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La résolution des conflits de compétence entre les acteurs de la justice de proximité au Burundi

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par Emmanuel KAGISYE
Université du Burundi - DESS 2006
  

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Section 3. Les principaux litiges de proximité au Burundi

Au Burundi, les questions foncières, le mariage et ses variantes, la criminalité,
ainsi que la sorcellerie et les pratiques occultes sont les principaux litiges qui
sont soumis aux acteurs de la justice de proximité20. D'aucuns pourraient

17 Cette hiérarchie des sources du droit ne vaut que dans la justice formelle. Comme déjà dit plus haut, les Bashingantahe et les élus locaux règlent les différends par l'application de la coutume.

18 Lors de nos entretiens, nous avons voulu savoir l'état de la coutume successorale. Nous avons remarqué des disparités entre les différentes régions du pays. Même dans une même région, toutes les personnes rencontrées ne connaissaient pas la coutume de la même manière.

19 C'est ainsi par exemple que la coutume burundaise en matière successorale bloque l'adoption de la loi sur les successions tenant compte de l'égalité de l'homme et de la femme.

20 Il résulte de notre enquête que 90 % des litiges portés devant les acteurs de la justice de proximité relèvent des matières sus- mentionnées.

s'imaginer le point commun de ces matières pour être les plus fréquemment traitées par les acteurs de la justice de proximité. En réalité, à l'exception de la criminalité, les autres sont des matières où le droit coutumier a le plus résisté aux conquêtes du droit écrit. Quant à la criminalité, elle est le résultat des années de guerre qu'a connues le Burundi.

§ 1. Les conflits fonciers entre voisins

Au Burundi, la question des terres pose de sérieux problèmes. La terre est un précieux trésor pour une population aussi rurale que celle du Burundi. Plus de

90 % de la population tirent leur revenu presque exclusivement de la terre. En outre, même les exportations du pays ne sont qu'essentiellement agricoles21.

Les conflits fonciers entre voisins sont essentiellement dûs aux problèmes de délimitation entre les propriétés contiguës, de servitudes de passage, de l'appropriation des marrais... Le fait que la plupart des propriétés rurales ne sont pas enregistrées aggrave la situation.

Des enquêtes réalisées ont montré que 80 % des affaires pendantes devant les tribunaux sont des conflits fonciers22. Impressionnant par leurs volumes dans les juridictions, ils le sont également par leur impact négatif sur la paix sociale et le développement économique.

Sur le plan social, les litiges fonciers enveniment les relations sociales entre les parties au procès par les frustrations qu'ils engendrent. Cette pollution des relations sociales n'épargne guère les témoins qui eux aussi participent au procès. En tout état de cause, les conflits fonciers atteignent aujourd'hui une telle ampleur qu'il est souvent à l'origine de beaucoup d'assassinats et règlements de compte sous formes de chasse aux sorciers23.

Sur le plan économique, « time is money » nous dit un adage anglais. Le temps
passé au tribunal est un temps d'inactivité économique et pour les parties au
procès et pour les témoins. Les lenteurs que manifestent les tribunaux dans le

21 Le Burundi exporte essentiellement le Café et le thé.

22 V. les nombreux rapports qui ont été publiés sur la question : RCN Justice et Démocratie, Etude sur les problématiques foncières -Essai d'harmonisation, Bujumbura, décembre 2004 ,99p. ; OAG, Etude sur les conflits sociaux liés à la gestion des parcelles et des propriétés foncières dans les localités de Kinyankonge, Nyabugete et Kamenge, Bujumbura, avril 2005,52p. ; CARE Burundi, Etude du cadre légal et institutionnel de gestion des terres et autres ressources naturelles, Ngozi, décembre 2003,50p.

23 Plusieurs cas d'assassinat sont recensés où des familles sont massacrées en prétendant qu'ils sont des sorciers. Les cas les plus récents sont ceux des provinces Cibitoke et Ruyigi.

traitement des dossiers, les frais que nécessite la procédure judiciaire,...sont des facteurs qui concourent à l'appauvrissement des justiciables et des témoins.24

§ 2. Les problèmes des terres des rapatriés et des déplacés

Le contexte politique depuis quelques années favorise le retour de tous les réfugiés et déplacés dans leurs terroirs. Par là même, le problème foncier qui était déjà très sensible acquiert un accent particulier. Les rapatriés trouvent leurs anciennes propriétés occupées soit par leurs anciens voisins ou alors par des gens qui affirment les avoir achetées. Un problème de preuve se pose. L'on trouve par exemple que plusieurs occupants se sont succédés sur la même propriété et à des titres divers. Certains d'entre eux sont déjà morts, les rapatriés se retrouvent sans titres de propriété parce que les papiers ont été perdus ou brûlés pendant la guerre, ou alors on trouve des occupants illégaux des terres des réfugiés qui possèdent des papiers signés par des autorités administratives,...25 S'agissant des terres des déplacés, le principal problème est leur vente illégale et les empiètements faits de mauvaise foi par leurs voisins26. Aujourd'hui l'administration est confrontée à une multiplication galopante de litiges fonciers et le système judiciaire risque d'être débordé.

§ 3. Les conflits de succession

Succéder c'est acquérir les biens du défunt. La succession est une importante matière en droit burundais mais qui demeure exclusivement sous l'empire du droit coutumier. Etant donné l'exiguïté des propriétés foncières, leur partage successoral est très difficile et la moindre erreur peut engendrer des procès interminables. C'est précisément dans cette matière que se vérifie l'adage kirundi qui dit : « Abasangiye ubusa bitana ibisambo » ; ce qui signifie littéralement : « Ceux qui ont peu à se partager s'accusent mutuellement de gourmandise ».

Comme dans d'autres régions où l'organisation familiale est patriarcale, la coutume burundaise exclue les filles de la succession de leurs auteurs au profit du privilège de la masculinité. Seuls les enfants mâles peuvent prétendre à une part successorale. Généralement, même dans les cas où il n'y avait aucun mâle successible, les biens devaient passer aux enfants de la ligne parallèle27.

24 Lors de nos entretiens, on nous affirmé qu'il y a des familles qui vendent jusqu'à 3 vaches pour poursuivre un procès.

25 V. à ce sujet spécialement ICG, Réfugiés et déplacés au Burundi : désamorcer la bombe foncière, Rapport Afrique N° 70, Nairobi/Bruxelles, 28p.

26 RCN Justice & Démocratie, op.cit., p.84.

27 C. NTAMPAKA, op.cit., p.18.

La pratique est que la fille mariée reçoit une parcelle appelée « Igiseke » ou « Igisimbo » qu'elle peut exploiter tout au long de son existence mais qu'elle ne peut ni vendre ni léguer. Ce qui suscite pas mal de contestations.

Tant il est vrai que le problème de succession des filles se pose actuellement avec beaucoup d'acuité mais il n'est pas le seul. De nombreux litiges fonciers pendant devant les tribunaux résultent des disputes qui opposent des frères pour le partage de la propriété familiale.

Par ailleurs, la question de l'héritage des enfants naturels et celle de la succession de la veuve sont aussi controversées. Dans la plupart des cas, le conseil de famille qui, selon le droit coutumier, est l'autorité compétente en matière de succession se trouve souvent dépassé.

En définitive, le problème successoral nécessite une analyse délicate du moment qu'il touche deux problèmes extrêmement sensibles dans la société burundaise : la terre et la famille.

§ 4. Le mariage et ses variantes

Au Burundi, c'est la loi qui réglemente l'institution du mariage. Au-delà des conditions de fond, les futurs mariés doivent satisfaire à un certain nombre de conditions de forme prévues par la loi.

D'une part, le mariage en tant qu'une union libre entre l'homme et la femme est monogamique. Par conséquent, la polygamie est prohibée28. D'autre part, même l'union entre un seul homme et une seule femme ne suffit pas pour constituer un mariage aux yeux de la loi. Moins encore le versement de la dot ou le consentement des deux familles respectives. Il faut en plus que l'union ait été célébrée devant l'officier de l'état civil compétent territorialement dans les formes et délais prévus par le Code des personnes et de la famille29.

Néanmoins, dans beaucoup de régions du Burundi, la réalité est toute autre. Dans les provinces comme Muyinga, Rutana, Bubanza et Cibitoke, l'on trouve beaucoup d'unions illégales. A titre illustratif, dans la commune de Giteranyi en province de Muyinga, la généralisation de la polygamie est telle que les hommes monogames sont marginalisés30. Dans la province de Bubanza, et particulièrement après la récolté du riz, les hommes prennent volontiers de jeunes épouses.

28 Article 366 de la loi no1/06 du 4 avril 1981 portant reforme du Code pénal burundais in BOB no 6/81, p. 274.

29 Articles 88-119 du Code des personnes et de la famille in BOB no 6/93, p.228.

30 RCN Justice & Démocratie, op.cit, p.87.

D'aucuns pourraient s'imaginer les conflits familiaux qui découlent de la polygamie ou de l'entretien d'une concubine. Qu'il suffise de citer l'inégalité de traitement entre enfants issus d'un même père mais de mères différentes, les conflits de succession, dilapidation des biens du foyer légal au profit de la concubine, querelles entre la femme légale et la concubine, etc.

En outre, il existe dans certaines régions du pays une pratique de rapt de jeunes filles. Il s'agit d'une pratique qu'adoptent les jeunes garçons éconduits. Ils s'organisent en bande et enlève une jeune fille que l'un d'entre eux aurait choisie. Une fois à la maison du prétendant, la fille est violée. Dans la plupart des cas, l'on constate que ni la victime, ni sa famille n'osent porter plainte. Le viol de la fille étant considéré comme une souillure qui l'empêche de trouver un autre mari, l'on se contentera plutôt à négocier la régularisation de l'union par le versement d'une dot et un dédommagement moral. Le viol planifié en bande est ainsi converti en un mariage socialement accepté. Il s'agit d'une légalisation de l'infraction.

Toutefois, il ne faut jamais perdre de vue que ni les unions libres, ni le simple concubinage ne sont protégés par la loi. Il en résulte qu'en cas de dislocation d'une telle union ni la femme ni l'homme ne pourra prétendre à aucun dédommagement devant le tribunal.

§ 5. La sorcellerie et les pratiques occultes

La sorcellerie ou la magie, dirait-on, est une spécialité africaine ou en tout cas c'est en Afrique où on croit beaucoup aux forces surnaturelles et aux pratiques occultes.

Au Burundi, la sorcellerie et les pratiques occultes peuvent être trouvées partout dans le pays. Dans beaucoup de régions, on croit à l'existence effective d'un pouvoir surnaturel qui confère à celui qui le possède une capacité de nuisance incontrôlable et qui échappe à toute démonstration ou à toute description. Nous relatons dans les lignes qui suivent quelques cas qui font preuve de la diversité des pratiques occultes et de leur généralisation à travers tout le pays.

Selon un extrait du rapport de l'ONUB31, de nombreuses personnes soupçonnées d'être des sorciers sont lynchées par la population particulièrement dans les provinces de Muyinga, Karuzi, Cankuzo, Ngozi, Kayanza et Kirundo. Les cas de lynchage déjà nombreux ont augmenté en raison des perturbations climatiques. Beaucoup de soi-disant faiseurs de pluie ont été lynchés.

31 ONUB, Division des droits de l'homme, rapport trimestriel juillet-septembre 2005, p.3.

Selon les informations diffusées à la radio Insanganiro en date du 21 avril 2007 à 12 heures 25 minutes, 5 personnes ont été retrouvées dans leurs maisons décapitées parce que soupçonnées de sorcellerie. Tout de même, ces personnes étaient des réfugiés récemment rapatriés de la Tanzanie.

Quel que soit le lieu où la sorcellerie et l'occultisme se pratiquent, le grand défi qu'ils soulèvent est leur répression. D'une part, sur le plan pénal, le principe de la légalité des peines et des infractions assure une impunité totale aux sorciers. En effet, les actes de sorcellerie ne constituent pas une infraction pénale aux yeux de la loi. Certaines autorités administratives et judiciaires pourraient emprisonner les présumés sorciers pour trouble à l'ordre public, d'autres les emprisonneraient pour les protéger contre la vindicte populaire.

D'autre part, le problème que soulève la répression de la sorcellerie est celui de la preuve de l'infraction étant donné que la sorcellerie échappe à toute démonstration. Il devient dès lors difficile de prouver la culpabilité du présumé sorcier.

Il résulte de ce légalisme une incompréhension totale entre les autorités administratives et judiciaires d'une part et la population d'autre part. Aux yeux de la population en général et des supposées victimes en particulier, ne pas sanctionner de manière exemplaire les présumés sorciers est une complicité des pouvoirs publics. La culpabilité des sorciers est évidente selon la population : il s'agit de cette réputation de sorcellerie et des pratiques divinatoires.

Ainsi, le lynchage des présumés sorciers est une alternative à la justice. Faute d'obtenir la justice des tribunaux, la population fait recourt à la justice privée. Les auteurs des lynchages bénéficient souvent du soutien et de la protection de la population et ainsi l'impunité perdure.

Toutefois, l'on constate actuellement que dans certaines régions, les accusations de sorcellerie suivies de lynchage, cacheraient souvent des conflits fonciers et des règlements de compte entre voisins ou familles en conflits en milieu rural.

Bref, les litiges de proximité sont assez nombreux et variés. Ils impliquent par conséquent, pour leur résolution, l'intervention de différents acteurs de la justice de proximité.

CHAPITRE II. LES ACTEURS DE LA JUSTICE DE PROXIMITE AU BURUNDI

Au Burundi, il n'y a pas de texte juridique instituant la justice de proximité en tant que telle. Dans le passé, la loi n°1/004 du 14 janvier 1987 portant réforme du Code de l'organisation et de la compétence judiciaires avait institué le Conseil des notables bashingantahe comme une instance juridictionnelle en matière civile. Actuellement, la loi n°1/08 du 17 mars 2005 portant Code de l'organisation et de la compétence judiciaires qui l'a remplacée ne contient pas un article similaire. Le seul texte qui y fait expressément allusion est la Loi communale en son article 37.

En pratique, plusieurs acteurs interviennent dans la justice de proximité. Ces acteurs peuvent être classés dans deux principales catégories : les acteurs étatiques et les acteurs non étatiques.32

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo