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L'accès de la société civile à  la justice internationale économique

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par Farouk El-Hosseny
Université de Montréal - LLM 2010
  

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VI) Quels effets suscités par l'intervention de la société civile ?

L'accès à la procédure octroyé à la société civile à titre d'amicus curiae est permis dans le but de concilier des préoccupations de transparence402. Les militants experts de la société civile saisissent cette opportunité pour promouvoir un développement progressiste du droit international économique à travers sa jurisprudence, un progressisme qui sous-entend la prise en compte de préoccupations socio-environnementales et de droits de l'homme dans l'interprétation du droit403. Ledit progressisme ressort dans de nombreuses décisions récentes et des TBI nouvellement signés par le Canada qui prévoient notamment le droit d'intervention à titre d'amicus curiae. Dans un souci d'adaptation aux récurrentes interventions de la société civile à titre d'amicus curiae, nous verrons également que le CIRDI a adopté des réformes conséquentes en amendant son règlement d'arbitrage.

1) Une transparence impérative et accrue

Tel qu'évoqué plus haut, diverses problématiques qui soulèvent la nécessité d'une plus ample transparence semblent être de plus en plus en cause dans les différends internationaux économiques. En effet, les traités d'investissements, bilatéraux ou multilatéraux accordent des droits conséquents aux investisseurs découlant du droit international comme le droit contre le déni de justice. Ces droits imposeraient des limites supranationales à l'exercice de la souveraineté étatique, de la législation nationale ainsi que des décisions judiciaires de l'État404. Ils pourraient

402 Voir C. CÔTÉ, op. cit., note 35, p. 416.

403 S. CHARNOVITZ, loc. cit., note 30, p. 509.

404 S. TULLY, loc. cit., note 47, p. 22.

constituer des défis potentiels au pouvoir règlementaire étatique405. L'octroi de dommages par le biais de l'arbitrage aux investisseurs suite à la violation desdits droits constitue un risque énorme aux gouvernements désireux de mettre en place des mesures règlementaires qui sont susceptibles d'affecter ces investissements406. Ce pouvoir de levier des investisseurs a suscité de fortes critiques et a engendré le mépris du public et de la société civile407. La légitimité au recours à l'arbitrage est mise en cause. Son objectif fondateur visant à dépolitiser l'investissement étranger direct est menacé par de nouvelles pressions politiques. Les critiques dénoncent le triomphe de l'intérêt particulier (des investisseurs) sur l'intérêt public (protégé par les mesures règlementaires étatiques).

Le droit international économique est désormais critiqué pour octroyer aveuglement des droits aux investisseurs sans la prise en compte des problématiques d'intérêt public, qui semblent être de plus en plus en cause408. La critique est la suivante : comment permettre à des tribunaux secrets d'écraser des mesures d'intérêt public, environnementales par exemple, au nom de la protection des intérêts privés? La légitimité entière du processus arbitral est ainsi remise en question409.

La réponse de Jan Paulsson est que les tribunaux ne sont plus secrets grâce aux nouvelles réformes du CIRDI que nous traiterons plus loin. Les décisions arbitrales ne visent qu'à veiller au respect des engagements internationaux des États et donc au respect de la règle de droit internationale. Le règlement des différends

405 Id., note 47, p. 23.

406 On cite notamment l'exemple de l'abandon du projet de régime d'assurance automobile provincial du Nouveau Brunswick par peur de représailles des entreprises d'assurances américaines sous l'égide du Chapitre XI de l'ALENA. Voir D. SCHNEIDERMAN, loc. cit., note 34, p. 71.

407 E. KENTIN, loc. cit., note 42, p. 318.

408 K. MOLTKE et H. MANN, loc. cit., note 50, p. 106.

409 J. PAULSSON, op. cit., note 162, p.232.

entre États et investisseurs était assuré auparavant par l'entremise de la protection diplomatique. La règle de droit international appliquée par l'arbitrage commercial international vise à éviter l'intervention de l'État de l'investisseur. Le but étant de dissocier les investissements étrangers de la domination des puissances impérialistes410. Cette vision est illustrée par la doctrine de Calvo adoptée par de nombreux États d'Amérique latine. Elle consiste à imposer à l'investisseur étranger d'épuiser les recours internes disponibles avant de recourir à la protection diplomatique411: «By placing arbitration in the hands the investor, and not the state, they have also depoliticized the remedy»412 . Le modèle d'arbitrage contemporain assure ainsi une justice privée impartiale et également imperméable aux subjectivités et aux sensibilités qui existaient devant les juridictions nationales413. La décision du tribunal est finale et n'est pas sujette à un appel. Un recours en annulation existe cependant en vertu de l'article 52 de la Convention du CIRDI414. Le but de ce processus arbitral étant également de garantir un mode de règlement de différend efficace et rapide415.

Or, le règlement des différends d'investissements est de nouveau politisé416. Le statu quo décrit ci-dessus est menacé par la pression de la société civile, cette dernière exigeant l'octroi du statut d'amicus curiae dans les différends internationaux économiques afin de soulever à l'attention du tribunal arbitral des problématiques

410 Voir Mark LARGAN, «International Corporate and Investment Banking: Practice and Law», Londres, Institute of Financial Services, 2003, p.34; Ronald Charles WOLF, «Trade, Aid, and Arbitrate: The Globalization of Western Law», Burlington, Ashgate, 2004, p.27; D. SCHNEIDERMAN, loc. cit., note 34, p. 59.

411 P. DUMBERRY, loc. cit., note 45, p. 112.

412 J. PAULSSON, op. cit., note 162, p.28.

413 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 7, p. 25.

414 Recours ouvrable dans les cas de vice dans la constitution du tribunal, son excès de pouVoir manifeste, corruption d'un de ses membres, l'inobservation grave d'une règle fondamentale de procédure, et le défaut de motifs. Voir Article 52, Convention d'arbitrage du CIRDI.

415 Théodore CHRISTAKIS, « Quel remède à l'éclatement de la jurisprudence CIRDI sur les investissements en Argentine ? La décision du comité ad hoc dans l'affaire CMS c. Argentine », Paris, Revue générale de droit international, 2007, p. 879.

416 Noah RUBENS, «Opening the Investment Arbitration Process: At What Cost, for What Benefit?», dans KLAUSEGGER et al. (dir.), Austrian Arbitration Yearbook 2009 , Vienne, Manz C.H. Beck Stampfli, 2009, p.488.

d'intérêt public417. Tel que mentionné plus haut, ces différends semblent affecter effectivement de plus en plus l'intérêt public, ce qui n'était pas le cas dans le cadre traditionnel de l'arbitrage commercial international418.

L'idée que les tribunaux tranchant des différends d'arbitrage d'investissements internationaux acceptent des interventions d'amicus curiae soulève par ailleurs certaines problématiques. Tout d'abord, la procédure d'arbitrage est privée, constituant un des avantages principaux pour les parties de recourir à ce mode de règlement de différends419. Les parties impliquées protègeraient ainsi de l'information de nature commerciale sensible ou confidentielle. Les différends impliquant États et investisseurs sont considérés comme des questions de droit privé compte tenu de la relation commerciale entre les parties420.

Cependant, les limites entre droit privé et droit public se sont brouillées à l'instar de la globalisation des marchés. L'objectif initial de dépolitiser l'arbitrage est plus que jamais remis en cause. Les différends sont politisés et publicisés du fait de l'énorme intérêt public souvent en cause421. Des intérêts collectifs, traditionnellement garantis par l'État, se sont vus appropriés par la société civile qui manifeste une volonté apparente d'intervenir au sein des différends d'investissement à titre d'amicus curiae422. Tel que vu plus haut, jamais l'intérêt pour les droits non marchands transnationaux n'a plus été diffusé et propagé que dans l'ère de la globalisation des marchés. Des sentences arbitrales ont ainsi suscité de vives critiques

417 J. VINUALES, op. cit., note 362, p.73.

418 R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, op. cit., note 36, p. 356.

419 A. VAN DUZER op. cit., note 382, p. 6; Graham D. VINTER, «Project Finance: A legal guide», Londres, Sweet & Maxwell, 2006, p.137.

420 J. VINUALES, op. cit., note 362, p.73.

421 M. DELMAS-MARTY, loc. cit., note 5, p. 324.

422 Id., note 5, p. 324.

de par leur omission de considérer les problématiques d'intérêt public en cause423. Selon ces critiques, ces omissions jumelées avec l'opacité du processus entraîneraient inévitablement l'empiètement du marchand sur le non marchand424. La critique quant au manque de transparence est soulevée haut et fort lorsque des questions d'intérêt public sont en cause425.

Les motifs derrière l'acceptation de l'amicus curiae à l'ALENA émaneraient donc d'un souci de gouvernance. La permission d'une telle procédure a été octroyée compte tenu des préoccupations de transparence et de l'intérêt public en cause et ce, malgré le fait que les tribunaux arbitraux ne soient pas liés par les précédents des autres juridictions426. En effet, dans l'affaire Methanex, le tribunal a reconnu qu'interdire les interventions d'amicus curiae en l'espèce aurait pour effet de léser la légitimité publique du processus entier de règlement de différend sous le Chapitre XI de l'ALENA427. Tel que proposé par le Canada et les États-Unis, le tribunal a reconnu que les tribunaux établis en vertu du Chapitre XI de l'ALENA pourraient bénéficier d'une plus ample transparence compte tenu des préoccupations d'intérêt public soulevés.

La situation est par ailleurs similaire à l'OMC. Dans CE- Asbestos, l'organe d'appel avait établi une procédure permettant les interventions d'amicus curiae. En dépit du fait que cette procédure établie était provisoire et applicable uniquement à ce différend, le Secrétariat de l'OMC l'a publié sur son site internet. Il est clair que le

423 E. KENTIN, loc. cit., note 42, p. 314.

424 C. BROWER, op. cit., note 315, p.370.

425 A. VAN DUZER op. cit., note 382, p.2.

426 Id., note 382, p. 12.

427 R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, loc. cit., note 36, p. 359.

Secrétariat était de l'avis que cela avantagerait l'image et la légitimité de l'OMC428. Il est important de noter que l'organe d'appel était évidemment conscient des préoccupations de transparence reliées à ce différend notamment à cause des questions de santé publique sous-jacentes au litige429. Cette transparence et démocratisation accrues sont illustrées par l'accès au public à une réunion d'un panel du groupe spécial qui a été permis pour la première fois en 2005. Toutes les décisions tranchées par l'ORD sont publiées par internet430. Les interventions de la société civile sont devenues en effet impératives à la transparence de l'instance431. Nous notons une évolution avec la reconnaissance de la nécessité d'un degré plus élevé de transparence et la permission des présentations d'amicus curiae. Ce constat représente un véritable virement de la position du tribunal dans Metalclad qui ordonna aux parties de limiter au strict minimum les discussions publiques quant à l'affaire432.

Ce constat a également été confirmé par le tribunal arbitral dans l'affaire Vivendi. Le différend opposait un consortium de sociétés et la République argentine concernant des concessions de distributions et de traitements d'eau potable pour l'agglomération de Buenos Aires. De nombreux acteurs de la société civile désiraient intervenir, leurs profils dégageaient une grande diversité par rapport à leurs expertises, leurs champs d'activités et leurs objectifs. Le dénominateur commun entre ces organisations était cependant leur intérêt pour ce différend433. Le tribunal a

428 J. VINUALES, op. cit., note 362, p.74.

429 R. BUCKLEY et P. BLYSCHAK, loc. cit., note 36, p. 363.

430 E. PETERSMANN, loc. cit., note 24, p. 667.

431 A. VAN DUZER op. cit., note 382, p. 15.

432 E. KENTIN, loc. cit., note 42, p. 322.

433 Aguas Argentinas, S.A., Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, S.A. and Vivendi Universal, S.A. v. The Argentine Republic (ICSID Case no. ARB/03/19), Order in Response to a Petition by Five Non-Governmental Organizations for Permission to Make an Amicus Curiae Submission, p. 4.

reconnu effectivement, pour la première fois dans ce type d'instances, qu'un intérêt public conséquent est en cause du fait que :

«Those systems provide basic public services to millions of people and as a result may raise a variety of complex public and international law questions, including human

rights considerations.» 434

Dans sa deuxième décision, le tribunal a réitéré la présence d'un intérêt public majeur. Il devait se prononcer sur la responsabilité internationale de l'Argentine, en considérant l'octroi de concessions et la privatisation de services publics de base affectant des millions de personnes, reconnaissant que des questions complexes de droit public et de droit international, incluant de droits de l'homme, pouvaient être effectivement traitées par le tribunal435. De plus, le tribunal était d'avis que sa décision risquerait d'engendrer une influence sur la manière dont les gouvernements et les investisseurs étrangers traiteront les difficultés soulevées dans le cadre de ce type de concessions de services publics. Les arbitres ont ainsi permis la communication de mémoires d'amicus curiae.

Enfin, nous retenons que plus un différend aurait une dimension publique, plus l'intervention de la société civile à titre d'amicus curiae serait bénéfique puisque cette dernière est capable d'ajouter à la légitimité du processus de règlement de différends, qui est accrue lorsque les amicus curiae bénéficient d'un caractère représentatif considérable436. Cet impératif de transparence a été soulevé et poussé

434 Aguas Argentinas, S.A., Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, S.A. and Vivendi Universal, S.A. v. The Argentine Republic, précité note 387, p. 5.

435 Aguas Argentinas, S.A., Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, S.A. and Vivendi Universal, S.A. v. The Argentine Republic, précité note 433, p. 9.

436 J. VINUALES, op. cit., note 362, p.76.

par la société civile elle-même, et est en effet considéré comme une « valeur fondamentale » du régime du droit international économique437.

Un tel constat est confirmé par la doctrine qui distingue désormais entre le domaine d'arbitrage des différends d'investissements et celui des différends de commerce international. Dans ce dernier, le manque de confidentialité pourrait nuire au processus d'arbitrage commercial, tandis que dans le premier la transparence et la connaissance du public du différend sont devenues des nécessités incontournables438.

Ce dernier fait accroît les opportunités pour les acteurs non étatiques en général et la société civile en particulier d'intervenir et d'influencer sur la scène internationale439. Une fois l'intervention possible, des arguments juridiques sont et seront soulevés en vue de pondérer les préoccupations d'intérêt public et d'intérêt privé. Leur intervention vise également la sensibilisation des investisseurs quant aux impératifs liés aux préoccupations non marchandes découlant de leurs activités440. L'ouverture des juridictions du droit international économique est une véritable opportunité pour la société civile d'accomplir ses objectifs441.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand