL DANS LA
NORMATIVISATION DE LA CONSTITUTION
La dynamique constitutionnelle camerounaise mise en relation
avec l'autorité de la norme fondamentale est illustratrice de ce que la
Constitution ne possède pas une signification
31 Voir à ce propos G. Burdeau et alii. Droit
constitutionnel, LGDJ, Paris, 26'°° éd. 1999, pp 61 et SS.
32 Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la haute
cour constitutionnelle d'Autriche, Economica, PUAM, Marseille, 1972, p 22
33 Ch. Eisenmann, ibid.
s'imposant aux acteurs constitutionnels (34). Aussi la justice
constitutionnel est considérée comme le "messie" de la
Constitution, car "la parole du souverain ne s'affirme comme parole normative
que par l'agir juridictionnel"(35). La "résurrection" de la loi
fondamentale camerounaise repose sur le positionnement du juge constitutionnel
comme gardien de sa suprématie qui dans son office met en avant le motif
tiré de la violation de la Constitution (A) et sanctionne la norme
inférieure inconstitutionnelle (B).
A) La mise en avant du motif tiré de la
violation de la Constitution: le cas du règlement
intérieur de l'Assemblée
nationale
Le contrôle de constitutionnalité consiste selon
Charles Eisenmann, "uniquement à vérifier qu'une règle
quelconque ne déroge pas irrégulièrement à la
Constitution" (3 6). La loi du 21 avril 2004 portant organisation et
fonctionnement du Conseil constitutionnel conforte cette thèse qui
dispose que "le Conseil constitutionnel est l'instance compétente en
matière de contrôle de constitutionnalité". D'où la
mise en avant du motif tiré de la violation de la Constitution dans le
contrôle de la régularité matérielle (1) et de la
régularité formelle de l'acte (2).
1- Le contrôle de la régularité
matérielle de la loi
La loi n'est plus un acte général. La
Constitution énumère les matières qui ressortissent de la
compétence du législateur (37). Aussi, en disposant hors de ce
champ matériel défini par le constituant, la loi viole la
Constitution. La loi ne doit empiéter ni dans le domaine du
règlement ni dans celui du constituant. Ce contrôle,
qualifié de "contrôle de la constitutionnalité interne",
consiste selon D. Rousseau à "vérifier d'abord si le Parlement
n'a pas porté atteinte aux droits et libertés par suite d'une
erreur commise sur la signification des principes constitutionnels, sur ce
qu'ils permettaient de décider"(38) Mais il s'agirait aussi pour le juge
constitutionnel de s'assurer que "le législateur n'a pas commis une
erreur d'appréciation des faits et des circonstances sur lesquels il a
fondé sa loi"(39). Le contrôle matériel de la loi
déborde donc le simple cadre de la conformité pour
s'intéresser à l'opportunité même de la loi. Mais il
ne s'agit là que d'un développement du contrôle
corrélative à une emprise progressive de la justice
constitutionnelle. On s'attend tout au moins
34 L'affirmation selon laquelle "la Constitution est un
corps de règles obligatoires ou n'est rien" ne se charge de sens qu'avec
la justice constitutionnelle, qui par la sanction donne consistance et forme
à cette obligation. Lire aussi D. Rousseau, "Une résurrection: la
notion de Constitution", in RDP, 1990.
35 D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op
cit. p 486.
36 Ch. Eisenmann, La justice constitutionnelle et la haute
cour constitutionnelle d'Autriche, op cit. p 20.
37 Voir l'article 26
38 D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op
cit. p 140.
39 D. Rousseau, ibid.
à ce que le juge constitutionnel camerounais s'assure
que l'acte pris par le Parlement relève bien du domaine de la loi.
Toutefois cet acte doit également être pris dans les formes
requises.
2- Le contrôle de la régularité
formelle de la loi
Ce contrôle s'intéresse à
l'élaboration de la loi pour s'assurer qu'elle l'a été
selon les règles constitutionnelles. En France, ce contrôle
s'articule autour du vice de procédure et de l'incompétence.
L'incompétence signifie que "la loi entre bien dans la compétence
du Parlement, mais non dans celui qui l'a prise". Il en est ainsi à
cause de la procédure particulière qui caractérise
l'adoption des lois dites "organiques". La Constitution française,
contrairement à la loi fondamentale camerounaise, distingue la
procédure d'adoption des lois ordinaires de celle des lois organiques
(40). Aussi, en élaborant une loi organique par la procédure
législative, le législateur ordinaire empiète-t-il dans le
domaine du législateur organique. Le droit constitutionnel camerounais
ne fait pas cette distinction de procédure, ou tout au moins cette
distinction a été abandonnée, qui figurait dans la
Constitution du 04 mars 1960. Le contrôle du Conseil ne portera alors que
sur le respect par le législateur des règles constitutionnelles
qui président à l'élaboration des lois. Le contrôle
aboutit nécessairement à une décision.
B) La sanction du contrôle de la norme
inférieure
Le contrôle du juge aboutit à une
décision. Aux termes de l'article 23 de la loi du 21 avril 2004 "la
décision du Conseil constitutionnel déclarant qu'une disposition
de la loi n'est pas contraire à la Constitution met fin à la
suspension du délai de promulgation". Mais la décision du juge
constitutionnel peut aussi être négative, comme cela a
été le cas du règlement intérieur de
l'Assemblée nationale (1) En matière législative,
l'inconstitutionnalité de la loi s'analysera surtout en une sanction du
législateur ordinaire (2).
1- La sanction du règlement intérieur de
l'Assemblée nationale: la décision du 28/11/2002
Vidant sa saisine le 28 novembre 2002, la Cour suprême
dans l'exercice de ses prérogatives de juge constitutionnel (41), allait
poser les bases d'une jurisprudence volontariste en matière de garantie
de la suprématie constitutionnelle. Le juge constitutionnel estime en
effet que "la procédure de validation" organisée par le
règlement intérieur de la
40 Lire à ce sujet l'article 46 de la Constitution du
4 octobre 1958.
41 Ces prérogatives lui sont reconnues sur le
fondement de l'article 67 alinéa 4 de la Constitution. Il faut ainsi
relever, à la suite de A.D Olinga, que "la Cour suprême agit en
tant que juge constitutionnel sans l'être tout à fait, ni du point
de vue organique, ni du point de vue procédural."
chambre et "en vigueur avant l'institution du Conseil
constitutionnel (...) ne trouve plus sa raison d'être".(42)
Cette procédure est, au terme de l'argumentaire du juge
constitutionnel, considérée comme un"contrôle a posteriori
de la décision du Conseil constitutionnel déclarant élu
des candidats à l'élection législative". Or les
décisions de cette institution sont revêtues de l'autorité
absolue de chose jugée et s'imposent erga omnes. Aussi cela ne
peut être interprété que comme une violation de la
Constitution, c'est d'ailleurs à cette conclusion que parvient le juge
qui décide que "les dispositions des articles 3 alinéa 2, 3, 4,
5, 6 et 7, 4 nouveau, 5 nouveau, 6 nouveau, 7 nouveau et 10 in fine sont
déclarés contraires à la Constitution". Le juge
constitutionnel, juge de la Cour suprême a fait montre ici d'une rigueur
appréciable dans l'interprétation de la lettre de la
Constitution. Comme le soutient Claude Momo, "la Cour a rejoint la doctrine qui
considérait que la validation des mandats était en contradiction
flagrante avec le rôle nouveau de juge électoral dévolu au
Conseil constitutionnel."(43) Bien plus, cette décision rassure quant
à la primauté de la norme constitutionnelle sur les règles
d'organisation interne des assemblées, alors que cette suprématie
sur la loi reste encore au stade normatif.
2- L'inconstitutionnalité de la loi et la
sanction du législateur ordinaire
La sanction de la loi c'est la sanction de son auteur. En
l'occurrence le Parlement. L'inconstitutionnalité apparaît ainsi
en dernière analyse comme une "incompétence du
législateur". Parce que la Constitution procède à une
distribution de la compétence législative entre
législateur et constituant, le législateur ne saurait, sans
commettre un "excès de pouvoir" ou un "détournement de pouvoir"
disposer dans un domaine qui est réservé au constituant. Le Pr.
Eisenmann dit fort à propos qu'"il n'existe pas de règle de droit
qui puisse à aucun moment faire définitivement obstacle à
l'insertion valable dans le système du droit d'une disposition
quelconque, à sa transformation régulière en norme
juridique"(44). Pour l'éminent Professeur, l'interrogation ne peut
porter que sur l'autorité compétente pour édicter la
règle. Ceci justifie que la disposition déclarée
inconstitutionnelle puisse être validée par une seconde lecture du
Parlement (45). Cette disposition conforte la thèse selon laquelle la
règle peut être posée, mais pas par le législateur.
Il s'ensuit normalement l'exigence d'une majorité absolue (46) pour
l'adoption. Dans ce cas il est intéressant de s'interroger sur la valeur
de la décision du juge constitutionnel.
42 Décision n° 001/CC/02-03 du 28/11/2002
43 C. Momo, "Heurs et malheurs de la justice constitutionnelle
au Cameroun", article inédit
44 Ch. Eisenmann, op cit. pp 18 -19.
45 Article 26 in fine de la loi du 21 avril 2004
46 Article 19 alinéa 3 et article 24 alinéa 3 de
la Constitution
II- L'AUTORITE DES DECISIONS DU JUGE
CONSTITUTIONNEL
Selon l'article 50 alinéa 1 de la Constitution, "les
décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun
recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les
autorités administratives, militaires et juridictionnelles, ainsi
qu'à toute personne physique ou morale". A cette autorité absolue
(A), la loi du 21 avril 2004 apporte quelques bémols (B).
A) Une autorité absolue dans son
principe
Le Conseil constitutionnel rend des décisions
souveraines (1) ayant valeur constitutionnelle (2).
1- Une décision souveraine
Le Conseil statue souverainement, c'est-à-dire avec une
autorité telle qu'il ne peut en être de plus élevée.
U rend par conséquent des décisions revêtues de la
même autorité. La Constitution et la loi portant organisation et
fonctionnement du Conseil constitutionnel s'accordent pour dire que "une fois
la sentence rendue, elle est tenue pour définitivement acquise". La
souveraineté des décisions du Conseil signifie également
qu'elles s'imposent à tous, car "une décision
déclarée inconstitutionnelle ne peut être ni
promulguée ni mise en application". Le caractère normatif ne lui
est pas reconnu sur le fondement que "un acte législatif contraire
à la Constitution n'est pas une loi". Dans le même sens "le
règlement intérieur n'entre en vigueur qu'après avoir
été reconnu dans sa totalité conforme à la
Constitution" (47). En fin de compte, la compétence reconnue au Conseil
peut se transformer en un pouvoir.
2- Une décision ayant valeur
constitutionnelle
La doctrine intègre dans le "bloc de
constitutionnalité" les décisions du juge constitutionnel (48).
Elles ont valeur constitutionnelle en ce qu'elles s'imposent au respect de
tous. Le juge constitutionnel parle avec l'autorité de la Constitution;
il est constituant. Mais il ne s'agit que d'un pouvoir constituant
dérivé qui s'explique par le pouvoir d'interprétation qui
lui est reconnu et par lequel il "tue le texte constitutionnel, le
dévore ensuite pour mieux se l'approprier, prendre sa place et le faire
revivre par sa voix, son action jurisprudentiel"(49).Cependant si les
décisions du juge constitutionnel s'imposent à tous, il demeure
une limite certaine: le pouvoir constituant.
47 Article 27 alinéa 5 de la loi portant organisation
et fonctionnement du Conseil constitutionnel
48 Voir R.G Niep, Cours de droit administratif
général, Université de Douala, année 2000-2001
49 D. Rousseau, "Une résurrection: la notion de
Constitution", op cit.
B) Une autorité cependant
limitée
Le juge constitutionnel n'est pas le Souverain. S'il est
admissible qu'il n'existe aucune norme au-dessus de la Constitution, le
Souverain est au-dessus de la Constitution (50). Par conséquent une
inconstitutionnalité peut être contournée en recourant
à lui (1) ou en procédant à une seconde
délibération (2). Ainsi est annihilée toute
possibilité d'un éventuel « gouvernement des juges" en
droit constitutionnel camerounais.
1- L'inconstitutionnalité contournée par
le recours au Constituant
Cette hypothèse n'est pas expressément
prévue par les textes. Mais en reprenant la thèse de Charles
Eisenmann selon laquelle toute règle peut être posée mais
par l'autorité compétente, la décision
d'inconstitutionnalité n'empêche pas le constituant qui "peut tout
faire » parce que souverain, de prendre le contre-pied de la
décision du juge. Cela s'est déjà vu en France à
propos de la loi sur le droit d'asile (51). Aucun obstacle ne peut se dresser
en face du souverain puisque "un peuple a le droit imprescriptible de changer
ses lois, même les meilleures"(52). Il ne serait pas étonnant
qu'une loi déclarée inconstitutionnelle puisse devenir
constitutionnelle par la modification de la Constitution. En définitive,
il semble bien qu'il n'ait d'inconstitutionnalité que de
l'incompétence du législateur ordinaire, puisque la loi du
21avril prévoit aussi un moyen de contourner la décision du
juge.
2- L'inconstitutionnalité contournée par
la seconde délibération
Elle est prévue dans le cas où une seule
disposition de la loi serait déclarée inconstitutionnelle; ladite
disposition étant séparable de l'ensemble de la loi. Mais il faut
encore que le Président de la République, à qui l'option
revient en tant que gardien du respecte de la Constitution, le demande. Dans ce
cas la disposition est adoptée suivant une procédure qui n'est
pas celle de la loi ordinaire. La question qui se pose alors est celle de
savoir si le Parlement se réunit en Congrès ou alors s'il suffit
que la disposition soit adoptée à la majorité absolue par
les membres de chacune des deux chambres. Au regard de la procédure
législative de la Constitution du 18 janvier 1996 on peut dire que la
loi étant votée par les deux chambres et la demande de seconde
lecture étant prévue tant pour le Sénat que pour
l'Assemblée nationale, le Parlement doit se prononcer sur la disposition
déclarée inconstitutionnelle
.50 Les deux révisions constitutionnelles intervenues
au Togo après la mon du Président Eyadema démontrent que
le souverain n'est pas lié par les règles qu'il a posées.
En cela on rejoint la position du théoricien allemand C. Schmitt qui
estime que le véritable constituant est celui qui peut à tout
moment décider de "l'exception". Il s'agit ni plus ni moins que de la
soumission de la loi fondamentale au pouvoir et à ceux qui le
détiennent. Lire aussi J. Du Bois de Gaudusson, "Trente ans
d'institutions constitutionnelles et politiques. Points de repère et
interrogation", in Afrique contemporaine. n° spécial, 4'""
trimestre, 1992, pp 56 et SS.
51 Voir D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel,
op cit. p 163.
52 JJ. Rousseau, cité par JP Camby, "Supra
constitutionnalité: la fin d'un mythe", in RDP, n°l, 2003, p 671
L'inconstitutionnalité est neutralisée par le
vote à la majorité absolue; ce qui marque la primauté des
représentants du peuple sur les juges. Pourtant il est certain que la
justice constitutionnelle augure d'un nouveau droit camerounais.
PARAGRAPHE 2: LA CONSTRUCTION D'UN DROIT CONSTITUTIONNEL
CAMEROUNAIS RENOVE
Ce renouvellement est dû principalement à
l'institutionnalisation de la justice constitutionnelle. Celle-ci restaure la
Constitution dans son statut de "mètre" de la régularité
juridique (I). On ne s'étonnerait pas alors de voir émerger un
droit constitutionnel jurisprudentiel (II), faisant de la loi fondamentale "un
espace vivant et ouvert".
I- LA CONSTITUTION "METRE" DE LA REGULARITE
JURIDIQUE
La justice constitutionnelle est assurément au principe
d'une nouvelle idée de la Constitution au Cameroun. Elle n'est plus "un
programme politique, à la rigueur obligatoire moralement, un recueil de
bons conseils à l'usage du législateur, dont il est juridiquement
libre de tenir ou de ne pas tenir compte"(53). Mais parce que la justice
constitutionnelle fait de la constitution le "principe de validité toute
juridique"(54), il s'ensuit une redéfinition de la notion de norme (A)
et donc la subordination à la Constitution de toutes les règles
infra- légales (B).
A) La redéfinition de la notion de
norme
L'entrée d'une norme dans l'ordre juridique
n'était subordonnée qu'à sa régularité
formelle. Avec la justice constitutionnelle, la règle doit
désormais sa nature de norme juridique à la satisfaction des
exigences de validité (1) et de conformité (2).
1- Le critère de validité
La norme doit être valide. Le critère de
validité renvoie ici aux conditions formelles de production de la
règle. La Constitution détermine les voies à emprunter
pour l'élaboration des règles. C'est pourquoi Charles Eisenmann
définira aussi la Constitution comme l'ensemble des règles "sur
la création des nonnes juridiques générales"(55). La norme
ne sera considérée
53 Ch. Eisenmann, op cit p 22
54 Ibid.
55 Idem. P 3
comme valide qu'autant qu'elle est élaborée dans
le respect de la procédure constitutionnelle. A cette condition formelle
s'ajoute désormais par la justice constitutionnelle un autre
critère: celui de la conformité (56).
2- Le critère de conformité
Rendue désormais obligatoire par l'institution du
Conseil constitutionnel, la Constitution est "le dernier terme auquel on puisse
rapporter et comparer une règle de droit"(57) pour en apprécier
la conformité. Le critère de conformité signifie que la
norme ne doit pas contredire un principe de valeur constitutionnel. La loi doit
être conforme à la Constitution sous peine
d'inconstitutionnalité et donc du refus de lui reconnaître la
qualité de règle juridique. A la fin soutien Louis Favoreu, "il
ne peut y avoir norme que s'il y a déjà une autre norme qui lui
attribue cette qualité"(58). Cette norme est désormais la loi
fondamentale du l8 janvier l996.
B) La subordination à la Constitution des
règles infra légales
La conformité de la loi implique la conformité
des autres règles; la loi devient ainsi un "aiguilleur" de la
création des règles infra légales (1) et un facteur
d'ordre dans le système juridique (2).
1- La loi "aiguilleur" de la législation infra
légale
La loi est dans l'architecture normative la règle qui
met en forme les principes énoncés dans la Constitution. Par sa
conformité, elle conditionne nécessairement l'édiction des
autres règles qui lui sont directement ou indirectement
inférieures. Il s'agit surtout des règlements administratifs,
dont la conformité à la loi est un principe établi en
droit camerounais et sanctionné par la juridiction administrative. La
conformité de la loi faciliterait aussi le contrôle de
constitutionnalité des règlements rendu spécieux par la
fameuse théorie de l'écran législatif (59).
Véritablement, c'est tout le système juridique qui se trouvera
ordonné.
2- Un système juridique
ordonné
II ne s'agira pas simplement d'un voeu pieux, mais le
système juridique camerounais retrouve son attribut "d'ordre juridique"
par la restauration de la Constitution dans sa place au
56 Voir L. Favoreu, Droit constitutionnel, Dalloz, Paris,
2ème éd. 1999
57 Ch. Eisenmann, op cit. p 13
58 L. Favoreu, Droit constitutionnel, op. cit.
59 Lire notamment les développements de R.G. Nlep, "Le
juge administratif et les nonnes internes, constitutionnelles ou infra
constitutionnelle en matière de droits fondamentaux", in Solon, Revue
africaine de parlementarisme et de la démocratie, vol 1 n°l,
1999,ppl35etSS.
sommet de la pyramide garantie par la justice
constitutionnelle qui fait en sorte que toute norme juridique soit d'abord et
avant tout application d'une norme supérieure. Sous ce rapport, le
système juridique ne peut être qu'ordonné. Cet
ordonnancement ne pouvant être complet qu'avec la hardiesse du juge
à priver d'effet juridique les normes qui sont devenues caduques et dont
le contrôle ne peut être effectué par le juge
constitutionnel. Car la loi promulguée est parfaite et ne peut plus
faire l'objet d'un contrôle. Tout de même, la justice
constitutionnelle ne se révélera efficace qu'avec
l'émergence d'un droit constitutionnel jurisprudentiel.
II- L'HYPOTHESE D'UN DROIT CONSTITUTIONNEL
JURISPRUDENTIEL
La jurisprudence constitutionnelle de la Cour suprême
siégeant comme Conseil constitutionnel augure d'une nouvelle ère
pour la Constitution camerounaise. Les circonstances qui ont
présidé à son élaboration devraient logiquement
entraîner le juge constitutionnel sur le terrain de la primauté
des droits fondamentaux et de l'idéal démocratique (A) dont les
garanties ne manquent pas de pertinence (B) dans l'édification d'un Etat
de droit aux bases solides.
A) La primauté des droits fondamentaux et de
l'idéal démocratique
La mobilisation de la communauté internationale autour
du respect des droits de l'homme semble démontrer que, ainsi que dispose
l'article 2 de la DDHC "le but de toute association politique est la
conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme". Cette
idée aiguille en tout cas la Constitution camerounaise qui s'illustre
par une attention particulière aux droits fondamentaux (1) et l'option
en faveur de la démocratie (2).
1- La primauté des droits
fondamentaux
Ces droits sont proclamés dans le préambule qui,
"fait partie intégrante de la Constitution". L'influence de
l'idéologie de l'Etat de droit transparaît aisément dans le
changement quantitatif du dit préambule. Il passe d'une vingtaine
d'alinéas à près d'une trentaine. On remarque aussi une
augmentation des textes internationaux de référence. Alors que la
Constitution de 1972 ne mentionnait que la Charte des Nations Unies et la DUDH,
le constituant de 1996 ajoute la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples et les conventions y relatives. Le peuple camerounais affirme ainsi son
"attachement aux droits fondamentaux" dont l'Etat garantit la jouissance
"à tous les citoyens de l'un et l'autre sexe".
Les droits fondamentaux irriguent le dispositif institutionnel
camerounais. Ils commandent une organisation du pouvoir dans le respect de la
pensée de Montesquieu. Quel danger y aurait-il encore pour la
liberté alors que l'option pour la démocratie est clairement
exprimée?
2- L'option en faveur de la
démocratie
II s'agit de la démocratie représentative, celle
dans laquelle le peuple gouverne par l'intermédiaire de
représentants élus. Il s'agit aussi de la démocratie
nouvelle qualifiée de "démocratie constitutionnelle". C'est celle
dans laquelle les droits des gouvernés sont constitués
séparément de ceux des gouvernants. La justice constitutionnelle
est à la cheville de cette nouvelle construction, qui rejette la
confusion gouvernants- gouvernés et soumet les premiers aux seconds par
la technique du contrôle de constitutionnalité. Le Cameroun se
présente comme une République "démocratique", qui
"reconnaît et protège les valeurs traditionnelles conformes aux
principes démocratiques". Faut-il encore préciser que le pouvoir
est organisé suivant le principe de la distinction entre celui qui fait
la loi, celui qui l'exécute et celui qui en sanctionne les violations?
Qualifié de "principe émergeant du droit international" (60),
l'Etat de droit trouve assurément un terrain fertile au Cameroun. Les
droits fondamentaux et la démocratie ne sont pas seulement
proclamés, ils sont affectés de garanties.
B) La pertinence des garanties offertes par le
constituant
L'Etat de droit n'est pas une nouveauté en Afrique.
Ainsi que le précise Donfack Sokeng, "la référence
à l'Etat de droit figurait déjà (...) dans les
constitutions des premières années d'indépendance"(61).
Mais il a fallu attendre le vent d'Est pour voir le Cameroun se
détaché de l'idéologie de la construction nationale pour
proclamer "son attachement aux valeurs de l'Etat de droit, c'est-à-dire
à un ordre juridique dans lequel les autorités sont soumises
effectivement à la règle de droit"(62). Soumission garantie par
la primauté de la Constitution (1) et le contrôle juridictionnel
des organes de l'Etat (2).
1- La primauté de la Constitution
La Constitution camerounaise couronne le système
juridique et politique du pays ; ceci par l'intégration des
règles procédurales qui ne siéent qu'aux constitutions
rigides,
60 J-Y. Morin, cité par L. Donfack Sokeng, "L'Etat de
droit en Afrique", in Afrique juridique et politique. La Revue du CERDIP, vol 1
n° 2,juil-déc2002,p87.
61 L. Donfack Sokeng, "L'Etat de droit en Afrique", op cit.
p 91.
62 K. Ahadzi, "Les nouvelles tendances du constitutionnalisme
africain: le cas des Etats d'Afrique noire francophone", in Afrique juridique
et politique. La Revue du CERDIP, vol 1 n°2,juil-dée 2002, p 39
c'est-à-dire celles qui affirment leur
suprématie sur la loi et sur toute autre norme dans l'ordre interne. La
primauté de la Constitution "représente incontestablement un des
piliers fondamentaux de l'Etat de droit". Elle est la règle qui
définit la production des règles et impose aux pouvoirs publics
d'emprunter les voies prévues par elle pour la création de toute
norme juridique. Evidemment cette primauté serait illusoire s'il n'y
avait un contrôle juridictionnel organisé par le constituant.
2- Le contrôle juridictionnel des pouvoirs
constitués
II s'agit du contrôle de constitutionnalité,
celui des règlements et des lois. En créant une juridiction
constitutionnelle indépendante, le constituant camerounais affirme une
fois de plus son attachement aux valeurs de la démocratie
libérale, tout en lui conférant "une autonomie renforcée
à l'égard de tout organe de l'Etat". Contrôle de
constitutionnalité des règlements et contrôle de
constitutionnalité des lois forment désormais au Cameroun la
garantie certaine de la prééminence hiérarchique de la
Constitution, pilier principal de l'Etat de droit.
Le texte du 18 janvier 1996 est au socle d'un nouveau droit
constitutionnel camerounais. Celui-ci puise aux sources du constitutionnalisme
libéral une inspiration nouvelle pour bâtir un ordre juridique au
sommet duquel se place la Constitution. Loin d'être une simple
déclaration d'intention, cette option est d'abord la traduction d'un
changement réclamé à cor et à cri par un peuple
fatigué d'être confondu au lieu d'être
représenté. C'est aussi l'expression de la volonté des
détenteurs du pouvoir politique dans les années de braise
1990-1992 de contrôler et de conduire ce changement. C'est enfin
l'adhésion du Cameroun à une vision prééminente de
la Constitution à travers le contrôle de
constitutionnalité.
CONCLUSION GENERALE
Une réflexion sur l'autorité de la norme
constitutionnelle aujourd'hui ne peut se faire en faisant abstraction d'un
contexte interne et international en perpétuelle mutation.
Assurément une telle étude aboutirait à un résultat
autre que celui auquel nous sommes parvenus si elle avait été
faite avant 1996. Le 18 janvier 1996, le Cameroun affichait aux yeux du monde
un visage différent, fondamentalement revigoré par une cure dans
les eaux du constitutionnalisme moderne caractérisé par son
libéralisme. Emergeant aux aurores d'une année
véritablement nouvelle, la Constitution du 18 janvier 1996 introduisait
des données sans lesquelles la présente étude perdrait
tout intérêt en tant que contribution à l'étude du
droit constitutionnel camerounais rénové.
L'autorité de la norme constitutionnelle doit
aujourd'hui faire face à de nombreux impératifs. Celle d'abord de
la relativisation de son socle: le pouvoir constituant. "Pouvoir de droit
originaire et suprême", il autorisait la construction non pas d'un
principe, mais d'une règle fondamentale du droit constitutionnel: la
suprématie des normes issues de ce que le Pr. Charles Eisenmann nomma
"la législation constitutionnelle". Après plus de deux cents ans,
la Constitution méritait d'être reconsidérée.
Changer pour devenir, ou plutôt redevenir ce qu'elle n'aurait jamais
dû cesser d'être: la "garantie des droits". A force de n'être
que la technique de séparation des pouvoirs, elle avait fini par se
confondre à elle. Mais en renvoyant généralement à
la loi organique pour traduire les principes qu'elle pose, la Constitution
démontre qu'elle n'est pas le seul texte qui traite du pouvoir. Aussi
était-il important pour nous de rechercher dans le juridique le
fondement de l'autorité de la règle constitutionnelle, les
raisons pour laquelle dans l'ordre juridique interne, elle trouve sa place au
sommet de la "pyramide des normes" et cela même si certaines normes en
dessous d'elle ne lui sont pas conformes.. Ce fondement, nous l'avons
trouvé en le pouvoir constituant qui seul peut élaborer des
règles de valeur constitutionnelle, car "la Constitution suppose avant
tout un pouvoir constituant." Sous ce postulat on pourrait donner à
n'importe quelle norme la valeur suprême, même s'il s'agit des
règles sur l'abattage d'animaux; il faudrait pour cela qu'elle soit
posée par le souverain constituant.
Pourtant, l'exclusivité du constituant en
matière constitutionnelle permet moins de construire la notion de
Constitution que d'expliquer que cette dernière est dans l'ordre interne
"le mètre" qui juge de la validité de toutes les autres normes. A
moins de préciser que le pouvoir constituant est souverain. La
souveraineté du pouvoir constituant est incontestable liée
à son détenteur: le peuple. De cette souveraineté il tire
une liberté totale et absolue lorsqu'il élabore la règle
constitutionnelle. Tel est du moins le principe. A l'époque moderne, la
liberté du pouvoir constituant doit nécessairement composer avec
les données inhérentes à toute participation à
une société. L'abandon progressive de la "folie des grandeurs"
s'accompagne de l'immixtion chaque jour un peu plus croissante d'un droit que
certains qualifient de supranational et de super étatique, dans la
sphère du droit interne. Par exemple, près de 70% des textes en
vigueur aujourd'hui dans l'Union Européenne sont votées par le
Parlement Européen. De même qu'en Afrique, le droit uniforme OHADA
conquiert progressivement un champ d'action de plus en plus vaste; champ qui
hier encore était de la compétence du droit interne sous
l'autorité de la règle de droit suprême. Mais tout ceci ne
présente qu'un intérêt moindre au regard de la
mondialisation des droits de l'homme. Rien ne semble aujourd'hui
échapper aux tentacules de cette notion qui impose et s'impose comme
"l'idéal commun" de l'humanité, et donc rassemblant
derrière lui toute la communauté internationale. Devenu
l'étalon de valeur, le respect des droits de l'homme permet de mesurer
le degré de "civilisation" de chaque membre du concert des nations. Un
concert qu'on voudrait harmonieux, débarrassé des aléas
culturels, religieux et idéologiques. Sous ce rapport, aucun Etat ne
peut justifier sa violation d'une obligation internationale par le recours
à son droit interne. Autant dire avec le Commissaire du gouvernement
Frydman dans ses conclusions sur l'affaire Nicolo que "l'époque de la
suprématie inconditionnelle du droit interne est révolue."(l)
Cependant, on ne saurait contester qu'il reste souverain,
qu'il est de son essence de pouvoir ce qu'il voudra et comme il voudra. Au
surplus peut-on affirmer pour tenter une vaine limitation de ce pouvoir, que
"le pouvoir de tout faire n'en donne pas le droit." Mais on devrait encore se
résoudre à admettre comme le fait déjà la science
constitutionnelle et cela bien avant le juge constitutionnel qu'"il est de
l'essence de la puissance souveraine de ne pouvoir être limitée;
elle peut tout ou elle n'est rien."(2) Sous ce prisme, on ne peut que convenir
avec le Pr. Prosper Weil pour qui "le droit public tient du miracle".
La souveraineté du pouvoir constituant
réactualise la question de la subsidiarité de toute organisation
du pouvoir que soulevait déjà Stéphane Rials.(3) "Un
peuple est toujours maître de changer ses lois, même les
meilleures", du moment qu'elles se révèlent inaptes à
1 Cité par M. Ondoa, "La distinction entre
Constitution souple et Constitution rigide en droit constitutionnel
français" in Annales de la faculté des sciences juridiques et
politiques. Université de Douala, n° 1 année 2002, p 105
2 J.J Rousseau, cité par I. Abiabag, Cours de Droit
constitutionnel. Université de Douala, 1999 - 2000.
3 Cet auteur rappelle que "la volonté
générale, même constitutionnelle, ne peut porter atteinte
à la liberté et à l'égalité des droits qui
lui sont liées." Pour lui le fondement du droit "réside dans le
respect de la personne dans sa vie et sa dignité." De cela conclut-il,
on peut postuler "l'organisation du pouvoir et la subsidiarité de cette
organisation par rapport à la personne." Mais pratiquement, cette
question est moins délicate, car il n'existe pas de juge du Constituant.
Aussi peut-il poser des règles qui portent atteinte à cette
égalité. Dans ce sens, le constituant camerounais de 1996
proclame à la fois l'égalité de tous les hommes en droits
et en devoirs et la protection des "droits des populations autochtones." Il
s'agit là de ce que le Pr. Donfack Sokeng a qualifié de
"définition plurielle et contradictoire de la citoyenneté
républicaine." De plus, il faut reconnaître qu'un droit qui n'est
pas posé sous forme de règle par l'autorité
compétente ne peut être légitimement
réclamé.
jouer le rôle de régulateur social qui leur est
dévolu, avec le degré d'efficacité le plus
élevé qu'on puisse espérer. Certes comme l'a prouvé
le cas togolais, la recherche de l'efficacité de la règle n'est
pas toujours au principe d'une modification de la norme constitutionnelle. Dans
ce cas, la souveraineté du pouvoir constituant se révèle
dans son aspect le plus négatif, car si elle assure à la
Constitution une notoriété incontestable, elle est aussi à
l'origine de sa vassalisation au pouvoir.
La suprématie des règles constitutionnelles ne
peut se concevoir à l'époque moderne qu'en ayant à
l'esprit cette idée de souveraineté du pouvoir constituant. Une
souveraineté de la quête d'un mieux-être. Non seulement
celui du peuple de l'Etat, mais aussi celui de la communauté
internationale. En effet la frontière n'est plus aujourd'hui la limite
du droit interne. Le droit interne de l'Etat "traque" ses ressortissants jusque
dans le territoire d'un autre Etat, tandis que le droit international se
libère progressivement de ses présupposés classiques pour
saisir directement l'individu à l'intérieur de la
frontière sans nécessairement recourir à l'Etat. Cela
n'est absolument pas une contestation de la supériorité de la
Constitution, du moment où elle consacre la ratification comme le
"mécanisme autosuffisant" pour l'application d'une norme internationale
au Cameroun. La relation Droit interne - Droit international est assez complexe
pour être réduite à une simple question de
hiérarchie. La ratification d'un engagement international ne peut
intervenir qu'après révision de la Constitution lorsque la norme
internationale est contraire à la loi fondamentale; mais une fois
ratifiée, elle prend place dans l'ordre interne après la
Constitution. Car s'il existe des normes supérieures à la
Constitution, celles-ci n'appartiennent cependant pas au système et ne
sont pas d'une supériorité hiérarchique.
L'autorité de*la norme constitutionnelle ne saurait
cependant se réduire à une affirmation de principe.
Incontestablement la loi fondamentale du 18 janvier 1996 trône
majestueusement au-dessus de l'édifice institutionnel du Cameroun,
rassurée par un contrôle de constitutionnalité qui a fait
défaut à une réclamation identique de ses
devancières. Mais au-delà, il était intéressant de
s'interroger sur toutes les conséquences de cette position. Longtemps
ignorée, la question de la conformité fait une rentrée
fort remarquable dans le droit constitutionnel camerounais de l'ère
libérale. La justice constitutionnelle est au fondement de ce renouveau.
Sa particularité: elle est calquée sur un modèle
réclamant à son profit une forte légitimité, le
modèle européen. Celui-là même qui transformera une
"notion en survivance"(4) en un "véritable Lazare constitutionnel (5).
La justice constitutionnelle est
4 G. Burdeau, cité par D. Rousseau, Droit du
contentieux constitutionnel, Montchrestien, Paris, 6*°" éd., 2001,
p 427.
5 D. Rousseau, "Une résurrection: la notion de
Constitution", Revue de Droit public, 1990
porteuse d'espoirs que seuls le temps et la hardiesse du juge
constitutionnel camerounais permettront de faire le départ entre
rêve et utopie. Le constitutionalisme africain s'oppose toujours au
constitutionalisme européen, qualifié depuis toujours de
modèle. Pas forcément sur le plan du Droit tel que posé,
mais de l'écart qui existe très souvent entre le principe et la
réalité. La réalisation du Droit au Cameroun se dessine
ainsi comme un autre champ d'investigation qui s'offre au juriste, relativement
à la construction de la primauté de la règle
constitutionnelle à l'aune de l'activité de celui qui prononce
les paroles de la Constitution. La juridicisation de la loi fondamentale du 18
janvier 1996 permettra de procéder à l'écriture d'une
nouvelle page de la science constitutionnelle camerounaise : celle de la
hiérarchie des normes et de son corollaire le contrôle de
constitutionnalité. A la recherche de la dualité validité
- conformité comme condition d'insertion d'une norme dans le
système juridique, comme critère d'affectation du qualificatif
« norme ». L'oeuvre de hiérarchisation rentre par
cela même dans une phase terminale avec l'institution du juge
constitutionnel comme « gardien » du respect de la
Constitution.
La construction d'une sphère des droits des
gouvernés séparée de celle des gouvernants, visible
à travers la jurisprudence du Conseil Constitutionnel français
fait dire au Pr. D. Rousseau que la Constitution est « la charte
jurisprudentielle des droits et libertés ». Plus encore par
sa jurisprudence, le Conseil Constitutionnel contribue au maintien du peuple
dans son rôle de souverain ; car désormais la loi ne sera la
volonté générale qu'autant qu'elle est conforme aux
principes de valeur constitutionnelle. La sacralisation du pouvoir dont les
effets peuvent encore être observés dans la lente exécution
du texte du 18 janvier 1996 joue un rôle de premier plan dans
l'éviction du peuple camerounais de sa place de souverain constituant au
profit du Chef de l'Etat qui se révèle bien souvent comme celui
qui décide de l'exception. Contrairement à la France, il
s'agirait plutôt au Cameroun de rétablir le peuple dans son droit
imprescriptible et inaliénable de souverain constituant, de Souverain
tout simplement. Dans cette perspective, le rôle des futurs Conseillers
sera primordial tant il est vrai que la primauté de la Constitution est
le premier pilier dans l'édification d'un Etat de droit.
La Constitution du 18 janvier 1996 n'a certainement pas fini
de susciter des sujets de discussions et des thèmes de
réflexions. L'innovation qu'elle apporte dans le droit constitutionnel
camerounais est révolutionnaire, tant sous l'empire des Constitutions de
1960, 1961 et 1972 la suprématie des règles constitutionnelles ne
pouvait être posée avec autant de conviction. Il s'agit d'un
mouvement qu'il appartiendra au juge constitutionnel, membre du Conseil
constitutionnel, de rendre irréversible.
BIBLIOGRAPHIE
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constitutionnalité des lois hier et aujourd'hui, réflexions sur
certains aspects de la réception du constitutionalisme moderne en droit
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déchéance des élus au Cameroun », in Lex
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implicites seraient-elles absentes du droit public français ?
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claires », in Revue de la recherche juridique, PUAM,
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révisée ou nouvelle Constitution », in La reforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996 au cameroun. Aspects juridiques et
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aurait pu se reconnaître compétent », in Revue
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la République et les Constitutions au Cameroun », in La
reforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au cameroun. Aspects juridiques et
politiques, Friedrich Ebert, Yaoundé, 1996
Ø Minkoa She, « Quelques variations sur la
portée de la réforme constitutionnelle du 18 janvier
1996 », in La reforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au
cameroun. Aspects juridiques et politiques, Friedrich Ebert,
Yaoundé, 1996
Ø Y. Moluh, « L'introuvable nature du
régime camerounais issu de la Constitution du 18 janvier
1996 », in La reforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au
cameroun. Aspects juridiques et politiques, Friedrich Ebert,
Yaoundé, 1996
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constitutionnelle au Cameroun », article inédit
Ø J. Mouangue Kobila, « Créations des
normes : les occasions manquées du nouveau parlementarisme
pluraliste au Cameroun », in SOLON, Revue africaine du
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thèse minoritaire sur le statut du référendum du 20 mai
1972 ou la quête du droit dans le métajuridique »,
article inédit
Ø N. Mouellè Kombi, « La loi
constitutionnelle du 18 janvier 1996 et le droit international », in
La reforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au cameroun. Aspects
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Ø R. G. Nlep, « Le juge administratif et les
normes internes, constitutionnelles ou infra constitutionnelle en
matière des droits fondamentaux », in SOLON, Revue
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constitutionnel camerounais : la commission électorale nationale
autonome devant la Cour Suprême », in Juridis
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Constitution souple et Constitution rigide en droit constitutionnel
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recherches sur les dispositions constitutionnelles transitoires au
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Yaoundé, 1990
Ø M. Ondoa, « Le droit de la
responsabilité dans les Etats en développement :
contribution à l'étude de l'originalité des droits
africains », Thèse de Doctorat d'Etat en droit public
TEXTES
Ø Constitution du 04 mars 1960
Ø Constitution du 1er septembre 1961
Ø Constitution du 02 juin 1972 (versions 1979 et
1984)
Ø Constitution du 18 janvier 1996
Ø Constitution française du 04 octobre 1958
Ø Loi n° 2004/004 du 21 avril 2004 portant
organisation et fonctionnement du Conseil Constitutionnel
Ø Loi n° 2004/005 du 21 avril 2004 fixant le
statut des membres du conseil constitutionnel
Ø Ordonnance n° 72/6 du 26 août 1972 fixant
l'organisation de la Cour Suprême modifiée par la loi n°
76/28 du 16 décembre 1976
* 1 La doctrine camerounaise
est divisée sur la question de savoir s'il s'agit de l'écriture
d'une "nouvelle" Constitution ou de la "révision" de la Constitution
du 2 juin 1972. Voir sur ce point M. Kamto, "Révision constitutionnelle
ou écriture d'une nouvelle Constitution" in Lex Lata, n°
23-24 fév-mars 1996; M. Ondoa, "La Constitution duale: Recherches sur
les dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun" in Revue
africaine de sciences juridiques, vol 1 n°2, 2000, pp 20 et s.
* 2 Le changement
réclamé par le peuple camerounais va pousser les pouvoirs publics
à convoquer la Tripartite, sorte de conférence nationale
souveraine, qui mettra sur pied un comité de rédaction sur les
questions constitutionnelles. Ce comité rédigera un avant-projet
de Constitution qui sera confié pour aménagement à un
comité technique. Le résultat de ce travail sera
communiqué au président de la République dont les
"propositions" seront examinées par un comité consultatif
constitutionnel. Le texte finalement arrêté par le
Président de la République sera déposé sur le
bureau de l'Assemblée nationale le 24 novembre 1996. Pour plus de
détails. Voir F. Mbome, " Constitution du 2 juin 1972
révisée ou nouvelle Constitution" in S. Méloné, A.
Minkoa She et L. Sindjoun (dir.) La reforme constitutionnelle du 18 janvier
1996 au Cameroun Aspects juridiques et politiques, Yaoundé,
Friedrich EBERT 1996, pp 16 et s.
* 3 D. Rousseau, Droit du
contentieux constitutionnel, Paris, Montchrestien, 6e
édition, 2001, p 214
* 4 afin que la loi ne soit
plus seulement dans la pensée du roi, ce qui était dangereux pour
les libertés, les participants aux Etats Généraux de 1789
vont formaliser l'idée selon laquelle les droits de l'homme étant
imprescriptibles, ils devaient être consignés dans un document
intangible. Ainsi « toute société dans laquelle la
garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des
pouvoirs déterminée n'a point de constitution ».
L'approche historico-formelle est ainsi préalable à toute
tentative de définition de la constitution. Dire que la constitution est
d'abord formelle c'est reconnaître qu'il n'y a pas une catégorie
d'actes juridiques que l'on qualifie de constitution. C'est une loi
revêtue d'un symbolisme découlant des mécanismes de son
élaboration.
* 5 G. Burdeau, Droit
constitutionnel, Paris, LGDJ, 26ème éd. 1999, p 55
* 6 G. Burdeau, Droit
constitutionnel, op. cit. p 10
* 7 G. Burdeau, ibid. p 12
* 8 Ch. Eisenmann, La
justice constitutionnelle et la haute cour constitutionnelle d'Autriche,
Marseille, PUAM, 1972, p 4
* 9 II s'agit d'une
appréciation de l'arrêt n° 197/CFJ-CAY du 25 mai 1972, Nana
Tchana Daniel Roger c/ Etat du Cameroun. En acceptant de connaître au
fond la requête du Sieur Nana qui sollicitait du juge administratif
l'annulation du décret présidentiel prononçant la
dissolution de l'association chrétienne des Témoins de
Jéhovah au motif qu'il violait les dispositions du préambule de
la constitution et notamment la déclaration universelle des droits de
l'homme qui proclame la liberté de culte, il reconnaît ainsi que
le préambule a valeur constitutionnelle. V. dans ce sens R. G. Niep, "
Le juge de l'administration et les normes internes, constitutionnelles ou
infra-constitutionnelle en matière de droits fondamentaux" in Revue
Selon
* 10 A ; Minkoa She,
"Quelques variations sur la portée de la réforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996" in S. Méloné, A. Minkoa She
et L. Sindjoun (dir.), La réforme constitutionnelle du 18 janvier
1996 au Cameroun. Aspects juridiques et politiques, op. cit. p 72
* 11 G. Burdeau, cité
par D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit.
p452
* 12 G.
Burdeau, cité par D. Rousseau, ibid. p 453
* 13 L. Favoreu, cité
par D. Rousseau, id. p453
* 14 D. Rousseau,
« Une résurrection : la notion de
constitution », Revue de droit public, 1990, p 16.
* 15 M. Ondoa,
« La Constitution duale : recherches sur les dispositions
constitutionnelles transitoires au Cameroun », op. cit. p 39
* 16 Voir L. Donfack Sokeng,
« Les ambiguïtés de la « révision
constitutionnelle » du 18 janvier 1996 au Cameroun », in S.
Méloné, A. Minkoa She et L. Sindjoun (dir.), La reforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun Aspects juridiques et
politiques, op. cit. pp 34 et ss.
* 17 Voir Y. Moluh,
« L'introuvable nature du régime camerounais issu de la
Constitution du 18 janvier 1996 », in S. Méloné, A.
Minkoa She et L. Sindjoun (dir.), La reforme constitutionnelle du 18 janvier
1996 au Cameroun Aspects juridiques et politiques, op. cit. pp 242 et ss.
* 18 Le
juge administratif camerounais s'est toujours refusé à confronter
un acte administratif à la Constitution lorsqu'on l'espèce une
loi s'interpose entre l'acte et la constitution. Le juge camerounais
considère en effet que contrôler la constitutionnalité de
l'acte querellé reviendrait à exercer un contrôle de
constitutionnalité de la loi faisant écran. Or
précise-t-il, "le juge administratif n'est pas au ^ Cameroun juge de la
constitutionnalité des lois". Cf.:
- Arrêt n° 68 CFJ/CAY du 30 septembre 1969,
Société des grands travaux de l'Est
-Arrêtn0 17CS/APdu 19mars 1981, Kouang
Guillaume, Collectivité Déïdo-Douala et Monkam Tientcheu
David
* 19 La
supériorité des règles de la "législation
constitutionnelle" ne serait que chimérique si elles pouvaient
être impunément violées par les ouvoirs constitués.
L'affirmation de la suprématie constitutionnelle emporte
nécessairement la sanction de toute norme qui lui est contraire. Cette
idée est soutenue par des auteurs tels que : P. Ardant, Institutions
politiques et droit constitutionnel, op. cit. pp 99 et s ; J.P.
Jacqué, Droit constitutionnel et institutions politiques.
Mémento Dalioz, Paris, 4e édition, 2000, p 64.
* 20 N. Mouelle Kombi, "La
loi constitutionnelle camerounaise du 18 janvier 1996 et le droit
international", in S. Mélonè, A. Minkoa She et
L. Sindjoun (dir.), La reforme constitutionnelle du 18 janvier
1996 au Cameroun. Aspects juridiques et politiques, op. cit. p 143
* 21 Article 2
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789
* 22 Ch. Eisenmann, La
justice constitutionnelle et la haute cour constitutionnelle
d'Autriche, op. cit. p 22