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Les enchanteresses dans les compilations du XVe siècle

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par Julie Grenon-Morin
Université Sorbonne-nouvelle - Master 2 2011
  

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b) Évolution du portrait du XIIe au XVe siècle

Dans Des cleres et nobles femmes (De claris mulieribus en version originale latine), de Boccace, Médée est décrite comme «tresexperte enchanterresses28(*)». Elle y est présentée comme la « Medee royne », alors qu'elle est « Medea regina Colcorum » dans la version en latin. La description du personnage est plus exhaustive dans le texte en ancien français :

Tresexperte es malfices et ars mauvaises et deffendues. Car de quelconque maistre elle ait esté instruite et enseignie, de homme c'est assavoir ou de mauvaiz esperit ou aultre, elle eut tant familiere et grande congnoissance de la vertu des herbes que nul homme plus la pouoit avoir; elle savoit plainement, par une chançon qu'elle chantoit, troubler et obscurcir le ciel, mouvoir les vens des fosses et cavernes de la terre, commouvoir les tempestes en l'air, arrester les fleuves, confire venins, composer feus sans labeur29(*)

Dans la Cité des dames de Christine de Pizan, on ne compte que des aspects positifs aux atouts de Médée. Dès le début de son chapitre, l'auteur écrit, dans la version en ancien français : « Medee, de laquelle assez d'istoires font mencion, ne sceut pas moins d'art et de science que celle devant dicte30(*) ». Il est intéressant de remarquer que Christine utilise le chapitre de Boccace dans De claris au sujet des pouvoirs de l'enchanteresse Médée. Certaines parties sont une copie conforme de la traduction en ancien français, Des cleres et nobles femmes. En outre, Médée« savoit de toutes herbes les vertus et tous les enchantemens que faire se peuvent31(*)». On retiendra donc que l'enchanteresse possède un large savoir. Boccace explique comme elle parvient à réussir ses sorts, notamment en chantant. Elle sait jouer avec les éléments naturels. Chez Christine de Pizan, elle est versée dans les arts et dans les sciences, ce qui fait d'elle une personne anormalement savante pour l'époque.

L'extrait de Symphorien Champier dans La Nef des dames vertueuses est le plus court qui concerne le personnage, quatre-vingt-treize mots exactement. «Medée fut fille de oethes tresnoble roy de l'isle de colchos tresinstruicte en l'art magique32(*)». Elle apparaît au trente et unième rang des femmes, entre Hypsipyle et Orithya. Champier, contrairement à plusieurs auteurs, ne spécifie pas que Médée a tué ses enfants, évènement qui nuit certainement le plus à sa réputation. Les connaissances magiques sont l'unique point positif du texte. Il ne faut cependant pas perdre de vue que, avec aussi peu de mots, il est difficile de se forger une opinion. Par contre, la lecture de l'oeuvre en entier permet de mesurer l'appréciation de Champier envers les personnages :

Champier other arguments in favor of women are convincing, but they are also general and typical of the time : 1) women, who are partake of the nature of water, temper men, who are by nature fiery, and both complement, complete, and render the other fertile and productive; 2) although the Ancients say that the greatest sins have been committed by women, the original cause can often be traces back to men, who have sinned more; 3) since everyone was born of a woman, those who defame women defame themselves and their families; 4) women are cleaner and more honest and attractive than men; 5) a good wife increases her husband's longevity, and he should therefore love her as himself, especially since in marriage they forme one body; and 6) Jesus loved women33(*).

Symphorien Champier se montre donc modérément en faveur des femmes. Il reconnaît cependant l'instruction de Médée, chose peu commune pour les femmes de son époque. S'inscrivant dans la même veine positive que Christine, Champier partage avec elle quelques points communs. L'auteur qui qualifie Médée de « femme très instruite dans l'art de la magie », se veut très favorable à l'égard des femmes :

The Cité des dames and Champier's Nef des Dames do have much in common : 1) both are allegorical works, 2) both defend women against their detractors and thus play an important role in the Querelle des femmes, 3) both depend heavily on Boccacio's De claris mulieribus, and yet 4) both contain only favorable portraits of famous women34(*).

Ainsi, les deux ouvrages se veulent une défense du sexe féminin.

Nombreux sont les articles qui traitent des ressemblances entre les compilations. Plusieurs comparent Christine de Pizan et Boccace, qui partagent de nombreuses informations : « dans le Livre de la Cité des Dames, elle reprend plus d'un tiers des exemples du traité de Boccace. (...) Christine raccourcie, abrège, amplifie ou bien censure son modèle. En un mot, l'écrivain se livre au jeu de la compilation35(*) ». La comparaison est aussi faite entre Champier et Christine dans "Symphorien Champier and Christine de Pizan's Livre de la cité des Dames". En sachant cela, on comprendra que le savoir des enchanteresses se ressemble d'un auteur à l'autre, surtout en ce qui concerne Boccace et Christine de Pizan.

Antoine Dufour souligne le talent principal de l'enchanteresse : « tresfamée apotiquèresse de velin36(*)». Ainsi, elle est dotée d'un grand savoir des plantes qu'elle sait mélanger afin de concocter des produits magiques. De plus, avec les termes «du temps de ceste sibille37(*)», le compilateur compare une figure chrétienne qu'il valorise beaucoup à une figure païenne. Étant prophétesse au même titre que les sibylles, Médée est elle-même nommée « sibylle ». Il est donc hautement significatif que Médée soit associée à une sibylle, bien qu'on ne sache pas avec précision de laquelle des trois présentes dans La Vie des femmes célèbres : « les Sibylles font chez lui [Dufour] figure de prophètes : Albunée a prophétisé la naissance du Christ, Érythrée a chanté la Passion, Amalthée a prédit la Résurrection38(*) ». Ainsi, on pourrait dire que Médée est la quatrième de ces sibylles, puisque, comme elles, elle sait prédire l'avenir.

Datée de 1165, le Roman de Troie fait office d'un précurseur par rapport aux compilations et aux autres oeuvres de fiction. Ce roman nous concerne ici, car il présente avec précision le savoir de l'enchanteresse et qu'il mérite d'être comparé avec celui des compilations. De plus, le personnage évolue de manière intéressante au fil des siècles, comme nous le verrons plus tard. Médée y apparaît sous un jour bien différent. D'abord, il est longuement question d'elle. Ensuite, rares sont les commentaires négatifs de Benoît de Sainte-Maure. Le savoir magique de Médée est rationalisé, ce qui n'est pas surprenant pour la période. L'exemple de Mélior dans Partonopeu de Blois, datant de la même époque à quelques années près, va dans le même sens. Médée a travaillé ardemment afin de maîtriser son art :

Trop iert cele de grant savoir.

Mout sot d'engin, de maïstrie,

De conjure, de sorcerie;

Es arz ot tant s'entente mise

Que trop par iert saive e aprise;

Astronomie et nigromance

Sot tote par cuer dé s'enfance.

D'arz saveit tant e de conjure

De cler jor feïst nuit oscure.

S'ele vousist, ce fust viaire

A ceus por cui le vousist faire.

Les eves faiseit corre ariere.

Scïentose iert de grant manière39(*).

Comme chez Boccace, elle sait jouer avec les éléments, comme de« troubler et obscurcir le ciel » et « arrester les fleuves 40(*)» et elle a appris son savoir.

Médée est dotée de multiples « poeir ». Elle les utilise dans un but personnel, habituée à parvenir à ses fins : « Poi proisera tot son poeir. / S'ele n'aenplist son corage. / Ja ne sera vers lui sauvage41(*) ». Jason reconnaîtra les talents de sa future épouse. En plus de ses larges connaissances, elle est belle et possède de nombreuses qualités morales : « Quar mout estes de grant saveir, / Beuté avez mout e franchise / E de haut sens estes aprise42(*) ». De plus, lorsqu'elle présente son projet d'aider le héros dans sa quête, elle entretient avec lui un dialogue très semblable à celui de Mélior et Partonopeu, lorsque celui-ci enfreint l'interdit. La femme/fée lui explique alors d'où lui viennent ses dons. Les deux personnages féminins ont en commun de pratiquer l'art magique depuis l'enfance : « Mais je sai tant de nigromance, / Que j'ai aprise des m'enfance, / Que quant que je voil puis tot faire : / Je ne m'iert peine ne contraire. / Ce qu'autrui grieve m'est legier, / Ja n'i troverai enconbrer43(*)». Ainsi, chez Benoît de Sainte-Maure, nombreux sont les éloges de la magie de Médée, plus que chez n'importe quel compilateur, même Christine de Pizan. Alain Maurice Moreau explique ce phénomène sans doute à l'époque du roman, le XIIe siècle : « Au fur et à mesure des siècles la magie maléfique se développe au détriment de la magie bénéfique. (...) Les opérations de magie bénéfique sont d'une façon générale plus anciennes44(*)».

Dans la description de Sainte-Maure, les savoirs de Médée sont détaillés. Elle en devint presque une fée telle que Mélusine, ravissante, toujours encline à faire le bien autour d'elle. De plus tout comme elles, elle se verra trahie par son amant : « Medea's vices, such asthey are, seem to stem from an excess of virtue : too much knowledge put to the service of an unworthy object, too much love for that object. Christine turned the stories to the study of the emotions and actions they concerned45(*) ». Elle apparaît sous son plus beau jour chez l'auteur du XIIe siècle que dans le Cité des dames. Dans le Roman de Troie, le personnage occupe une place beaucoup moins imposante que dans la compilation. Dans celle-ci, de plus, un portrait plus neutre d'elle est brossé. C'est comme si Christine cherchait à la rendre plus réelle, que seul son savoir extraordinaire, savoir acquis, la rendait différentes des femmes de son époque.

Plus loin dans le Roman de Troie, Médée explique à Jason comment conquérir la Toison d'or. Le processus doit se dérouler en plusieurs étapes et à l'aide de plusieurs pouvoirs magiques. D'abord, Jason aura l'aide d'une figurine magique : « Si en a traite une figure / Faite par art e par conjure46(*)». Ensuite, elle munit son amant d'un onguent qui le protègera des brûlures et d'un anneau, cadeau extrêmement précieux, qui le préservera de toutes les sortes d'enchantements ou de problèmes qui se dresseraient devant lui :

« D'ice, fait ele, seras oinz,

Quar de ce t'est graindre besoinz;

Puis n'avras ja de fué dotance,

Qui a ton cors face nuisance.

Or te bailerai mon anel -

Si n'en verras ja mais plus bel -

E si saches bien que la piere

Ne puet estre en niul sens plus chiere.

Soz ciel n'a home qui seit vis,

Des qu'il l'avra en son doit mis,

Qui ja puis crienge enchantement (...) »47(*).

Un autre objet est remis au héros : un texte où est inscrite une formule magique. Elle lui servira à vaincre le bélier. Pour ne pas attiser la colère des dieux, Jason doit faire un sacrifice et lire le texte pendant qu'il s'exécute :

Après li rebaille un escrit,

E si li a monstré (...)

C'est escrit di tot belement

Treis foiees contre orïent;

Gart que seis amenteüz.

Or te baillerai ceste gluz :

Par tiel manière est destenpree

Que ja a rien n'iert adesee

Dont ja mais dessevree soit48(*).

Le dernier objet offert est de la glu, qui colle définitivement tout ce qu'elle touche. Toutes ces pratiques magiques, bien détaillées par l'auteur, ne font pas l'objet d'autant d'attention chez les compilateurs, peu enclins à faire l'éloge des talents de Médée. Il n'y a que dans cet ouvrage où elle est présentée si positivement, mais cette image se ternira au fil des siècles, et ce jusqu'à la fin du Moyen âge et au-delà : « Dans le Roman de Troie, Médée est déjà présentée comme une bonne élève49(*) ».

Contrairement à ce qui est dit dans les compilations, Benoît de Sainte-Maure donne des détails précis sur l'usage des objets donnés par Médée. On apprend d'abord que Jason traite avec respect la figurine et qu'il la place sur son casque afin qu'elle le protège : « La figure a sacrefïee / Que Medea li ot bailee, / Mist sor son heume e atacha / Si cum ele li enseigna50(*) ». L'auteur, avec toutes les propriétés magiques de l'enchanteresse mises au service de Jason, stipule donc clairement que, sans elle, le héros ne serait pas parvenu à ses fins. D'ailleurs, il est perçu de manière très négative. La chute de Médée est, dans le Roman de Troie, causée par son amour pour lui, infidèle. Elle est perdit la tête : « Grant folie fist Medea : / Trop ot le vassal aamé51(*) ». Elle se fourvoya en aimant trop, alors que chez tous les compilateurs sauf Christine et Boccace dans une moindre mesure, c'est parce qu'elle était surtout mauvaise.

Christine de Pizan, en effet, ne se permet pas aucun passe-droit dans sa mission de promouvoir le sexe féminin :

Christine utilise librement son modèle, l'interprète de façon délibérée, s'amuse même en faisant dire à Boccace ce qu'il n'aurait jamais voulu dire. Elle exclut de son discours toute la charge misogyne du texte qu'elle compile et elle brandit l'étendard du progrès en faisant l'éloge de l'oeuvre civilisatrice des femmes et de l'ordre social qui règne dans le monde grâce à elle52(*).

La Cité des dames est pourtant loin d'être la compilation la plus ancienne. On pourrait penser que la cause féminine évolue dans le temps, mais, en ce qui concerne cette compilation confrontée aux autres, ce n'est pas le cas. Le savoir de Médée, en outre, nous l'avons déjà vu, n'a jamais été aussi bien considérée qu'au XIIe siècle. Il faut cependant ajouter que le point de vue d'une auteure sur le savoir des femmes magiques médiévales n'avait jamais encore été exprimé.

Le Livre de la Cité des Dames contient en fait deux parties concernant Médée, ce qui est unique dans les compilations présentées ici, dans le premier livre le chapitre XXXII et dans le deuxième livre le chapitre LVI. Ce dernier porte le titre « De Medee amante», titre donné par l'auteure elle-même. Christine, fidèle à ses habitudes, me parle qu'en bien de son héroïne. Elle est une femme «qui tant avoit de savoir53(*) ». Jason est présenté comme un traître et un lâche, alors que Médée est sa victime. Elle le «volt garder de mort54(*)» avec ses pouvoirs magiques, il la délaisse. L'auteur poursuit sur les dons extraordinaires de cette femme : « Et a brief dire, elle lui bailla charmes et enchantements, comme celle qui tous les savoit, et lui apprist toute la manière comment et par quelle voye il conquerroit la toison d'or55(*) ». Les dons de Médée ne l'ont pas empêché d'avoir le coeur brisé. La compilation la présente avec précaution. Cependant, son savoir n'est pas détaillé dans cet extrait comme avec le précédent du premier livre.

Un peu plus d'un siècle plus tôt avant Christine, Guillaume de Machaut écrit sur la puissance de l'amour de Médée pour Jason plutôt que sur la puissance de son savoir : « Je sui celle qui me doi plaindre de vous plus que ne fist oncques nulle fame de son ami, et plus que ne fist Medee de Jason56(*) ». Il est aussi à noter que le poète compare son amour à celui d'une femme, ce qui en soit pourrait paraître surprenant pour l'époque. Peu d'hommes aimaient alors se comparer aux femmes qui sont le sexe faible. Les hommes, considérés tout puissants, n'avaient habituellement pas de modèles féminins, mais plutôt masculins. Machaut insinue ainsi que l'amour des femmes envers les hommes a plus de portée que celui d'un homme envers une femme. Lui, l'auteur, souffre autant qu'elles. C'est donc un jugement favorable envers les femmes qu'il émet ici.

Le Voir-dit de même que les autres oeuvres du poète font parfois preuve d'un avis critique sur le sexe féminin : « Ce discours clérical, qui échappe parfois à Guillaume de Machaut, se marque par une certaine condescendance. L'emploi du mot famelette lors d'un apitoiement sur la faiblesse de la femme paraît révéler d'une telle attitude57(*) ». Plus loin dans l'ouvrage de Machaut, une autre remarque est faite au sujet de Médée, non pas sur ses connaissances, mais sur son aspect physique : « Qu'onques Jason belle Medee, / Ne Dido de Cartage Enee, / N'aussi Biblis / Cadmus, në Helaine, Paris / N'amerent tant, soies ent fis, / Com je t'aim58(*) ». Ainsi, bien qu'il n'était pas rare au Moyen âge que l'on mentionne on même l'éloge de la beauté féminine, il demeure que Machaut ne souligne pas les talents extraordinaires de Médée. Ainsi, l'amour de Médée pour Jason est grand et la beauté de l'héroïne est louée. L'auteur ne s'engage pas, comme Christine de Pisan ou Champier, dans des avenues peu fréquentées afin de promouvoir la femme.

Selon certains spécialistes, Champier aurait lu la Cité des dames :

While she implies, but does not directly state, the Champier had read and imitated Christine in his Nef des dames, Paula Soomers goes a step further in her essay, "Marguerite de Navaree as Reader of Christine de Pizan", claiming that the Lyonnais physician and author Symphorien Champier acknowledges Christine in his Nef des Dames (Ship of Ladies)59(*).

Si de tels propos sont véridiques, Symphorien Champier aurait pris connaissance de la prise d'opinion féministe de son homologue et l'aurait réfuté. C'est donc dire qu'il aurait fait un pas en arrière. Le mystère demeure, mais il ne serait pas surprenant que Champier soit, au fond, bien peu en faveur des femmes, malgré ce qu'il en dit dans La Nef des dames vertueuses : « Si Champier semble défendre sans équivoque les femmes dans son second livre de la Nef des dames, il paraissait bien misogyne dans la Nef des princes, publiée un an auparavant60(*) ».

Quand il est question de Médée ou même des sibylles, qui seront abordées plus loin, très peu de choses sont dites au sujet de son éducation ou de leur savoir. Ces deux notions sont étroitement liées à la promotion de la femme. Il est donc un peu étrange que le compilateur ne se lance pas plus en avant dans ces domaines : « Christine Hill met aussi en question un Champier misogyne transformé en féministe : comment, se demande-t-elle, peut-on expliquer le fait que dans la Nef des dames, une oeuvre censée traiter de l'éducation des femmes, il évite de parler de leur instruction formelle?61(*) ». Sa position envers les femmes est bel et bien ambiguë. Cette ambiguïté marque néanmoins la venue d'une période nouvelle, même s'il a déjà déclaré que les deux sexes ne sont pas égaux. Il revient ensuite sur ses propos : « Champier invite les hommes à les [les femmes] traiter quand même comme `compagnes et égales' - une position peu habituelle à l'époque et qui marque peut-être une transition dans l'histoire de la querelle62(*) ».

Christine de Pizan et Symphorien Champier ont tous deux participé à la Querelle des femmes dont il a été question plus haut. Leurs visions parfois divergent sur leur statut. Judy Kem s'est déjà penchée sur le personnage de Médée :

Christine and Champier write a favorable account of Medea but in different ways. (...) In the Cité des dames, Christine simply states that Medea was learned in the sciences and the occult arts, and she thus helped Jason obtain the golden Fleece (1. XXXII); in another, she adds that Medea helped Jason in return for a promise of marriage, but, after winning his prize, he reneged (2. LVI). Champier states that Medea did indeed marry Jason, that Jason repudiated her in favor of Creusa, but they later reconciled and lived happily ever after. Not surprinsingly both Christine's and Champier's portraits leave out Medea's murders, althought Champier does mention them in the prologues but blames Jason (f. b iiii). He insists on their marriage and reconciliation in order to remain true to the goal of the second book of the Nef des dames, the "Gouvernement de mariage", which is to praise marriage. Like many of his contemporairies, Champier held orthodox views concerning the state of marriage. He preferred celibacy, but he was also steadfastly against divorce ans remarriage for widows - not a primary preoccupation with Christine63(*).

Ainsi, nous pouvons difficilement en douter, l'opinion est plus favorable chez l'écrivaine, probablement à cause de sa propre sensibilité féminine. Plus que quiconque elle accomplit mieux sa tâche de louer les dames. Chez Christine, Médée apparaît comme une femme savante et une aide précieuse pour Jason. Champier supprime toutefois les meurtres de l'enchanteresse, ce qui améliore son image. Cependant, il aurait été plus efficace qu'il mentionne son savoir, comme l'a fait son homologue.

La Cité des dames est une oeuvre plus ordonnée que celle de Champier. Dans La Nef des dames vertueuses, il n'y a pas seulement que des portraits de femmes, bien qu'elles y jouent un rôle prédominant partout. La méthode de Christine est autre. Fille d'astrologue, elle fait de nombreuses références aux sciences du ciel64(*). Possédant un savoir approfondi des sciences, il ne fait nul doute que Médée n'ignore pas l'astrologie et l'astronomie, intimement liés au Moyen âge. Cependant, sa démarche n'est pas scientifique et elle préfère se laisser transporter par la fiction : « Dans le monde de la vulgarisation scientifique, de la compilation des encyclopédistes et des poètes, univers où les débats sur la classification des sciences ne pénètrent que peu ou de façon superficielle, dans le monde de Christine donc, c'est l'interchangeabilité, le flou ou l'ambigüité qui dominent65(*) ». D'ailleurs, elle énumère moins longtemps que son maître Boccace les savoirs de Médée. Elle aurait, de plus, pu expliquer la provenance de ce savoir.

Chez Christine de Pizan, l'absence de critique du personnage le valorise du même coup. Dans son ensemble, la Cité des dames est positive pour la cause féminine, car il promeut leurs talents : « [The book] rediscribes the gifts, talents, and dees of women66(*) ». À l'inverse, un siècle plus tard, « Champier défend les femmes qui, dit-il, ne peuvent pas le faire puisqu'elles ne lisent pas la Bible. (...) Champier continue à invoquer les arguments traditionnels en faveur des femmes67(*) ». À la lecture de tels arguments, force est de constater le chemin qu'il reste encore aux auteurs pour adhérer entièrement au savoir des femmes. Ces auteurs ont certes fait un bout de chemin, mais la démarche n'était pas absolument complète. Même Christine n'y est pas absolument parvenue.

* 28 Boccace, ibid., p. 59.

* 29 Ibid., p. 59-60.

* 30 Christine de Pizan. La Città delle dame, Patrizia Caraffi éd., Rome, Carocci, 2003, p.162.

* 31 Ibid., p. 164.

* 32 Champier, ibid., p.77.

* 33 Judy Kem. "Symphorien Champier and Christine de Pizan's Livre de la cité des Dames", "Romance Note", vol. 45, #2, Winter 2005, p. 228.

* 34 Kem, ibid., p. 225-6.

* 35 Dulce Maria Gonzàlez Doreste et Francisca Del Mar Plaza Picón. «À propos de la compilation : du De claris mulieribus de Boccace à Le Livre de la Cité des Dames de Christine de Pizan», Le Moyen français, vol. 51-53, 2003, pp. 327-28.

* 36 Dufour, ibid., p. 39.

* 37 Ibid., p. 38.

* 38 Ibid., p. XLII.

* 39 Benoît de Sainte-Maure. Le Roman de Troie, éd. Emmanuèle Baumgartner et Françoise Vielliard, Paris, Librairie générale française, coll. Lettres gothiques, 1998, p. 70.

* 40 Boccace, ibid., p. 60.

* 41 Sainte-Maure, ibid., p.72.

* 42 Ibid., p.74.

* 43 Ibid., p.78.

* 44 Moreau, ibid., p. 273.

* 45 Morse, ibid., p. 234.

* 46 Sainte-Maure, ibid., p. 90.

* 47 Idem.

* 48 Ibid., p. 92.

* 49 Laurence Harf-Lancner. Les fées au Moyen âge. Morgane et Mélusine. La naissance des fées, Paris, Honoré Champion, coll. Nouvelle bibliothèque du Moyen âge, 1984, p. 416.

* 50 Sainte-Maure, ibid., p. 100.

* 51 Sainte-Maure, ibid., p. 106.

* 52 Gonzàlez, ibid., p. 337.

* 53 Christine de Pizan, ibid., p. 380.

* 54 Ibid., p. 381.

* 55 Idem.

* 56 Guillaume de Machaut. Le Voir dit, traduction par Paul Imbs et édition par Jacqueline Cerquiglini-Toulet, Paris, Librairie générale française, coll. Le livre de poche, Lettres gothiques, 1999, p. 674.

* 57 Jacqueline Cerquiligni-Toulet. Guillaume de Machaut. Le Livre du Voir-dit. Un art d'aimer, un art d'écrire, Paris, SEDES, Coll. Agrégations de lettres Langue française, 2001, p. 52-53.

* 58 Machaut, ibid., p. 526.

* 59 Kem, ibid., p. 225.

* 60 Champier, ibid., p. 26.

* 61 Ibid., p. 28.

* 62 Ibid., p. 25.

* 63 Kem, ibid., p. 231.

* 64 Bernard Ribémont. « Christine de Pizan, Isidore de Séville et l'astrologie : compilation et `mutacion' d'un discours sur les arts libéraux », Desireuse de plus avant enquerre...Actes du VIe colloque international sur Christine de Pizan (Paris, 20-24 juillet 2006), Champion, p. 303.

* 65 Ibid., p. 308.

* 66 Morse, ibid., p. 231.

* 67 Champier, ibid., p. 15.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand