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Le temps de l'insertion des jeunes, une considération rituelle et temporelle

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par James MASY
Université de Nantes - Master 2 - Sciences de l'éducation 2008
  

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Conclusion

La division du travail social a participé d'une nouvelle temporalité, au sens du niveau de synthèse de l'individu, puisqu'il a détaché son activité de l'effet de la production, a différé cette production et appris à vivre le temps abstrait du calcul. Ce qui fut un temps enfermé appuyé sur l'activité construite sur des horizons temporels calqués aux cycles naturels, devint à travers la spécialisation, le morcellement des tâches, un futur médiat et abstrait qui devait assurer la productivité dans une économie globale où le temps enfermé est réservé au temps libre. En d'autres termes, le salarié qui vit un temps enfermant, entendu comme ce qui fait aujourd'hui office d'autrui généralisé dans la société salariale, a perdu de vue le sens de l'activité en lui imputant une valeur économique, ce qui lui permet hors travail de vivre un temps enfermé. C'est donc dans une certaine mesure qu'il construit son autonomie temporelle dans le seul cadre du temps libre. C'est à dire une capacité individuelle à vivre le temps enfermé aux côtés d'un temps enfermant.

En parallèle, la valeur économique du travail pourfend sa valeur sociale dans la transformation de son éthos. La proximité filiale de l'éthos rural pré-capitaliste favoriserait alors une temporalité qui s'inscrit dans « l'à venir » ; tandis qu'une trajectoire familiale très ancrée dans l'industrialisation renverrait à un habitus de « l'avenir ». Les parents qui ont quitté leur village natal, souvent de milieu rural, à une époque où l'agriculture revêtait un éthos du devoir qui réunissait social et subsistanciel, n'ont pu que transmettre au moins en partie un habitus temporel conséquent à celui que leur socialisation a opéré. D'un autre côté les parents salariés de l'industrie, enfants de la tertiarisation qui ont vu se transformer le devoir en épanouissement, ont eux transmis un habitus plus contemporain. Nous pouvons par là inférer au nouvel éthos du travail la primeur de la temporalité « postmoderne » qui entreprend d'amasser des « capitaux » pour se prémunir face à l'incertitude.

Le processus en cours de cette transformation amène chacun à construire le temps au travers son expérience propre, celle de sa famille, mais aussi et de plus en plus à partir d'outils qui prolongent l'individualisme jusque dans le rapport que chacun entretient avec le temps. De l'orientation à l'agenda, il ne s'agit que de structurer le temps de sorte de le manipuler à son gré. Cette nécessité devient obligation dans des périodes gorgées

d'incertitudes. Hier on reconduisait le temps dans un éternel retour à zéro, le temps cosmogonique. Aujourd'hui le futur est devenu un risque qui s'est développé au fur et à mesure qu'ont disparu ces espaces et que se sont développées la technologie et les sciences. « On ne sait jamais de quoi demain sera fait », « il faut se préparer au pire » sont les signes de l'intériorisation de ce risque. La condition socio-économique liée au marché économique mondial a rendu toute prévision impossible et cette incertitude globale ne fait que se renforcer aux convenances des conditions sociales du temps. La précarité et la marge sont de ces conditions sociales qui accentuent ce phénomène. Toute liminarité devient alors le berceau d'un horizon brouillé.

L'insertion et la jeunesse sont deux dénominateurs communs de la liminarité, l'un privant du statut social lié au travail, l'autre privant du statut social lié à la construction d'une vie idéal-typique d'adulte. Dans les deux cas la question de la socialisation est centrale, bien que la seconde englobe la première. Une société déritualisée se pose nécessairement la question l'intériorisation de la réalité objective. Puisque le rite ancestrale assurait cette fonction, et que les rites contemporains qui subsistent tiennent davantage à la mise en exergue des limites qui séparent les uns des autres, on se réfère aujourd'hui à la socialisation pour identifier « l'intériorisation de la structure sociale »1, à l'intérieur de laquelle demeurent pourtant des statuts sociaux qui renvoient à la liminarité. L'insertion est de ce point de vue un temps social émergent appuyé sur la structure du rite de passage. Mais plus encore l'insertion est fondamentalement construite comme un rite tel que définit par A. V. Gennep puisqu'elle intègre les trois phases, la séparation avec l'enfance symbolisée par l'école, la marge du chômage et l'agrégation au groupe des travailleurs. Cependant l'insertion n'est pas un rite de passage, entre autre parce qu'elle ne garantit pas à toutes et à tous l'agrégation. L'idée de cohorte, chère au dispositifs d'évaluation des politiques d'insertion, permet d'identifier cette affirmation. Tandis que dans le rite, les trois phases sont vécues par des cohortes socialement définies, de la séparation à l'agrégation, c'est le groupe dans son entier qui est concerné ; dans l'insertion on peut retrouver la cohorte dans les deux premières phases et la voir disparaître dans la troisième, située socialement par la rupture avec le milieu scolaire, les membres ne seront pas tous agrégés au groupe des travailleurs en même temps. Il est à ce titre convenable d'imputer une valeur symbolique à l'insertion, puisqu'elle permet dans sa phase ultime de distinguer les insérés des insérables et à terme pour les premiers d'accéder à l'état visé qui correspond en toutes choses à un projet d'insertion.

Mais c'est plus au coeur de la liminarité de cette période liminaire que se vit la

1 Peter Berger, Thomas Luckmann, Construction sociale de la réalité, op. cit., p. 270

situation la plus proche des rites de passage. Car c'est par le prolongement de cette liminarité que se créent les communitas, marques des phénomènes rituels qui instituent la non-structure comme référence symbolique. Il n'est pas question d'admettre des notions comportementales du rite à la communitas mais de saisir la question de la marge et ses effets sur la construction de l'avenir. Cet espace social ne permet aucune structure qui soit « enracinée dans le passé et se déploie dans le futur »1, elle appartient au présent et l'est.

Puisque le présent devient le moment privilégié de demain par le jeu de l'orientation et du calcul prévisionnel, il y a tout intérêt à positionner le présentisme de la communitas comme une forme de temporalité pathologique. E. Durkheim disait, dans son analogie organique du tout social, de la pathologie qu'elle était « un précieux auxiliaire de la physiologie »2 en ce qu'elle permettait de situer ce qu'il appelait l'état normal et que d'autres appellent l'ordre social. Cette déviance ramène à la « socialisation ratée comprise en terme d'asymétrie complète entre la réalité objective et subjective »3 à laquelle nous n'avons aucunement fait référence et qui pourtant apporte au débat une dimension opératoire. Mais évaluer le degré de symétrie aurait nécessité une approche sociopsychologique que les auteurs eux-mêmes n'ont pu faire. Aussi nous nous limitons ici à convenir d'une réalité objective qui impose un haut degré de synthèse comme préalable à l'orientation, et dont tout le monde ne peut se targuer de disposer. C'est dans cette acception qu'il nous faut comprendre la valeur thérapeutique des situations d'insertion.

Il est à ce niveau de la recherche évident de répondre de façon très fermée et surtout négative : non l'insertion n'a rien de thérapeutique. Seulement il nous faut une fois encore modérer la forme catégorique du propos. Bien sûr, il est chez les jeunes en général un certain présentisme qui perturbe l'expérience temporelle de la socialisation. On distingue traditionnellement à ce titre, ceux et celles dont l'enfance a permis l'intériorisation progessive de la maitrise du temps, des autres. En revanche on ne distingue pas les effets d'une éventuelle socialisation secondaire qui pourtant regorgent d'espaces intermédiaires souvent porteurs d'avenir. L'insertion est bel et bien cette phase transitoire entre deux temps sociaux intériorisés en tant que processus de l'existence (enfance) ou état visé (adulte), mais elle est aussi un passage au sens du choix d'orientation qui doit présenter tous les éléments constitutifs de l'état visé. C'est pourquoi il n'est pas entendu que l'insertion soit fondamentalement une action correctrice, si on la conçoit comme un temps social émergent qui permet aux mieux équipés face au futur, de prendre le temps de s'orienter. Ceci supposant une distribution sociale des horizons qui traduirait en creux une

1 Victor. W. Turner, Le phénomène rituel, op. cit., p. 112

2 Emile Durkheim; De la division du travail social: livre II; op.cit; p. 101

3 Peter Berger, Thomas Luckmann, Construction sociale de la réalité, op. cit., p. 271

insertion choisie et une insertion subie.

Pour le premier cas, les politiques et les professionnels de l'insertion satisferaient aux besoins d'acompagnement dans la construction d'une représentaion de l'avenir. D'autant plus qu'il y aurait convergence des réalités subjectives. En effet la volonté affirmée par les uns et les autres articulant travail et épanouissement inscrit de fait chaque acteur dans une logique de projection rendue possible en amont de la situation d'insertion que vivent les jeunes. Ce qui amène à une insertion planifée dans laquelle l'absence de travail nourrit temporairement le projet d'une situation circonscrite dans le « projet vocationnel de l'adulte »1 , c'est-à-dire comment ils entendent se réaliser en tant qu'adulte au sein de leur travail, de leur famille et de leurs activités collatérales.

Pour le second cas, ce n'est pas la situation sociale mais la politique sociale, réifiée dans des dispositifs qui sont perçus « comme des appareils disciplinaires dont la fonction essentielle est de calmer le jobard »2, qui est une forme d'intervention correctrice ne visant que des publics particuliers. Le recours à la pédagogie de projet ne fait à ce titre qu'introduire de façon très claire la pathologie temporelle à travers l'incapacité dévoilée à se représenter l'avenir autrement que comme un autre présent. Ceci pose en fond la capacité des professionnels à lire au sein des discours « les paroles et les regards sur l'avenir comme engagement et projection, façon de s'orienter parmi les choses et les êtres, indices d'une intelligibilité à l'état naissant. »3 Ainsi réaliser un film, devenir pilote, avocate, ne sont peut-être pas des rêves dénués de représentation de l'avenir. Chacun de ces rêves comporte un environnement qui pour peu qu'on l'entende porte un projet. L'aéronautique, la justice ou le cinéma ne sont pas dépourvus de possibles au point qu'on en refuse l'accès aux plus démunis. Notre propos ne vise pas l'accessibilité de toutes et tous au pilotage d'avion, au barreau ou au film d'auteur, il réaffirme juste que l'orientation temporelle est affaire d'éducation et d'espérance.

En conclusion de cette recherche nous pouvons affirmer que l'insertion, qui nécessite pour les jeunes une sorte d'aculturation administrative suggérée par la représentaion temporelle qu'ils peuvent avoir des procédures, doit être pour eux un espace de construction ou de co-construction d'une représentation de l'avenir, dans lequel les professionnels ne peuvent faire l'économie de la considération de l'expérience temporelle individuelle s'ils veulent pouvoir recourir au projet comme outil pédagogique producteur de libertés.

1 Jean-Pierre Boutinet, Anthropologie du projet, op. cit., p. 84

2 Chantal Nicole-Drancourt, Laurence Roulleau-Berger, L'insertion des jeunes en France, op. cit., p. 107

3 Francis Vergne, L'avenir n'est pas à vendre, op. cit., p. 163

Notre approche des processus à travers les temps a participé de la désignation d'un temps propre à ce segment de vie qu'est la jeunesse au sortir de l'école, mais il nous faut encore insister sur ce temps qui n'a d'unique que son appelation officielle et qui réduit considérablement la compréhension de l'insertion comme un phénomène temporel propre mais polymorphe. Ce qui suppose que sur le plan scientifique, cette recherche est insuffisante face à la multitude de pistes ouvertes, mais elle nous a permis d'attirer plus particulièrement notre attention sur la notion d'habitus temporel. Nous avons vu que l'habitus pouvait seoir à l'étude de la construction des temporalités du fait entre autre qu'une part de ces dernières semblait fonctionner comme « des principes générateurs et organisateurs de pratiques et de représentations »1.

« S'il n'est aucunement exclu que les réponses de l'habitus s'accompagnent d'un calcul stratégique tendant à réaliser sur le mode conscient l'opération que l'habitus réalise sur un autre mode, à savoir une estimation des chances supposant la transformation de l'effet passé en objectif escompté, il reste qu'elles se définissent d'abord dans des potentialités objectives, immédiatement inscrites dans le présent, choses à faire ou à ne pas faire, à dire ou à ne pas dire, par rapport à un à venir probable qui, à l'oppposé du futur comme possibilité absolue sens de Hegel, projetée par le projet pur d'une liberté négative, se propose avec une urgence et une prétention à exister excluant la délibération. »2

Le cadre de l'habitus pose en ce sens une double temporalité à l'habitus temporel, celle de l'intériorisation liée à l'expériencialité, et celle de la construction stratégique qui évoque la possibilité d'une temporalité, héritée, enrichie et transmissible.

Voici qui augure pour le futur mille et une recherches sur la construction du temps et sa transmission.

Ce qui nous est donné aujourd'hui et dont nous héritons pour parler du temps se limite en un comptage effréné du nombre d'années, celles vécues, celles à vivre, qui censées nous situer, nous ont souvent prostré face au passé et fait languir devant l'avenir.

« Comme l'eau du fleuve ou le vent du désert,
Un nouveau jour s'enfuit de mon existence...
Le chagrin ne fit jamais languir ma pensée, à propos de deux jours :
Celui qui n'est pas encore, celui qui est passé. »

Ômar Khayyãm, Quatrains

1 Pierre Bourdieu , Le sens Pratique, les Éditions de Minuit, Paris, 1980, p. 88

2 Ibid., p. 89

Liste des tableaux

Tableau 1. Évolution des droits à indemnisation d'un demandeur d'emploi de moins de 50 ans, avec un salaire référence égal au SMIC 27

Tableau 2 . Évolution de la durée d'indemnisation d'un demandeur d'emploi de moins de 50 ans, ayant un salaire de référence égal au SMIC 27

Tableau 3. Les bénéficiaires du RMI selon la situation familiale 36

Tableau 4. Les jeunes accueillis pour la première fois dans le réseau ML, PAIO par niveau de formation 38

Tableau 5. Consultation médicale des individus au cours de l'année selon la catégorie
socioprofessionnelle 96

Tableau 6. Répartition du corpus selon quelques variables 114

Tableau 7. Niveau d' indépendance des interviewés 125

Tableau 8. Expérience temporelle des interviewés 126

liste des sigles

ANPE : Agence Nationale Pour l'Emploi

APT : Activités Physiques pour Tous

ASSEDIC : Association pour l'Emploi dans l'Industrie et le Commerce ASS : Allocation Spécifique de Solidarité

ATD : Aide Toute Détresse

BAFA :Brevet d'Aptitude à la Fonction d'Animùateur

BPJEPS : Brevet Professionnel de l'Éducation Populaire et de la Jeunesse CDD : Contrat à Durée Déterminée

CDI : Contrat à Durée Indéterminée

CEREQ : Centre d'Etude et de Recherche sur l'Emploi et les Qualifications CES : Contrat Emploi Solidarité

CHRS : Centres d'Hébergement et de Réinsertion Sociale CIVIS : Contrat d'Insertion dans la Vie Sociale

CMU : Couverture maladie Universelle

CNIAE : Conseil National de l'Insertion par l'Activité Economique

CNLE : Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale

CPE : Contrat Première Embauche

CV : curriculum Vitae

DREES : Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques IGF : Impôt sur les Grandes Fortunes

IFEN : Institut Français de l'Environnement

INSEE : Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques ISF : Impôt de Solidarité dur la Fortune

INED : Institut national des Études Démographiques

JDE : Jeunes Demandeurs d'Insertion

LTP : Loisirs Tout Public

ML : Mission Locale

ONPES : Office National de la Pauvreté et de l'Exclusion Sociale PAIO : Point Accueil Information Jeunesse

RMI : Revenu Minimum d'Insertion

SEGPA : Section d'Education Générale et Professionnelle Adaptée SDF : Sans Domicile Fixe

SEJE : Soutien à l'Emploi des Jeunes en Entreprise

SMIC : Salaire Minimum Interprofessionnel De Croissanse SMIG : Salaire Minimum Garanti

UNAF : Union Nationale des Associations Familiales

UNEDIC : Union Nationale Interprofessionnelle pour l'Emploi dans l'Industrie et le Commerce

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo