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Les enchanteresses dans les compilations du XVe siècle

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par Julie Grenon-Morin
Université Sorbonne-nouvelle - Master 2 2011
  

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a) Experte « es malfices et ars mauvaises et deffendues »

Dans De cleres et nobles femmes, le traducteur anonyme stipule en disant que Médée est aussi une experte «es malfices et ars mauvaises et deffendues7(*)». L'annexe I montre un tableau des caractéristiques des textes sur Médée chez ces auteurs, mélangeant les aspects positifs et négatifs. Sa plus grande caractéristique magique est certainement sa «grande cognoissance de la vertu des herbes8(*)». Ainsi, nous verrons que ce pouvoir lui vaudra les foudres des compilateurs. Sa connaissance des plantes, par ailleurs, lui confère la possibilité d'aider Jason, ce qui la mènera à sa perte. On peut donc dire que ce savoir est primordial, en ce qui concerne Médée. Ses pouvoirs, toujours selon le texte en ancien français, peuvent troubler les éléments de la Nature : elle savait «par une chançon, troubler et obscurcir le ciel, mouvoir les vens des fosses et cavernes de la terre, commouvoir les tempestes en l'air, arrester les fleuves, confire venins, composer feu sans labeur9(*)». Plus loin, Médée est qualifiée de « puissant Medee10(*) ».

Ces détails, dans la version latine, sur le savoir de Médée précèdent la partie la plus longue du chapitre consacrée à l'enchanteresse antique :

[F]ormosa satis et malefitiorum longe doctissima. Nam, a quocunque magistro instructa sit, adeo herbarum vires familiares habuit, ut nemo melius novitque plene cantato carmine turbare celum, ventos ex antris ciere, tempestates movere, flumina sistere, venena conficere, elaboratos ignes ad quodcunque incendium componere et huiusmodi perficere omnia. Nec illi - quod longe peius- ab artibus fuit dissonus animus; nam, deficientibus eis, ferro uti arbitrabatur levissimum11(*).

Dans cet extrait tout comme dans celui en ancien français, il est question de son maître. Médée a donc appris son savoir. Elle ne l'a pas reçu comme don à la naissance au même titre que certaines fées médiévales dont elle se distingue. Cette magie est souvent mal perçue, à l'époque médiévale : « C'est précisément parce que l'acte d'enchantement a une base prétendument `rationnelle' que la magie est encore plus convaincante - et donc terrifiante12(*) ».

Plus en amont dans l'extrait, d'autres qualificatifs de Médée surgissent : elle est l'instigatrice de « tresdesloail fait » et a fait preuve de « grande mauvaistié et desloaiauté 13(*)». Ces expressions connotent les actes malfaisants de l'enchanteresse pour conserver l'amour de Jason. La version originale ne contient pas moins de termes négatifs à son égard. Au sujet de la discorde qu'elle instaure entre Pelias et sa fille, Boccace écrit : « arte sua zizaniam inter natas et Peliam sevit easque misere armavit in patrem14(*) ». L'Italien explique également que l'avidité de Médée, même après avoir volé l'argent de son père, n'était pas assouvie : « clam fugam arripuit; nec tam grandi facinore contenta, in peius trucem divertit animum15(*) ».

Boccace, tout comme les autres compilateurs qui suivront sa trace, s'inspire activement des mythes antiques. Les pouvoirs de l'Antiquité varient donc de ceux des auteurs médiévaux. Le tableau de l'annexe I résume avec plus de détails le récit de Médée, mais, élément important, il distingue la magie bénéfique de la magie maléfique. C'est donc dire que, malgré ce que laissent croire les mots choisis par Boccace, la femme de Jason a également fait le bien autour d'elle, en ce qui concerne les récits antiques en tous les cas. Parmi ces traits légués par la tradition, Boccace en a choisi certains et ignoré d'autres. Cependant, nous ne savons pas quels textes il avait à sa disposition et nous ne pouvons pas affirmer avec certitude qu'il avait pris connaissance de cette liste de dons.

Boccace oscille souvent, dans le choix de son vocabulaire pour décrire le cas de Médée. Ruth Morse explique cette ambiguïté chez Boccace : « I have spoken of Boccacio's fascination with Medea, and of his `anti-Medea'. There is one further place in Boccacio's work where the motifs of Medea's story reappear, although in a form so distant as to be almost invisible16(*) ». En effet, Boccace salue les qualités de Médée, comme nous le verrons dans la prochaine partie sur le savoir valorisé, mais il n'hésite pas à la décrire comme un être néfaste. Dans la crainte d'être mal jugé pour de trop grandes éloges envers les femmes, ses positions sur elles sont prudentes. La distance qu'il instaure avec le savoir du personnage le protège des critiques.

Boccace a inséré toutes sortes de jugements sur les femmes. Selon lui, elles n'ont pas vraiment de mérite à savoir ce qu'elles savent :

Boccacio is, however, through the repetitions of his examples, once again suggesting a morphology which is also a moral categorization of the nature of women. What makes exceptional women is `ingenium', cunning intelligence, and the `ingenium' may be used for good or ill. The outcome of their superior gifts of intelligence is an almost arbitrary matter, depending more on fortune than good judgement. Boccacio's outstanding woman is a dangerous being17(*).

L' «ingenium » de Médée est, comme le dit le compilateur, un outil du Mal, mais aussi du Bien. C'est surtout la Fortune qui décide de l'issu des évènements. Quoi qu'il en soit, les femmes de Boccace sont des êtres dangereux. Antoine Dufour abonde aussi dans ce sens. Après tout, ce savoir est « défendu ».

Du côté d'Antoine Dufour dans La Vie des femmes célèbres, la perception est, tout comme chez Boccace, principalement négative. L'annexe II, Les enchanteresses selon les compilateurs, montre par un tableau la présence ou non des enchanteresses selon chaque compilation. L'auteur introduit comme suit le personnage :

Médée, malicieuse, plus que nul serpent, fut du temps de ceste sibille, ingénieuse à mal faire et inventive à se contrefaire, car elle n'avoit riens sur elle qui ne portast enseigne de lubricité ou de malice. Il me fasche bien de parler de ceste cy, pour la révérence des bonnes; mais pour enseigner les simplettes du dangier de cest inconvénient, au plus brief je en diray ce qu'il m'en semble.18(*)

La comparaison de Médée avec un serpent malicieux ne laisse d'emblée aucun doute sur le ton dominant de l'extrait. De plus, Dufour dit qu'il lui « fasche » de parler d'elle, autrement dit qu'il préfèrerait ne pas le faire, mais qu'il ne peut pas y échapper, car il doit « enseigner » sur elle.

Plus loin dans le chapitre sur Médée, classé treizième dans l'oeuvre, elle est qualifiée de « malheureuse19(*) » et décrite comme un être qui « semast de si villains chardons20(*) ». Dufour affirme aussi qu'elle a commis « plusieurs erreurs avec Jason21(*) » et qu'elle avait mérité son sort. Cependant, avec « serpent », le jugement le plus fort de l'auteur se fait sentir avec le nom propre « grande sorcière ». En effet, à l'époque de la rédaction de l'ouvrage qui parut en 1503, la Chasse aux sorcières avait déjà débuté en Europe :

Le `surnaturel démoniaque' n'est pas une invention des Temps modernes : il a été pendant tout le Moyen Âge, où la peur de Satan et de ses tentations est devenue de plus en plus centrale, l'objet de représentations iconographiques et littéraires. (...) La Chasse aux sorcières, qui débute vers 1450, est l'aboutissement d'un long processus de `cristallisation' de croyances antérieures22(*).

Donc, en faisant de Médée une sorcière, Dufour la place définitivement du côté des femmes malfaisantes.

Le savoir magique de Médée, comme nous venons de le voir chez les trois auteurs, possède des caractéristiques communes et divergentes de l'un à l'autre. Boccace et Dufour présentent Médée comme un être dérangeant, qui bouscule les conventions de l'époque : « elle est celle qui dérange, celle par qui le scandale arrive, celle qui remet en question l'ordre grec, la civilisation fondée sur la suprématie de l'homme23(*) ». Ils dénigrent les qualités du personnage au profit de traits mauvais qui valorisent leur point de vue aux yeux des lecteurs. Fort est à parier que les trois auteurs, des hommes, se sont sentis attaqués par cette femme qui parvenait toujours à ses fins par n'importe quels moyens. Les traits de personnalité du personnage de Médée, n'étaient pas dans les moeurs de l'époque. Femme forte, elle ne s'effaçait pas derrière les hommes comme de nombreuses femmes derrière leur mari. Elle s'est imposée, malgré son sexe. Jason lui doit son succès avec la Toison d'or. Des deux, elle est le personnage dominant. Elle n'obéissait pas à Jason, mais à elle-même.

Le savoir magique de Médée n'appartient pas à la réalité du Moyen âge pas plus qu'aujourd'hui. Si Médée l'utilise à de bonnes fins comme à de mauvaises, il demeure que son histoire échappe au quotidien réaliste. En faisant rencontrer toutes ces femmes de provenances multiples dans sa galerie de portraits, les compilateurs semblent obliger de se justifier dans leur choix. Voilà peut-être une des raisons qui fait que le savoir des enchanteresses est dénué presque entièrement de magie. Le magique est presque totalement absent des romans de cette époque : « Pour le roman de la même époque [Moyen âge], force est de constater que la magie en général, bénéfique autant que maléfique, est un procédé de composition littéraire24(*) ».

De Boccace à Dufour, les portraits sont devenus plus concrets, mais il est indéniable que Boccace a eu une influence sur Dufour : « [S]'il doit quelque chose à Boccace, Dufour doit être aussi tributaire d'autres auteurs, dont l'histoire littéraire a oublié le nom25(*) ». De même, Champier et Dufour présentent quelques similitudes, quoique d'importantes coupures aient été effectuées dans La Nef : « Un certain nombre des héroïnes de Champier se retrouvent chez Dufour, mais les notices du premier sont beaucoup plus courtes que celles du second26(*) ». En fait, les influences entre les compilateurs sont un système complexe qui pourrait être résumé par le schéma suivant :

Le trio Boccace, Dufour et Champier s'entremêle de différentes manières :

Dufour ne fait que se conformer à la tradition : beaucoup de ces `femmes célèbres' appartiennent déjà, en effet, à l'oeuvre de Boccace et à celle de Champier. (...) D'autres se trouvent chez Boccace, mais non chez Champier. (...) D'autres figurent chez Champier. (...) D'autres enfin ne se trouvent ni chez Boccace ni chez Champier. (...) Sans doute est-il [Dufour], sur ce point, plus complet que Boccace (...). Mais il reste loin derrière Champier, qui consacrait quarante notices aux saintes de l'Ancien Testament et trente-six à celles du Nouveau27(*).

Voilà donc la preuve que les compilations sont des oeuvres compliquées, surtout quand il s'agit d'auteurs qui s'inspirent des autres, voire qui les copient. Chacun de ces trois auteurs a eu la chance de brosser un meilleur portrait de l'enchanteresse Médée, mais ne l'a pas fait. Il reste que leurs textes mettent parfois en valeur les personnages.

* 7Ibid., p. 60.

* 8 Boccace. Des cleres et nobles femmes, tome I, éd. Jeanne Baroin et Josiane Haffen, Besançon, Université de Besançon Paris, coll. Annales littéraires de l'Université de Besançon, 1993, p. 60.

* 9 Idem.

* 10 Ibid., p. 63.

* 11 Famous Women, ibid., p. 74.

* 12 Richard Buxton. «Les yeux de Médée : le regard et la magie dans les Argonautiques d'Apollinios de Rhodes» dans La magie : actes du colloque international de Montpellier 25-27 mars 1999. La magie dans l'antiquité tardive. Les mythes, édition scientifique par Alain Moreau et Jean-Claude Turpin, tome II, Montpellier, Publications de la Recherche Université Paul-Valéry, Montpellier III, 2000, p. 267.

* 13 Boccace, ibid., p. 63.

* 14 Ibid., p. 76.

* 15 Ibid., p. 74.

* 16 Morse, ibid., p. 205.

* 17 Morse, ibid., p.203.

* 18 Dufour, ibid., p. 38.

* 19 Ibid., p. 39.

* 20 Ibid., p. 40.

* 21 Idem.

* 22 Marianne Closson. «Le "merveilleux démoniaque" : oxymore ou catégorie poétique?

Analyse du surnaturel diabolique au temps de la chasse aux sorcières», Le Merveilleux entre mythe et religion, Anne Besson éd., Arras, Artois presses université, Coll. Études littéraires et linguistiques, 2010, pp. 104.

* 23 Moreau, ibid., p. 276.

* 24 Closson, ibid., p.112.

* 25 Dufour, ibid., p. XXXI.

* 26 Ibid., p. XXXI.

* 27Ibid., p. XXXVIII.

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