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Réfugiés Hmong à  Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) - rapports aux lieux et diaspora

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par Pilippe MICHEL-COURTY
Université de POITIERS - Migrinter - Master 2 2007
  

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Conclusion générale

La communauté hmong vivant à Montreuil-Bellay est numériquement faible et a su, depuis bientôt 30 ans, conserver son identité ethnoculturelle dans un contexte urbain où l'assimilation aurait pu être inévitable. A quoi tient ce phénomène de résistance ? Faut-il en rechercher les causes dans les rapports aux lieux entretenus par les individus, les familles et le groupe entier ?

L'espace des géographes se déplie selon des niveaux de perception successifs qui vont de l'espace objectif ou parcouru, qui correspond à celui des structures géographiques, à l'espace subjectif, pratiqué ou vécu, et à l'espace culturel, lieu d'une écriture géosymbolique (BONNEMAISON, 1981). L'étude de ces 3 niveaux a permis de dégager différentes étapes dont on peut rappeler les aspects essentiels.

A l'origine, les Hmong avaient une pratique de la mobilité dans des lieux géographiques fluctuants où prévalait la « logique du lignage ». N'étant pas propriétaires d'un lieu géographique, ils en disposaient tant qu'il répondait aux besoins du groupe. Cette organisation traditionnelle va être bouleversée par les guerres d'Indochine qui mettent à feu et à sang la péninsule indochinoise au cours des années 1970. Pendant l'exil, qui les conduit jusqu'aux camps de réfugiés au-delà du Mékong, ils connaissent une mobilité sous contrôle tant qu'ils demeurent sous la responsabilité de l'UNHCR. C'est là que s'effectuent les premiers regroupements familiaux et que se constitue l'amorce d'un nouveau réseau relationnel qui sera activé ultérieurement. C'est aussi à partir des camps qu'a lieu la dispersion qui va les essaimer aux quatre coins du monde et marquer la rupture définitive avec une civilisation ancestrale : « The Hmong made one airplane flight from sixteenth to twentieth century. Within space of seventy-two hours these mountain people were taken from bamboo-thatched huts in refugee camp along the Mekong river and put into two or three bedrooms apartments... »53(*). En France, la prise en charge dans des centres d'accueil successifs rend l'ancrage temporairement impossible, car leur parcours migratoire est ponctué d'étapes et de lieux de destination sur lesquels ils n'ont aucun pouvoir de décision. Chaque centre correspond au franchissement d'un sas d'entrée supplémentaire dans la société d'accueil, caractérisé par les apprentissages nécessaires pour permettre un début d'intégration : apprentissage de la langue, acquisition de compétences professionnelles sont autant de moyens qui doivent assurer l'obtention d'un emploi. Et c'est justement par l'accès à l'emploi salarié et au logement que le premier ancrage va être réalisable. Après plusieurs années, ils deviennent davantage acteurs de leurs choix. Au cours de ce périple, toutes les occasions ont été saisies pour reconstituer le clan et éviter l'isolement en milieu rural que les politiques d'accueil préconisaient pourtant. C'est ainsi que s'est constituée la communauté de Montreuil-Bellay, installée depuis près de 30 ans dans le quartier de la Herse.

Plus qu'un lieu de résidence, ce quartier est d'abord un lieu d'habitation centré autour de la maison ou de l'appartement. C'est en effet le lieu exclusif de l'agglomération où se nouent les liens sociaux dans une pratique de « mobilité de sociabilité » (RAMADIER, 2002 : 117), essentiellement pour les femmes, qui dans un espace domestique sexué et parfois polygame, opposant espace public masculin et espace privé féminin, s'approprient des lieux spécifiques et font des jardins potagers à l'extérieur du quartier un prolongement économique et culturel de la résidence. Visible pour les autres habitants du quartier et en même temps invisible car on dit qu'« ils vivent entre eux », la communauté hmong entretient peu de rapports avec la population locale en dehors des contacts indispensables dans le cadre des activités professionnelles et « est en marge de la société d'accueil, mais, par ailleurs, [elle] s'y est installé[e] avec la volonté de refaire sa vie, tout en sachant bien qu'[elle] sera peut-être amené[e] un jour à se remettre en route » (SIMMEL, 1987 : 88). Les bassins de vie familiaux initiaux se sont progressivement élargis par le mariage ou l'entrée dans la vie professionnelle des enfants, mais ils restent domocentrés, en particulier pour les garçons qui demeurent attachés au quartier et au domicile parental, perpétuant ainsi dans une certaine mesure la tradition d'assistance auprès des parents. Ces jeunes adultes sont en possession d'une ressource exclusive importante constituée par ce que A. BOURDIN appelle « les savoirs autochtones » (BOURDIN, 1996 : 43). La connaissance des réseaux de relation locaux représente pour eux un « capital » et ils « ne peuvent utiliser cette ressource exclusive que là où elle a été constituée, donc par l'intermédiaire de la référence à un lieu » (id., ibid.).

Malgré son isolement dans le contexte local qui pourrait paraître pour un repli identitaire et une forme de marginalisation, la communauté hmong de Montreuil-Bellay entretient des liens étroits et constants avec les autres membres du clan dispersés en France et à l'étranger et pratique une « mobilité de sociabilité » à une échelle plus large en effectuant des déplacements fréquents en direction des autres pôles de la diaspora. Par le biais d'une association, elle perpétue l'organisation clanique traditionnelle, tout en s'adaptant aux normes administratives de la société d'accueil. Ces contacts, qui permettent d'éviter l'isolement, se renforcent à l'occasion des mariages, des décès et des fêtes traditionnelles qui réunissent toute la communauté locale et les familles venues de plus loin appartenant au même clan. Cela assure la persistance d'une identité ethnoculturelle qui permet de résister à l'épreuve du temps et de minimiser les effets de la dispersion.

Ainsi, de l'espace parcouru à l'espace culturel en passant par l'espace vécu, « toute société regroupe en un ensemble spatial plus ou moins harmonieux ou plus ou moins tendu ces différents niveaux de perception et donne à chacun de ces types d'espace une configuration au sol, une signification et un rôle particulier » (BONNEMAISON, 1981 : 258). Au terme de cette étude portant sur les rapports aux lieux entretenus par les membres d'une communauté hmong dans un contexte de très petite ville, quelle typologie des lieux est-on à même de dégager ? Nous les classerons en fonction de la signification attribuée aux lieux pratiqués. Nous distinguerons les lieux sociaux, festifs et symboliques.

Le quartier de la Herse est par excellence le lieu social. La proximité des résidences permet aux membres de la communauté de se côtoyer quotidiennement, tant pour partager un moment de jeu pour les hommes que pour entretenir des relations familiales ou de voisinage dans le cas des femmes. L'attachement affectif qu'ils éprouvent pour ce quartier est une forme d'« appropriation existentielle » (RIPOLL, VESCHAMBRE, 2005 : 10) qui donne le « sentiment de se sentir à sa place voire chez soi quelque part. Le sentiment d'appropriation se transforme alors en sentiment d'appartenance » (id., ibid.). Le rapport aux lieux est vécu comme réciproque : un lieu est à nous parce qu'on est à lui, il fait partie de nous parce que nous faisons partie de lui. Cela permet d'affirmer qu'« on est bien parce qu'on est ensemble » (Tchy-Neng, 22 ans). La vie quotidienne de la communauté se déroule sur un territoire limité dans l'espace urbain, qui possède le statut de centre, excluant les autres quartiers de la ville à l'exception des jardins périphériques. En fait, plus que dans l'espace géographique, c'est dans la relation sociale que s'est réalisé un ancrage durable du groupe.

Si les lieux ont une fonction sociale, ils ont par ailleurs une fonction festive qui leur est associée mais qui pourtant doit être distinguée car elle a pour cadre l'enceinte domestique de la résidence. C'est en effet essentiellement dans l'intimité résidentielle que se déroulent les rassemblements communautaires à l'occasion des fêtes familiales comme les mariages. Dans la tradition hmong, les rites matrimoniaux complexes se déroulent successivement au domicile de la famille de chacun des époux. Si la tradition s'est maintenue à Montreuil-Bellay, elle s'est quelque peu modifiée par l'innovation du « mariage en salle », rendue nécessaire par les conditions de logement, celles-ci ne permettant pas matériellement les grands rassemblements familiaux. Cette pratique nouvelle, qui par ailleurs est considérée comme valorisante, est un signe d'adaptation aux normes de la société d'accueil qui « apparaît lorsque d'anciens usages sont confrontés à de nouvelles conditions et que de vieux modèles sont utilisés dans de nouveaux buts » (HOBSBAWM, 2006 : 16), en l'occurrence ici la valorisation sociale. Toutefois, à l'intérieur de ces lieux festifs, il faut remarquer l'opposition entre ceux à dominance masculine - la salle de séjour où se rassemblent les hommes pour procéder aux différents rituels, en particulier les « tours de saké » -, et ceux à dominante féminine - la cuisine et ses annexes où se prépare le repas de fête.

Enfin, dans l'espace domestique, on peut distinguer des micro-lieux qui ont une fonction symbolique. Ils sont liés à la tradition animiste de la communauté. Nous avons pu repérer l'importance accordée au seuil de la maison par lequel « on passe d'une vie personnelle au monde, mais aussi du monde à une vie personnelle » (SIMMEL, 1983 : 100), et surtout d'un intérieur sous la protection des génies et des ancêtres à un extérieur perçu comme hostile. C'est également face à l'autel domestique que l'on entre en contact avec les génies protecteurs, tout particulièrement lorsque leur intercession est rendue nécessaire en cas de maladie ou de convalescence, ou tout simplement afin d'obtenir la protection du toit familial et de ses occupants. Le chamanisme pratiqué régulièrement s'appuie également sur des lieux symboliques, qu'ils soient éphémères comme les cercles dans lesquels le chaman enferme les individus, ou même idéels comme ce voyage vers l'Au-delà dans lequel il s'engage sur son « cheval dragon ».

L'ensemble de ces lieux sociaux, festifs et symboliques associés et imbriqués les uns dans les autres participe à la conservation d'une culture, alliance de traditions héritées et de modernité, que la communauté hmong a entretenue depuis son arrivée et qu'elle transmet aux jeunes générations. Contrairement à l'émigrant qui espère que « parce qu'il aura changé de lieu, jeté de son lieu dans le monde » aura changé « de peau, de vie, de mémoire et d'histoire » (MEDAM, 1996 : 104), les Hmong de Montreuil-Bellay sont détenteurs d'une culture et d'une histoire qu'ils préservent et réactivent en permanence grâce aux liens matériels et idéels entretenus avec les différents pôles de la diaspora. Leur identité culturelle est « la combinaison de représentations et de pratiques linguistiques, religieuses, alimentaires, éducatives, familiales... permettant de définir un univers singulier, plutôt qu'un territoire bien délimité » (RAPHAEL, 1996 : 80).

* 53 Spencer SHERMAN. Extrait de l'article Lost tribes of the central valley, publié dans le San Francisco Chronicle Examiner (15 septembre 1985)

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