Zones économiques spéciales et
nouveaux enjeux fonciers :
Le cas de Marg Swarnabhoomi au
Tamil Nadu, Inde
Paul Bertin
Master 1 Territoires, Développement et
Cultures
Sous la co -direction de Kamala Marius-Gnanou
Ma»tresse de conférence Ð Université Bordeaux
III
et d'Eric Denis
Directeur du département de Sciences Sociales - Institut
français de Pondichéry
Université Bordeaux III UFR de
Géographie Juin 2010
SOMMAIRE
Introduction - Exposé de la démarche
1ère partie : Zones Economiques Speciales : une
politique qui divise
1.1 - Un modéle venu d'ailleurs
1.2 - Des Export Processing Zones au SEZ Act 1.3 - Les
limites d'une politique mal contrTMlée 1.4 - Le cas particulier du Tamil
Nadu
2ème partie : Aux sources du projet
Swarnabhoomi
2.1 - Chennai et son contexte metropolitain 2.2 - Le point
sur la question des Reddyars 2.3 - Le groupe Marg
2.4 - Marg Swarnabhoomi : détails sur le
projet
3ème partie : Les dessous du mirage -
Enquête de terrain
Introduction
3.1 - Questions de méthode
3.2 - Sept villages pour autant de réalités 3.4
- Stratégies et conséquences
Conclusion
Remerciements Bibliographie Annexes
Introduction - Exposé de la démarche
Depuis maintenant quelques années, les médias
n'ont de cesse de faire l'éloge de la nouvelle économie
émergente que représente l'Inde. Avec un taux de croissance qui
devrait atteindre 7,5 à 8% pour l'année budgétaire
2009-2010, l'Inde ne conna»t pas la crise. Le tournant initié par
Rajiv Gandhi à la fin des années 80 en matiere de
stratégie de développement, désormais fondée sur
l'intégration à l'économie globale, semble porter ses
fruits. Disposant d'avantages comparatifs certains, avec une main d'oeuvre
abondante et qualifiée, des pTMles de compétitivité
susceptibles d'attirer les grandes firmes multinationales, et l'appartenance
à l'aire linguistique anglo-saxonne, le pays ne manque pas d'atouts.
Désireux d'améliorer les capacités de son
économie en matiere de compétitivité et de
flexibilité, le gouvernement central a fait le choix de
développer, sur l'exemple de la Chine et de nombreux pays en voie de
développement, les zones économiques spéciales (ZES)
à partir de 2005.
Les ZES possedent entre autres l'avantage d'être
exemptes des lois fiscales et environnementales. Les entreprises qui font le
choix de s'y installer bénéficient d'une main d'oeuvre bon
marché, et louent leur terrain à des prix défiants toute
concurrence. De plus ils profitent de ressources naturelles illimitées.
Le ministere de l'Industrie et du Commerce entend par ce moyen augmenter les
exportations et les flux d'IDE. Cependant, l'établissement d'une ZES
suppose la déportation des primo-occupants de ladite zone. Ceux qui
soutiennent les ZES prétendent que de nombreux emplois sont
créés, mais l'opinion internationale se montre sceptique. Les
instit utions financieres ont à plusieurs reprises exprimé leur
désaccord vis-à-vis de ce type de politique ultra
-libérale. Aussi la vice-présidente au développement du
secteur privé de la Société financière
internationale , une branche de la Banque Mondiale, exprime ses doutes sur
son blogue « La plupart des ZES sont situées sur des terres
agricoles fertiles. Détruire ces terres ne semble pas approprié
dans la mesure ou les fermiers ne deviendront pas facilement ouvriers
È, affirme t-elle.
C'est ainsi que les terres agricoles indiennes se transforment
tous les jours un peu plus en champ de bataille. Dans l'Orissa, le Bengale
Occidentale (affaire de l'usine Tata de Singur) le Maharashtra et le Karnataka,
les paysans manifestent par milliers contre le vol manifeste de leurs terres
par des géants de l'industrie. Pres d'un million d'indiens,
dépendant des revenus
de l'agriculture dans un pays oü 70% de la population
travaille encore aujourd'hui dans ce secteur, sont menacés par
l'avancée du phénomène des ZES, qui ont d'ores et
déjà grignoté plusieurs centaines de milliers d'hectares
du territoire national. De 1990 à 2003, la surface cultivée
s'était déjà réduite de 1,5% soit 2,1 millions
d'hectares. Le processus tend aujourd'hui à
s'accélérer.
L'Etat peine aujourd'hui à adopter une position ferme
et claire sur le sujet. Le Land acquisition Act, hérité
des temps de la colonisation, et datant de 1894, autorise les Etats
fédéraux à acheter des terrains au nom de l' Ç
intérét général È. L'ambiguité de ce
texte permet ainsi l'acquisition forcée de terres à la faveur des
grands groupes industriels, sans que les paysans ne percoivent une compensation
à la hauteur du préjudice causé.
C'est précisément sur ce point que se porte mon
étude. J'ai choisi de m'intéresser au cas de Marg Swarnabhoomi,
un mega-projet de ville nouvelle particulièrement ambitieux
développé entre Chennai et Pondichéry, sur le littoral du
Tamil Nadu, et comportant deux ZES. Lancé dès 2005, on verra
qu'il entre pleinement dans le cadre de la politique volontariste
développée par le gouvernement du Tamil Nadu, et qu'il
soulève à ce titre bon nombre de questionnements. De quelle facon
le groupe Marg est-il parvenu à acquérir les terres
nécessaires au lancement de son projet? Ce processus s'est-il
déroulé de facon démocratique? Comment les habitants
appréhendent -ils l'avenir? Et surtout quels bénéfices
peuvent-ils espérer de l'arrivée d'un tel projet? Tous les
villageois sont-ils égaux face au processus d'acquisition ? Étant
donnée la situation au niveau national, on peut supposer que
l'arrivée de Marg ne s'est pas déroulée sans heurts. Nous
verrons en quoi la structure sociale, pas toujours homogène sur toute la
zone, intervient dans le jeu des acteurs et les rapports de force liés
au processus d'acquisition, et comment le groupe Marg a su utiliser la
situation dans le cadre de sa stratégie. De ce fait, en quoi peut-on
dire que l'établissement du projet a pu bouleverser les rapports entre
villageois et entre communautés?
Pour réaliser cette étude, j'ai d'abord dü
me doter d'un cadre théorique, gr%oce aux recherches
réalisées à l'Institut francais de Pondichéry
et au Madras Institute of Development Studies, qui m'ont permis
d'avoir une vision globale du phénomène des ZES au Tamil Nadu et
ainsi de formuler mes premières hypothèses. J'ai ensuite pu me
lancer dans mon étude de terrain, d'abord sous l'angle du promoteur,
Marg, puis sous l'angle des populations en contact direct avec le projet
Swarnabhoomi. Les intéréts de chacun étant largement
divergeants, j'ai dü
prêter une attention toute particulière à
recueillir un maximum de points de vue. C'est dans cette logique que je me suis
ensuite intéressé à l'implication des politiques, de
l'échelle locale à l'échelle du Taluk puis du
District. Afin de compléter mon enquête, je me suis enfin
orienté vers le front militant, notamment le SPMEI (mouvement
anti-ZES opérant à l'échelle du Tamil Nadu) et le
CPI-M (parti communiste marxiste), ce qui m'a permis de confronter mon
étude de cas à un contexte plus large, et ainsi de confirmer mes
hypothèses.
Le dossier qui suit se compose de trois blocs:
- Une première partie pose le cadre du sujet par
l'exposé du processus qui a amené à l'émergence des
Zones Economiques Spéciales, et à leur contestation. Quels
avantages offrent-elles (cadre légal)? Quels enjeux accompagnent leur
mise en place? Quelle est la stratégie adoptée par le
gouvernement central, puis relayée par les gouvernements
régionaux ? Quelles en sont les limites?
- La deuxième partie vise à apporter les
élément s nécessaires à la compréhension du
contexte qui entoure la mise en place de Marg Swarnabhoomi. Localisation et
nouvelle réalité socio-économique, rappels historiques et
détails concernant le groupe Marg et le projet sont ici
développés.
- La troisième partie quant à elle est
entièrement consacrée à l'étude de terrain, et
à une rélexion approfondie sur les dynamiques à
l'Ïuvre à l'heure actuelle.
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