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La primauté des tribunaux pénaux internationaux ad hoc sur la justice pénale des états.

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par Gérard MPOZENZI
Université du Burundi - Licence en Droit 2003
  

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CHAPITRE I. LES TRIBUNAUX PENAUX INTERNATIONAUX

Tel que communément employée, l'expression « Tribunaux pénaux internationaux » englobe tout aussi bien les tribunaux pénaux onusiens ad hoc pour l'ex- Yougoslavie et le Rwanda, l'institution permanente qu'est la Cour pénale internationale (CPI) et certaines juridictions hybrides qui apportent un soutien international aux processus judiciaires domestiques15(*).

Dans ce chapitre, le travail est centré sur les Tribunaux pénaux internationaux ad hoc. Certes, une petite approche comparative est également nécessaire. Dans cette perspective, on passera en revue la CPI, certaines juridictions hybrides16(*) et les systèmes juridiques internes.

I.1. Les Tribunaux pénaux internationaux ad hoc

I.1.1. Définition générale

Un tribunal pénal international ad hoc (TPI) est une institution juridictionnelle internationale, créée à titre d'organe subsidiaire du Conseil de Sécurité des NU, et chargée de poursuivre et juger les individus tenus responsables des crimes du droit international commis dans le cadre d'un conflit donné. Son mandat est circonscrit dans le temps et dans l'espace, et faute de moyens propres, l'exécution de ses fonctions est largement tributaire de l'entraide judiciaire internationale17(*).

L'institution dispose généralement d'une compétence dite « concurrente » à celle des tribunaux étatiques concernés, mais le Tribunal pénal international a la « primauté » sur les juridictions nationales18(*)

I.1.2. Les origines

Si, en 1918, l'on avait déjà envisagé, sans succès, la possibilité de traduire en justice le Kaiser Guillaume II19(*), c'est au terme de la deuxième guerre mondiale que l'idée d'une justice pénale internationale fit un pas significatif avec la création, par les Alliés, des tribunaux militaires de Nuremberg (1945) et de Tokyo (1946). Ces institutions n'étaient pas, à proprement parler, des tribunaux internationaux car ils étaient mis sur pied par un nombre limité d'Etats -les vainqueurs- pour juger les vaincus20(*). « Toutefois, leurs travaux ont permis d'apporter une première définition des crimes internationaux, reprise par l'AG de l'ONU en 194621(*) ».

En effet, selon la résolution 95(I) du 11 décembre 1946 par laquelle l'AG des NU confirme les principes de droit international reconnus par le Statut du TMI de Nuremberg et par le jugement de ce dernier, les crimes énumérés ci-après sont punis en tant que crimes de droit international: crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l'humanité22(*). En ce qui concerne les procès de Nuremberg et de Tokyo, « s'ils restent actuellement un phénomène historique circonscrit dans le temps, le droit, en revanche, qui y a été énoncé et appliqué demeure, et c'est là l'intérêt juridique de l'événement23(*) ».

La création de l'ONU a permis raisonnablement d'espérer la création d'une juridiction pénale internationale permanente. Aussi, l'idée de la création de cette juridiction internationale a été lancée 50 ans plus tôt (comptés depuis la Convention de 1948 sur le génocide jusqu'à son apparition en 1998). En effet la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 prévoyait que « les personnes accusées de ce crime seront traduites devant les Tribunaux compétents de l'Etat sur le territoire duquel l'acte a été commis, ou devant la cour criminelle internationale qui sera compétente à l'égard de celles des Parties contractantes qui en auront reconnu la juridiction24(*)». Ainsi, il n'est pas audacieux de dire que c'est au terme d'un long et laborieux cheminement que cette institution a vu le jour (...), dans la douleur25(*).

Par ailleurs, même avant la Convention de 1948 sur le génocide, il y a eu des tentatives de créer cette juridiction pénale internationale. On pense ainsi à la Convention internationale contre le terrorisme du 16 novembre 1937 qui proposait le statut d'une Cour dont la juridiction devait être limitée à la seule application de cette Convention. Mais ce projet a regrettablement échoué en raison, selon Jean Damascène NYANDWI, de la crise mondiale qui a suivi la guerre civile espagnole, l'invasion de l'Abyssinie par l'Italie et la politique militaire et agressive de l'Allemagne dans les années qui ont précédé la 2ème guerre mondiale26(*). D'autre part, la Convention des NU du 30 novembre 1973 sur le crime d'apartheid renvoie à une éventuelle juridiction pénale internationale27(*). Au sujet de cette dernière, Eric DAVID lançait : «  Encore fallait- il la créer »28(*).

En vue de la création de cette cour, l'Assemblée générale des NU (AG) invitait le 9 décembre 1948 la Commission du droit international (CDI) à examiner s'il était « souhaitable et possible » de constituer cette cour29(*). Mais la CDI fut victime de la guerre froide et le projet connut une période d'hibernation prolongée dont il ne sortira qu'en 1992 30(*).

En 1954, en effet, l'AG des NU décidait d'ajourner l'examen de cette question qui était étroitement liée au projet de code des crimes contre la paix et à la définition de l'agression31(*). L'agression fut définie32(*) et les travaux de la CDI sur le projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité ont repris en 198233(*). En 1989, l'AG des NU a demandé à la CDI d'étudier un projet de création d'une « Cour criminelle internationale » dans le cadre du projet de code sus-évoqué34(*).

C'est à l'occasion de la tragédie yougoslave que la proposition d'établir une juridiction internationale spéciale fit son chemin dans les instances onusiennes où « une approche inédite fut finalement retenue pour la mettre en oeuvre 35(*)». Cette approche est qualifiée d'inédite parce que les deux TPI ad hoc présentent une spécificité importante puisque -fait sans précédent- ils ont été institués non par la voie « normale » c'est-à-dire par convention internationale, mais par des résolutions du CS des NU dans le cadre de ses compétences, le maintien de la paix et la sécurité internationales.

Ainsi, les crimes commis sur le territoire de l'ex- Yougoslavie depuis 1991 et « la réaction scandalisée de l'opinion publique internationale »36(*) ont poussé le Conseil de sécurité des NU à créer « un Tribunal international pour juger les personnes présumées responsables des violations graves du droit humanitaire international commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 199137(*) ». Le Statut du Tribunal a été adopté le 25 mai 1993 par la résolution827du CS.

Moins d'une année plus tard, à la suite des violences génocidaires commises au Rwanda par l'armée rwandaise et des milices paramilitaires contre les populations tutsi et hutu modérées (bilan 500 mille à 1 million de victimes38(*)), le CS des NU créa le 8 novembre 1994 un deuxième Tribunal ad hoc

« chargé uniquement de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide et d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violences commis sur le territoire d'Etats voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 39(*)».

Le Tribunal pénal international pour l'ex- Yougoslavie, TPIY, siège à La Haye. Dans le but de consolider la dimension africaine du processus, le TPI pour le Rwanda ne siégera pas à La Haye, mais à Arusha en Tanzanie40(*).

En cette même année de 1994, poussée par l'AG des NU, la Commission du droit international (CDI) acheva enfin son « Projet de code de crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité ». En même temps, la Commission arrêta enfin un « Projet de statut d'une cour criminelle internationale » qui allait servir de base aux discussions des Etats, d'abord au sein d'un comité ad hoc puis d'un comité préparatoire pour la création d'une cour criminelle internationale41(*) et enfin d'une conférence diplomatique qui a réussi à adopter à Rome, le 17 juillet 1998, le Statut définitif de la Cour pénale internationale (CPI).

I.2. Le fondement juridique de la création des TPI ad hoc

Dans cette section, il sied d'analyser la source du pouvoir du CS des NU de créer de tels organes. Autrement dit, quelle est la base juridique sur laquelle le CS pouvait s'appuyer pour établir les deux Tribunaux ? Avant de répondre à cette question, il est nécessaire d'étudier d'abord la création des deux Tribunaux.

I.2.1. La création des TPI ad hoc

A la suite des pratiques de « purification ethnique » qui ont eu lieu en Bosnie- Herzégovine depuis 1991 (déplacements forcés de populations, exécutions sommaires, détentions arbitraires, viols systématiques de femmes musulmanes,...)42(*), le CS de l'ONU a décidé, le 22 février 1993, la création d'un Tribunal international pour juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex- Yougoslavie depuis 199143(*).

Le 25 mai 1995, le CS de l'ONU a confirmé sa décision en précisant que le Tribunal jugera les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire commises sur le territoire de l'ex- Yougoslavie entre le 1er janvier 1991 et une date que déterminera le CS des NU après la restauration de la paix (...)44(*). Le TPIY est installé à La Haye le 17 novembre 1993 et il est composé de 16 juges élus par l'AG des NU et d'un Procureur nommé par le CS des NU. Il dispose d'un Statut adopté par la résolution 827 et d'un Règlement de procédure et de preuve. Ce dernier a déjà fait objet de plusieurs modifications.

Le TPIY est compétent pour connaître des actes suivants, accomplis depuis 1991 : des infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, des violations des lois et coutumes de la guerre, le génocide, les crimes contre l'humanité 45(*)». Le Statut est donc rétroactif. Cette rétroactivité se justifie, d'une part, par le fait que les actes incriminés dans le Statut du Tribunal étaient déjà prévus par les nombreux textes juridiques internationaux, et d'autre part, parce que ces actes relèvent aujourd'hui du droit international coutumier. Les personnes à l'égard desquelles le Tribunal est compétent sont « les personnes physiques46(*)». L'on notera, à ce sujet, que la qualité de chef d'Etat ou de gouvernement ou de celle de haut fonctionnaire n'est ni une cause d'exonération de la responsabilité ni une cause de diminution de la peine47(*).

Moins d'une année plus tard, après l'établissement du TPIY, consterné par les massacres systématiques perpétrés en 1994 au Rwanda par l'armée rwandaise et des milices paramilitaires hutu contre les populations tutsi et des hutu modérées (massacres qui ont fait entre 500 mille et un million de victimes48(*)), le CS des NU a créé le 8 novembre 1994 un deuxième Tribunal international ad hoc. Son Statut est pour l'essentiel calqué sur celui du 1er Tribunal international49(*). Le Tribunal international pour le Rwanda a son siège à Arusha en Tanzanie. Il dispose d'un Statut et d'un Règlement de procédure et de preuve, ci-après RPP, modifiés plusieurs fois.

Une différence avec le TPIY doit cependant être relevée. Elle tient au fait que les actes commis au Rwanda ont eu pour cadre non pas une guerre stricto sensu (opposant deux Etats souverains), mais une guerre interne. En conséquence, le TPIR est incompétent à connaître des violations des lois et coutumes de la guerre. Mais sa compétence est inchangée pour les actes de génocide et des crimes contre l'humanité. S'agissant des infractions aux quatre Conventions de Genève de 1949, la compétence du TPIR n'englobe que les violations graves de l'article 3 commun à ces Conventions et de leur Protocole additionnel II du 8 juin 1977.

Pour tout juriste soucieux de la garantie effective des droits de l'homme au-delà de leur proclamation solennelle dans de grands textes50(*), ces deux Tribunaux ont fait incontestablement date dans l'histoire du droit. Eric DAVID dira que les deux TPI ad hoc « ont, en quelque sorte, servi de laboratoire au Statut de la CPI adopté en 199851(*)».

Mais quel est le fondement juridique de la création des deux tribunaux ? Le CS avait-il l'aptitude à établir de telles institutions ?

I.2.2. Le fondement juridique de la création des deux Tribunaux

Le Conseil de Sécurité s'est fondé sur le chapitre VII de la Charte de l'ONU qui définit les actions prises en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression. Les deux Tribunaux internationaux s'apparentent donc à des organes subsidiaires du CS créés en vertu de l'article 29 de la Charte des NU52(*). L'avantage de cette procédure de création institutionnelle et subordonnée réside dans le fait que l'organe ainsi créé peut fonctionner immédiatement sans dépendre des contraintes et aléas inhérents à une création par voie de traité (lourdeur d'une conférence diplomatique, lenteur et rareté éventuelles des ratifications ou adhésions, etc.)53(*).

Certes, on ne manquera pas de s'interroger sur le pouvoir du Conseil de sécurité de créer des organes judiciaires eu égard aux compétences que la Charte lui reconnaît. Cela a fait objet d'une critique sévère lancée à l'encontre de la création des TPI ad hoc par le CS des NU.

La critique portait sur la nature de l'organe ainsi créé. En vertu de quoi le CS des NU, qui n'est doté d'aucun pouvoir juridictionnel, pourrait- il mettre sur pied une instance judiciaire54(*)? De l'avis de A. Andries, « Ce pouvoir est manifestement exorbitant par rapport aux fonctions et pouvoirs du Conseil tel que réglés par les articles 24-26 de la Charte55(*)». De même, lors des débats du Conseil de sécurité sur la création de ces tribunaux, le Brésil mit en doute l'aptitude du Conseil à établir de tels organismes56(*).

Toutes ces critiques furent réfutées. En effet, le CS des NU s'est basé sur le chapitre VII de la Charte pour créer les deux Tribunaux. Mais jusqu'ici, une question reste toujours posée : quel est le pouvoir du CS des NU d'invoquer le chapitre VII? Le chapitre VII intitulé « Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression » est ouvert par l'article 39 de la Charte des NU qui stipule : « Le CS constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales57(*) »

Il ressort clairement de ce texte que le CS des NU joue un rôle pivot et exerce un très large pouvoir discrétionnaire. Aux termes de l'article 39, c'est le CS des NU qui constate s'il existe une des situations justifiant l'utilisation des « pouvoirs exceptionnels » du chapitre VII et c'est également lui qui choisit la réponse à une telle situation58(*).

Une fois que le CS des NU décide qu'une situation particulière constitue une menace contre la paix ou qu'il existe une rupture de la paix ou un acte d'agression, il est doté d'un large pouvoir discrétionnaire pour choisir son type d'action. Il peut soit formuler des recommandations au sens du chapitre VI59(*), soit décider d'utiliser des pouvoirs exceptionnels au titre du chapitre VII en ordonnant des mesures devant être prises conformément aux articles 41 et 42 de la Charte des NU.

Dans ses résolutions 808 et 955, le CS des NU considère que dans des circonstances particulières qui prévalent dans l'ex-Yougoslavie depuis 1991 tout comme au Rwanda en 1994, la création d'un Tribunal international « contribuerait à la restauration et au maintien de la paix60(*) » et précise qu'en le créant, le CS des NU agissait en vertu du chapitre VII.

Ainsi, cette compétence du CS ne paraît cependant pas douteuse dans les cas particuliers des guerres yougoslave et rwandaise. Celles- ci portaient atteinte à la paix et à la sécurité internationales. Confronté à une situation où les victimes (morts, blessés, réfugiés) se comptaient par centaines de milliers et où les conflits internes dégénéraient en conflits internationaux (cas de la Yougoslavie), le Conseil de Sécurité des NU était parfaitement fondé à invoquer le chapitre VII de la Charte pour justifier la création des TPI ad hoc61(*). Par ailleurs, le Secrétaire général des NU n'avait- il pas raison d'y voir une forme de mesure coercitive62(*) ?

Dans un cas pratique, en effet, la chambre d'appel commune aux deux TPI ad hoc a rendu en octobre 1995 sa première décision. La chambre n'a guère eu de doute sur la légalité de la paternité des TPI ad hoc. Tout en concédant que le CS des NU n'était pas un organe judiciaire, la chambre a estimé que le CS des NU était fondé à créer un tribunal en tant qu'instrument destiné à l'aider dans l'accomplissement de sa fonction principale : le maintien de la paix et de la sécurité internationales63(*).

De même, la chambre rappelle que l'absence de fonction administrative et de pouvoirs militaires et policiers n'a pas empêché l'AG des NU de créer le Tribunal administratif des NU en 1949 (A/Rés. 351 (IV) 24 nov. 1949) et, en 1956, la Force d'urgence des NU (A/Rés. 1000 (ES-I) 5 nov. 1956) et c'est donc dans le même esprit que le Conseil de sécurité des NU a créé les TPI ad hoc. De plus, la chambre d'appel souligna que l'établissement d'un organe subsidiaire n'emporte pas de pouvoirs ou de fonctions dévolus à l'organe principal64(*).

L'exception du même genre s'est posée devant la chambre de 1ère instance II du TPIR. La chambre l'a tout de même rejetée, en reconnaissant au Conseil de sécurité des NU un pouvoir discrétionnaire pour déterminer l'existence d'une menace contre la paix et la sécurité internationales et pour choisir les moyens d'y mettre fin : la création du Tribunal faisait donc partie de ces moyens65(*).

De ce qui précède, il apparaît de toute évidence que le CS des NU n'est pas un organe judiciaire et il n'est pas non plus doté de pouvoirs judiciaires. Sa fonction primordiale est de maintenir la paix et la sécurité internationales dont il s'acquitte en exerçant des pouvoirs de décision et d'exécution.

La création du Tribunal pénal international ad hoc par le CS des NU ne signifie pas donc que ce dernier lui a délégué certaines de ses fonctions ou l'exercice de ses propres pouvoirs. Elle ne signifie pas non plus que le CS des NU usurpe une partie d'une fonction judiciaire qui ne lui appartient pas mais qui, d'après la Charte des NU, relève d'autres organes de l'ONU. Nous disons comme (J.F) GAREAU que le CS des NU a recouru à la création d'un organe judiciaire sous la forme d'un Tribunal pénal international comme un instrument pour l'exercice de sa propre fonction principale de maintenir la paix et la sécurité internationales66(*).

Dans ces conditions et vu que les deux Tribunaux sont créés par des décisions, leurs statuts et les conséquences juridiques qui en découlent s'imposent à tous les Etats conformément à l'effet juridique qu'il convient d'accorder aux décisions du CS en vertu de l'article 25 de la Charte des NU. Dans la même logique, les décisions des TPI ad hoc en tant qu'organes subsidiaires du CS des NU ont la primauté sur les juridictions internes.

I.2.3. La concurrence de compétence et la primauté des TPI ad hoc

La primauté découle directement du fait que les deux TPI ont été créés par le CS des NU agissant au titre du chapitre VII de la Charte de l'ONU67(*). Les articles 9 du Statut du TPIY et 8 de celui du TPIR posent le principe que les juridictions nationales et le Tribunal pénal international sont concurremment compétents pour juger les personnes susceptibles de tomber sous le coup des incriminations pour violation du droit international humanitaire.

L'analyse approfondie révèle que la concurrence de compétence a pour conséquence que le Tribunal international peut renoncer à sa compétence prioritaire et laisser aux juridictions nationales le soin de juger un accusé68(*). Nous y reviendrons à propos de l'affaire NTUYAHAGA Bernard69(*).

La primauté des TPI ad hoc tempère la concurrence de compétence. Elle est énoncée dans les mêmes articles qui ajoutent que « Le tribunal international a la primauté sur les juridictions nationales». En clair, le TPI ad hoc n'a pas l'exclusivité mais « à tout stade de la procédure, il peut demander officiellement aux juridictions nationales de se dessaisir en sa faveur » conformément à son Statut et à son Règlement de procédure et de preuve70(*).

Les Règlements de procédure et de preuve (R.P.P) des deux Tribunaux procèdent plus logiquement en incluant le principe « non bis in idem » dans la partie II relative à la « primauté du Tribunal ». En effet, un individu qui a été déjà jugé par un TPI ad hoc ne peut être à nouveau traduit devant une juridiction nationale pour les mêmes faits ; alors que l'inverse reste toujours possible sous certaines conditions :

1°/ L'acte pour lequel il a été jugé a été qualifié de crime de droit commun au niveau national71(*);

2°/ La procédure n'a été ni impartiale ni indépendante et visait à soustraire l'accusé à sa responsabilité pénale internationale ou n'a pas été exercée avec diligence72(*);

3°/ L'objet de la procédure portait sur des points de droit qui ont une incidence sur des enquêtes ou des poursuites en cours devant le Tribunal international73(*).

I.3. Les TPI ad hoc et la Cour pénale internationale (CPI)

Les deux TPI ont été créés par le CS de l'ONU74(*). La création des deux TPI a servi de tremplin à la création de la CPI dont le Statut a été adopté en 1998 dans une conférence diplomatique des « plénipotentiaires75(*) » de l'AG de l'ONU.

En effet, l'établissement des TPI ad hoc par le CS des NU a suscité un engouement renouvelé pour la justice pénale internationale et la lutte contre l'impunité76(*). C'est dans cet esprit que la CDI, poussée par l'Assemblée générale des NU, acheva enfin son « Projet de codes de crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité » et arrêta un « Projet de statut d'une cour criminelle internationale en 1994 »77(*). C'est sur cette base que la conférence de Rome instituera la Cour pénale internationale permanente.

Dans cette section, il sied d'analyser ces juridictions pénales internationales pour faire sortir quelques appréciations sur certains points qui méritent une attention particulière.

I.3.1. Les modes de création

Il existe, en réalité, trois modes classique de création : la voie conventionnelle (traité), les résolutions de l'AG des NU et les décisions prises par le CS des NU sur base du Chapitre VII de la Charte des NU. La création des deux TPI ad hoc a suivi le 3ème mode de création. Un auteur dira que leur création résulte d'une procédure qualifiée d'exorbitant78(*). Leur fondement juridique repose respectivement sur les résolutions 808 et 955 du CS agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des NU.

Ce mode de création a suscité une question: a- t- on bien choisi la meilleure modalité parmi les trois pour créer les TPI ad hoc ? En effet, la première solution aurait été la voie conventionnelle c'est- à- dire interétatique. Mais cet argument a été repoussé en raison de la célérité et d'opportunité politique79(*).

Une autre solution pouvait être envisagée. Il se serait agi de cumuler l'intervention des NU et celle de certains Etats. Elle aurait donc consisté à faire intervenir le CS des NU qui aurait posé le principe de la création et confié à des Etats le soin de la réalisation par la conclusion d'un traité entre eux80(*). Mais, étant donné l'urgence et l'ampleur des massacres, cette solution n'était- elle pas trop lourde et trop longue ?

C'est enfin une troisième solution qui a été choisie. En effet, selon Marie LUCE PAVIA, c'est l'ONU qui devait créer le Tribunal pénal international et en assurer la mise en oeuvre81(*). Mais quel organe de l'ONU est-il compétent pour le faire ?

Au sein de l'ONU et à lire la Charte, c'est le CS qui est chargé de cette responsabilité. En effet, le chapitre VII intitulé « Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression » contient un article 39 qui énonce : « Le Conseil de Sécurité constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix et d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux articles 41 et 42... ». Ainsi, confronté aux situations yougoslave et rwandaise, le CS des NU était bien fondé de prendre acte de la création des deux TPI ad hoc82(*).

Concernant le mode de création de la CPI, celle- ci a été établie par voie conventionnelle. Du 15 au 17 juillet 1998, en effet, s'est réuni à Rome la conférence diplomatique des plénipotentiaires des NU sur la création d'une cour criminelle internationale. Le 17 juillet 1998, en séance plénière, la conférence adopta le « Statut de Rome de la Cour pénale internationale » (CPI)83(*). La dernière étape d'un processus commencé 50 ans plus tôt venait d'être franchie84(*)

Soulignons que quelques Etats sont farouchement opposés à la création d'une telle juridiction, et non des moindres : la Chine, les Etats- Unis, l'Israël, l'Inde, le Qatar, le Vietnam, mais aussi le Bahreïn. C'est ce qui explique les incertitudes qui pesèrent sur l'issue de la réunion de Rome et, selon (J. Paul) BAZELAIRE et (T.) CRETIN, nombreux étaient ceux qui envisageaient sérieusement l'échec comme une probabilité85(*).

Le Statut de la CPI contient les traces de ces âpres discussions et difficiles négociations de Rome, en ce sens qu'à bien des égards, ce Statut est en deçà de ce qu'avaient réalisé les Statuts des TPI ad hoc86(*). Certes, l'on s'accorde à considérer que l'avènement de la CPI doit beaucoup à ces deux juridictions. De fait, elles ont fonctionné comme des laboratoires démontrant tous les jours leur force et leur faiblesse87(*).

Parmi les éléments déterminants, l'action des deux TPI ad hoc en faveur de la paix n'est pas la moindre, leur activité est menée dans des conditions de nature à apaiser la soif de justice des populations concernées.

* 15GAREAU (Jean- François), Tribunaux pénaux internationaux, Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (CERIUM), mars 2007, s.p. consulté sur : http://www. operationspaix. net/- Tribunaux- Pénaux- Internationaux, le 15 janvier 2009.

* 16 Il existe plusieurs juridictions de ce genre :celle de la Sierra-Leone ; les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens,...

* 17 GAREAU (Jean- François), op. cit., s.p.

* 18 Art. 8 du Statut du TPIR et art. 9 de celui du TPIY.

* 19 DAVID (Eric), Eléments de droit pénal international, 2ème partie, La répression nationale et internationale des infractions internationales, op. cit., p. 374.

* 20 GAREAU (Jean- François), op. cit., s. p.

* 21 Ibidem

* 22 Infra, pp.42 et ss.

* 23 DAVID (Eric), Principes de droit des conflits armés, 3ème éd., Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 773.

* 24 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide adopté par l'AG des NU, A/Rés./260 A, Paris, 9 décembre 1948, art.VI.

* 25 HUET (André) et KOERING JOULIN (Renée), Droit pénal international, 2ème éd. Paris, P.U.F., 2001, p. 31.Voy. aussi GAREAU (J. F.), op. cit., s. p.

* 26 NYANDWI (J.D), L'effet dissuasif de la justice pénale internationale, Cas du TPIR et de la CPI, Université libre de Kigali, mémoire, s.p., consulté sur http://www.memoireonline.com/07/09/2396/m , le 15 janvier 2010.

* 27Convention contre l'apartheid de 1973, art 5.

* 28 DAVID (Eric), Eléments de droit pénal international, 2ème partie, op. cit., p. 378.

* 29 A/Rés. / 260 (III) B, Examen du problème de la juridiction criminelle internationale, 9 décembre 1948.

* 30 GAREAU (Jean François), op. cit., s. p.

* 31 A/Rés. 898 (IX), 14 déc. 1954, Ajournement de la question du projet portant création d'une Cour criminelle internationale, 14 déc. 1954.

* 32 A/Rés. /3314(XXIX), Définition de l'agression, 14 décembre 1974.

* 33 A/Rés. /44/32, Projet de code de crime contre la paix et la sécurité de l'humanité, 4 décembre 1989.

* 34 Sur les premières discussions de la Commission à ce sujet, voy. Rapport CDI, 1990, Doc. ONU A/4510, pp.29-43.

* 35 GAREAU (Jean François), op. cit., s. p.

* 36 DAVID (Eric), Principes de droit des conflits armés, 3ème éd., op. cit., p.775.

* 37 S/Rés. 808(1993) portant création du Tribunal pénal international pour l'ex Yougoslavie, 22 février 1993, § 1.

* 38 Rapport préliminaire de la commission d'experts indépendants établie conformément à la résolution 935 (1994) du CS des NU ; Doc. ONU/1994/1125, 4 octobre 1994, p. 12, § 43.

* 39 S/Rés. 995(1994) sur la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda, et tel que y annexé le Statut du Tribunal, 8 novembre 1994, § 1.

* 40 GAREAU (J.F.), op. cit., s.p.

* 41 Voy. Rapport du comité ad hoc pour la création d'une cour criminelle internationale, doc. ONU A/50/82, 6 septembre 1995, 62 p. ; Rapport du comité préparatoire pour la création d'une cour criminelle internationale, doc. ONU/51/22, 13 septembre 1996, 2 vol.

* 42 HUET (André) et KOERING JOULIN (Renée), op. cit., p. 28.

* 43 S/Rés./808(1993) portant création du TPIY, 22 février 1993.

* 44 S/Rés. 827, 25 mai 1995, al. 2 du préambule.

* 45 Statut du TPIY, art. 2 à 5.

* 46 Statut du TPIY, art.6.

* 47 Infra, p.59.

* 48 Rapport préliminaire de la commission d'experts indépendants établie conformément à la résolution 935 (1994) du CS des NU, doc. ONU/1994/1125 ; 4 oct. 1994, p. 12 § 43.

* 49 DAVID (E.), Elément de droit pénal international, 3ème partie, op. cit., p. 380.

* 50 LUCE PAVIA (Marie), « Amicus curiae  du tribunal pénal international pour l'ex- Yougoslavie », in Juristes sans frontières, Le tribunal pénal international de La Haye, le droit à l'épreuve de la « purification ethnique », Paris, l'Harmattan, 2000, p. 236.

* 51 DAVID (E.), Principes de droit des conflits armés, op. cit., p. 776.

* 52 Le CS est un organe principal de l'ONU, il peut créer des organes subsidiaires en vue de l'accomplissement de sa mission puisque l'art. 29 de la Charte de l'ONU le prévoit expressément.

* 53 DAVID (E.), Principes de droit des conflits armés, op. cit., p.776.

* 54 GAREAU (J. F.), op. cit., s. p.

* 55 Andries (A.), « Les aléas juridiques de la création du tribunal international commis depuis 1991 sur le territoire de l'ex- Yougoslavie» ; Journal des Procès, (Bruxelles), N° 239, 14 mai 1993, p. 17 cité DAVID (E.), Principes de droit des conflits armés, op.cit., pp. 776- 777.

* 56 Voy. CS des NU, 3453ème séance, 8 nov. 1994, pp. 9- 10.

* 57Charte des NU, 26 juin 1945, art.39.

* 58 DISTEFANO (Giovanni) et BUZINNI (Gionata), Bréviaire de la jurisprudence internationale, Les fondamentaux du Droit international, Bruxelles, Bruylant, 2005, p.1351.

* 59 Le chapitre VI de Charte des NU est, en effet, intitulé « Règlement pacifique des différends ».

* 60 S/rés./808(1993) portant création du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, 22 février 1993, préambule, §7.

* 61 S/Rés. 827 (1993) et 955 (1994), dernier al. du préambule.

* 62 Rapport du Secrétaire général des NU au CS des NU, doc. S/25704, pp. 8- 9, §§ 22- 23, 27- 28.

* 63 TPIY, app., aff. No IT-94-1 AR.72,Le procureur c. Dusko Tadic, 2 octobre 1995, p.22, par.31ss.

* 64 TPIY, App., The Prosecutor v. Dusko Tadic a/k/a/ « Dule », affaire N° IT-94-1-AR 72, 2 octobre 1995, p. 19 § 38, aussi p. 22, § 44.

* 65 TPIR, Kanyabashi, Décision sur l'exception d'incompétence soulevée par la défense, affaire N° ICTR-96-15 du 18 juin 1997, §§ 20 ss, in Recueil (1995-1997), p. 233 ss.

* 66 GAREAU (J.F), op. cit., s.p.

* 67BAZELAIRE (J.P) et CRETIN (Thierry), La justice pénale internationale, son évolution, son avenir. De Nuremberg à La Haye, 1ère éd., Paris, P.U.F., 2000, pp. 95- 96.

* 68ARAKAZA (Albert), Les juridictions pénales internationales ad hoc : cas du tribunal pénal international pour le Rwanda, Bujumbura, U.B, 2004, p.48 ; R.P.P des deux TPI, art. 11 bis.

* 69 Infra, pp 39-40.

* 70Statuts: TPIY, art. 9§2 ; TPIR, art. 8§2 .

* 71 Statuts: TPIY, art. 8 § 2 lit. a ; TPIR, art. 9 § 2 lit. a.

* 72Statuts: TPIY, art. 8 § 2 lit. b ; TPIR, art. 9 § 2 lit. b.

* 73 RPP, art. 9 commun aux deux TPI.

* 74 TPIY: Rés. 808 ; TPIR : Rés. 955

* 75 L'expression est de BAZELAIRE (J.P.) et CRETIN (T.), op.cit., p.61.Voy.aussi PAZARTSIS (Photini), op.cit., p.18

* 76 GAREAU (J. F), op. cit, s. p.

* 77Supra, pp.9-10.

* 78 DAVID (E.), Eléments de droit pénal international, 3ème partie, op. cit., p. 674.

* 79 COT (J. Pierre) et PELLET (Alain), La Charte des Nations- Unies, commentaire article par article, Paris, Economica, 1985, p. 1553.

* 80 LUCE PAVIA (Marie),  « Amicus curiae du TPI pour l'ex- Yougoslavie », in Juristes sans frontières , Le tribunal pénal de La Haye : le droit à l'épreuve de la purification ethnique, Paris, l'Harmattan, 2000, p. 237.

* 81 LUCE PAVIA (Marie), op.cit., p.237.

* 82 Supra , p.12-14.

* 83 Lire la revue  International Enforcement Law Reporter , vol. 15, Issue 12, décembre 1999, p. 518.

* 84 Supra, p.6-9.

* 85 BAZELAIRE (J. P.) et CRETIN (T.), op. cit., p.63.

* 86 Ibidem.

* 87 Ibidem ; Voy. aussi DAVID (E.), Principes de droit des conflits armés, op. cit., p. 776 ; ASCENSION (H.), « Les tribunaux ad hoc pour l'ex- Yougoslavie et pour le Rwanda » in (sous la dir.) ASCENSION (H.), DECAUX (E.) et PELLET (A.), Droit international pénal, Paris, A. Pédone, 2000, p. 736.

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