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Réfugiés Hmong à  Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) - rapports aux lieux et diaspora

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par Pilippe MICHEL-COURTY
Université de POITIERS - Migrinter - Master 2 2007
  

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v Stéréotypes et invisibilité

Comme nous l'avions expliqué dans la première partie (p. 25), l'enquête menée auprès des usagers du quartier de la Herse, qu'ils soient anciens ou nouveaux résidents, simples passants, ou bien qu'ils y exercent une activité professionnelle, nous a permis de recueillir des informations sur les perceptions qu'ils avaient des familles hmong vivant dans le quartier. Nous allons d'abord exposer les principales conclusions auxquelles nous sommes arrivé, essentiellement à partir des réponses aux 2 questions suivantes :

Dans le quartier vivent des étrangers. De quelle nationalité ?

Est-ce un avantage ou un inconvénient pour vous ?

Que savez vous de cette population ?

Puis, nous confronterons ces perceptions au discours identitaire que les Hmong portent sur eux-mêmes.

Le mot « étranger » conduit l'interviewé à un certain nombre de commentaires. Nous constatons en premier, à une exception près, une méconnaissance de l'Autre en tant qu'individu, en raison de l'absence de rapports directs avec lui, malgré une cohabitation étroite dans un quartier précis de très petite ville. Cela l'amène à fonctionner essentiellement par stéréotypes et « catégorisation de segments de population dans des catégories statutaires exclusives et impératives » (BARTH, 1995 : 217). Parmi l'ensemble des commentaires, nous retiendrons ceux qui touchent à la nationalité, au statut et, enfin, à la perception générale que l'interviewé a de la population hmong.

la nationalité : « Laotiens... Vietnamiens... gens de couleur... »

Sur l'ensemble de l'échantillon, 2 personnes parlent des « Hmong », l'une spontanément se souvenant d'une exposition organisée à Montreuil-Bellay « il y a 15 ans » (l'exposition a eu lieu en 1996) ; la seconde, après avoir évoqué les « réfugiés du Laos », précise qu'il s'agit de la « tribu hmong ». Pour tous les autres, ce sont des « Laotiens ». Une seule personne tente en vain de préciser l'origine de cette population : « Asiatiques... tout ce qui dépend de la Chine », pour terminer par un phénotype : « des gens de couleur ». A noter que deux autres nationalités sont évoquées sans commentaire particulier : un « Portugais » et une «  Brésilienne ». Quant à « la Noire », peut-être « Antillaise »..., elle est simplement « gentille comme tout ». Il est important de rappeler que nous sommes dans le contexte d'une petite ville sans tradition d'immigration et que la présence d'un seul « étranger » est très visible et fait figure d'exception. Par ailleurs, des Anglais et des Hollandais vivent sur la commune, mais pas dans le même quartier...

le statut : « Exilés... réfugiés politiques... »

Leur arrivée à Montreuil-Bellay est attribuée à « la guerre », ou à des conflits liés au « régime communiste » qui se résument rapidement en « truc de politique ». Un des deux interviewés, qui dit que ce sont des « réfugiés politiques », complète son propos en précisant qu'il ne s'agit pas d'une « immigration `choisie' », voulant signifier par là qu'ils n'ont pas été acteurs de leur choix. Le lapsus trouve son origine dans l'actualité politique et le débat sur la politique migratoire. La date d'arrivée, quand elle est donnée, est toujours floue : « les années 70 ». Cela renvoie à un passé lointain - certains n'étaient même pas nés - qui fait partie en quelque sorte de l'histoire de la commune, une histoire qui a été totalement intégrée. Les Laotiens font désormais partie du paysage urbain, sont en quelque sorte devenus des « éléments de l'environnement naturel » (BARTH, 1995 : 219) et par là sont totalement réifiés.

La perception générale : « Je ne peux pas m'en plaindre... pas dérangeants, pas embêtants, pas désagréables... très discrets... »

Le discours des interviewés est ici très prudent, le contexte de l'entretien empêchant sans doute une liberté de parole. Néanmoins, la construction syntaxique des réponses est signifiante. Ils procèdent d'abord par généralisation pour qualifier les membres de la communauté Hmong. Il s'agit avant tout de dire ce que leur présence NE provoque PAS, à savoir dérangement, embêtement ou désagrément, et très rarement ce qu'elle apporte (l'exposition). En réalité, il semble qu'ils soient seulement tolérés parce qu'ils sont « discrets » et qu'ils « restent entre eux ». Leurs comportements spatiaux deviennent alors des marqueurs sociaux. Leur quasi invisibilité ne fait donc pas d'eux, aujourd'hui, un groupe menaçant pour les habitants du quartier qui, pourtant, semblent avoir été très méfiants au moment de leur arrivée : « Tu ne seras jamais payée ! » a-t-on dit à cette nourrice qui gardait chez elle un enfant d'une famille hmong. Cette dernière a une vision tout autre, simplement parce que elle a eu des contacts directs avec des familles, par son travail d'abord, qui l'a amenée à les côtoyer directement, à participer ensuite à des fêtes familiales, mais surtout à entretenir des rapports de bon voisinage. Celle qui a priori était « lointaine » par sa culture, ses coutumes et son mode de vie, est devenue « proche » Une relation spécifique s'est mise en place, « fondée sur une lente découverte réciproque, qui fait accéder l'autre de l'exotisme, voire de la menace, à une proximité fraternelle » (RAPHAEL, 1996 : 90).

Au regard des jugements portés par les habitants et usagers du quartier de la Herse, on peut constater que, s'il y a cohabitation, en réalité il n'y a pas ou peu d'interaction entre les adultes. Ainsi, la communauté Hmong constitue un « groupe ethnique » selon la définition de NAROLL (1964), reprise par BARTH (1995 : 206), qui retient 4 critères : une population qui « se perpétue biologiquement dans une large mesure » - ...il y a très peu de mariages mixtes..., ils ne se mélangent pas...-, qui « défend des valeurs culturelles fondamentales » - leur nourriture..., les jardins c'est pas comme chez nous... -, qui « constitue un espace de communication et d'interaction » - ... ils avaient fait une exposition..., ... ils vivent entre eux...-, et enfin qui est « identifiée par les autres comme constituant une catégorie spécifique » - ... des Laotiens..., ... des réfugiés politiques...

Toutefois, comme le souligne BARTH, « le point crucial devient la frontière ethnique qui définit le groupe et non le matériau culturel qu'elle renferme » (BARTH, 1995 : 213). La frontière sociale - face externe43(*) - est tracée par le groupe majoritaire qui prescrit implicitement des codes et des valeurs qui structurent la vie sociale, et qui fixe des interdits qui conduisent à une absence d'interaction interethnique. L'ensemble aboutit à une réification du groupe, comme assigné à résidence dans une territoire limité, et empêche toute possibilité d'interaction. C'est même souvent en reprenant les traits mis en relief par les dominants pour établir la face externe de la frontière que les groupes minoritaires construisent la face interne (JUTTEAU, 1999).

Le discours identitaire des Hmong révèle cette autre face de la « frontière » dressée en réaction. Ainsi à l'occasion d'un entretien, P... (20 ans) nous a déclaré :

Je suis Hmong... Nous les Chinois...... je dis ça parce que depuis que je suis gamin on m'appelle Chinois... on a l'habitude... Mon père, dans les magasins, il se fait traiter de « chintok ». Il croit que c'est bien, il comprend pas, et il fait un sourire... Je suis pas un Blanc...

Dans la même phrase, le locuteur utilise 2 termes antinomiques pour s'auto désigner : en tant qu'individu il s'affirme Hmong, ce qui correspond à la catégorisation ethnique évoquée avec fierté, et en même temps dit faire partie d'un groupe catégorisé par d'autres (nous, les Chinois), reprenant à son compte la stigmatisation dépréciative - chintok - du groupe dominant. Il recourt enfin au phénotype pour marquer l'ultime limite de la frontière, la couleur de la peau. Interrogé sur ce choix lexical, il affirme que « ils (les Français) ne font pas la différence entre les Laotiens, les Vietnamiens... Pour eux, on est tous des Chinois ».

D'autres jeunes adultes présentent les Hmong comme des « guerriers » ou des « hommes libres », revendiquant ici une identité de valeur. Non seulement, ils se distinguent ou se protègent de l'Autre perçu comme dépréciateur, mais ils se sur-affirment plus ou moins agressivement et sont allés jusqu'à l'affrontement physique pour appuyer leurs dires :

...On est bien parce qu'on est ensemble. Mais ici, c'est pas terrible par rapport au racisme, à la discrimination... Quand t'es gamin c'est pas facile... On s'est battu pour se faire respecter, on s'est battu à fond...Maintenant on s'est fait des amis...

On voit ici la force tirée de l'existence du groupe - ensemble... - sans lequel l'individu aurait, semble-t-il, du mal à trouver sa place dans le quartier - ici...- perçu d'emblée comme hostile, mais cependant progressivement habité.

A la maison, « lieu de stabilité et d'identité » (FREMONT, 1999 : 49), la cellule familiale assure la continuité identitaire, par l'usage permanent de la langue, les modes alimentaires, les pratiques culturelles ; à l'extérieur, sur un territoire limité dans l'espace urbain, qui possède alors le statut de centre, et qui est construit par une mobilité de proximité, le groupe joue un rôle protecteur par l'existence d'une conscience collective forte et d'une « solidarité mécanique » (DURKHEIM, 1973). Ainsi s'est constituée une communauté culturelle, langagière et mémorielle dans un quartier qui, pour ses membres, est devenue, loin de celle d'origine, une « petite patrie » (MEDAM, 1996 : 113).

* 43 JUTTEAU, D. 1999. L'ethnicité et ses frontières. Presses Universitaires de Montréal. 230 p.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld