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L'imposition des cultures de rente dans le processus de formation de l'etat au cameroun (1884-1914)

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par Sandrine Carole TAGNE KOMMEGNE
YAOUNDE 2 - SOA / CAMEROUN - Diplome d'Etude Approfondie en Science Politique 2006
  

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B. LE CHANGEMENT DES PÔLES DE POUVOIR

La nouvelle organisation des terres camerounaises aura des incidences sur les pôles de pouvoir. En effet, on voit apparaître des dirigeants allemands capables de faire accepter aux populations locales une orientation mutuellement ajustée de leur comportement. Ces populations pour posséder une terre qui leur appartenait d'ailleurs devraient s'adresser aux responsables allemands.

Par ailleurs, même la cession des terres à un tiers n'obéit plus aux logiques locales ; elle doit désormais suivre une procédure définie par les Allemands. Le paragraphe 11 de l'ordonnance du 15 juin 1896 stipule que :

«La cession des parcelles urbaines qui ont une superficie de plus d'un hectare, comme celle de toutes parcelles rurales, par des indigènes à des non-indigènes, en propriété ou en location d'une durée de plus de 15 ans, ne peut être effectuée qu'avec l'autorisation du gouverneur. Les contrats soumis à autorisation pour lesquels l'autorisation n'est pas intervenue sont sans effet juridique»9(*).

Le chef ou le roi n'est plus le détenteur de la parole suprême, mais plutôt les autorités allemandes. En effet, puisque l'institution est un moyen de régulation des rapports sociaux, l'institution politique existante avant l'arrivée des Allemands ne pouvant plus assurer cette fonction, nombreuses seront les populations locales qui se tourneront vers les autorités allemandes pour résoudre leurs problèmes.

En plus, la preuve de l'appartenance d'une terre aux populations locales n'est obtenue que par l'approbation des autorités allemandes. Compte tenu de l'importance de la terre dans les exploitations familiales surtout pour les peuples sédentaires, il n'est plus besoin de détails pour comprendre les bouleversements que ces lois ont engendré. L'obtention de cette approbation étant nécessaire, il était donc nécessaire de suivre les nouvelles lois. Le paragraphe 1 du règlement du chancelier de l'empire du 17 octobre 1896, soit quatre (4) mois après l'ordonnance souveraine du 15 juin 1896 et concernant l'exécution de celle-ci, précise que :

«(...) la prise de possession des terres présumées sans maître doit être précédée d'une enquête qui doit établir que des revendications de l'espèce mentionnée au paragraphe 1 de l'ordonnance souveraine du 15 juin de la présente année ne s'y oppose pas. L'enquête doit en cas de nécessité être faite sur les lieux même et les personnes qui sont installées ou qui habitent dans les environs doivent autant que possible être entendue. Procès verbal de cette enquête doit être dressé ».

Le paragraphe 2 poursuit en ses termes :

« S'il se produit des revendications de chefs de village ou d'autres communautés indigènes sur des terrains déterminés, basées, soit sur une prétendue souveraineté, soit sur ce que ces terrains appartiendraient aux chefs ou aux villages, il devra en être tenu compte autant que possible lorsque ces prétentions auront été reconnues légitimes ....»10(*).

Ici, transparaît le fait qu'aucune souveraineté et qu'aucun pouvoir de décision n'est reconnu aux autorités traditionnelles. Ces derniers doivent se référer aux Allemands pour faire valoir leur parole qui ne recèle plus aucune autorité. Il est donc clair qu'il y a eu un transfert du pouvoir de décision. Celui-ci est désormais entre les mains des Allemands et ceci n'ira pas sans conséquence sur la perception du pouvoir chez les populations. Désormais, bien que venant de plusieurs unités politiques traditionnelles différentes, ces populations se voient dans l'obligation de se soumettre et d'adopter un comportement commun, de prêter allégeance à une autorité politique commune et de respecter ses directives.

De ce qui précède, nous pouvons dire que la nécessité de posséder les terres pour la culture des produits de rente va pousser les Allemands à prendre une série de mesures qui auront des conséquences énormes sur l'émergence d'une nouvelle organisation politique au Cameroun. Non seulement toutes ces nombreuses unités politiques seront amenées à s'unir territorialement, mais elles seront dans l'obligation de prêter allégeance à un même centre de pouvoir, à pratiquer la culture des mêmes types de produits, à cohabiter. Cette situation ou cette dynamique illustre parfaitement les propos de Jean William Lapierre (1971 : 172-173) lorsqu'il affirme que :

" les sociétés dont le système politique est spécialisé, différencié, compliqué, sont celles qui, à un moment donné de leur histoire, ont eu à répondre à un défi d'innovation sociale. J'entend par là que, soit par un processus d'acculturation dû aux échanges avec l'étranger, soit par un processus de migration qui a fait cohabiter des groupements de cultures différentes sur un même territoire, soit par un processus de différenciation sociale, interne, le problème de l'intégration des groupes jusqu'alors isolés ou marginaux, ou encore de strates sociales nouvelles, dans une communauté politiquement organisée qui les englobe, s'est historiquement posé..." .

Le changement du mode de production au Cameroun notamment avec l'imposition de nouvelles cultures destinées à l'exportation provoquera l'intégration des populations jusqu'alors isolés. La nécessité d'organiser l'exploitation de la colonie du Cameroun fait émerger une spécialisation du politique et une différenciation de plus en plus marquée des rôles de gouvernement. Cette formation de l'Etat camerounais s'effectuera de manière progressive et ceci du fait des acteurs politiques allemands et de l'environnement dans lequel chacun évoluera. On verra donc que chaque acteur disposera d'une marge de manoeuvre différente et ils obéiront à des logiques propres. Ceci n'ira pas sans conséquences sur la formation de l'Etat camerounais qui verra selon les dirigeants, l'affermissement de plus en plus progressif des politiques agricoles sur le contrôle des populations.

En définitive, nous pouvons affirmer que les raisons qui ont sous-tendus la colonisation du Cameroun par les Allemands sont intrinsèques à la société allemande. Quoiqu'ait pu écrire les chefs Doualas aux autorités anglaises, quoiqu'aient pu être les traités signés entre les autorités politiques camerounaises et occidentales et qui aient pu faire croire que ceux-ci désiraient l'instauration de ce protectorat, force est de constater que la volonté allemande s'imposera à eux. Aussi, les conséquences politiques immédiates dans la situation coloniale au Cameroun seront entre autres :

- la dénaturation des unités politiques traditionnelles : Comme on l'a vu plus haut, du fait de l'importance de la terre dans l'application des politiques agricoles, les Allemands élaboreront des lois qui vont entièrement bouleverser les organisations territoriales et politiques qu'ils vont trouver au Cameroun ;

- la dégradation par dépolitisation : l'unité politique traditionnelle sera réduite à une existence conditionnelle. Perdant leurs repères, ces sociétés vont voir émerger une nouvelle stratification sociale. « C'est par la modification des stratifications sociales que le processus de modernisation, ouvert au moment de l'intrusion coloniale, affecte indirectement l'action politique et ses organisations » (Balandier 1984: 196).

Tel qu'il fut délimité à Berlin, l'Allemagne ne pouvait prétendre que sur une infime partie du territoire dont la souveraineté lui avait été transférée. Il s'agissait de quelques possessions à la côte (Confère annexe 1) ; nous pouvons donc affirmer qu'en février 1885, c'est-à-dire au début de la conférence de Berlin, la souveraineté allemande était réduite à peu de chose dans la réalité. Comment l'Allemagne va-t-il s'organiser pour étendre sa domination sur l'ensemble du territoire qui deviendra Cameroun ? Quel rôle jouera les politiques agricoles dans cette mise en administration de la société camerounaise ? Dans le chapitre qui suit, notre objectif sera de faire ressortir les processus par lesquels ces différentes politiques agraires vont contribuer à la construction de l'Etat camerounais.

* 9 ANY, TA 22 et bis, 1896, Législation pour le Cameroun, circulaire souveraine sur la création, la prise de possession et l'aliénation des terres de la couronne et sur l'acquisition et l'aliénation des terres dans le territoire du Cameroun du 15 juin 1896.

* 10. ANY, TA 22 et bis, Législation pour le Cameroun, règlement du chancelier d'Empire concernant l'exécution de l'ordonnance souveraine du 15 juin 1896 sur la création, la prise de possession etc. des terres de la couronne et sur l'acquisition etc. des parcelles foncières au Cameroun, du 17 octobre 1896.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery