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La conférence de rédaction comme outil d'auto-régulation et espace de communication organisationnelle

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par Anicet Laurent QUENUM
Université Cheickh Anta Diop de Dakar - UCAD - DESS 2004
  

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CHAPITRE II

II. SOURCES DE CONFLITS / DYSFONCTIONNEMENTS D'ORDRE

DEONTOLOGIQUE

2.1 L'attaché de presse en question

2.1.1 Attaché de presse du ministre ou du ministère ?

L'exercice de la fonction d'attaché de presse donne parfois lieu à des dérapages dommageables à l'image du journaliste lui-même et à sa profession. Hormis le fait que l'opinion au sein de sa propre corporation lui est largement défavorable, l'attaché de presse doit aussi affronter et démentir par son comportement professionnel, les nombreuses idées reçues qui font de lui un banal valet du ministre. C'est dire à quel point l'on ne vend pas cher l'étoffe de l'attaché de presse dans l'environnement des médias africains. Et il y a bien une cause à cela...

En réalité, le mal provient de ce que, un certain goût immodéré de l'affairisme, l'arrivisme, la vénalité, l'immaturité, la légèreté, la faiblesse de caractère, le manque de personnalité, ont contribué à dévoyer une fonction qui, comme toutes les autres, ne vaut que ce que valent ceux qui l'exercent.

Alors, il est évident qu'un excès de servilité et de courbettes ne peuvent qu'à terme, fragiliser et crétiniser l'attaché de presse. Le cas échéant, le journaliste y perd toute autonomie de pensée et d'action, à la limite prêt à s'effacer devant la volonté de son maître. C'est cette déviance poussée à l'extrême qui a engendré au sein de la corporation, la race des attachés de presse -coursiers et porteurs de valisettes. Bref, des journalistes à tout faire qui poussent si loin leur degré de soumission à leur ministre

ou président (d'institution) au point que l'on en vient à se demander s'ils sont « attachés à la personne » de ce dernier ou s'ils sont au service du ministère qui les emploie. Dans certains cas, la nuance n'est pas évidente ; il y a comme une confusion délibérément entretenue par quelques attachés de presse qui y trouvent leur compte.

Curieusement, dans l'euphorie de la jouissance des avantages, les AP ont tendance à oublier que leur prospérité est éphémère est surtout tributaire de la longévité ou non du patron. Qu'il s'agisse d'un ministre ou de tout autre haut fonctionnaire de l'Etat, rien n'est éternel et son fauteuil éjectable peut basculer le temps d'un revers électoral, et du jour au lendemain, l'AP pourrait se retrouver sans attache. Et justement, cette incertitude du lendemain, cette angoisse de l'infortune peut faire de l'AP, un homme trop pressé ou carrément arriviste selon les cas.

De cela peuvent découler les pires excès qui donnent à penser que les chances d'exercer honnêtement, en toute droiture et dans les règles de l'art, la fonction d'attaché de presse relève d'une gageure. Seulement, la tendance un peu facile à fulminer sans discernement contre les AP et à les loger tous à la même enseigne est préjudiciable à ceux qui ont peut-être encore la faiblesse de croire à la pureté de cette fonction qui relève fondamentalement des relations publiques. Sa pratique éveille moins de polémiques, de suspicions et de malaises lorsqu'elle est exercée en dehors du cadre des rédactions de presse.

2.1.2 Ce qu'on y gagne : les privilèges, l'ouverture au monde...

Il est clair que le journaliste qui accepte la responsabilité d'attaché de presse ne le fait
pas pour les beaux yeux de son maître. Toute peine mérite salaire dit-on. Mais c'est
moins le salaire que les faveurs et les largesses d'un patron généreux qui font les

beaux jours d'un attaché de presse. Selon l'humeur du ministre ou du président, l'attaché de presse est gratifié de divers biens, à commencer par les fameux ticketsvaleur ou bons d'essence et Dieu sait que ça dépanne !

Autres avantages : les missions et les voyages qui représentent le moyen par lequel un journaliste devenu attaché de presse, peut multiplier par dix ou vingt ses chances de visiter les cinq continents de la planète. Alors, ce serait à peine exagérer que de percevoir la fonction d'attaché de presse comme une porte d'entrée du journaliste dans la mondialisation. Car, par-delà les considérations matérielles, il y a le niveau de culture qui s'en porte mieux pour peu que l'on sache s'ouvrir à l'essentiel. Un attaché de presse passionné de best-sellers sur la littérature moderne ou friand de bouquins scientifiques rares saura faire de ces voyages une aubaine pour étoffer et garnir à l'envi sa bibliothèque. Pour un journaliste, cela a du prix!

Par ailleurs, à force d'arpenter les couloirs des grands centres de décision, mais aussi à force de tutoyer les hommes politiques, l'attaché de presse devient le témoin d'une foule de situations qui lui permettent de mieux appréhender la réalité du pouvoir et se faire une opinion sur ceux qui nous gouvernent. Autant de choses qui peuvent contribuer à son mûrissement personnel. Aussi, faut-il ajouter que l'attaché de presse, à travers ses pérégrinations, a la latitude d'enrichir admirablement son carnet d'adresses et même de pouvoir serrer la main à quelques « grands » de ce monde. C'est une belle manière de faire oeuvre utile : entretenir un réseau de relations, précieuse richesse qui peut servir au-delà de la carrière.

2.1.3 Ce qu'on y perd : la dignité

L'attaché de presse est en principe un acteur incontournable dans l'action promotionnelle des ministères et institutions. Son utilité devient plus visible à l'occasion des tournées et missions de son patron mais aussi chaque fois que ce dernier doit intervenir dans les médias. L'attaché de presse joue les médiateurs en période de crise en négociant l'accès de son patron aux médias. Les moins chanceux ou les plus zélés sont en plus appelés à rédiger des communiqués, contre-communiqués et droits de réponse et même à rédiger et à proposer au ministre, une revue de presse quotidienne. Ainsi, les périodes d'effervescence politique ou de crise sociale sont très éprouvantes pour l'attaché de presse qui n'a droit au répit que lorsque l'orage est passé. En attendant que son ministre se décide à sortir de sa réserve pour répondre officiellement aux éventuelles attaques de la presse, l'attaché de presse est parfois contraint d'aller au charbon avec ce que cela implique comme risques de compromission pour un journaliste.

Bon an mal an, il est du ressort de l'attaché de presse de rechercher en permanence les moyens par lesquels il doit réussir à projeter l'image la plus reluisante possible du ministère ou de l'institution qu'il sert. Et c'est malheureusement cette « obsession de l'enjoliver » qui l'éloigne des principes éthiques du journalisme. Car, dans un dossier qui engage la crédibilité de « son » ministère, il est plutôt rare qu'un attaché de presse se démène particulièrement pour rechercher l'équilibre entre plusieurs vérités. Généralement, c'est celle de son ministre qui fait foi et autorité. Il est donc clair qu'un attaché de presse ne pourra jamais avoir la confiance de son rédacteur en chef quand il s'agira du traitement d'un dossier dans lequel son ministre est trempé.

Les risques de manipulation et de partialité sont immenses et apportent de l'eau au moulin des partisans de la thèse de l'incompatibilité entre journalisme et fonction d'attaché de presse. Et si, le souci d'un traitement équitable de l'information a amené par exemple, la Haute Autorité de l'Information et de la Communication du Bénin (HAAC)24 à exclure les attachés de presse de la couverture médiatique des campagnes électorales de 1999 et 2001, ces derniers ne devraient pas en rougir. Bien au contraire, cette précaution les préserve d'une occasion de chute professionnelle. A signaler d'ailleurs que la mesure concernait notamment les attachés de presse dont les ministres ou patrons étaient candidats à la députation ou à la magistrature suprême.

En vérité, la difficulté, c'est moins la connaissance de la loi que son respect. Et de ce point de vue, combien d'attachés de presse se sont fixé des limites dans la défense des intérêts de leurs maîtres ? Combien d'entre eux ont assez de maturité et de témérité pour dire non à un ministre ou un responsable d'institution qui tenterait de faire d'eux les boucs émissaires d'un montage de contre-vérités à des fins de manipulation de l'opinion publique ? Certes, il y en a, mais trop peu nombreux pour justifier l'exception, pour donner de la voix et faire école. Et pourtant, il suffira au moins une fois, si cela s'impose, de pouvoir et d'oser dire ce « non» catégorique qui valorisera sa propre personne et son métier et bien plus, pour s'offrir l'occasion de donner à un responsable politique, une leçon d'honneur et de dignité.

Mieux, c'est encore à l'attaché de presse lui-même de faire comprendre à ses
employeurs que son rôle ne saurait se limiter à déambuler dans les allées des
séminaires pour la gestion des perdiems, encore moins pour n'assurer que le suivi des

24 La Haute autorité de l'audiovisuel et de la communication instituée par les articles24, 142 et 143 de la Constitution du 11 décembre 1990 veille au respect des libertés. Elle a pour mission de garantir et d'assurer la liberté et la protection de la presse, ainsi que tous les moyens de communication de masse dans le respect de la loi. Elle veille au respect de la déontologie en matière d'information et d'accès équitable des partis politiques, des associations et des citoyens aux moyens officiels d'information et de communication

photocopies de documents et la ventilation des discours. Ce n'est point valorisant pour un journaliste. N'empêche, beaucoup de doyens sont passés par-là et ne le regrettent pas forcément en faisant la balance entre les servitudes subies et les intérêts engrangés. C'est à croire que la fonction semble toujours avoir de longs jours devant elle. Surtout que - et il est bon de le savoir- ce n'est pas sous tous les cieux que l'attaché de presse est perçu comme un suspect et traité comme la cinquième roue du carrosse.

2.2 L'attaché de presse et sa Rédaction

Les Rédactions de la radio et de la télévision nationales sont les principales pourvoyeuses d'attachés de presse. C'est dans ce vivier que viennent puiser la quasitotalité des institutions, les ministères et même la présidence de la République. Cela suffit à donner de la légitimité aux attachés de presse qui sont surtout conscients d'être, après tout, en mission pour l'Etat. Cette tutelle qui ne dit pas son nom n'en constitue pas moins un bouclier contre les offensives peu amènes de ceux qui brandissent la menace de dégager les « AP » de l'effectif des organes de presse pour les reverser à l'administration à laquelle ils sont « attachés ». C'est dire à quel point la controverse est vive entre partisans et adversaires du cumul des genres; la tension se ravive lorsqu'en période électorale, interdiction est faite aux « AP » d'en assurer la couverture.

Dans de nombreux cas, la mise à exécution d'une telle menace enlèverait à ces AP leur pouvoir d'action, leur opérationnalité, leur efficacité, voire leur raison d'être. Car, n'oublions pas que c'est leur appartenance aux Rédactions, leur capacité à influencer certains choix, leur capacité à tirer profit du pouvoir d'information des médias auxquels ils appartiennent, qui justifient leur utilité et déterminent la portée de leurs prestations.

Seulement, plus une Rédaction réunit d'attachés de presse, plus ces derniers sont en mauvaise posture. Il ne se passera pas un seul jour sans que le rédacteur en chef n'ait à se plaindre de leur extrême mobilité dans la mesure où ils sont appelés presque quotidiennement à répondre à l'appel sur deux fronts: la Rédaction et le ministère. Deux obligations qui se concurrencent au détriment des Rédactions déjà mal loties du point de vue des effectifs. Plus des deux tiers des journalistes officiant à la Rédaction de la Radio nationale portent cette casquette d'attaché de presse cumulativement avec leurs activités de journaliste. Et si l'on en croit Godefroy Chabi, « cette situation est source de piétinements faits de partis pris et de coloration dans le travail des intéressés ».

Manifestement, leur situation ambivalente donne du fil à retordre à la rédaction en chef qui se trouve contrainte d'assumer les défaillances qui en découlent et de gérer les perturbations que cette même situation engendre au niveau de la programmation. Evidemment, dans cette gestion des impondérables, il ne manquera pas de battre campagne pour trouver un remplaçant ou un suppléant. Mais en cas d'échec, il assumera lui-même et cela est monnaie courante dans les rédactions à effectif réduit.

Tel attaché de presse, initialement programmé à la présentation du journal se retrouve en mission avec son ministre, tel autre en position de reportage est finalement retenu dans une session à l'Assemblée Nationale...Voilà autant d'équations à résoudre de la meilleure façon par la rédaction en chef, qui, il faut le dire, éprouve beaucoup de peine à maîtriser cette catégorie de collaborateurs. Et pourtant, les mêmes rédacteurs en chefs savent que ces attachés de presse ne sont pas capables que du pire. Ils sont capables d'user de leurs relations au sommet de l'Etat pour aider les Rédactions à ouvrir des portes qui se ferment habituellement sous le nez des journalistes. Ils sont

capables de donner un coup de main à un collègue qui se plante dans une enquête politiquement sensible. Ils sont en outre capables de mettre la puce à l'oreille à leurs confrères dans une situation de rétention de l'information. Alors, est-ce possible que tout cela n'ait pas un prix?

Nuance tout de même, car si ce mode de fonctionnement de l'attaché de presse ainsi décrit est très proche de la réalité béninoise par exemple, il en va autrement dans d'autres pays de la sous-région comme le Burkina Faso et le Sénégal où l'attaché de presse n'a pas toujours pour cadre de travail la Rédaction. Telle semble d'ailleurs la meilleure formule pour éviter le piège de la duplicité.

Quoiqu'il en soit, on remarque le souci de plus en plus manifeste chez les confrères de Radio-Bénin de ne pas laisser confondre le journalisme avec les métiers de la communication et que Alain ACCARDO dans son ouvrage journalistes au quotidien 25 qualifie de « nébuleuse allant des attachés de presse aux publicitaires en passant par les dircom26 et les journalistes d'entreprise ».

2.3 Le journaliste, la politique et la carte du parti

Peut-on servir deux maîtres avec une égale fidélité ? Non, nous répond l'Evangile arguant que l'un sera aimé et l'autre haï (Mt. 6 / 24). Il en va également ainsi du journalisme et de la politique qui constituent deux univers inconciliables. Mieux, nos maîtres nous ont enseigné que les deux options étaient incompatibles. Mais, ça c'est pour les théories d'école. Nos organes de presse nous font découvrir chaque jour d'autres réalités. L'expérience du terrain n'arrête pas de contrarier cette leçon des

25 Accardo (Alain), les journalistes au quotidien, Editions Le Mascaret, Bordeaux, 1995, p.29

26 Dimunitif de « directeur de la communication»

puristes de la profession. Est-ce pour autant qu'elle n'a pas été assimilée ? Non, apparemment, la raison ou les raisons seraient ailleurs.

La sagesse recommande que le détenteur de la carte d'un parti n'en fasse pas un secret, un jeu de cache-cache au point d'abuser de la bonne foi de sa Rédaction et de ses confrères. C'est une responsabilité qu'il faut plutôt assumer avec toutes les implications professionnelles qui en découlent, à commencer par l'incapacité temporaire à couvrir les activités du parti politique dont on est membre. Il serait en tout cas plus responsable de prendre de la distance par rapport aux événements auxquels se trouve mêlé son parti politique. Godefroy Chabi de Radio-Bénin ne le pense pas moins lorsqu'il suggère une alternative qui consisterait à « isoler momentanément tout journaliste reconnu sous l'influence des milieux politiques en le destinant à une autre tâche au sein de la Rédaction de presse ».

Abondant dans le même sens, Serge Tomondji, précédemment commentateur à Radio Pulsar de Ouagadougou, propose ce qui lui semble être la solution de sagesse : « mieux vaut ne confier à cette catégorie de journalistes que des comptes-rendus qui n'ont pas de grandes conséquences sur la ligne éditoriale de l'organe ».

Loin de jeter l'anathème sur le journaliste militant politique, les journalistes interrogés sur cette question conçoivent qu'au nom de la liberté d'association reconnue à tout citoyen, le journaliste, lui aussi, puisse s'en prévaloir pour s'affilier à un courant politique. « Chacun est libre de militer où il veut, mais que cela ne se reflète pas dans le traitement de l'information » concède Mme Magatte Diop, chef de station de la Radiotélévision sénégalaise à Kaolack, comme pour dire que le cas de la presse béninoise n'est pas isolé.

Mais, là où le bât blesse et là où naissent les conflits, regrette Emmanuel Sotinkon, c'est que < le journaliste membre d'un parti politique est souvent enclin à prendre parti dans ses analyses, commentaires, reportages, ce qui altère son obligation de neutralité et d'objectivité ». Et à Claude Agossou de Radio-Bénin d'ajouter que le vice vient de ce qu' < il confond l'information et la voix de son maître ». Or, ce genre de situations, très inconfortables pour l'image des Rédactions, finissent toujours par mettre le journalistemilitant à mal avec ses confrères et sa Rédaction qui ne lui pardonnent pas de leur faire endosser des opinions et des commentaires partisans. Et c'est peut-être ce genre de déconvenues qui justifient la fermeté de Jacques Philippe da Matha qui n'y va pas du dos de la cuillère pour trancher le sort des journalistes-militants-partisans : < ils trahissent la profession. Ils sont en porte à faux avec la déontologie et l'éthique de la profession et n'ont pas leur place au sein des Rédactions ».

Une chose paraît désormais sûre, c'est que <face à l'essor des radios privées, la direction des radios d'Etat a besoin de professionnels de valeur plus que de militants politiques »27.

En revanche, s'il doit y avoir pour le journaliste, un défi encore plus grand que la < neutralité » politique, cela résiderait certainement dans sa capacité de réaction professionnelle sous l'emprise des sollicitations partisanes. Ce qui nous conduirait à partager avec la Société Radio Canada cette réflexion selon laquelle < ... Le professionnalisme, pour un journaliste, ce n'est pas tant l'absence d'opinions ou d'émotions que la capacité de les reconnaître et de s'en distancier, pour présenter l'information objective» (Société Radio Canada / Normes et pratiques journalistiques). Et comme pour dire que le débat sur l'objectivité n'est pas si simple, Henri Assogba de

27 A.J. TUDESQ, l'Afrique parle, l'Afrique écoute - Les radios en Afrique subsaharienne, Karthala 20002, p.90

Radio-Bénin interpelle en ces termes : qui nous dit que le journaliste qui n'affiche pas ouvertement son appartenance politique traite « objectivement > l'information ?

2.4 Les journalistes partisans : taupes des Rédactions

Cette étiquette de «taupe> n'est malheureusement pas un produit de l'imagination ou une simple boutade pour enquiquiner les journalistes partisans. Dans la corporation, certains ont fait de la délation un fond de commerce dans l'unique dessein de gravir au plus vite les marches de la hiérarchie. Et la condition pour y arriver, c'est d'être nécessairement à la solde de quelques patrons influents. Ce qui pourrait laisser croire, à tort ou à raison, qu'ils n'ont aucun autre atout de réussite, aucune chance d'émergence professionnelle en dehors de l'allégeance ou du militantisme politique.

Cette réalité n'est pas propre au journaliste. On la rencontre dans toute l'administration, mais dans une rédaction de presse, le phénomène prend une autre dimension. Car, hormis le fait d'être de véritables empêcheurs de tourner en rond, ils contribuent à rétrécir le champ d'expression, de critique et d'action de leurs collègues au sein de la rédaction. Mais il en sera ainsi aussi longtemps que l'on comptera dans l'effectif des rédactions des « protégés> ou des «valets> de ministres, de leaders politiques ou de responsables d'institutions.

Entre deux maux, le bon sens recommande de choisir le moindre. Ainsi, les journalistes auraient de loin préféré une menace à leur liberté d'expression venant de forces exogènes plutôt que cela soit en sous-main l'oeuvre de délateurs tapis dans leurs rangs. C'est hélas la preuve que l'on n'est trahi que par les siens. Et en fait de trahison, c'est en réalité un sacrilège quand on sait à quel point les journalistes, par essence, sont jaloux du secret de certaines de leurs conférences de rédaction qui prennent des

allures de conclave. Alors qu'ils tiennent leurs conférences de rédaction pour un couvent, on comprend que toute fuite de décision stratégique de ce forum soit de nature à fragiliser leur pouvoir. Raison pour laquelle les visiteurs et autres allogènes qui ont tendance à confondre Rédaction et salle des pas perdus sont vigoureusement rappelés à l'ordre.

En clair, les journalistes ont encore un long chemin à parcourir pour atteindre l'idéal d'unité et de solidarité capable de résister à l'épreuve des tentations pécuniaires, des querelles de clochers, et des rivalités partisanes avouées ou non. Mais au fond, il s'agit aussi bien d'une question d'éthique que de maturité et là il convient de ne pas loger à la même enseigne tous les journalistes partisans.

2.5 La course aux cabinets ministériels

Les lendemains de scrutins présidentiels ou de remaniements ministériels sont souvent pénibles pour les rédactions. En effet, c'est le moment où il faut s'attendre à une hémorragie du fait de la course aux nominations dans les cabinets ministériels. Le phénomène est général et s'observe avec la même acuité dans la plupart des pays de la sous-région. Les journalistes sont à l'affût, prêts à mettre en branle leurs réseaux de relations politiques et d'affinités ethniques pour se faire hisser à la tête d'un service de communication au sein d'une entreprise.

C'est aussi la période où la chasse au poste d'attachés de presse devient très féroce. Mais, l'alternance à ces postes se fait souvent dans le ressentiment et l'inimitié lorsque tel confrère doit succéder à un autre dans un ministère. Cela est perçu comme une manière de torpiller ses intérêts. Il n'est d'ailleurs pas si rare d'entendre dire que tel a suscité l'éviction d'un collègue dans le dessein de pouvoir accéder lui aussi à sa part de

délices ». Il n'en faut pas plus pour se convaincre de l'immense enjeu que constitue pour les journalistes, l'accès aux cabinets ministériels. Mais en réalité, le phénomène est diversement apprécié d'un pays à un autre. Il est plus dramatisé et décrié au Bénin qu'au Burkina Faso par exemple où le secteur de la communication dans la plupart des ministères, est érigé en direction, à la charge d'un journaliste officiellement nommé en Conseil des ministres.

2.6 La désaffection des Rédactions et le rétrécissement des effectifs

Dans l'ensemble des structures qui composent les organes de presse, les Rédactions passent souvent pour des lieux stratégiques en raison du pouvoir qui s'y exerce : celui de l'information. De l'extérieur, ces Rédactions jouissent d'une auréole de prestige. Mais rares sont les journalistes d'une certaine ancienneté qui se déclarent volontaires pour y servir. On y consent trop de sacrifices; on est trop exposé à la sanction professionnelle et publique. D'où la tentation de passer de l'autre côté de la rive, non pas seulement par souci d'altérité mais aussi pour échapper à l'emprise de la rigueur de fer des rédactions. D'où cette hémorragie qui caractérise de façon cyclique les services de l'information et où l'on assiste à la « fuite des doyens ».

Lorsqu'on a traîné sa « bosse » pendant vingt (20) ans dans une ou plusieurs Rédactions, il y a un fort risque de saturation et de démotivation. Pis, la sclérose est là, ce mal qui affecte les finissants, condamnés à ronger leurs freins dans un environnement peu incitatif. Cette situation provient de l'inexistence d'un réel plan de carrière pour les journalistes dans les administrations qui les emploient. Ainsi, la peur de finir comme l'on a commencé amène la plupart des anciens à se frayer une porte de sortie au soir de leur carrière.

Certes, il y en a qui ont fait toute leur carrière dans les Rédactions mais il est difficile de dire s'ils l'ont fait par amour du métier, par passion, par résignation ou à défaut d'un exutoire prometteur. Toujours est-il qu'il est devenu un fait rarissime de voir des têtes grisonnantes présenter assidûment les journaux parlés et télévisés. D'aucuns préfèrent se retirer dans le cadre plus douillet des cabinets ministériels en attendant que la retraite vienne les y trouver. Les plus chanceux peuvent avoir comme point de chute des institutions plus honorables telles que les instances de régulation de la presse, les commissions électorales, les représentations d'agences non gouvernementales.

A certains égards, leurs aspirations paraissent bien légitimes et leur démarche tout à fait compréhensible dans la mesure où il n'est pas aisé de demeurer sous ordre jusqu'en fin de carrière. A cette situation, les doyens préfèrent de loin le refuge ou la consolation d'un poste de direction parfois même sans aucune visibilité. L'essentiel étant de trouver l'échappatoire qui permette de tirer son épingle du jeu. Et entre autres schémas possibles, cela peut passer par la nomination à un poste de conseiller technique qui donnerait enfin l'occasion de faire valoir ses expériences et où l'on peut également espérer détenir tout au moins, un pouvoir de proposition. De là à rebondir pour un portefeuille ministériel, ce n'est pas loin tant il est vrai que le journalisme mène à tout: directeur de cabinet, ministre de la défense, homme d'affaires... Et peut-être prochainement, chef d'Etat. Pourquoi pas? Mais, attention à l'arrivisme : l'expérience des ascensions trop fulgurantes n'est pas toujours enthousiasmante quand l'on songe à certains retours de manivelles très fâcheux. Evidemment, c'est le prix à payer par tous ceux qui affectionnent les hauteurs; ils ne peuvent indéfiniment échapper au risque de se brûler les ailes.

Seulement, de plus en plus, la tendance évolue dans le sens de l'auto-valorisation à travers des prestations parallèles. Ainsi, dans les Rédactions, plus grand'monde ne vit de l'exercice exclusif du métier de journaliste. Au moins 70% des journalistes, surtout ceux ayant acquis une certaine ancienneté, monnayent, à coeur joie, leurs talents à travers des consultations privées, des activités de formation ou de relations publiques. On n'y gagne pas une fortune, mais tout au moins, de quoi atténuer la précarité et le malaise des fins de mois difficiles Mieux, ces activités parallèles ont eu chez certains, un effet thérapeutique et psychologique salutaire en les mettant à l'abri du désoeuvrement et d'une mise en quarantaine professionnelle très nocifs à la santé psychologique d'un journaliste. Bref, c'est une alternative pour journalistes en mal de valorisation professionnelle. Mais, bien évidement, un tel filon n'est porteur et profitable qu'à ceux qui, professionnellement, ont véritablement quelque chose (des compétences) à vendre.

2.7 Les pressions et tentations politiques

«Toute forme de censure, directe ou indirecte, est inacceptable. Toute loi ou pratique limitant la liberté des organes de presse dans la collecte et la diffusion de l'information doit donc être abolie. Les autorités gouvernementales, nationales ou locales, ne doivent pas intervenir dans le contenu des journaux, écrits ou audiovisuels, ni restreindre l'accès aux sources d'information ».

Cette disposition de l'article 4 de la Charte pour une Presse Libre approuvée en janvier 1987 à Londres à l'occasion de la Conférence mondiale sur la censure démontre assez clairement à quel point la liberté de presse est partout en danger. Et cela est vrai sous toutes les latitudes, tropicales et occidentales où le voeu secret de tout pouvoir est de contrôler la presse et d'exercer une emprise sur ceux qui font et défont l'opinion.

Certes, dans la plupart des pays de la sous-région, les espaces de libertés se sont élargis à la faveur du courant démocratique des années 90. Même les organes d'Etat jadis inféodés, dociles et entièrement dévoués à la cause de leurs maîtres, ont acquis une liberté de ton enviable. Evidemment, les conférences nationales qui ont fait le deuil du dirigisme de l'information sont passées par-là. Résultat heureux : au Bénin comme au Burkina Faso et au Mali, on a tourné la page des commentaires dithyrambiques et des pamphlets révolutionnaires à la gloire des partis uniques et des « leaders bien aimés ». Le parachutage entre les mains d'un journaliste d'un réquisitoire politique rédigé dans le salon du ministère de l'information est aussi une pratique désormais éculée.

Il n'y a qu'à observer ce regain de professionnalisme qui permet aujourd'hui à des reporters de résumer voire de réduire à leur plus simple expression, certaines interventions « fleuves » du chef de l'Etat. De la même manière, le mythe qui entourait les audiences du président de la République est progressivement tombé dans quelques rédactions de la sous-région ouest-africaine où l'on se contente parfois de légers commentaires sur images. Ce qui, il y a quelques années, serait passé pour un délit de lèse-majesté et blâmé en conséquence. Mais attention, prenons garde de pavoiser et de tenir pour acquis définitifs ces demi-victoires qui sont trompeuses et qui cachent souvent la vraie nature de ceux qui goûtent à l'élixir du pouvoir.

La démocratie a incontestablement rendu à la presse une part appréciable de liberté. Mais, l'on ne saurait en conclure que pour autant, le réflexe de la tutelle d'un côté et le complexe de l'obédience de l'autre ont disparu. A défaut d'avoir disparu, les pressions politiques se sont faites plus feutrées mais non moins vicieuses. Les plus flagrantes sont celles qui émanent de la présidence de la République via le ministère de

l'Information, la Direction générale et les directions techniques des organes de presse pour terminer leur course et s'abattre telle une épée de Damoclès, sur la tête du rédacteur en chef. Il en va de même de certains ordres pressants mais anonymes - on en connaît rarement les véritables instigateurs - que le rédacteur en chef se doit de faire respecter sans protocole. Et que dire de ces nombreuses injonctions on ne peut plus officielles qui prennent parfois l'allure de véritables mises en demeure d'embargo sur la diffusion de telle déclaration d'opposant gênante pour le pouvoir ou de telle autre révélation de malversations économiques mettant à mal son image.

Plusieurs journalistes rencontrés ces dernières années déclarent avoir été fortement marqués par un certain type de censure édictée du sommet et appliquée sans concession pour surseoir impérativement à la diffusion d'une interview obtenue de haute lutte ou d'un reportage / une enquête sur laquelle le reporter s'est échiné plusieurs jours durant. Dans de telles situations, on peut facilement imaginer la frustration du journaliste ; elle est d'autant plus grande qu'il n'a droit à la moindre explication.

Certains confrères ne sont pas près d'oublier le coup de fil qu'ils ont reçu de la part de hautes autorités politiques à la fin du journal. Non pas pour les congratuler mais plutôt pour les tancer à propos d'un commentaire osé. Ce qui n'est pas plus anodin que l'abus de pouvoir ou la frilosité qui poussent certains ministres ou hauts responsables politiques à exiger d'un directeur d'organe la disqualification d'un journaliste au profit d'un autre pour la couverture d'un événement lié à leurs intérêts.

La pression politique, c'est aussi lorsque le directeur, sous la pression du ministre,
cherche à connaître les noms des invités au débat contradictoire que s'apprête à
animer un journaliste. Le comble est qu'il arrive que cette forme d'immixtion dans la vie

des rédactions se solde par une modification in extremis et sans fondement objectif, de la configuration du plateau des invités.

Chaque journaliste sait que toutes ces pratiques sont contraires aux normes professionnelles. Mais en fait, que peut-il bien rester du professionnalisme lorsque la raison d'Etat s'introduit dans une Rédaction par la grande porte ?

Dans ce métier où l'on a facilement la chance de voir la même chose et son contraire, le journaliste doit s'attendre à rencontrer des hommes politiques qui se dédisent du jour au lendemain. Une interview enregistrée aujourd'hui dans l'euphorie peut devenir caduque le lendemain simplement parce que l'interviewé, pour des raisons souvent inavouées, aura décidé de se rebiffer et parfois prêt à tout donner pour obtenir du journaliste et de sa Rédaction un embargo sur ladite interview.

En pareille circonstance, que faire? S'accrocher mordicus au devoir d'informer au nom de l'intérêt public ou faut-il consentir à faire la volonté de son invité d'infortune. A l'épreuve, ce genre de dilemme conduit à une double interrogation. Que gagne-t-on en diffusant et que perd-on en ne diffusant pas une émission dans de telles conditions? , La plupart des journalistes Interpellés sur ce cas de conscience ont concédé que « si les risques de la non diffusion ne sont pas supérieurs au préjudice causé à l'opinion publique et aux ennuis qui pourraient en découler pour le journaliste lui-même, autant faire, la mort dans l'âme, le choix de l'embargo ». Seulement, de ce point de vue, chaque situation sera traitée comme un cas spécifique. Au besoin, cet embargo pourrait s'assimiler à une mise au frigo en attendant une circonstance plus propice. Preuve que dans ce métier, c'est parfois une qualité que de savoir attendre.

En réalité, cette situation n'est pas différente du comportement de certains interlocuteurs (hommes politiques, hommes d'affaires, responsables d'institutions) qui se sont laissés interviewer allègrement, qui se sont exprimés passionnément pour ensuite revenir quelques instants après harceler de coups de fils le journaliste ou son rédacteur en chef en vue de négocier des arrangements au sujet du contenu de leurs déclarations. En fait d'arrangements, il s'agit souvent de « sucrer » quelques extrapolations malheureuses, quelques excès ou encore certains passages où la langue serait peut-être allée plus loin que le coeur.

Il est évident que si le journaliste veut à tout prix servir l'intérêt public, il s'entêtera à diffuser ou à publier cette interview. Mais si en revanche, il choisit de jouer les « PoncePilatistes », il n'en fera pas davantage que de hausser les épaules en signe de résignation tout en sachant qu'il pourrait subir le procès de la compromission. Mais il ne faudra non plus écarter l'hypothèse du soulagement et de la sécurité que pourrait lui procurer l'option de la non-diffusion si tant est son souci de faire l'économie d'une inimitié ou d'une adversité dont les répercussions sont souvent insoupçonnées ; les politiciens, dit-on ont la rancune tenace. Mais alors, on peut comprendre sans forcément cautionner, que le journaliste, citoyen comme tout autre, père de famille éventuellement, ait lui aussi parfois envie de mener une vie tranquille, à l'abri de toute entourloupette.

Dans un tel cas de figure, les choses paraissent bien plus faciles à gérer que si l'on a affaire à un journaliste frondeur sur les bords et réfractaire à toute forme de pression politique d'où qu'elle vienne. Il en existe, heureusement pour la sauvegarde et l'avancée des libertés chèrement conquises ! Seulement, il n'est pas évident que dans de tels bras de fer avec la hiérarchie ou le pouvoir, les rapports de force soient à

l'avantage du journaliste résistant. S'il parvient à faire triompher les intérêts du métier et obtenir gain de cause avec ou sans le soutien de ses pairs, sa victoire sera saluée comme un acte de courage et d'affirmation de l'indépendance du quatrième pouvoir. Mais côté carrière, l'expérience a prouvé que ce genre de victoires sont aussi éclatantes que lourdes de conséquences. Autrement dit, c'est une médaille qui a son revers en termes de représailles directes ou indirectes, immédiates ou ajournées, brutales ou assénées à froid, frontales ou insidieuses.

Ces représailles sont multiformes mais faciles à répertorier : affectations, rétrogradations, mise en quarantaine, etc. Mais la plus courante prend souvent la forme de ce qui est désigné dans le jargon journalistique sous le terme de « mise au placard ». Jean-Marc CHARDON et Olivier SAMAIN, auteurs du livre le journaliste de radio ont réussi à décrire le phénomène dans ses implications administratives : « ... Il est alors très facile de prendre prétexte d'une expression malheureuse dans un journal, ou d'une vérité inopportune, pour neutraliser, le moment venu, n'importe quel journaliste. Dans le service public, où les organisations syndicales dénoncent périodiquement ces pratiques, les journalistes concernés ont vu parfois leur mises au placard s'accompagner de l'octroi d'un titre ronflant, à l'image d'un cache-misère, voire d'une augmentation pécuniaire pour compenser le préjudice. Dans le pire des cas, il n'y a ni l'un ni l'autre. Du coup, la rétrogradation qui s'ensuit n'est pas forcément visible.

En revanche, le journaliste qui en est victime voit bien la différence. Il est toujours, soit évincé de l'antenne, soit remisé dans une plage horaire à faible écoute... A lui de se soumettre, de se démettre ou d'attendre des jours meilleurs... ».

2.8 Les pressions et tentations financières

En conquérant à la faveur de l'ouverture démocratique de réels espaces de liberté et une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, les médias africains n'ont fait que remporter une bataille. La guerre d'affranchissement vis-à-vis des lobbies financiers, elle, est plus actuelle que jamais et risque d'être plus longue à gagner. Et voilà remise en selle toute la question des pressions financières. Elles sont insidieuses et émanent généralement des pouvoirs d'argent, intellectuels ou non. Dans l'un et l'autre des cas, ceux-ci s'en servent à des fins de marchandage, de domination et d'asservissement. Mais il n'est pas rare non plus que ces pressions financières soient aussi le fait de parfaits illettrés, en mal de considération qui n'ont pour tout moyen de pression que leur fortune pour en imposer à des journalistes, même les plus respectables et les plus huppés.

Quels que soient leur origine et leurs auteurs ou protagonistes, les pressions financières sont condamnables au regard de l'éthique journalistique. Elles ne sont pas plus tolérables que les pressions politiques. Bien au contraire, il est établi que la dépendance économique est la pire des dépendances. Car, qui vous tient par le ventre, contrôle votre souffle et vous régentera à loisir.

2.8.1 Le perdiem ou « communiqué final »

Dans la pratique courante des journalistes ouest-africains rencontrés, la forme de libéralités la plus connue est le perdiem, désigné sous les noms de «communiqué final» au Bénin et de « gombo » au Burkina Faso. Il est rentré dans le quotidien de 90 % de journalistes et techniciens qui n'ont aucune gêne à émarger sur un bout de papier à la fin d'un reportage pour se faire gratifier de quelques coupures. La pratique a fini par

légaliser un comportement pourtant contraire à l'éthique journalistique. Mais gare à vous si, par manque de tact, vous les affrontez sur ce terrain en donneur de leçon ; les plus sages vous répondront tout bonnement, à la suite de Saint-Augustin, qu'il faut un minimum de bien-être pour pratiquer la vertu.

D'aucuns considèrent le per-diem comme un dû dès lors qu'ils se rendent compte que l'événement dont ils assurent la couverture est financé à travers une rubrique dite «communication ». Par nature, les journalistes et les techniciens sont réfractaires à l'idée qu'on se joue d'eux. Ils se battront becs et ongles pour se faire restituer un droit injustement confisqué. La conviction que quelques uns, dans la chaîne de l'organisation, se sont sucrés sur le dos de la presse renchérit chez cette dernière le sentiment qu'elle a aussi droit à sa part. Mais, malgré tout, cette presse doit encore parfois revendiquer, tempêter pour rentrer dans ses supposés « droits ». D'où cette formule empruntée à un confrère qui demeure convaincu que « la bouche de celui qui ne parle pas, sentira ». Une manière de rappeler que, celui qui ne risque rien n'a rien et qu'il suffit simplement parfois d'oser demander pour être servi.

Bref, il n'est pas conseiller de gruger les techniciens et les journalistes. D'ailleurs, les attachés de presse et autres organisateurs de séminaires ou de tournées qui se sont risqués à ce genre d'escroquerie l'ont appris à leurs dépens.

Ce qui est moins compréhensible et franchement détestable, c'est de tendre la main ou de faire du per-diem un objet de chantage en brandissant la menace d'un compte-rendu sommaire ou bâclé. Malheureusement, cette pratique existe et c'est en connaissance de cause que le code de déontologie de la presse béninoise en fait mention à travers son article 5 : « En dehors de la rémunération qui lui est due par son employeur dans le cadre de ses services professionnels, le journaliste doit refuser de toucher de l'argent

ou tout avantage en nature des mains des bénéficiaires ou des personnes concernées par ses services, quelle qu'en soit la valeur et pour quelque cause que ce soit. Il ne cède à aucune pression et n'accepte de directive rédactionnelle que des responsables de la rédaction. Le journaliste s'interdit tout chantage par la publication ou la non-publication d'une information contre rémunération. ».

Au-delà du principe ainsi joliment libellé, mais qui n'émeut pas grand monde, force est de reconnaître que la pratique des per-diems a encore de vieux jours devant elle, non pas seulement par la volonté des journalistes, photographes et techniciens mais aussi par le souci des demandeurs de services (ONG, partis politiques, institutions officielles et privées, etc.) de structurer et de fidéliser leurs relations avec ceux-là qui sont capables de faire et de défaire leur image. Une ONG, un ministère qui n'a pas de bonnes relations avec les organes de presse en souffrira car, entre deux demandeurs de services qui sollicitent la presse dans une même tranche horaire, le critère de préséance ou même de choix risque fort d'être guidé par l'intérêt. Et là-dessus, les journalistes et techniciens ne se trompent pas. Si vous les privez de per-diems, ils finiront par vous coller l'étiquette de « radins » et vous faire de la mauvaise publicité. Si vous mégotez sur le montant des per-diems, ils vous déclasseront régulièrement au profit des partenaires les plus généreux.

Il en découle d'ailleurs que ce ne sont pas toujours les entreprises les plus performantes, les gestionnaires les plus orthodoxes ou les hommes d'affaires les plus irréprochables encore moins les hommes politiques les plus éclairés ou les plus probes qui ont les faveurs des échos de la presse, mais plutôt ceux qui, simplement, connaissent le mode d'emploi du pouvoir de la presse.

Chose humaine, le reportage le plus bref ou le plus banal qui s'est soldé par une distribution d'enveloppes portera ombrage au tournage le plus pressant qui n'aurait pas eu de retombées pécuniaires. De même, il est à peine exagéré de dire qu'avec un budget communication imposant, il est possible pour le plus impopulaire des dictateurs de mieux faire médiatiser sa cérémonie d'investiture que celle du démocrate le plus authentique. Ainsi vont les relations avec la presse et la meilleure des solutions ne consiste pas forcément à jouer les Saints. Il s'agit dans bien des cas de jouer utile.

Mais quelle que soit la bouée de sauvetage financière qu'il apporte, on ne peut occulter le fait que le perdiem dévalorise énormément le journaliste. Les acteurs de la vie politique et même ceux de la société civile s'en servent comme instrument de domination et d'assujettissement du journaliste. Et quand l'on réalise qu'en fait, ces per-diems ne représentent parfois que des sommes ridicules, on comprend que la profession ne soit pas respectée. Mais hélas, tout se passe comme dirait l'autre : « qui a bu boira ».

2.8.2 Les dons et libéralités : faut-il prendre ?

Question combien sensible! Elle recommande beaucoup de discernement et de sérénité de la part de ceux qui ont le courage de l'aborder. Or, j'ai plutôt souvent eu le sentiment qu'on l'abordait avec hypocrisie et cela ne fait nullement avancer le débat.

L'argent, les cadeaux et les dons en nature sont les plus grandes sources de suspicion pour un journaliste. Ils constituent de graves entraves au professionnalisme et à l'impartialité et représentent très souvent la porte d'entrée du discrédit et de toutes les crises de confiance au sein des Rédactions.

C'est un leurre et une fausse manière de se faire bonne conscience que de penser qu'accepter les cadeaux constitue un moindre mal par rapport à l'argent que l'on reçoit. Dans l'un et l'autre des cas, l'éthique est en cause et rien ne fonde le raisonnement qui voudrait que si la compromission par l'argent conduit en enfer, celle par les cadeaux et autres libéralités conduise au purgatoire. La question de fond étant celui du risque d'aliénation de la liberté d'expression et de la marge de manoeuvre du journaliste qui se sent redevable de son bienfaiteur, fut-il de circonstance. A ce sujet, le Code éthique des Etats-Unis, adopté en 1926 est sans appel, en son article 1 : «les cadeaux, les voyages gratuits, privilèges ou les traitements de faveur peuvent compromettre l'intégrité des journalistes et de leurs employeurs. Il ne faut accepter aucun cadeau de valeur »

Mais, en pratique, combien de journalistes seraient en mesure de faire fi du devoir de reconnaissance vis-à-vis du politicien ou de l'homme d'affaires qui l'aura aidé à obtenir une bourse d'études, à acquérir un véhicule ou à construire sa villa.

Ces exemples peuvent paraître extrêmes, mais ont l'avantage de nous transposer du terrain de l'abstrait vers celui du vécu. En clair, et à moins de vouloir nier l'évidence, l'argent et les libéralités ont fait leur preuve en tant qu'instruments « efficaces » d'inféodation, de manipulation et d'achat des consciences. Et combien de journalistes ne recenserait-on pas ici comme ailleurs qui doivent leur réussite sociale à ce genre de compromissions dont ils se sont rendus complices non sans savoir qu'ils foulaient aux pieds les règles cardinales du métier.

A l'occasion d'échanges informels, nombreux sont les confrères ayant avoué, qu'en
certaines circonstances, il faut être un homme de caractère pour renifler l'odeur de
l'argent et reculer devant certains appâts de gains faciles. Il n'est pas donné à tous les

journalistes de tenir bon et de pouvoir raison garder devant l'argent frais qui vient jusqu'à vous, vous agresser. « Il n'est pas bon de cracher sur l'argent ; c'est un sacrilège» vous dira-t-on dans certains milieux et le prétexte est tout trouvé. C'est dire aussi à quel point notre société africaine n'est pas entièrement favorable à tout ce qui peut s'apparenter à une attitude de suffisance ou de mépris vis-à-vis de l'argent et de celui qui le donne de bonne foi. Malgré tout, la bonne foi affichée par le donateur n'exclut pas la prudence.

Retenons encore que le procès de la vénalité est l'un des plus mauvais que l'on puisse intenter à un journaliste. L'obsession du lucre ne fait pas bon ménage avec l'éthique journalistique ou du moins, il constitue un versant très glissant, un objet de chute pour le journaliste. L'argent a la mauvaise réputation de diviser et il divise en effet les Rédactions.

On a beau dire que la dépendance financière est la pire des dépendances, mais faut-il croire que c'est parce qu'ils ignorent ce catéchisme journalistique que les professionnels des médias succombent à la tentation de l'argent et autres libéralités ? Apparemment, non. Pour les uns, l'état de besoin constitue un handicap objectif à une pratique rigoureuse de l'éthique professionnelle. Pour d'autres, plus cupides, l'argent n'a pas d'odeur. D'autres encore défendent des positions plus nuancées du genre : « je n'ai rien à me reprocher face à un don gracieux que je n'ai ni suscité ni réclamé ».

En effet, quelle sera la condamnation de ceux-là qui sont assez scrupuleux pour ne jamais tendre la main mais qui ne font jamais à leur donateur l'affront du refus ? Eh bien, ils ne sont pas à l'abri des surprises et doivent s'attendre un jour ou un autre à payer un lourd tribut, celui de l'amitié intéressée, à leur liberté d'expression et d'action. A moins de démontrer qu'un homme politique ou un homme d'affaires puisse offrir des

libéralités à un journaliste sans arrière-pensée. Possible, mais dans 75 % des cas, cela risque d'être une condamnation sinon un conditionnement pour l'avenir.

Dans son édition du 27 novembre 2002 (n° 9748), le quotidien sénégalais Le Soleil, a fait état d'un cas digne de servir de leçon aux journalistes friands de libéralités. A l'issue d'une conférence publique, rapporte le journal, un homme politique sénégalais aurait offert un million de FCFA aux journalistes chargés de la couverture de l'événement et certains d'entre eux se seraient partagés ladite somme.

Face à ce manquement à la déontologie journalistique, la réaction du SYNPICS (Syndicat des professionnels de l'information et de la communication) n'a pas tardé. Celle-ci, contenue dans un même communiqué, a été d'autant plus intéressante qu'elle paraissait instructive pour chacune des deux parties.

A l'attention des journalistes, le SYNPICS déclare :

« les faits portant gravement atteinte à la dignité et à la crédibilité de la presse, quelles que soient les considérations liées aux moyens, montants, intentions et circonstances de cette affaire ».

A l'adresse des hommes politiques et organisateurs de manifestations, le SYNPICS indique :

« qu'il n'est pas une obligation pour eux d'intéresser, sous quelque forme que ce soit, les journalistes chargés de la couverture médiatique. Une telle charge revient aux différentes Rédactions qui se doivent de mettre leurs employés dans les meilleures conditions d'accomplissement de leur mission ».

L'argent, à prendre ou à laisser ? En vérité, c'est davantage une question d'éthique que de déontologie. Toujours est-il que les confrères ont leur petite idée sur les mesures préventives à initier pour limiter les dégâts. Il s'agirait par exemple, selon Claude Agossou, de doter la Rédaction d'un service financier capable de payer les primes aux équipes de reportages avant leur départ sur le terrain. Cela pourrait bien produire quelques effets sur ceux qui ne sont pas d'une cupidité sans bornes.

L'organisation d'une communauté et les règles qu'elle se donne,
acceptées et consenties librement par ses membres,
permettent parfois de résoudre plus facilement les conflits
que ne le sont les seules lois officielles »
Juristes Solidarités, Programme 2000 - 2003, p.7

Section III

LES MODES D'AUTOREGULATION

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore