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La résolution des conflits de compétence entre les acteurs de la justice de proximité au Burundi

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par Emmanuel KAGISYE
Université du Burundi - DESS 2006
  

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CHAPITRE Ier . GENERALITES SUR LA JUSTICE DE PROXIMITE

La notion de « justice de proximité » est relativement récente6 et s'inscrit au coeur de la problématique de l'accès au droit7. Notre société se caractérise par une « judiciarisation » de plus en plus grande des rapports sociaux, qui s'exprime par une forte demande de droit et justice.

Mais alors que « nul n'est sensé ignorer la loi », l'inflation des textes à caractère législatif et réglementaire, qui forment un maquis dont les juristes eux-mêmes critiquent l'abondance, rend cet adage largement inopérant. L'effectivité du droit n'est donc pas désormais plus perçue au travers du prisme de la proclamation législative, mais elle est jugée en fonction de son effectivité sociale. Celle-ci s'incarne aux diverses institutions parmi lesquelles figure au premier plan la justice de proximité8.

Après avoir tenté de cerner la notion de justice de proximité (section 1ère), nous analyserons le contexte « bi-normatif » (droit écrit et coutume) dans lequel fonctionne la justice de proximité au Burundi (section 2), pour régler des litiges de proximité présentant certaines particularités (section 3).

Section 1ère. Notion de Justice de proximité

§ 1er. Quelques éléments pour définir la justice de proximité

La justice de proximité est constituée par l'ensemble des dispositifs de régulation des conflits auxquels le justiciable peut avoir recours dans son environnement le plus immédiat. Pour une bonne administration de la justice, celle-ci doit absolument se rapprocher du justiciable tant sur le plan géographique que sur le plan moral. Ce rapprochement vise à ce que le citoyen sache que la justice est facile à actionner et toujours prompte à enquêter, à arbitrer, à juger ou à punir en cas de besoin9.

6 Elle est apparue pour la 1ère fois en France après la disparition des juges de paix en 1957.

7 V. Proximité, justice (de), Sympatic msn encarta, http://fr.ca.encarta.msn.com/encyclopedia/article.html.

8 Ibidem

9 C. (De) LESPINAY, « Valeurs traditionnelles, justice de proximité et institutions (Rwanda et Burundi) » in LESPINAY C. (De), MWOROHA E. (dir.), Construire l'Etat de droit. Le Burundi et la région des grands lacs, Paris, L'harmattan, 2000, p.196.

Dans la pratique, la question d'accessibilité à la justice qui se pose au justiciable est tout d'abord géographique parce que ce dernier souffre de parcourir de longues distances pour saisir le juge. Elle est ensuite psychologique parce qu'enfin de compte, ce que désire le justiciable, ce n'est pas tant d'avoir un juge, un tribunal à deux mètres de chez lui, mais d'avoir un juge à qui il peut s'adresser avec confiance, sans crainte de partialité, un juge susceptible de l'aider compte tenu de ses bonnes connaissances en matières juridiques et de l'environnement du litige donné10.

En définitive, la justice de proximité se veut être une réponse aux préoccupations du justiciable. Quelle distance doit-il parcourir pour exposer son litige à un acteur crédible de la justice ? Parmi la multitude d'autorités, laquelle doit-il saisir ? A quel prix et dans combien de temps obtiendra-t-il justice ? Bénéficie-t-il d'un traitement équitable (impartial) de son affaire ? Le droit lui paraît-t-il bien appliqué ? Sans être exhaustif telles sont les certaines questions auxquelles la justice de proximité devrait trouver des réponses adéquates.

§2. La justice de proximité au Burundi1. Les institutions et leur environnement

Le citoyen burundais est, dans sa vie quotidienne, entouré par une multitude d'acteurs qui disent le droit ou rendent la justice. Il s'agit en l'occurrence des bashingantahe, des membres des conseils de colline, des chefs de zone ou de quartier, des administrateurs communaux, des magistrats des tribunaux de résidence, des officiers de police judiciaire, du conseil de famille, des associations de la société civile, etc.

Ces acteurs de justice bien qu'intervenant tous en matière de droit ou de justice ont des origines et des compétences différentes. Certaines sont issues de la sphère publique. Tel est le cas des administrateurs communaux, chefs de zone, du juge, des officiers de police judiciaire, qui sont des fonctionnaires de l'Etat.

D'autres sont d'origine coutumière, comme les Bashingantahe investis par leurs pairs selon la coutume. D'autres encore sont issues de la sphère privée comme les associations qui militent en faveur des droits de l'homme. Par ailleurs, de même qu'ils sont issus d'origines différentes, ces acteurs n'ont pas les mêmes pouvoirs d'intervention dans l'espace judiciaire. Certains travaillent pour la promotion des droits de l'homme, d'autres ont la mission de juger les situations conflictuelles, d'autres encore assurent l'administration ou la prévention de la délinquance...

10 RCN Justice & Démocratie, op.cit., p.11.

2. Le cadre juridique

Dans le prolongement des réformes préconisées par l'Accord d'Arusha11, certains textes législatifs et réglementaires ont été promulgués et intéressent la justice de proximité.

Tout d'abord, la Constitution du 18 mars 2005 consacre les articles 21 à 61 aux droits de la personne humaine. En outre, l'art 19 de ladite Constitution dispose que « Les droits et les devoirs proclamés et garantis entre autres par la Déclaration universelle des droits de l'homme, les pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme... font partie intégrante de la Constitution de la République du Burundi ». Elle dispose également en son article 205 que « la justice est rendue par les cours et tribunaux sur tout le territoire de la République du Burundi au nom du peuple burundais ».

Ainsi, le pouvoir judiciaire, en tant que gardien des droits et libertés publiques, a le devoir de garantir leur respect intégral. Ils ne doivent faire objet d'aucune restriction ou dérogation sauf pour des causes d'intérêt général12.

Ensuite, la loi no 1/0 8 du 17 mars 2005 portant Code de l'organisation et de la compétence judiciaires a apporté certaines innovations par rapport à celui du 14 janvier 1987 : accroissement des compétences des tribunaux de résidence ; disparition de l'obligation de recours aux « Bashingantahe » avant la saisine du tribunal de résidence en matière civile ; représentation du ministère public par les officiers de la police judiciaire auprès des tribunaux de résidence, etc.

Enfin, une série de textes contiennent des dispositions qui intéressent la justice de proximité. Ces textes sont notamment la loi no 1/016 du 20 avril 2005 portant organisation de l'administration communale (article 37), la loi no 1/009 du 4 juillet 2003 portant transfert des recettes des tribunaux de résidence aux communes, le Décret-loi no 1/024 du 28 avril 1993 portant Code des Personnes et de la Famille, la loi no 1/23 du 31 décembre 2004 portant création, organisation, missions, composition et fonctionnement de la Police Nationale.

11 L'Accord d'Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi a été signé le 28 août 2000 à la suite des négociations entre les différents acteurs politiques du pays sous l'égide de la médiation conduit par le Président Nelson Mandela.

12 V. paragraphe 2 de l'art. 19 de la Constitution. Cette disposition est critiquable dans la mesure où elle confond le régime de dérogation et le régime de restriction.

Section 2. La coexistence du droit écrit et de la coutume dans la justice de proximité

Au Burundi comme presque partout en Afrique, la législation et l'organisation judiciaire modernes ont été un apport de la colonisation. Elles ont été transposées sur un ordre normatif traditionnel déjà existant de type monarchique. Aujourd'hui, la coexistence de la justice moderne c'est-à-dire de type occidental et la justice traditionnelle perturbe l'efficacité, de l'une et de l'autre13. Faudrait-il opérer un choix judicieux entre l'une des deux ?

Choisir le droit coutumier c'est-à-dire les modes traditionnels de résolution des conflits aboutirait à enfermer la société dans une tradition dépassée. Mais également, choisir le droit écrit uniquement, occidental, conduirait à imposer aux citoyens un système juridique moderne, étranger, importé, qui manquerait d'un terrain d'accueil favorable.

Nous nous proposons dans cette section de montrer la possibilité d'une coexistence positive entre le droit écrit, la coutume ou les pratiques traditionnelles.

§1. Le droit écrit

Malgré tant d'efforts pour l'harmonisation du système juridique burundais, deux formes de règles de droit restent d'application. Il s'agit du droit écrit d'inspiration européenne et le droit traditionnel. Théoriquement, les conflits entre ces deux catégories de règles ont été résolus par l'imposition du principe de la suprématie du droit écrit sur le droit coutumier.

En effet, le droit écrit s'est imposé avec la colonisation. Les puissances coloniales en général, malgré qu'elles eussent eu des politiques législatives différentes, reconnaissaient l'application des règles autochtones seulement dans les cas où elles n'étaient pas contraires aux lois, aux règlements, à l'ordre public et aux bonnes moeurs, bref au droit écrit14.

Ce principe a été confirmé par l'article 1er de l'ordonnance du 14 mai 1886, elle-même approuvée par le décret du 12 novembre 188615. Il stipule que :

13 V. en ce sens E. LE ROY, Les africains et l'institution de la justice, Paris, Dalloz, 2004, p.48 ; V. également RCN Justice et Démocratie, op.cit.,p.97.

14 C. NTAMPAKA, Introduction aux systèmes Judiciaires africains, Presses Universitaires de Namur, 2005, p. 101.

15 R., BELLON et DELFOSSE, P., Codes et lois du Burundi, Bruxelles, Ferdinand Larcier, 1970, p.55.

« Quand la matière n'est pas prévue par un décret, un arrêté ou une ordonnance déjà promulguée, les contestations qui sont de la compétence des tribunaux du Congo seront jugées d'après les coutumes locales, les principes généraux du droit et l'équité. »

Ainsi, la coutume apparaît comme une source de droit subsidiaire qui ne s'applique qu'en l'absence du droit écrit. Aujourd'hui, le droit écrit d'inspiration européenne a envahi presque tous les domaines de la vie sociale. Seul le régime des successions et des libéralités reste l'importante matière régie par le droit coutumier.

Cependant, il arrive que les acteurs de la justice fassent recours à la coutume lorsque la loi n'est suffisamment claire ou complète. Dans ce cas, la coutume vient combler les lacunes de la loi. C'est la coutume « praeter legen » ou « secundum legen »16.

§ 2. La coutume

La coutume peut être définie comme un usage implanté dans une collectivité sociale donnée et considérée par cette dernière comme juridiquement obligatoire. La coutume constitue ainsi un droit créé par les moeurs.

Dans les sociétés primitives, sans législation moderne, le droit s'établit et se consolide par l'habitude que prennent les hommes à se conduire selon la même règle chaque fois que les mêmes situations se répètent. Cette habitude finit par s'ériger en une règle coutumière. Ainsi donc, contrairement à la loi, la coutume ne se forme pas par un acte unique du législateur. Elle se forme progressivement et insensiblement par la répétition d'actes semblables par la foule anonyme du groupe social. Adoptée au premier moment par quelques uns, elle se généralise ensuite pour enfin se faire accepter par tous ceux entre qui les mêmes situations se reproduisent.

A l'état actuel du droit moderne, la coutume ne peut primer sur le droit écrit. Elle occupe une place secondaire comme source du droit ; son rôle étant de compléter le droit écrit dans les matières que celui-ci ne réglemente pas ou réglemente d'une manière incomplète. En réalité, ce n'est pas cette place que mérite la coutume. A y voir de près, la coutume provient des sources les plus

16 Cette affirmation n'est valable que pour les acteurs intervenants dans le cadre du droit écrit. En effet, les Bashingantahe et les élus collinaires utilisent principalement la coutume pour régler les différends.

profondes des aspirations d'un peuple. C'est donc une place que lui a imposé le droit écrit. Elle est invoquée à titre supplétif ou complémentaire du droit écrit17.

A ce titre, malgré la prévalence du droit écrit dans le système juridique burundais, l'on retrouve quelques îlots de matières qui restent sous l'empire du droit coutumier. Il en est ainsi de la matière des successions et l'institution d'ubushingantahe, de la dot, etc.

1. Avantage de la coutume

Le côté avantageux de la coutume est qu'elle correspond aux besoins et aux sentiments réels du groupe social qui l'a adoptée. Un usage ne peut devenir général, il ne peut acquérir une certaine permanence, il ne peut revêtir un caractère obligatoire que parce qu'il répond aux aspirations du groupe social donné. Lorsque les besoins qui l'ont fait naître changent, la coutume se modifie simultanément. La coutume est à la fois réaliste et souple. De même, elle accessible à beaucoup d'usagers.

2. Inconvénients de la coutume

La coutume présente souvent un caractère incertain18. Pour connaître la loi écrite, il suffit de consulter le code. Il n'en est pas ainsi de la coutume. Il peut y avoir doute sur l'existence d'une coutume. Pour la prouver, il faut généralement réunir un certain nombre de données observables ou non, difficiles à déceler.

Par ailleurs, la coutume ne permet pas des transformations rapides qui s'avèrent souvent nécessaires à certains moments de l'histoire. Elle est essentiellement statique et favorable aux évolutions lentes19.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe