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La frontière terrestre entre le cameroun et le nigeria d'après la cour internationale de justice, (CIJ, arrêt du 10 octobre 2002)

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par Pierre Esaie MBPILLE
Université de Douala - Cameroun - DEA en Droit public, option Droit international 2003
  

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INTRODUCTION GENERALE

I- L'OBJET DE LA RECHERCHE

L'affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria arrive devant la Cour internationale de Justice au moment le plus chaud de la crise militarodiplomatique qui les opposait depuis le 16 Mai 1981, jour de l'incident le plus mémorable1. En effet, c'est par une requête introductive d'instance enregistrée au greffe de la Cour le 29 mars 19942 par l'ambassadeur du Cameroun à la Haye3 que cet « organe judiciaire principal des Nations Unies »4 a été saisi pour la première fois. La requête introductive d'instance du Cameroun était adressée contre le Gouvernement de la République fédérale du Nigéria, et portait « esssentiellement sur la question de la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi »5. La République du Cameroun fondait alors la compétence de la C.I.J sur les déclarations par lesquelles les deux Parties avaient accepté la juridiction de la Cour conformément au paragraphe 2 de l'article 36 de son statut.

A ce moment, il était question pour la Cour de dire lequel des deux Etats était habilité d'après le droit international à excercer sa compétence sur cette presqu'île pétrolifère . Mais vu l'aggravation de la situation qui, d'après le Cameroun, avait pris depuis fin 1993, la forme d'une aggression permanente du Nigéria sur son territoire, ce dernier va joindre une requête additionnelle au greffe de la Cour. Cette seconde requête arrive le 06 juin 1994 et vise l'élargissement de l'objet du différend. Désormais, il était demandé à la Cour de resoudre « la question de la souveraineté sur une partie du territoire camerounais dans la zone du Lac Tchad » et de « préciser définitivement la frontière entre les deux Etats du Lac Tchad à la mer »6.

1 Voir Z. NGNIMAN, Nigeria Cameroun la guerre permanente ? , Yaoundé, Editions CLE, 1996, p. 50.

2 voir C.I.J, arrêt du 10 Octobre 2002, affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Guinée Equatoriale intervenant), p.13, paragraphe.1

3 Il s'agit de S.E.Mme Isabelle BASSONG qui adressait cette requête pour le compte de l'Etat du Cameroun le 28 mars 1994. Celle-ci désignait comme agent Me DOUALA MOUTOME qui était alors Ministre de la justice garde des Sceaux, et comme coagents MM. Maurice KAMTO et YANA Peter NTAMARK, tous professeurs de Droit.

4 Voir Article 92 de la Charte des Nations Unies .

5 Voir C.I.J , arrêt du 10 Oct 2002 , op.cit., paragraphe 1.

6 Voir C.I.J , arrêt du 10 Oct 2002 précité, paragraphe 3.

Dès lors, la Cour avait devant elle la demande globale du Cameroun que l'on peut qualifier de « recours en reconnaissance de souveraineté » dans la zone du Lac Tchad et dans la presqu'île de Bakassi, et en «fixation définitive de la frontière » du Lac Tchad à la mer7.

Après une procédure particulièrement longue8, marquée le 15 mars 1996 par une ordonnance indiquant les mesures conservatoires en vertu de la lettre camerounaise du 10 février 1996 et confomément à l'article 41 du statut de la C.I.J, et marquée aussi par l'arrêt du 11 juin 1998 par lequel la Cour s'est déclarée compétente pour connaître du fond du différend en rejetant les exceptions préliminaires du Nigéria, c'est finalement le 10 octobre 2002 que la Cour va rendre son verdict tant attendu.

A cet effet, c'est cette décision qui constitue la matière première de notre travail. Parce qu'il s'agira pour nous, de rechercher la structure du raisonnement de ladite Cour dans son travail de précision définitive de cette frontière. Il est alors question non plus de réécrire l'arrêt, mais, d'essayer de comprendre le processus intellectuel qui a permis à la C.I.J de vider sa saisine. Cela etant, nous resterons limités à la seule frontière terrestre ; objet de notre étude. Cette frontière terrestre comprend trois principaux secteurs : la presqu'île de Bakassi et la zone du Lac Tchad qui constituent les zones culminantes des revendications entre les deux Etats ; et le reste de la frontière terrestre allant du Lac Tchad à Bakassi, etant donné qu'au-delà de cette péninsule9 commence la partie maritime qui n'entre pas dans le champ de notre étude. Mais précisons déjà que c'est la frontière terrestre qui constitue la majeur partie de l'arrêt10. Une telle étude n'étant pas facilement abordable, une délimitation du sujet s'impose.

II- DELIMITATION DU SUJET

Nous commencerons par définir le cadre spatio-temporel (A), avant d'esquisser un éclairage conceptuel (B).

7 L'agent du Cameroun précisera le 14 juin 1994 que cette requête additionnelle n'était qu'un amendement à la requête initiale (cf. C.I.J, arrêt du 10 oct 2002 op.cit., paragraphe 5). La Cour acceptera par une ordonnance du 16 juin 1994 (cf. C.I.J, arrêt du 10 oct 2002 paragraphe 6)

8 Introduite le 29 mars 1994, c'est le 10 octobre 2002 que la Cour internationale de Justice va rendre sa décision. Soit après huit années de procès.

9 L'expression péninsule désigne une presqu'île très étendue. Elle est souvent employée pour désigner la presqu'île de Bakassi.

10 La partie relative à la zone du Lac Tchad fait 23 pages ( cf. arrêt, pp. 43-66 ) , le reste de la frontière terrestre fait 31 pages (cf. arrêt, pp. 66-97 ), tandis que la partie relative à la presqu'île de Bakassi fait 16 pages de l'arrêt ( cf. arrêt, pp. 97-113 ). Au total, les développements de l'arrêt relatifs à la frontière terrestre font 70 pages disportionnellement reparties, contre 31 pages seulement pour la frontière maritime ( cf. arrêt, pp. 114-145 ).

NB : Cet état des choses justifie énormement le déséquilibre dont souffre les parties de notre travail.

A- LE CADRE SPATIO-TEMPOREL

Le cadre spatial de cette étude ne pose pas de problème. En effet, suivant l'intitulé même de notre sujet, il est question d'examiner avec la C.I.J le trajet que suit la ligne frontière Cameroun/Nigéria du Lac Tchad juqsu'à la presqu'île de Bakassi. Il s'agit alors de l'espace terrestre de la frontière entre le Cameroun et le Nigéria.

En ce qui concerne le cadre temporel, il faut reconaitre que les questions de frontière entre ces deux Etats du Golfe de Guinée prennent naissance dans l'histoire11. Mais dans le cadre de ce travail, nous partirons du 10 octobre 2002, jour du prononcé de la décision, jusqu'à nos jours. C'est à partir de cette date que l'on connaît les droits et obligations de chacun de ces Etats sur les parties frontalières jadis querellées. Il serait donc interressant de savoir ce que la C.I.J a fait de la frontière, base de la sécurité juridique internationale12. Sans négliger le détour historique nécessaire pour comprendre la pertinence des accords coloniaux applicables et appliqués.

B- ECLAIRAGE CONCEPTUEL :

Nous convenons avec MBGALE MGBATOU13 que c'est à travers la précision du contenu de certaines notions essentielles que le sociologue accède à une meilleure intelligibilité du travail scientifique. Le juriste n'échappe pas à cette logique. Aussi essayerons-nous de circonscrire les notions clés de notre thème.

1- La frontière :

En reprenant la définition doctrinale donnée par Jean BASDEVANT dans le dictionnaire de la terminologie du droit international, Laurent ZANG14 définit la frontière comme « une ligne déterminant où commencent et où finissent les territoires relevant respectivement de deux Etats voisins ». De cette définition, il ressort que la frontière implique une limite, une ligne de séparation de deux territoires étatiques voisins. D'autres auteurs15 la

11 A cause de l'indifférence frontalière longtemps entretenue par l'Administration coloniale britannique qui assimilait les deux peuples sous sur contrôle avant 1960. Cf. C.I.J, arrêt du 2 décembre 1963, affaire du Cameroun septentrional..

12 Le professeur Narcisse MOUELLE KOMBI voit même en elle un élément fondamental de l'Etat à côté de la souveraineté. « la frontière permet aux Etats d'exister. Sans frontières, il n'y a pas de droit international ». In « Séminaire de droit international public approfondi », dispensé en D.E.A, F.S.J.P, U-DLA, année académique 2003-2004, inédit.

13 H. MGBALE MGBATOU, « La politique camerounaise de résolution pacifique de la crise de Bakassi », Thèse de 3è cycle Doctorat, soutenue à l'I.R.I.C en Juillet 2001, p. 29.

14 Professeur Laurent ZANG est internationaliste à l'IRIC de Yaoundé. Il tient ce propos dans un article intitulé « Les frontières en Afrique centrale : Barrières, Limites ou Ponts ? », paru dans le N° 1155 du journal Mutations du lundi 24 mars 2004.

15 C. BARBIER, A. DAVEAU, et Alii, Dictionnaire des relations internationales au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2000, p. 105.

définissent comme une « ligne juridique qui marque les limites de l'Etat et de sa compétence territoriale ». Et d'après la Cour internationale de Justice: « une frontière internationale est la ligne formée par la succéssion des points extrêmes du domaine de validité spatiale des normes de l'ordre juridique d'un Etat »16. Ces définitions jurisprudentielle et doctrinale seront retenues. Elles permettent de mieux rendre compte de jusqu'où s'étendent et s'arrêtent désormais les compétences territoriales et les ordres juridiques du Nigéria et du Cameroun sur ces zones jadis querellées.

Bien qu'elle puisse être considérée à plusieurs points de vue : «point de vue géographique, linguistique, économique, juridique, culturel, et politique» comme l'a si bien souligné Romain YAKEMTCHOUK17, la frontière en droit international est d'abord une construction géographique. Elle vise à séparer les espaces territoriaux de deux Etats voisins. Cette approche dite « stato-centrique »18 est beaucoup plus illustrative dans la mesure où elle complète mieux la définition jurisprudentielle. Précisons néanmoins qu'il s'agira uniquement de la frontière terrestre entre les deux Parties.

2- Terrestre

L'adjectif terrestre est défini par le dictionnaire de la langue francaise19 comme ce qui est « relatif à la planète terre, ce qui se fait sur le sol ». Un autre dictionnaire20 le définit par rapport au ciel pour dire qu'il s'agit de ce qui est relatif : « au milieu où vit l'homme ; la terre ». Dès lors la frontière terrestre mérite une importance capitale en droit international puisqu'elle marque la limite entre deux espaces habités par des populations relevant de deux Etats souverains.

En fait l'adjectif terrestre renvoie nécessairement au territoire ; élément constitutif de l'Etat en droit constitutionnel comme en droit international public. Mais contrairement aux autres espaces aérien et maritime qui constituent le territoire de l'Etat, seul l'espace terrestre est plus concret. Les populations de l'Etat y vivent et y exercent leurs activités sous le contrôle d'une Administration au service du Gouvernement dudit Etat. La frontière terrestre étant ainsi définie, il faut maintenant s'interroger sur ce que c'est que sa délimitation, sa démarcation, et son abornement.

16 Cf. Affaire Guinée-Bissau/Sénégal ; in R.G.D.I.P, 1990, p. 253.

17 R. YAKEMTCHOUK , « Les frontières africaines », R.G.D.I.P, N° 1, 1970, p. 28.

18 Voir MGBALE MGBATOU , thèse ,op.cit., p.30.

19 Dictionnaire de la langue francaise, Maxi-poche, références, 1995, p. 450.

20 Dictionnaire Le Petit Robert 1, les dictionnaires Le Robert, Paris, 1985, p. 1949.

3- Délimitation, Démarcation, et Abornement d'une frontière

En principe, et d'après les définitions ci-dessus, la frontière en elle même ne pose pas problème. Ce sont plutôt les différentes phases de son élaboration qui sont généralement sources de vives contestations entre les Etats. Ces phases sont trois et méritent d'être définies. - Le mot délimitation est un subtantif venant du verbe délimiter qui veut dire définir les limites. Elle s'entend surtout en matière de frontières internationales comme un processus de fixation des limites d'un territoire. Si pour Charles ROUSSEAU21 elle veut simplement dire: « la détermination de la frontière », pour d'autes auteurs22 elle signifie « une opération juridique et politique qui fixe l'étendue spatiale du ou des pouvoirs étatiques ». Ainsi définie, la délimitation d'une frontière est l'opération préalable de sa mise en place. Elle permet de determiner la volonté politique des Etats dans l'élaboration de leur frontière commune; d'où son origine généralement conventionnelle et exceptionnellement jurisprudentielle. Pour la Cour internationale de Justice, « la délimitation d'une frontière consiste en sa « définition », tandis que la démarcation d'une frontière, qui présuppose la délimitation préalable de celleci, consiste en son abornement sur le terrain. »23. Cette définition jurisprudentielle confirme l'antériorité de la délimitation sur la démarcation et l'abornement, sans toutefois distinguer ces deux autres opérations.

- La démarcation quant à elle est une opération plus pratique. Elle consiste à traduire en termes concrets sur le sol, les grandes lignes de la délimitation. Elle est « une opération technique d'exécution qui reporte sur le sol les termes d'une délimitation établie »24.

- L'abornement d'une frontière est une opération plus technique encore. Il s'agit ici de rendre la frontière plus palpable en y implantant des bornes. En fait c'est « la phase terminale consistant à matérialiser la frontière sur le terrain par des repères convenus ( bornes, piquets, etc. ) »25.

Que faudra t-il alors entendre par la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria d'après la Cour internationale de Justice? Avant de répondre à cette question, dégageons d'abord le sens de « d'après » .

21 Ch. ROUSSEAU, Droit international public, Paris, Dalloz, 5e édition, p. 161.

22 N.QUOC DINH , P. DAILLIER, A. PELLET, Droit international public, Paris, L.G.D.J, 7e édition, p. 466.

23 Cf. arrêt, p. 69, par. 84. Voir aussi, affaire du Différend territorial ( Jamahiriya arabe libyenne/Tchad ) ( C.I.J. Recueil 1994, p. 28, par. 56 ).

24 N. QUOC DINH et Alii, op. cit., ibid.

25 Ibidem.

4- D'après

Le Petit Robert 1 définit cette locution prépositive comme « conformément à, selon, suivant »26. Il sera alors question ici de revisiter la ligne de séparation des territoires terrestres camerounais et nigérian selon le verdict de la C.I.J du octobre 2002 et conformément à celuici. C'est le cheminement adopté par la Cour et le résultat auquel elle est parvenue qui justifient l'intérêt de notre travail.

III- INTERET DU SUJET

L'étude de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigéria est certainement un sujet intéressant à plusieurs égards. En fait, l'identification du titulaire de la souveraineté sur les zones litigieuses du Lac Tchad et de la presqu'île de Bakasssi était tellement préoccupante pour ces deux Etats frères du Golfe de Guinée en particulier, et pour la stabilité du continent africain en général, qu'il nous paraît judicieux d'y revenir aujourd'hui après que la C.I.J a rendu son verdict. Notre sujet apparaît dès lors comme cette «mine d'or »27 qu'il convient au chercheur d'explorer pour y déceler un intérêt heuristique (A) et un intérêt pratique (B).

A- L'INTERET HEURISTIQUE

En restant lié à la demande du Cameroun devant la Cour, il semble qu'au plan épistémologique l'intérêt heuristique de notre étude est duale.

Il est question d'un intérêt sur l'analyse que la C.I.J a faite de la demande ambiguë du Cameroun28, et l'intérêt d'une réflexion autour des paradigmes de la délimitation et de la démarcation de la frontière. En effet, vu la prégnance historique des textes juridiques évoqués par le Cameroun29 et par le Nigéria30 devant la Cour, et compte tenu de l'ampleur du

26 Dictionnaire Le Petit Robert 1, op.cit., p. 91.

27 l'expression est du professeur Narcisse MOUELLE KOMBI, in « Séminaire de D.I.P.A », op.cit.

28 Cette demande est ambiguë parce qu'elle est contenue dans deux requêtes. Celle du 29 mars 1994 qui portait exclusivement sur la question de la souveraineté sur la presqu'lle de Bakassi, et celle du 06 juin 1994 portant exclusivement sur la question de la souveraineté sur une partie du territoire camerounais dans la zone du lac Tchad et dans laquelle le Cameroun demandait à la cour de préciser définitivement la frontière entre les deux Etats du Lac Tchad à la mer.

29 Le Cameroun puisait l'essentiel de sa plaidoirie sur les traités coloniaux relatifs à sa frontière terrestre avec le Nigeria:

- la déclaration franco-britannique du 10 juillet 1919

- la déclaration Thomson-Marchand du 29 Décembre 1929 et 31 Janvier 1930

- l'échange des lettres du 09 janvier 1931

- l'accord germano-britannique d'Obokum du 12 avril 1913

- la section 61 du Nigeria in order britannique du 02 août 1946

- l'accord germano-britannique du 11 mars 1913

Voir à cet effet les conclusions écrites du Cameroun, C.I.J, Arrêt du 10 oct 2002, op.cit., p.24, paragraphe 26.

« différend »31 qui les opposait sur cette question de frontière les installant même dans une logique de «guerre permanente »32, il est apparu pressant de savoir quelle est la frontière terrestre que la Cour a retenue entre le Cameroun et son Voisin le plus géant33, et le plus présent à la frontière34. De même, il nous fallait étudier le sort qu'a réservé la Cour au principe de l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation << uti possidetis juris » consacré par les Etats africains ( y compris le Cameroun et le Nigéria)35, face aux notions d'effectivité territoriale et d'acquiescement invoquées par le Nigéria. La frontière terrestre ainsi précisée par la C.I.J comportait et comporte alors un intérêt pratique indéniable.

B- L'INTERET PRATIQUE

Comme le soulignent plusieurs auteurs36 et même la Cour internationale de Justice37, la fixattion d'une frontière <<engage l'avenir ». C'est une façon de mettre fin aux nombreuses contestations inhérentes à l'imprécision sur la ligne de séparation des sphères de compétence relevant de deux Etats voisins. Il est alors question d'arrêter une <<solution stable et définitive» afin de mettre fin aux éventuelles revendications de souveraineté sur le territoire d'un autre Etat. C'est dans cette logique stabilisante des relations camerouno- nigérianes que réside l'intérêt pratique de notre étude.

Etant donné que la Cour internationale de Justice rend des solutions impartiales sur les différends dont elle est saisie38, et considérant surtout que l'opération de précision de la frontière à laquelle devrait se livrer la Cour avait une importance majeure puisqu'elle devait rétablir « la paix », restaurer « l'indépendance » ou la souveraineté de l'un ou de l'autre Etat dans les zones contestées, et garantir « la sécurité » des échanges internationaux dans cette

30 Le Nigeria pour sa part ne reconnaissait que quelques uns de ces textes ; ou même seulement quelques sections:

- paragraphes 3-60, déclaration Thomson-Marchand confirmée par l'échange de lettres du 09 janvier 1931

- paragraphes 13-21 , accord de démarcation anglo-allemand du 12 avril 1913

- Articles XV à XVII, traité anglo-allemand du 11 Mars 1913

Voir à cet effet, C.I.J, Arrêt du 10 oct 2002, op.cit., p. 27, paragraphe 26.

31 Voir D. RUZIE, Mementos de Droit International public, Paris, Dalloz, 16e édition, 2002, p. 260.

32 Z. NGNIMAN, Nigeria Cameroun la guerre permanente?, op.cit.

33 P.H. GAILLARD, Le Cameroun, Paris, l'harmattan, tome 2, 1989, p.198 ; cité par MGBALE MGBATOU, thèse de doctorat, op. cit, p. 36. Le Nigeria est aussi « la plus grande colonie britannique de l'Afrique occidentale ».Voir à cet effet, C. BARBIER, A. DAVEAU, et Alii, op. cit., p. 40.

34 La frontière avec le Nigeria étant la plus longue de toutes les frontières camerounaises ( 1700km selon T.L WEIS in « Migration et conflit» cité par MGBALLE MGBATOU, idem .

Et 1600 km d'après Zacharie NGNIMAN, op.cit., p. 7.

35 Voir la résolution AGH 16-I de l'O.U.A, le Caire, juillet 1964. In R. YAKEMTCHOUK, << les frontières africaines », R.G.D.I.P, op. cit, p. 55.

36 N. QUOC DINH, P. DAILLIER, A. PELLET, idem.

37 Voir C.I.J, différend territorial Libye-Tchad, rec.1994, p. 37.

38 Voir ABC des Nations Unies, New-York, 2001, p. 300.

zone d'Afrique, il nous semble que l'interêt pratique de notre étude est assez justifié. Au total, l'arrêt du 10 octobre 2002 devait nous informer sur l'Etat titulaire de la souveraineté dans la zone contestée du Lac Tchad et dans la presqu'île pétrolifère de Bakasssi39 et parallèlement sur le sort des populations de ces zones. Encore que cette décision est «définitive et sans recours »40. L'intérêt de notre étude étant si vaste, sa compréhension ne pourra s'établir qu'à travers l'élaboration d'une problématique appropriée.

IV- LA PROBLEMATIQUE DE L'ETUDE

Comme le souligne Michel BEAUD, « la problémaatique est une composante essentielle dans le travail de préparation de la thèse. C'est l'ensemble construit, autour d'une question principale, des hypothèses de recherche et des lignes d'analyse qui permettront de traiter le sujet choisi »41. Il est alors question pour nous de dégager, dans la même vision que MGBALE MGBATOU42, un ensemble d'interrogations qui gravitent autour du problème scientifique central qu'est la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigéria conformément à l'arrêt de la Cour internationale de Justice du 10 octobre 2002.

Avant l'élaboration d'une problématique, il faut quand même partir d'une hypothèse. En principe, c'est l'imprécision du tracé des frontières africaines héritées de la colonisation qui justifie le présent contentieux. L'idée de départ est alors qu'il existe effectivement une frontière internationale séparant les deux Etats en conflit. Le Cameroun et le Nigéria, tous exterritoires des puissances coloniales européennes43 ne sont devenus des Etats au sens du droit international qu'après leur accession à l'indépendance les 1er Janvier 1960 et 1er Octobre 196044 respectivement. Le Cameroun précèdera encore son «grand voisin »45 dans l'admission aux Nations Unies46. Mais l'important étant qu'ils accéderont à l'indépendance

39 Voir ABC des NationsUnies, idem.

40 Voir Article 60 du Statut de la C.I.J

41 M. BEAUD, l'art de la thèse, Paris, La Découverte,1997, P.32.

42 Voir MGBALE MGBATOU, op.cit., P.7

43 Le Cameroun, contrairement au Nigeria n'a jamais véritablement connu la colonisation. Ex-protectorat allemand depuis 1884, il est devenu un territoire sous mandat franco-britannique de la S.D.N après la defaite de l'Allemagne à la prémière guerre mondiale en 1919. A l'issue de la deuxième guerre mondiale en 1945, il devient un territoire sous tutelle des Nations Unies, et toujours administré par les mêmes puissances. Quant au Nigeria, il n'aura connu que l'administration britannique depuis l'époque coloniale jusqu'à l'independance.

44 Voir C.IJ, arrêt du 10 oct 2002, op.cit., p.40, paragraphe 35.

45 Le Nigéria a une superficie de 928 000 km2 contre seulement 475 422 km2 pour le Cameroun (voir également R. YAKEMTCHOUK ; Op.cit., P. 38)

46 Le Cameroun est admis à l'O.N.U le 20 Septembre 1960 soit neuf mois après son indépendance. Tandis que le Nigeria devient membre de l'O.N.U le 07 Octobre 1960, soit environ une semaine seulement après son accession à la souveraineté internationale. Voir à cet effet, ABC des Nations Unies, op.cit., pp .331-333.

dans le cadre des frontières héritées de « la période antérieure »47 ; frontières dont ils proclameront avec leurs pairs de l'O.U.A, l'intangibilité48 en 1964.

Dès lors, le travail de détermination, mieux encore, de «précision définitive de la frontière terrestre » demandé par le Cameroun à la Cour, suscite une question fondamentale : Quelle est la nature de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria selon la Cour internationale de Justice? A côté de cette interrogation principale, gravitent, d'autres non moins importantes. Notamment, auquel des deux belligérants profite la délimitation historique de cette frontière terrestre dans les zones querellées, selon l'interpretation de la Cour49? En bref, il est question pour nous de savoir quels sont les supports juridiques et la consistance de cette délimitation. De même peut-on s'interroger sur la valeur pratique de cette délimitation dans le développement des relations bilatérales entre ces deux Etats, et dans le développement du droit international tout court. Encore faudra-t-il savoir si cette délimitation peut être facilement opérationnalisable. Le corps d'interrogations relatives à notre sujet déjà défini, il nous convient maintenant de préciser les méthodes et les grands axes par lesquels nous y parviendrons.

V- DES METHODES UTILISEES A L' EXPOSE DU PLAN

Avant l'exposé du plan (B), nous esquisserons d'abord les méthodes de notre travail (A).

A- LES METHODES UTILISEES

Madeleine GRAWITZ50définit la méthode comme « l'ensemble des opérations intellectuelles par lesquelles une discipline cherche à atteindre des vérités qu'elle poursuit, les démontre et les vérifie ». Dans le cadre de notre travail, nous avons procédé à une collecte des données dont la toute première a été l'obtention d'un exemplaire de l'arrêt du 10 octobre 2002. Ensuite, nous avons collecté d'autres documents51 dans la limite de nos posssibilités afin de mûrir la réflexion sur l'objet de notre étude.

47 Voir C.I.J, arrêt du 10 octobre 2002, idem. Voir aussi R. YAKEMTCHOUK « les frontières africaines », R.G.D.I.P, N° 1, 1979 , p. 55.

48 Voir la résolution AGH 16-I de l'O.U.A précitée, in R. YAKEMTCHOUK , op.cit., p. 55.

49 Puisque la Cour précise qu'elle n'opère pas à une délimitation de novo, de même qu'elle ne démarque pas la frontière. Mais qu'elle interprète simplement les textes applicables. Cf. arrêt, p. 69, par. 84-85.

50 M. GRAWITZ, Méthodes des Sciences Sociales, Paris, Dalloz, 1979, p. 34.

51 voir à cet effet, notre modeste bibliographie.

En tout état de cause, une thèse comme tout travail de recherche doit contribuer, même si c'est pour une part modeste, à l'amélioration, à l'élargissement ou à l'approfondissement de la connaissance dans le domaine qu'elle concerne52. A ce sujet il faut reconnaître que, si plusieurs opuscules sont déjà parus concernant la question de la frontière CamerounNigéria53, peu se sont véritablement occupés jusqu'à présent de la question de la détermination de cette frontière terrestre, notamment depuis l'arrêt de la C.I.J du 10 octobre 2002 et à la lecture de celui-ci54.

Nous avons néanmoins reperé deux travaux non moins importants parus après le 10 octobre 2002 et commentant l'arrêt. Il s'agit tout d'abord de l'article de Pierre D'ARGENT intitulé « Des frontières et des peuples : l'affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria (arrêt sur le fond) »55 où l'auteur, dans une quarantaine de pages, résume rapidement l'arrêt en dégageant sommairement un aperçu et des enseignements multiples relatifs au droit des traités, à la souverainété territoriale et à la responsabilité internationale. Cette contribution de M. D'ARGENT permet à la fin de comprendre qu'à travers la coopération entre les deux Parties, et l'engagement pris unilatéralement devant la Cour par le Cameroun pour la protection des populations nigérianes, l'arrêt pourra être facilement exécuté. Ce travail ne met donc pas l'accent sur la délimitation de la frontière terrestre telle qu'interpretée par la Cour ; encore moins sur son applicabilité profonde.

Il ya ensuite le brillant article de NSONGURUA J. ODOMBANA dont le titre seul est révélateur du mécontentement nigérian face à cette décision: « The ghost of Berlin still haunts Africa! The ICJ judgement on the land and maritime boundary dispute between Cameroon and Nigeria»56. En 58 pages, l'auteur nigérian commence par rappeler le contexte, et la procédure suivie par les Parties en conflit. Ensuite il expose brièvement la décision de la Cour dont il trouve vite des failles et des faiblesses. Après s'être interrogé sur l'eventuelle attitude de chacun des Etats face à cette décision, M. NSONGURUA donne plutôt des conseils aux Parties pour l'application de l'arrêt. Il ne finit pas sans rappeler le noeud du problème qui selon lui réside dans l'inadaptation actuelle des traités coloniaux aux frontières africaines. C'est donc en terme d'indignation que le juriste nigérian s'exclame devant cette

52 M. BEAUD, l'art de la thèse, op.cit., p. 44. Le Docteur Janvier ONANA qualifie cette contribution de «plus-value savante ». In « Séminaire de méthodologie de la recherche. . . » en D.E.A, U-DLA, année académique 2003-2004, inédit.

53 Voir à cet effet l'importante revue critique de la littérature collectée par MGBALE MGBATOU in « La politique camerounaise de résolution pacifique de la crise de Bakassi », thèse, op.cit., pp. 11-20.

54 En dehors des nombreux commentaires journalistiques effectués par divers organes de presse ; et compte non tenu des commentaires et opinions des juges de la cour qui font partie de l'arrêt.

55 In Annuaire Français de Droit International, 2002, pp. 281-321.

56 In Annuaire Africain de Droit International, Volume 10, 2002, pp. 13-61.

décision de la C.I.J qui veut que le fantôme de Berlin continue à hanter l'Afrique 40 ans après les independances57. Cette étude a le mérite d'avoir soulevé les lacunes de l'arrêt qui peuvent flexibiliser son application ; tout en encourageant également le Nigeria et le Cameroun à s'entendre. Mais elle ne resout pas encore entièrement la question de notre étude.

Notre recherche garde donc ainsi sa particularité et son originalité. Certes, elle n'a pas la prétention d'épuiser la question de la délimitation de la frontière terrestre CamerounNigéria qui demeure encore d'une actualité brûlante dans les relations bilatérales entre ces deux Etats. Comme toute oeuvre humaine, elle est essentiellement perfectible, mais pourra servir, nous l'esperons, à la compréhension entière de la frontière terrestre de l'arrêt de la C.I.J du 10 Octobre 2002.

A cet effet, nous utiliserons la méthode analytique qui nous permettra de comprende la lecture qu'a faite la Cour de certaines notions clés et principes fondamentaux du droit international (des frontières). A côté de celle-ci, nous mobiliserons également la méthode historique qui nous facilitera des détours jurisprudentiels dans le receuil d'arrêts de la C.I.J. Il faut dire qu'à côté d'une analyse positiviste qui permet de rendre compte de la pertinence des textes applicables et de la jurisprudence, l'approche sociologique n'est pas moins importante dans la compréhension et la mise en oeuvre éventuelle de cet arrêt. Ces méthodes donneront une forte coloration descriptive à nos commentaires. Toutefois nous y apporterons, dans la mésure du possible, un regard critique. La méthode ayant été abordée, il ne reste plus qu'à fixer les grands axes de notre étude.

B- L' ANNONCE DU PLAN

Notre travail sur la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigéria à la lumière de l'arrêt de la C.I.J du 10 octobre 2002 suivra alors une structuration bipartite. Il sera question d'examiner d'abord les sources juridiques et la consistance géographique de cette frontière au niveau des zones culminantes des revendications nigéro-camerounaises ; on verra alors que cette frontière terrestre est d'une délimitation conventionnellement quasi favorable au Cameroun dans ces zones ( Ière Partie ). Ensuite nous examinerons l'interpretation de la Cour sur le reste de la frontière, et la portée jurisprudentielle de cette délimitation frontalière; nous constaterons alors qu'il s'agit d'une frontière terrestre d'une délimitation particulièrement ambiguë et difficilement applicable ( IIème Partie ).

57 Ibid, p. 51.

UNE FRONTIERE TERRESTRE D'UNE
DELIMITATION CONVENTIONNELLEMENT
FAVORABLE AU CAMEROUN DANS LES ZONES
CULMINANTES

PREMIERE PARTIE :

La zone du Lac Tchad et la presqu'île de Bakassi sont les secteurs essentiels de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria; zones culminantes où les revendications des deux Parties étaient les plus accrues. Tandis que l'agent du Cameroun priait la Cour de dire et de juger que la souveraineté sur ces secteurs était camerounaise, le Nigeria faisait exactement la même demande dans sa réplique. Or la C.I.J va faire droit aux revendications camerounaises au détriment de celles de son vis-à-vis. La délimitation retenue dans ces zones mérite alors d'être examinée successivement dans la zone du Lac Tchad (chapitre 1èr), et dans la presqu'île privilégiée de Bakassi (chapitre 2).

CHAPITRE I :

DANS LA ZONE DU LAC TCHAD :
UNE DELIMITATION FAVORABLE AU CAMEROUN

Bien que la question de la souveraineté dans la zone du Lac Tchad ait été introduite dans le rôle de la C.I.J dans une requête additionnelle du Cameroun, c'est bien par ce secteur de la frontière terrestre que la Cour a commencé ses développements. Certainement la Cour voulait-elle procéder à une analyse descendante de la délimitation de cette frontière terrestre allant du Lac Tchad au nord, à la presqu'île de Bakassi au sud. A cet effet, compte tenu des multiples revendications antithétiques des Parties dans ce « secteur de la frontière » contenues dans les paragraphes 25, 26 et 27 de cet arrêt58, la Cour s'est prononcée en faveur de la République du Cameroun comme suit:

« LA COUR,

I. A) Par quatorze voix contre deux, décide que la frontière entre la République du Cameroun et la République Fédérale du Nigeria dans la région du Lac Tchad est délimitée par la déclaration Thomson-Marchand de 1929 - 1930, telle qu'incorporée dans l'échange de notes Henderson-Fleuriau de 1931.59

I. B) Par quatorze voix contre deux, décide que le tracé de la frontière entre la République du Cameroun et la République Fédérale du Nigeria dans la zone du Lac Tchad est le suivant :

A partir d'un tripoint situé dans le Lac Tchad par 14° 04'59 `' 999 de longitude est et 13°05' de latitude nord, la frontière suit une ligne droite jusqu'à l'embouchure de la rivière Ebedji, située par 14°12'12'' de longitude est et 12°32'17''de latitude nord, pour ensuite rejoindre en ligne droite la bifurcation de la rivière Ebedji, en un point situé par 14°12'03'' de longitude est et 12°30'14'' de latitude nord »60.

Cet extrait du dispositif de l'arrêt est assez illustratif. Il va de la précision des textes

juridiques applicables à la fixation de la frontière sur les points litigieux confirmant ainsi la

58 Voir les demandes et conclusions des Parties dans l'arrêt, pp. 19-36.

59 Voir dispositif de l'arrêt du 10 octobre 2002, p.145, paragraphe 325.

60 Ibid., p. 146, paragraphe 325.

position camerounaise ; tout en rejetant la non moins pertinente argumentation nigériane basée sur la consolidation historique du titre et l'acquiescement du Cameroun61.

Bien qu'il ne fasse pas expressément allusion à une reconnaissance de la souveraineté camerounaise dans cette zone, le dispositif de l'arrêt de la C.I.J est favorable au Cameroun à travers la lecture pertinente des textes historiques applicables (section 1), et aussi à travers la négation des thèses nigérianes (section 2).

SECTION 1 : LA LECTURE PERTINENTE DES TEXTES JURIDIQUES
APPLICABLES

La lecture pertinente des textes juridiques applicables à la délimitation de la frontière terrestre dans la zone du lac Tchad a été matérialisée par la Cour à travers la précision des points litigieux (II) ; en passant par la présentation historique de ces textes (I).

I- LA PRESENTATION HISTORIQUE DESDITS TEXTES : DE LA DÉCLARATION FRANCO-BRITANNIQUE (MILNER/SIMON) DU 10 JUILLET 1919 A L'ECHANGE DE NOTES HENDERSONFLEURIAU DU 09 JANVIER 1931.

Comme le note la Cour, les principaux instruments pertinents aux fins de déterminer le tracé de la frontière terrestre entre les Parties62 ressortent des «divers accords (qui) furent conclus par l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne pour délimiter les frontières de leurs territoires coloniaux respectifs, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle» 63. Toutefois, rappelons que la Cour a retenu, comme le pensait le Gouvernement du Cameroun, que la frontière dans la zone du Lac Tchad était fixée par la déclaration Thomson-Marchand telle qu'incorporée dans l'échange de notes Henderson-Fleuriau. Pour y parvenir elle a déroulé une page de l'histoire coloniale du Cameroun et du Nigeria allant de la première guerre mondiale (A) jusqu'à leur accession à l'indépendance (C), en passant par la seconde guerre mondiale (B).

61 Voir arrêt du 10 octobre 2002, paragraphe 27.2 (a, b, c), pp. 34-35.

62 Paragraphe 32, arrêt du 10 octobre 2002, p. 39.

63 A l'origine il s'agit des frontières entre puissances européennes en Afrique. La Cour parle alors de la : - frontière entre la France et la Grande-Bretagne (convention Franco-Britanique de 1906),

- frontière entre la République française et l'Allemagne (convention franco- allemande de 1908 ).

A- APRES LA PREMIERE GUERRE MONDIALE : NAISSANCE DES INSTRUMENTS PERTINENTS FIXANT LA FRONTIERE TERRESTRE64.

L'Allemagne ayant perdu la première guerre mondiale, l'ensemble de ses possessions territoriales « ...dans la région qui s'étendait du Lac Tchad à la mer, furent divisées entre la France et la Grande-Bretagne par le traité de Versailles, puis placées sous mandat britannique ou français par accord avec la société des nations. ». Dès lors il était devenu impérieux de fixer les limites séparant lesdits territoires sous mandat. Ainsi sont nés la déclaration Milner-Simon, la déclaration Thomson-Marchand et l'échange de notes Henderson-Fleuriau.

1- La déclaration Milner-Simon

Elle est la matérialisation juridique du premier accord auquel sont parvenues la Grande-Bretagne et la France dans la fixation des limites les séparant du Lac Tchad à la mer. Comme l'indique son intitulé, elle a été signée le 10 juillet 1919 par le Vicomte MILNER, secrétaire d'Etat aux colonies de la Grande-Bretagne et Henry SIMON, ministre des colonies de la République française. C'est en vue de la préciser que fut signée la déclaration Thomson-Marchand.

2- La déclaration Thomson-Marchand

Elle a été signée le 29 décembre 1929 et le 31 janvier 1930 par Sir Graeme THOMSON, gouverneur de la colonie et du protectorat du Nigeria; et Paul MARCHAND, commissaire de la République française au Cameroun. Elle visait, comme le dit la Cour, à « préciser le premier instrument ». Elle est alors le second texte juridique applicable qui luimême a été confirmé par un troisième ; l'échange de notes Henderson-Fleuriau.

3- L'échange de notes Henderson-Fleuriau

On peut le qualifier de troisième instrument juridique applicable à la délimitation de la zone du Lac Tchad. Mais cette lecture peut être trompeuse. En effet ce texte semble beaucoup plus avoir un caractère confirmatif que rectificatif. Passé le 09 janvier 1931 par A. DE FLEURIAU, ambassadeur de France à Londres, et Arthur HENDERSON, ministre britannique des affaires étrangères, l'échange de notes en question visait à approuver et à

64 Lire l'arrêt, p. 40, par. 34.

incorporer la déclaration Thomson-Marchand. Ces textes historiques vont être maintenus après la deuxième guerre mondiale.

B- A L'ISSUE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE : MAINTIEN, ET CONSECRATION ONUSIENNE DES ACCORDS TERRITORIAUX FRANCOBRITANNIQUES65.

Après la deuxième guerre mondiale (1939-1945), Il y a eu une restructuration de la société internationale sans pour autant qu'il y ait négation des accords applicables dans la délimitation des frontières entre la Grande-Bretagne et la France en Afrique noire.

1- Comme le souligne la Cour, « les mandats britannique et français sur le Cameroun furent remplacés par des accords de tutelle dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies »66. Ceci veut dire qu'à partir de 1945, le Cameroun était devenu un territoire sous tutelle de la France et de la Grande-Bretagne. Cette situation du maintien du tandem colonial franco-britannique a eu pour corollaire, le maintien des accords territoriaux antérieurs. Il ne restait plus que l'Organisation des Nations Unies y apporte son approbation.

2- La Cour souligne également que : « les accords de tutelle pour le Cameroun britannique et pour le Cameroun sous administration française furent tous deux approuvés par l'Assemblée générale le 13 décembre 1946. Ces accords se référaient à la ligne fixée par la déclaration Milner-Simon ». Ce qui laisse croire que la Cour y trouvait des bases juridiques internationalement solides pour la détermination de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria, étant donné que leur accession à l'indépendance s'est faite dans le strict respect de ces frontières coloniales.

65 Lire l'arrêt, p. 40, par. 35.

66 L'O.N.U a été créée par la conférence des Nations Unies pour l'Organisation internationale à travers un instrument, appelé charte des Nations Unies, signé à San Francisco le 26 juin 1945 et entré en vigueur le 24 octobre 1945. Voir à ce sujet, Charte des Nations Unies et Statut de la Cour internationale de Justice, Nations Unies, New York, juin 1998 ( notes préliminaires, p.iii )

C - A PARTIR DE 1960 : LA PERENNISATION DES TEXTES COLONIAUX.

En effet le Cameroun et le Nigeria, comme plusieurs autres Etats d'Afrique, accèdent à la souveraineté internationale en 1960. Ils sont dès lors indépendants67. La Cour note surtout le fait que ces accessions à l'indépendance se faisaient « dans le cadre des frontières héritées de la période antérieure » ; ce qui veut dire que les Parties acceptent le « statu quo »68 territorial.

Après cet exposé plutôt cohérent sur la genèse des instruments juridiques de délimitation de la frontière terrestre dans le Lac Tchad, la Cour internationale de Justice arrive aux mêmes conclusions que le Cameroun en affirmant leur applicabilité sur les points litigieux.

II - LA PRECISION DES POINTS LITIGIEUX :

La difficulté dans la zone du Lac Tchad résidait dans la fixation des coordonnées du tripoint et de l'embouchure de la rivière Ebedji. Le Cameroun dans ses conclusions finales, priait la Cour de dire et de juger que, dans cette région, la frontière entre les deux Parties suit le tracé suivant : « Du point désigné par les coordonnées 13°05' nord et 14°05' est, la frontière suit la ligne droite jusqu'à l'embouchure de l'Ebedji, située au point de coordonnées 12°32'17» nord et 14°12'12» est, point défini dans le cadre de la C.B.L.T69 et constituant une interprétation authentique des déclarations Milner-Simon du 10 juillet 1919 et Thomson-Marchand des 29 décembre 1929 et 31 janvier 1930, confirmées par l'échange de lettres du 09 janvier 1931; Subsidiairement l'embouchure de l'Ebedji est située au point de coordonnées 12°31'12» nord et 14°11'48» est » 70.

Quant au Nigeria, il priait la Cour de dire et de juger :

« - que la délimitation et la démarcation proposées sous les auspices de la Commission du
Bassin du Lac Tchad, n'ayant pas été ratifiées par le Nigeria, ne s'imposent pas à lui; que la
souveraineté sur les zones de la région du Lac Tchad définies au paragraphe 5.9 de la

67 Voir la sentence Max Huber dans l'affaire de l'île de palmes « La souveraineté dans les relations entre Etats signifie l'indépendance. » ; (C.P.A, 4 avril 1928, R.S.A, II, p.838) in N.QUOC DINH et Alii, op.cit., p. 424.

68 L'expression est de R. YAKEMTCHOUK, « les frontières africaines », op.cit, p. 49.

69 Commission du Bassin du Lac Tchad.

70 Voir, arrêt, C.I.J, 10 octobre 2002, pp. 43-44, par. 40.

duplique du Nigeria et indiquées aux figures 5.2 et 5.3 en regard de la page 242 (...) appartient à la République fédérale du Nigeria;

- qu'en tout état de cause, du point de vue juridique, le processus qui s'est déroulé dans le cadre de la commission du bassin du lac Tchad, et qui devait conduire à la délimitation et la démarcation de l'ensemble des frontières dans le lac Tchad, est sans préjudice du titre sur telle ou telle zone de la région du lac Tchad qui revient au Nigeria du fait de la consolidation historique du titre et de l'acquiescement du Cameroun »71.

En dehors de l'analyse pertinente des instruments juridiques, la Cour devait préciser la portée des travaux effectués par la C.B.L.T (Commission du Bassin de Lac Tchad)72, dans sa confrontation des différentes thèses en présence. Ainsi nous examinerons tour à tour la délimitation de la frontière terrestre au niveau du tripoint (A), et au niveau de l'embouchure de l'Ebedji (B).

A - LA PRECISION DES COORDONNEES DU TRIPOINT

Avant d'arriver à la solution retenue par la Cour dans ce secteur (2), il n'est pas superflu de rappeler, comme elle même le fait, les argumentations des Parties (1).

1 - Le rappel des thèses en conflit

- La thèse camerounaise reposait pour l'essentiel sur les dispositions des instruments juridiques coloniaux applicables, sur les travaux de la Commission du Bassin du Lac Tchad et sur l'attitude paradoxale du Nigeria. Comme le souligne la Cour, pour le Cameroun la frontière dans le Lac Tchad a été établie par la déclaration Milner-Simon de 1919. Que conformément à la « description de la frontière franco-britannique tracée sur la carte (Moisel) du Cameroun, à l'échelle 1/300 000 », annexée à ladite déclaration, la frontière partirait « du point de rencontre des trois anciennes frontières britannique, française et allemande placé dans le Lac Tchad par 13°05' de latitude nord et approximativement 14°05' de longitude est de Greenwich ». Que la ligne frontière établie par cette déclaration fut

71 Voir arrêt, C.I.J, 10 octobre 2002, p.44, par. 40.

72 La C.B.L.T : Commission du Bassin du Lac Tchad a été créée par une convention entre le Nigeria, le Niger, le Tchad et le Cameroun, signée le 22 mai 1964. Initialement vouée à la coordination des actions des Etats membres dans l'utilisation des eaux du Bassin et à la résolution des différends, sa compétence s'est étendue sur la question frontalière suite aux incidents de 1983. (Voir arrêt, C.I.J, 10 octobre 2002, p. 41, par. 36.)

précisée par la déclaration Thomson-Marchand de 1929-1930, dont le texte fut incorporé dans l'échange de notes Henderson- Fleuriau de 193173.

Pour renforcer son argumentation, le Cameroun a précisé que cette frontière a été expressément reprise par l'accord de tutelle, pour le territoire du Cameroun sous administration française, approuvé par l'Assemblée générale des Nations Unies le 13 décembre 1946 et a été par la suite transmis « lors des indépendances au Cameroun et au Nigeria par application du principe de l'uti possidetis »74 . En effet le Cameroun estimait que, le Nigeria ayant accédé à l'indépendance dans le cadre des frontières héritées de la colonisation, n'ayant jamais contesté celles-ci avant la survenance des incidents frontaliers dans la zone du Lac Tchad (d'avril à juin 1983), il ne pouvait plus renoncer à la délimitation de cette frontière du simple fait qu'il n'avait pas ratifié les résultats des travaux de démarcation de la frontière opérée par la C.B.L.T, qui précisaient les coordonnées du tripoint dans le Lac Tchad à 13°05'00»0001 de latitude nord et 14°04'59»999 de longitude est.

- Face à cette analyse juridico dynamique, le Nigeria va adopter une attitude fragilisante du droit frontalier colonial. Pour sa part, l'Etat nigérian estimait que la déclaration Thomson-Marchand de 1929-1930 n'avait pas fixé la frontière anglo-française de manière définitive en ce qui concerne le Lac Tchad, mais prévoyait qu'une commission de frontière se chargerait de la délimitation75. En plus la partie nigériane soulève l'imperfection de la déclaration de Thomson-Marchand dans la délimitation de la zone du Lac Tchad. Le Nigeria voit dans cet instrument un texte « essentiellement de nature procédurale et programmatique ». Il fait également valoir que l'adverbe << approximativement » utilisé pour qualifier la position du tripoint à 14°05' de longitude est, dans la <<description de la frontière franco-britannique tracée sur la carte (Moisel) du Cameroun à l'échelle 1/300 000 » annexée à la déclaration Milner-Simon de 1919, signifiait que la frontière dans cette région n'était pas encore entièrement délimitée. Et que les instruments postérieurs n'auraient pas corrigé ces imperfections76. A la fin, le Nigeria rejette l'argumentation camerounaise fondée sur la qualité des travaux de la C.B.L.T au motif qu'il ne les avait pas ratifiés. Les différentes thèses sur la fixation du tripoint au Lac Tchad déjà examinées, il faut maintenant voir ce qu'en a retenu la Cour.

73 Lire ces développements à la page 41, par. 45 de l'arrêt.

74 Cf. arrêt du 10 octobre 2002, op. cit., p. 45, par. 42.

75 Cf. Arrêt, op. cit., p. 47, par. 45.

76 Voir arrêt, p. 47, par. 48.

2 - La solution de la Cour

Avant d'arriver à sa conclusion sur les coordonnées du tripoint dans le Lac Tchad, la Cour a revisité les instruments juridiques coloniaux et les travaux de la Commission du Bassin du Lac Tchad.

- Pour ce qui est de la nature des instruments applicables, la Cour rappelle : que les frontières coloniales dans la région du Lac Tchad avaient fait l'objet, à la fin du ×I×e et au début XXe siècle, d'une série d'accords bilatéraux entre l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne. Après la première guerre mondiale, la Grande-Bretagne et la France qui héritèrent des possessions allemandes redéfinirent une nouvelle frontière à partir du Lac Tchad à travers « la déclaration Milner-Simon de 1919 qui a statut d'accord international. »77. Faisant une lecture exhaustive du mandat conféré à la Grande-Bretagne par la Société des Nations (S.D.N), la Cour conclue que « ces dispositions ne laissent en aucun moment entendre que la ligne frontière n'avait pas été délimitée dans sa totalité »78. La Cour continue sa démonstration en constatant que les deux puissances mandataires, bien qu'en n'ayant pas procédé à une «délimitation sur le terrain» dans le Lac Tchad, précisèrent néanmoins l'accord Milner-Simon autant que faire se pouvait, à travers une seconde déclaration signée en 1929-1930 par l'anglais THOMSON et le français MARCHAND79. Cette déclaration Thomson-Marchand sera incorporée dans « l'échange de notes Henderson-Fleuriau de 1931 ». Et d'après les déclarations de Fleuriau80 et de Henderson81, il ne faisait plus aucun doute que la frontière dans la zone du Lac Tchad avait déjà été délimitée. C'est à cette solution que va parvenir la C.I.J ; après avoir reconnu le statut d'accord international à la déclaration Thomson-Marchand82.

- Ayant rappelé que les textes applicables ici sont des accords internationaux, la Cour s'est penchée sur les explications du Nigeria concernant le caractère « défectueux » desdits textes et sur la valeur des travaux de la Commission du Bassin du Lac Tchad83.

77 Voir arrêt, p. 48, paragraphe 48.

78 Lire le paragraphe 49 de l'arrêt, p. 49.

79 Arrêt, p. 50, par. 50.

80 Fleuriau, s'adressant à Henderson, précisait que la déclaration Thomson-Marchand « est destinée à donner à la description de la ligne que devra suivre la commission de délimitation plus de précision que ne l'a fait la déclaration Milner-Simon de 1919. » (Voir arrêt, p. 50, par. 50).

81 Henderson, répondant à Fleuriau, dira que « la ligne décrite dans la déclaration de 1929-1930 « définit en substance la frontière ». » ; (Voir arrêt, par. 50).

82 Voir arrêt, p. 50, par. 50, in fine.

83 Voir arrêt, pp. 50-56, par. 51.

A cet effet la Cour a estimé que, contrairement à l'argumentation du Nigeria, les Etats Parties de la C.B.L.T avaient convoqué une session extraordinaire de celle-ci à la suite des incidents de 1983. L'ordre du jour de cette session extraordinaire portait sur deux questions: les « problèmes de délimitation des frontières » et les «questions de sécurité ». Mais que dans le rapport de cette session, c'est surtout les expressions «démarcation» et « sécurité » qui apparaissent84 ; encore que ladite C.B.L.T se fonde sur « les divers accords et instruments bilatéraux conclus de 1906 à 1931 entre l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne. ».

- A la fin la Cour arrive à une solution favorable au Cameroun.

En effet elle estime, comme l'exposait la Partie camerounaise, que : « la déclaration Milner-Simon de 1919, ainsi que la déclaration Thomson-Marchand de 1929-1930 incorporée dans l'échange de notes Henderson-Fleuriau de 1931, délimitent la frontière entre le Cameroun et le Nigeria dans la région du Lac Tchad »85. Sans s'appuyer sur le défaut de ratification par le Nigeria du rapport de la sous-commission de démarcation de la C.B.L.T ; sans aussi confirmer d' « authentique », l'interprétation des textes opérée par celle-ci, la Cour arrive néanmoins aux mêmes conclusions que la C.B.L.T dans la délimitation du tripoint. Elle estime alors que « le tripoint se situe à 14°04'59»999 de longitude est, plutôt qu'à 'approximativement''14°05; et à 13°05' de latitude nord »86.

Après avoir fixé le tripoint dans le Lac Tchad, la Cour s'est livrée à la détermination de l'embouchure de la rivière Ebedji.

B - LA FIXATION DE L'EMBOUCHURE DE L'EBEDJI

Plus que celle de la détermination du tripoint, la question de l'embouchure de l'Ebedji a été un véritable serpent de mer pour la Cour. Ici, le véritable problème reposait sur le fait que : « sur la carte qui illustre la déclaration franco-britannique fixant la frontière du Cameroun, jointe à l'échange de notes de 1931...., l'Ebedji présente un chenal unique débouchant dans le Lac Tchad juste au-delà de Wulgo » 87. Or de nos jours, suite aux nombreuses transformations du relief dans le Lac Tchad, ce cours d'eau se serait divisé en deux chenaux. Un chenal oriental débouchant dans des eaux n'appartenant pas à l'actuel Lac Tchad, et un chenal occidental qui aboutirait à une zone marécageuse proche du rivage actuel.

84 Lire le paragraphe 53 de l'arrêt, p. 52.

85 Voir le paragraphe 55, in fine.

86 Cf. arrêt, p. 56, par. 57. Voir également la page 146 du dispositif de l'arrêt. Voir aussi le croquis n°1 de l'arrêt en annexe.

87 Cf. arrêt, p. 56, par. 58.

C'est sur l'un et l'autre de ces chenaux que s'articulent les argumentations des Parties que nous présenterons (1), avant d'arriver à la fixation retenue par la cour (2).

1- Le contenu des argumentations camerouno-nigerianes

- Pour le Cameroun, la Cour était priée de «dire et de juger que '' subsidiairement'',

l'embouchure de l'Ebedji est située au point de coordonnées 12°31'12» nord et 14°11'48»est ». Le Cameroun estimait que, le chenal occidental auquel il se réfère correspondait au

« chenal principal », vu le grand débit des eaux et la profondeur de celui-ci. Pour appuyer sa thèse, le Cameroun se referait à une jurisprudence de la C.I.J dans l'affaire de l'île Kasikili/Sedudu (Botswana, Namibie)88.

- Quant au Nigeria, il invoque le chenal oriental qui est le plus long et qui selon lui la Cour doit retenir. A l'appui de son exposé, le Nigeria se réfère à une sentence arbitrale rendue le 9 décembre 1966 en l'affaire relative au Rio Palena89. Après cette présentation sommaire des positions des Parties, arriverons-en à la solution de la cour.

2- L'embouchure retenue : une embouchure unique basée des coordonnées astronomiques.

En fait, la C.I.J a estimé qu'aucune des deux argumentations ne pouvait être retenue pour la simple raison qu'il ne lui appartenait pas de rechercher quel est le chenal de l'Ebedji à retenir, mais plutôt de déterminer son embouchure exacte. Pour ce faire, la C.I.J a interprété l'intention des parties signataires de la déclaration Milner-Simon telle que confirmée et jointe à l'échange de notes Henderson-Fleuriau de 1931. La Cour arrive à la solution d'après laquelle, l'intention des Parties à l'époque visait l'existence d'une seule embouchure. Dans une conclusion quasi identique à celle de la C.B.L.T, la Cour estime que « l'embouchure de la rivière Ebedji, telle que mentionnée dans les instruments confirmés dans l'échange de notes Henderson-Fleuriau de 1931 a pour coordonnées 14°12'12» de longitude est et 12°32' 17» de latitude nord. »90.

A la fin, l'on constate que la frontière dans la zone du Lac Tchad est essentiellement artificielle, parce que reposant sur les données astronomiques. Bien que cette situation soit justifiée par la lecture pertinente des textes applicables, le rejet des thèses nigérianes y a aussi contribué.

88 Cf. C.I.J, recueil 1999, pp. 1064-1072, par. 30-4.

89 Cf. International law reports (ILR), vol. 38, p. 93-95. Voir aussi, arrêt, p. 57, par. 58.

90 Voir paragraphe 60 de l'arrêt, p. 57.

SECTION 2 : LA NEGATION DES THESES NIGERIANES DE LA
CONSOLIDATION HISTORIQUE DU TITRE ET DE L'AQUIESCEMENT
DU CAMEROUN

La C.I.J a nié la pertinence des arguments du Nigeria basés sur une éventuelle consolidation historique de son titre dans la zone du Lac Tchad, et sur un certain acquiescement du Cameroun à sa souveraineté dans ladite zone. C'est pourquoi on peut qualifier ces thèses de fantastiques parce qu'irréelles et extraordinaires d'après la position de la Cour. Aussi, avant d'arriver à la substance de son raisonnement (II), nous rappellerons le contenu des prétentions des parties (I).

I- LES DIFFERENTES PRETENTIONS DES PARTIES :

C'est sur la consolidation historique du titre et sur l'acquiescement du Cameroun que le Nigeria fondait sa souveraineté dans la zone du Lac Tchad (A). Tandis que le Cameroun, comme toujours, se referait aux dispositions pertinentes des accords internationaux fixant la frontière dans cette zone (B).

A- UNE SOUVERAINETE NIGERIANE HISTORIQUEMENT CONSOLIDEE ET ACQUIESCEE PAR LE CAMEROUN, D'APRES LE NIGERIA91

Pour le Nigeria, sa souveraineté dans la zone du Lac Tchad, notamment à DARAK et dans les 18 villages avoisinants, est un fait historiquement situé. Cet état des choses serait donc indiscutablement avéré. Cette souveraineté repose sur « trois fondements s `appliquant à la fois séparément et conjointement, et dont chacun se suffit à lui-même :

« 1) une occupation de longue durée par le Nigeria et par des ressortissants nigérians, laquelle constitue une consolidation historique du titre;

2) une administration exercée effectivement par le Nigeria agissant en tant que souverain, et l'absence de protestations;

3) des manifestations de souveraineté par le Nigeria, parallèlement à l'acquiescement par le Cameroun à la souveraineté du Nigeria sur DARAK et les villages avoisinants du Lac Tchad. » .» .

91 Lire ces argumentations nigérianes au paragraphe 62 de l'arrêt, pp. 57-62.

Et que, compte tenu du silence longtemps observé par le Cameroun face aux actes d'administration par lui exercés, le Cameroun a acquiescé à l'exercice paisible de la souveraineté nigériane sur les localités en litige et, que cet acquiescement constitue un élément très important du processus de consolidation d'un titre. En fait, le juge ad hoc du Nigeria devant la Cour, le nigérian Prince BOLA AJIBOLA y trouvait le seul critère de détermination de la souveraineté dans cette zone; « The boundary thus requires adjustments and clarifications which can only be taken care of by effectivités and historical consolidation. »92. Face à ces plaidoiries de la République fédérale du Nigeria, le Cameroun n'est pas resté indifférent.

B- UNE SOUVERAINETE CAMEROUNAISE

CONFORMÉMENT AU TITRE CONVENTIONNEL, SELON LA PARTIE CAMEROUNAISE93

Pour la Partie camerounaise, les effectivités évoquées par le Nigeria ne peuvent pas valoir consolidation historique d'un quelconque titre de cet Etat sur la parcelle querellée, et qu'elles ne doivent être considérées que comme : « Un moyen auxiliaire au soutien de [ses] titres conventionnels ». En somme, le Gouvernement du Cameroun estimait qu' « il n'a pas à démontrer l'exercice effectif de la souveraineté sur [ces zones contestées), un titre conventionnel valide prévalant sur d'éventuelles effectivités contraires ».

A la fin, répondant à l'argument fondé sur son éventuel acquiescement à l'exercice d'activités souveraines par le Nigeria, le Cameroun précisera à la Cour qu'il n'a jamais acquiescé à la modification de sa frontière conventionnelle avec le Nigeria. Et que les autorités centrales du Cameroun, une fois au courant des revendications nigérianes, avaient réagi dans le cadre de la C.B.L.T et par le biais d'une note du Ministère des affaires étrangères camerounais en date du 21 avril 1994.

Considérant la teneur des thèses susmentionnées, et compte tenu de sa jurisprudence constante en la matière, la Cour va rejeter l'argumentation du Nigeria en des termes clairs.

92 Voir opinion dissidente de M. le Juge AJIBOLA, p. 15, par. 48, in fine.

93 Voir le raisonnement du Cameroun à ce sujet, dans l'arrêt, p. 62, par. 63.

II- LA TENEUR DU RAISONNEMENT DE LA COUR : LA CONSOLIDATION HISTORIQUE DU TITRE ET L'ACQUIESCEMENT DU CAMEROUN ; DES ARGUMENTS «CONTRA LEGEM »

En confrontant les deux thèses en conflit, la Cour arrive à une solution très satisfaisante pour le Cameroun en ce qu'elle nie toute valeur juridique à l'argument nigérian de la consolidation historique du titre (A) et à celui fondé sur l'acquiescement du Cameroun (B), qui n'ont aucun impact sur la souveraineté dans cette zone qui appartient au Cameroun. La position de la Cour ici mérite une attention minutieuse.

A - A PROPOS DE LA THÈSE DE LA CONSOLIDATION HISTORIQUE DU TITRE94

D'après la Cour, cette notion de «consolidation historique du titre» invoquée par le Nigeria, « n'a jamais été utilisée comme fondement d'un titre territorial dans d'autres affaires contentieuses, que ce soit dans sa propre jurisprudence ou dans celle d'autres organes juridictionnels >>. Cette notion ne saurait se substituer aux modes d'acquisition de titre reconnus par le droit international, qui tiennent compte de nombreux autres facteurs importants de fait et de droit. Rappelant sa propre jurisprudence dans l'affaire des pêcheries (Royaume-Uni C. Norvège)95, la Cour observe que la théorie de la "consolidation historique" ne doit pas laisser entendre la prévalence d'une occupation territoriale sur un titre conventionnel établi.

Dans le but de préciser définitivement le rapport juridique existant entre les « effectivités » et les titres, la Cour se référera à nouveau à deux de ses jurisprudences96. Elle estime alors que deux situations doivent être distinguées : « Dans le cas où le fait ne correspond pas au droit, où le territoire objet différend est administré effectivement par un Etat autre que celui qui possède le titre juridique, il y a lieu de préférer le titulaire du titre. Dans l'éventualité où «l'effectivité» ne coexiste avec aucun titre juridique, elle doit inévitablement être prise en considération.>>. C'est ainsi que sera amplement invalidée la thèse nigériane des effectivités que la Cour a jugée de « contra legem » par rapport au titre

94 Les développements de la Cour sont contenus ici au paragraphe 65, p. 63 de l'arrêt.

95 Voir arrêt, p. 63, paragraphe 65. Cf. aussi (C.I.J. Recueil 1951, p. 130.)

96 Voir affaire du Différend frontalier (Burkina Faso-République du Mali), C.I.J. Recueil, 1986, p. 587.

Et affaire du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), C.I.J. Recueil 1994, p. 75-76, par. 38)

conventionnel préexistant du Cameroun sur cette région du Lac97. Cette position n'est pas très éloignée de celle retenue par rapport à la question de l'éventuel acquiescement du Cameroun.

B- A PROPOS DE LA QUESTION DE L'ACQUIESCEMENT DU CAMEROUN98

La Cour, tout en reconnaissant d'après sa propre jurisprudence qu'un acquiescement peut être déterminant à une modification du titre conventionnel99, observe néanmoins que face aux nombreuses effectivités nigérianes100, les activités propres du Cameroun dans la zone du Lac Tchad ont une incidence très limitée.

La Cour constate néanmoins que quelques actes d'administration ont été effectués par le Cameroun dans cette zone entre 1982 et 1985 dans dix huit villages y compris DARAK101. Qu'à la fin, vu la réaction spontanée du Gouvernement camerounais le 21 Avril 1994 à la note diplomatique nigériane de revendication de souveraineté sur DARAK du 14 Avril 1994, et considérant enfin l'élargissement du différend intervenu dans sa requête additionnelle du 06 juin 1994, <<. . . le Cameroun n'a pas acquiescé à l'abandon de son titre sur la région en faveur du Nigeria ».

En bref, à la lumière de toutes ces démonstrations, la Cour arrive à la reconnaissance de la souveraineté du Cameroun sur les localités situées à l'est de la frontière102.

A la fin de l'examen de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria dans le secteur de la zone du Lac Tchad, nous constatons que la Cour donne raison dans l'ensemble aux démonstrations juridiques camerounaises. Elle montre également ainsi, son fort attachement aux instruments internationaux intervenus dans cette région entre la première guerre mondiale et l'accession des deux Parties à l'indépendance. C'est sur la base de ces textes franco-britanniques que le Cameroun jouit d'un titre juridique devant lequel les effectivités nigérianes ne doivent que céder. Après l'examen de la délimitation de la frontière terrestre dans la zone du Lac Tchad qui consacre dans l'ensemble, les traités coloniaux et les argumentations camerounaises, il convient à présent de nous interroger sur la délimitation retenue par la Cour internationale de Justice dans la presqu'île de Bakassi, où les revendications des parties étaient beaucoup plus passionnées encore103.

97 Voir arrêt, pp. 64-65, par. 68.

98 Lire les développements de la Cour à ce propos aux paragraphes 67 à 70 de l'arrêt, pp. 64-66.

99 Cf. Différend insulaire et maritime ( El Salvador / Honduras, Nicaragua ( intervenant ), C.I.J, Recueil 1992, pp. 408-409, par. 80.

100 Voir à cet effet, arrêt, p. 64, par. 67.

101 On peut même se demander pourquoi faire un tel constat, dès lors que le principe de la primauté du titre juridique sur les effectivités postérieures est acquis ?

102 Voir à cet effet, le croquis N°2 de la page 57 de l'arrêt, en annexe.

103 Il faut souligner à cet effet que, c'est << la crise de Bakassi » qui a servi de tremplin à la saisine entière de la Cour sur cette affaire de frontière terrestre et maritime entre les Parties.

CHAPITRE II :

DANS LA ZONE DE BAKASSI : UNE DELIMITATION INTEGRANT
CETTE PRESQU'ILE EN TERRITOIRE CAMEROUNAIS.

Le problème de la crise de Bakassi est celui qui a le plus fait couler d'encre dans la doctrine camerounaise104 et nigériane, à cause certainement des enjeux économiques importants105 qu'engendre la reconnaissance de la souveraineté sur cette zone pour l'un ou l'autre Etat en conflit. Dès lors, constituant << le principal site de tension entre le Cameroun et le Nigeria »106 , la péninsule de Bakassi fera l'objet de revendications chaudes et acharnées entre les deux protagonistes. Et comme le souligne opportunément Monsieur Zacharie NGNIMAN, « c'est que les enjeux de la « guerre » de Bakassi tenaient en un mot : pétrole. A cela se greffaient la pêche et les activités connexes ; puis le commerce. »107. De toute évidence, la tâche de la Cour n'a pas du tout été aisée sur cette partie de la frontière terrestre. « Le point crucial du différend soumis à la Cour, celui qui en constituait l'enjeu territorial majeur pour des raisons politiques mais aussi économiques vu la richesse en hydrocarbures de la presqu'Ile et de ses eaux, était relatif à la souveraineté de l'une des Parties sur Bakassi, occupée par le défendeur depuis 1994 et revendiquée par le demandeur. »108. Comme dans la zone du Lac Tchad, il était question d'un rapport entre l'occupant effectif (Nigeria) et le titulaire du titre (Cameroun), en vertu du principe de l'<< uti possidetis juris ». Il aurait été intéressant de présenter même sommairement la géographie de cette presqu'île, comme le fait Zacharie NGNIMAN. « Recouverte d'une végétation de mangrove, la péninsule de Bakassi s'étendait sur trois des sept arrondissements du département du NDIAN dans la province camerounaise du sud-ouest. Ces départements sont Isanguele, Kombo Abedimo et Idabato. Elle était peuplée d'environ 9000 habitants dont la majorité était des pêcheurs. Et, étant le point d'aboutissement de la frontière terrestre à la mer, cette presqu'Ile est essentiellement entourée de voies d'eau dont les principales sont le Rio del Rey, l'Akpa yafé, l'Akpa Bana et

104 Voir à cet effet les différents articles cités par MGBALE MGBATOU dans sa thèse de doctorat précitée ; pp.16-19.

105 Z. NGNIMAN voit d'ailleurs en Bakassi, la zone de <<fixation» du conflit frontalier Cameroun-Nigeria, à cause des réserves pétrolifères et halieutiques qui s'y trouvent. Voir son ouvrage précité, p. 39.)

106 L'expression est de H. MGBALE MGBATOU, thèse de doctorat, op. cit., p. 21. La presqu'île de Bakassi a d'ailleurs fait l'objet de la première requête du Cameroun devant la Cour, le 29 Mars 1994 ; voir infra.

107 Z. NGNIMAN, op. cit., p. 39.

108 Voir P. D'ARGENT, op. cit., pp. 281-321.

Bakassi Crique. Elle recouvre près de 1800 km2 de superficie et 60 km de long allant de l'Akpa yafé jusqu'à la bordure occidentale du Mont Cameroun. »109

Tandis que le Cameroun demandait à la Cour de dire et de juger :

a) que « la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria suit le tracé suivant : de [la borne 114 sur la rivière Cross] jusqu'à l'intersection de la ligne droite joignant Bakassi point à King point et du centre du chenal navigable de l'Akwayafé, la frontière est déterminée par les paragraphes XVI à XXI de l'accord germano-britannique du 11 mars 1913 et

b) que, dès lors, notamment la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi est camerounaise »110 ;

Le Nigeria pour sa part, priait la Cour de dire et de juger « que la souveraineté sur la presqu'île appartient à la République fédérale du Nigeria. . . d'une manière générale, que le titre appartenait en 1913 aux rois et chefs du Vieux-Calabar, et qu'il fut conservé par eux jusqu'à ce que ce territoire revienne au Nigeria lors de l'indépendance »111.

Face à ces revendications, la cour va donner raison au Cameroun en ressuscitant l'accord germano-britannique du 11 mars de 1913 et en rejetant l'argumentation nigériane.

Dans l'ensemble, le Nigeria contestait l'applicabilité de cet accord. En plus, il estimait qu'il était invalide et enfin, le Nigeria invoquait de nombreuses effectivités qu'il avait réalisées sur le terrain112. Compte tenu de la teneur des argumentations de la Cour, concernant le rapport entre le titre juridique et les effectivités, dans les développements concernant la zone du Lac Tchad, nous n'y reviendrons plus ici ; le même raisonnement ayant été conservé par la Cour. Nous nous limiterons alors à la reconnaissance de l'applicabilité (section 1ère), et de la validité (section 2) de l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913.

SECTION 1 : L'APPLICABILITE DE L'ACCORD ANGLO-ALLEMAND

DU 11 MARS 1913

A l'opposé des arguments du Cameroun tirés pour l'essentiel de l'analyse des paragraphes XVI à XXI de l'accord germano-britannique du 11 mars 1913, le Nigeria va adopter une attitude très critique axée sur la recherche d'éventuelles défectuosités entachant ledit texte. Pourtant la Cour va faire droit à la démarche camerounaise en confirmant l'accord

109 Z. NGNIMAN, op. cit., pp. 40-42.

110 Voir arrêt, p. 97, par. 193.

111 Arrêt, ibidem.

112 Arrêt, pp. 109-113, par. 218-224.

du 11 mars 1913 comme texte applicable (II). Avant d'y arriver, rappelons un temps soit peu, comme le fait la Cour, les thèses en conflit (I).

I - LE RAPPEL DES THESES EN CONFLIT

Dans l'ensemble, s'il y a eu des débats houleux sur la question du texte applicable pour la délimitation de la frontière à Bakassi, c'était à cause des argumentations multiples du Nigeria (A) devant lesquelles, le Cameroun gardait une attitude plutôt rassurante (B).

A- UN TEXTE TRIPLEMENT DEFECTUEUX SUIVANT LA THESE NIGERIANE

Le Nigeria soutenait devant la Cour que l'accord du 11 mars 1913 serait défectueux pour trois motifs:

1- un texte contraire au préambule de l'acte général de la conférence de Berlin du 26 février 1885

En fait la Cour n'a pas jugé utile d'examiner au fond, cet argument présenté très brièvement par le Nigeria dans son contre-mémoire. Surtout que le défendeur n'y reviendra plus ultérieurement113.

2- Un texte non approuvé par le parlement allemand

Le Nigeria soutenait également que, selon le Droit interne allemand de l'époque, tous les traités portant cession ou acquisition des territoires coloniaux par l'Allemagne, devaient être approuvés par le parlement. A cet effet, l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913 portant bien acquisition de la presqu'île de Bakassi par l'Allemagne. Il devait alors être soumis à cette formalité114 ; ce qui n'est pas le cas. Le défendeur estimait au surplus que le traité de Versailles de 1919 aurait abrogé ce texte anglo-allemand.

113 Arrêt, p. 98, par. 195.

114 Arrêt, p. 98, par. 196.

3- Un texte abrogé en application de l'article 289 du traité de Versailles du 28 juin 1919

L'article 289 du traité de Versailles prévoyait que « les traités bilatéraux conclus par l'Allemagne avant la guerre [seraient] remis en vigueur après notification à l'Allemagne par l'autre partie ». Le Nigeria poursuit en démontrant que, « la Grande-Bretagne n'ayant pris aucune mesure en application de l'article 289 pour remettre en vigueur l'accord du 11 mars 1913, celui-ci a en conséquence été abrogé ; le Cameroun n'(aurait) donc pas succédé au traité lui-même »115.

Le Nigeria conclue alors que pour ces trois raisons, le Cameroun ne pouvait plus succéder à cet accord qui lui-même ne produisait plus d'effets entre les deux Parties. Face à ces offensives juridiques, le Cameroun a adopté une attitude défensive et, juridico-conformiste.

B - DES THESES SANS FONDEMENTS SUIVANT

L'ARGUMENTATION DU CAMEROUN

En fait, la Partie camerounaise se livrait beaucoup plus à la défensive en fragilisant, autant que possible, les thèses du Nigeria. Sa démarche telle que présentée dans l'arrêt, était méthodique et visait à invalider les exposés nigérians point par point.

1- Par rapport au défaut d'approbation par l'Allemagne de l'accord du 11 mars 1913

Le Cameroun répliquait que : « le Gouvernement allemand estima que, dans le cas de Bakassi, il s'agissait d'une pure rectification de frontière parce que déjà antérieurement Bakassi avait été traitée en fait comme appartenant à l'Allemagne ». Dès lors, aucune approbation parlementaire n'aurait été nécessaire116.

2- A propos de l'article 289 du traité de Versailles du 28 juin 1919

Pour le Cameroun, « le champ d'application de cette disposition se limitait aux seuls traités à caractère économique, au sens large du terme ». Que dès lors, cette disposition est sans incidence juridique sur l'accord du 11 mars 1913117. C'est exactement le même raisonnement qu'adoptera la Cour pour confirmer l'applicabilité de l'accord du 11 mars 1913.

115 Ibidem, par. 198.

116 Voir arrêt, p. 98, par. 196, in fine.

117 Voir arrêt, pp. 98-99, par. 198.

II- LA POSITION DE LA COUR : L'ACCORD ANGLO-ALLEMAND DU 11 MARS 1913, TEXTE DELIMITANT LA FRONTIERE A BAKASSI

La Cour va donner raison à la Partie camerounaise en rejetant systématiquement tous les trois motifs d'inapplicabilité de l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913 invoqués par le Nigeria.

A- LE REJET DE L'ARGUMENT TIRE DE L'ACTE GENERAL DE LA CONFERENCE DE BERLIN

La Cour a estimé que : « cet argument présenté très brièvement par le Nigeria dans son contre mémoire n'a été repris ni dans sa duplique, ni lors des audiences »118. Cette attitude paradoxale du Nigeria était suffisante pour que cet argument ne soit pas examiné. Si dans ce cas, la C.I.J a fragilisé l'argumentation du Nigeria de par sa propre turpitude, la démarche n'a pas été la même en ce qui concerne le défaut d'approbation par le parlement allemand.

B- EN CE QUI CONCERNE LE DEFAUT D'APPROBATION DUDIT ACCORD PAR LE PARLEMENT ALLEMAND119

La Cour a décidé que l'argument du Nigeria sur cette question ne pouvait être accueilli étant donné que « l'Allemagne elle-même a estimé que les procédures requises par son droit interne avaient été respectées, et que la Grande-Bretagne n'a pour sa part jamais soulevé la question ». Qu'en outre, cet accord avait fait l'objet d'une publication officielle dans les deux pays. Que dès lors, il n'était plus nécessaire de savoir si l'accord avait été approuvé par le parlement allemand. Ayant rejeté ce deuxième motif de défectuosité, la Cour fera de même pour le troisième.

118 Arrêt, p. 98, par.195, précité.

119 Voir ces développements à la page 98 de l'arrêt, par. 197.

C- A PROPOS DE L'EVENTUELLE ABROGATION DE L'ACCORD DU 11 MARS 1913 EN APPLICATION DE L'ARTICLE 289 DU TRAITE DE VERSAILLES120

Comme pour les deux premiers motifs, la Cour a trouvé des mots justes pour invalider la thèse du Nigeria. Ici, elle a fait observer que : « à partir de 1916, l'Allemagne n'avait plus exercé aucune autorité territoriale au Cameroun. [que] Aux termes des articles 118 et 119 du traité de Versailles, l'Allemagne renonçait à tout titre sur ses possessions d'outre-mer ». Ainsi, la Grande-Bretagne ne pouvait plus inclure l'accord du 11 mars 1913 parmi les «conventions bilatérales ou les traités bilatéraux » dont elle souhaitait la remise en vigueur avec l'Allemagne. Et qu'à la fin. « Il en découle que cet argument du Nigeria doit en tout état de cause être écarté ».

Après avoir rejeté l'argumentation du Nigeria sur les motifs ci-dessus, la Cour confirmera sa position dans sa conclusion comme suit: « ... en conséquence que la frontière entre le Cameroun et le Nigeria à Bakassi est délimitée par les articles XVIII à XX de l'accord angloallemand du 11 mars 1913 »121. La question de l'applicabilité de l'accord du 11 mars 1913, que contestait le Nigeria ayant été résolue, la Cour a confirmé sa validité en ce qui concerne la détermination du titulaire de la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi.

SECTION 2 : LA VALIDITE ENTIERE DUDIT ACCORD

En effet, l'autre argumentation du Nigeria visait à démontrer que même si l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913 était applicable, il n'était pas valide en ce qui concerne les dispositions relatives à Bakassi. Le Cameroun pour sa part demeurait fidèle à sa démarche juridique qui consacrait la validité de cet accord dans son entièreté. Face à cette diversité des vues des parties (I), la Cour va adopter une solution consacrant la thèse Camerounaise (II).

I- RAPPEL DES ARGUMENTATIONS DES PARTIES

Comme nous l'avons souligné, le Nigeria estimait que l'accord du 11 mars 1913 ne devait pas être retenu par la Cour en ce qui concerne le délimitation de la frontière terrestre à Bakassi pour plusieurs motifs (A), tandis que le Cameroun fondait l'essentiel de sa plaidoirie sur ledit accord (B).

120 Lire ces développements à la page 99 de l'arrêt, par. 199.

121 Voir, arrêt 10 octobre 2002, p. 113, par. 225.

A- LES ARGUMENTS NIGERIANS DE L'INVALIDITE DE L'ACCORD DU 11 MARS 1913 122

D'une manière générale le Nigeria estimait que le titre à Bakassi appartenait en 1913 aux rois et chefs du Vieux-Calabar et qu'il fut conservé par eux jusqu'à ce que ce territoire revienne au Nigeria lors de l'indépendance. La Grande-Bretagne n'aurait dès lors pas été en mesure de transmettre son titre sur Bakassi du fait qu'elle n'avait aucun titre à transmettre ; conformément à l'adage latin « Nemo dat quod non habet » qui signifie « personne ne peut transférer la propriété d'une chose qui ne lui appartient pas ».

En fait la Partie nigériane faisait constater à la Cour que le traité de protectorat conclu le 10 septembre 1884 entre la Grande-Bretagne et les rois et chefs du Vieux-Calabar ne conférait pas à celle-là, la souveraineté sur les territoires de ceux-ci. Que les rois et chefs du Vieux-Calabar auraient conservé leur statut d' « entités indépendantes ayant la personnalité juridique internationale », y compris le pouvoir d'entrer en relations avec des « nation(s) ou puissance(s) étrangère(s) », même si le traité subordonnait cette éventualité à l'obtention de l'agrément de l'Etat protecteur, la Grande-Bretagne123.

A la fin, examinant la question de cette frontière de 1913 à 1960, le Nigeria fait observer à la cour que « la Grande-Bretagne n'a jamais eu le pouvoir de céder Bakassi » et que, pour nombreuses qu'aient pu être ses activités à Bakassi durant le régime de mandat ou de tutelle, elles n'auraient pu détacher ce territoire du protectorat du Nigeria étant donné qu'il fut administré pendant toute cette période depuis le Nigeria et comme partie intégrante de celui-ci, et jamais à partir du Cameroun124.

Dès lors, les articles XVIII à XXII de l'accord du 11 mars 1913 doivent être séparés du reste du texte puisqu'ils sont entachés d'un vice juridique. Naturellement, ces développements ne pouvaient pas susciter l'approbation de la Partie camerounaise.

B - LES CONTRE ARGUMENTATIONS DU CAMEROUN :

D'après la Partie camerounaise, la frontière à Bakassi ou, mieux encore, le tracé de la frontière entre les Parties dans la région de la presqu'île de Bakassi, était fixé par l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913 lequel la plaçait du côté allemand de la frontière. De même,

122 Voir arrêt, p. 97, par. 194.

123 Voir arrêt, p. 99, par. 201.

124 Cf. arrêt, pp. 104-105, par. 211.

« lors de l'accession à l'indépendance du Cameroun et du Nigeria, cette frontière serait devenue la frontière entre les deux Etats, qui succédaient aux puissances coloniales et se trouvaient liés par le principe de « l'uti possidetis » ou uti possidetis juris d'après lequel les frontières héritées de la période coloniale sont intangibles »125.

Le Cameroun invoquait à cet effet les articles XVIII à XXI dudit texte qui disposent notamment que « la frontière «suit le thalweg de l'Akwayafé jusqu'à une ligne droite joignant Bakassi point et King point>> (article XVIII), et qu' « au cas où le cours inférieur de l'Akwayafé déplacerait son embouchure de telle sorte que celui-ci arrive au Rio del Rey, il est entendu que la région actuellement appelée presqu'Ile de Bakassi restera néanmoins territoire allemand » (article XX) ». Dans cette logique, Bakassi ayant appartenu à l'Allemagne depuis l'entrée en vigueur de cet accord, la souveraineté aujourd'hui sur cette presqu'île appartient à l'Etat camerounais par le jeu de l'uti possidetis juris invoqué plus haut126.

Contredisant la thèse nigériane d'après laquelle la Grande-Bretagne n'avait pas la capacité juridique de céder la presqu'île de Bakassi par la voie du traité du 11 mars 1913, le Cameroun fera observer que l'acte du 10 septembre 1884 passé entre la Grande-Bretagne et les rois et chefs du Vieux-Calabar visait à établir un « protectorat colonial» et que « dans la pratique de l'époque, il n'y avait que peu de différences de fond, au plan international, en termes d'acquisition territoriale, entre les colonies et les protectorats coloniaux >> et qu'aussi, « l'élément clé du protectorat colonial était le postulat du souveraineté extérieure de l'Etat protecteur ».

Les arguments du Cameroun sont plus élaborés encore lorsqu'il indique que ni la Grande-Bretagne, ni le Nigeria, Etat qui lui a succédé, n'ont jamais invoqué une telle cause d'invalidité de l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913. Que « bien au contraire jusqu'au bout du années 1990, le Nigeria avait de manière non équivoque confirmé et accepté le ligne frontière de 1913 par sa pratique diplomatique et consulaire, ses publications géographiques et cartographiques officielles et, enfin, ses déclarations et sa conduite sur la scène politique ». Ainsi, « étant donné qu'il existe une forte présomption que les traités acceptés comme valides doivent être interprétés globalement et l'ensemble de leurs dispositions respectées et appliquées >>, l'accord du 11 mars 1913 forme alors un tout indivisible et qu'on ne saurait en séparer les dispositions relatives à la presqu'île de Bakassi127.

125 Arrêt, p. 97, par. 194. Et pour plus de développements sur ce principe lié à la décolonisation, voir N. QUOC DINH, P. DAILLIER, A. PELLET, op. cit., pp. 468-469.

126 Arrêt, p. 99, par. 200.

127 Arrêt, pp. 100-101, par. 202.

A la fin, examinant également le sort de ce segment méridional de la frontière entre 1913 et 1960, le Cameroun développera d'importants arguments tirés de l'évolution historique du statut de son territoire128 de la période allemande, en passant par celles du mandat et de la tutelle, jusqu'à son accession à l'indépendance. En plus, il ajoute les nombreuses négociations passées entre le Nigeria et lui conformément à cet accord du 11 mars 1913, et les permis d'exploration et d'exploitation pétrolière par lui attribués au Nigeria sur la presqu'île et au large de celle-ci dès le début des années soixante. Que tous ces éléments et l'attitude même du Nigeria militeraient à confirmer la validité plénière de l'accord anglo-allemand, par conséquent l'appartenance de la presqu'île de Bakassi au Cameroun129

Face à ces argumentations contradictoires du Nigeria et du Cameroun, la Cour internationale de Justice va donner raison au Cameroun en reconnaissant la « camerounité » de la presqu'île litigieuse de Bakassi.

II- L'ACCORD DU 11 MARS 1913, UN TEXTE BEL ET BIEN VALIDE, CONFERANT LA SOUVERAINETE A BAKASSI AU CAMEROUN, D'APRES LA COUR

Dans un effort de structuration méthodique de son raisonnement, la Cour va reconnaître la validité de l'accord anglo-allemand dans son entièreté. Pour ce faire, elle invalidera d'abord l'argument du Nigeria d'après lequel la Grande-Bretagne ne pouvait pas céder Bakassi à l'Allemagne en 1913 pour défaut de qualité (A), avant de tirer les conséquences du traitement réservé à cette frontière entre 1913 et 1960 (B).

A- L'INVALIDATION DE LA THESE NIGERIANE DU DEFAUT DE QUALITE DE LA GRANDE-BRETAGNE, CONFORMEMENT A L'ADAGE « NEMO DAT QUOD NON HABET »

La Cour dans une analyse rétrospective, observe que la Grande-Bretagne, comme les autres puissances européennes à l'époque de la conférence de Berlin, avait conclu quelque trois cent cinquante traités avec des chefs locaux du delta du Niger. Elle souligne également

128 Arrêt, pp. 103-104, par. 210.

129 Arrêt, ibidem.

que, parmi ces traités figurait bien celui conclu le 10 septembre 1884 avec les rois et chefs du Vieux-Calabar en vue de l'établissement d'un protectorat. L'article II dudit traité disposait en contrepartie des bonnes grâces et de la bienveillante protection de sa Majesté la reine de la Grande-Bretagne et d'Irlande que, « les rois et chefs du Vieux-Calabar s'engageaient à s'abstenir de toute correspondance, de tout accord et de tout traité avec une quelconque nation ou puissance étrangère sans l'autorisation préalable du gouvernement de sa Majesté britannique ». A travers cette démonstration, la Cour mettait en évidence l'abandon implicite de souveraineté que les rois et chefs de Vieux-Calabar avaient effectué en faveur de la Grande-Bretagne.

Ayant reconnu comme le consul britannique JOHNSTON, dans son rapport adressé au Foreign Office en 1890, que Bakassi et le Rio del Rey constituaient effectivement « le territoire véritable» des rois et chefs du Vieux-Calabar130, la Cour va s'appesantir sur la nature juridique du traité de protectorat du 10 septembre 1884. A cet effet, elle estima que « le statut juridique international d'un « traité de protection » conclu sous l'empire du droit alors en vigueur ne saurait être déduit de son seul titre »131. Et, se referant à une sentence de Max Huber dans l'affaire de l'île de palmas132, et à sa propre jurisprudence dans l'avis consultatif sur l'affaire du Sahara occidental, la Cour rappellera que ce genre de traités ou d'accords avec les chefs locaux étaient considérés comme « ... un mode d'acquisition dérivé 133 de territoire et que, même si ce mode d'acquisition ne correspond pas au droit international actuel, le principe du droit intemporel impose de donner effet aujourd'hui, dans la présente instance, aux conséquences juridiques des traités alors intervenus dans le delta du Niger. »134.

A la fin la Cour fera observer que le choix d'un traité de protectorat par la Grande-Bretagne découlait de ses préférences quant à la façon de gouverner135. De même, constatant que plusieurs ordres en conseil de sa Majesté britannique plaçaient cette zone sous l'administration des agents consulaires anglais en 1888 ; la Cour en déduit « que le traité de 1884 conclu avec les rois et chefs du Vieux-Calabar n'était pas un traité de protectorat international. Mais que cet accord n'était qu'un parmi une multitude d'autres conclus dans

130 Voir arrêt, p. 101, par. 203.

131 Voir arrêt, p. 101, par. 205.

132 Où il disait : « il n'y a pas là d'accord entre égaux, c'est plutôt une forme d'organisation intérieure d'un territoire colonial sur la base de l'autonomie des indigènes... Et c'est la suzeraineté exercée sur l'Etat indigène qui est la base de la souveraineté territoriale à l'égard des autres membres de la communauté des nations »,in R.G.D.I.P, t. XLII, 1935, p.187. Cf. Arrêt du 10 Octobre 2002, p. 102, par. 205.

133 Voir affaire du Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J ; Recueil 1975, p. 39, par. 80.

134 Voir arrêt, p. 102, par. 205.

135 Ibidem, par. 206.

une région où les chefs locaux n'étaient pas assimilés à des Etats »136. Cette analyse laisse croire à la Cour que depuis 1884, la Grande-Bretagne était déjà souveraine sur les terres des rois et chefs du Vieux-Calabar et sur Bakassi notamment, et qu'elle était donc en droit de céder ce territoire à l'Allemagne par le biais de l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913.

La Cour, constatant qu'en 1913 aucun élément ne donnait à penser que les rois et chefs du Vieux-Calabar auraient émis quelque protestation que ce fut, ni qu'en 1960 ils auraient pris des mesures en vue de transférer un territoire au Nigeria lors de l'accession de ce dernier à l'indépendance137, va tout simplement rejeter la thèse du Nigeria en ces termes : « . . . au regard du droit qui prévalait à l'époque, la Grande-Bretagne, en 1913, pouvait déterminer sa frontière au Nigeria avec l'Allemagne, y compris pour ce qui est de sa partie mondiale »138. C'est à dire que la Grande-Bretagne était habilitée à céder Bakassi à l'Allemagne. Bien que cette réflexion ne soit pas convaincante pour certains juges139, la Cour s'y est solidement appuyée, sans négliger le régime de cette frontière terrestre de cette époque à la période des indépendances du Cameroun et du Nigeria.

B - LE REGIME DE CETTE FRONTIERE ENTRE 1913 ET 1960

Le raisonnement de la C.I.J est quasi identique à celui déjà développé dans la délimitation de la frontière terrestre dans la zone du Lac Tchad, en ce qui concerne l'origine historique du texte applicable.

La Cour rappelle d'abord, qu'après la première guerre mondiale, la défaite enregistrée par l'Allemagne l'amena à renoncer à ses possessions coloniales. Celles-ci seront partagées entre la Grande-Bretagne et la France en vertu du traité de Versailles, comme territoires sous mandat de la Société Des Nations (S.D.N). Que c'est en vertu de ce mandat que la Grande-Bretagne informa le Conseil de la S.D.N de son intention d'administrer le Cameroun

136 Ibidem, par. 207.

137 Voir arrêt, p. 103, par. 208.

138 Voir arrêt, p. 103, par. 209.

139 En effet, c'est par treize voix contre trois que cette solution a été adoptée. ( Voir arrêt, p. 146, point III-A du dispositif. ). Mais, mis à part l'impressionnante Opinion dissidente du juge ad hoc pour le Nigeria, AJIBOLA, le juge RANJEVA arrive également à une conclusion contraire à celle de l'arrêt. Il estime que nier toute valeur juridique au traité du 10 septembre 1884 passé entre la Grande-Bretagne et les rois et chefs du Vieux-Calabar revient à confirmer que : « dans les relations conventionnelles avec les chefs indigènes, pacta non sunt servanda » ; ce qui n'est pas juste . . . Voir à cet effet, Opinion individuelle du juge RANJEVA, pp. 1-3, par. 3 et suivants.

Les développements du juge REZEK sont encore plus pertinents dans sa déclaration. Il estime que renier la valeur de traité international au traité du 10 septembre 1884 entre la Grande-Bretagne et les rois et chefs du Vieux-Calabar c'est, pour la Cour, faire preuve d'une « inconsistance » et certainement, d'une impertinence argumentative. Voir à cet effet, Déclaration de M. le juge REZEK, pp. 1-3.

méridional conjointement avec les provinces méridionales du protectorat de Nigeria; ce que ledit Conseil accepta. Mais la Cour précise qu'il ne s'agissait pas là d'une occasion d'intégrer ce territoire dans le protectorat du Nigeria. Qu'il s'agissait pour la Grande-Bretagne d'une manière d'administrer ses zones, parmi lesquelles Bakassi « comme si elles faisaient partie » des provinces du Nigeria140. C'est presque ces mêmes dispositions qui seront maintenues après la deuxième guerre mondiale.

Après la deuxième guerre mondiale, la Cour note que les territoires du Cameroun sous mandat céderont place au régime de tutelle avec la création de l'Organisation des Nations Unies (O.N.U) en 1945. La situation territoriale étant demeurée « exactement la même », c'est-à-dire que le Cameroun sous mandant de la SDN s'étant simplement mué au Cameroun sous tutelle de l'ONU, les puissances administrantes, France et Grande-Bretagne, resteront les mêmes. Et la Grande-Bretagne, ayant continué à administrer la zone du Cameroun méridional à laquelle appartient Bakassi « comme si elle faisait » partie du Nigeria, savait sans équivoque que Bakassi était un territoire camerounais. Encore qu'elle n'avait pas compétence pour modifier unilatéralement les frontières du territoire sous tutelle. La Cour arrive alors à la conclusion selon laquelle «...pour toute la période comprise entre 1922 et 1961 (année où prit fin le régime de tutelle), Bakassi fit partie du Cameroun britannique. La frontière entre Bakassi et le Nigeria, indépendamment des arrangements d'ordre administratif, demeure une frontière internationale »141. Cette conclusion de la Cour est encore plus claire dans les paragraphes 213 à 217 de l 'arrêt142.

Dans ces paragraphes, la C.I.J adopte une démarche un peu proche à celle du Cameroun en recherchant des paradoxes dans les arguments de l'Etat du Nigeria. Après avoir fait observer que ni la S.D.N, ni l'O.N.U ne considérèrent que Bakassi appartenait encore aux rois et chefs du Vieux-Calabar, la Cour surprend le Nigeria en lui rappelant que lors de son accession à l'indépendance, il n'avait fait mention nulle part avoir acquis Bakassi des rois et chefs du Vieux-Calabar143. De surcroît, comme le souligne la Cour, le Nigeria n'avait jamais soulevé une question concernant l'étendue de son territoire dans cette région à cette époque.

En plus de cette attitude lacunaire du Nigeria, la Cour fait encore remarquer que le Nigeria avait voté en faveur de la résolution 1608 (XV) de l'Assemblée générale de l'O.N.U mettant fin au régime de tutelle confirmant la frontière définie par l'accord anglo-allemand

140 La Cour fait appel ici à la lettre de l'Ordre en conseil (britannique) du 26 juin 1923 relatif à l'administration du territoire sous mandat du Cameroun Britannique, (cf. Arrêt du 10 octobre 2002, paragraphe 212, P.105).

141 Cf. paragraphe 212, p. 105, op.cit

142 Arrêt, pp. 106-109.

143 Arrêt, p. 106, par. 213.

du 11 mars 1913 et confirmée par le plébiscite au Cameroun méridional de 1961 en vertu duquel cette partie et Bakassi notamment demeuraient des territoires Camerounais.

La Cour expose à effet, une note verbale n° 570 en date du 27 mars 1962 adressée au Cameroun par le Nigeria à propos des concessions pétrolières144. Il en est résulte que le Nigeria a toujours considéré Bakassi comme un territoire camerounais ; attitude confirmée dans toutes les cartes officielles du Nigeria jusqu'en 1972. Dès lors le Nigeria à cette époque avait admis qu'il était lié par les articles XVIII à XXII de l'accord angloallemand du 11 mars 1913, et avait reconnu que la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi était camerounaise145. A la fin, tenant compte des bases juridiques et de la répartition géographique des concessions pétrolières accordées par l'une et l'autre Parties jusqu'en 1991146, tenant également compte d'un certain nombre de demandes officielles formulées dans les années quatre-vingt par l'ambassade du Nigeria à Yaoundé ou par les autorités consulaires nigérianes en vue d'effectuer des tournées auprès de leurs ressortissants résidant à Bakassi147, la Cour jugera que « l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913 était valide et applicable dans son intégralité »148.

En somme, pour la Cour internationale de Justice, la frontière à Bakassi avait été délimitée à l'époque coloniale par l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913. Que cet accord se suffisait à lui-même, et qu'il n'était pas « . . . utile de se prononcer sur les arguments relatifs à l'uti possidetis avancés par les Parties pour ce qui est de Bakassi. »149. Et qu'en fait, les effectivités soulevées par le Nigeria, aussi belles, aussi évidentes qu'elles peuvent paraître, doivent être considérées comme des faits «contra legem », c'est à dire contraire au droit international, parce que postérieures au titre du Cameroun150. Les conclusions de la Cour sont simples sur cette question.

« III.A) Par treize voix contre trois,

Décide que la frontière entre la République du Cameroun et la République fédérale du Nigeria à Bakassi est délimitée par les articles XVIII à XX de l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913 ;

144 Cf. arrêt, pp. 106-107, par. 214.

145 Ibidem, par. 217, in fine.

146 Cf. arrêt, pp. 108-109, par. 215.

147 Ibidem, par. 216.

148 Ce qui ne sera malheureusement pas l'avis des juges KOROMA, REZEK et, naturellement pas celle du juge ad hoc nigérian AJIBOLA (Cf. dispositif de l'arrêt, p.147.)

149 Voir arrêt, p. 109, par. 217, in fine.

150 Sur cette question, voir les développements de la Cour dans les paragraphes 218 à 225, pp. 109-113. Elle articule son raisonnement sur sa jurisprudence dans l'affaire du Différend frontalier Burkina Faso/République du Mali (arrêt, C.I.P. recueil 1986,P.586-587, Par. 63), et par une phrase simple: « ...dans l'éventualité où il existe un conflit entre effectivités et titre juridique, il y a lieu de préférer le titre ».

B) Par treize voix contre trois,

Décide que la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi est camerounaise ;

C) Par treize voix contre trois,

Décide que la frontière entre la République du Cameroun et la République fédérale du Nigeria à Bakassi suit le thalweg de la rivière Akpakorum (Akwayafé), en séparant les îles Mangroves près d'Ikang de la manière indiquée sur la carte TSGS 2240 jusqu'à une ligne droite joignant Bakassi Point et King Point »151.

Conclusion de la première partie

Dans l'ensemble, la précision de la frontière terrestre qu'effectue la Cour internationale de Justice dans les zones culminantes du Lac Tchad et de la presqu'île de Bakassi semble tourner autour d'une certaine jurisprudence constante de la Cour. Il n'y a pas à hésiter pendant longtemps. Le Cameroun est détenteur du titre territorial sur ces zones; raison pour laquelle les démonstrations factuelles nigérianes doivent tomber en désuétude, étant donné qu'elles sont contraires au droit. Pourtant le doute demeure sur la classe jurisprudentielle de cette décision; étant donné que la Cour a ignoré le principe de l'uti possidetis juris qui seul justifie l'applicabilité des textes coloniaux aux Etats décolonisés comme c'est le cas de l'espèce. Néanmoins, c'est la voix de la démocratie juridique, quoique certains juristes aient trouvé ce raisonnement à cet égard « troublant »152 et «regrettable »153

Si la délimitation de la frontière terrestre opérée par la Cour dans la presqu'île de Bakassi et dans la zone du Lac Tchad reconnaît dans l'ensemble la camerounité des zones contestées, ce ne sera pas le cas pour ce qui est du reste de la frontière terrestre. Ici la Cour s'est vraiment efforcée à satisfaire les deux Parties, quoique que cette délimitation soit assez mitigée et d'une mise en oeuvre difficultueuse.

151 Voir le point III du dispositif de l'arrêt, pp. 146-147.

152 P. D'ARGENT, op. cit., p. 298.

153 Le juge ad hoc pour le Cameroun, M. KEBA BAYE l'a lui-même pressenti dans son Opinion individuelle, p. 4, par. 18.

UNE FRONTIERE TERRESTRE D'UNE DELIMITATION
CONVENTIONNELLEMENT AMBIGUE, DE VALEUR
JURISPRUDENTIELLE MITIGEE ET D'APPLICATION
DIFFICILE

DEUXIÈME PARTIE :

Le reste de la frontière terrestre allant du Lac Tchad jusqu'à la péninsule de Bakassi est le deuxième secteur de la frontière entre le Cameroun et le Nigeria d'après le découpage effectué par la Cour. Cette partie est d'ailleurs la plus longue de l'arrêt154, relative à la frontière terrestre. Et c'est là également où les arguments des Parties ont été plus denses et controversés. Cet état des choses semble justifier l'interprétation assez ambiguë des textes applicables à la délimitation que la Cour y retient (chapitre 3). Il faut reconnaître que dans son ensemble, la délimitation de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria, telle que définie par la Cour, demeure d'une valeur jurisprudentielle mitigée et d'une application difficultueuse entre les Parties (chapitre 4).

154 Elle va de la page 66 à la page 97 (soit 31 pages) ;contre 16 pages pour la partie de l'arrêt relative à Bakassi ( cf. arrêt pp.97-113 ), 23 pages pour la partie relative à la zone du Lac Tchad ( cf. arrêt pp.43-66 ) . Bref les développements de la Cour dans cette partie du reste de la frontière terrestre sont aussi longs que ceux réservés à la partie de l'arrêt relative à la frontière maritime ( cf. arrêt pp. 114-145 ), soit 31 pages également.

CHAPITRE III:

UNE DELIMITATION AMBIGUE SUR LE RESTE
DE LA FRONTIERE TERRESTRE.

La frontière terrestre entre Cameroun et le Nigeria du Lac Tchad à Bakassi est la plus longue des frontières de l'Etat du Cameroun155. Bien que le Gouvernement de la République fédérale du Nigeria soutenait dans ses exceptions préliminaires qu'il n'existait aucun différend territorial entre son Voisin et lui sur cette partie de la frontière156, le Gouvernement de la République du Cameroun dans sa requête additionnelle du 06 juin 1994 demandera à la Cour de « préciser définitivement la frontière entre la République fédérale du Nigeria et lui du Lac Tchad à la mer »157. Le Cameroun estimait alors que cette partie de la frontière comporte trois secteurs dont chacun est clairement délimité par un instrument distinct158 :

* Le premier secteur va de l'embouchure conventionnelle de l'Ebedji jusqu'au « pic proéminent » que le Cameroun dénomme « mont Kombon », délimité par la déclaration Thomson-Marchand telle que incorporée à l'échange des notes Henderson-Fleuriau159.

* Le deuxième secteur court du « mont Kombon » jusqu'à « la borne 64 » mentionnée à l'article 12 de l'accord anglo-allemand du 12 Avril 1913 et délimité par l'ordre en Conseil britannique du 02 Août 1946160 .

* Le troisième et dernier secteur de la frontière terrestre quant à lui court de la borne 64 à la mer, et est délimité par les accords anglo-allemands des 11 mars et 12 avril 1913161. La Cour constatera que le Nigeria, à ce propos, vibrait en phase avec le Cameroun162. Mais des imbroglios notoires persistaient néanmoins entre ces Etats en ce qui concerne le travail auquel elle devrait se livrer.

Pour le Cameroun, bien que les instruments de délimitation en question comportent certaines ambiguïtés et incertitudes163, « préciser définitivement » la frontière veut dire que la Cour confirme le tracé de la frontière tel qu'indiqué dans les instruments de délimitation;

155 Elle avoisine les 1600 Km, voir supra.

156 Cf. C.I.J Arrêt du 10 octobre 2002, P. 67 de l'arrêt

157 Lire à cet effet le par. 77, P.67 de l'arrêt

158 Voir arrêt, p. 66, par. 72. Voir aussi le croquis n°3 de l'arrêt, en annexe.

159 Voir arrêt, ibid., par. 73.

160 Arrêt, ibid., par. 74.

161 Ibidem, par.75.

162 Puisqu'il ne constatait ni la pertinence, ni l'applicabilité des quatre instruments invoqués par le Cameroun au fin du tracé de ces trois secteurs de la frontière terrestre. (cf. Arrêt, p.67, par.76 et par.82, p.68 ).

163 Voir arrêt, p. 67, par.79.

qu'il ne s'agissait donc pas pour la Cour de procéder elle-même, à une délimitation de cette frontière164.

Le Nigeria pour sa part, en soulignant les nombreuses défectuosités entachant ces instruments applicables, demandait à la Cour de « préciser » la délimitation dans les régions où ces instruments de délimitation sont défectueux, et de rectifier la ligne frontière réclamée par le Cameroun s'agissant des régions où, selon lui, celle-ci ne respecte pas les termes clairs de ces instruments165.

Ayant remarqué que les parties étaient divisées sur le problème de la nature et de l'étendue de son rôle, la C.I.J précisera d'abord la nuance qui distingue l'opération de délimitation à celle de démarcation166 de la frontière, avant de rappeler que dans le cas d'espèce, sa tâche n'est ni de procéder à une « délimitation de novo » de celle-ci, ni de la démarquer167. Dès lors, « préciser définitivement » ce tracé de la frontière terrestre tel qu'il a été fixé dans les instruments de délimitation pertinents revient à se prononcer sur l'interprétation ou l'application de tel ou tel passage desdits instruments de délimitation168. Après avoir clarifier la tâche à laquelle elle devait s'acquitter, la Cour va retenir une délimitation très particulière sur cette partie de la frontière. Cette délimitation est particulière et ambiguë parce qu'elle alterne la reconnaissance des thèses nigérianes et camerounaises sur certains points (section 1) et la consécration des zones neutres et intermédiaires (section 2) sur d'autres points litigieux169.

SECTION 1 : L'ALTERNANCE DE LA RECONNAISSANCE DES THESES

NIGERIANES ET CAMEROUNAISES SUR CERTAINS POINTS.

Tout en se refusant d'opérer une «délimitation de novo » de la frontière terrestre, la cour dans un effort d'interprétation des instruments applicables va retenir une «définition» de la frontière qui admet, certes pas dans un ordre successif, les positions du Cameroun et

164 Ibidem, par. 77.

165 Idem, par. 78.

166 En se référant à sa jurisprudence dans l'affaire du différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/ Tchad. In C.I.J, Recueil 1994, p.28, Par. 56), la Cour définit la délimitation d'une frontière comme étant sa « définition », tandis que la démarcation d'une frontière, qui présuppose la délimitation préalable de celle-ci consiste en son « abornement sur le terrain ». Voir à cet effet, l'arrêt du 10 Oct 2002, p.69, par. 84.

167 Etant donné que les parties s'accordaient sur les textes applicables et sur l'éventualité d'une démarcation ultérieure par leurs propres soins. Voir, arrêt, p. 69, par.84 in fine.

168 Voir arrêt, p. 69, par. 85, in fine.

169 La Cour énumère à cet effet dix sept points litigieux sur la frontière terrestre allant du Lac Tchad à la presqu'île de Bakassi. Ils vont de 1) Limani à 17) La rivière Sama. (Voir arrêt, p. 69, para. 86). On peut y ajouter un point 18) La borne 64 contenu au par.190, p. 96 de l'arrêt.

celles du Nigeria. Pour mieux rendre compte de cette réalité, il nous conviendra de présenter d'abord les points litigieux reconnus au Nigeria (I) avant d'exposer ceux conférés au Cameroun (II).

I- LES POINTS RECONNUS AU NIGERIA

Parmi les dix sept points litigieux énumérés par la C.I.J dans la paragraphe 82 de l'arrêt, cinq ont été attribué à la cause nigériane. Il s'agit des points 2) La rivière Keraua (Kirewa ou Kirawa), 9) Le Maio Senche, 10) Jimbare et Sapeo, 11) Nomberou (Namberou)- Banglang, et 16) Bissaula-Tosso.

Avant d'arriver au contenu de la position de la Cour (B), il est toujours intéressant de rappeler les thèses en conflit (A) quoique de manière sommaire.

A- LES THESES EN CONFLIT

Le travail de la Cour était plus difficile et difficultueux sur cette partie du reste de la frontière terrestre à cause certainement de la densité des arguments contradictoires des parties au point par point.

Aussi, restant fidèle à la démarche de la Cour, nous exposerons ces thèses nigerocamerounaises point par point.

1- Au point litigieux N°2) La rivière Keraua

a) Sur ce point, le Nigeria admet l'applicabilité du paragraphe 18 de la déclaration Thomson-Marchand, mais soulève très tôt son caractère défectueux étant donné que des deux bras que cette rivière a aujourd'hui, ce texte ne précise pas celui par lequel passe la frontière. Selon lui, la frontière devrait suivre le chenal oriental170

b) la position du Cameroun est toute différente. Pour lui, « le problème viendrait du fait que le cours de la rivière Kerawa a été dévié par le Nigeria qui a construit un chenal artificiel ... afin de déplacer le lit de la rivière et par conséquent le tracé de la frontière ». Qu'il convient dès lors de dire que, la frontière devrait passer par le chenal occidental171.

170 Voir arrêt, p. 71, par. 93.

171 Voir arrêt, p. 72, par. 94.

2- Au point N° 09) Le Maio Senche

Faut-il encore souligner que la position du Nigeria (a) était différente ici de celle du Cameroun (b) ? Pas vraiment, mais venons-en aux faits.

a) Le Nigeria admet que ce point est bel et bien défini par le paragraphe 35 de la déclaration Thomson-Marchand et que « la frontière dans ce secteur doit suivre la ligne de partage des eaux. Il fait observer que de la ligne réclamée par le Cameroun dans cette région décale la frontière par rapport à la ligne de partage des eaux que cette ligne doit suivre en vertu du paragraphe 35 de la déclaration Thomson-Marchand ... »172. Qu'en pensera le Cameroun?

b) Le Cameroun, comme le souligne la Cour173 , maintient quant à lui que «la représentation de la ligne de partage des eaux dans la traversée des monts (Atlantikas) et (de) la localisation du village de Batou » dont il est question dans cette région est exclusivement un problème de démarcation.

3- Au point N° 10) Jimbare et Sapeo

Sur ce point, la Cour a d'abord présenté les arguments du Nigeria avant ceux du Cameroun.

a) Pour le Nigeria, les paragraphes 35 à 38 de la déclaration Thomson-Marchand étaient défectueux. Aussi, la Cour devait préciser et modifier le tracé de la frontière terrestre dans cette zone dans la mesure où le texte des paragraphes 37 et 38 de la déclaration Thomson-Marchand et la carte qui l'accompagne se contredisent.

Que depuis 1920, le responsable du district britannique W.D.K. Mair et le représentant de l'administration française, le capitaine Louis Pition avaient élaboré une «proposition conjointe Mair-Piton » (12 Novembre). Celle-ci sera reprise dix ans plus tard dans un procèsverbal signé le 16 octobre 1930 par R. Logan, responsable du district britannique, et J. Le Brun, représentant de l'administration française : « Procès-verbal Logan-Le Brun» . Et que enfin, ces textes visaient à corriger les imperfections de la déclaration Thomson-Marchand, et en vertu des quels Sapeo a toujours été administré par le Nigeria. Face à un exposé aussi fourni, le Cameroun va esquisser quelques réflexions axées autour de l'applicabilité de la déclaration Thomson-Marchand174.

172 Arrêt, p. 82, par. 136.

173 Dans le paragraphe 137. P.82

174 Voir arrêt, pp. 83-84, par. 141.

b) Pour le Cameroun, bien que les développements du Nigeria soient valables pour l'identification du pic visé, dans le paragraphe 35 de la déclaration Thomson-Marchand, le seul texte applicable selon lui est cette déclaration; étant donné que la proposition conjointe Mair-Pition et le procès-verbal Logan-Le Brun n'avaient jamais été retenus par la France et la Grande- Bretagne, ni reportés dans la déclaration Thomson-Marchand. Que contrairement à l'argument nigérian, d'après lequel le préfet du département de la Bénoué aurait été saisi de la situation sur le terrain par le sous-préfet de l'arrondissement de Poli par une lettre du 17 mars 1979, il faut retenir qu' « un simple sous-préfet n'avait pas bien compris la situation juridique réelle ». Que dès lors, seule la déclaration Thomson-Marchand doit être appliquée175-

4- Au point N° 11) Nomberou (Namberou)-Banglang

Comme au point n010, il s'agissait encore ici d'un débat autour de la validité d'un

fragment défectueux de la déclaration Thomson- Marchand et notamment son paragraphe

38176.

a) Le Nigeria a considéré que ce paragraphe 38 de la déclaration, était défectueux en ce qu'il décrit la frontière comme empruntant une vallée nord-est, puis sud-est, alors que la seule vallée présente dans la région est orientée nord-ouest, puis sud-ouest. Et que cette erreur aurait été constatée dans le procès-verbal Logan-Le Brun de 1930 et corrigée177. Cette réflexion qui semble plus favorable au Cameroun comme le montrera la Cour n'a pas été retenue par lui ; certainement par souci d'attachement à la lex lata.

b) l'argumentation camerounaise présentée par le Cour sur ce point brille par sa concision: « le Cameroun estime pour sa part qu'il convient de s'en tenir à la définition de la frontière contenue dans les paragraphes 37 et 38 de la déclaration Thomson-Marchand. »178

5- Au point N°16) Bissaula-Tosso

Ici, c'est l'ordre en conseil de 1946 qui était sujet à interprétations.

a) Pour le Nigeria, cet instrument juridique devait être interprété du fait que la rivière

Akbang possède plusieurs affluents parmi lesquels, seul l'affluent sud doit être considéré

175 Arrêt, p. 84, par. 142.

176 Voir arrêt, p. 85, par. 147.

177 Arrêt, pp. 85-86, par. 148.

178 Arrêt, p. 86, par. 149.

parce que coupant la route Kentu-Bamenda comme l'exige le texte de l'ordre en conseil. Le Nigeria a ajouté que le tumulus de pierres visé par le texte aurait été retrouvé179. Telle ne sera pas la démarche camerounaise.

b) Dans une attitude défensive, le Cameroun démontrera que l'interprétation

que le Nigeria fait du texte est erronée, que l'Akbang se situe à l'est, et que le tumulus de pierres n'aurait jamais été retrouvé contrairement à ce que prétendait le Nigeria. Que dès lors, le problème demeure un simple problème de démarcation180.

Après avoir rappeler les thèses en conflit, la Cour va donner raison aux arguments du Nigeria sur l'ensemble de ces points.

B- LA SUBSTANCE DU RAISONNEMENT DE LA COUR

Sur ces points où les thèses nigérianes ont prévalu, il convient, pour comprendre la délimitation retenue par la Cour, de les examiner tour à tour.

1- Au point N° 2) La rivière Keraua

a) La Cour condense ses motifs dans le paragraphe 95 de l'arrêt. Elle remarque tout d'abord que l'interprétation du paragraphe18 de la déclaration Thomson-Marchand soulève des difficultés dans la mesure où le texte se contente de faire passer la frontière par « la rivière » Keraua, alors que celle-ci à cet endroit présente deux chenaux. La Cour rappelle alors que son travail consistera à identifier le chenal par lequel la déclaration Thomson-Marchand fait passer la frontière. En confrontant les thèses en conflit, la Cour va se prononcer en faveur du Nigeria, bien que de façon incidente.

b) Dans sa conclusion, bien qu'ayant refusé d'accueillir l'argument du Nigeria selon lequel le chenal oriental doit être préféré, au motif qu'il serait le plus important et mieux défini le chenal occidental, la Cour finit par consacrer cette thèse lorsqu'elle conclut que « le paragraphe 18 de la déclaration Thomson- Marchand doit être interprétée comme faisant passer la frontière par le chenal oriental de la rivière Keraua. »181.

Si ce n'est que de manière incidente que l'argumentation du Nigeria est validée à Keraua, comment cela s'est-il passé au point litigieux N°9 ?

179 Voir arrêt, p.94, par. 181.

180 Voir arrêt, pp. 94-95, par. 182.

181 Voir arrêt, p.72, par. 96.

2- Au point litigieux N° 9) Le Maio Senche

a) Ici la Cour va tout d'abord rappeler que le paragraphe 35 de la

déclaration Thomson-Marchand alors applicable pose encore le problème de l'identification de la ligne de partage des eaux182. A cet effet, elle arrive à une conclusion manifestement favorable au Nigeria.

b) La Cour fait valoir l'argumentation du Nigeria sur ce point en rejetant

ostensiblement celle du Cameroun. Elle s'exprime en ces termes : « La Cour, après étude de matériau cartographique que lui ont fourni les parties, observe qu'elle ne saurait accepter le tracé de la ligne de partage des eaux proposé par le Cameroun dans la mesure en particulier où celui suit le cours d'une rivière sur la plus grande partie de sa longueur ; ce qui est incompatible avec le concept de ligne de partage des eaux183. La ligne de partage des eaux, comme le soutient le Nigeria, passe entre le bassin du Maio Senche et celui de deux rivières qui se trouvent le plus au sud»184.

Ayant affirmé la valeur, mieux encore, le primat de la démarche du Nigeria sur celle du Cameroun avec précision dans la zone du Maio Senche, interrogeons-nous de la manière avec laquelle cela a été fait à Jimbare et Sapeo.

3- Au point litigieux n°10) Jimbare et Sapeo

a) Sur cette zone de la frontière terrestre, la Cour a d'abord constaté que l'interprétation des paragraphes 35 à 38 de la déclaration soulève des difficultés parce que d'une part, ils contiennent des erreurs matérielles et d'autre part, ils sont tout simplement contradictoires à la représentation faite de cette frontière sur la Carte 1931 annexé à la déclaration185.

- A Sapeo, la Cour constate avec le Nigeria que la ligne frontière décrite dans le procèsverbal Logan-Le Brun est bien celle qui a été reprise sur la carte de 1931 jointe à la déclaration. La Cour ne retient donc pas la ligne prévue par la déclaration elle-même. Au surplus, elle ajoute un argument tiré de l'absence d'administration du Cameroun sur ce village pour confirmer l'appartenance de celui-ci au Nigeria. Que dès lors, d'après l'interprétation

182 Voir arrêt, p.82, par. 138.

183 Il est regrettable qu'ici la Cour a fait recours au «concept de ligne de partage des eaux » sans elle même le définir. Cela aurait pu édifier la doctrine sur les nouvelles avancées jurisprudentielles sur ce concept. (Voir le paragraphe 139 de l'arrêt.)

184 Arrêt, p. 82, par. 139. Voir aussi le croquis no 8 de l'arrêt en annexe.

185 Arrêt, p. 84, par. 143.

pertinente de l'intention des rédacteurs de la déclaration Thomson-Marchand, c'est le tracé décrit dans le procès-verbal Logan-Le Brun qui doit être considéré.

A défaut de douter de la pertinence du raisonnement de la Cour, on peut néanmoins s'interroger sur l'opportunité de son argumentation tirée sur le défaut d'administration du Cameroun dans cette région. N'est-ce pas là une manière, quoique infime qu'elle paraisse, de faire prévaloir les effectivités sur le titre ? Quoiqu'il en soit, la Cour considère que Sapeo était nigérian lors des plébiscites de 1959 et 1961186.

- A Jimbare, la Cour note que contrairement à ce qui s'est passé à Sapeo, la révision de la frontière contenue dans le procès-verbal Logan-Le Brun n'a pas été transposée sur la carte de 1931 jointe à la déclaration Thomson-Marchand, pour ce qui concerne la région du Jimbare. Mais malgré cette remarque pertinente par elle faite, la Cour va affirmer « ... néanmoins que c'est également le tracé décrit dans le procès-verbal Logan-Le Brun qui doit ici prévaloir

»187.

c) Mais la conclusion de la Cour est encore très surprenante. Elle conclut que « les paragraphes 37 et 38 de la déclaration Thomson-Marchand doivent être interprétés comme faisant passer la frontière par le tracé décrit au paragraphe1 de procès-verbal Logan-Le Brun, tel que représenté par le Nigeria sur les figures 7.15 et 7.16 en regard des pages 346 et 350 de sa duplique »188. La surprise ici réside dans la substitution implicite qu'effectue la Cour de la déclaration Thomson-Marchand par ce procès-verbal Logan-Le Brun qui pourtant, comme elle l'a rappelé au paragraphe précédent, n'a pas été entièrement transposé dans ladite déclaration. La Cour aurait certainement mieux fait en précisant la valeur juridique de cet instrument de délimitation.

La reconnaissance des thèses du Nigeria à Sapeo et à Jimbare s'est donc faite avec une certaine touche particulière de la Cour. De même devient-il pressant d'examiner la technique retenue au point litigieux n°11.

4- A Nomberou (Namberou) - Banglang

a) La Cour commence d'abord par constater que le paragraphe 38 de la déclaration Thomson-Marchand soulève des difficultés d'interprétation en ce qu'il contient des erreurs fondamentales189. Qu'à cet effet, elle devrait s'attacher « ...à identifier le tracé que les

186 Cf. Arrêt, pp.84-85, par. 144.

187 Arrêt, p.85, par. 145.

188 Arrêt, p. 85, par. 146 in fine.

189 Voir arrêt, p. 86, par. 150.

rédacteurs de la déclaration Thomson-Marchand ont entendu donner à la frontière dans cette région ». Mais assez paradoxalement, la Cour va quasiment abandonner le tracé de la frontière proposé par la déclaration Thomson-Marchand en ce qu'il ne lui permet pas de déterminer exactement la frontière dans ce secteur.

b) Comme au point litigieux précédent, elle va donner raison à la thèse du Nigeria en retenant le tracé contenu dans le procès-verbal Logan-Le Brun parce que plus détaillé et fixant le point d'aboutissement de la frontière à Hosere Tapere situé par 12014'30' de longitude est et 80 22' 00» de latitude nord. L'autre paradoxe vient du fait que la Cour souligne toutefois que « ... le procès-verbal Logan-Le Brun et le paragraphe 38 de la déclaration Thomson-Marchand semblent faire aboutir la frontière dans ce secteur à un point identique »190. Et si tel était le cas, on se serait attendu qu'elle détermine vraiment la frontière ici à travers l'analyse pertinente du paragraphe 38 de ladite déclaration Thomson-Marchand. Toutefois, la Cour a souligné que la délimitation ainsi retenue est plus favorable au Cameroun191.

A la fin, la cour conclut que « le paragraphe 38 in fine de la déclaration Thomson-Marchand doit être interprété comme faisant passer la frontière par le cours de la rivière Namberou jusqu'à sa source, puis de ce point, par une ligne droite, jusqu'au Hosere Tapere tel que localisé par la cour »192. Ainsi examinée, l'étude de raisonnement de la C.I.J au point litigieux N°11) Namberou n'est pas très différente de celle effectuée à Jimbare et Sapeo. Interrogeons-nous à présent sur la méthode utilisée à Bissaula-Tosso.

5- Au point litigieux N° 16) Bissaula-Tosso

Après avoir examiné les arguments en conflit, la cour a constaté que la difficulté dans cette région était de déterminer quel est l'affluent de la rivière Akbang qui coupe la route Kentu-Bamenda et est par conséquent l'affluent par lequel l'ordre en conseil fait passer la frontière.

A cet effet, c'est sans équivoque que la Cour fait valoir la prétention du Nigeria en constatant que « l'affluent sud de l'Akbang coupe bien la route Kentu-Bamenda comme le Nigeria le prétend. C'est donc le tracé de la frontière proposé par le Nigeria qui doit être préféré. »193. A la fin, la C.I.J considère « qu'il convient d'interpréter l'ordre en conseil de 1946 comme faisant passer la frontière par le point où l'affluent sud de la rivière Akbang, tel

190 Arrêt, p. 86, par. 151

191 Arrêt, Ibidem, in fine.

192 Arrêt, p. 87, par. 152. Voir le croquis n°9 de l'arrêt en annexe

193 Arrêt, p. 95, par. 183.

qu'identifié par la cour, coupe la route Kentu-Bamenda, puis de se point par l'affluent Sud jusqu'à son confluent avec la rivière Akbang »194.

A côté de ces points litigieux où la cour a donné raison au Nigeria au détriment de son Voisin, certains autres points existent où le phénomène inverse s'est produit.

II - LES POINTS CONFERES AUX THESES CAMEROUNAISES

Il s'agit ici des zones litigieuses sur lesquelles la cour a fait valoir les arguments du Cameroun. Ces points sont au nombre de trois : le point N° 3) La rivière Kohom, le point N° 6) Kotcha (Koja), et le point N° 13) Le franchissement du Mayo Yim. Nous rappellerons, autant que faire se peut, les thèses en conflit (A) avant d'exposer le raisonnement de la cour (B).

A- L'EXPOSE DES ARGUMENTS EN CONFLIT

Pour mieux rendre compte de la teneur de ces arguments, il convient de procéder point par point.

1- Au point litigieux N°3) La rivière Kohom

Dans cette partie de la frontière, c'est le paragraphe 19 de la déclaration Thomson-Marchand qui était applicable et c'est autour de son interprétation que se déchiraient les parties195.

a) Pour le Nigeria « le paragraphe 19 de la déclaration Thomson-Marchand est défectueux car il présume que la rivière Kohom prend sa source dans le mont Ngosi ; ce qui ne serait pas le cas ». Selon lui, ceci est la conséquence d'une erreur commise par les rédacteurs de la déclaration Thomson-Marchand. Que la rivière prenant sa source dans le mont Ngosi est la Bogaza et non le Kohom. La frontière devrait donc suivre le cour de la Bogaza196. Telle ne sera naturellement pas le point de vue du Cameroun.

b) Pour le Cameroun, les monts Ngosi constituent une chaîne de montagne et non un sommet déterminé, si bien que tant la rivière Kohom que la rivière Bogaza y prendraient leur

194 Arrêt, p. 95, par. 184.

195 Arrêt, p. 72, par. 97.

196 Arrêt, p. 73, par. 98.

source. Et que les termes de la déclaration Thomson-Marchand sont assez clairs pour identifier cette rivière Kohom (des Kirdis), différente de celle identifiée par le Nigeria197.

1- A Kotcha (Koja), point litigieux N°6

Comme au point précédent, c'est la déclaration Thomson-Marchand qui fixe la frontière ici. Mais cette fois, à travers ses paragraphes 26 et 27 qui brillent par leur extrême concision:

« 26) puis la frontière passe par le mont Mulikia (appelé aussi Lourougoua).

27) Du sommet du mont Mulikia elle atteint la source du Tsikakiri, laissant Kotcha à l'Angleterre et Dumo à la France; puis elle longe une ligne jalonnée provisoirement par quatre bornes par MM. Vereker et Pition en septembre 1920 »198.

Les avis des parties vont diverger quant à l'interprétation à donner à ces dispositions.

a) Pour le Nigeria, « les paragraphes 26 et 27 de la déclaration Thomson-Marchand ci-dessus présenteraient un problème dans la mesure où, sur les quatre bornes mises en place en 1920 qui y sont indiquées, une seulement pourrait éventuellement être identifiée aujourd'hui. » A cet effet, il priait la cour de retenir la frontière passant la ligne de partage des eaux, sauf à proximité de Koja village nigérian qui s'est étendu de part et d'autre de celleci199. Qu'est-ce qu'en pensait alors le Cameroun?

b) Le Cameroun pour sa part estimait que la ligne frontière demandée par le Nigeria à proximité de Koja est contraire à la déclaration Thomson-Marchand et que le texte de celle-ci devrait être respecté200. Cette attitude camerounaise bien que pas vraiment dynamique présente l'avantage d'être au moins juridique. C'est le même schéma argumentatif que l'on retrouve au point litigieux N°13).

197 Arrêt, p. 73, par. 99.

198 Arrêt, p. 78, par. 120.

199 Arrêt, p. 78, par. 121.

200 Arrêt, p. 79, par. 122.

2- Au point litigieux N° 13) Le franchissement du Mayo Yim

Selon la C.I.J, la frontière est définie à ce point par les paragraphes 48 et 49 de la déclaration Thomson-Marchand201.

a) L'avis du Nigeria était que, ces paragraphes de la déclaration Thomson-Marchand sont trop vagues, surtout en ce qui concerne le point où la frontière traverse le Mayo Yim202. Le Cameroun avait une vue diamétralement opposée.

b) Les deux paragraphes de la déclaration Thomson-Marchand en question ne nécessitant aucune clarification de la part de la cour, il n'y avait là qu'un problème de démarcation. Telle était l'argument de la Partie camerounaise203. Face à ce conflit d'arguments et contre arguments, la Cour validera les thèses camerounaises sur l'ensemble de ces trois points. Il nous semble alors important d'examiner le contenu de son raisonnement.

B- CONTENU DU RAISONNEMENT DE LA COUR

Il convient, pour le cerner, d'explorer les développements effectués par la Cour sur chacun de ces points respectivement.

1- A la rivière Kohom

a) En effet, la Cour a eu d'énormes difficultés pour identifier le cours de la rivière Kohom par lequel doit passer la frontière comme le prévoit le paragraphe 19 de la déclaration Thomson-Marchand. Ayant admis avec le Nigeria que c'est bien la rivière Bogaza qui prend sa source dans le mont Ngosi, et non la rivière Kohom, la Cour essayera de déterminer le tracé que les rédacteurs de la déclaration Thomson-Marchand ont entendu donner à la frontière dans cette région en la faisant passer par la rivière dénommée « Kohom »204.

Constatant l'insuffisance de cet instrument «pertinent» de délimitation, la Cour fera recours à un croquis établi en mars 1926 par des fonctionnaires français et britannique. Cette comparaison faite, elle estime alors que le cours du Kohom par lequel la déclaration Thomson-Marchand fait passer la frontière est celui indiqué par le Cameroun.

b) Ainsi, toujours en s'appuyant sur ce croquis de 1926, elle constate que la frontière

passe au nord des monts Matakam comme le fait la ligne réclamée par le Cameroun, et

201 Arrêt, p. 87, par. 156.

202 Arrêt, p. 88, par. 157.

203 Arrêt, p. 88, par. 158.

204 Arrêt, p. 73, par. 100.

contrairement à celle prônée par le Nigeria qui passe nettement au sud de ces monts. Après un argumentaire rejoignant largement les arguments du Cameroun, la Cour va tenter de se rattraper à respecter la déclaration Thomson-Marchand en cherchant à assurer la jonction entre la source de la rivière Kohom telle qu'identifiée par elle même et la rivière Bogaza qui prend sa source dans le mont Ngosi205.

A la fin, c'est par des données astronomiques que la C.I.J détermine la source de la rivière Kohom qu'elle décrit comme située par 130 44' 24» de longitude est et 100 59' 09» de latitude nord. De ce point, la frontière passe par une ligne droite orientée vers le sud et rejoignant le mont marqué à une altitude de 861 mètres, mont situé par 130 45' 45» de longitude est et 100 59' 45» de latitude nord, avant de suivre le cours de la rivière Bogaza dans la direction sud-ouest jusqu'au sommet du mont Ngosi206

Ainsi, la délimitation opérée par la cour dans cette zone de la frontière terrestre semble très ambiguë. Néanmoins malgré la coloration d'équité qu'elle présente, cette délimitation est «plus proche des thèses Camerounaises »207. On peut dès lors affirmer que c'est de façon indirecte que cette partie est reconnue au Cameroun. Comment cela s'est-il alors passé à Kotcha ?

2- A Kotcha (Koja)

a) Contrairement aux développements qu'elle a opérés dans la zone de Kohom, la position de la Cour à Kotcha brille par une clarté et un synthétisme hors du commun. Tout d'abord, elle a tenu à préciser, en défaveur du Nigeria, qu' « elle n'a pas compétence pour modifier une ligne frontière délimitée, même dans l'hypothèse où un village auparavant situé d'un côté de la frontière se serait étendu au delà de celle-ci »208. C'était là une façon brave et nette pour la cour, de mettre fin aux velléités expansionnistes du « géant »209 Nigeria.

b) Dans sa conclusion, la Cour donne ostensiblement raison au Cameroun lorsqu'elle décide que « dans la région de Kotcha visée aux paragraphes 26 et 27 de la déclaration Thomson-Marchand, la frontière passe par la ligne de partage des eaux, et cela y compris à proximité directe du village de Kotcha, où les terres cultivées se trouvant du côté

205 Arrêt, pp. 73-74, par. 101.

206 Arrêt, p. 74, par. 102. Voir aussi le croquis n°5 de l'arrêt en annexe.

207 L'expression est du président de la cour, M. GUILLAUME lui même. Propos recueilli in Mutations, N° 762 du vendredi 11 octobre 2002, p.2

208 Arrêt, p. 79, par. 123.

209 Le Nigeria est un géant d'Afrique. Voir supra.

Camerounais de la ligne de partage des eaux demeurent en territoire camerounais »210. C'est toujours de cette façon qu'elle a donné raison au Cameroun dans la zone du franchissement du Mayo Yim.

3 - Au franchissement du Mayo Yim

a) La décision de la Cour est caractérisée ici par un laconisme très poussé. Elle souligne tout d'abord que si le Nigeria a contesté dans son contre mémoire le tracé de la frontière au niveau du franchissement du Mayo Yim visé au paragraphe 49 de la déclaration Thomson-Marchand, il n'est plus revenu sur cet argument sur le reste de la procédure. Encore qu'il n'a pas rejeté l'argument du Cameroun selon lequel le problème dans cette région était un problème de démarcation211.

b) Qu'à cet effet, ne jugeant plus nécessaire de préciser les coordonnées de la frontière dans ce secteur, la Cour conclut tout simplement que « dans la région du franchissement du Mayo Yim, la frontière suit le tracé visé aux paragraphes 48 et 49 de la déclaration Thomson-Marchand »212 ; ce qui n'est que la confirmation de l'argumentation camerounaise.

Ainsi, la Cour donne raison directement aux thèses camerounaises sur trois points litigieux. Néanmoins comme nous l'avons vu plus haut, les arguments du Nigeria ont le plus été pris en compte sur certains points. Toutefois, à côté de cette reconnaissance alternative des thèses des parties, la Cour, dans un effort de neutralité, a dégagé des solutions issues de son inspiration propre sur d'autres points litigieux de la frontière terrestre.

SECTION 2 : UNE DELIMITATION CONSACRANT DES ZONES NEUTRES

OU INTERMEDIAIRES

En effet, l'arrêt de la C.I.J du 10 octobre 2002 a ceci de particulier qu'il va au-delà des prétentions des parties. C'est dans ce sens que se justifie la délimitation de la frontière terrestre retenue sur plusieurs points litigieux où la Cour a fait montre d'une certaine rigueur dans l'interprétation des textes coloniaux applicables. C'est ainsi qu'elle retient une

210 Voir arrêt, p. 79, par. 124.

211 Lire ces développements au paragraphe 159, p. 88 de l'arrêt.

212 Arrêt, p.88, par. 160.

délimitation presque autonome en adoptant une neutralité, mieux encore, une impartialité assez surprenante dans sa décision sur certains points litigieux qu'il nous convient d'abord de présenter (I), avant l'examen même de son raisonnement (II).

I- LES DIFFERENTS POINTS LITIGIEUX CONCERNES

Comme nous l'avons vu plus haut, il s'agit ici des zones où la Cour a adopté une délimitation neutre à travers l'interprétation pertinente des instruments applicables213. Toutefois, compte tenu de la densité des développements consacrés à ces points, il serait difficultueux, voire même « fastidieux de rapporter ici l'analyse minutieuse de l'arrêt à cet égard »214. Néanmoins, nous constatons que certains points sont définis par la déclaration Thomson-Marchand (A), tandis que deux seulement sont définis par l'ordre en conseil de 1946 (B).

A- LES POINTS LITIGIEUX DEFINIS PAR LA DECLARATION THOMSON-MARCHAND

Il faut bien préciser qu'il ne s'agit ici que des points sur lesquels la décision de la cour s'est un temps soit peu écartée des thèses des parties en conflit. Cette précision faite, il faut dire que la Cour retient dans ce cadre, sept points litigieux que nous présenterons successivement.

1- Le point N°1) Limani

Il est défini par les paragraphes 13 et 14 de la déclaration Thomson-Marchand215. Mais c'est autour de la question de savoir quel est « le bras» de la rivière passant près du village Limani jusqu'à un confluent situé à environ 2 kilomètres au nord-ouest de ce village que les parties se déchiraient. Tandis que le Nigeria préconisait le bras se trouvant le plus au sud, le Cameroun invoquait le deuxième bras à partir du nord216.

213 Puis qu'il ne faut pas perdre de vue que la cour ne fait traduire l'esprit des rédacteurs de ces textes. Ne dit-elle pas qu'elle n'opère pas à une « délimitation de novo » ? (cf. p. 69, par 84 in fine).

214 P. D'ARGENT, « Des frontières et des peuples : l'affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria (arrêt de fond) », A.F.D.I, 2002, pp. 281-321.

215 Arrêt, p. 70, par. 87.

216 Arrêt, p. 70, par. 88 et 89.

2- Le point N°4) La ligne de partage des eaux de Ngosi à Humsiki (Roumsiki) / Kamale / Turu (les monts Mandara)

La frontière ici est fixée par les paragraphes 20 à 24 de la déclaration ThomsonMarchand217. La chose exceptionnelle qu'il faut souligner ici c'est que, tandis que le Nigeria s'attache cette fois à la lex lata (de la déclaration) qui « délimite clairement la frontière dans la région en prévoyant à une ligne de partage des eaux »218, le Cameroun tante d'échapper au texte en estimant que « la notion de ligne de partage des eaux est complexe et qu'il est difficile de fixer une telle ligne le long d'un escarpement abrupt comme c'est le cas en l'espèce »219.

3- Le point N°5) Du mont Kuli à Bourha/ Maduguva (la ligne erronée de partage des eaux de la carte Moisel)

Dans cette zone, la frontière est définie par le paragraphe 25 de la déclaration Thomson-Marchand220. Malgré la clarté apparente de cette disposition, le débat ne fut pas moins houleux entre les parties. Le défendeur estimait que ce paragraphe qui place la frontière sur « la ligne erronée de partage des eaux » est défectueux et entaché d'une vétusté de près de quatre-vingt dix ans. Quant au demandeur, il va tout simplement revenir à des sentiments juridiques en estimant que la déclaration Thomson-Marchand «place sciemment la frontière sur la ligne erronée de partage des eaux indiquée sur la Moisel », et que dès lors il suffit à la cour de s'en tenir purement et simplement à la transposition de cette ligne sur une carte moderne et sur le terrain221. La versatilité argumentative des parties sur ce point n'est plus à démontrer222 ; chacune tirant la couverture de son côté.

4- Le point N°7) La source de la rivière Tsikakiri

C'est le paragraphe 27 d la déclaration Thomson-Marchand qui fixe la frontière dans la zone de la source de la rivière Tsikakiri223. Pour bref qu'il soit, le contenu de ce paragraphe ne faisait pas l'unanimité entre les parties. Pour la partie Nigeria, la rivière Tsikakiri a trois sources et qu'il fallait que la Cour retienne l'un des tributaires sud de la rivière, et non le

217 Arrêt, p. 74, par. 103.

218 Arrêt, p. 75, par. 104.

219 Ibidem, par. 105.

220 Arrêt, p. 77, par. 115.

221 Arrêt, p. 77, par. 106 et 107.

222 On était en présence d'un conflit devant le juge international, dès lors, ces variations d'attitudes face au droit

traduisent « des politiques à l'égard de l'interprétation du droit ». Sur l'attitude des Etats face au droit, lire G. DE LACHARRIERE, La politique juridique extérieure, Paris, Economica, 1983, pp. 105-176.

223 Arrêt, p. 79, par. 125.

tributaire nord invoqué par le Cameroun. Naturellement, le Cameroun n'y verra que du canular en estimant que le point désigné par le Nigeria comme source du tributaire sud ne correspond à rien de tel224.

5- Le point litigieux N°8) De la borne frontière N°6 à Wammi Budungo

Ici, ce sont les paragraphes 33 et 34 de la déclaration Thomson-Marchand qui déterminent la frontière225. Le problème ici réside dans le fait que, comme l'a soulevé le Nigeria, « les bornes N° 6 et 8 par lesquelles la déclaration Thomson-Marchand fait passer la frontière n'ont pas pu être retrouvées ». Que dès lors, il convient de tenter de localiser ces bornes à partir de l'accord anglo-allemand de 1906 qui a servi de base à la fixation du tracé de la frontière dans cette région. Face à cet exposé très dense du défendeur226, le demandeur va tout simplement rappeler avec insistance qu'il s'agit ici « d'un problème de démarcation et non de délimitation »227. Ce genre d'arguments de la part du Cameroun ne pouvait que conférer une large part de manoeuvre aux juges.

6- Tipsan, point litigieux N°12

A Tipsan, la frontière est définie par les paragraphes 40 et 41 de la déclaration Thomson-Marchand228. Dans cette zone, bien que les parties se soient mises d'accord sur l'interprétation de ces paragraphes comme l'a observé la Cour229, elles sont néanmoins restées séparées sur l'identification, mieux encore, sur la démarcation du lieu dit Tipsan.

7- le point N°14) La région des monts Hambere

Elle est la dernière zone litigieuse de la frontière terrestre Nigeria-Cameroun définie par la déclaration Thomson-Marchand. Comme le rappelle la Cour, la frontière ici est fixée par les paragraphes 60 et 61 de cette déclaration230. Et comme toujours, les deux protagonistes ne partageaient pas le même point de vue sur l'interprétation à donner à ces dispositions.

Pour le Nigeria, le pic qui est décrit dans la déclaration comme « assez proéminent »,

et pour lequel la version anglaise du texte ajoute le qualificatif « pointu », serait « Itang

224 Arrêt, p. 79, par. 126 et 127.

225 Arrêt, p. 80, par. 130.

226 Arrêt, pp. 80-81, par 131.

227 Arrêt, p. 81, par. 132.

228 Arrêt, p. 87, par. 153.

229 Arrêt, p. 87, par. 154.

230 Arrêt, p. 88, par. 161.

Hill ». Que ce pic n'étant toutefois pas sur la ligne de partage des eaux, il conviendrait de tracer la frontière en joignant la ligne de crête à Itang Hill au nord-est de ce sommet231.

A côté de cette démonstration tirée de la réalité du relief, le Cameroun va quant à lui réaffirmer son attachement à l'esprit de la déclaration en insistant qu'il s'agit seulement d'un problème de démarcation.

En dehors de ces points définis par la déclaration Thomson-Marchand, il y a trois autres déterminés par l'ordre en conseil de 1946.

B- LES POINTS LITIGIEUX DEFINIS PAR L'ORDRE EN CONSEIL DE 1946

Tel que cela ressort de la lecture des paragraphes 169 à 189 de l'arrêt, ces points sont deux. Ici également, l'argument d'aucun des protagonistes n'a prévalu.

1- Le point N°15) Des monts Hambere à la rivière Mburi (Lip et Yang)

En effet, la frontière dans cette zone est définie par un fragment de l'Ordre en conseil de 1946 que la Cour cite dans son paragraphe 169. Et à ce sujet, le Nigeria, toujours fidèle à sa politique réaliste essaye de démontrer les défectuosités entachant ledit texte étant donné que selon lui, il ne correspond pas à la topographie locale232. Quant au Cameroun, le problème n'était pas très complexe comme voulait le faire croire le Nigeria. Il s'agissait d'une simple question de démarcation de la ligne décrite dans l'ordre en conseil de 1946233. Après cette zone litigieuse, il y a également la zone de la rivière Sama où l'Ordre en conseil fut retenu (étant donné que le point litigieux N°16 fut reconnue au Nigeria).

2- Le point litigieux N°17) La rivière Sama

Comme le souligne la Cour dans le paragraphe 185 de l'arrêt, c'est l'Ordre en conseil de 1946 qui fixe la frontière dans cette zone: « de la borne 64 de l'ancienne frontière angloallemande, la ligne remonte la rivière Gamana jusqu'à son confluent avec la rivière Sama ; de là, elle remonte la rivière Sama jusqu'au point où celle-ci se divise en deux ; de là, elle suit une ligne droite jusqu'au point le plus élevé du mont Tosso ».

231 Arrêt, p. 89, par. 162.

232 Arrêt, p. 91, par. 170.

233 Arrêt, p. 91, par. 171.

Et comme toujours, le Nigeria va asseoir se plaidoirie sur la défectuosité du texte applicable en préconisant à la Cour de retenir l'affluent sud de la rivière Sama pour indiquer le point où elle « se divise en deux »234. Le Cameroun, pour sa part, demande à la Cour de retenir l'affluent nord de la rivière Sama étant donné qu'il est celui qui « a toujours été pris en compte par les deux parties pour le tracé de la frontière »235.

En effet, qu'il s'agisse des points définis par la déclaration Thomson-Marchand ou ceux fixés par l'Ordre en conseil de 1946, ce qui nous semble important ici c'est le fait que la Cour y a retenu des solutions intermédiaires ou neutres. D'où l'urgence d'examiner son raisonnement sur ces points.

II- L'EXPOSE DU RAISONNEMENT DE LA COUR SUR LES POINTS CONCERNES

L'analyse du raisonnement de la Cour internationale de justice sur ces points litigieux est assez intéressante. Elle montre une délimitation de la frontière terrestre entièrement neutre par endroits (A), tandis que sur certains points, elle retient une délimitation mixte ou intermédiaire (B).

A- UNE DELIMITATION NEUTRE PAR CERTAINS ENDROITS

La Cour internationale de Justice a bel et bien retenu une délimitation assez neutre sur certains points litigieux de la frontière terrestre entre le Nigeria et le Cameroun. Par délimitation neutre de la frontière, on entend ici une délimitation ne militant en faveur des thèses d'aucun des deux Etats Parties au procès. Nous présenterons alors ces points d'après l'ordre retenu par l'arrêt lui-même.

1- Au point litigieux N°1) Limani

La réflexion de la Cour est contenue ici dans les paragraphes 90 et 91 de l'arrêt. Elle prend d'abord le soin de démontrer les insuffisances entachant les arguments du Cameroun. Elle estime que le bras de la rivière dont parle le Cameroun« ne saurait être retenu. Ce bras ne satisfait pas aux prévisions du paragraphe 14 de la déclaration ». Ayant invalidé

234 Arrêt, p. 95, par. 186.

235 Arrêt, p. 95, par. 187.

l'argumentation camerounaise du deuxième bras à partir du nord, la Cour va également estimer problématique le bras méridional proposé par le Nigeria, parce que ne figurant sur aucune carte.

Dès lors « la Cour constate en revanche qu'il existe un autre bras de la rivière, appelé Nargo sur la feuille « Ybiri N.W » de la carte DOS reproduite à la page 23 de l'atlas annexé à la duplique du Nigeria qui remplit les conditions posées par la déclaration Thomson-Marchand (...). La Cour considère dès lors qu'il s'agit du bras qui était visé par les rédacteurs de la déclaration Thomson-Marchand »236.

Et dans sa conclusion, la Cour estime que « la rivière visée au paragraphe 14 de la déclaration Thomson-Marchand est le bras coulant entre Narki et Tarmoa et que la frontière partant du marrais d'agzabam doit suivre ce bras jusqu'à son confluent avec la rivière Ngassaoua »237. A cet effet, la délimitation retenue à Limani est entièrement neutre, et c'est la même neutralité que la Cour adopte au point litigieux N°5.

2- Au point litigieux N°5) Du mont Kuli à Bourha/Maduguva (la ligne erronée de partage des eaux de la carte Moisel)

Sur cette zone de la frontière, les développements de la Cour sont contenus dans les paragraphes 118 et 119 de l'arrêt. En tout état de cause, elle admet clairement la validité du paragraphe 25 de la déclaration Thomson-Marchand qui prévoit expressément que « la frontière doit passer par « la ligne erronée de partage des eaux indiquée par la carte Moisel » »

Mais, malgré certaines erreurs que contient cette carte, la Cour va d'abord rejeter l'argumentation camerounaise aux motifs que la ligne erronée de partage des eaux dont elle fait allusion se trouve en effet sur toute sa longueur à l'ouest du méridien de 130 30' de longitude est, et non à l'est comme le prévoit la carte Moisel. Elle rejettera également la ligne erronée de partage des eaux proposée par le Nigeria parce que son tracé est brisé et non sinueux comme l'indique la carte Moisel.

Après avoir fragilisé les arguments des deux parties, la Cour conclut que le paragraphe 25 de la déclaration Thomson-Marchand doit être interprété comme faisant passer la frontière du Mont Kuli au point marquant le début de « ligne erronée de partage des eaux », situé par 130 31'47» de longitude est et 100 27' 48» de latitude nord ; point qu'elle rejoint en suivant la ligne correcte de partage des eaux. Puis de ce point, la frontière suit le tracé de « ligne erronée

236 Arrêt, p. 71, par. 90 in fine.

237 Ibid, par. 91. Voir aussi le croquis n°4 en annexe.

de partage des eaux » jusqu'au point marquant la fin de cette ligne, qui se trouve par 130 30' 55» de longitude est et 100 15'46» de latitude nord238.

En effet, le recours aux données astronomiques ici montre que la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria continue à demeurer artificielle. Bref, l'important c'est l'application des textes pertinents de délimitation. Et c'est cette application impartiale des instruments de délimitation qui conduira encore la C.I.J à retenir une délimitation neutre à la source de la rivière Tsikakiri.

3- A la source de la rivière Tsikakiri, point litigieux N°7

Dans cette zone de la frontière terrestre, le raisonnement de la Cour est contenu dans les paragraphes128 et 129 de l'arrêt. Tout d'abord la Cour reconnaît la complexité qui entoure l'application du paragraphe 27 de la déclaration Thomson-Marchand dans cette zone. Constatant avec les parties que la rivière Tsikakiri présente effectivement plusieurs sources contrairement à « la source» dont parle le texte applicable, la C.I.J va alors préciser sa tâche en l'espèce. Celle-ci est d'identifier la source par laquelle les rédacteurs de la déclaration Thomson-Marchand entendaient faire passer la frontière.

Et dans sa conclusion, elle estime que « la frontière dans la région visée au paragraphe 27 de la déclaration Thomson-Marchand part du point de coordonnées 130 17' 50» de longitude est et 100 03' 32» de latitude nord qui se trouve aux abords de Dumo. Puis, de ce point, la frontière rejoint par une ligne droite le point que la Cour a interprété comme étant « la source du Tsikakiri » mentionnée par la déclaration, avant de suivre le cours de cette rivière »239. Ici, comme au point litigieux N°5, la Cour a fait référence aux données astronomiques marquant ainsi l'artificialité de la source de la rivière Tsikakiri. Ce qui est quand même paradoxal lorsqu'on sait qu'une rivière a toujours une source qui soit géographiquement identifiable; c'est à dire naturelle. Mais la Cour ne faisait que faire son travail: appliquer le droit. Dans cet élan, elle arriva également à une délimitation entièrement neutre à Tipsan.

4- A Tipsan, point litigieux N°12

Sur ce point de la frontière terrestre, le raisonnement de la Cour brille par son laconisme. En effet, compte tenu de la prolixité des arguments des parties, la Cour souligne d'abord l'accord spontané des parties de faire passer la frontière par une ligne parallèle à la

238 Arrêt, p. 78, par. 119, in fine.

239 Arrêt, p. 80, par. 129. Voir également le croquis N°6 en annexe.

route Fort-Lamy-Baré et distante de celle-ci de 2 kilomètres à l'ouest, comme le prévoit le paragraphe 41 de la déclaration Thomson-Marchand240. Toutefois, prenant acte de cet accord, la Cour détermine le point d'aboutissement de ce segment de la frontière « à environ 2 kilomètres au sud-ouest du point où le Mayo Tipsal est traversé par la piste» comme correspondant aux coordonnées 120 12' 45» de longitude est et 70 58'49» de latitude nord.

De toute évidence, le recours à une délimitation basée sur les données astronomiques était pour la Cour une preuve d'impartialité et pour les parties un gage de neutralité. C'est encore cet effort d'impartialité qui a marqué la délimitation opérée dans la région des monts Hambere.

5- Au point litigieux N°14) la région des monts Hambere

La Cour articule son raisonnement relatif à cette zone de la frontière terrestre nigéro camerounaise sur les paragraphes 164 à 168 de son arrêt. Tout d'abord, elle reconnaît que les paragraphes 60 et 61 de la déclaration Thomson-Marchand soulèvent des problèmes d'interprétation dans la mesure où ils font passer la frontière par « un pic assez proéminent » sans toutefois le préciser241. Néanmoins, la Cour estime que ces extraits de la déclaration Thomson-Marchand contiennent un certain nombre d'indications utiles pour retrouver ce « pic assez proéminent » par lequel doit passer la frontière242. Après l'analyse des documents cartographiques fournis par les parties, la Cour rejette la proposition nigériane concernant Itang Hill243. Elle estime au contraire que « lorsqu'on suit la ligne de partage des eaux passant au travers des monts Hambere en venant de l'est, comme le prévoit le paragraphe 60 de la déclaration, on aboutit à un mont fort proéminent et particulièrement marqué, le mont Tamnyar, qui remplit les conditions prévues par la déclaration Thomson-Marchand et culmine à une altitude supérieure à celle d'Itang Hill »244.

Et dans sa conclusion sur ce point, la Cour estime que « le paragraphe 60 de la déclaration Thomson-Marchand doit être interprété comme faisant passer la frontière par la ligne de partage des eaux aux travers des monts Gesumi ou Hambere, telle qu'indiquée sur la feuille NB-32-XVIII - 3a-3b de la carte au 1/50 000e du Cameroun établie en 1955 par l'IGN

240 Arrêt, p. 87, par. 155.

241 Arrêt, p. 89, par. 164.

242 Ibid, par. 165.

243 Ibid, par. 166.

244 Ibid, par. 167.

et produite en l'instance par le Nigeria, jusqu'au pied du mont Tamnyar, mont que la Cour a identifié comme constituant le « pic assez proéminent » visé par la déclaration »245.

Malgré cet effort d'impartialité manifesté par la Cour, on peut néanmoins lire dans sa position une certaine tendance à satisfaire les thèses de la partie demanderesse. En effet, si les paragraphes 60 et 61 de la déclaration ne précisent pas expressément le « pic assez proéminent » par lequel doit passer la frontière, lorsque la Cour arrive à le fixer au mont Tamnyar, n'est-ce pas là une façon d'opérer une démarcation, même implicite ? Mais la Cour l'a elle même dit, son travail n'est ni de délimiter de novo, la frontière, ni de la démarquer. Il consiste à expliquer aux parties l'esprit des rédacteurs des instruments pertinents de la délimitation. Le même esprit d'indépendance de la Cour vis-à-vis des parties se fait ressentir dans la zone des monts Hambere.

6- Dans la zone des monts Hambere à la rivière Mburi (Lip et Yang)

Les développements de la Cour s'illustrent ici par leur densité. Ils vont du paragraphe 172 au paragraphe 179 de l'arrêt246. La Cour commence par constater, comme l'a fait le Nigeria, que l'interprétation de l'ordre en conseil de 1946 soulève deux difficultés essentielles. La première difficulté est liée à l'identification du pic proéminent, et la seconde est liée à la détermination du tracé de la frontière au delà de ce point247.

En ce qui concerne le pic proéminent, la Cour estime qu'il ne s'agit pas de celui dont parle le paragraphe 60 de la déclaration Thomson-Marchand. Ce pic ne correspond non plus à Tonn Hill comme l'a suggéré le Nigeria. Elle estime que « les critères d'identification du pic proéminent posés par l'ordre en conseil ne permettent d'identifier ni Tonn Hill, ni Itang Hill, ni le mont Tamnyar, ni aucun autre mont précis comme étant ce pic proéminent par lequel doit passer la frontière »248. Néanmoins, la Cour souligne que « l'ordre en conseil de 1946 prévoit en effet que le « pic proéminent » par lequel il fait passer la frontière se trouve sur une crête de montagnes qui marque l'ancienne frontière franco-britannique »249. Que cette crête de montagne étant aisément identifiable, l'intention des rédacteurs de l'ordre en conseil était de faire passer la frontière par cette ligne de crête. Dès lors, la ligne de partage des eaux aux travers des monts Hambere, sur laquelle se trouve le mont Tamnyar, se prolonge naturellement jusqu'à la ligne de crête qui marque l'ancienne frontière franco-britannique et à partir de laquelle commence la partie de la frontière délimitée par l'ordre en conseil de 1946.

245 Ibid, par. 168. Voir également le croquis N°10 joint à l'arrêt en annexe.

246 Voir arrêt, pp. 92-94.

247 Arrêt, p. 92, par. 172.

248 Ibid, par. 173.

249 Ibid, par. 174. Voir le croquis N°10 joint à l'arrêt en annexe.

Il est très curieux ici de voir avec quelle technique la Cour a fait disparaître le « pic proéminent » visé par l'ordre en conseil pour ne retenir que la « ligne de crête »250. On peut se demander si la recherche poussée de l'esprit des rédacteurs des textes applicables n'a pas conduit la Cour à donner ses propres estimations. Mais qu'à cela ne tienne, il est à remarquer que la solution de la Cour ne donne particulièrement raison à aucune des deux parties sur ce point.

Après avoir résolu le problème de l'identification du pic proéminent qui doit désormais être entendu comme ligne de crête, la Cour a recherché le tracé de la frontière à partir de cette ligne de crête. Ce faisant, elle a confirmé la valeur juridique de l'ordre en conseil de 1946 en tant que seul instrument de délimitation internationalement reconnu à l'occasion du rattachement du Cameroun méridional sous mandat britannique au Cameroun indépendant251. Elle constate que cet instrument de délimitation contient un grand nombre d'informations sur le tracé de la frontière dans cette région252. Ainsi, en examinant attentivement les cartes fournies par les parties, la Cour remarquera que le tracé de la frontière de l'ordre en conseil ne correspond ni à la ligne réclamée par le Cameroun, ni à celle réclamée par le Nigeria253. Dès lors, on ne pouvait plus que s'attendre à une délimitation véritablement neutre sur ce point. Après des motifs extrêmement riches et enrichissants exposés dans le paragraphe 178 de l'arrêt, la Cour arrive à une conclusion assez composite. Cette décision tient compte de l'accord des parties concernant la frontière située à l'ouest de Nyam et consistant à faire passer la frontière par le cours de la rivière Mburi (Maven ou Ntum). La Cour conclut en effet que « d'est en ouest, la frontière suit en premier lieu la ligne de partage des eaux aux travers des monts Hambere depuis le mont Tamnyar jusqu'à ce que cette ligne atteigne la ligne de crête marquant l'ancienne frontière franco-britannique. Conformément à l'ordre en conseil de 1946, la frontière suit ensuite cette ligne de crête vers le sud, puis vers l'ouest-sud-ouest jusqu'à la source de la rivière Namkwer. La frontière emprunte alors le cours de la rivière Namkwer jusqu'à son confluent avec la rivière Mburi ; à 1 mille nord de Nyam. De ce point, la frontière suit le cours de la rivière Mburi. (...). »254.

Cette décision assez équilibrée consistait certainement à tenir compte des thèses des deux parties sans pour autant s'y appuyer. C'est le même constat qui se dégage de l'examen de l'attitude de la Cour dans la zone de la rivière Sama.

250 La ligne de crête désignant « une ligne idéale reliant les sommets les plus élevés d'une chaîne unique », voir à

cet effet, Ch. ROUSSEAU, Précis de Droit international public, Paris, Dalloz , 1970, 5e édition, p. 163.

251 Arrêt, p. 93, par. 175.

252 Ibid, par. 176.

253 Ibid, par. 177.

254 Arrêt, p. 94, par. 179. Voir aussi le croquis N°10 de l'arrêt en annexe.

7- Dans la zone de la rivière Sama ; point litigieux N°17

Ici, la Cour reconnaît à la suite du Nigeria que l'ordre en conseil de 1946 soulève des difficultés d'interprétation pour identifier lequel des affluents de la rivière Sama à prendre en considération. Dans un vaste paragraphe 188 de l'arrêt, la Cour démontre que d'après la carte Moisel, les deux affluents ont la même longueur et la même importance. Et ne disposant d'aucune donnée concernant le débit des affluents, elle ne saurait accueillir l'argument du Nigeria. De même, constatant que la partie demanderesse ne fournit aucune preuve établissant l'affluent nord comme le seul utilisé dans la pratique, la Cour rejette la thèse camerounaise.

Après avoir invalidé les deux thèses en conflit, la Cour affirme clairement l'applicabilité de l'ordre en conseil de 1946 sur cette partie de la frontière terrestre. << La lecture du texte de l'ordre en conseil permet de déterminer quel est l'affluent à retenir pour la détermination de la frontière ». De ce fait, la Cour établit un rapprochement entre l'ordre en conseil de 1946 et la déclaration Thomson-Marchand en ce qu'ils décrivent la frontière à l'aide << des caractéristiques physiques du paysage » ceci dans le but de la rendre plus aisément identifiable. Dans sa dynamique de recherche de l'esprit des rédacteurs du texte applicable, la Cour estime que ceux de l'ordre en conseil entendaient faire passer la frontière par le premier confluent rencontré sur la rivière en venant du nord. Ce qui conforterait l'argumentation du Cameroun255. Dès lors, on pouvait penser que la délimitation opérée ici fait la part belle au Cameroun. Et pourtant dans sa conclusion, la Cour va adopter des termes assez imprécis tout en se référant aux données astronomiques.

La lecture du paragraphe 189 de l'arrêt est assez évocatrice : « L'ordre en conseil britannique de 1946 doit être interprété comme faisant passer la frontière par la rivière Sama jusqu'au point où aboutit son premier affluent, point de coordonnées 100 10' 23» de longitude est et 60 56' 29» de latitude nord, que la Cour a identifié comme étant celui, visé par l'Ordre en conseil, où la rivière Sama « se divise en deux », puis, de ce point, par une ligne droite jusqu'au point le plus élevé du mont Tosso. »256. Il semble que cet attachement aux coordonnées astronomiques au détriment des indices naturels proposés par les instruments applicables visait l'expression d'une forte impartialité de la part de la Cour. Mais jusqu'où pouvait-elle aller dans cette oeuvre en échappant au rôle forcement distributif que devait avoir sa décision? L'impartialité de la Cour demeure pourtant la base de la confiance que lui font les Etats. Malgré la rigueur de son raisonnement sur ces points litigieux, la Cour a également consacré des zones mixtes ou intermédiaires.

255 Voir arrêt, p. 96, par. 188, in fine.

256 Ibid, par. 189.

B- UNE DELIMITATION MIXTE OU INTERMEDIAIRE PAR D'AUTRES ENDROITS

Sur l'ensemble des dix sept points litigieux qui constituaient la frontière terrestre, deux seulement ont connu une délimitation assez mixte ou intermédiaire. On entend par délimitation mixte ici, et contrairement à la délimitation neutre, celle où la Cour a donné raison en partie à chacune des deux parties concomitamment. Ces deux points litigieux sont le point litigieux N°4 (1), et le point litigieux N°8 (2).

1- Dans la zone de la ligne de partage des eaux de Ngosi à Humsiki

(Roumsiki) /Kamale/Turu (les monts Mandara)

En effet, la détermination du tracé de la frontière dans la zone de la ligne de partage des eaux de Ngosi à Humsiki n'a pas été aisée. C'est le point de la frontière terrestre sur lequel la démarche juridique camerounaise a tenté pour la première fois de se détacher de la déclaration Thomson-Marchand, tandis que le Nigeria s'y attachait fermement257. Face à ce revirement de politique juridique des deux Etats, la Cour va essayer de jouer au médiateur. Ainsi dans un argumentaire contenu dans neuf paragraphes, la Cour déroule sa vision des faits258. Elle commence alors par préciser sa tâche : « la tâche de la Cour est donc de déterminer le tracé de la frontière en se référant aux termes de la déclaration Thomson-Marchand, c'est-à-dire essentiellement à la ligne de crête, à la ligne de partage des eaux et à des villages devant être situés de part et d'autre de la frontière »259. Et c'est à travers la délimitation tronçon par tronçon qu'elle va tantôt faire valoir la thèse nigériane, tantôt la thèse camerounaise.

- De Ngosi à Turu, la Cour estime que la frontière suit effectivement la ligne de partage des eaux comme le prévoit le paragraphe 20 de la déclaration Thomson-Marchand. Elle note à cet effet qu' « il n'est pas contesté par les parties que la frontière passe par la ligne de partage des eaux ». Néanmoins, elle rejette la ligne proposée par le Cameroun au motif qu'elle coupe plusieurs cours d'eau. De ce fait même, elle accorde plus de crédit à celle proposée par le Nigeria. Mais c'est la situation du village Turu qui va faire l'objet de l'originalité de la position de la Cour. En effet, bien que ce village camerounais se soit étendu en territoire nigérian, la Cour va laisser sa détermination entre les mains des deux

257 Voir à cet effet l'arrêt, p. 75, par. 104 et 105, précités

258 Arrêt, pp. 75-77, par. 106-114.

259 Arrêt, p. 75, par. 106.

protagonistes. Elle pense ainsi se conformer à l'esprit de la déclaration Thomson-Marchand lorsqu'elle rappelle par ailleurs que « si elle peut interpréter les dispositions des instruments de délimitation lorsque leur libellé appelle une telle interprétation, elle ne saurait en revanche modifier le tracé de la frontière tel que ces instruments l'établissent ». Que dès lors elle ne saurait modifier la ligne frontière. Et que « s'il était avéré que le village de Turu s'est étendu en territoire nigérian au delà de la ligne de partage des eaux, il appartiendrait aux parties de trouver une solution aux problèmes qui en résulteraient aux fins d'assurer le respect des droits et intérêts de la population locale ». En définitive, dans ce tronçon, et contrairement aux estimations camerounaises260, c'est par la ligne de partage des eaux préconisée par le Nigeria que passe la frontière261.

- De Turu à Mabas, ici la Cour souligne que selon le tracé préconisé par les paragraphes 21 et 22 de la déclaration Thomson-Marchand, il y a une divergence de vues entre les parties au sud de Wisik, et près de Mabas. Si la Cour estime que la ligne de partage des eaux proposée par le Cameroun près de Mabas pose problème, elle la retient par ailleurs dans la zone de Wisik. Et dans l'ensemble, sans faire valoir la ligne proposée par le Nigeria, la Cour rappelle que selon la déclaration, la frontière laisse Mabas du côté français. Et que dès lors, « la frontière doit donc, à cet endroit, suivre la ligne de partage des eaux tout en laissant l'entièreté du village Mabas du côté camerounais ». Dans ce tronçon de la frontière terrestre, il semble alors que c'est néanmoins la thèse camerounaise qui fait foi262.

- Dans son très court paragraphe 109, la Cour souligne tout simplement que de Mabas à Ouro Mavoum, l'emplacement de la ligne des partages des eaux ne fait l'objet d'aucune discussion entre les parties. Cette solution qui est assez laconique n'est pas pourtant très reluisante. Il nous semble que la Cour aurait mieux fait en donnant son point de vue sur la délimitation dans ce tronçon. Mais on ne saurait lui reprocher de faire confiance à la bonne foi des parties.

- Dans le tronçon d'Ouro Mavoum à la montagne de Jel via Humsiki, la Cour souligne que le tracé proposé par le Cameroun, quoique correspondant à la ligne de partage des eaux, ne satisfait à l'esprit du paragraphe 22 de la déclaration Thomson-Marchand. Qu'il convient

260 Contenues au par. 105, p. 75.

261 Voir à cet effet, arrêt, p. 75, par. 107.

262 Arrêt, p. 76, par. 108.

dès lors de retenir que dans ce tronçon « la frontière suit la ligne proposée par le Nigeria tout en laissant sur toute sa longueur la route en territoire Camerounais »263.

- C'est encore le tracé proposé par le Nigeria qui sera retenu dans la zone allant De la montagne de Jel à Mogodé264.

- Dans le tronçon allant De Mogodé à Humsiki (Roumsiki), la Cour donne raison à la partie nigériane même comme concrètement la délimitation ainsi opérée est beaucoup plus avantageuse au Cameroun. C'est là où l'on retrouve tout le caractère intermédiaire de la position de la C.I.J : « la frontière continue à suivre la ligne de partage des eaux, tout en laissant en permanence la route en territoire camerounais (...). La ligne nigériane semble convenir davantage pour autant toutefois que la route reste en tout point du côté camerounais de la frontière et que cette ligne laisse l'entièreté de Humsiki au Cameroun »265. Cette préoccupation implicite de la Cour de satisfaire les deux parties sur ces zones de la frontière terrestre est toutefois très extraordinaire. On peut se demander comment l'Etat de la République du Nigeria s'est constitué avocat du Cameroun devant la Cour...toutefois, la même impression demeure à la lecture du raisonnement de la Cour au dernier tronçon.

- Dans le tronçon allant Au-delà de Humsiki, « la frontière continue à suivre la ligne proposée par le Nigeria. Cette ligne apparaît au demeurant plus avantageuse pour le Cameroun que celle reproduite sur ses propres cartes »266. En tout état de cause, la lecture de ces paragraphes de l'arrêt du 10 octobre 2002 semble ressortir parfois le caractère paradoxal des politiques juridiques du Cameroun et du Nigeria267. Néanmoins la Cour a dit le droit et il faut s'en réjouir. Et dans le paragraphe 114 de l'arrêt, elle conclut brièvement que « dans la région allant de Ngosi à Humsiki, la frontière suit le tracé décrit par les paragraphes 20 à 24 de la déclaration Thomson-Marchand tels que précisés par la Cour » 268. La délimitation opérée par la Cour a également été assez mixte dans la zone de la borne frontière N°6 à Wammi Budungo.

263 Arrêt, p. 76, par. 110.

264 Arrêt, p. 76, par. 111.

265 Ibidem, par. 112.

266 Ibidem, par. 113.

267 Le Nigeria (défendeur) aurait alors de bons arguments juridiques qui profitent au Cameroun (demandeur). Tandis que le Cameroun souffrirait miraculeusement d'un manque d'arguments. Et surtout, comme le souligne la Cour « ... et le Cameroun ne s'est opposé en tout état de cause à aucun moment aux prétentions du Nigeria à cet endroit de la frontière » (cf. Arrêt, p. 76, par. 113 in fine).

268 Arrêt, p. 77, par. 114.

2- Dans la zone de la borne frontière N°6 à Wammi Budungo

Le problème majeur dans cette partie de la frontière terrestre résidait dans le fait que les dispositions des paragraphes 33 et 34 de la déclaration Thomson-Marchand y afférentes sont devenues vétustes. En effet, comme l'a rappelé la Cour « l'interprétation des paragraphes 33 et 34 de la déclaration Thomson-Marchand soulève une difficulté dès lors que ces dispositions font passer la frontière par trois bornes dont à tout le moins deux ont aujourd'hui disparu »269. Mais, la Cour va d'abord se rallier à la position nigériane quant à l'identification des bornes n°6 et 7 conformément au texte de l'annexe I à l'accord angloallemand de 1906. Elle s'exprime en ces termes : « le point indiqué par le Nigeria comme correspondant à la borne N°6 et situé par 120 53' 15» de longitude est et 90 04' 19» de latitude nord reflète bien les termes de la description qu'en donne l'accord, puisqu'il se trouve sur la rive gauche du Mao Hesso à 3 kilomètres au nord-ouest du village de Beka. La cour estime de même que le point indiqué par le Nigeria comme correspondant à la borne N°7 et situé par 120 51' 55» de longitude est et 90 01' 03» de latitude nord doit être retenu »270. Le raisonnement de la Cour ici n'est pas loin d'être militantiste. En effet, pour la Cour, bien que le Nigeria n'apporte pas la preuve de ses allégations, sa démonstration relative au positionnement de la borne N°7 «correspond en effet à ce que prévoit l'accord angloallemand de 1906, et ce d'autant plus qu'il s'agit de la seule éminence rocheuse présente dans cette région »271.

Sans entièrement léser la partie demanderesse, la Cour va faire valoir l'argument du Cameroun quant à l'emplacement de la borne N°8. « C'est le point proposé par le Cameroun, de coordonnées 120 49' 22» de longitude est et 80 58' 18» de latitude nord qui doit être retenu, dès lors qu'il remplit tant les conditions posées par l'accord de 1906 que celles prévues au paragraphe 34 de la déclaration Thomson-Marchand »272.

Si la déclaration retenue par la Cour ici intègre bien concomitamment la position de l'Etat défendeur et celle de l'Etat demandeur, on peut toutefois s'interroger sur la valeur probante de l'accord anglo-allemand de 1906 face à la déclaration Thomson-Marchand. Mais dans son effort habituel d'appliquer la déclaration, la Cour conclut dans cette zone que « les paragraphes 33 et 34 de la déclaration Thomson-Marchand doivent être interprétés comme faisant passer la frontière par les points qu'elle a identifiés comme correspondant aux bornes N°6,7, et 8 visées dans ces paragraphes et situés aux coordonnées susmentionnées »273.

269 Arrêt, p. 81 par. 133.

270 Ibidem.

271 Ibidem.

272 Ibidem, in fine.

273 Arrêt pp. 81-82, par. 134. Voir également le croquis n°7 en annexe.

Tout compte fait, la frontière terrestre du lac Tchad à Bakassi telle que précisée par la Cour a été une opération très difficile. Très tôt la Cour s'est refusée d'opérer une nouvelle délimitation de la frontière. Elle a également précisé qu'elle ne la démarquait point. Toutefois, la longue analyse des développements qu'elle confère à cette partie de son arrêt nous conduit à des constats tout au moins controversés. On peut penser que la Cour a souvent donnée des solutions idoines aux querelles camerouno-nigérianes. Tantôt, elle a fait valoir les arguments de l'un au détriment de l'autre, et vice versa. Tantôt encore, elle a donné des solutions mixtes intégrant les deux thèses en conflit. Néanmoins, la délimitation « non de novo » à laquelle elle est parvenue peut à quelques égards être qualifiée de « de novo » dans la mesure où bien que axée sur des textes historiques, elle a le mérite d'être la lecture jurisprudentielle au 21e siècle des instruments de délimitation relevant de l'époque coloniale en Afrique.

Mais l'on peut encore regretter le fait que la Cour ne soit pas parvenue à une délimitation entière et définitive de cette frontière terrestre. Si l'on peut saluer la paix des braves réalisée par les parties à l'occasion de leur accord devant la Cour pour fixer la borne 64 et la fin de la frontière définie par l'ordre en conseil de 1946274, il est à déplorer le fait que la Cour laisse un ensemble d' « autres points» indéterminés au seul motif que « aucune conclusion n'a cependant été présentée par les parties sur ces points »275. Bref, il faut admettre avec Pierre D'ARGENT que cet arrêt du 10 octobre 2002 est riche d' « enseignements »276. Ceci peut nous pousser à nous interroger sur la portée opératoire de la délimitation ainsi retenue.

274 Voir arrêt p. 96, par. 190.

275 Voir arrêt, p. 97, par. 191.

276 P. D'ARGENT, « Des frontières et des peuples : l'affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria (arrêt sur le fond) », A.F.D.I, 2002, op. cit., passim.

CHAPITRE IV :

UNE FRONTIERE TERRESTRE D'UNE DELIMITATION DE PORTEE
JURISPRUDENTIELLE MITIGEE ET D'APPLICATION DIFFICILE

En effet, l'arrêt du 10 Octobre 2002 a le mérite d'avoir mis fin aux débats camerounonigerians devant la Cour internationale de justice de la Haye. Mais depuis cette date, l'on est rentré dans le cycle des négociations diplomatiques classiques pour essayer de traduire en termes concrets le dispositif de cette décision277. Si jusqu'à nos jours, cet arrêt continue à susciter des questions, c'est certainement parce que la portée jurisprudentielle de la délimitation de la frontière terrestre qu'il consacre demeure assez mitigée (section 1) ce qui rend inévitablement son application concrète difficile (section 2).

SECTION 1 : LA PORTEE MITIGEE DE LA VALEUR JURISPRUDENTIELLE DE
LA DELIMITATION DE LA FRONTIERE TERRESTRE DANS L'ARRET
DU 10 OCTOBRE 2002

Nous essayerons de montrer que l'arrêt du 10 octobre 2002, à travers la délimitation de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria qu'il opère, demeure néanmoins d'une importance assez nuancée au plan jurisprudentiel. Si le but poursuivi dans la résolution contentieuse des différents frontaliers a été atteint (I), Il faut cependant déplorer la méthode avec laquelle la Cour y parvient. D'où l'imprécision sur sa classe jurisprudentielle (II).

277 En effet, s'étant d'abord réunis à Paris le 05 septembre 2002 devant le Secrétaire Général des Nations Unies S.E.M KOFI ANNAN, en prélude à la décision de la C.I.J sur l'affaire de la frontière commune de leurs deux Etats, les présidents OLUSEGUN OBASANJO du Nigeria et Paul BIYA du Cameroun se rencontreront encore à Genève le 15 Novembre 2002 toujours devant le Secrétaire Général de l'ONU pour lui dire leur engagement au respect de l'arrêt du 10 octobre par la C.I.J.

Cf. Commission mixte des Nations Unies pour la mise en oeuvre de l'arrêt de la C.I.J du 10 Octobre 2002, 11e Session, Yaoundé, Hôtel Hilton, du 18 au 19 Août 2004, pp. 12-12.

I- LA RECHERCHE DU MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA COOPERATION DANS LES RELATIONS CAMEROUNONIGERIANES

De toute évidence, la Cour internationale de justice mesurait bien l'enjeu de la délimitation de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria qu'elle a opérée le 10 octobre 2002. Bien qu'elle ait tenu à le rappeler, cette délimitation était non « de Novo »278, il fallait néanmoins mettre fin à la situation de crise279 et de guerre permanente280 qui prévalait tout le long de cette frontière depuis plus de dix ans. Ainsi, aussi difficile que cela puisse paraître, la Cour a laissé une grande marge pour le maintien de la paix entre le Cameroun et le Nigeria dans la rédaction de son arrêt (A); ce qui a pour corollaire l'encouragement de la coopération entre ces deux Etats (B).

A- LA RECHERCHE DU MAINTIEN DE LA PAIX ENTRE LES DEUX PROTAGONISTES

La lecture de la délimitation de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria par la Cour Internationale de Justice laisse comprendre que, bien que celle-ci était animée du souci de donner une réponse définitive aux revendications de ces deux Etats sur la question centrale de la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi, elle n'a pas perdu de vue le fait que ces deux Etats du Golfe de Guinée étaient voisins et devait le rester. C'est pourquoi à la fin de son dispositif, elle ordonne les mêmes obligations aux deux Parties. Nous n'oublions pas le fait que tout le long de la frontière allant du Lac Tchad à Bakassi, la Cour a alterné la reconnaissance des zones nigérianes et des zones camerounaises y compris aussi la consécration des points intermédiaires. Avant de voir les obligations imposées au Cameroun (2), visitons d'abord celles incombant au Nigeria (1).

1- Les obligations imposées à la République fédérale du Nigeria

Dans le point V.A de son dispositif, la Cour adresse une injonction au Nigeria dans le but de mettre fin aux opérations militaires sur la frontière terrestre entre le Cameroun et lui. Par quatorze voix contre deux, la Cour «décide que la République fédérale du Nigeria est

278 « La tâche de la Cour n'est donc ni de procéder à une délimitation de novo de la frontière, ni de démarquer celle-ci ». Voir, arrêt, p. 69, par. 84 in fine.

279 H. MBGALE MBGATOU, « la politique camerounaise de résolution pacifique de la crise de Bakassi », Thèse de doctorat 3é cycle, op. cit., passim.

280 Z. NGNIMAN, Nigeria Cameroun la guerre permanente ?, op. cit., passim.

tenue de retirer dans les plus brefs délais et sans condition son administration et ses forces armées et de police des territoires relevant de la souveraineté de la République du Cameroun conformément aux points I et II du présent dispositif »281. Il va de soi que le retrait de ces soldats ordonné par la Cour était une façon pour celle-ci de normaliser et de stabiliser la frontière terrestre ainsi définie, surtout que la même obligation pesait également sur le Cameroun.

2- Les obligations imposées à la République du Cameroun

C'est à l'unanimité que la C.I.J va demander au Cameroun de se retirer des territoires qui relèveraient de la souveraineté de la république fédérale du Nigeria. La Cour, à l'unanimité donc, « décide que la République du Cameroun est tenue de retirer dans les brefs délais et sans condition toutes administration ou forces armées ou de police qui pourraient se trouver sur des territoires relevant de la souveraineté de la République fédérale du Nigeria conformément au point II du présent dispositif »282. Elle rappelle d'ailleurs que la même obligation pèse également sur le Nigeria conformément au point II du dispositif.

Dès lors, on peut comprendre que la C.I.J en tant que « organe judiciaire principal des Nations Unies »283 essaye toujours de maintenir la paix et l'équilibre dans les rapports inter étatiques. Et comme le souligne un document publié par la C.I.J elle même, « le but ultime de la Cour est, lorsqu'il existe un conflit, d'ouvrir la voie à l'harmonie internationale284. Il semble alors qu'à travers ces injonctions adressées aux deux parties, c'est en filigrane l'idée de la restauration de l'harmonie qui y était cachée. A travers cette harmonie rejaillirait la coopération.

B- L'ENCOURAGEMENT DE LA COOPERATION ENTRE

LE CAMEROUN ET LE NIGERIA

Comme nous l'avons souligné plus haut, l'arrêt du 10 octobre 2002 a permis à la Cour de rechercher l'harmonie et la paix dans les relations entre la République du Cameroun et la République fédérale du Nigeria. Mais la Cour ne s'est pas contentée de ce retour à la normale. Elle a implicitement encouragé le rétablissement de la coopération entre ces deux Etats à travers la prise en compte de l'engagement du Cameroun (1) et le refus de prononcer la responsabilité internationale du Nigeria (2).

281 Voir arrêt du 10 octobre 2002, p.149, point V. A.

282 Voir arrêt du 10 octobre 2002, p.149, point V. B.

283 Conformément à l'article 1 de son statut et à l'article 92 de la charte des Nations Unies.

284 Voir, La C.I.J, 1946-1996, la Haye, 4è édition, 1996, p.71.

a) La prise en compte de l'engagement du Cameroun

La République du Cameroun avait pris un engagement devant la Cour en faveur des populations nigérianes installées sur son territoire. Cet engagement, la Cour l'a accepté par quinze voix contre une. Aussi, la Cour : « prend acte de l'engagement pris à l'audience par la République du Cameroun, par lequel celle-ci affirme que, « fidèle à sa politique traditionnellement accueillante et tolérante », elle « continuera à assurer sa protection aux Nigérians habitant la péninsule [de Bakassi] et [à] ceux vivant dans la région du Lac Tchad »285. Mais cette attitude du Cameroun ne devrait pas surprendre. Etant un Etat animé d'un pacifisme notoire dans la conduite de ses relations internationales, il ne pouvait qu'adopter une attitude susceptible de rétablir la sécurité entre son Voisin et lui. Et comme le soulignait déjà Albert MANDJACK, « la sécurité de l'Etat étant l'intérêt suprême de tout Etat, il est donc logique que tout gouvernement comme celui du Cameroun cherche dans la mesure de ses moyens à avoir des voisins qui ne soient pas une menace sinon réelle du moins potentielle pour ses intérêts. »286

A travers la prise en compte de cet engagement de la République du Cameroun en faveur des ressortissants nigérians, la C.I.J fait un point d'honneur à la coopération entre ces deux Etats. Coopération qui d'ailleurs est indispensable pour assurer la sécurité aux populations riveraines qui se trouvent ainsi divisées de part et d'autre le nouveau tracé de la frontière terrestre. Mais l'idéal de coopération entre camerounais et nigérians sera plus renforcé à travers le refus de la Cour de statuer sur la responsabilité internationale du Nigeria.

2- Le refus de prononcer la responsabilité internationale du Nigeria

C'est à l'unanimité que tous les juges de la Cour ont rejeté la demande du Cameroun tendant à déclarer le Nigeria internationalement responsable envers lui. Les termes de la Cour sont clairs et concis à cet effet : « rejette le surplus des conclusions de la République du Cameroun concernant la responsabilité internationale de la République fédérale du Nigeria »287 . En toute logique, s'il est vrai que le Nigeria occupait des territoires camerounais le long de la frontière terrestre, l'injonction de retrait de ses forces armées et de police de ces zones ordonnée par la C.I.J devait s'accompagner par le prononcé de sa responsabilité internationale face au Cameroun.

285 Voir arrêt, p.149, point. V. C.

286 A. MANDJACK, « Le Cameroun face à la crise tchadienne », Mémoire de maîtrise en science politique,

Yaoundé, septembre 1984, p. 88.

287 Voir arrêt, p. 149, point V. D.

Hélas, la Cour a fait prévaloir la coopération entre les deux Etats. Elle estime d'ailleurs que, << du fait du présent arrêt et de l'évacuation du territoire camerounais occupé par le Nigeria, le préjudice subi par le Cameroun en raison de l'occupation de son territoire aura en tout état de cause été suffisamment pris en compte. La Cour ne recherchera donc pas si et dans quelle mesure la responsabilité du Nigeria est engagée à l'égard du Cameroun du fait de cette occupation. »288. En principe pour la C.I.J, ce qui compte c'est le retour à la normale ; voilà pourquoi elle se réjouit lorsqu'elle constate que « l'exécution du présent arrêt donnera aux parties une occasion privilégiée de coopération dans l'intérêt des populations concernées afin notamment que celles-ci puissent continuer à bénéficier de services scolaires et de santé comparables à ceux dont elles jouissent actuellement. Une telle coopération sera particulièrement utile en vue du maintien de la sécurité lors du retrait de l'administration et des forces armées et de police nigérianes289.

Mais est-ce que la cessation du fait illicite constitue la réparation du dommage ? Nous sommes d'avis avec Pierre D'ARGENT que << l'auteur du fait illicite reste tenu de réparer tous les dommages dont l'effacement n'est pas réalisé par le retour à la légalité « primaire ». »290. Faut-il alors regretter l'impunité que la Cour accorde ainsi implicitement au Nigeria? De toutes les façons, la Cour a le mérite d'avoir mis fin aux débats judiciaires devant elle, quoique de manière assez mitigée.

II- LA DIFFICILE CLASSE JURISPRUDENTIELLE DE LA DECISION RETENUE

Par classe jurisprudentielle on entend ici la catégorie dans laquelle on peut ranger une décision d'une juridiction dans le répertoire de ses décisions. Aussi, il nous semble très difficile de classer l'arrêt du 10 octobre 2002 dans le répertoire des décisions de la Cour internationale de Justice. S'agit-il d'un arrêt de principe ou d'un arrêt de confirmation de jurisprudence? Dans tous les cas, il semble que l'hypothèse d'un arrêt de principe est plus proche de la réalité (A) que celle d'un arrêt de confirmation d'une jurisprudence constante ; celle-ci n'étant pourtant pas à rejeter (B).

288 Cf. arrêt, p. 144, par.319.

289 Arrêt, op. cit., p. 143, par. 316.

290 Voir P. D'ARGENT, << Des frontières et des peuples : l'affaire de frontière terrestre et maritimes entre le Cameroun et le Nigeria (arrêt de fond) », A.F.D.I, op. cit.

A- L'HYPOTHESE APPARENTE D'UN ARRET DE PRINCIPE

La Cour internationale de Justice fonde son raisonnement pour déterminer la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria sur les traités historiques conclus à l'époque coloniale. Comme nous l'avons vu plus haut, ces traités dont elle donne l'interprétation aujourd'hui ne sont pas applicables au Cameroun et au Nigeria que par le jeu de la «succession aux traités »291. Et surtout, il n'est pas assez de le rappeler, ses deux Etats avaient signé la résolution de l'O.U.A de 1964 tendant à «respecter les frontières existants au moment où ils ont accédé à l'indépendance». Cette résolution consacre ainsi le principe de l'uti possidetis juris. Dès lors il semble que le refus de la C.I.J de statuer sur l'argument du Cameroun fondé sur ce principe de l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation est assez curieux à défaut d'être incohérent. En effet, « la Cour n'a pas jugé utile de se prononcer sur les arguments relatifs à l'uti possidetis avancés par les parties pour ce qui est de Bakassi »292. Encore qu'elle n'a nulle part fait allusion à cet argument dans l'arrêt.

Elle a simplement affirmé que le Cameroun détenait un titre préexistant sur la région du Lac Tchad et dans la presqu'île de Bakassi. Que les effectivités nigérianes devaient être considérées comme «contra legem ».

Dès lors l'arrêt du 10 octobre 2002 rendu par la C.I.J en matière de délimitation de frontière semble dégager un principe : « dans le cas où le fait ne correspond pas au droit, où le territoire objet de différend est administré effectivement par un Etat autre que celui qui possède le titre juridique, il y a lieu de préférer le titulaire du titre ». Mais ce raisonnement laisse penser que ce titre territorial dont pouvait se prévaloir le Cameroun était établi entre le Nigeria et lui. Ce qui est discutable293. Voilà pourquoi l'on n'est pas loin de l'hypothèse d'un arrêt de confirmation de jurisprudence.

291 Pour approfondir la question de la succession des ex-colonies aux traités antérieures à leurs indépendances, lire S. GLASER, « Décolonisation et succession aux traités en marge du problème de la primauté du droit international », R.G.D.I.P, N°4, 1970, passim.

292 Cf. Arrêt, p. 109, par. 217 in fine.

293 Les seuls accords camerouno-nigerians ne concernaient que la confirmation des textes délimitant la frontière maritime. Notamment :

- La note nigériane n°570 du 27 mars 1962

- L'accord de Yaoundé I du 14 avril 1970

- L'accord de Yaoundé II du 14 avril 1971

- l'accord de Kano du 1er septembre 1974

- L'accord de Maroua du 1er juin 1975. (Voir, arrêt, p.104, par. 210.)

B- L'HYPOTHESE D'UN ARRET DE CONFIRMATION

Si l'on admet qu'un arrêt de confirmation de jurisprudence est celui dans lequel une juridiction consolide et maintient ses solutions antérieures dans les cas identiques ; on peut facilement affirmer que l'arrêt de la C.I.J du 10 octobre 2002 en est un.

En effet, lorsque la Cour doit déterminer la frontière entre le Cameroun et le Nigeria, elle fait énormément recours aux solutions auxquelles elle était déjà parvenue dans ses arrêts antérieurs. Notamment en ce qui concerne le rapport entre le titulaire du titre territorial et celui qui exerce la compétence effective sur le territoire litigieux.

La Cour s'est référée à sa jurisprudence dans l'affaire du différend frontalier Burkina Faso/Mali (arrêt du 22 décembre 1986). C'est à travers cette jurisprudence qu'elle invalide les arguments du Nigeria tant dans la zone du Lac Tchad294 que dans la presqu'île de Bakassi295. La cour a également évoqué sa jurisprudence dans l'affaire du différend territorial Jamahiriya arabe libyenne/Tchad (C.I.J, recueil, 1994, p. 75-78, p. 38). Désormais le principe était confirmé « dans l'éventualité où il existe un conflit entre effectivités et titre juridique, il y a lieu de préférer le titre. ». C'est en vertu de cette démarche que le Cameroun récupère la quasi totalité des villages dans la zone du Lac Tchad et recouvre la souveraineté sur toute la presqu'île de Bakassi.

Mais le fait d'avoir refusé de statuer sur les arguments des parties tirés de l'uti possidetis juris rend quand même l'arrêt du 10 octobre 2002 un peu complexe dans la mesure où les arrêts auxquels il se réfère sont les cas d'application de ce principe. Car la Cour internationale de Justice dans l'affaire du différend frontalier précitée estimait que « le principe de l'uti possidetis juris accorde au titre juridique la prééminence sur la possession effective comme base de souveraineté. Il vise avant tout à assurer le respect des limites territoriales au moment de l'accession à l'indépendance »296. Il semble alors paradoxal de faire prévaloir le titre juridique camerounais sur les effectivités nigérianes dans les zones frontalières litigieuses sans passer par le cheminement de l'uti possidetis juris. Monsieur D'ARGENT trouve d'ailleurs que le silence de la cour sur la question de l'uti possidetis n'en demeure pas moins « troublant »297. Mais il trouve néanmoins une justification à cela : « C'est précisément peutêtre parce que la Cour a considéré le contentieux qui lui était soumis comme un pur différend

294 Voir arrêt, pp. 64-65, par. 68.

295 Arrêt, p. 113, par. 223.

296 Résume des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour internationale de Justice, 1948-1991, Nations Unies, p. 216.

297 P. D'ARGENT, op. cit., p. 302-303.

frontalier de délimitation et non un différend territorial d'attribution qu'elle a estimé inutile - en réalité inopportun- d'examiner les arguments relatifs à l'uti possidetis. »298. De toutes les façons la Cour internationale de Justice a rendu une décision définitive et sans recours, voilà l'essentiel. Mais depuis le 10 octobre 2002 les deux Parties n'arrivent toujours pas à rendre entièrement applicable cet arrêt. Certainement que plusieurs facteurs existent qui rendent cette délimitation de la frontière terrestre difficilement réalisable.

SECTION 2 : LES FACTEURS ENTRAVANT LA MISE EN OEUVRE

DE LA DELIMITATION DE LA FRONTIERE TERRESTRE

Depuis que la C.I.J a définitivement précisé le tracé de la frontière terrestre et maritime entre le Nigeria et le Cameroun, l'on est toujours dans l'attente de matérialisation totale de cette décision. En principe, puisque à notre avis préciser définitivement la frontière revient à la délimiter en termes clairs, c'est sa démarcation qui fait problème aujourd'hui. Si l'on peut se réjouir de la création d'une commission mixte des Nations Unies pour la mise en oeuvre de cet arrêt du 10 Octobre 2002299 , il faut néanmoins déplorer l'existence de plusieurs facteurs qui tendent à rendre l'application de cette décision difficultueuse, quoique de manière incidente. Parmi ces causes, certaines sont inhérentes à l'arrêt lui même (I), tandis que les autres lui sont indirectement liées (II).

I- LES FACTEURS D'INAPPLICABILITE PROPRES A L'ARRET

C'est vrai qu'il peut sembler incohérent de tenter de trouver dans l'arrêt lui-même, les causes de son inapplication. Et pourtant si la délimitation de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria continue à faire couler beaucoup d'encre aujourd'hui, c'est que quelque part, l'arrêt du 10 octobre 2002 a laissé ouverte une pareille faille qui peut justifier son inapplicabilité. A défaut de pouvoir faire un état complet de ces lacunes entravant la mise en oeuvre de cette délimitation, on peut tout de même souligner que le recours permanent aux instruments défectueux (A) et le défaut de sanction du Nigeria (B) peuvent constituer les propres erreurs de la Cour.

298 Ibidem, p. 305

299 Il s'agit de la commission mixte bilatérale Cameroun - Nigeria créée à Genève le 19 Novembre 2002 et dont la première réunion a eu lieu le 1er Décembre 2002 à Yaoundé.

A- LE RECOURS PERMANENT AUX INSTRUMENTS DEFECTUEUX

Comme il ressort de l'arrêt, et comme nous l'avons souligné, la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria remonte à l'époque coloniale. Bref, « elle s'inscrit dans un contexte historique » bien particulier300. C'est ce qui fait que les variations climatiques et géographiques qu'a connues cette zone du Golfe de Guinée aient forcément altéré l'esprit des colons européens, rédacteurs des textes « pertinents » de cette délimitation. Et comme l'a reconnue la Cour à plusieurs reprises, les instruments pertinents de délimitation de la frontière tant dans la zone du Lac Tchad que sur le reste de la frontière jusqu'à Bakassi présentaient des imperfections. Nous illustrerons cette assertion par quelques extraits de l'arrêt (1) avant de souligner l'incohérence théorique qui s'y cache (2).

1- Les extraits illustratifs

Tout au long de l'arrêt, la Cour a souvent reconnu les observations de la partie nigériane sur le caractère défectueux des textes de délimitation.

- Dans la zone du Lac Tchad par exemple, parlant de l'applicabilité de la déclaration Thomson-Marchand de 1929-1930, la Cour dit ceci : « la déclaration Thomson-Marchand, telle qu'approuvée et incorporée dans l'échange de notes Henderson-Fleuriau, a le statut d'accord international. La Cour reconnaît certes que cette déclaration présentait quelques imperfections techniques et que certains détails restaient à préciser. Elle n'en estime pas moins que ladite déclaration établissait une délimitation qui suffisait de manière générale à la démarcation »301. Dès lors, consacrer une délimitation frontalière sur un accord de cette qualité était une manière incidente d'ouvrir une faille à des interminables discussions entre les Etats concernés.

- Dans le reste de la frontière terrestre allant du Lac Tchad à Bakassi, la Cour a également reconnu que « l'interprétation de la déclaration Thomson-Marchand soulève des difficultés »302 pratiques dans l'identification de la ligne frontière. Le même constat a été fait en ce qui concerne l'ordre en conseil de 1946. Selon la Cour, cet instrument pertinent de délimitation soulevait « deux difficultés essentielles dans la région allant du « pic assez proéminent » visé par la déclaration Thomson-Marchand à la rivière Mburi »303 . Il « soulève

300 Arrêt, pp. 39-41, par. 31et 37.

301 Arrêt, p. 50, par. 50 in fine.

302 Arrêt, p. 70-88, par. 90-164.

303 Arrêt, p.92, par. 172

(encore) des difficultés » d'interprétation dans la zone de la rivière Sama304. Mais malgré l'existence de ces << difficultés essentiels », la Cour va néanmoins fixer la frontière « conformément » à cet instrument305. C'est encore certainement une manière incidente, sinon voulue d'éterniser des textes historiques entachés d'une vétusté pathologique.

- Dans la presqu'île de Bakassi, il est difficile de dire que l'accord anglo-allemand du 10 mars 1913 est défectueux puisque la Cour même ne le dit pas. Néanmoins parmi les arguments soulevés par le Nigeria, il apparaît que celui relatif à la violation par la Grande-Bretagne du traité de protectorat avec les rois et les chefs du Vieux-Calabar peut-être fondé à certains égards. Car comment comprendre que la cour internationale de Justice invalide ce protectorat de 1884 tout en confirmant la validité de l'accord du 11 mars 1913 ? Dans la mesure où c'est le protectorat avec les rois et chefs du Vieux-Calabar qui justifie la présence de la Grande-Bretagne dans cette zone, il importait à la Cour d'étudier profondément la lettre de ce texte. Notamment régler la question de savoir si cet accord équivalait à une session territoriale des rois et chefs du Vieux-Calabar au profit de la puissance administrante. Mais telle n'a pas été la démarche de la Cour. Elle a tout simplement signifié, en se référant à la sentence Max Huber dans l'affaire de l'île de palmas, qu' « il n'y a pas là d'accord entre égaux ; c'est plutôt une forme d'organisation intérieure d'un territoire colonial, sur la base de l'autonomie des indigènes ....Et c'est (ainsi) la suzeraineté exercée sur l'Etat indigène qui devient la base de la souveraineté territoriale à l'égard des autres membres de la communauté des nations ». Cette argumentation sera encore renforcée par le recours à sa propre jurisprudence dans l'affaire du Sahara occidental306 où la Cour a estimé qu' << on voyait dans les accords avec les chefs locaux un mode d'acquisition dérivé »307. Et qu'à la fin, « ...au regard du droit qui prévalait à l'époque, la Grande-Bretagne en 1913, pouvait déterminer sa frontière au Nigeria avec l'Allemagne, y compris pour ce qui est de sa partie Méridionale »308. Cette analyse de la cour ne semble pas très pertinente parce qu'elle tend à dire qu'à l'époque coloniale, les rapports conventionnels entre les <<Nations civilisées » et les « Peuples indigènes » étaient régis par la maxime « pacta non sunt servanda ». C'est cette erreur que ne partage pas le juge RANJEVA dans son opinion individuelle. Il estime qu'<< il est difficile pour la Cour internationale de Justice d'accepter qu'au nom du droit intertemporel la maxime pacta sunt servanda soit dévoyée ... (qu) ' on ne saurait placer sur le

304 Arrêt, p. 96, par. 188.

305 Arrêt, p.96, par.188.

306 Avis consultatif, C.I.J, Recueil 1975, p. 39, par. 80.

307 Arrêt, p.102, par. 205.

308 Arrêt, p.103, par. 209.

même rang la maxime pacta sunt servanda et les règles du droit intertemporel qui n'ont qu'une fonction auxiliaire d'interprétation de la règle principale pacta sunt servanda. Une interprétation de nature à porter atteinte à cette règle fondamentale n'est pas pertinente »309. Cette analyse du juge malgache est soutenue de façon plus acerbe par le juge REZEK qui, dans sa déclaration jointe à l'arrêt, pense que « si le traité de 1884 n'était pas un traité et n'avait point de valeur juridique, il convient de se demander sur quelle base la Grande-Bretagne a pu asseoir son autorité sur ces territoires, en vertu de quel mystérieux droit divin s'est elle érigée en Etat protecteur de ces espaces africains »310. Et que les rois et chefs du Vieux-Calabar n'ayant pas cédé leur territoire à la Grande-Bretagne, « ...le défaut de légitimité qui caractérise l'acte de cession fait que le traité anglo-allemand du 11 mars 1916 ne saurait être valable là où, définissant le dernier secteur de la frontière terrestre, il décide du sort de Bakassi »311. Il nous semble que ces développements exprimés par deux juges de la cour tendant à démontrer la défectuosité qui entache l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913, peuvent être une entrave sérieuse à l'application de l'arrêt par les Etats concernés. Mais, ne peut-on aussi pas y trouver une certaine incohérence?

2- L'incohérence théorique

Cette incohérence théorique est évidente. En effet, il semble paradoxal au plan de la théorie même des traités qu'un traité défectueux soit applicable entre les Parties. Parce que ce caractère défectueux constitue un vice qui entrave la qualité et la validité de l'acte. Or en droit international public, le traité est « un accord international conclu par écrit entre Etats et régi par le droit international, qu'il soit consigné dans un instrument unique ou dans deux ou plusieurs instruments connexes, et quelle que soit sa dénomination particulière »312. C'est donc un acte juridique, c'est à dire, une manifestation de la volonté des sujets de droit international destinée à produire des effets de droit. Les Etats ne peuvent pas eux-mêmes prendre le soin de consigner dans un document écrit des dispositions aussi floues et embarrassantes. Mais comme on le sait déjà, cette frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria est régie par « des accords internationaux » anglo-allemands et franco-britanniques passés à l'époque coloniale. Il faut également déplorer la non rétroactivité de la Convention

309 Opinion du juge RANJEVA jointe à l'arrêt, p. 2, par. 3.

310 Déclaration de M. le juge REZEK, p. 1, par. 3.

311 Ibid, par. 4.

312 Sur cette définition, lire l'art. 2 al. 1 (a) de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, Etat du 25 novembre 2003, p. 2.

de Vienne sur le droit des traités313. Surtout que c'est à une date relativement récente que le Cameroun en deviendra membre314, contrairement au Nigeria qui s'y était attaché très tôt315.

Vu sous cet angle, on peut dire avec l'ensemble des juges que la cour a dit le droit et que c'est par honnêteté intellectuelle qu'elle a pris le soin de rappeler que ses instruments pertinents de délimitation étaient néanmoins « défectueux ». Mais l'incohérence ne disparaît pas pour autant. Nous pensons avec Prosper WEIL que : « Non seulement c'est pour remplir certaines fonctions que le droit international s'est constitué en système normatif, mais c'est dans la mesure seulement où il constitue un système normatif de qualité qu'il est apte à remplir ses fonctions »316. Ce côté de la réalité a certainement échappé à la cour. Dans une certaine logique, si les instruments pertinents de délimitation posent des problèmes d'interprétation du fait de leur défectuosité, une attitude réaliste aurait consisté de ne les appliquer que dans la mesure du possible. La pensée du professeur WEIL va plus loin encore lorsqu'il estime que : «Sans normes de bonne qualité, le droit international ne serait plus qu'un outil défectueux, mal approprié à ses fonctions » que sont le réglage des relations internationales et l'organisation de la société internationale317.

S'il est vrai, comme c'est le cas, que la frontière terrestre en question doit être mise en oeuvre, c'est à dire, démarquée, par le Nigeria et le Cameroun, il aurait fallu qu'elle repose sur des bases juridiques solides. A notre humble avis, cette fragilité dans la qualité des textes appliqués peut constituer à nos jours une cause sérieuse de flexibilité dans la mise en oeuvre de cette délimitation.

En dehors de cette incohérence théorique qui entraîne des difficultés pratiques sérieuses dans l'application de l'arrêt, l'autre facteur entravant sa mise en oeuvre aujourd'hui peut-être le défaut de sanction du Nigeria par la Cour.

B - LE DEFAUT DE SANCTION DU NIGERIA

Il s'agit ici du problème relatif à la responsabilité internationale du Nigeria à l'égard du Cameroun dont il a violé l'intégrité territoriale. Il faut souligner que c'est à l'unanimité que la Cour a rejeté « ...le surplus des conclusions du Cameroun concernant la responsabilité

313 Lire l'art. 4 de ladite Convention, op. cit., p. 3

314 Le Cameroun adhère à cette Convention le 23 octobre 1991, et la ratifie le 22 novembre de la même année. Cf. Convention de Vienne, op. cit., p. 29.

315 Le Nigeria adhère le 31 juillet 1969 et la ratifie le 27 janvier 1980. Cf. Ibid, p. 30.

316 P. WEIL, « Vers une normativité relative en droit international? », R.G.D.I.P, janvier-mars, 1982, N°1, p. 6.

317 P. WEIL, op. cit., p. 7.

internationale de la République fédérale du Nigeria »318. Cette impunité dont bénéficie le Nigeria est, nous semble t-il, une des causes de la lenteur que l'on observe de nos jours dans l'application de l'arrêt. On peut même se demander si ce n'est pas de la part de la Cour une technique de déconstruction de la rigidité de sa décision à l'égard du « Géant d'Afrique » ?

Sans tomber dans le terrain très glissant de la responsabilité internationale sur lequel les Etats eux-mêmes n'arrivent pas à s'entendre, il faut tout simplement admettre avec le juge ad hoc pour le Cameroun, M.KEBA MBAYE que, lorsque la Cour déclare les effectivités nigérianes de «contra legem » cela sous entend que cet Etat a violé la souveraineté du Cameroun et le principe d'intégrité territoriale des Etats ; dès lors la Cour ne nie pas la responsabilité du Nigeria, même comme elle ne la confirme pas. Elle ne cherche pas tout simplement « dans quelle mesure la responsabilité du Nigeria est engagée à l'égard du Cameroun du fait de cette occupation »319.

L'organe judiciaire principal des Nations Unies a bien senti toutes les fautes qui pèsent sur le Nigeria. Mais lorsqu'il refuse de le sanctionner au motif que le Cameroun n'apporte pas assez de preuves pour justifier ses allégations, elle assouplissait ainsi la rigidité de son arrêt. D'où les interminables négociations que l'on observe dans les travaux de la commission mixte bilatérale chargée de la mise en oeuvre de cet arrêt.

Alors s'il est vrai comme l'a reconnu la C.I.J que les territoires de Lac Tchad et de Bakassi jadis querellés sont Camerounais, et que les effectivités nigérianes y effectuées jusqu'alors sont «contra legem », ne pas sanctionner le Nigeria est, à défaut d'un grand paradoxe de la part de la Cour, un facteur de renforcement de la psychologie du peuple et de l'Etat du Nigeria qui apparemment a tout perdu. Cet état des choses justifie l'absence de contrainte dans l'accomplissement des obligations découlant de cet arrêt. Mais sans chercher à présumer la mauvaise foi de l'Etat Nigérian Voisin, surtout qu'un juriste nigérian voit dans cette absence de sanction, un facteur qui devrait encourager l'Etat nigérian à s'exécuter : «Nigeria should at least, reluctantly accept the ICJ judgment, even if it does not embrace it willingly. (....). There are aspects of delimitation that actually favour Nigeria, particularly in the Lake Chad region. Cameroon did not get all it wanted. For example, it invoked state responsibility against Nigeria and asked for reparation... the court refused.»»'320. Il faut dire qu'en toute objectivité, de tels facteurs peuvent expliquer d'une

.318 Voit arrêt, p. 149, point. V. D du dispositif.

319 Opinion individuelle de M. le juge ad hoc KEBA MBAYE, p. 27, par. 143 et suivants.

320 NSONGURUA J. ODOMBANA, « The ghost of Berlin still haunts Africa ! The ICJ . . . », op. cit., p.44.

certaine manière la réticence du peuple nigérian de céder Bakassi. En dehors de ces lacunes internes à l'arrêt, d'autres paramètres existent qui ne lui sont pas directement liés.

II - LES FACTEURS INDIRECTS A L'ARRET : ESSAI D'UNE ETUDE DE LA COMMISSION MIXTE BILATERALE CAMEROUNNIGERIA

Il faut dire que la mise en oeuvre de la délimitation de la frontière terrestre entre les parties rencontre aujourd'hui des difficultés pratiques sur le terrain. Ces difficultés, à bien y voir de près, résident dans l'examen minutieux des missions confiées à la commission mixte bilatérale de mise en oeuvre de cet arrêt par les acteurs de la tripartite de Genève (le Secrétaire général des Nations Unies Kofi ANNAN, le Président de la République du Cameroun Paul BIYA, et le Président de la République fédérale du Nigeria OLUSEGUN OBASANJO) du 15 novembre 2002 d'une part (A), et dans l'insuffisance de ses moyens d'action (B).

A - UNE COMMISSION MIXTE AUX MISSIONS TROP ETENDUES

Rappelons tout d'abord que ce n'est pas la commission mixte bilatérale des Nations Unies pour la mise en oeuvre de l'arrêt de la C.I.J du 10 octobre 2002 qui est source de problème. Au contraire, elle est même l'artisan majeur de la restauration de la paix et de la confiance entre le Cameroun et le Nigeria. Pourtant si ses missions principales sont salutaires (1), elle a d'autres missions supplémentaires sources de lenteur (2).

1- Ses missions principales salutaires

Il faut les rechercher dans ces phrases du secrétaire général de l'Onu : « les deux présidents sont également convenus de me demander de mettre en place une commission mixte bilatérale qui sera présidée par son représentant spécial, Ahmed Ould Abdallah, et chargée de réfléchir aux moyens de donner suite à l'arrêt de la C.I.J et de faire avancer le processus. »321. Après avoir défini les sources volontaristes de la création de cette

321 Voir le texte du communiqué commun des délégations du Cameroun et du Nigeria à l'issue de la rencontre
entre le Secrétaire général des Nations Unies, le Président BIYA et le Président OBASANJO concernant l'arrêt
de la C.I.J en date du 10/10/2002 . Genève, 15 nov. 2002, par. 5. In Commission mixte des Nations Unies pour la

commission, S.E.M Kofi ANNAN détermine ses missions comme suit: « la commission mixte se penchera sur toutes les incidences de la décision, notamment la nécessité de protéger les droits des populations concernées des deux pays. La commission aura entre autre, pour tâche de procéder à la démarcation de la frontière terrestre entre les deux pays. »322.

La lecture de ces passages montre clairement que les missions principale de la commission mixte bilatérale sont la réflexion sur les moyens pratiques de mise oeuvre de l'arrêt, (dans son ensemble), la protection des Droits des populations des zones concernées, et surtout la démarcation de la frontière terrestre en question. Les tâches ainsi énumérées sont en elles mêmes capitales pour l'opérationnalisation de la délimitation de la frontière terrestre par la commission mixte (...).Mais cette commission s'est vue doter d'une autre série de charges supplémentaires.

2- Des missions supplémentaires pléthoriques.

D'après le paragraphe 7 de l'acte de Genève du 15 novembre 2002, la commission mixte devra formuler des « recommandations » sur des mesures de confiance supplémentaires telles que :

- la tenue des réunions sur une base régulière, entre les autorités locales, des fonctionnaires gouvernementaux et les chefs d'Etat ;

- la formulation de projets destinés à promouvoir des co-entreprises et la coopération transfrontalière ;

- La renonciation par les deux parties à tout propos ou déclaration incendiaires au sujet de Bakassi ;

- Le retrait des troupes des zones pertinentes le long de la frontière terrestre ;

- La démilitarisation ultérieure de la péninsule de Bakassi avec la possibilité de déployer du personnel international chargé d'observer le retrait ;

- La réactivation de la Commission du Bassin du Lac Tchad.

Sans chercher à sous-estimer la compétence des membres de cette notable commission323, il faut reconnaître qu'un mandat aussi volumineux ne peut être qu'une source de lenteur dans la mise en oeuvre de l'arrêt dont elle est chargée, et dans la démarcation de la

mise en oeuvre de l'arrêt de la C.I.J du 10 octobre 2002, 11e Session, Yaoundé, Hôtel Hilton, du 18 au 19 août 2004. p. 13.

322 Ibidem, par. 6.

323 On tient à noter ici qu'il s'agit d'une commission mixte dont les deux principaux promoteurs, les présidents Paul BIYA et OLUSEGUN OBASANJO se félicitent des résultats déjà réalisés. Voir à cet effet, « le communiqué conjoint publiée à l'issue de la visite officielle de S.E chief OLUSEGUN OBASANJO au Cameroun du 26 au 29 juin 2004 », in Commission mixte des Nations Unies, op. cit., p. 34, par. 3.

frontière terrestre particulièrement. A côté de ces missions trop étendues dont est chargée la commission mixte bilatérale, l'autre source de lenteur de ses travaux réside dans l'absence de moyens concrets.

B- UNE COMMISSION MIXTE AUX MOYENS LIMITES

En examinant la composition et le fonctionnement de la Commission mixte bilatérale des Nations Unies pour la mise en oeuvre de l'arrêt de la C.I.J du 10 Octobre 2002, depuis le début de ses travaux jusqu'à nos jours324, on a l'impression malheureuse qu'elle a beaucoup de volonté mais sans réels moyens ; ou tout au moins qu'elle a des moyens limités. Pour s'en convaincre, il faut remarquer que ses bases de travail sont tentaculaires (1), la personnalité du représentant de l'Etat nigérian pouvant susciter quelques problèmes d'interprétation de l'arrêt (2), et le manque de financement demeurant une épine entière sous ses pieds (3).

1- Le problème de la diversité des bases de travail

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la Commission mixte bilatérale des Nations Unies pour la mise en oeuvre de l'arrêt de la C.I.J du 10 Octobre 2002 dans l'affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria n'applique pas que cet arrêt. Comme elle l'a affirmée lors de sa toute première réunion tenue à Yaoundé : « la commission a décidé que les documents de travail de ses membres seront l'arrêt de la Cour Internationale de Justice du 10 Octobre 2002, le communiqué de presse publié à l'issue du sommet de Paris du 5 septembre 2002, le communiqué conjoint adopté au sommet de Genève du 15 novembre 2002 et les autres documents qu'elle pourrait adopter à ses réunions325.

? notre humble avis, si cette multitude de documents peut permettre une entente rapide entre les deux Etats, elle a pour effet pervers la limitation de l'esprit de la C.I.J dans les débats et discours politiques. Ainsi, la frontière terrestre Cameroun-Nigeria d'après la C.I.J souffrirait de son trop grand attachement aux textes coloniaux la délimitant. Mais il faut s'interroger sur l'impact de la personnalité du chef de la délégation nigériane dans le travail de cette commission.

324 Elle a tenu sa première réunion à Yaoundé les 1er et 2 décembre 2002. Elle a le mérite jusqu'à nos jours d'avoir réussi entièrement les opérations de retrait et de transfert d'autorité dans la zone du Lac Tchad. Les dernières opérations ont eu lieu à NDABAKURA et à NARKI le 13 juillet 2004. Malheureusement, ces opérations n'ont pu suivre dans la presqu'île de Bakassi le 15 septembre 2004 dernier à cause d'un calendrier assez flexible. . .

325 Voir le «Communiqué adopté à la première réunion de la commission mixte Cameroun-Nigeria créée en application du communiqué conjoint du 15 Novembre 2002 à Genève », in Commission mixte des Nations Unies, op. cit., p. 14, par. 5.

2- La personnalité charismatique du représentant du Nigeria ; Monsieur le prince BOLA AJIBOLA

En toute logique, le Cameroun en tant que partie qui s'est tirée la part du lion dans ce contentieux devant la C.I.J ne saurait être celle qui bloque le déroulement du processus. Il devient ainsi inopportun de revenir sur la personnalité du chef de sa délégation à la commission mixte S.E.M. AMADOU ALI326. La personnalité du président de ladite commission mixte S.E.M. AHMEDOU OULD ABDALLAH ne devrait pas aussi faire problème puisqu'il est le représentant personnel du Secrétaire général de l'O.N.U, il ne pourra être qu'un pacificateur. Mais pour ce qui est de S.E. Prince BOLA AJIBOLA, il fut le juge ad hoc de la République fédérale du Nigeria devant la Cour dans cette affaire. Il a le mérite d'avoir voté contre six points essentiels de l'arrêt327. Il est d'ailleurs l'auteur d'une opinion dissidente très dense328 dans laquelle il affirme que la Cour n'a pas bien examiné sa jurisprudence de l'affaire Burkina-Faso/République du Mali dans le cas d'espèce. « ... « Finally, there are cases where the legal title is not capable of showing exactly the territorial expanse to which it relates. The effectivités can then play an essential role in showing how the title is interpreted in practice». Unfortunately the court it self fails to give serious consideration to this vital part of the text of its previous judgment »329. En effet, le Prince AJIBOLA pense que la Cour a rendu une décision partiale basée sur ce qu'il appelle « The one-sided argument of Cameroun ... »330. Qu'à la fin, le Nigeria n'aurait jamais perdu Bakassi juridiquement. Il le dit avec beaucoup de regret « to conclude my dissenting opinion, I am of the view that the Court ought not to dismiss the claim of Nigeria based on effectivité.(...) Similarly the Court should not have rejected the Nigeria's claim based on historical consolidation.(...) . The claim of Cameroon to the Bakassi peninsula based on the Anglo-German Agreement is defective for the fore going reasons and ought not to have been relied upon by the court »331.

326 Sauf peut-être à préciser qu'en tant que Ministre d'Etat chargé de la justice, garde des sceaux, il était agent de la République du Cameroun auprès de la C.I.J (cf. Arrêt du 10 octobre , P.5). Il est aujourd'hui Vice Premier Ministre, Ministre chargé de la justice cumulativement avec ses fonctions à la commission mixte bilatérale.

327 Voir le dispositif de l'arrêt, pp. 145-150. Mais, il faut dire qu'en dehors du fait qu'il soit nigérian, ses arguments ne se sont pas vides de sens pour autant. Encore qu'il est seulement deuxième après le juge KOROMA qui a voté 7 fois contre le dispositif de l'arrêt ; mais très loin devant le juge REZEK qui a seulement 2 fois contre. Pour une étude des votes des juges, voir le dispositif de l'arrêt.

328 Son opinion dissidente jointe à l'arrêt est faite de 51 pages et de 212 paragraphes. Il y explique les raisons de son désaccord avec plusieurs parties essentielles de l'arrêt et de son dispositif.

329 Voir opinion dissidente du juge ad hoc BOLA AJIBOLA, jointe à l'arrêt, p. 50, par. 211.

330 Ibidem, par. 210.

331 Ibidem, par. 209.

Il n'est pas sûr que le juge ad hoc nigérian devenu Chef de la délégation du Nigeria auprès de la Commission mixte bilatérale Cameroun- Nigeria va abandonner toutes ses convictions juridiques. Au contraire, il semble que sa nomination à ce poste peut être une technique de l'Etat du Nigeria pour infléchir politiquement la rigoureuse délimitation de la frontière que la Cour a voulu ancrer dans l'histoire à travers une interprétation extensive des instruments applicables.

En marge du côté charismatique de S.E. Prince BOLA AJIBOLA qui pourrait énormément infléchir la délimitation textuelle de cette frontière comme l'a voulue la C.I.J, l'autre source de lenteur des travaux de la Commission, et par ricochet de la mise en oeuvre de la délimitation de la frontière, réside dans l'absence des moyens financiers propres à la commission mixte.

3- L'insuffisance des moyens financiers

S'il faut saluer la volonté politique qui anime les présidents Paul BIYA et OLUSEGUN OBASANJO dans la mise en oeuvre pacifique de cet arrêt concernant la frontière commune de leurs deux Etats332, il convient malheureusement de déplorer l'insuffisance des moyens financiers pour réaliser la démarcation sur le terrain de cette frontière. Il est clair que pour la réalisation d'une opération d'une telle envergure, la seule bonne volonté politique est louable, mais pas suffisant si les moyens concrets techniques et surtout financiers ne l'accompagnent pas. Telle est à nos jours l'une des difficultés à laquelle la Commission mixte bilatérale est confrontée dans le suivi de ses opérations. Pour néanmoins confirmer leur ferme volonté politique, le Cameroun et le Nigeria ont déjà fourni au moins 6 millions de dollars U.S dans le Fonds d'affection spécial des Nations Unies pour la démarcation. Le Royaume-Uni a déjà contribué 1 million de livres sterling à cet effet. Mais les aides volontaires pour permettre à moyen terme la finalisation du processus restent encore attendues de la part des amis du Cameroun et du Nigeria333. Cet état des choses relève, à n'en

332 Ces efforts ont été salués par le Secrétaire général de l'O.N.U S.E. KOFI ANNAN le 31 janvier 2004 dernier. Voir à cet effet, « le communiqué conjoint du sommet tripartite entre le Secrétaire général de l'O.N.U, le Président de la République du Cameroun, et le Président de la République fédérale du Nigeria, sur le suivi de la mise en oeuvre de l'arrêt de la C.I.J du 10 octobre 2002. Genève, le 31 janvier 2002. ». In Commission mixte des Nations Unies . . ., op. cit., p. 26, par. 2 et 4.

333 Pour plus de détails sur ces appels à contribution, voir le «communiqué conjoint du sommet tripartite . . . », op. cit., par. 8 : « le secrétaire général a de nouveau lancé un appel à la communauté internationale pour qu'elle appuie dans le cadre de la diplomatie préventive, les efforts déployés par les deux pays, notamment en fournissant des aides financières pour le processus de démarcation (...). »

Voir également le « Communiqué adopté à ABUJA les 1er et 2 juin 2004 lors de la 10e session de la commission mixte Cameroun-Nigeria ». In Commission mixte des Nations Unions pour la mise en oeuvre de l'arrêt , 11e session, op. cit., p.32, par. 8.

point douter, les difficultés liées à la mise en oeuvre de la délimitation de la frontière terrestre entre les deux Etats.

Conclusion de la deuxième partie

Eu égard à ce qui précède, on peut dire en raccourci que la Cour internationale de Justice a connu beaucoup de difficultés dans l'interprétation des instruments pertinents de délimitation de cette frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria.

Sur le reste de la frontière allant du Lac Tchad à Bakassi, elle s'est voulue impartiale en faisant valoir tantôt les arguments de l'un, tantôt ceux de l'autre. La Cour a également désigné des zones neutres où les deux Etats sont passés à côté de sa logique interprétative. Mais à la fin, ce sont ces deux parties: Cameroun et Nigeria qui doivent appliquer cette délimitation en démarquant la frontière. C'est ce que la Cour n'a pas trop considéré lorsqu'elle se referait aux textes historiques « défectueux » comme pour dire que la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria est malade de ses sources historiques comme « le droit international (est) malade de ses normes »334. Naturellement cela fait que cette frontière soit d'application difficultueuse. Heureusement la volonté politique y est ; et ce n'est que la mobilisation des moyens appropriés qui ferait encore problème.

334 L'expression est de Prosper WEIL, in « Vers une normativité relative en droit international? », R.G.D.I.P, op. cit., p. 6.

CONCLUSION GENERALE

L'étude de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria d'après le verdict de la Cour internationale de Justice du 10 octobre 2002 nous conduit à la fin vers des vérités déjà connues qu'il convient néanmoins de rappeler. D'abord il faut souligner qu'il ne peut avoir de contentieux international en matière de frontière inter étatique sans frontière. Si les deux Etats étaient en conflit sur plusieurs points de leur frontière commune, et plus précisément dans la zone de Bakassi, c'est qu'en effet, ils ne s'entendaient pas sur l'interprétation, et même parfois sur la validité des vieux instruments pertinents applicables ; tous issus de l'époque coloniale. Mais compte tenu des réalisations énormes335effectuées par le Nigeria sur le sol camerounais, et en violation de l'intégrité territoriale de cet Etat, il a cru bon de s'attacher exclusivement sur ces effectivités territoriales. Le Cameroun pour sa part a préféré la protection juridique des instruments applicables et celle du principe de l'uti possidetis juris. Et lorsque nous nous interrogions sur la nature de cette frontière terrestre selon la décision de la C.I.J du 10 octobre 2002, nous partions de l'hypothèse selon laquelle il existe bel et bien une frontière terrestre entre les deux Etats ; frontière sans laquelle il n'y aurait jamais eu de séparation entre sphères de compétence de l'ordre juridique nigérian et l'ordre juridique camerounais. Cette hypothèse semble encore se vérifier. Mais seulement, il est indéniable que les Parties, comme les rédacteurs même de ces instruments ne les avaient jamais complètement traduits sur le terrain par une démarcation ou un abornement. Dès lors, le différend frontalier en question demeurait un simple conflit de délimitation plus qu'un conflit d'attribution territoriale. De même « l'interprétation ou l'application de tel ou tel passage des instruments de délimitation de cette frontière »336à laquelle s'est livrée la Cour, bien que n'étant pas en soi une «délimitation de novo » ni une «démarcation »337 de celle-ci, constitue au moins ce que nous appelons une vision jurisprudentielle, au 21e siècle, d'une délimitation historique. Aussi, « les titres juridiquement établis pendant la période coloniale doivent (- ils) prévaloir sur les actes d'administration effective, et a fortiori sur des caractères de fait »338.

335 Construction des écoles, des centres médicaux, perception d'impôts réalisées à Bakassi depuis 1959, voir arrêt, p. 111, par. 222.

336 Arrêt, p. 69, par. 85, in fine.

337 ibid., par. 84.

338 Voir; J.C. GAUTRON, «création d'une chambre au sein de la Cour internationale de Justice, mesures conservatoires et médiation dans le différend frontalier entre le Burkina Faso et le Mali », A.F.D.I, XXXII - 1986, publié par le CNRS, p. 196.

C'est cette décision sacralisatrice du droit sur les effectivités que la Cour a retenu. Il en ressort que la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria est conventionnellement délimitée depuis l'époque coloniale. Que cette délimitation est avantageuse à l'Etat demandeur dans les zones culminantes des revendications camerouno-nigerianes. Seulement, sur le reste de la frontière allant du Lac Tchad à la presqu'île de Bakassi, cette délimitation est assez ambiguë et même mitigée ; ce qui rend sa mise en oeuvre difficultueuse et problématique. Comme les autres frontières africaines héritées de la colonisation, la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria est d'un « caractère purement artificiel », mais d'un « fondement conventionnel »339. De même, la prégnance de ce facteur conventionnel constitue également la consécration juridique d'absurdités historiques, géographiques ou sociologiques340. Et malgré le caractère artificiel de cette frontière, il faut reconnaître que « la Cour (a) dit le droit »341. Toutefois, le refus de la Cour de statuer sur les arguments des Parties tirés de l'uti possidetis juris contribue à complexifier la classe jurisprudentielle de cet arrêt. Néanmoins, la frontière étant à l'origine une « conception politique pure », comme le soulignait déjà P. DE LA PRADELLE342, nous nous devons de saluer la volonté politique qui anime les présidents Paul BIYA et OLUSEGUN OBASSANJO pour traduire en termes concrets, cette décision de la Cour. Ils ont mis sur pieds, avec l'appui de S.E.M KOFI ANNAN, une commission mixte des Nations Unies pour la mise en oeuvre de l'arrêt du 10 octobre. Avec la réserve qu'elle n'a à son actif aujourd'hui que le retrait et le transfert d'autorité dans le Lac Tchad et sur le reste de la frontière terrestre ; la presqu'île de Bakassi continuant toujours à faire problème343.

Or, la mise en oeuvre de la délimitation de la frontière c'est sa démarcation, c'est son abornement. On peut alors dire que, si la Cour a déterminé la frontière entre le Cameroun et le Nigeria conformément aux instruments conventionnels applicables, l'absence de sanction du Nigeria du fait de la violation de l'intégrité territoriale du Cameroun risquerait fortement de nuire à cette mise en oeuvre.

Enfin, « la stabilité de l'ordre territorial des Etats et de leurs frontières (étant)

fonction de leur degré de civilisation et de l'adhésion des populations aux principes de droit

339 Nous empruntons ces propos du Professeur N. MOUELLE KOMBI in « la frontière tchado-libyenne d'après la Cour Internationale de Justice, (Arrêt du 3 février 1994) », Afrique 2000, N° 22, juillet-août-sept. 1995, p. 46

340 N. MOUELLE KOMBI, op. cit., ibidem

341 Voir, opinion individuelle de M. le Juge MBAYE, p. 16, par. 80. Voir aussi la même opinion individuelle, p. 10, par. 52.

342 Cité par R. YAKEMTCHOUK, « les conflits de territoire et de frontière dans les Etats de l'ex-URSS », A.F.D.I, XXX IX - 1993, éditions du CNRS, Paris, p. 394.

343 Ces opérations étaient prévues à Bakassi les 14 et 15 septembre 2004 d'après le calendrier de la commission. Elles sont toujours attendues

BIBLIOGRAPHIE

et de démocratie »344, il est à souhaiter que les populations du pays frère345 adhérent à ces principes et, mettent lear ferme volonté en marche. Ce n'est qu'à ce prix que pourra un jour se concrétiser le renouvellement jurisprudentiel de l'esprit des créateurs des territoires des Etats d'Afrique.... Et c'est aussi là où résiderait la rigidité de l'ordre juridique international; car « précariser » les frontières reviendrait à « précariser » le droit international346. Mais s'il est vrai que la rigidité de l'ordre juridique international est consubstantiellement liée à la rigidité des frontières, le raisonnement de la Cour basé essentiellement sur des textes coloniaux devenus défectueux à nos jours est-il pertinent? Ou, est-ce le droit international des frontières, et des frontières africaines en particulier, qui est malade de ses normes ?

344 R. YAKEMTCHOUK, op. cit., ibidem.

345 Le Peuple nigérian a constamment connu des coups d'Etat; de même a-t-il connu une guerre de cessession dans la zone du Biaffra de 1967-1970. Ces paramètres ne pourraient-ils pas entraver son adhésion aux principes démocratiques, et son attachement au droit ?

346 Voir, N. MOUELLE KOMBI, op. cit., p. 47.

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- PONDI (J.E), «Washington et Londres dans le bourbier irakien : Analyse des contours et des conséquences d'une victoire à la Pyruss ? ». in Une lecture africaine de la guerre en IRAK, pp. 7-24.

- QUENEUDEC (J.P), « Remarques sur le règlement des conflits frontaliers en Afrique », R.G.D.I.P, N°1, 1970, pp. 69-77.

- SLIM LAGHMANI, « Faut il rire du Droit International ou le pleurer ? », in Revue Actualité et droit international, 1999.

- VERHOEVEN (J), « l'Etat et l'ordre juridique international », R.G.D.I.P, N°3, juillet-sept 1978, pp. 1-26.

- WEIL (P), « vers une normativité relative en droit international? », R.G.D.I.P, N°1, Janvier-Mars 1982, pp. 5-47.

- YAKEMTCHOUK (R), « Les Frontières Africaines », R.G.D.I.P., N°1, 1970, pp. 27- 68.

- YAKEMTCHOUK (R), « Les conflits de territoire et de frontière dans les Etats de l'ex-URSS », A.F.D.I, XXXII-1993, publié par le CNRS, pp. 391-434.

- ZANG (L), « Les frontières en Afrique Centrale : Barrières, limites ou Ponts ? », in Mutations N°1155 du Lundi 24 Mai 2004.

III- MÉMOIRE ET THÈSE

- MANDJACK (A), « Le Cameroun face à la crise tchadienne », Mémoire de Maîtrise en Science politique, U.Y, Yaoundé, Septembre 1984, 94 p.

- MGBALE MGBATOU (H), « La politique camerounaise de résolution pacifique de
la crise de Bakassi », Thèse de doctorat 3è cycle, IRIC, Yaoundé, Juillet 2001, 297 p.

IV- TEXTES DE BASE ET AUTRES DOCUMENTS

- ABC des Nations Unies, Nations Unies, New York, 2001.

- Cameroon Tribune N°7703/3992 du mardi 15 Octobre 2002.

- Chartes des Nations Unies, 26 Juin 1945.

- C.I.J, Année 2002, 10 octobre 2002, Affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria (Cameroun C. Nigeria ; Guinée Equatorial (intervenant), arrêt sur le fond, 150 pages; compte non tenu des opinions et déclarations des juges.

- Commission mixte des Nations Unies pour la mise en oeuvre de l'arrêt de la C.I.J du 10 Octobre 2002, 11è session, Yaoundé, Hôtel Hilton, du 18 au 19 Août 2004, 51 p.

- Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, (état du 25 novembre 2003)

- Mutations N°762 du vendredi 11 Octobre 2002.

- Nouvelle expression.

- Ordonnance du 15 Mars 1996 sur les mesures conservatoires (Affaire Cameroun-Nigeria).

- Recueil des résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour internationale de Justice, 1948-1991, publié par les Nations Unies, 382 p.

- Statut de la Cour internationale de Justice, 26 Juin 1945.

ANNEXES

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION GENERALE 1

I- L'objet de la recherche 1

II- La délimitation du sujet 2

A- Le cadre spatio-temporel 3

B- L'éclairage conceptuel 3

III- L'intérêt du sujet . 6

A- L'intérêt heuristique 6

B- L'intérêt pratique 7

IV- La problématique de l'étude 8

V- Des méthodes utilisées à l'annonce du plan 9

A- les méthodes utilisées . 9

B-l'annonce du plan 11
PREMIERE PARTIE : UNE FRONTIERE TERRESTRE D'UNE DELIMITATION CONVENTIONNELLEMENT FAVORABLE AU CAMEROUN DANS LES ZONES

CULMINANTES 12
CHAPITRE I : DANS LA ZONE DU LAC TCHAD : UNE DELIMITATION

FAVORABLE AU CAMEROUN 14

SECTION 1 : LA LECTURE PERTINENTE DES TEXTES JURIDIQUES APPLICABLES . 15
La présentation historique desdits textes : de la déclaration franco-britannique

I- (Milner-Simon) du 10 juillet 1919 à l'échange de notes Henderson-Fleuriau du

09 janvier 1931 15

A- Après la première guerre mondiale : naissance des instruments

pertinents fixant la frontière terrestre 16

B- A l'issue de la seconde guerre mondiale : maintien, et consécration

onusienne des accords territoriaux franco-britanniques 17

C- A partir de 1960 : la pérennisation des textes coloniaux 18

II- La précision des points litigieux 18

A- La précision des coordonnées du tripoint . 19

B- La fixation de l'embouchure de l'ebedji 22

SECTION 2 : LA NEGATION DES THESES NIGERIANES DE LA

CONSOLIDATION HISTORIQUE DU TITRE ET DE

L'ACQUIESCEMENT DU CAMEROUN 24

I- Les différentes prétentions des parties 24

A- Une souveraineté nigériane historiquement consolidée et acquiescée par 24

le Cameroun, d'après le Nigeria

B- Une souveraineté camerounaise conformément au titre conventionnel, selon la partie Camerounaise . 25

La teneur du raisonnement de la Cour : la consolidation historique du titre et

II-

l'acquiescement du Cameroun ; des arguments «contra legem » 26

A- A propos de la thèse de la consolidation historique du titre .. 26

B- A propos de la question de l'acquiescement du Cameroun 27
CHAPITRE II : DANS LA ZONE DE BAKASSI : UNE DELIMATATION

INTEGRANT CETTE PRESQU'ILE EN TERRITOIRE

CAMEROUNAIS 28

SECTION 1 : L'APPLICABILITE DE L'ACCORD ANGLO-ALLEMAND

DU 11 MARS 1913 . 29

I- Le rappel des thèses en conflit 30

A- Un texte triplement défectueux suivant la thèse nigériane . 30

B- Des thèses sans fondements, suivant l'argumentation du Cameroun 31

La position de la Cour : l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913, texte

II-

délimitant la frontière à Bakassi 32

A- Le rejet de l'argument tire de l'acte général de la conférence de Berlin ... 32

B- En ce qui concerne le défaut d'approbation dudit accord par le parlement Allemand 32

C- A propos de l'éventuelle abrogation de l'accord du 11 mars 1913

en application de l'article 289 du traité de Versailles 33

SECTION 2 : LA VALIDITE ENTIERE DUDIT ACCORD 33

I- Rappel des argumentations parties .. 33

A- Les arguments nigérians de l'invalidité de l'accord du 11 mars 1913 34

B- Les contre argumentations du Cameroun 34

II L'accord du 11 mars 1913,un texte bel et bien valide conférant la souveraineté

à Bakassi au Cameroun, d'après la Cour 36

A- L'invalidation de la thèse du Nigeria du défaut de qualité de la Grande- 36

Bretagne conformément a l'adage « nemo dat quod non habet »

B- Le régime de cette frontière entre 1913 et 1960 38

Conclusion de la première partie 41

DEUXIEME PARTIE : UNE FRONTIERE TERRESTRE D'UNE DELIMITATION CONVENTIONNELLEMENT AMBIGUE, DE VALEUR JURISPRUDENTIELLE MITIGEE ET D'APPLICATION DIFFICILE 42

UNE DÉLIMITATION PARTICULIEREMENT AMBIGUE SUR LE CHAPITRE III: RESTE DE LA FRONTIÈRE TERRESTRE 44

L'ALTERNANCE DE LA RECONNAISSANCE DES THESES

SECTION 1 :

NIGERIANES ET CAMEROUNAISES SUR CERTAINS POINTS 45

I- Les points reconnus au Nigeria 46

A- Les thèses en conflit .. 46

B- La substance de raisonnement de la Cour 49

II- Les points conférés aux thèses camerounaises 53

A- L'exposé des arguments en conflit 53

B- Contenu du raisonnement de la Cour .. 55

SECTION 2 : UNE DELIMITATION CONSACRANT DES ZONES NEUTRES OU

INTERMEDIAIRES 57

I- Les différents points litigieux concernés 58

A- Les points litigieux définis par la déclaration Thomson-Marchand 58

B- Les points litigieux définis par l'ordre en conseil de 1946 .. 61

II- L'exposé du raisonnement de la Cour sur les points concernés . 62

A- Une délimitation neutre par certains endroits 62

B- Une délimitation mixte ou intermédiaire par d'autres endroits 69
CHAPITRE IV : UNE FRONTIERE TERRESTRE D'UNE DELIMITATION DE PORTEE JURISPRUDENTIELLE MITIGEE ET D'APPLICATION DIFFICILE . 74

SECTION 1 : LA PORTEE MITIGEE DE LA VALEUR JURISPRUDENTIELLE DE LA DELIMITATION DE LA FRONTIERE TERRESTRE DANS L'ARRET DU 10 OCTOBRE 2002 74

La recherche du maintien de la paix et de la coopération dans les relations

I-

camerouno-nigérianes 75

A- La recherche du maintien de la paix entre les deux protagonistes 75

B- L'encouragement de la coopération entre le Cameroun et le Nigeria 76

II- La difficile classe jurisprudentielle de la décision retenue 78

A- L'hypothèse apparente d'un d'arrêt de principe 79

B- L'hypothèse d'un arrêt de confirmation . 80

LES FACTEURS ENTRAVANT LA MISE EN OEUVRE DE LA

SECTION 2 :

DELIMITATION DE LA FRONTIERE TERRESTRE . 81

I- Les facteurs d'inapplicabilité propres à l'arrêt . 81

A- Le recours permanent aux instruments défectueux 82

B- Le défaut de sanction du Nigeria . 85

Les facteurs indirects à l'arrêt : essai d'une étude de la commission mixte

II-

bilatérale Cameroun-Nigeria . 87

A- Une commission mixte aux missions trop étendues . 87

B- Une commission mixte aux moyens limités 89

Conclusion de la deuxième partie 92

CONCLUSION GENERALE 93

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 96

ANNEXES 99

TABLE DES MATIERES 100






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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus