Longtemps, la santé et le droit se sont
ignorés. Étrangers l'un à l'autre, chaque domaine
demeurant intimement cloisonné. Aujourd'hui, leurs relations sont plus
étroites au rythme des plaintes et des procès.
Le patient acteur principal dans ce rapprochement, peut
éprouver un sentiment d'isolement et d'incompréhension du
fait de sa maladie. Son besoin de comprendre, de savoir et
de s'exprimer sur les soins qu'il reçoit, son souci de
confidentialité sur ses affections sont des sentiments que les
professionnels de santé, quelle que soit leur qualité, ne doivent
jamais perdre de vue. Tout autant que la qualité des soins, la
qualité des relations qui s'instaurent entre le patient et ceux qui
les soignent est primordiale.
Dans ce contexte, la relation
médecin-patient-société a, ces derniers temps, connu des
changements importants. Si le médecin doit continuer à agir selon
sa conscience et dans le meilleur intérêt du patient, il devra
également faire son possible pour garantir autonomie et justice à
ce dernier, car, la santé, élargie à une triple dimension,
biologique, psychique et sociale, reçoit une définition
positive1(*). La
santé n'est plus seulement l'absence de maladie, elle
désigne un état de bien être complet, physique, psychique
et social.
A cet égard, si le legislateur a eté conduit
à affirmer des droits aux citoyens comme c'est le cas dans la
relation du travail, il doit également affirmer et reconnaître des
droits aux patients, notammennt, le droit à l'information corrollaire
du principe du consentement aux soins, le droit à la
confidentialité et au respect de la vie privée, le droit aux
soins sans discrimination...Dès lors, parler de droit des patients,
c'est parler de droits de l'homme.
La liberté de mouvement et le respect de l'autonomie de
la volonté, garantis par la déclaration universelle des droits de
l'homme, ont pour vocation de défendre une personne que son état
de santé peut parfois le réduire à la qualité de
patient2(*).
Dans les pays en développement, comme le Maroc, les
droits du patient sont lacunaires. On remarque des manquements dans
l'édification et la gestion du système de santé qui est
mal construit, le curriculum de formation des soignants est désuet, la
formation initiale est lacunaire et la formation continue inaccessible.
Selon la stratégie européenne pour la promotion
des droits des patients, dans le traitement des droits de
ces derniers une distinction doit être faite entre les droits sociaux et
les droits individuels.
Les droits sociaux sont liés à
l'accès pour tous aux soins et à l'élimination des
barrières discriminatoires quelles soient financières,
géographiques, culturelles, religieuses, sociales et psychologiques. Les
droits sociaux agissent au niveau collectif et sont relatifs au niveau de
développement de la société, dans une certaine mesure ils
sont aussi un sujet du jugement politique au regard des priorités pour
le développement de la société.
Alors que les droits
individuels couvrent des concepts tels que l'intégrité de la
personne et la vie privée.
Au Maroc, on ne trouve pas de texte précisant les
droits et devoirs des patients. Or, les juges sont de plus en
plus souvent confrontés aux relations entre les médecins et
leurs patients. En fait, l'évolution des techniques médicales
suscite de nouvelle attente chez ceux qui espèrent pouvoir en
bénéficier et font naître d'épineuses questions
juridiques mais aussi éthiques. Plus simplement, la recrudescence du
recours aux professions médicales, conjuguée à la
juridisation croissante de notre société, font que le droit est
de plus en plus fréquemment appelé à régir et
si possible à aider à résoudre les incidences pouvant
emmailler la relation médicale .
Toutefois, la définition du patient est,
désormais, un peu complexe. Doit-on le
considérer comme une personne malade ? Pour certains, la
définition du patient diffère de celle du malade3(*). Elle a l'avantage de ne pas
enfermer la personne qui est face au médecin dans une maladie qu'il n'a
pas. Il implique pourtant, une soumission tacite à celui dont il vient
demander service. Le patient est celui qui souffre et qui supporte.
Le dictionnaire Larousse le définit comme: «
une personne qui a ou manifeste de la patience, personne qui subit des soins
médicaux, une opération chirurgicale, etc.... »
L'existence de définitions contradictoires pour le
patient présente une menace pour la découverte de son statut,
puisque sans la possibilité de qualifier la catégorie de
personnes visées par ledit statut, ce dernier s'avère inutile ou
superflu.
A cet égard, la loi Belge relative à la
protection du patient du 22 août 2002 offre la
définition suivante : «le patient est la personne physique
à qui des soins de santé sont dispensés à sa
demande ou non». Quant au Maroc, le législateur n'a pas
donné une définition relative au patient. Dès lors, la
confusion entre «la personne malade» l'
«usager du système de santé»ou encore« toute
personne » ne peut surprendre.
C'est ainsi que selon les conclusions du texte final de
la cinquième conférence des ministères européens
de la santé, la personne est en même temps «citoyen,
usager, consommateur, client et patient». Dans ce mélange
hétéroclite, le patient emprunte au consommateur, ce dernier
étant, pour sa part, un client du prestataire de service.4(*)
Ceci dit, le statut du patient dans notre système de
santé, résulte d'une alchimie complexe entre l'histoire, la
sociologie et l'éthique. Auparavant, il n'y avait pas de droit des
patients. C'était "la règle de l'art" qui primait. Le
médecin n'avait que des devoirs qui relèvent de
l'éthique. Historiquement, il y a eu un glissement des devoirs vers les
obligations. Dans la mesure où, progressivement, le médecin a
négligé ses devoirs, les obligations
découlant du droit, ont commencé à apparaître.
Quand, auparavant, on ne risquait qu'un blâme de sa profession, les
risques aujourd'hui sont plus grands de se retrouver à traiter avec un
juge.5(*)
Par ailleurs, la dialectique patient-soignant ne peut pas
reposer uniquement sur des textes législatifs. Elle s'inscrit en fait
dans un long passé culturel où le système sanitaire actuel
prend ses racines. On en trouve sans doute l'origine dans la conception
Islamique qui a imprégné le système soignant à son
début. Dans cette conception, la maladie est une épreuve voulue
par Dieu pour éprouver la foi de l'être humain, voire un
châtiment pour des fautes passées. De ce fait, l'acceptation de la
souffrance était légitime et constituait une attitude de
sublimation, voire d'offrande. On comprend que dans une telle conception,
le malade soit un être égaré, non seulement en raison
de sa souffrance physique mais aussi en raison de sa pathologie de l'âme.
D'un autre côté, une autre conception
imprégne le droit actuel des patients qui est constitué par le
paternalisme médical. Cette conception est fondée sur le principe
que le médecin travaille dans l'intérêt du
patient. Ce dernier n'a que la liberté de choisir son praticien et
à ensuite le devoir de se conformer à ses prescriptions. Il y a,
dans cette situation, présomption d'une sorte d'incapacité du
patient liée à sa souffrance, à son angoisse, à son
incompétence, à l'obscurcissement de son intelligence par la
maladie. En contrepartie, le médecin, à qui est
donné un grand pouvoir, doit se conformer au bien.6(*)
Le principe paternaliste, qui découle de la philosophie
générale du système de santé dans les pays latins,
s'oppose à un autre système : le système de principe
d'autonomie.
Le principe d'autonomie suppose que le patient reste
totalement autonome et peut donc, une fois informé, décider seul
de ses soins. Il fait donc fi de la souffrance, de l'angoisse, de l'incertitude
qui peut naître sous l'effet de la maladie. Il a cependant le
mérite de mettre en place une relation symétrique entre patients
et soignants, de responsabiliser le patient dans le combat
mené contre la maladie et de lui permettre de prendre les
décisions qui sont pour lui importantes dans sa vie affective comme
matérielle. On pourrait résumer le principe d'autonomie de
façon caricaturale en disant que le soignant donne à la personne
malade les soins qu'il s'administrerait lui-même s'il avait la même
maladie. La question fondamentale, dans cette philosophie des
soins, est de savoir quels sont les êtres autonomes. En effet si l'on met
en évidence qu'un sujet n'est pas autonome, il ne peut pas
décider par lui-même7(*).
S'opposent alors deux conceptions. Dans une conception
américaine, le sujet autonome est envisagé d'une manière
absolutiste. Ce qui compte c'est qu'il soit capable de décider pour
lui-même, peu importe que la solution qu'il envisage soit applicable ou
non à d'autres. En revanche, dans une conception européenne,
défendue essentiellement par Kant, l'être autonome doit vouloir
une chose qui est universalisable, c'est-à-dire qui peut s'appliquer
à d'autres. Ainsi, le sujet qui veut mourir n'est pas autonome, car si
l'on applique sa volonté de manière universelle, elle conduirait
à mettre fin à l'ensemble de l'humanité. Comme on le voit,
ce débat philosophique est vaste et a des conséquences pratiques
indéniables. Face à un patient, notamment en psychiatrie, la
question est souvent de savoir s'il est ou non autonome pour décider de
ses soins8(*).
Dès lors, la réflexion juridique et
éthique au sujet de l'activité médicale prend une
importance croissante à l'heure actuelle. L'on s'interroge non seulement
sur les contours exacts de la relation de soins classiques dans un contexte
où la responsabilité du praticien est de plus fréquemment
mise en cause, mais l'on souhaite également encadrer
de manière efficace et pondérée les nouvelles
interventions scientifiques sur le corps humain, notamment au stade
expérimental. Cette double réflexion suppose une connaissance
aussi précise que possible des règles qui gouvernent
l'appréhension juridique de la relation médecin et patient.
A cet égard, force est de se demander, si dans un
milieu médical où les progrès sont considérables et
où tout converge vers le professionnel de santé, existe-t-il,
dans notre pays un droit des patients ? Autrement dit, peut-on parler au
Maroc, d'une démocratie sanitaire ayant pour objet la
reconnaissance et la précision des droits des personnes malades ?
C'est pour répondre à cette
problématique, qu'il convient d'étudier dans une première
partie les éventuels droits des patients dans le système
sanitaire Marocain, à travers leurs principes et leur applications
générales en matière de consentement, secret ou dossier
médical, avant de se centrer sur leurs spécificités en
psychiatrie et en prison, sans oublier les activités
biomédicales.
Dans une seconde partie, il convient de voir le rôle
de la justice dans la consécration du droit des patients, ainsi que
les différents cas d'engagement de la responsabilité
médicale.