WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Genre & mobilisations sociales: étude de genre des mobilisations féministes radicales et LGBT à  Istanbul

( Télécharger le fichier original )
par Adèle PRUVOST
Université Rennes 1 - Master 2 Sciences Politiques 2011
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

II) Des structures organisationnelles et des répertoires d'action genrés

A) Des structures organisationnelles par les femmes et pour les femmes : Un rapport hiérarchique de genre dans les organisations militantes

Selon Verta Taylor, l'émergence d'un mouvement social dépend aussi de comment les
groupes sont capables de développer une « solidarité organisationnelle )) nécessaire
pour impulser le mouvement49. Nous allons donc nous intéresser aux formes

48 Judith BUTLER, Trouble dans le Genre : le Féminisme et la subversion de l'identité, Edition Découverte/Poche (1990)

49 Verta TAYLOR, «Gender and Social Movements: Gender Processes in Women's Self Help Movements )), Gender and Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33

organisationnelles des deux organisations Lambda et Amargi. Dans les études de rapport de genre au sein des organisations militantes mixtes ou même non mixte, il a été observé que ces structures reproduisaient un mode organisationnel avec un rapport hiérarchique de genre. Les théories de mobilisation des ressources avec Obershall (1973), Zald et McCarthy (1987) ont d'ailleurs eux même reproduit cette hiérarchie de genre dans leur recherche et théories, puisque rendant la place des femmes, ou des LGBT dans le militantisme invisible. On définira la structure organisationnelle comme « un moyen de mobiliser et le produit d'une action collective, et sa forme autant que sa puissance dépendent des ressources des agents qui s'attachent a la construire, lesquelles sont inégales » (Pierru dans « le sexe du militantisme » Olivier Fillieule).50 Les sociologues féministes des mouvements sociaux utilisent le terme d' « organisations suivant une logique de genre» emprunté à Joan Acker, qui a démontré que toute organisation est traversée par des dynamiques de genre masquées sous une idéologie neutre, et qu'elles attachent beaucoup plus d'importance a ce qu'on pourrait appeler « éthique rationnelle masculine », qui se rapporte à des comportements assignés au masculin, comme le non-émotionnel, la rationalité, l'intelligence, les prises de décisions, et de responsabilités, la mise de côté des considérations personnelles..etc. Les structures de mobilisations sont donc elles aussi traversées par les dynamiques de genre. La sphère du militantisme est en effet connue pour son machisme. Les sociologues ayant fait des travaux dans le domaine constate une forte hiérarchie des tâches militantes. Selon Dominique Loiseau51, les femmes seraient reléguées à des tâches de seconde main, soutenant leurs époux militants et effectuant des petits travaux de type domestique au sein de l'organisation. Leurs tâches seraient donc comme une prolongation des tâches ménagères auxquelles elles sont assignées dans le privé. Elles auraient du mal a s'intégrer au sein des groupes de mobilisations fortement masculinisé, ne pouvant pas participer ou avec plus de difficulté aux discussions informelles, à un humour, ou des références qui ne leur parlent pas forcément. Elles auraient aussi des difficultés à accéder au poste de leader. Le poste de leader qui serait confié le plus souvent a des hommes d'âge mûrs, blanc, et issus des catégories sociales les mieux dotés. 52De plus les femmes étant par ailleurs sollicitées dans la sphère du privé, pour les tâches familiales, domestiques, cela

50 Olivier FILLIEULE, Le Sexe du Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition Science Po Les Presses, (2009)

51 Dominique LOISEAU dans, Chrsitine GUIONNET et Erik NEVEU, (2009) Féminins/Masculins: Sociologie du Genre, Collection U, Edition Armand Colin

52 Olivier FILLIEULE, Le Sexe du Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition Science Po Les Presses, (2009)

aurait donc un impact sur leur entrée dans le militantisme. Il est évidemment plus difficile de s'engager dans une activité militante après avoir eu une « double journée de travail )).

Des structures de mobilisation de femmes qui suivent une logique féminine

Dans notre cas d'étude, les organisations sont non-mixtes ou considérées comme telle, Lambda étant une organisation mixte, dans laquelle nous nous sommes intéressés pour ce travail à la partie féminine, c'est-à-dire aux militantes ayant un « sexe )) féminin. Alors que les organisations traditionnelles suivent une logique de « l'éthique masculine de la rationalité )), selon le concept de Joan Acker, c'est-à-dire accordant plus de valeurs aux compétences perçues comme « masculines )), comme la capacité à prendre des responsabilités, a être ambitieux, stratégique... Dans les structures de mobilisations de femmes ou LGBT, celles-ci ne suivent pas cette logique « masculine )) de part l'origine sexuée de des participantes, mais aussi par volonté (pour les LGBT) de suivre des logiques différentes à la « norme )) vécue comme oppressante. Ainsi les militantes dans les mobilisations de femmes seraient pousser à « cultiver des structures alternatives, avec des relations de pouvoir horizontales, non hiérarchiques, et permettant l'expression de l'émotion, de l'empathie, et de l'attention a l'autre )) à l'inverse de la logique masculine de rationalité. (Taylor et Rupp 1993, Taylor 2000 dans le « Sexe du militantisme ))).53 Dans les travaux de Margaret Maruani qui étudient les grèves de femmes, sont observés ce mode organisationnel féminin inhabituel, les études de mouvements sociaux ayant oublié jusque là les mobilisations de femmes. Elle montre « qu'à partir de leur propre expérience d'oppression, des femmes peuvent créer des règles de vie collectives égalitaires et anti-autoritaires )). (Maruani, 1979)

Amargi & Lambda : deux organisations suivant des logiques autres qu'androcentrées

En effet, Lambda et Amargi suivent des modes d'organisations non conventionnels, c'est-à-dire ne suivant pas la fameuse « éthique masculine de la rationalité )), ces deux organisations sont donc anti-hiérarchiques... La théorie de Margaret Maruani semble ici s'appliquer, des minorités, hommes et femmes ayant été oppressés dans d'autres sphères de leurs vies par cette hiérarchie des normes de genre, et par cette éthique rationnelle masculine, se mobiliseraient donc en réaction à cette oppression dans une logique identitaire différente. Lambda par exemple fonctionne en commissions. Il y a la commission académique, prenant e, charge les gens qui veulent faire des recherches, qui ont besoin de chiffres, de documents. La commission des actions s'occupe d'organiser manifestations et autres meetings. La commission des relations extérieures s'occupe du lobbying avec l'Union européenne notamment, la commission des fêtes, la commission des médias, qui s'occupe des dossiers des presses..etc. Il n'y a aucun

53 Olivier FILLIEULE, Ibid.

(( bureau » (Président, sous-président, trésorier, secrétaire). A Amargi l'organisation semble plus diffuse, (( ça fonctionne par groupe de travail »54 (Hilal, 35 ans), (( On propose juste ce que nous voulons faire, et les personnes qui sont d'accord avec cela se rassemblent dans un groupe et travaillent sur le sujet, on s'en fiche de qui fait quoi, on partage juste les responsabilités »55 (Gizem, 23ans). Ce type d'organisation de type non hiérarchique semble plutôt bien fonctionner. Certaines militantes soulignent les limites de cette organisation (( je réalise que je présente cela comme quelque chose d'idéal, bien sûr que ça se passe pas toujours bien, et qu'il y a souvent des problèmes. On ne se dispute souvent pas pour des raisons individuelles, mais politiques, et on se critique beaucoup aussi»56 (Gizem, 23 ans). Les limites peuvent donc se trouver dans la difficulté a s'organiser, car il n'y a personne pour trancher, ou pour avoir le dernier mot. Les militantes parlent beaucoup de responsabilités et de confiance mutuelle, valeurs très peu entendues chez les militants hommes. Certaines militantes plus anciennes soulignent le fait, que même sans hiérarchie formelle, une hiérarchie se forme quand même, ou ce que Jo Freeman appelle (( la tyrannie de l'absence de structure », terme fort montrant que sans hiérarchie institutionnelle, c'est (( le poids de l'intimité et des relations d'amitié qui contribuent a faire reposer toute une organisation, sur un petit groupe de personnes choisies et très soudées, suscitant des relations hiérarchiques d'autant plus prégnantes qu'elles sont dissimulées57 ». Ainsi nous livre Hilal, militante de longue date à Amargi (( à partir du moment où nous travaillons ensemble quelque soit le travail, et que nous sommes en connections, en communication avec des femmes, il peut y avoir de la hiérarchie, mais nous avons assez de sincérité au moins pour nous le dire ». Et sans hiérarchie, sans personne pour trancher, comment fonctionne la prise de décision ? Elle se fait ici par consensus. On se met par petits groupes et on essaie de se mettre d'accord. Cet aspect a été vu dans les recherches de Judith Taylor sur les mouvements féministes mixtes pour le droit à l'avortement en Irlande. Dans son enquête sociologique58, elle avait observé que les femmes préféraient former des petits groupes de discussions, plus (( intimes » pour que chacune puisse livrer son opinion alors que les militants hommes n'étaient pas

54 Tiré des entretiens réalisés en anglais avec 5 militantes (trois à Lambda, deux à Amargi), âgées de 21 à 35ans, entretiens effectués à Istanbul en Turquie.

55 Tiré des entretiens.

56 Tiré des entretiens.

57 FREEMAN (1970) in, Olivier FILLIEULE, Le Sexe du Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition Science Po Les Presses, (2009)

58 Judith TAYLOR «Les tactiques féministes confrontées aux «tirs amis» dans les mouvements des femmes en Irlande», Politix, Volume 20 n°78/2007, p65-86

d'accord avec cette méthode et préféraient le vote a main levées, qu'ils jugeaient plus démocratiques.

Nous pouvons observer aussi une certaine souplesse et flexibilité des organisations avec leur militantes qui excepté les étudiantes, travaillent. En effet, les conditions de travail étant difficiles en Turquie, avec 8, à 10 h, voire 12h de travail par jour, il est difficile de s'engager. Les militantes ont donc pour habitude de se désinvestir de temps en temps, lorsqu'elles ont trop de travail par exemple. Dans l'ouvrage de Christine Gionnet59, il est souligné que, de part leurs assignations aux tâches domestiques et familiales, les femmes avaient d'autant plus de difficultés a s'engager dans le militantisme. Il est intéressant d'observer que dans ces deux organisations Lambda, et Amargi, aucune femme mariée et ayant des enfants n'a été rencontrée. Il faut ici rappeler qu'en Turquie, le poids des rôles traditionnels reste prégnant dans toutes les classes confondues et qu'une femme mariée, ayant des enfants doit dans la grande majorité des cas avant tout se plier aux tâches domestiques, familiales et conjugales, il aurait été donc bien plus difficile pour elle, voire impossible de s'engager. Il est important de noter ici, que toutes les militantes des organisations Lambda et Amargi, sont issues de la classe moyennes supérieure, elles ont donc toutes fait, ou sont en train de faire des études, ce qui a facilité leur accès au marché du travail, et donc leur indépendance financière, leur permettant ainsi de faire autre chose que « femme mariée au foyer ».

Ces organisations sont dotés aussi d'une volonté a rester autonome, c'est-à-dire indépendantes de l'Etat, et donc a ne recevoir aucune subvention de l'Etat. On peut noter une ouverture aussi, à Amargi, qui se dit « ouvert à toutes les différences et à toutes les politiques » (tant que ça rentre dans leur cadre politique assez large ». Amargi et Lambda sont ouvert a l'international aussi, ces deux organisations ont toutes deux de nombreux contacts a l'extérieur du pays, et s'incèrent dans de nombreux réseaux, plateformes et partenariats internationaux et nationaux.

Enfin selon Gusfield le mouvement des femmes serait fluide car basé sur des actions quotidiennes60, c'est ce que nous allons aborder dans la seconde partie sur les répertoires d'actions.

59 Chrsitine GUIONNET et Erik NEVEU, (2009) Féminins/Masculins: Sociologie du Genre, Collection U, Edition Armand Colin

60 GUSFIELD in Verta TAYLOR, «Gender and Social Movements: Gender Processes in Women's Self Help Movements », Gender and Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33

Synthèse

Nous avons vu dans cette partie que les dynamiques de genre d'abord, et ensuite la hiérarchie de ces rapport se reproduisent dans chacune des organisations et suivent pour la plupart une ((éthique masculine de la rationalité » selon les termes de Joan Acker. Les structures de mobilisations féminines et LGBT ne suivent pas cette logique (( androcentrée », dans les structures féminines, ceci allant de pair avec l'indenté sexuée des participantes, et dans les mobilisations LGBT, par une volonté de faire autrement que la (( norme oppressante ». En effet les organisations Lambda et Amargi ont des structures organisationnelles qui peuvent être qualifiées de (( non conventionnelles », elles sont anti-hiérarchiques, autonomes, (( fluides » et (( flexibles » et la prise de décision se fait par consensus.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera