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Approche systémique des jeux pragmatiques communicationnels.

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par Colin FAY
Université de Rennes 2 - Master LCER 2012
  

Disponible en mode multipage

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Université Rennes 2 - Haute Bretagne
Master 2 Langues et Cultures Étrangeres et Régionales
Aire Anglophone

 

Approche systémique des

jeux pragmatiques communicationnels

Colin Fay
Sous la direction de Mr Daniel Roulland
2012

Remerciements :

Je remercie sincèrement Mr Daniel Roulland,
mon directeur de recherche,
pour son soutien permanent ainsi que pour ses conseils avisés,
sans qui ce mémoire n'aurait jamais pu être porté à terme.

Table des matières : Avant-Propos 5

AP.1. Une sémiologie pragmatique 6

AP.2. Les signes 8

AP.2.1. Niveaux du signe 9

AP.2.2. Canaux du signe 11

AP.3. L'intentionnel et le non-intentionnel 13

Introduction 15

I.1. L'impossibilité de ne pas communiquer 16

I.2. L'incertitude 18

I.3. Problématique 20

A. Origines théoriques 21

A.1. Du code à la pragmatique 22

A.1.1. L'approche Saussurienne 22

A.1.2. La théorie du code 23

A.1.3. L'approche pragmatique 26

A.2. La pragmatique et la pertinence 29 A.2.1. La fin de l'opposition langue/parole 29 A.2.2. Le modèle inférentiel 32

A.2.3. La pertinence 35

A.3. L'économie cognitive 39

A.3.1. La communication comme système 39 A.3.2. Retour sur l'incertitude 42

A.3.3. Le modèle économique-efficace 45

B. Théorie du système communicationnel 49

B.1. Stimulus et environnement 51 B.1.1. Stimulus et attention sélective 51 B.1.2. L'environnement cognitif direct 54 B.1.3. L'environnement cognitif indirect 56

B.2. Compréhension, production et sens. 58 B.2.1. Compréhension et production 58 B.2.2. Retour sur l'intention 62

B.2.3. Effets contextuels et sens 65

B.3. Un système cybernétique 68

B.3.1. Définition 68

B.3.2. Rétroaction et autorégulation 72 B.3.3. L'imprédictibilité 75

C. Jeux et enjeux 79

C.1. Le jeu régulier 81

C.1.1. L'équilibre en communication 81

C.1.2. La régularité 84

C.1.3. L'emprisonnement fractal de la régularité 87

C.2. Le jeu créatif 91

C.2.1. Le jeu méta-communicationnel 92

C.2.2. Le cas du mensonge 95

C.2.3. Le jeu ludique 98

C.3. Le jeu interférant 101 C.3.1. Le jeu conversationnel et culturel 102

C.3.2. Lie Catching 105

C.3.3. Le jeu émotionnel et pathologique 108

Conclusion 112 Annexes 118

D.1. Le jeu créatif 120 D.1.1. Le jeu méta-communicationnel 120

D.1.2. Le cas du mensonge 122

D.1.3. Le jeu ludique. 123

D.2. Le jeu interférant 125 D.2.1. Le jeu conversationnel et culturel 125

D.2.2. Lie Catching 126

D.2.3. Le jeu émotionnel et pathologique 128

Bibliographie 130

Bibliographie complete 131

Bibliographie thématique 135 Théorie de la communication 135 Théorie des systèmes 136

Théorie des jeux 137

Psycholinguistique 138

Index 140

Avant-Propos

AP.1. Une sémiologie pragmatique

Ç Les délimitations classiques des divers champs scientiÞques subissent
du même coup un travail de remise en cause :
des disciplines disparaissent, des empiètements se produisent aux
frontières des sciences, d'oü naissent de nouveaux territoires. È
J.F. Lyotard, La condition postmoderne.

Ce mémoire est une exploration du système de la communication et de ses jeux. Avant d'entrer dans le coeur de cette étude, il est important d'établir les limites disciplinaires qui entourent un tel travail.

L'étude de la communication se situe au croisement de deux Ç sous-disciplines È des sciences cognitives : la psychologie cognitive et la sémiologie pragmatique.

Les sciences cognitives sont celles qui cherchent à déterminer Ç comment un système naturel (humain ou animal) ou artificiel (robot), acquiert des informations sur le monde qui l'entoure, comment ces informations sont reportées et transformées en connaissances, et comment ces connaissances sont utilisées pour guider son attention et son comportement. È (Lemaire,1999:13)

L'étude du comportement communicationnel s'inscrit dans un premier temps dans la psychologie cognitive, science étudiant les mécanismes fondamentaux de la cognition humaine, i.e. les fonctionnements de Ç l'intelligence È et de la pensée, faculté Ç mobilisée dans de nombreuses activités, comme la perception, les sensations, les actions, la mémorisation et le rappel d'information, la résolution de problèmes, le raisonnement (inductif et déductif), la prise de décision et le jugement, la compréhension et la production du langage, etc. È (Ibid:14) Il pourrait sembler de prime abord que l'étude du fonctionnement de la communication se situe dans l'étude de la compréhension et la production du langage, pourtant, les activités qui entrent en jeu lors de la communication sont plus nombreuses, à un point oü toutes ces activités doivent être prises en compte. De fait, chacune de ces activités agit sur le système communicationnel, et est également affectée par lui.

Cependant, prendre uniquement l'optique de la psychologie cognitive pour rendre compte du fonctionnement du système communicationnel ne permet pas d'étudier de façon rigoureuse ce système. En effet, bien qu'il faille les prendre en

considération, les activités cognitives citées plus haut ne doivent pas être analysées dans leur globalité, mais uniquement dans leur rapport aux signes qui existent dans un processus de communication. En d'autres termes, l'autre pan de l'analyse se situe dans l'étude des signes 1 produits lors de la communication, donc une étude sémiologique de la communication. La sémiologie est définie par Saussure (1995:33) comme la Ç science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale; elle formera une partie de la psychologie sociale (É). Elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les régissent. È La sémiologie étant une science des signes de manière générale et notre étude limitant ces signes aux signes employés lors de la communication, il est important de considérer la sémiologie à travers le prisme de la pragmatique, c'est-à-dire en tant que Ç science qui traite des signes (dans leur rapport) à leurs interprètes. È (Armengaud,1999:36) Cette limite de la sémiologie à travers une étude pragmatique doit être prise dans le paradigme de la communicabilité qui est le suivant :

Ç Axiome 1: le sujet parlant, de par son discours, ne peut pas ne pas communiquer. Axiome 2: toute communication présente deux aspects, le contenu et la relation, tels que le second englobe le premier.

Axiome 3: toute communication implique la réciprocité, qui est symétrique ou complémentaire.

Axiome 4: toute communication actualise le système virtuel des significations et réalise, en même temps, la dépendance de ce système vis-a-vis des conditions de la communicabilité. È (Paret cité dans Armengaud,1999:103)2

L'étude de la communication proposée ici, portant sur la communication et les jeux communicationnels, c'est-à-dire sur le fonctionnement et le dysfonctionnement du système, est donc au croisement, à l'intersection de ces deux disciplines, restreignant le vaste champs de recherche des sciences cognitives : la psychologie cognitive étant limitée à la cognition liée à la communication, et la sémiologie aux signes existants et influents en communication.

1 Nous utiliserons dans cette étude le terme sémiologie pour renvoyer à la théorie du signe. Le terme signe sera utilisé au sens large de Ç manifestation sémiotique È, c'est-à-dire renverra à une manifestation d'un ou plusieurs signe(s)

2 Les axiomes de ce paradigme ne sont pas développés plus en profondeur ici, leur importance se révélera tout au long de ce travail

AP.2. Les signes

Ç Ce terme signes, présent dans
des vocabulaires très différents (de la théologie à la médecine)
et dont l'histoire est très riche, (de l'Évangile à la cybernétique)
ce terme est par là même ambigu. È
R. Barthes, Elements de semiologie.

Ainsi, notre communication est peuplée de signes, traités cognitivement. Ces signes sont, pour prendre une définition très large, une unité, une entité au sein du système communicationnel qui renvoie, qui réfère à un sens. Chaque signe est composé de deux plans : Ç le plan d'expression et (...) le plan des contenus È (Barthes,1964), renvoyant respectivement au signe en tant qu'entité physique et au sens de ce signe.

Avant de passer au cÏur de l'étude des mécanismes du système de la communication, nous spécifierons d'abord ce que sont ces signes, à travers une définition des deux pans du signe. Le travail des deux paragraphes qui suivent permet de donner une définition de l'identité de ces signes, en partant du postulat que l'existence du signe est conventionnelle, sans pour autant expliquer la nature de cette convention. Nous suivrons en effet la prémisse scientifique de l'étude d'un système basée non pas sur une réponse à pourquoi il fonctionne, mais sur une réponse à comment il fonctionne. Ainsi nous ne verrons pas pourquoi le signe existe, pourquoi un signe est lié à un sens, mais comment ce signe existe, comment il fonctionne à travers le système, et comment un signe se lie à un sens. Comme le dit Douay (2000:66), nous nous intéressons Ç aux moyens formels, systématisés (...) qui permettent la communication et non aux choses infinies qui peuvent être communiquées par leur emploi dans des situations par définition toujours nouvelles. È

AP.2.1. Niveaux du signe

Les interlocuteurs communiquent sur deux niveaux. Hermann Parret les appelle Ç contenu et relation È (cité dans Armengaud,1999:103). Cependant, pour ne pas créer un écho qui porterait à confusion avec les dichotomies expression/contenu du signe, nous allons utiliser une autre terminologie. Le contenu d'Herman Parret est ce que Gardiner (1989) appelle les choses : il faut ici prendre la notion de Ç chose È dans le sens large du terme, celui entendu par Gardiner : il est vrai que notre discours peut faire référence à du matériel aussi bien qu'à de l'immatériel, et donc le discours ne fait pas toujours référence aux choses en tant qu'objets concrets. D'un autre côté, Ç affirmer que le discours sert à exprimer la pensée, c'est tout simplement méconna»tre le fait que je peux parler du crayon avec lequel je suis en train d'écrire, de ma maison, de mes livre, etc. È (ibid:27) Il semblerait juste de dire que le discours exprime des Ç pensées sur les choses È, mais cependant rien ne contredit l'idée qu'un processus cognitif, qu'une pensée soit elle même une Ç chose È, au sens large oü nous l'entendons ici. En effet, le discours courant nous renvoie continuellement à l'idée que nous parlons de Ç quelque-chose È, et il n'y aurait rien d'illogique ou relevant du contresens d'imaginer la production d'une phrase telle que Ç une chose est certaine, c'est que je trouve cela compliqué È ou Ç la réflexion sur ce sujet est une chose difficile È, ou encore Ç elle a trouvé la solution, je n'avais pas imaginé une telle chose È.3

Affirmer que nous communiquons sur quelque chose pourrait sembler être l'affirmation d'un rasoir d'Ockham. Cependant, les signes référant aux choses peuvent revêtir une configuration particulière : les signes peuvent également être utilisés pour la méta-communication, ou ce qu'Herman Parret ou Watzlawick (1972,49) appelle relation, c'est-à-dire Ç la manière dont on doit entendre le message. È De fait, les locuteurs peuvent communiquer sur des choses, mais aussi sur leur communication, sur leur interaction, c'est-à-dire qu'ils peuvent communiquer et métacommuniquer. En d'autres termes, conjointement au discours sur les choses dans un sens large, les locuteurs communiquent leur(s) point(s) de vue, leur(s) sentiment(s) sur la communication, c'est-à-dire qu'ils communiquent sur leur interaction, sur la

3 Pour un développement complet de ce point, voir Gardiner,1989:27-32,8.

relation qu'ils entretiennent l'un avec l'Autre. Nous verrons dans ce travail que cette méta-communication est liée à l'existence des jeux ainsi qu'aux possibilités d'ajustements communicationnels : les interlocuteurs en situation de jeu doivent pouvoir méta-communiquer sur cette situation de jeu, et lorsqu'une communication sur une chose a échoué, il est nécessaire d'envisager de méta-communiquer afin d'évaluer les sources de l'échec, en d'autres termes, la méta-communication est ce qui permet aux jeux communicationnels d'exister, c'est en faisant passer la pertinence de la communication au niveau méta-communicationnel que l'existence des jeux est possible et/ou corrigée.

D'un point de vue théorique, il pourrait sembler adéquat d'envisager l'existence d'une méta-méta-communication, c'est-à-dire une communication sur la méta-communication, ainsi que l'existence d'une méta-méta-méta-communication, qui serait la communication sur la méta-méta-communication, et ainsi de suite dans une spirale infinie de niveaux de communication portant sur le niveau précédent. Il est cependant deux arguments qui viennent contredire cet argument :

Premièrement, nous pouvons douter qu'il ait existé ou qu'il existera un cas empirique dans lequel les interlocuteurs, dans une suite infinie, travailleront à un niveau infini de communication à propos du niveau inférieur. Deuxièmement, même si l'on imagine que ces différents niveaux existent, ils reviennent toujours à une idée d'une communication portant sur une communication de niveau inférieur. Donc, quelque soit le niveau de méta-communication, il est toujours une communication sur une communication, et donc entre toujours dans la catégorie de la métacommunication.

AP.2.2. Canaux du signe

Il serait réducteur de considérer que le système communicationnel traite uniquement les signes dit Ç linguistiques > : de nombreux signes de nature Ç nonlinguistique > entrent en jeu dans le système. Comme le dit Watzlawick (1972:16-47) : Ç les données de la pragmatique ne sont pas simplement les mots, leur configuration et leur sens (...), mais aussi leurs concomitants non-verbaux et le langage du corps, (...) un composé fluide et polyphonique de nombreux modes de comportement : verbal, tonal, postural, contextuel, etc. >

Afin de rendre compte des signes comme référant aux choses dans l'acceptation totale de la définition que nous venons de donner, nous devons les envisager dans tous leurs signifiants, c'est-à-dire à travers l'ensemble des canaux qu'ils empruntent : locutionnel, élocutionnel et proxémique.

La dichotomie locutionnel/élocutionnel4 est une dichotomie que l'on doit à Gardiner (1989), qui fut ensuite reprise par Douay (2000). Cette dichotomie est traditionnellement appelée verbal/non verbal : en termes sémiologiques, le locutionnel est la catégorie des signes qui relèvent des mots, et l'élocutionnel toute la catégorie des signes qui ne sont pas des mots, regroupant les signes kinésiques (ou signes gestuels5), ainsi que le ton de la voix ou l'attitude corporelle. L'utilisation des expressions Ç locutionnel > et Ç élocutionnel > permet d'éviter une classification péjorative de la catégorie des signes élocutionnels. Il est en effet important, dans une étude d'un système composé de signes, de ne pas mettre une catégorie de signes de côté, d'accorder un Ç statut identique à toutes les catégories de signes de la langue > (Douay,2000:81), ce qui est atteint via l'utilisation d'une terminologie Ç locutionnel/élocutionnel >6. En effet, les signes élocutionnels sont essentiels à la communication, et pourtant ils sont habituellement relayés au second plan des études (ce que regrette Gardiner (1989:66) : Ç les expressions du visage traduisent si bien l'émotion qu'il eUt été dommage de les astreindre à la fonction moins exaltante de représentation de phénomènes extérieurs >). Ils sont même classés par Gardiner

4 Il existe plusieurs expressions pour référer à cette dichotomie, telles que les Ç syntaxe locutionnelle et élocutionnelle > ou Ç forme locutionnelle et élocutionnelle. > Par soucis de simplicité, nous utiliserons Ç le locutionnel et l'élocutionnel >

5 Birdwhistell, dans Winkin (2000), parle de Ç kinèmes >

6 Pour un développement complet de ce point, voir Douay, 2000, chapitre 3.4 p 81-107

au premier plan de l'interlocution, puisque lorsque les signes locutionnels sont en conflit avec les signes élocutionnels, ce sont toujours les signes élocutionnels qui vont être porteurs de sens. Nous citerons ici la répartition faites par Mehrabian de ces différents canaux lors de la communication :

Bien qu'une répartition aussi nette soit contestable et contestée, particulièrement en ce qui concerne la précision des chiffres, l'idée générale est celle que nous adopterons.

Cette idée d'une centralité de l'élocutionnel est reprise par Douay (2000), mais également dans les études sur le mensonge effectuées par Ekman (notamment 2009), pour qui la détection d'un mensonge s'effectue à travers la détection d'un conflit locutionnel/élocutionnel, l'élocutionnel étant porteur du sens véritable.

Il existe un troisième canal par lequel peuvent transiter les signes intervenant dans la communication, qui est le canal proxémique. Cette dimension de la communication fut développée par Edward T. Hall (1968), et est devenue la Ç branche de la sémiotique qui étudie la structuration signifiante de l'espace humain. È (Fabbri, 1968:5) Ce terme réfère à la perception de l'espace interpersonnel en tant que moyen de communication, et plus précisément en tant que moyen de méta-communication. De fait, bien qu'il semble que les espaces interpersonnels ne soient pas interprétés comme des signes à part entière lorsque l'on traite de la communication, ils sont pourtant très importants, car ce sont eux qui signifient le degré de la relation qu'un locuteur considère entretenir avec un autre. Cette observation sera notamment reprise lors de l'étude du jeu interférant culturel, puisque des signes proxémiques pourront être facteurs d'incompréhension, de Ç chocs culturels È.

AP.3. L'intentionnel et le non-intentionnel

Ç On ne peut pas dire non plus qu'il y ait 'communication'
que si elle est intentionnelle, consciente ou réussie È
P. Watzlawick, Une logique de la communication, p.46-47

La tradition de l'étude de la communication ne s'intéresse pour la plupart qu'à l'analyse des productions volontaires. Pour exemple nous citerons ici Douay, (2000:65) qui dans son ouvrage, écrit que Ç doit être considéré comme phrase (É) tout signe (É) ou ensemble de signes manifestement sous-tendu par une intention pertinente de communication. È (nous soulignons) Ce n'est cependant pas le point de vue que nous adopterons ici. Effectivement, les signes traités par le système communicationnel ne sont pas tous intentionnellement produits, ni même intentionnellement compris, notamment pour les signes qui sont influencés, produits par l'existence de certaines émotions.

Reprenons le point de vue évolutionniste, développé notamment par Darwin (2001) : selon cette théorie, il fut indispensable pour la survie de l'homme de pouvoir signaler les émotions le plus rapidement possible. Par exemple signifier la peur à travers une expression faciale, et ce avant d'en avoir conscience, fut indispensable à la survie de l'espèce. Les individus les plus rapides à communiquer leurs émotions furent ceux qui furent le plus enclins à survivre. Toujours selon cette théorie, tout élément utile à la survie de l'espèce s'est automatisé au court de l'évolution (Darwin, 2001:43). Ainsi, la signification des émotions étant un élément indispensable à notre survie, elle fait ipso facto partie de ces processus qui se sont automatisés. Aujourd'hui, nous avons hérité de cela à travers un contrôle difficile (voir quasi-impossible) de nos émotions, ce qui nous entra»ne à signifier non-intentionnellement sous l'influence de nos émotions. Par exemple, rougir est un signe universel d'embarras qui est produit de façon non-intentionnelle, pourtant, bien que nonintentionnelle, cette manifestation sémiotique sera traitée par le système communicationnel : l'interlocuteur comprendra ce signe élocutionnel comme signifiant l'embarras7. Ce point sera particulièrement important pour l'analyse du jeu communicationnel dU aux émotions.

7 Voir Darwin, 2001, et Ekman et al., 2003

De plus, il est important de noter que l'apparition d'une émotion peut rompre la continuité de la communication. L'apparition d'un (ou de) signe(s) soudain(s) peut sembler n'avoir aucun lien direct avec ce qui le(s) précède quand la production et la compréhension de ce(s) signe(s) sont directement liées à une émotion ressentie par l'un des interlocuteurs. Prenons un exemple, développé par Ekman (2003), qui est celui de la frayeur causée par l'approche imminente d'un accident de voiture. Imaginons une situation dans laquelle nous sommes en voiture avec un ami. Nous conversons de choses banales, lorsque soudain une voiture appara»t et semble rouler à contre-sens, et donc se diriger dans notre direction. Soudain, avant même que cela soit conscient, le passager a de façon réflexe un mouvement d'appui sur un frein imaginaire, et la conversation est immédiatement interrompue par une expression de peur d'un ou des deux interlocuteurs, passant de Ç oui c'est un très bon film È à Ç Oh mon Dieu attention ! È, accompagné d'une expression faciale de peur. La production de la première phrase Ç oui c'est un très bon film È est intentionnelle, alors que la deuxième phrase Ç Oh mon Dieu attention ! È est une production non-intentionnelle. Pourtant, bien que non-intentionnelle, la production de la phrase n°2 ne peut pas être rejetée en tant que communication. Cette production non-intentionnelle est due à une réaction de nos Ç déclencheurs émotionnels È, processus réagissant l'analyse infra-attentionnelle constamment exécutée par notre inconscient, hérité de l'évolution et nous permettant de faire face de façon adéquate à une situation soudaine.

Les signes intentionnels et non-intentionnels sont donc tous deux à prendre en compte comme influents dans la communication. Malgré un rTMle similaire, une distinction peut être faite entre ces deux types de signes. Cette différenciation est faite par Grice dans son article Meaning (1957). Il y fait une distinction entre les signes qui signifient naturellement et les signes qui signifient non-naturellement, c'est-à-dire entre les signes naturels et les signes conventionnels. Nous reviendrons plus en détails sur ce point dans le second chapitre de ce travail.

Introduction

I.1. L'impossibilité de ne pas communiquer

Ç Tout refus de communiquer est une tentative de communication ;

tout geste d'indifférence ou d'hostilité est appel déguisé. È

A. Camus, L'étranger.

Partons du constat fait par Paul Watzlawick (1972:46) :

Ç on ne peut pas ne pas communiquer : le comportement a une propriété on ne peut plus fondamentale : (...) (il) n'a pas de contraire. Autrement dit, (...) on ne peut pas ne pas avoir de comportement. Or, dans une interaction, tout comportement a valeur de message, c'est-à-dire qu'il est une communication. (...) Un homme attablé dans un bar rempli de monde et qui regarde devant lui, un passager qui dans un avion reste assis dans son fauteuil les yeux fermés, (...) ne veulent pas qu'on leur adresse la parole, en général, leurs voisins «comprennent le message» et y réagissent normalement en les laissant tranquilles. È

Ainsi, même refuser de répondre, c'est communiquer (ou méta-communiquer)8 que l'on ne souhaite pas interagir. Nous nous trouvons dans une configuration oü nous devons communiquer dès lors que nous sommes dans une situation d'interaction avec un Autre, comme le dit Goffman9 : Ç chaque fois que nous entrons en contact avec autrui (...) nous nous trouvons devant une obligation cruciale : rendre notre comportement compréhensible et pertinent compte tenu des événements tels que l'autre va sUrement les percevoir. È De ce fait, dans toute situation d'interaction, les interlocuteurs doivent identifier et choisir les signes qui seront adéquats pour assurer le bon déroulement de la communication.

Cette impossibilité de ne pas communiquer est une propriété qui a été le point de départ des études psychiatriques sur la communication, notamment la communication chez les schizophrènes. En effet, l'observation de la communication chez les schizophrènes a mené à la constatation que les personnes qui souffrent de ce trouble cherchent à ne pas communiquer, via des formes de Ç non-sens, silence, retrait, immobilité (ou silence postural), ou toute autre forme de refus. È (Watzlawick, 1972:48) Or, ces formes de refus sont elles-mêmes des communications, communiquant le refus de communiquer. Mais ces formes de communications ne se retrouvent pas uniquement dans les communications chez les schizophrènes. En

8 Par soucis de concision pour la suite de l'étude, et sauf indication contraire, l'utilisation du verbe Ç communiquer È englobera la notion de communication et de méta-communication

9 Goffman, Façon de parler. Cité dans Blanchet (1996).

effet, la recherche d'une forme de Ç non communication È, selon l'expression de Watzlawick (1972), est une configuration qui concerne chaque interlocuteur qui souhaite communiquer qu'il ne souhaite pas communiquer en annulant la communication, c'est-à-dire en amenant l'Autre à comprendre que l'interlocuteur ne souhaite pas coopérer, en faisant passer la pertinence de l'échange à un niveau méta-communicationnel10. Cette situation est paradoxale car elle amène à communiquer le désir de Ç non-communication È, à savoir donc qu'il est impossible de ne pas communiquer, puisque le stade de non-communication passe par un premier stade de communication.

10 Nous développerons ce point plus en détails dans la partie C.

I.2. L'incertitude

Ç Chaque être humain conna»t
une frange d'incertitude quant aux
types de messages qu'il émet. È
Y. Winkin, La nouvelle communication.

Malgré une communication permanente, nous ne sommes jamais dans une situation oü nous pouvons affirmer avec certitude que notre production communicationnelle a été comprise de façon juste, c'est-à-dire que nous ne pouvons jamais avoir l'entière certitude de l'efficacité de notre communication.

Pour illustrer cette idée, nous utiliserons par analogie l'expérience de pensée du Ç Chat de Schrdinger È. Bien que cette expérience ait été utilisée afin de démontrer des propriétés de physique quantique, nous pouvons très bien la transposer pour illustrer notre propos actuel.

Imaginez un chat que l'on a enfermé dans une boite. Avec lui se trouve un flacon de poison pouvant se libérer à tout moment, de façon aléatoire. Tant que la boite est fermée, les observateurs de l'expérience ne peuvent pas savoir si le poison a été libéré ou non, si le chat est vivant ou mort, ce n'est qu'une fois la boite ouverte que l'expérimentateur peut juger des propriétés de ce qui se trouve à l'intérieur11. Il en est de même pour la communication : tant que le locuteur n'a pas produit les signes, ceux ci peuvent être efficaces ou non. Cette idée explique pourquoi les locuteurs se reprennent, ré-expliquent leurs propos, voir même parfois ne se comprennent pas : ils ne peuvent garantir de l'efficacité des signes tant qu'ils ne sont pas produits, donc tant qu'ils ne sont pas interprétables et interprétés, et même après leur production, les interlocuteurs seront incapables d'affirmer de façon certaine de l'efficacité ou non de leur production. Cela explique également pourquoi certaines communications sont inefficaces : le locuteur ne peut pas juger entièrement de l'efficacité de sa production tant que celle-ci n'est pas effective. En d'autres termes, le processus cognitif de choix des signes (qui s'effectue pré-production) ne permet pas de juger de façon certaine des signes qui seront efficaces pour communiquer, le

11 Pour les explications précises de cette expérience, voir Schrodinger, 1992, Physique quantique et representation du monde

jugement d'efficacité significative ne pourra être effectué qu'une fois le jugement retour (c'est-à-dire le jugement de la compréhension de l'interlocuteur) possible.12

Cette notion explique l'existence d'un certain type de jeux communicationnels, car celui qui produit ne peut rendre compte de l'efficacité des signes qu'une fois ceux-ci produits, ce qui justifie les processus de réajustement nécessaires à la communication. Le locuteur aura beau faire preuve de tout le zèle possible, il ne pourra jamais être entièrement sUr (pendant le stade cognitif pré-production) de l'efficacité de ses propos. Nous reviendrons sur ce point dans la suite de notre travail.

Ce processus d'incertitude est différent de la notion linguistique d'ambigu
·té. En effet, l'ambigu
·té concerne la multiplicité de compréhensions possibles d'un signe particulier. Or un interlocuteur ne produit jamais de signes ambigus pour lui, c'est-àdire que les signes qu'il produit sont toujours incertains du point de vue de l'efficacité mais ne sont jamais ambigus au niveau du sens. La production délibérée d'un signe que l'interlocuteur sait ambigu pour l'Autre ne sera pas ambigu pour l'interlocuteur, qui le produit dans un but méta-communicationnel.

Ce point sur l'incertitude sera très important pour notre propos, nous y reviendrons donc plus en détails dans la suite de ce travail.

12 Ce jugement retour est possible gr%oce à un système cybernétique. Cette notion sera développée dans la partie B.

I.3. Problématique

Nous pouvons distinguer deux tâches cognitives lors de la communication : la compréhension et la production. Le processus de compréhension est celui permettant, via le processus de l'attention sélective, de combiner code(s), indice(s) et contexte(s) pour arriver à l'identification du sens, le processus de production est celui passant du sens aux signes produits.

Afin d'aboutir efficacement au but de la communication, les interlocuteurs doivent s'appliquer au bon déroulement de ces deux tâches. Ce processus d'application correspond à un effort de pertinence. En effet, si l'on reprend la définition de la pertinence de Hjrland & Sejer Christensen (2002) Ç une chose A est pertinente pour la tâche T lorsqu'elle augmente les chances d'arriver au but G, luimême impliqué par T È. Ici, le but G de la communication est la mise en commun par la création chez l'Autre d'une réaction cognitive, entra»nant signe(s) ou acte(s). Les tâches T sont les processus de compréhension et de production. En communication, la pertinence est donc l'effort des locuteurs pour optimiser les chances d'accomplissement des tâches de compréhension et de production.

Comment fonctionne le système de la communication ? Quelles sont les conséquences de la nature de ce système sur l'utilisation qu'en font les interlocuteurs ? C'est à ces deux questions que cette étude va tenter de répondre.

Dans une première partie, nous partirons des prémisses théoriques qui nous amèneront jusqu'à la théorie que nous développerons et utiliserons ici.

La seconde partie sera consacrée à l'analyse des mécanismes du système communicationnel en tant que système cybernétique, ainsi que sur l'analyse des deux processus l'articulant, c'est-à-dire les processus de compréhension et de production.

Puis, dans une troisième partie, nous étudierons les cas de jeux dans ce système, par application et enrichissement de la théorie des jeux.

A. Origines théoriques

A.1. Du code à la pragmatique A.1.1. L'approche Saussurienne

Comme le disent Fuchs et LeGofÞc en ouverture de leur ouvrage (1996:15), Ç il est traditionnel de présenter F. de Saussure comme le "père" de la linguistique moderne. È Nous ne manquerons pas à cette Ç tradition È. Fondateur de la linguistique en tant que discipline, Saussure est le théoricien qui a posé les fondations d'une science de la langue. Fondamentalement non pragmatique, son modèle théorique repose plus particulièrement sur la séparation de la langue et de la parole, la langue étant un ensemble de conventions et de règles immanentes, Ç bien déÞnies È et Ç homogènes È (Saussure,1995:31-32) partagées par une collectivité parlante ; la parole, à l'inverse, est une manifestation individuelle et singulière de cette langue. Il ressort de cette dichotomie que la langue est posée comme unique sujet de la recherche linguistique, la parole étant relayée à un rang Ç secondaire È de l'analyse linguistique, se basant sur l'idée qu'il Ç faut se placer de prime abord sur le terrain de la langue, et la prendre pour norme de toutes les autres manifestations du langage È (Ibid:25)

De son étude, Saussure exclut le sujet parlant, Ç la langue étant (...) indépendante de l'individu È (Ibid:37), mais aussi toute forme de contexte, qui n'aurait une place que dans l'étude d'une linguistique de la parole. On se retrouve donc face à une vision de la linguistique envisagée comme l'étude d'une langue-code idéale, immanente et instrumentalisée, utilisée par des sujets parlants idéalisés, excluant tour à tour le sujet parlant ordinaire, le contexte ordinaire mondain ainsi que les usages ordinaires du langage.13 Et, bien que la dichotomie langue/parole paraisse plus dialectique qu'absolue (la langue n'existant qu'au travers de la parole), l'exclusion de ces trois derniers est bel et bien présente dans le Cours de linguistique generale. De cette conception Saussurienne séparant langue et parole, est née la théorie du code, que nous verrons ensuite.

13 Liste extraite de Eluerd (1995).

A.1.2. La théorie du code

L'approche Saussurienne fait des signes de simples moyens d'échanges d'informations à contenus fixes, effectués entre deux locuteurs par le canal intermédiaire que serait une langue-code conventionnalisée, plus ou moins universelle au sein de la collectivité représentée par la communauté linguistique à laquelle appartiennent les interlocuteurs. Cette conception voit la linguistique comme l'étude d'un code intrinsèquement conventionnel et au sens immanent, utilisé par des sujets parlants idéaux possédant chacun une copie identique de ce code. Ce modèle exclut les sujets parlants de l'étude, car ce qui importe est l'analyse du langage codé, se situant entre les opérations de codage et de décodage. Dans cette conception, le sujet parlant Ç émetteur È encode un message qui sera ensuite décodé par le sujet destinataire Ç récepteur È. En utilisant cette langue-code, les signes traduiraient Ç une activité mentale È qui préexisterait au langage, c'est-à-dire mettraient du sens dans des structures appartenant à la langue, et seraient utilisés comme Ç intermédiaire(s) entre la pensée et le son. È (ibid,1995:156)

Ce modèle du code sera schématisé un peu plus tard par Shannon et Weaver

(1948) :

C.Shanon & W.Weaver, The Mathematical Theory of Communication.

Dans cette perspective du modèle linéaire de la communication, celle-ci est réduite à la simple transmission d'un message qui est codé par la langue et oü l'échange est fait entre un émetteur Ç parlant È depuis une source d'information, utilisant un canal pour faire transiter les signaux, signaux potentiellement perturbés par un bruit extérieur, et reçus par un récepteur qui l'envoie à sa destination, la

source et la destination étant les processus cognitifs des locuteurs. Ce modèle du code, également appelé Ç Théorie de la transmission È ou Ç Théorie mathématique de la communication È, bien que d'inspiration beaucoup plus ancienne, fut conçu pour théoriser les systèmes de télécommunications dans la première moitié du 20ème siècle. Il connut pourtant un succès certain dans les sciences humaines et fut repris par nombreux linguistes, notamment par Jakobson, avec un modèle qui n'est pas sans rappeler le schéma de Shanon et Weaver, auquel il apporte quelques compléments :

R.Jakobson, Essais de linguistique generale (1963).

Ce schéma est le modèle classique de l'étude de la communication en tant que codage et décodage, la définissant comme l'étude formelle de ce mouvement encodage-décodage, échangé entre le Ç destinateur È et le Ç destinataire È. Tel deux tennismen s'échangeant une balle sur un court de tennis, les interlocuteurs sont ici vus comme s'échangeant à tour de rTMle des Ç bulles de signification È. Dans un tel schéma, Ç les messages sont représentés comme des contenus insérés dans des mots, phrases, textes (contenants), transmis d'un émetteur à un récepteur, puis décodés par un processus inverse à celui de l'émission. È (Moeschler,1994:16) De nouveau, ce modèle présente la communication comme le codage d'un message par un code connu identique chez tous les sujets parlants cette langue, et perpétue la supériorité du code, de la langue sur le discours, excluant de l'étude de la communication le sujet parlant en contexte mondain ordinaire ; un modèle oü Ç les paramètres du sujet et de la variation (ont été) évacu(és) de la "langue", en les reléguant à la "parole". È (Fuchs&LeGoffic,1996:9)

On retrouve ce type d'exclusions dans la grammaire générative, théorisée par Chomsky, et postulant l'existence d'un Ç code qui associe une représentation sémantique à une forme phonologique È (Sperber&Wilson,1989:22) organisant le

langage en profondeur. Bien que faisant un premier pas vers l'inclusion des locuteurs, son approche n'en reste pas moins une approche typiquement codique. En effet, la communication fonctionnerait par une mise en opposition de deux idiolectes intériorisés par les interlocuteurs, structures appartenant à une languecode intériorisée, dans lesquelles les locuteurs viendraient injecter du sens avant de le transmettre par le schéma de transmission d'informations. La théorie générativiste renferme donc bel et bien, malgré ce qui pourrait sembler être un premier pas vers la pragmatique par l'inclusion du vis-à-vis des interlocuteurs, le modèle de la languecode, qui se retrouverait dans un catalogue de Ç structures profondes È, utilisées par les locuteurs, sans tenir compte de la situation d'énonciation.

Tous ces schémas fondent le sens d'une communication sur sa construction grammaticale correcte ainsi que dans sa vériconditionnalité, c'est-à-dire qu'un énoncé ne peut avoir de sens qu'à condition qu'il respecte une grammaire (un code intériorisé de grammaticalité) correcte, et qu'il exprime des arguments qui puissent être vérifiés/confirmés, ou falsifiés/infirmés. En d'autres termes, une proposition a du sens, et donc peut passer le schéma transmettant l'information, si et seulement si cette proposition est grammaticale et Ç vraie È. (Eluerd,1985:26-29)

Pour utiliser une métaphore sportive, oü l'on comparerait l'analyse linguistique à une analyse d'un match de tennis, on aurait avec cette théorie du code une analyse qui n'aurait pour objet que l'analyse des mouvements de la balle, de laquelle serait exclue l'importance des joueurs (qui ne feraient que suivre des règles), ainsi que l'importance du matériel qu'ils utilisent ou encore du terrain sur lequel ils jouent. On voit dans ce type de modèle l'exclusion directe de la parole au profit de la langue, et donc par le même biais du sujet parlant, préférant laisser l'utilisation de la languecode à des locuteurs idéaux théoriques. On constate également l'exclusion du contexte, l'affirmant comme extra-linguistique et donc ne devant pas figurer au sein de l'étude linguistique, ainsi que l'exclusion du langage ordinaire. On donne principalement pour motivation à cette supériorité de la langue l'idée d'un rejet nécessaire du langage ordinaire qui serait trop complexe et désordonné, nébuleuse qui ne pourrait satisfaire les exigences de théorisation scientifique, justification que la pragmatique va prendre à contrepied.

A.1.3. L'approche pragmatique

La conception pragmatique de la linguistique (terme utilisé pour la première fois par Morris (1938), la définissant comme l'étude de Ç la relation du signe14 à ses interprétants È), s'oriente dans une direction totalement opposée. Comme le résume Blanchet (1995:9), la question que se posent les chercheurs en linguistique pragmatique est : Ç comment le langage (...) produit de la signification, c'est-à-dire des effets, dans le contexte communicatif de son utilisation par les locuteurs. È C'est la conception qui sera suivie dans notre travail.

Malgré son opposition théorique, il serait incorrect de dire que la pragmatique s'est développée en réaction à la linguistique du code. En effet, les linguistes de cette école de pensée exposent leurs idées depuis la même période, Ç en même temps, mais avec un développement retardé. È (Eluerd,1985:31) Nous pouvons regrouper dans cette approche des théoriciens tels que Pierce (1958), Wittgenstein (1921) ou Gardiner (1932)15, et à leur suite Morris (1938), Ducrot (1980), Austin (1962) ou encore Searle (1972), cette liste étant bien sUr loin d'être exhaustive. Les prémisses de ces études se situent dans une non-acceptation de la dichotomie langue/parole, qui imposait une supériorité hiérarchique de la langue sur la parole, excluant de ce fait le langage ordinaire, le contexte mondain, ainsi que le sujet parlant ordinaire. Cette opposition théorique n'invite pas à défaire la hiérarchie et à la renverser, mais plutôt à la prendre comme non pertinente dans l'étude de la communication de par son décrochage théorique de la réalité empirique. Plutôt que de postuler la base de l'étude de la communication sur l'étude d'une langue-code parfaite et idéale, utilisée comme intermédiaire entre deux sujets parlants idéaux, cette approche pose ses fondations dans l'étude des actes de langage ordinaires, utilisés en contextes réels par des sujets parlants ordinaires.

14 Nous rappelons que l'usage que nous faisons du terme Ç signe È est à prendre au sens large, c'està-dire en tant que manifestation sémiotique d'un ou plusieurs signes.

15 Égyptologue de formation, à l'influence sous-jacente sur le développement de la pragmatique, son ouvrage The Theory of Speech and Language fUt publié à Oxford en 1932. Il y développe une analyse des Ç actes de langage ordinaires È, à contrecourant des théories de l'époque. Nous pouvons considérer a posteriori son ouvrage comme pionnier dans l'analyse linguistique pragmatique. L'ouvrage que nous utiliserons et citerons ici est l'ouvrage traduit et introduit par Douay, publié en 1989 aux Presses Universitaires de Lille

Comme nous venons de le dire, la linguistique pragmatique, au travers d'une critique de l'artificialité des théories et des exemples canoniques de la linguistique Ç classique È, pose ses fondations dans l'étude du langage ordinaire. Cette prise de position en faveur du langage ordinaire suppose des fondations théoriques aux antipodes de celles de la théorie du code, notamment en ce qui concerne l'obtention du sens. Puisqu'elle impose une relation stricte dans le signe entre le signifiant (matière acoustique) et le signifié (concept), la théorie du code impose l'obtention du sens à travers le signe aux seules conditions que l'énoncé soit grammaticalement correct, ainsi que possiblement réfutable ou confirmable, le sens reposant donc sur la vériconditionnalité de l'énoncé. Le rejet de la centralité de la vériconditionnalité est fondamentale à la pragmatique, et se retrouve notamment dans la Théorie des actes de langage, développée dans un premier temps par Austin (1962), et à sa suite par Searle (1972). Nous pouvons retrouver dans cette théorie l'opposition entre les actes à valeur descriptive, qui eux sous-tendraient une idée théorique de vériconditionnalité, et les actes à valeur performative, qui eux ne sous-tendraient pas cette idée : ces derniers sont des manifestations sémiotiques qui, par leur énonciation, accomplissent un acte. Ils ne sont ni vrais, ni faux et ne décrivent rien, ils existent uniquement au travers de l'accomplissement performatif par le sujet parlant. Ce point de vue sur les conditions de vérité est également réfuté par Ducrot qui, parmi d'autres, affirme que Ç ce dont parle le locuteur existe réellement ou non ne change rien au fait qu'il en parle et qu'en parlant, il fait comme si cette existence allait de soi. È (Eluerd,1991:103) Cette affirmation admet donc que le sens d'une proposition ne se trouve pas dans ses valeurs de vérité mais dans l'usage qui en est fait, dans l'habitude que cet usage crée. Ainsi, Ç une expression du langage n'a de sens que dans la mesure oü nous pouvons en faire un certain usage. È (ibid:144) Le sens à travers l'usage n'exclut bien sUr pas l'importance de la vérité dans la langue, mais cette vérité n'est pas obtenue par une vérité immanente dans la relation signifiant/signifié, mais par l'usage qui est fait d'une forme sémiotique, par le jeu de langage au travers duquel le signe existe dans le langage ordinaire. Comme le dit Gardiner (1989:257) Ç le discours fait référence à des choses réelles et imaginaires avec une stricte impartialité. È Ce qui légitime l'existence discursive d'un signe est son acceptation mutuelle d'existence à l'intérieur du discours, non pas les conditions de vérité auxquelles il satisferait.

Cette légitimation du sens par l'usage plutôt que par une justification logique est très importante. En effet, la linguistique pragmatique ne s'intéresse pas aux conditions de vérité d'un signe comme renfermant Ç le È sens : dans l'optique pragmatique, ce sens est obtenu à travers l'usage qui est fait au sein de la communauté linguistique par les usagers du langage dont il est question. Cette idée est très importante pour notre développement lorsque nous aborderons l'étude des jeux de langage : les jeux de langage ne trouvent pas leur sens (ou leur non-sens) à l'intérieur de la confrontation des conditions de vérité du signe, mais dans une confrontation de l'usage, de l'habitude qui existe de ce signe. Lorsqu'un locuteur se trouve face à un signe qui lui parait ne pas faire sens, ce n'est pas parce qu'il ne parvient pas à obtenir le raisonnement logique et/ou vériconditionnel qui sous-tend cette séquence particulière, mais bien parce qu'il n'arrive pas à faire converger le signe reçu avec une habitude, un usage de ce signe.

Pour reprendre l'analogie sportive, l'approche pragmatique prend le contrepied de ce qu'était la théorie du code. La pragmatique vient pour analyser non pas le déroulement d'un match idéal entre deux joueurs idéaux mais le déroulement d'un match effectif, c'est-à-dire non pas l'analyse des coups qui suivraient des codes de jeux, idéalisant les mouvements des joueurs en les définissant selon leur vérité ou non, mais l'analyse des coups qui existent dans le déroulement réel d'un match, et donc l'analyse des actes durant le match, légitimés en tant que coup par leur existence, et non pas par leur concordance effective ou non à un code qui préexisterait au jeu, ou par leur déroulement idéal.

Ainsi, la langue-code, parfaite et idéale, outils hypothétiquement adéquat à l'étude linguistique, se légitimerait par une capacité à faire face aux prétendues imperfections du langage ordinaire. Cependant, ce langage ordinaire n'est-il pas celui qui est parfait, et le langage idéal porteur d'imperfection, puisque c'est ce même langage parlé ordinaire qui a survécu et s'est adapté tout au long de l'évolution humaine, ayant permis à l'homme de faire face aux innombrables situations de la vie quotidienne et de se développer intellectuellement ? N'est-ce donc pas, si l'on suit cette idée, la langue-code idéale que nous devrions considérer comme imparfaite, puisque incapable d'envisager une utilisation empirique ? Nous envisageons que cela est le cas, et la suite continuera d'aller dans ce sens.

A.2. La pragmatique et la pertinence

Ç It is not what you said that matters
but the manner in which you said it.
È
William Carlos William.

Note : alors qu'il s'agissait d'un déroulement et un renversement de point de vue théorique dans la partie A.1, nous donnerons ici non pas un changement, mais un afÞnement de la théorie pragmatique. Dans la derniOre partie, nous développerons notre propre modOle.

A.2.1. La fin de l'opposition langue/parole

Nous avons vu que la théorie du code, reposant sur l'opposition langue/parole, engendre un certain nombre d'exclusions. Par la prise de position en faveur de l'analyse du langage ordinaire, la théorie pragmatique vient mettre fin à cette opposition, et donc aux exclusions qui lui était inhérente. C'est la fin de ces exclusions que nous verrons ici.

La théorie pragmatique se base sur un rejet de la notion de monologue, c'està-dire une prise en compte de l'ensemble des interlocuteurs. Fondamentalement, Ç il n'y a de pragmatique possible qu'avec la prise en compte effective des interlocuteurs. È (Eluerd,1985:189) Gardiner (1989) pose rapidement cette prémisse dans son ouvrage, des le §7, intitulé Ç L'origine sociale de l'acte de langage : l'auditeur È dans lequel il soutient que Ç le développement du langage suppose nécessairement un emploi délibéré de sons articulés dans le but d'influencer la conduite d'autrui. È (25) Nous pouvons en effet douter que le langage ne serve qu'à l'expression d'une vie mentale intérieure et personnelle. En effet, pourquoi l'homme utiliserait-il un discours aussi complexe pour exprimer quelque chose que ses pensées suffisent à exprimer pour lui-même ? Pour reprendre la question posée juste avant cette partie, le langage ordinaire est celui qui a fait face aux innombrables situations humaines, celui qui a permis de passer, au cours de l'évolution, des cris primaires au langage complexe qu'on connait à l'homme d'aujourd'hui. C'est donc dans un but coopératif de développement social et collectif que l'homme utilise le discours. Ë travers l'approche pragmatique, communiquer n'est plus utiliser un code pour transmettre une information sur les pensées qui sont propres à un individu,

mais bel et bien prendre part à un discours dialogique en vue d'influencer un
interlocuteur, au travers d'un effort réciproque de coopération pour faire émerger une
inter-compréhension, une mise en commun du sens. Ainsi, le langage a pour fonction
première, non pas d'exprimer les Ç méditations intellectuelles È de l'individu, mais
d'entrer en contact avec l'Autre. Comme le souligne Gardiner (1989:24) : Ç dans bon
nombre de cas, on ne parle de rien en particulier. È Le langage est donc
fondamentalement dialogique, le dialogisme étant, selon la définition de Jacques
(1979 cité dans Douay,2000:36) Ç la distribution effective de l'énonciation sur deux
instances énonciatives, lesquelles sont en relation communicative actuelle. È Avec la
théorie pragmatique, l'essence du langage est la communication, cette
communication passant par l'entrée en interaction de deux (ou plusieurs) individus
qui ne sont plus émetteur et récepteur mais interlocuteurs, interactants ou encore co-
énonciateurs, cette même interaction étant le but premier de la communication : au-
delà de la communication sur les choses, l'homme communique également, et
parfois uniquement, afin d'entrer en contact avec l'Autre. De ce fait, le but de
certaines communications se trouve dans l'entrée en contact et dans l'établissement,
la modification et/ou l'affirmation d'une relation sociale avec autrui. Pour résumer, ce
qui pousse un individu à la parole, ce n'est pas uniquement la transmission
d'information(s) concernant l'expression de ses pensées, mais bien majoritairement
l'entrée en contact avec autrui dans une situation interactive de communication
ordinaire, le positionnement d'un acte de langage individuel vis-à-vis de celui de
l'Autre. Il devient impossible d'ignorer l'importance qu'a le contexte dans l'interaction.
Ignorer le contexte dans lequel le signe se produit revient à prêter à toute
manifestation sémiotique un lien immanent entre le signe et le sens auquel il renvoie,
inséparable et irréductible, indépendant de tout contexte, définissant le signe comme
un signe-étiquette posé sur chaque chose. C'est l'optique inverse que la théorie
pragmatique suit, qui est l'optique selon laquelle tout acte de langage Ç a lieu dans
un contexte défini par des données spatio-temporelles et socio-historique. È (Fortin,
2007:111) La prise en compte du langage ordinaire dans cette théorie suppose
d'accepter que chaque signe, dans son énonciation ordinaire, est dépendant du
contexte dans lequel il se trouve, en ce sens qu'il est influencé par le contexte, et en
même temps le modèle. Le signe n'apparait plus comme transparent, ce n'est plus
un signe-étiquette, car Ç potentiellement, tout mot qui est prononcé peut faire

référence à l'univers entier. È (Gardiner,1989:51) Cette importance du contexte se trouve dans l'analyse que Benveniste (1966) fait des pronoms personnels : si l'on ne considère pas le contexte dans lequel appara»t la communication, à quoi renvoient les pronoms je et tu ? En effet, les pronoms personnels ne peuvent être classés dans la catégorie des signes-étiquettes, puisque ce sont des signes qui renvoient à un Ç extra-linguistique È constamment renouvelé dans chaque contexte, tout comme le sont des signes tels que idi et maintenant. Ducrot, quant à lui, distingue la phrase comme Ç être linguistique abstrait È de l'énoncé Ç occurrence particulière, unique, (...) réalisation concrète de la phrase dans une énonciation È (Ducrot,1979 cité dans Eluerd,1985:97). Nous retrouvons un développement plus radical chez certains penseurs avec un refus de l'existence possible d'un sens littéral qui existerait Ç hors contexte È. Ce rejet d'un sens littéral Ç hors contexte È qui existerait au sein de la langue, abstrait indépendant de toute circonstance contextuelle, se rencontre chez Gardiner, à une période antérieure à la théorie de Ducrot, et à la suite de Ducrot chez Searle. Dans son article Le sens littéral, traduit dans Sens et expression en 1982, Searle annonce qu'il contredira Ç l'idée que, pour toute phrase, le sens de la phrase peut être interprété comme le sens qu'elle a quand elle est prise hors de tout contexte. È Searle, et Gardiner avant lui, défendent l'importance du contexte dans la création du sens, puisque ce sens est obtenu via la mise en relation des signes et des informations d'arrière plan, en d'autres termes, le signe sert de complément aux éléments d'arrière plan, et avec le signe, les interlocuteurs Ç ne disent pas tout È, mais uniquement ce qui est nécessaire pour compléter cet arrière plan, chacun mettant en place une stratégie inférentielle de compréhension. C'est cette stratégie inférentielle qui sera développée dans la partie suivante.

Pour continuer l'analogie sportive, considérer l'étude du langage au travers du prisme de la pragmatique revient à analyser l'échange des deux joueurs d'un match de tennis, en analysant leurs coups réels, empiriquement effectués sur un court de tennis particulier, en envisageant que les conditions de jeu influencent la façon dont jouent les deux adversaires/partenaires et qu'aucun coup ne peut se faire hors du terrain. Cela revient aussi à envisager que chaque joueur adapte son jeu en fonction du terrain et des conditions de jeu dans lequel il se trouve, mais aussi de la façon dont il souhaite que son coup atteigne son adversaire/partenaire.

A.2.2. Le modèle inférentiel

Ë la suite de l'étude pragmatique et de la fin de la dichotomie langue/parole, la prise en compte du sujet parlant et du contexte fut approfondie par Grice et les théoriciens à sa suite, avec le concept de coopération, d'inférence ainsi que les maximes conversationnelles. On retrouve chez Gardiner un développement qui n'est pas sans annoncer les théories ultérieurement développées par Grice.

Gardiner (1989) donne un rTMle aux signes qui est différent de celui du rTMle qui leur est donné dans la théorie du code. Ë l'inverse d'un signe-étiquette vu comme l'expression d'une pensée, l'existence d'un signe est envisagée comme un indice nécessaire pour compléter le vide communicationnel laissé par le contexte. En d'autres termes, le signe est utilisé afin de combler ce que le contexte d'interaction ne Ç dit È pas :

Les mots sont choisis après une évaluation très précise de leur intelligibilité ; plus la chose dont on parle est éloignée, plus on devra fournir d'indices afin de permettre son identification. En revanche, si la situation est la même pour le locuteur et pour l'auditeur du point de vue temporel et spatial, un seul mot ou indice suffira souvent à l'identification. (...) Les mots ne sont que des indices, la plupart des mots ont un sens ambigu et, dans chaque cas, la chose-signifiée doit être découverte dans la situation, par l'intelligence vive et active de l'auditeur. (1989:51,16,nous soulignons)

Il est important de noter dans cet extrait la notion d'indice et d'intelligence vive et active de l'auditeur. On retrouve à travers ces deux idées l'importance de la situation d'énonciation dans la communication : dans un contexte précis, les interlocuteurs ne codent pas une pensée en un signe transparent pour le transmettre à l'Autre qui viendra le décoder. Ici, l'interlocuteur produit le signe en tant qu'indice de sens, complétant la situation d'énonciation, afin que l'Autre découvre, infère la chosesignifiée. C'est-à-dire qu'une situation contextuelle fournit des indices, qui, s'ils ne sont pas suffisants pour la communication, vont être complétés par des signes. Prenons un exemple concret. Deux amis sont chez l'un en pleine discussion. Celui qui est reçu a terminé son verre. Celui qui reçoit va donc lui en proposer un nouveau. Il peut le resservir directement, mais aussi lui proposer, par un simple signe élocutionnel montrant la bouteille ou encore en lui disant Ç Un autre ? È Ici, nous le voyons bien, nous ne sommes pas dans une situation de phrases ou de signes qui pourraient être vus comme elliptiques, oü le complément serait fourni par des signes tronqués. Au contraire, ce qui fournit le complément, c'est le contexte. Tout dans le

contexte est indice de ce que l'hôte souhaite signifier, et le signe qu'il produit est un complément d'indices de ce que la situation d'énonciation ne possède pas. Dans la conception de Gardiner, ce qui guide la production d'un signe, ce n'est pas la transformation d'une pensée en signe(s) via un code, mais bien une Ç visée communicative > (Douay,2000:45) du signe. Ce qui légitime l'utilisation d'un signe est le fait que l'interlocuteur reconnaisse que le locuteur communique à travers ce signe. Les interlocuteurs sont dans une situation de coopération pour trouver un accord sur le sens, plutôt que dans une situation de codage-décodage.

Ainsi, Gardiner souligne, bien avant Grice, l'importance de la coopération dans la communication. Nous retrouvons cette notion chez Grice, qui la formalise notamment dans deux de ses articles Meaning (1957) et Logic and Conversation (1975). Dans son premier article, il développe l'idée que le sens est obtenu gr%oce à la reconnaissance par l'interlocuteur des intentions communicatives du communicateur. Il y fait la distinction entre les signes signifiant naturellement et ceux signifiant nonnaturellement, c'est-à-dire produits intentionnellement et non-intentionnellement. Ce qui fait qu'un signe puisse signifier non-naturellement, donc par convention, c'est l'effort du locuteur pour rendre explicite son intention de produire un effet à travers ce signe, et en retour la reconnaissance par l'interlocuteur de cette intention de communiquer, c'est-à-dire une capacité à communiquer et à méta-communiquer (à communiquer que l'on communique).16 Nous retrouvons également chez Grice (1975), l'approche des signes comme indices de l'intention communicative : lorsque un auditeur reconnait l'intention qu'a le locuteur de communiquer, il va chercher à se représenter ce que le locuteur veut communiquer. Les interlocuteurs possèdent la capacité de se représenter ce que Grice (1975) appelle les Ç implicatures conversationnelles >. Nos conversations n'étant pas Ç une succession de remarques décousues >, mais un Ç effort coopératif >17, l'interlocuteur a donc toutes les raisons de s'attendre à ce que le locuteur lui fournisse les indices nécessaires, qui, une fois mis en parallèle avec le contexte, l'amèneront à la compréhension du sens. D'après Grice, ce Ç principe coopératif > trouve en lui l'accord des interlocuteurs sur un

16 Nous avons déjà abordé cette question dans l'avant propos AP.2.

17 Grice,1975:45: Ç Our talk exchanges do not normally consist of a succession of disconnected remarks, and would not be rational if they did. They are characteristically, to some degree at least, cooperative efforts. >

certain nombre de principes, appelés maximes conversationnelles, qui sont au nombre de quatre : la quantité (faites que votre contribution contienne autant d'informations que nécessaire, mais pas plus), la qualité (faites que votre contribution soit vraies), la relation (soyez pertinent) et la manière (soyez clair)18. Partant de la présomption que chaque interlocuteur est implicitement en accord sur ces maximes, et que la violation d'une maxime aura un effet particulier producteur de sens, tout signe est donc indice qui permet à l'interlocuteur d'inférer ce que le locuteur a voulu signifier. Par exemple, si la réponse à la question Ç A quelle heure viens-tu ? È est Ç Dans l'après-midi ! È le premier pourra inférer de la réponse du second que celui-ci, adhérant au principe de coopération, ne donne pas plus d'informations car il ne les possède pas et n'est pas capable de donner une heure précise. Il infère donc, en mettant le signe en relation avec le contexte, et à travers les maximes conversationnelles, ce que le locuteur a voulu signifier. Pour résumer, les deux interlocuteurs coopèrent implicitement pour se comprendre à travers l'acceptation de l'implicature que composent les quatre maximes, cette implicature conversationnelle qu'est le principe de coopération étant un accord sur un ensemble de Ç principes de conversation È à respecter dans le discours.

Le modèle que nous venons de voir est appelé Ç modèle inférentiel È puisqu'il base l'obtention du sens sur l'action de reconnaissance par l'interlocuteur des indices laissés par le locuteur, indices qui, une fois mis en parallèle avec le contexte et l'ensemble de l'implicite du discours, permettent d'inférer des conclusions qui sont logiquement impliquées par le contexte, selon ce modèle, Ç communiquer, c'est produire et interpréter des indices. È (Sperber&Wilson,1989:13)

Fondamentalement, ce qui distingue l'analyse gricéenne des autres théories, c'est de suggérer que la reconnaissance de l'intention de communication puisse suffire à l'existence d'une communication, et donc qu'il puisse exister une communication uniquement inférentielle. Sperber et Wilson, dans leur ouvrage La Pertinence (1989), vont reprendre ces théories développées par Grice et Gardiner, mais ne retenir qu'une seule des quatre maximes, englobant toutes les autres : Ç soyez pertinent È.

18 Nous n'avons pas développé les sous-maximes propres à chacune, qui sont des explicitations de la maxime générale.

A.2.3. La pertinence

De Grice, Sperber et Wilson, garderont plusieurs principes : le principe d'expression et de reconnaissance de l'intention communicative, le principe d'inférence ainsi que celui de coopération. Cependant, ils ne reconnaissent pas à ce principe de coopération un ensemble strict de maximes qui seraient partagées par les interlocuteurs, mais au contraire voient ces maximes comme pouvant se résumer à une seule d'entre elle : Ç Soyez pertinent È. De plus, on ne retrouve pas dans leur travaux une distinction aussi nette entre le modèle du code et le modèle de l'inférence. En effet, Ç la communication verbale met en jeu à la fois des processus de codage et des processus inférentiels. È (ibid:13) Dans leur théorie, ils reprennent le modèle inférentiel de la communication développé par Grice, afin de l'insérer dans une théorie qui reconnait la communication comme intégrant du code, mais en tant que partie intégrante d'un système inférentiel, et donc un système oü la compréhension est une phase de décodage d'une forme logique linguistiquement codée, livrant des possibilités d'interprétation, qui, une fois enrichies par le contexte, permettent à celui qui comprend d'inférer des conclusions hypothétiques sur l'intention communicative du locuteur19. Comme ils l'écrivent (ibid:55) : Ç les hypothèses de Grice peuvent constituer le point de départ d'une telle analyse théorique. Ë cet égard, la principale faiblesse des hypothèses de Grice n'est pas de définir la communication de manière trop vague, mais d'en proposer une explication trop pauvre. È En effet, le modèle gricéen, bien qu'entièrement pragmatique, est toutefois lui aussi critiquable, puisqu'il revient à considérer qu'un joueur joue en analysant uniquement les intentions de jeu de son partenaire. La théorie de la pertinence remet aussi en cause la nécessité de suivre des maximes aussi strictes, ainsi que l'utilisation délibérée d'une violation ou d'une déviance d'une ou plusieurs maxime(s) afin de produire du sens. Ce qui fait sens, ce n'est pas le respect ou non

19 Sperber&Wilson (2004) :Ç An utterance is a linguistically coded piece of evidence, so that verbal comprehension involves an element of decoding. However, the linguistic meaning recovered by decoding is just one of the inputs to a non-demonstrative inference process which yields an interpretation of the speaker's meaning. È Wilson&Sperber (1993:1) : Ç a modular decoding phase is seen as providing input to a central inferential phase in which a linguistically encoded logical form is contextually enriched and used to construct a hypothesis about the speaker's informative intention. È

Il est important de constater ici que le décodage ne concerne pas un signe-étiquette, mais bien une forme logique. L'inférence suppose une capacité humaine méta-représentationnelle : les interlocuteurs sont capables de se représenter les représentations mentales de l'Autre.

de ces maximes, mais plutôt la coopération mutuelle pour signifier de façon optimale la pertinence d'un énoncé.20

La communication humaine est donc un processus guidé par une recherche de la pertinence optimale. La recherche de la pertinence n'est pas propre à la communication, mais à l'ensemble des processus cognitifs humains. Dans l'ensemble, tout processus cognitif humain cherche à optimiser sa pertinence. Un input est maximalement pertinent lorsqu'il crée un maximum d'effets pour un minimum d'effort cognitif. Ce qui fait la pertinence d'un stimulus au sein de la masse de stimuli disponibles est ce rapport effet/effort, à savoir que plus un stimulus a d'effets et moins il nécessite d'effort cognitif de traitement, plus celui-ci sera pertinent. Pour qu'un stimulus soit pertinent, il faut que l'effort cognitif qu'il entraine soit justifié par l'effet cognitif qu'il crée. Ainsi, tout système cognitif humain cherche à optimiser la pertinence, non pas par choix, mais suite à son évolution. La communication, processus majoritairement cognitif, ne déroge pas à cette règle. Lors d'un échange interlocutif, est considéré comme pertinent tout input dans le système qui, après avoir été mis en relation avec son arrière plan cognitif ainsi qu'avec le contexte d'énonciation, permet une inférence chez un interlocuteur et crée les effets cognitifs désirés, également appelé Ç effets cognitifs positifs È. Lorsqu'ils communiquent, les interlocuteurs sont dans un système coopératif oü chacun fait un effort pour comprendre et pour se faire comprendre. Ainsi, connaissant la tendance de chacun à maximiser la pertinence, ils sont amenés à produire un signe qu'ils considèrent comme assez pertinent pour permettre à l'Autre de faire appel aux informations d'arrière-plan de la situation d'interlocution et d'inférer la conclusion souhaitée, c'està-dire qu'un interlocuteur est supposé produire un stimulus assez pertinent (à l'intérieur de ses limites d'aptitudes et de préférences) pour être relevé et traiter cognitivement le plus simplement possible par l'Autre. En même temps, un interlocuteur, sachant que l'Autre coopère pour fournir un stimulus aussi pertinent que possible, va en contrepartie choisir celui qui lui semble le plus pertinent dans la situation de communication comme indice des conclusions à inférer, en suivant un chemin de moindre effort. La compréhension s'effectue donc à travers l'inférence de conclusions depuis un nombre de reconstructions à partir d'hypothèses qui tiennent

20 Sperber&Wilson (2004) : Ç The central claim of relevance theory is that the expectation of relevance raised by an utterance are precise enough, and predictable enough, to guide the hearer towards the speaker's meaning. È

au contenu de la production, mais aussi aux prémisses contextuelles et à ses conclusions. De ce fait, tout énoncé produit dans la communication communique avec lui la présomption de sa pertinence optimale. Selon Sperber et Wilson (1989:11), le but de la communication est de modifier l'environnement de l'Autre, en amenant Ç le second dispositif à construire des représentations semblables à certaines des représentations contenues dans le premier È, son ressort principal reposant sur la reconnaissance par l'interlocuteur de l'intention communicative du locuteur. En d'autres termes, une communication est une communication lorsqu'elle sous-tend un désir d'être ostensiblement inférentielle, i.e. lorsqu'elle est Ç ostensivo-inférentielle È. Ainsi, une communication est réussie lorsque l'interlocuteur reconnait que le locuteur produit des signes ostensivo-inférentiels.

Pour poursuivre l'analogie, l'analyse du jeu de deux tennismen doit prendre en compte ce que les joueurs envoient, mais aussi la façon dont ils l'envoient, le terrain sur lequel ils jouent, les handicaps de chacun, etc., toute Ç passe È d'un joueur étant la combinaison de ces différents facteurs. Certaines communications sont codées, d'autres existent sans qu'aucun code ne puisse les déchiffrer : l'ensemble étant guidé par le processus d'inférence, optimisé par la recherche d'une maximisation de la pertinence, le contenu communiqué par une production allant au delà de ce qui est linguistiquement encodé21. Dans le modèle de Sperber et Wilson, ce qui est linguistiquement codé ne fait pas appel à un codage-décodage comme nous pouvions le trouver dans les théories du code : les deux interlocuteurs ne possèdent pas chacun une copie identique d'un code dont ils se serviraient pour coder et décoder un signe. Ce qui est codé dans ce modèle, c'est un signe faisant appel à un savoir encyclopédique propre à chacun, ainsi, chaque signe fait potentiellement appel au savoir encyclopédique de l'interlocuteur qui, à l'aide du contexte, va réduire ces informations encyclopédiques de façon à ne faire ressortir que le sens qui sera pertinent en contexte.

Dans ce modèle, la communication est guidée par le processus de pertinence, qui se définit comme la recherche de l'optimisation des processus intrinsèques à la

21 Sperber&Wilson,2004 : Ç The explicitely communicated content of an utterance goes well beyond what is linguistically encoded. È

communication, à savoir la compréhension et la production. La communication est vue comme essentiellement collaborative, c'est-à-dire que chaque interlocuteur est supposé fournir un effort relativement maximal afin de pouvoir s'inter-comprendre. Cet effort d'inter-compréhension va donc amener le locuteur à produire un stimulus qui est optimalement pertinent (dans les limites de ses capacités et de ses aptitudes), et l'Autre, s'attendant à ce que l'interlocuteur lui fournisse un stimulus optimalement pertinent, va inférer du stimulus qu'il reçoit que la conclusion qui lui semble la plus pertinente est celle que l'interlocuteur a voulu lui communiquer, la pertinence optimale d'un stimulus se trouvant dans un effort cognitif se justifiant par un effet cognitif équivalent. On y retrouve un rappel de la théorie du code, en ce sens que la théorie de la pertinence prend le code comme une partie des inputs du processus inférentiel, mais, au contraire de la théorie du code dans laquelle le signe est vu comme une étiquette, ce qui est encodé dans la théorie de la pertinence est une forme logique permettant de renvoyer à une entrée d'informations contenue dans le savoir encyclopédique d'un interlocuteur, et c'est une fois cette forme encyclopédique enrichie par le contexte que le sens apparait.

Le point essentiel pour notre propos, traitant de la communication et de ses jeux, est l'importance de l'inférence dans l'échange interlocutif. En effet, envisager la communication comme dirigée par le processus d'inférence permet d'envisager que les résultats des processus cognitifs à l'oeuvre dans la communication ne sont pas identiques chez les deux interlocuteurs : la compréhension consiste à une reconstruction d'hypothèses sur l'acte de production, une reconstruction des processus cognitifs de l'Autre selon des critères qui sont propres à chacun. Ainsi, une représentation mentale par un interlocuteur ne sera jamais reproduite à l'identique chez l'Autre. Ce qu'engage la communication, c'est d'oeuvrer à fournir des indices afin d'optimiser la reconstruction par l'autre d'hypothèses sur ses représentations mentales, mais malgré tout le soin que peut prendre un locuteur pour optimiser cette pertinence, il ne sera jamais certain de la réussite de la communication, c'est-à-dire certain que la conclusion à laquelle arrivera l'Autre est exactement celle qu'il voulait lui faire inférer.

A.3. L'économie cognitive

A.3.1. La communication comme système

Comme nous venons de le voir, dans le modèle pragmatique ainsi que dans le modèle inférentiel et la théorie de la pertinence, les interlocuteurs communiquent par interaction, c'est-à-dire que leurs décisions de communication sont influencées par la présence et la nature de l'Autre, mais également par le contexte spatio-temporel dans lequel se déroule la communication. Ces particularités correspondent aux caractéristiques d'un système selon la définition de Von Bertalanffy (1973:32&17), qui le définit comme un Ç ensemble d'éléments en interaction les uns avec les autres (...) formé de parties en (...) interaction" fortes" ou "non linéaires".È La communication est plus particulièrement un système ouvert, c'est-à-dire un système qui entretient une relation continuelle entre ses éléments et les éléments de son environnement (ou contexte).

Avant d'aborder ce qui fait les caractéristiques de ce système, nous ferons dans un premier temps un point sur les interlocuteurs engagés dans celui-ci. Comme nous l'avons vu dans ce chapitre, le modèle pragmatique et ensuite son affinement par la théorie de la pertinence fait disparaitre la vision d'une communication basée sur le modèle d'un code utilisé de façon mécanique par des Ç hommes-robots È utilisateurs de signes-étiquettes dans un va-et-vient entre émetteur et récepteur. Le modèle de la pertinence, qui vient contredire la vision de la théorie du code, ne sera pourtant pas totalement adéquat pour notre propos. Même dans la théorie de la pertinence, nous retrouvons l'idée d'un échange alterné entre Ç communicateur et auditeur È, qui, bien qu'affirmant que la production et la compréhension sont des processus simultanés, laisse toujours la place à un échange théoriquement alterné entre deux (ou plusieurs) locuteurs. Ce n'est pas cette vision que nous suivrons. De fait, il est essentiel de concevoir que la compréhension et la production, les deux processus intrinsèques à la communication, sont des processus simultanés, non pas que l'un comprend alors que l'Autre produit, mais bien que les deux processus ont

lieu chez chaque interlocuteur de facon simultanée. En effet, nous avons vu dans l'Introduction22 qu'il était impossible de ne pas communiquer. Ainsi, nous sommes en continuelle position intérieure dans la communication, c'est-à-dire que nous somme toujours en train de communiquer : ce n'est pas parce que nous ne sommes pas en train de Ç parler È que nous ne sommes pas en train de communiquer : un interlocuteur se doit de produire un signe pour signifier à son interlocuteur qu'il est (ou non) dans un processus actif de compréhension de ce que l'Autre produit, un interlocuteur n'est donc jamais dans une position neutre de non-communication en tant que simple Ç auditeur È. En même temps, si celui Ç qui parle È n'est pas en même temps Ç auditeur È, il ne pourrait pas être activement attentif à ce que produit son interlocuteur, de simples notions comme Ç se faire couper la parole È n'existeraient pas, puisque à quoi bon couper la parole à un producteur si celui-ci ne le remarquera pas, n'étant pas en position Ç d'auditeur È ? Ainsi, il existe un rTMle de Ç communicateur È et d' Ç auditeur È si l'on s'en tient au seul caractère phonique de la communication, c'est-à-dire un qui produit un signe locutionnel et l'Autre qui écoute ce signe, mais dans une étude de la communication il n'y a pas de place pour une telle distinction, puisque comme nous l'avons vu, la communication passe par des canaux qui peuvent être autres que locutionnel. C'est pourquoi, pour la suite de cette étude nous préférerons le terme interlocuteur pour désigner un sujet se trouvant engagé dans le système communicationnel, et ainsi nous éviterons les confusions que laisseraient apparaitre l'utilisation des termes cités précédemment.

De plus, ne pas penser les sujets engagés dans le système comme étant simultanément en production et compréhension active contredirait deux des principes fondateurs du système de la communication : le principe de totalité ainsi que le principe de rétroaction ou d'adaptation, le second découlant fondamentalement du premier. La totalité dans un système suppose Ç qu'une modification d'un des éléments entra»nera une modification de tous les autres, et du système entier. È (Watzlawick,1972:123) Ainsi, changer n'importe quel élément à n'importe quel moment modifie le système, que cet élément soit un interlocuteur ou une production sémiotique. Cette totalité entraine les interlocuteurs à devoir

22 Introduction I.1. L'impossibilité de ne pas communiquer

s'adapter aux modifications du système, et ce par le principe de rétroaction23. En effet, si un interlocuteur ne comprenait pas en même temps qu'il produit, comment pourrait-il en adapter sa pertinence ? Nous trouvons empiriquement nombre d'interlocuteurs qui énoncent Ç Tu m'écoutes ? È ou encore Ç Tu as l'air ailleurs È. Sans un processus d'adaptation possible à travers une compréhension simultanée à la production, l'interlocuteur ne saurait pas s'adapter à l'Autre. L'idée d'un système en tant que totalité nous rappelle également qu'au sein d'une interaction, l'influence n'est pas unilatérale : un élément A influence un élément B tout autant que l'élément B influence l'élément A. En communication, tout interlocuteur produit en fonction de l'Autre, à savoir qu'un interlocuteur A influence l'interlocuteur B tout autant que l'interlocuteur B influence l'interlocuteur A. Le principe de rétroaction, que nous venons d'effleurer, est facteur d'une recherche de l'équilibre du système par les interlocuteurs, c'est-à-dire qu'ils cherchent à ce que la mise en commun par la communication se déroule via une pertinence optimale. Cette recherche de l'équilibre est effectuée par recherche d'une pertinence optimale. Nous verrons par la suite à quoi correspond la pertinence et quel est l'équilibre recherché. Le fonctionnement de la rétroaction au sein de ce système autorégulateur (ou autopo
·étique) sera abordé en détail dans le second chapitre.

Un autre principe inhérent au système de la communication est le principe d'équifinalité, c'est-à-dire que dans ce système Ç le même état final peut être atteint à partir de conditions initiales différentes ou par des chemins différents. È (VonBertalanffy,1973:38) Il existe donc plusieurs moyens pour un interlocuteur d'arriver à ses fins, ce qui l'entraine à devoir effectuer des choix, des décisions au sein de l'ensemble des moyens à sa disposition. Ces choix sont motivés par la tendance à la recherche d'un équilibre au sein du système. Avant de développer dans le second chapitre de ce travail plus en détail les processus de production et de compréhension, nécessaire à la rétroaction du système qu'est la communication, ainsi que l'influence de son identité en tant que système ouvert (dans le sens d'une ouverture influençant et influencée par ses environnements), nous reviendrons dans les deux parties terminant ce premier chapitre sur l'incertitude liée à l'équifinalité, ensuite sur les processus cognitifs de pertinence mis en place afin de faire face à cette incertitude.

23 Ce principe sera développé plus en détail dans le Chapitre II.

A.3.2. Retour sur l'incertitude

Comme nous l'avons vu dans la partie A.2.3., le principe fondateur gouvernant la cognition lors de la communication est celui de l'inférence.

Ainsi, les interlocuteurs ne décodent pas un message qu'ils Ç reçoivent È, ils infèrent des conclusions tirées du parallèle fait entre les prémisses présentes dans le contexte et les indices laissés par l'un (ou chacun) d'entre eux. Comme le disent Sperber et Wilson (1989:27), à propos de l'opposition entre l'inférence et le décodage, Ç un processus inférentiel a pour point de départ un ensemble de prémisses et pour aboutissement un ensemble de conclusions qui sont logiquement impliquées ou, au moins, justifiées par les prémisses. Un processus de décodage a pour point de départ un signal et pour aboutissement la reconstitution du message associé au signal par le code sous-jacent. È Inférer, si l'on reprend la définition du Nouveau larousse encyclopedique (1994), c'est Ç tirer quelque chose comme conséquence d'un fait, d'un principe. È De ce fait, la communication est un processus déductif, c'est-à-dire dans lequel les communicateurs partent de leurs prémisses pour tirer des conclusions, l'ensemble des prémisses qu'il existe à un énoncé constituant son contexte. Cependant, comme nous l'avons déjà abordé dans l'Introduction24, les conclusions auxquelles arrive chaque communicateur ne peuvent être déduites de façon certaine : bien que partageant un contexte mondain potentiellement manifeste pour les deux, les prémisses des deux interlocuteurs ne sont jamais entièrement semblables, c'est-à-dire que les deux interlocuteurs ne possèdent pas un Ç savoir mutuel È qu'ils partageraient de façon certaine. Un interlocuteur ne sait jamais si les conclusions post-compréhension que l'Autre va tirer de sa production seront les conclusions souhaitées, et en même temps, un interlocuteur ne peut arriver à être certain que les conclusions tirées de sa compréhension sont celles auxquelles l'interlocuteur produisant a voulu arriver. Ce que chacun forme, gr%oce à ses capacités méta-représentationnelles (capacités de se représenter les représentations de l'Autre), ce ne sont que des hypothèses sur le processus cognitif qui ont amené l'Autre à cette communication particulière. Ainsi, la communication est un mécanisme

24 Voir Introduction I.2. L'incertitude

assurant Ç un succès tout au plus probable, mais non certain. È (Sperber&Wilson, 1989:33)

Nous ne pouvons contredire que dans toute communication, ce que souhaite chacun, c'est se faire comprendre, et donc réduire au maximum la divergence potentielle entre les conclusions auxquelles la production veut emmener la compréhension et les conclusions auxquelles arrivent effectivement la compréhension. Inconsciemment, le système déductif utilisé par les interlocuteurs est donc amené à effectuer des choix parmi l'ensemble des hypothèses possibles. Ces décisions sont guidées par le processus de pertinence. Selon la définition de Hjrland et Christensen (2002), Ç une chose A est pertinente pour la tâche T lorsqu'elle augmente les chances d'arriver au but G, lui-même impliqué par T È. De ce fait, toute hypothèse est pertinente pour un locuteur lorsque, en tant que résultat du processus d'inférence, elle lui apparait comme augmentant les chances d'arriver à la minimisation de la divergence des conclusions souhaitées et effectives. Les interlocuteurs n'ayant jamais des prémisses homogènes, chacun produit et comprend en fonction d'une pertinence qui lui est propre, mais aussi en fonction de celle qu'il suppose à l'Autre, c'est-à-dire que chaque production est porteuse de sa pertinence optimale, et que chaque interlocuteur produisant est mené à penser que l'Autre possède les prémisses nécessaires pour tirer les conclusions souhaitées.

Nous avions abordé dans l'Introduction l'analogie que nous pouvions faire entre cette incertitude de la communication et l'expérience de pensée du chat de Schrdinger : un chat est enfermé dans une bo»te, et à un moment aléatoire, un poison peut se renverser dans la boite. Ainsi, tant que la bo»te n'est pas ouverte, nous ne pouvons juger que de la probabilité que le chat soit encore en vie ou non, un expérimentateur voulant ressortir au moment Ç pertinent È un chat vivant ou mort ne peut que juger des probabilités de l'état de celui-ci avant d'ouvrir la bo»te. Il en va de même pour la communication. Tant que le signe n'est pas produit, le locuteur ne peut que suivre des hypothèses, qui l'amèneront à produire l'énoncé aux probabilités de pertinence les plus grandes. Pour ce qui est de la compréhension, l'interlocuteur est amené à reconstruire des hypothèses sur le raisonnement qui a amené l'Autre à choisir ce moment précis pour ouvrir la boite, ou cet énoncé comme porteur de probabilités de pertinence les plus grandes. On retrouve dans cette idée le concept

économique de Ç l'incertitude stratégique È, qui est Ç l'incertitude qui découle de l'interaction des agents, l'environnement est tel que chaque individu doit anticiper le comportement des autres pour prendre sa propre décision. Ici ce n'est pas la "trop faible" rationalité des agents qui est source d'incertitude mais au contraire leur trop parfaite rationalité. È (Viviani,1994:112) Nous retrouvons cela dans notre sujet : l'incertitude au sein de la communication est due au fait que, par essence, la communication est une interaction au sein d'un environnement, et que chacun prend des décisions de communication, en anticipant par hypothèses et décisions sur les hypothèses et décisions de l'Autre. Ainsi, ce qui amène de l'incertitude dans la communication n'est pas Ç l'irrationalité È des décisions d'un interlocuteur, mais au contraire le fait que, rationnellement, un locuteur est conscient qu'il ne lui est possible que d'anticiper et jamais prédire, il ne peut que créer des hypothèses et jamais des certitudes.

La communication est un processus complexe dans lequel chaque échange a pour résultat un ensemble d'hypothèses sur les intentions de l'Autre, mais aussi sur le résultat de l'efficacité de la production de chacun. Les interlocuteurs cherchent à ce que l'Autre reconnaisse leur intention communicative, mais aussi à ce qu'il arrive à certaines conclusions. Se basant sur l'inférence et non sur le décodage25, la communication laisse chacun dans une situation d'incertitude face à l'efficacité effective des processus cognitifs de l'Autre. Cependant, cherchant à comprendre et à se faire comprendre, les interlocuteurs utilisent un système qui est auto-régulé, à savoir un système cybernétique permettant le feedback. Nous verrons cette notion dans le chapitre II. Avant de voir cette notion, nous développerons le fonctionnement de la pertinence dans le système.

25 Décodage selon la définition de la théorie du code

A.3.3. Le modèle économique-efficace

Comme nous venons de le voir, la communication est un système dans lequel sont engagés des interlocuteurs. Une des propriétés de ce système est qu'il répond au principe d'équifinalité, c'est-à-dire qu'un état particulier du système peut être atteint depuis des conditions initiales différentes mais aussi via des utilisations, des Ç voies È différentes. Ainsi, il peut atteindre un état qui est indépendant des conditions initiales depuis lesquelles il évolue, et donc un état dU à des influences environnementales ou à une production spontanée par et dans le système. De ce fait, les interlocuteurs doivent faire des choix d'utilisation, guidés par le processus de pertinence, afin de choisir parmi les différentes hypothèses à leur disposition afin d'arriver aux conclusions souhaitées ; en d'autres termes, un utilisateur du système va produire des indices et inférer des hypothèses qui vont être optimalement pertinents. Nous allons ici développer les critères qui font cette pertinence.

Selon Sperber&Wilson, la pertinence est un processus d'optimisation de la communication par production d'un signe créant le maximum d'effets contextuels, un effet contextuel étant la conclusion d'une Ç déduction utilisant comme prémisses l'union d'informations nouvelles P et d'information anciennes C. È (1989:168) Ainsi, un effet contextuel est la création d'une conclusion prenant pour prémisse la jonction d'une information nouvelle avec une information plus ancienne. C'est la création de d'effets contextuels maximales que recherche les interlocuteurs à travers un minimum d'effort cognitif, c'est-à-dire qu'une Ç hypothèse est d'autant plus pertinente dans un contexte donné que ses effets contextuels y sont plus importants (et) (...) que l'effort nécessaire pour l'y traiter est moindre. È (ibid:191) Ce n'est cependant pas tout à fait la terminologie que nous utiliserons. Comme nous l'avons vu, notre vision de la communication est celle d'une interaction totale écartant l'idée d'un tour de parole quelconque. Or, pour rendre compte de cette interaction totale, nous nous devons d'utiliser une terminologie qui répond des deux processus de compréhension et de production de façon égale.

Comme nous l'avons vu précédemment, les interlocuteurs possèdent une capacité cognitive de compréhension inférentielle depuis les indices laissés par la production. Une pertinence non-optimale n'est pas due à une incapacité de compréhension (car, rappelons le, tout interlocuteur possède la capacité cognitive inférentielle lui permettant de comprendre les indices), mais à une économie lors de la production d'indices qui est trop forte de la part d'un interlocuteur. De ce fait, nous considérerons que tout interlocuteur est capable de comprendre une production si et seulement si cette production produit efficacement, c'est-à-dire si elle produit assez d'effets contextuels pour sa compréhension. C'est à la production qu'il Ç incombe de ne pas se tromper et de savoir quels codes et quelle information contextuelle (l'autre) est à même d'utiliser dans le processus de compréhension. È (ibid:73)

Ainsi, envisageons un exemple, qui sera bien sUr schématique : si un interlocuteur A produit à un autre interlocuteur B le signe locutionnel S suivant : Ç J'ai vu le dernier King dans la boutique en bas de la rueÈ, il est évident que A présuppose que le signe-indice Ç King È est suffisamment efficace pour que la compréhension mène B à la conclusion souhaitée par A, à savoir que pour référer au dernier ouvrage de Stephen King, DTMme, il peut faire l'économie d'indices supplémentaires à King. Cependant, si B n'arrive pas à la conclusion à laquelle veut le mener A, ce n'est pas parce qu'il n'arrive pas à fournir l'effort nécessaire à la compréhension, mais bien parce que A a été trop économique dans sa production de signe, c'est-à-dire que A n'a pas produit assez d'indices pour que B comprenne, à savoir qu'ici, B peut comprendre que le dernier King est Duma Key, si B ne connait pas l'existence de l'ouvrage plus récent DTMme, voire même que King est la chanteuse Diana King. Schématiquement, pour que B comprenne A à travers S, il faut que A fournisse un nombre n d'indices à B pour être assez pertinent pour la compréhension par B. Or, si B ne comprend pas A, ce n'est pas par effort trop élevé lors de la compréhension, mais bien parce que A envisage que B comprendra avec moins d'indices que n, et est trop économe dans sa production pour être efficace.

Ce modèle permet également de rendre compte des communications qui sont dans un premier temps source d'incompréhension : quand un locuteur n'est pas familier avec l'interlocuteur, il suivra d'abord sa propre économie cognitive, avant de l'adapter s'il s'aperçoit que cette économie est trop grande par rapport à l'efficacité

nécessaire à une compréhension juste. De fait, le modèle coUt/effet ne rend pas compte de façon juste de ces incompréhensions en considérant que les incompréhensions et ambigu
·tés sont dues à un coUt trop élevé par rapport à l'effet : encore une fois, ce modèle ne prend en compte que le niveau compréhension et pas le niveau production, n'expliquant pas pourquoi la production du locuteur engendre un coUt trop élevé, c'est-à-dire que la théorie coUt/effort développée par Sperber et Wilson analyse la pertinence dans une optique de la compréhension verbale. Notre terminologie s'adaptant aux deux processus de la communication, elle nous para»t donc plus adaptée pour rendre compte de la communication en tant qu'interaction ainsi que de ses jeux. Ë travers la notion économie-efficacité, nous pouvons rendre compte des ambigu
·tés de façon juste.

Ces ambigu
·tés existent uniquement dans le processus de compréhension, en effet, considérer que l'on puisse produire des énoncés ambigus pour nous même est une idée fausse qui ne se retrouve jamais dans la conversation réelle, en d'autres termes, lorsque nous communiquons, nous Ç savons ce que nous voulons dire È, nous ne produisons jamais d'énoncés non pertinents pour notre propre compréhension. En d'autres termes, l'énoncé n'est jamais ambigu pour celui qui le produit. Comment est-il possible que celui-ci deviennent ambigu avec la compréhension ? Ce phénomène appara»t lorsque celui qui produit suit sa propre économie cognitive sans envisager (ou sans conna»tre) l'équilibre nécessaire pour arriver à être efficace, c'est-à-dire en suivant son propre sens du signe, sans envisager les informations potentiellement nécessaires à la compréhension par l'Autre.

Pour résumer, nous ne contredisons pas le développement fait par Sperber et Wilson, nous nous permettons de le reformuler. La terminologie utilisée par ces derniers ne permet pas d'envisager un point de vue totalement interactionnel, puisqu'elle renferme toujours l'idée d'un Ç communicateur È produisant ce qu'il envisage comme pertinent pour la compréhension par Ç l'auditeur È en fonction de coUts et d'effets cognitifs. Or, cette idée contredit ce que nous avons vu précédemment. Est pertinent en communication ce qui optimise les tâches de compréhension et de production, la pertinence ne peut donc recouvrir le seul processus de compréhension, mais se doit de recouvrir les deux processus, ce que

fait la terminologie économie-efficacité, les deux processus devant être économiques et efficace, l'économie s'effectuant pour soi et l'efficacité pour l'entièreté du système.

Ainsi, la compréhension est indissociable de la production, et ces deux tâches cognitives sont dirigées par la notion d'inférence, c'est-à-dire que l'on produit et l'on comprend en posant des hypothèses sur les capacités cognitives représentationnelles de l'Autre. Chaque interlocuteur partage la supposition que l'Autre est pertinent dans sa production, qu'il utilise optimalement les moyens à sa disposition pour maximiser la compréhension, et va ainsi, par économie, utiliser ses capacités inférentielles pour comprendre ce qui lui est le plus directement accessible, car Ç même si dans le processus de compréhension les données et les hypothèses dont on pourrait en principe tenir compte sont innombrables, les seules dont on tienne compte en fait sont celles qui sont directement accessibles. È (ibid:105) L'interlocuteur qui produit envisage que sa production est économique pour éviter le superflu mais aussi qu'elle va produire assez d'effets contextuels (c'est-à-dire être assez efficace) pour que la compréhension-économique arrive aux conclusions voulues. Nous soutenons l'idée que tout interlocuteur est capable de comprendre une production à condition que celle-ci produise assez d'effets contextuels pour être comprise. Ainsi, selon notre terminologie, si une incompréhension survient, ce n'est pas parce que la compréhension demande trop d'efforts, mais bien parce que la production a été trop économique. De ce fait, un signe est pertinent lorsqu'il crée un équilibre entre l'économie et l'efficacité, c'est-à-dire lorsque la production fait l'économie du superflu en restant assez efficace pour permettre à la compréhension d'arriver aux conclusions souhaitées.

Nous rappelons que la communication recouvre la communication ainsi que la méta-communication, il en va ipso facto de même pour la pertinence. Un signe peut être non pertinent à un niveau communicationnel mais pertinent à un niveau métacommunicationnel : un interlocuteur peut vouloir communiquer une Ç non-communication È, c'est-à-dire communiquer qu'il ne souhaite pas communiquer, ou encore l'informer qu'il est capable de fournir une économie cognitive que l'Autre ne peut pas fournir, afin d'affirmer une supériorité de ses capacités cognitives ou encore afin de signifier qu'il connait mieux un sujet que l'Autre. Ainsi, une production peut sembler trop économique, mais cette économie peut être elle même pertinente, car l'effet contextuel visé se situe à un niveau méta-communicationnel.

B. Théorie du système

communicationnel

Nous venons de voir comment la communication ne pouvait se satisfaire de l'approche de la théorie du code, fondée par Ferdinand de Saussure. De par l'imposition d'une supériorité de la langue sur le langage, la théorie de la transmission crée une inévitable exclusion de la situation communicationnelle ainsi que des interlocuteurs, ce qui sera pris à contrepied par les théories pragmatiques, s'attachant à l'étude du langage dans ses conditions de performances empiriques, plutôt que dans une vaine tentative de description d'une langue-code utilisant des signes-étiquettes et transitant entre deux interlocuteurs idéaux.

Bien au contraire, ce travail suivra l'approche de l'étude pragmatique de la communication, c'est-à-dire l'étude de la communication telle qu'elle est utilisée par les interlocuteurs de façon empirique. Plutôt que de concevoir les signes comme des étiquettes renvoyant à une entrée d'un code dont chaque interlocuteur aurait une copie, les signes seront dans notre travail vus comme des indices permettant aux interlocuteurs d'inférer ce que la situation d'interlocution ne sufÞt pas à communiquer, les interlocuteurs s'accordant tacitement pour que leur communication soit maximalement pertinente, c'est-à-dire que l'économie cognitive de chacun soit maximale, dans la condition que celle-ci ne vienne pas mettre un frein à l'efÞcacité générale du système.

Ainsi nous avons vu que la communication était un système dans lequel les interlocuteurs sont engagés, c'est-à-dire qu'ils font partie d'un ensemble de signes en constante interaction, dans lequel ils échangent des hypothèses et forment des conclusions hypothétiques et inférentielles sur les signes qui les entourent. Nous allons dans cette seconde partie développer plus en profondeur ce qui fonde ce système, ainsi que le fonctionnement interne des éléments qui le composent.

B.1. Stimulus et environnement B.1.1. Stimulus et attention sélective

Nous vivons au quotidien entourés d'un nombre incalculable de Ç choses È sur lesquelles nous pouvons potentiellement communiquer : objets concrets, émotions, idées pour le futur, souvenirs, etc. Comme le dit Gardiner (1989:62), Ç quand nous sommes éveillés, notre esprit n'est jamais au repos. Nos pensées et nos rêveries poursuivent tranquillement leur cours, ne s'interrompant que lorsqu'un événement extérieur ou un souvenir intéressant viennent solliciter notre attention. È

Notre étude se base sur la prémisse théorique que notre recherche ne tend pas vers une réponse au pourquoi nous choisissons de communiquer sur telle ou telle chose puisque Ç dans une pragmatique de la communication humaine, il est parfaitement hors de propos de demander pourquoi un individu a de telles prémisses È (Watzlawick,1972:96), mais sur comment nous communiquons sur cette chose. Comme nous l'avons vu dans l'introduction, il est indéniable que nous communiquons toujours sur Ç quelque chose È. Ainsi, afin d'utiliser un terme générique pour renvoyer à ce Ç quelque chose È, nous emprunterons à la théorie béhavioriste le terme de stimulus afin de référer à ce qui engendre, ce qui stimule la production de signe, Ç l'événement (S) qui provoque une réaction (R) È (Dubois, 1994:442), ce qui renvoie à Ç la situation extralinguistique qui suscite chez un locuteur une réaction verbale, ainsi que la matière acoustique ou graphique qui provoque une réaction, verbale ou non, de la part d'un locuteur. È (Mounin,2004:306) Notre étude étant une étude sémiologique, nous appellerons stimulus toute situation extrasémiotique et matière sémiotique qui suscite une réaction chez un interlocuteur. Selon notre conception, les stimuli peuvent être à la fois intrinsèques ou extrinsèques au système communicationnel.

Cependant, même si le terme y est emprunté, il est important de souligner que le stimulus auquel nous faisons référence n'est pas celui du modèle béhavioriste traditionnel stimulus-réponse (ou modèle S-R), dans lequel le stimulus est considéré

comme un événement extérieur au système à l'origine d'une manifestation à l'intérieur de celui-ci. Ici, le stimulus est la Ç chose È qui a la capacité de stimuler un processus communicationnel, cette Ç chose È pouvant être de façon équivalente intérieure ou extérieure au système, c'est-à-dire de nature très diverse tant qu'elle peut potentiellement stimuler un processus au sein du système. Comme nous l'avons vu dans le premier chapitre, la communication est un système ouvert (en constante interaction avec son environnement) dans lequel les interlocuteurs sont continuellement engagés. Le stimulus ne peut donc pas être un événement, une Ç chose È entièrement extérieure au système qui engendrerait, provoquerait de manière systématique un processus à l'intérieur d'un système, puisque les processus intérieurs au système sont continuellement actifs, et de façon autonome. Ainsi, Ç le stimulus ne cause pas un processus dans un système par ailleurs inerte, il ne fait que modifier les processus dans un système actif autonome. È (VonBertalanffy,1973:214) En d'autres termes, le stimulus ne cause pas les processus, mais a une potentielle influence sur ces processus autrement autonomes.

Jusqu'ici nous avons couplé la définition du stimulus avec une idée de potentialité, de capacité. Cela est dU au fait qu'il existe deux types différents de stimuli : les stimuli manifestes et les stimuli effectifs.

Les stimuli manifestes sont des stimuli potentiellement effectifs, c'est-à-dire que ce sont de potentielles informations dans un processus inférentiel. Pour reprendre la définition de Sperber et Wilson (1989:65), un stimulus Ç est manifeste à un individu à un moment donné si et seulement si cet individu est capable à ce moment là de représenter mentalement ce (stimulus) et d'accepter sa représentation comme étant vraie ou probablement vraie. (...) ætre manifeste, c'est donc être perceptible ou inférable. È Encore, nous ne nous soucions pas des conditions de vériconditionnalité : un stimulus est manifeste lorsque le contexte fournit potentiellement assez d'indices pour permettre à un interlocuteur d'inférer une conclusion depuis ce stimulus, suite à la mise en parallèle de ce stimulus avec d'autres informations existant dans le contexte. Le stimulus représente Ç toute chose communicable ; la question de savoir si tel (stimulus) est vrai ou faux, valable, non valable ou indécidable n'entre pas en ligne de compte. È (Watzlawik,1972:49) En effet,

nos sens peuvent nous tromper, et les hypothèses sur lesquelles se basent l'inférence sont relatives à l'interlocuteur qui les fait. Ainsi, un stimulus manifeste est un stimulus depuis lequel un interlocuteur est capable d'inférer, un stimulus effectif est un stimulus depuis lequel un interlocuteur infère effectivement.

La transition d'un stimulus manifeste à un stimulus effectif est conduite par l'attention sélective. Bien que nous vivions entourés de choses et de signes, ceux-ci ne se transforment pas tous en information, c'est-à-dire que bien que nous soyons entourés de stimuli manifestes, ils ne deviendront pas tous effectifs, et donc ne seront pas tous utilisés dans une inférence. Deux interlocuteurs à la terrasse d'un café peuvent discuter de leurs vacances au ski sans communiquer sur le goUt du café ou le look du serveur. Ainsi, la boisson ou la tenue du serveur sont des stimuli manifestes, tout comme le sont leurs souvenirs du séjour en montagne, c'est-à-dire que les interlocuteurs peuvent potentiellement communiquer sur l'un comme sur l'autre, mais pourtant pas sur les trois en même temps. Un choix est effectué parmi tous ces stimuli manifestes. C'est l'attention sélective qui permet cette sélection, ce choix du stimulus manifeste qui deviendra un stimulus effectif. Ce processus de sélection est un processus permettant l'économie de l'effort cognitif que créerait l'obligation d'avoir à traiter tous les stimuli manifestes, traitement qui serait impossible aux vues de notre fonctionnement cognitif par lequel Ç nous ne pouvons pas traiter de façon élaborée tous les stimuli qui se présentent à nous simultanément. È (Sieroff,1992:4) L'attention sélective permet au système de ne choisir que le stimulus pertinent. Effectivement, l'ensemble des stimuli est manifeste à un niveau infra-attentionnel, et l'attention sélective est le processus de choix, parmi l'ensemble des environnements, du stimulus manifeste saillant, et donc pertinent, qui deviendra stimulus effectif.

B.1.2. L'environnement cognitif direct

Ainsi, les stimuli sont des phénomènes qui existent au sein de l'environnement du système. Les théories linguistiques utilisent généralement le terme de Ç contexte È pour référer à Ç tout ce qu'englobe l'horizon de la situation ; le fait que ce soient des hommes qui se parlent et s'écrivent, (...) le moment et le lieu comme les raisons qu'ils ont de communiquer et de communiquer ainsi. È (Eluerd,1985:13) Notre travail prenant le tournant de l'étude systémique, nous préférerons le terme d' Ç environnement È, terminologie utilisée dans cette approche. L'environnement du système communicationnel est défini comme l'ensemble des stimuli qui sont manifestes aux interlocuteurs, c'est-à-dire leurs environnements cognitifs.

Il est important de noter que l'interaction du système communicationnel avec son environnement est informationnel : en d'autres termes, nous communiquons sur et non pas par les environnements. Ces environnements étant eux-même des informations sur des perceptions du monde, et non pas le monde, la communication est une production et une compréhension d'informations sur des informations. En effet, comme le souligne Bateson (1980:73), Ç c'est ma perception de la chaise qui est vraie du point de vue de la communication, et ce sur quoi je suis assis n'est pour moi qu'une idée, un message que je crois vrai. È En d'autres termes, les stimuli ne sont pas les choses, mais bien des informations de ce qui est perçu sur ces choses : quand un interlocuteur communique sur la température de la pièce, sur la phrase qu'a produit son interlocuteur ou sur le souvenir de ses dernières vacances, il communique sur les informations perceptibles et perçues sur ces choses, et non pas par ces choses. Cela permet à la communication d'utiliser un processus unique pour le traitement de niveaux de perception différents : les stimuli peuvent être une perception d'une chose comme un perception d'un signe ou d'un élément existant en mémoire, et pourtant, ils sont tous traités de la même façon, dans une boucle infinie de production et de compréhension d'information(s) sur de l'information.

De cela découle le fait que, comme le disent Gauducheau et Cuisinier (2004:334), Ç l'(environnement) ne préexiste pas à l'interaction mais il est coconstruit par les individus au cours des échanges. È En d'autres termes, à l'inverse de la

conception traditionnelle de l'environnement qui est faite dans les théories linguistiques, celui-ci n'est pas prédéterminé et donné au système, en ce sens que c'est la perception continuellement renouvelée des interlocuteurs qui le crée. Celui-ci est donc dans un continuel renouvellement, une continuelle reconstruction et modification de lui-même.

Bien qu'uniforme, nous pouvons diviser l'ensemble de l'environnement en deux sous-environnements. Ces deux sous-environnements ne sont pas entièrement séparés puisqu'ils n'ont pas de frontières imperméables : le processus inférentiel utilise des stimuli d'un environnement en comparaison et en combinaison à des stimuli de l'autre environnement. Le premier de ces sous-environnements cognitifs, que nous allons développer dans un premier temps, regroupe la catégorie des stimuli appartenant à l'environnement cognitif direct, au sens d'un environnement directement perceptible par les interlocuteurs, c'est-à-dire ce que constitue l'ensemble des informations nouvelles utilisées dans le processus inférentiel.

L'environnement cognitif direct peut se diviser en deux sous-environnements. Le premier de ces environnements est l'environnement situationnel. C'est ce qui est qualifié dans la tradition linguistique comme Ç monde È, ou comme Ç extralinguistique È. Cet environnement regroupe l'ensemble des perceptions sur les éléments, les situations du monde extra-communicationnel. Dans un environnement étant partie de l'espace-temps, l'environnement situationnel est l'espace, c'est-à-dire l'ensemble des entités physiques se situant spatialement à la portée de la perception sensorielle des interlocuteurs : le lieu dans laquelle ils se trouvent, les sons qu'ils entendent, la température, etc.

L'environnement cognitif direct est également composé des signes créés par le système, ce que la tradition appelle Ç contexte littéral ou cotexte : l'environnement verbal ou écrit de l'énoncé. È (Eluerd,1985:13) En d'autres termes, c'est l'environnement crée par l'existence sémiotique directement présente dans la communication que sont les stimuli produits, et donc également à la portée sensorielle des interlocuteurs.

B.1.3. L'environnement cognitif indirect

Le second sous environnement est l'environnement cognitif indirect. Il est composé des présuppositions et du savoir encyclopédique des interlocuteurs, c'està-dire l'ensemble des hypothèses en mémoire, plus ou moins accessibles au niveau attentionnel. Cet environnement compose l'ensemble des prémisses indispensables à l'existence de la compréhension inférentielle26, traditionnellement appelé Ç présupposésÈ. Cet environnement cognitif indirect regroupe l'ensemble des hypothèses, des présuppositions générales acceptées comme vraies dans la mémoire du système, c'est-à-dire dans la mémoire conceptuelle27 des interlocuteurs, mais aussi l'ensemble des conclusions qui découleraient d'une potentielle inférence prenant pour prémisses une ou plusieurs de ces hypothèses. Comme le disent Sperber et Wilson (1989:67), Çun individu possède non seulement le savoir représenté dans son esprit mais aussi le savoir qu'il est capable de déduire du savoir dont il a la représentation. È Par exemple, à l'heure actuelle, il ne fait aucun doute que Jean-Paul Sartre n'a jamais dirigé un magazine sur internet. C'est une conclusion inférentielle qui nous est manifeste, et donc accessible, sans pour autant que nous ayons effectivement effectué cette inférence auparavant. Cette Ç mémoire encyclopédique È (Sperber&Wilson,1989), cette Ç vue unifiée du monde dans lequel (un interlocuteur) se trouve "jeté" È (Watzlawick,1972:265) est l'ensemble des prémisses qu'un interlocuteur possède sur le monde en général, et qui guideront son comportement au court de sa vie ; dans un environnement du système étant l'espace-temps, la notion d'environnement cognitif indirect renvoie à la variable temps.

Cet environnement regroupe trois formes différentes d'entrées conceptuelles en mémoires, qui sont les entrées logiques, encyclopédiques et lexicales. L'entrée logique d'un concept correspond aux règles déductives particulières propres à un

26 Ç Le rTMle (de l'environnement) n'est pas simplement de filtrer les interprétations inadéquats : (il) fournit des prémisses sans lesquelles les implications ne peuvent tout simplement pas être inférées. È (Sperber&Wilson,1989:62)

27 Un concept est un élément qui, combiné avec d'autres concepts, structure une hypothèse. Pour un développement de ce point, voir Sperber&Wilson (1989:134-135)

certain concept. L'entrée encyclopédique correspond à l'extension, la manifestation matérielle de ce concept dans le monde. Enfin, l'entrée lexicale comprend les informations sémiotiques correspondant à ce concept28.

Bien que tous deux cognitifs, il existe pourtant un différence fondamentale entre ces deux environnements : l'environnement cognitif direct est supposé être communément manifeste aux interlocuteurs qui perçoivent potentiellement les mêmes informations du monde Ç extralinguistique È29, alors que l'environnement cognitif indirect est propre à chaque interlocuteur. L'environnement cognitif indirect est le passage en mémoire à long terme d'événements individuellement ponctuels qui sont dans un premier temps stockés dans la mémoire à court terme. Ce qui fait de l'environnement cognitif indirect un ensemble de représentations ancrées en chaque interlocuteur, et qui sont par conséquent plus immuables.

Pour conclure ce développement sur les stimuli et l'environnement, nous rappellerons l'importance de concevoir l'environnement du système comme un ensemble de perceptions, et donc d'informations, c'est-à-dire que, comme le dit Bateson (1980:48), Ç il n'y a dans l'esprit que des transformations, des perceptions, des images et les règles permettant de construire tout cela. È La communication est une production d'informations sur des informations, critère fondamental faisant du système communicationnel un système cybernétique. De plus, le fait que l'ensemble du système cognitif humain traite de l'information lui permet d'opérer à travers un seul mécanisme de traitement, traitant de l'information et articulant compréhension et production, qui fonctionnera de façon semblable pour le traitement de tout stimulus.

28 Pour un développement complet de ces trois types d'entrées conceptuelles, voir Sperber & Wilson (1989:135-145).

29 Nous n'entendons pas par là que les perceptions chez les interlocuteurs sont identiques, mais plutôt que ce sont des éléments qui ont la potentialité d'affecter la perception de tous les interlocuteurs.

B.2. Comprehension, production et sens. B.2.1. Compréhension et production

Nous reviendrons dans un premier temps sur le principe général guidant la communication qui est le principe d'inférence. Le principe d'inférence est un processus de mise en relation, inhérent aux systèmes logiques, qui consiste à Ç produire de nouvelles informations à partir des informations existant en mémoire (..) et des informations issues de la situation. È (Richard,1990:15 cité dans Gauducheau&Cuisinier,2004:337) La conception de l'inférence attachée aux systèmes naturels diffère de la conception en logique traditionnelle et est plus pertinente pour l'étude du système communicationnel. En effet, en logique traditionnelle, l'inférence est conçue comme un processus de mise en relation de prémisses axiomatiques permettant la création d'une ou plusieurs conclusion(s) basée(s) sur les valeurs de vérité des prémisses. Ainsi, la conclusion tire sa vérité de la vérité des prémisses. Cependant, nous l'avons vu dans le chapitre précédent, les valeurs de vérité n'ont pas lieu d'être en communication. Les prémisses du processus inférentiel déductif d'un interlocuteur, processus qui est propre au système communicationnel, ne sont pas axiomatiques mais hypothétiques : l'information ancienne qui existe dans la mémoire des interlocuteurs n'est pas composée d'axiomes mais d'hypothèses factuelles, c'est-à-dire d'hypothèses sur le monde acceptées comme vraies par un interlocuteur. Il en va de même pour les informations nouvelles : comme le disent Sperber et Wilson (1989) ou encore Gauducheau et Cuisinier (2004:335) Ç les états mentaux, et plus généralement la vie mentale d'autrui, correspondent à des états internes qui ne sont pas directement accessibles, explicites. È Ainsi, la communication est articulée autour d'hypothèses sur les représentations mentales d'autrui, sur le raisonnement qui a amené l'Autre à une production, c'est-à-dire une Ç estimation (...) des motifs d'autrui, donc des hypothèses concernant ce qui se passe dans son esprit. È (Watzlawick,1972:40) De ce fait, la compréhension comme la production basent leurs déductions sur un ensemble d'hypothèses et non pas sur des vérités axiomatiques, ce qui a pour effet d'entrainer une valeur d'incertitude au sein du système, puisque la force d'une conclusion se base sur la force de

prémisses hypothétiques. Nous allons ici voir comment fonctionnent les processus de production et de compréhension.

Comme nous l'avons vu dans le premier chapitre de ce travail, la compréhension et la production sont deux processus simultanés. Le choix de développer la compréhension avant la production est un choix arbitraire et inévitable qu'il faut prendre comme tel.

Nous verrons d'abord le fonctionnement de la compréhension inférentielle. Celle-ci est le processus de déduction inférentielle permettant à un interlocuteur de déduire des conclusions hypothétiques à la suite de la combinaison d'informations nouvelles et d'informations anciennes en mémoire. Ce processus de compréhension inférentielle est un processus cognitif global, et non local : les prémisses de l'inférence peuvent faire partie de toutes les informations conceptuelles dont dispose la mémoire d'un interlocuteur, il est capable d'utiliser Ç librement n'importe quelle information conceptuelle. È (Sperber&Wilson,1989,103)

Le but de ce processus de compréhension inférentielle, c'est-à-dire de déduction, est de créer des hypothèses nouvelles au sein du système, ces hypothèses nouvelles, conclusions d'une inférence conjuguant information(s) nouvelle(s) et ancienne(s), sont en rapport avec Ç l'histoire È du système et permettent de confirmer ou d'infirmer des hypothèses qui étaient déjà présentes au sein de celui-ci.

L'information nouvelle traitée par le système est un stimulus effectif, c'est-àdire celui qui résulte du filtrage inconscient30 effectué par l'attention sélective, permettant de faire un choix parmi l'ensemble des stimuli manifestes, pour sélectionner le stimulus saillant, à savoir le stimulus qui sera le plus pertinent31. C'est ce stimulus maximalement pertinent qui sera traité par l'interlocuteur, et ce parce que la production sous-tend une idée de pertinence optimale. Ainsi, un interlocuteur s'attend à ce que l'Autre coopère et à ce que chacun produise un stimulus qui sera

30 Comme le disent Sperber et Wilson (1989,28) Ç dans des circonstances ordinaires, les auditeurs n'ont aucun mal à choisir un (...) sens ; ils ne se rendent même pas compte qu'ils ont eu un choix à effectuer. È

31 Sperber&Wilson (2004) Ç What makes an input worth picking out from the mass of competing stimuli is not just that it is relevant, it is that it is more relevant than any alternative input available to us at the same time. È

optimalement pertinent, et de ce fait, c'est le stimulus qui apparaitra comme optimalement pertinent qui sera choisi en tant que stimulus saillant, et qui deviendra information nouvelle d'un processus déductif.

Nous verrons dans un second temps le fonctionnement du processus de production sémiotique. La production sémiotique est un processus de signification, c'est-à-dire de mise en signe d'indices, de création de stimuli manifestes. Un interlocuteur produit une Ç modification de l'environnement destinée à être perçue È dans le but de Ç fournir des données susceptibles de confirmer ou d'infirmer certaines hypothèses. È (Sperber&Wilson,1989,51&111) Nous produisons des signes pour communiquer avec autrui, et c'est au processus de production qu'il incombe la responsabilité de la pertinence du signe : un interlocuteur se doit de produire, en restant dans la limite de ses préférences et de ses capacités, une sémiotique qui sera optimalement pertinente pour le bon déroulement du système.

Cette production ne déroge pas à l'influence qu'exerce l'inférence dans le système et cette inévitable influence impose à chaque interlocuteur une capacité méta-représentationnelle : un interlocuteur se représente des hypothèses sur les représentations mentales de l'Autre, et produit la sémiotique qui lui semble la plus pertinente pour amener l'Autre à la conclusion souhaitée, c'est-à-dire qu'un interlocuteur produit une manifestation sémiotique contenant assez d'indices pour être efficace, mais pas plus. Ainsi, l'inférence productive possède comme prémisses les hypothèses factuelles d'un interlocuteur et les représentations qu'il se fait des représentations mentales de l'Autre. C'est à travers cette méta-représentation que l'interlocuteur produisant choisit la sémiotique la plus pertinente. Ainsi, la production, dans le sens que celle-ci prend dans la communication, est une production de signes-indices en tant qu'informations sur un stimulus effectif et dans le but que ces signes deviennent eux-même stimuli manifestes.

Selon Sperber et Wilson, la communication toute entière n'existe que si elle est ostensivo-inférentielle, c'est-à-dire qu'il n'y a communication que si les stimuli actifs dans le système sont ostensifs, à savoir intentionnels et produits dans le but d'être ostensiblement des signes communicatifs. Nous contesterons ce point dans la

partie directement suivante, dans laquelle nous développerons qu'une inférence peut se baser sur des signes non-ostensifs. En d'autres termes, la production n'est pas nécessairement intentionnelle, en ce sens qu'un signe peut être manifeste, voire compris sans pour autant avoir été ostensif de la part de l'interlocuteur produisant. Ainsi, nous allons développer l'idée que la compréhension ne prend pas pour information nouvelle un signe nécessairement ostensif.

Pour résumer, au sein du système, la production produit un signe-indice qui est un stimulus manifeste et dans le but de le faire stimulus effectif. Ainsi, la production est un processus de formation d'un output, ensuite potentiellement utilisable par le processus d'input qu'est la compréhension. Nous verrons dans la partie qui suit en quoi un stimulus non-intentionnel peut être un input au même titre qu'un stimulus intentionnel.

B.2.2. Retour sur l'intention

Parmi l'ensemble des penseurs que nous avons abordés au sein de ce travail, le premier à avoir travaillé sur la distinction entre l'intentionnel et le non-intentionnel est Grice (1957). Il y introduit la distinction entre les significations Ç naturelles È et les significations Ç non naturelles È, les secondes étant traditionnellement appelées Ç conventionnelles È. Selon Grice, un signe signifie Ç naturellement È lorsqu'il signifie de lui-même, comme un rougissement signifie de lui même l'embarras. Pour qu'un signe puisse signifier Ç non naturellement È, il est nécessaire qu'un interlocuteur communique à travers ce signe son intention de communiquer à travers celui-ci.

Sperber et Wilson reprennent l'idée développée par Grice sur la signification, mais adoptent un point de vue discriminant quant à la distinction entre ces deux types de signes. En effet, ils réduisent la communication aux phénomènes qu'ils qualifient d' Ç ostensivo-inférentiels È, c'est-à-dire qu'ils considèrent que les signes des interlocuteurs ne sont communication qu'à condition de sous-tendre une volonté de communiquer à travers ces signes, et donc qu'ils soient produits à dessein de communication. Alors que nous suivrons leur point de vue sur la centralité de l'inférence en communication, il n'en sera pas de même pour la nécessité du caractère ostensif des signes. En effet, nous pouvons nous interroger sur les fondements d'une conception d'un système inférentiel traitant uniquement des signes ostensifs : un signe produit de façon non-intentionnelle est un stimulus manifeste et peut très bien être une information nouvelle à l'origine d'une inférence et donc créateur d'effets contextuels, au même titre qu'un stimulus intentionnel. Par exemple, rougir à la suite d'une question est une phénomène non-intentionnel, et à sa suite un interlocuteur peut arrêter la conversation, voir changer de sujet si il constate l'embarras de l'Autre : ici le rougissement est un signe pertinent dans la communication. Il est également le produit d'un processus inférentiel : imaginons un interlocuteur qui est embarrassé par un dysfonctionnement de sa prononciation l'entrainant à mal prononcer certains mots. Si il possède dans sa mémoire la prémisse : Ç toute situation oü j'estropie un mot est embarrassante È et que ce même interlocuteur estropie malencontreusement un mot dans une situation particulière, l'information nouvelle : Ç je viens d'estropier un mot È lui fera inférer la conclusion qu'il se trouve dans une situation embarrassante. Son embarras se signifiera de

façon incontrôlable par un rougissement. Or, pouvons nous vraiment dire que l'interlocuteur sous-tend une intention de communiquer par ce rougissement ? Ë l'inverse, peut-on vraiment dire qu'il ne communique pas à travers ce signe ? Un interlocuteur qui rougit ne considère pas qu'il produit de façon ostensive, mais cependant il ne pourra pas nier que cette sémiotique communique, et à ses côtés l'interlocuteur agira et adaptera son comportement en fonction du signe qu'il comprendra comme signe d'embarras : il pourra volontairement ignorer le signe ou même changer de sujet pour quitter la situation que l'Autre a signifié comme embarrassante.

De plus, nous pouvons nous interroger sur la limite définissable entre l'intentionnel et le non-intentionnel. Existe-t-elle vraiment ? Ë quel moment peut-on arrêter de considérer qu'un signe a été produit de façon intentionnelle ? Dans sa quasi totalité, la communication est un phénomène spontané mêlant des signes de toutes natures, mais par quels critères peut-on réellement séparer les uns des autres ? La distinction est relativement simple à faire pour l'exemple que nous avons pris un peu plus haut, le rougissement étant un signe qu'il est quasiment impossible de produire volontairement, et donc d'utiliser de façon ostensive. Cependant, ce n'est pas le cas de tous les signes. Considérons un instant la catégorie des signes élocutionnels classés dans la catégorie des signes Ç emblèmes > et des signes Ç illustrateurs >32. Les emblèmes sont des signes élocutionnels culturellement marqués et partagés par les membres d'une culture précise, utilisés Ç à la place > d'un mot et qui peuvent être produits volontairement (ils le sont d'ailleurs dans la majorité des cas), mais également involontairement. Ils peuvent être involontaires notamment lorsque que l'interlocuteur essaie de cacher une de ses émotions mais qu'elle transparait au travers d'un emblème33. Ë l'inverse, les illustrateurs sont idiosyncratiques et sont une ponctuation élocutionnelle personnelle propre à chaque individu34. Leur cas est particulièrement intéressant pour notre propos. L'illustrateur est un signe élocutionnel qui a pour fonction de ponctuer, d'illustrer la parole qui lui

32 Notre traduction des termes Ç emblems > et Ç illustrators È

33 Ekman parle de Ç leakage >

34 Pour un développement plus complet, voir Ekman (2009:99-108), Ekman (2003), Johnson & al. (1975)

est concomitante, servant à mettre de l'emphase sur un mot ou une phrase, de dessiner dans les airs pour améliorer la description locutionnelle, etc.35 Néanmoins, doit-on classer les illustrateurs dans la catégorie des signes intentionnels ou dans celle des signes non-intentionnels ? Ces signes ne sont pas conventionnels, puisque propres à chacun, mais en même temps ne signifient pas naturellement. Ils jouent un rTMle dans le système communicationnel sans que l'on puisse définir de façon certaine si ils sous-tendent une intention de communiquer à travers eux, i.e. on ne peut trancher de façon définitive sur leur intentionnalité effective ou non.

Nous achèverons donc ce point par la conclusion qu'il n'est pas pertinent de se poser la question de l'intentionnalité lorsque l'on étudie le système communicationnel : tout signe, intentionnel ou non-intentionnel, est stimulus manifeste et donc potentiellement effectif, c'est-à-dire que tout signe peut-être à l'origine d'une inférence, et se doit d'être considéré dans l'étude du système. L'activité dans le système existe que le signe soit intentionnel ou non-intentionnel. Pour l'illustrer, Grice (1957:383) prend l'exemple du froncement de sourcil : si un interlocuteur fronce les sourcils de façon spontanée, l'Autre va inférer qu'il existe une source de mécontentent entrainant le premier à froncer les sourcils. Mais si ce même interlocuteur fronce intentionnellement les sourcils pour signifier à l'Autre qu'il est mécontent, ce dernier va arriver aux mêmes conclusions que le cas premier36. Ainsi, l'intentionnel et le non-intentionnel se mêlant et agissant tous deux dans le système, nous ne pouvons pas envisager que la communication ne puisse se faire qu'avec des signes ostensifs.

35 Ekman (2009:105) Ç emphasis can be given to a word or phrase, much like an accent mark or underlying; the flow of thought can be traced in the air (...) the hands can draw a picture in space or show an action repeating or amplifying what is being said. È

36 Grice (1957:383) Ç If I frown spontaneously, in the ordinary course of events, someone looking at me may well treat the frown as a natural sign of displeasure. But if I frown deliberately (to convey my displeasure), an onlooker may be expected, provided he recognizes my intention, still to conclude that I am displeased. (...) In general a deliberate frown may have the same effect (...) as a spontaneous frown. È

B.2.3. Effets contextuels et sens

Avant de passer à l'approfondissement de la définition de la communication en tant que système, nous aborderons la définition nécessaire d'un concept qui ne fait pas consensus au sein des écoles linguistiques, et qui est la définition du terme Ç sens È.

Selon notre conception, un signe Ç a du sens È pour un interlocuteur lorsqu'il crée un effet contextuel, c'est-à-dire lorsque ce signe est une information nouvelle contextualisée dans des informations anciennes, i.e. lorsque ce signe est l'information nouvelle d'un processus inférentiel. Le signe étant par définition toujours nouveau, il est de ce fait indéniable que l'idée du sens se trouve liée à l'existence d'information(s) ancienne(s) : un interlocuteur ne pourra pas trouver du sens dans une communication s'il se contente uniquement de nouvelles expériences de signes. Avec Eluerd (1985:29), nous considérons que Ç le sens renvoie non au contenu ou à l'objet mais à l'usage, à l'habitude È, ou à la redondance, comme l'appellent Watzlawick (1972:27-34) et Bateson (1980:155-182), amenant avec elle l'idée d'une récurrence à travers la continuité. Ainsi, nous concevons le sens comme une composition empirique, un ensemble appris de modèles, de patterns cognitifs relatifs aux configurations des expériences communicationnelles passées. Pour un interlocuteur, un signe a du sens si il peut être utilisé dans une inférence prenant pour prémisse un pattern de son environnement cognitif indirect. Cependant, nous devons être prudents et ne pas prendre la tournure générativiste : ces patterns de sens ne sont pas des structures fixes intériorisées comme on retrouve dans les grammaires génératives, elles sont variables, individuelles, et peuvent changer et être changées. En d'autres termes, ces prémisses ne sont pas des règles intériorisées immuables, mais au contraire apprises, acquises, et potentiellement confirmables, infirmables et modifiables. Encore moins notre vision du sens ne rejoint la vision de la théorie du code qui défend l'idée d'une relation immanente entre le sens et le signe-étiquette qui lui serait imposé. En définitive, le sens, dans la vision qui est la nôtre, sous-tend l'idée d'un pattern (ou modèle) appris d'habitudes, d'événements redondants d'apprentissage.

L'idée d'un sens à travers une redondance de modèles de communication, que nous appellerons patterns, appelle l'idée d'un apprentissage par les interlocuteurs. Nous allons ainsi voir comment procède cet apprentissage et pourquoi il est nécessaire. Si l'on s'en tient aux théories classiques comme celles de Pavlov, l'apprentissage implique une répétition d'un certain pattern jusqu'à l'obtention de l'identification d'un signe à un sens. Malgré quelques cas particuliers oü il en va autrement pour la communication humaine gr%oce à une capacité d'apprentissage de second niveau37, la majeure partie de l'apprentissage suit cette idée de répétition et d'habitude.

Ë travers le temps, la communication est un phénomène fondamentalement récurrent sur l'ensemble de la vie d'un homme. Comme nous l'avons développé plus tTMt, ces expériences de communication se trouvent guidées par la recherche d'une pertinence optimale. Sur l'ensemble infini des signes productibles par un interlocuteur à tout moment, il existe une chance quasi nulle de produire le signe pertinent si celui-ci est produit à tout hasard. Il lui est donc nécessaire de pouvoir déterminer le sens qui sera le plus pertinent dans le contexte particulier d'une communication, et c'est gr%oce à l'apprentissage que cette pertinence est atteinte. En effet, à travers le temps, les interlocuteurs font l'expérience de patterns optimalement pertinents, ainsi, afin de faire face aux expériences futures, les interlocuteurs gardent en mémoire ces patterns optimalement pertinents, c'est-à-dire qu'ils ont la Ç possibilité de stocker des adaptations antérieures pour s'en servir éventuellement plus tard. È (Watzlawick,1972:29)

Cependant, chaque nouvelle expérience de communication, étant un confrontation des sens de chacun, peut potentiellement modifier un ou des pattern(s) et le(s) remplacer par un ou d'autres plus pertinent(s) chez l'un ou chez les deux interlocuteur(s), et ce par la capacité humaine d'apprentissage de second niveau. Ainsi, un sens peut être bouleversé en une seule expérience qui balaie l'ensemble des expériences passées de ce sens pour le remplacer par un usage plus pertinent. Par exemple, la plupart d'entre nous a déjà fait l'expérience d'un mot dont nous faisions mauvais usage, avant d'un jour nous faire corriger par un interlocuteur qui nous semblait digne de confiance. Ainsi, dans ce genre de situation, la nouvelle

37 Cas dans lesquels l'homme peut acquérir un sens sans pour autant qu'il soit nécessaire que celui-ci lui soit répété car il possède une capacité d'apprentissage de second niveau, c'est-à-dire que tout homme a appris à apprendre.

norme sera retenue car nous l'acceptons comme plus pertinente pour son usage futur dans des communications avec l'ensemble des interlocuteurs respectant cette norme.

Nous pouvons faire une analogie entre la communication et une partie d'échecs. Dans une partie d'échecs, chaque coup a un sens particulier qui n'est pas inhérent à la nature de la pièce, mais bien à l'apprentissage d'un modèle d'utilisation de cette pièce. Ainsi, imaginons qu'un joueur ai toujours été confronté à un modèle de jeu oü le fou se déplace comme le cavalier et inversement. Dans cette situation, un joueur autre connaissant les règles canoniques des échecs considérera que déplacer le cavalier en diagonale Ç n'a aucun sens È, car il ne correspond pas à son expérience du déplacement de cette pièce. Il pourra également le signaler au premier, qui malgré son expérience récurrente de ce type de déplacement, pourra adapter son système de jeu au changement pointé par le premier.

Ainsi, de prime abord, rien n'empêcherait un interlocuteur de produire des signes aléatoires jusqu'à ce qu'il trouve le signe adéquat, si ce n'est que cette démarche mettrait indéniablement en péril la recherche d'efficacité et d'économie du système. Fonctionner de cette manière engendrerait un besoin en temps et en effort considérable pour communiquer sur n'importe quelle chose. C'est cette faiblesse que l'apprentissage à travers le temps vient corriger. Comme nous le dit Bateson (1980:45) Ç l'erreur est toujours psychologiquement coUteuse È, de ce fait l'apprentissage permet d'éviter d'avoir à faire face à un processus d'essais et d'erreurs qui pourrait être très long et très couteux en effort cognitif. De plus, l'apprentissage permet aux interlocuteurs d'accepter certaines hypothèses et certains sens comme vrais, ce qui leur permet d'éviter d'avoir à réexaminer continuellement toutes les prémisses. Mais le système ne peut obtenir de changement adaptatif à travers l'apprentissage qu'à condition que l'interlocuteur puisse percevoir et juger en retour sa production, en d'autres termes, afin d'apprendre, il lui est indispensable qu'il existe un processus de rétroaction au sein du système. C'est ce que nous allons voir dans la dernière partie de ce chapitre.

B.3. Un système cybernétique B.3.1. Définition

Jusqu'ici, nous avons développé que la communication était un système dans lequel les processus principaux de production et de compréhension sont inséparables et influencés l'un par l'autre. De plus, ce système est un système ouvert, à savoir influencé par son environnement, et par conséquent dépendant de l'espace-temps. Ainsi, aucun signe n'est indépendant de ce qui le précède, ni d'ailleurs de ce qui le suit. Comme nous l'avons vu dans la première partie, nous ne considérons pas qu'il puisse exister de tours de parole échangés entre un communicateur et un récepteur, et de ce fait, tout signe produit devient lui-même un nouveau stimulus et est perceptible, pas seulement pour l'Autre, mais aussi pour celui qui l'a produit. Ainsi, la production, créatrice d'outputs, est simultanée à la compréhension, traitant les inputs, les deux étant entièrement inter-dépendants : tout output est un nouvel input. Ce phénomène, traditionnellement appelé rétroaction, permet au système d'optimiser sa pertinence et aux interlocuteurs d'être dans une constante phase d'apprentissage.

Ce type de système correspond à un système cybernétique, c'est-à-dire un système oü tout output est immédiatement réinjecté en tant que nouvel input. Toute production sémiotique produit un stimulus qui sera manifeste (à la condition que l'Autre puisse percevoir cette production), c'est-à-dire que tout output devient un input potentiel, qui, dans la grande majorité des cas, deviendra effectif. De cette manière, tout output influence les inputs suivants, une production qui semblerait sans rapport avec ce qui lui est antérieur est tout de même influencée par ce qui précède puisque la perception de rupture est due à cette production antérieure. Cette notion de Ç réinjection È de l'output dans le système est appelé feedback, ou rétroaction, qui est la Ç commande d'un système au moyen de la réintroduction dans ce système des résultats de son action. (...) La langue peut être ainsi conçue comme un système autorégulateur. È (Dubois,1994:201) Cette autorégulation est un processus qui existe afin de faire face aux jeux de la communication, de réajuster la mise en commun

communicationnel qui peut être divergente. Comme le disent Sperber et Wilson (1989:311), Ç lorsqu'il y a des problèmes de communication, (l'interlocuteur) doit essayer de découvrir quelle fausse image de lui a permis à (l'Autre) de penser que son énoncé serait optimalement pertinent. È Ainsi, lorsqu'une incompréhension intervient dans la communication, c'est-à-dire lorsque la pertinence est divergente, chaque interlocuteur se doit de découvrir quelle(s) hypothèse(s) les ont amené à cette situation.

Ainsi, la communication est un système cybernétique, et plus précisément un type particulier de système cybernétique. Nous partirons d'une définition générale du système cybernétique, que nous affinerons jusqu'à pouvoir définir le système communicationnel.

VonBertalanffy (1973:20) donne une première définition de la cybernétique comme : Ç la théorie des systèmes contrôlés fondés sur la communication (transfert d'informations), système-environnement et interne au système, et sur le contrôle (rétroaction) de la fonction du système en ce qui concerne l'environnement. È Cette première définition réfère à ce qu'il convient d'appeler la Ç première cybernétique È, et réfère aux systèmes dans lesquels existe une idée de circularité, c'est-à-dire systèmes dans lesquels il existe un retour d'informations, ou contrôle rétroactif, dicté originellement par un observateur extérieur au système. Un parfait exemple d'un système de la première cybernétique est le thermostat d'un radiateur : c'est en contrôlant la chaleur sortante qu'il ajuste sa température pour arriver à la température désirée. Celle-ci, qui est le but à atteindre par le système, est fixée par un élément qui est extérieur au système. Cette extériorité de la norme est étrangère au fonctionnement du système communicationnel, c'est pourquoi la définition de la première cybernétique n'est pas entièrement adéquate à l'étude de ce type de systèmes.

Ainsi, il convient de perfectionner, voir de reformuler cette définition du cybernétique pour un système vivant comme le système communicationnel. Ce type de système est étudié par ce qui est appelé la Ç seconde cybernétique È,

redéfinissant la nature même du système étudié. C'est ce que nous allons voir par la suite.

Alors que la première cybernétique avait pour but l'étude et le perfectionnement des machines38, la seconde cybernétique prend pour objet d'étude le vivant. Dans ce changement de paradigme, le système obtient un statut différent : le système est autonome, autoréférentiel39, auto-organisateur et auto-régulateur. Moreno (2004:137) définit les systèmes étudiés par la seconde cybernétique comme Ç les systèmes abstraits capables de générer de nouvelles formes d'organisations non prédictibles trivialement par un observateur ou apparaissant comme tel. È Dans ce type particulier de système, l'observateur ne peut plus être extérieur au système, au contraire, il lui est intérieur : le système est auto-produit, il s'organise selon des éléments qui lui sont internes et agit en fonction de lois et de règles qui lui sont intérieures et qu'il génère, agissant Ç par lui-même et pour lui-même, il est à la fois source et destinataire de ses actions. È (ibid:141) Le système, selon la seconde cybernétique, est autopo
·étique. Voici la définition qu'en donne Varela (1989:45) :

Un système autopo
·étique est organisé comme un réseau de processus de production de composants qui (a) régénèrent continuellement par leur transformations et leurs interactions le réseau qui les a produits, et qui (b) constituent le système en tant qu'unité concrète dans l'espace oü il existe, en spécifiant le domaine topologique oü il se réalise comme réseau.

Ces systèmes particuliers, adaptés à la description des systèmes humains, sont des systèmes autonomes adaptatifs : alors qu'ils n'échangent pas avec leur environnement, ils sont pourtant capables de s'y adapter. Ainsi, ces systèmes sont autonomes mais pourtant s'insèrent dans des métasystèmes de plus grande envergure.

La définition que nous venons de donner du système selon la seconde cybernétique en tant que système autopo
·étique adaptatif, c'est-à-dire autonome, auto-référentiel et auto-organisé, correspond aux caractéristiques du système communicationnel : la communication est une mise en commun entre deux (ou plusieurs) interlocuteurs selon des règles générées par le système, et c'est cette

38 Il convient tout de même de remarquer nombreuses applications de la première cybernétique au vivant par l'école de Palo Alto et les penseurs qui y sont associés.

39 La genèse de ce théorème est donnée à Von Foester reprenant Maturana dans une de ces conférences : Ç anything said is said by and to an observer. È

production qui crée, qui régénère continuellement le système, le contrôle étant exercé au travers de la compréhension par et pour les interlocuteurs qui sont à l'intérieur du système en autonomie par rapport à son environnement, cette autonomie étant adaptative : lorsqu'ils communiquent, les interlocuteurs communiquent sur leur environnement et non pas par leur environnement, il n'existe donc pas d'échange direct entre le système et son environnement. Cette adaptivité du système autonome en fait un système dit Ç social È, c'est-à-dire qu'un système est composé d'un ensemble de sous-systèmes et est partie intégrante de métasystèmes, ou métaréseaux. En d'autres termes, chaque système s'adapte en fonction des autres systèmes qui composent son environnement : par exemple, il est indéniable que le système communicationnel soit bien inséré dans d'autres systèmes que sont le système social, historique, religieux, etc., ce qui ne l'empêche pas de leur être autonome. De cela découle l'importance de la prise en compte d'une hiérarchie dans l'étude des systèmes : l'auto-organisation du système se fait gr%oce à la formation de configurations spécifiques, de patterns organisateurs émergeant à un niveau macroscopique par répétition d'interactions à un niveau microscopique, en d'autres termes, Ç à partir d'un ensemble d'interactions microscopiques (...) une forme apparemment simplifiée d'organisation apparait. È (Moreno,2004:138) 40

Ainsi, la communication est un système autopo
·étique, i.e. qui s'auto-produit, s'auto-organise et s'auto-régule, en fonction d'éléments qui lui sont intérieurs. Nous avons vu que l'organisation dans le système est effectuée par un contrôle d'informations par feedback, ce feedback étant devenu au travers de la seconde cybernétique le concept d'autorégulation. Nous allons voir cette autorégulation plus en détails à travers son application au système communicationnel.

40 On retrouve cette idée dans la littérature sur la schizophrénie la déÞnissant comme pattern de communication résultant non plus d'un choc ponctuel mais de la répétition d'interactions Ç schizophrénogènes. È Voir notamment Watzlawick (1972) et Bateson (1977-1980)

Nous reviendrons sur cette idée dans le troisième chapitre du présent travail.

B.3.2. Rétroaction et autorégulation

Ainsi, comme le disait Poty (2006:182), Ç la communication est un jeu qui trouve en lui même son équilibre. È Cet équilibre se maintient par un contrôle en retour de la production du système. Ce contrôle est appelé rétroaction ou feedback dans la première cybernétique, et s'est précisé pour devenir autorégulation dans la seconde cybernétique. Nous verrons ici ce qu'est le feedback et la précision qu'apporte le concept d'autorégulation.

Le processus de feedback, selon la définition première qu'en donne VonBertalanffy (1973:164-176) est le Ç processus circulaire dans lequel une partie de l'extrant (output) est reconduit dans l'intrant (input) en tant qu'information sur le résultat préliminaire de la réponse : le système est ainsi auto-régulé ; ceci au sens du maintien de certaines variables ou du guidage vers un but choisi. È Ce processus permet à l'agent producteur de recevoir de l'information sur les effets de sa production. En d'autres termes, un contrôle est effectué sur le système par transformation d'une partie de l'output en informations devenant nouvel input :

Output

Input
informatif

Schéma traditionnel de la rétroaction Tout output créé une nouvelle information sur lui-même devenant input.

Il existe deux types de rétroactions, la rétroaction négative et la rétroaction positive41. Nous verrons d'abord la rétroaction négative. Celle-ci Ç réduit l'écart de ce qui sort par rapport à la norme fixée È (Winkin,2000:26) i.e. réduit la déviation, le jeu qui pourrait exister lors de la communication, par une série de corrections successives

41 Les termes anglais, peut-être plus parlants, étant respectivement Ç deviation counteracting feedback È et Ç deviation amplifying feedback È

afin d'arriver à la stabilité du système. On peut parler de convergence, oü la rétroaction permet de faire converger l'output effectif et l'output défini par la norme du système. La rétroaction positive a l'effet inverse, puisqu'elle augmente l'écart entre l'output effectif et l'output défini par la norme, provoquant une situation d'asymétrie, oü Ç la même information agit comme une mesure de l'amplification de la déviation de ce qui sort. È (ibid)

La transposition de ce phénomène au système communicationnel se doit d'apporter des modifications dans la définition de la rétroaction. Comme nous l'avons vu, les interlocuteurs communiquent sur des stimuli appartenant à leur environnement cognitif, c'est-à-dire qu'en tant que système autonome, la communication ne se fait pas par l'environnement mais sur l'environnement. La communication est un échange par production d'informations sur les stimuli et non pas un échange par les stimuli. Étant donné que fondamentalement, un modèle de rétroaction permet à l'agent qui produit de recevoir un retour d'information sur sa production, toute rétroaction dans le système communicationnel, étant retour d'informations, est un nouveau stimulus manifeste. La communication est donc foncièrement cybernétique, à savoir qu'un output est nouvel input sans changement de statut42. En d'autres termes, il n'y a pas de transformation d'un partie de l'output en nouvel input, l'output est un nouvel input, ce qui permet une autorégulation plutôt qu'une rétroaction.

Nous avons vu que la rétroaction permet un contrôle du système par régulation de la déviance par rapport à la norme. Mais étudier le système communicationnel rend le schéma basique de la cybernétique inadapté. En effet, on constate que le schéma basique n'est que le schéma de la théorie de la transmission auquel une boucle de retour est ajoutée. Or, nous avons vu dans le premier chapitre de ce travail que nous ne pouvons pas utiliser ce schéma dans une étude de la communication. C'est pourquoi nous préférerons l'utilisation du concept d' Ç autorégulation È plutôt que rétroaction, pour renoncer à l'idée d'une action en

42 A l'inverse d'un système cybernétique comme le thermostat, dans lequel l'output est une production de chaleur et l'input une information sur cette chaleur, l'output et l'input n'ayant donc pas un même statut, la communication est un système oü le statut de l'output et celui de l'input reste inchangé.

retour par boucle sous-tendu par la rétroaction et adopter un concept sous-tendant l'idée d'une régulation autonome par production continue d'informations.

Nous ne remettons pas en cause la nécessité d'un contrôle du système, permettant à un interlocuteur d'évaluer la pertinence de sa production. Un interlocuteur souhaite, par la communication, une mise en commun avec l'Autre. Cette mise en commun, pour être optimale, doit passer par une pertinence maximale. Un interlocuteur doit ainsi pouvoir juger de la pertinence de sa production, et ajuster au fil du temps sa production en fonction de la déviation par rapport à la norme et sur lequel il est informé. Comme nous l'avons vu, les interlocuteurs ne partagent pas de savoir mutuel sur le monde, mais chacun possède un ensemble d'hypothèses sur le monde et sur l'Autre. Ainsi, afin d'optimiser au maximum la communication, le système doit leur permettre d'infirmer ou de confirmer leurs hypothèses, par régulation temporelle, puisque Ç l'ensemble des agents fait des erreurs dans la perception de l'environnement et ne corrige les erreurs qu'avec le passage du temps. È (Viviani,1994:111) Cependant, l'autorégulation du système communicationnel permet un contrôle à travers le temps qui n'existe pas dans le schéma traditionnel de la rétroaction. En effet, le système est un système autonome et donc contrôlé par des règles qui lui sont propres, et à la différence de la rétroaction, l'autorégulation sous-tend l'idée que la norme n'est pas dictée par un agent extérieur au système, mais bien par le système lui-même, et pour lui-même, ce que nous retrouvons dans le système communicationnel : la norme, et donc la déviance, est dictée par des règles générées par et pour le système.

Tout output étant un nouvel input sans modification de son statut à l'intérieur du système autonome, l'autorégulation permet donc l'existence de métacommunication par information sur l'information, processus fondamentalement autorégulateur, afin de faire face à l'imprédictibilité inhérente au système, que nous allons voir dans la partie suivante.

B.3.3. L'imprédictibilité

La communication, même existant dans des conditions optimales, a une probabilité d'échec. Nous allons voir ici que, aux vues des propriétés du système et de ses éléments, cette probabilité d'échec est inévitable. Nous avons déjà abordé à plusieurs reprises qu'il existe une imprédictibilité due au fait que le système communicationnel ne peut en aucun cas être considéré comme un système traitant des informations absolues, ceci étant dU au fonctionnement inférentiel des processus cognitifs humains utilisés lors de la communication. Ce qui affecte le système cybernétique, puisque l'autorégulation s'en trouve touchée dans sa nature : le contrôle effectué dans le système n'est pas un contrôle par information absolue, mais une nouvelle hypothèse. Nous verrons dans la dernière partie de ce chapitre en quoi l'identité du système joue sur son imprédictibilité.

L'imprédictibilité est une propriété des systèmes dynamiques nondéterministes, c'est-à-dire les systèmes dans lesquel à un moment donné T, il est impossible de prédire de façon certaine quel sera l'état du système à un moment ultérieur à T. Pour ce type de système, l'évolution est non-linéaire, c'est-à-dire qu'elle ne suit pas une périodicité et encore moins un Ç trajet È qui serait Þxe, oü chaque effet relèverait d'une certaine proportionnalité aux conditions de T. Dans ces systèmes, un changement minuscule sur une de ses conditions à un temps T pourra avoir des conséquences gigantesques imprévues à un temps T', ce sont des système oü Ç le fait de jouer modiÞe les règles du jeu. È (Gleick,1989:46)

Le système communicationnel répond à ces critères : tout nouveau Ç coup È redéÞnit le jeu et toute déviation ou perturbation à un moment donné pourra prendre des proportions insoupçonnées au moment de la production de cette déviation. Ainsi, le statut inférentiel des processus communicationels fait qu'il n'existe jamais de savoir mutuel absolu, et de ce fait, toute communication est sujette à hypothèses et donc à une possible déviation de la mise en commun des sens entre interlocuteurs. Nous ne reviendrons pas sur l'inférence, point amplement développé précédemment, mais allons voir dans cette partie en quoi le statut autonome du système renforce l'activité inférentielle et ipso facto l'imprédictibilité du système.

Comme nous l'avons vu, le système communicationnel est un système entièrement autonome : l'interaction avec son environnement est informative. Nous avons également vu qu'il était auto-référentiel, ce qui signifie que Ç le système est basiquement un système d'observation de sa propre utilisation. È (Roulland,2010:75) Ainsi, pour fonctionner, le système autopo
·étique ne peut utiliser que ses propres éléments, et de ce fait la communication ne peut fonctionner qu'avec des patterns qui lui sont internes. Nous avons aussi vu que ces patterns fonctionnent au travers de choix parmi un ensemble d'hypothèses, lesquelles étant sélectionnées pour leur probabilité la plus grande. Or, la probabilité de ces éléments n'a pas de valeur quantitative, il nous est impossible de choisir une échelle de 0 à 100 afin de définir ce qui fait qu'une hypothèse est plus probable qu'une autre. Pour reprendre l'exemple que nous avons utilisé dans la première partie des deux amis en pleine discussion autour d'un verre, il est difficilement concevable que l'homme qui reçoit face à son ami au verre vide fonctionne sur des prémisses du type Ç Il y a 80 % de chances pour que mon ami souhaite que je le resserve. È Cependant, il lui est possible de juger qu'il est plus probable qu'il souhaite se faire resservir (hypothèse A) plutôt que de rester le verre vide (hypothèse B). Ainsi, il est capable de juger que A est plus probable que B, mais le choix entre ces deux hypothèses n'est pas un choix quantitatif : c'est au travers d'un jugement comparatif que s'exécute ce choix, en comparant les hypothèses et en choisissant celle qui a plus de Ç force »43 qu'une autre, celle-ci se définissant par l'histoire cognitive et subjective d'une hypothèse chez un interlocuteur. Ainsi un élément n'existe qu'en comparaison à l'existence de tous les autres qui ne sont pas lui et se compare aux autres en fonction de sa force, elle même relative et subjective44. Pour revenir à notre point sur l'imprédictibilité, tout observateur s'aventurant à vouloir prédire le système ne peut que devenir partie de ce système, toute approche sur le langage ne peut qu'utiliser le langage, et de surcro»t, cet interlocuteur ne peut envisager le contrôle qu'en adoptant l'intérieur du

43 Selon Sperber et Wilson (1989:123-125), la Ç force de nos hypothèse correspond à la probabilité qu'elles soient vraies, (...) une représentation du degré de confirmation d'une hypothèse n'(étant) jamais qu'une autre hypothèse, (...) basée sur un jugement comparatif. È

44 L'opposition des deux types se fait ainsi : une comparaison quantitative est objectivement gradable, ainsi nous pouvons dire que Rennes est plus loin de Paris que de Nantes, et ce en donnant des chiffres précis à l'appui, à savoir qu'il y a 250 km de plus pour aller à Paris. Une comparaison qualitative, elle, nous permet de dire qu'un costume nous va mieux qu'un autre, mais pas Ç à quel point È il nous va mieux, une comparaison qualitative se base toujours relativement à un autre élément de la classe.

système, puisque l'autorégulation est gérée par le système seul selon un fonctionnement qui lui est propre, en dehors de toute intervention extérieure. De cette contrainte na»t l'imprédictibilité, car tout observateur, s'il veut prédire de façon juste, doit prendre part au système et donc au jeu des inférences et des hypothèses, et inévitablement à un jugement de probabilité subjective, ce qui le conduirait, fondamentalement et paradoxalement, à ne plus pouvoir prédire.

Donc, aucune prédictibilité objective d'un observateur extérieur ne peut exister, ce par le fait qu'aucun observateur ne peut être extérieur au système. Admettons donc cette contrainte d'intériorité et supposons qu'une détermination intérieure au système veuille être faite. Nous verrons ensuite en quoi le statut autonome du système communicationnel dans son rapport à son environnement temporel renforce son imprédictibilité et empêche cette détermination intérieure.

Nous commencerons, par convenance logique et méthodologique, par analyser le rapport au temps passé. Comme nous l'avons développé plus haut, le sens donné dans une communication est guidé par les hypothèses sur le monde de chaque interlocuteur. Or aucun interlocuteur ne possède les mêmes hypothèses sur le monde qu'un autre, le savoir mutuel n'existe pas. L'expérience, et donc la mémoire des interlocuteurs diverge immanquablement, ce qui les amène à donner des sens différents aux signes. Comme le disent Sperber et Wilson (1989:32), Ç chaque individu tend à développer un savoir qui lui est propre. Des expériences de vie différentes produisent nécessairement des savoirs différents. È

Poussons la réßexion plus loin et admettons un instant qu'un des interlocuteurs possède un savoir absolu sur le passé de l'Autre dans le temps présent. Malgré le lien insécable qui existe entre le passé et le temps présent, ce savoir sur notre passé est entièrement relatif, c'est-à-dire qu'à tout moment d'interlocution, le passé, par définition, n'est plus. Ce qui subsiste, c'est une perception présente, relative à la situation de communication actuelle, de manifestations passées du système, et donc elle-même perception informationnelle de ces expériences passées. Ce sont des informations sur le passé qui demeurent, informations qui, par essence, ne sont pas absolues. En effet, comme le souligne Bateson (1980:55) : Ç dans le présent, ne subsistent que des messages relatifs au

passé, c'est cela que nous nommons souvenirs et cela, nous pouvons à chaque instant les recadrer et les moduler. È

Qui plus est, l'inférence présente se base sur des informations anciennes relatives, mais cette relativité existe également pour toute information nouvelle. En effet, bien que partageant un environnement potentiellement communément manifeste, il est impossible de prouver catégoriquement que la perception sensorielle de l'environnement direct du système est semblable chez tous les interlocuteurs. Il semble au contraire qu'il soit logique d'adopter l'optique que la perception sensorielle est subjective et donc relative à l'individu qui a cette perception.

EnÞn, le système communicationnel étant indépendant du système temporel, le premier se trouve être entièrement imprédictible sur le long terme. Le futur, de nature, n'est pas un état obtenu mais un ensemble de possibles. Très schématiquement, imaginons une communication oü un interlocuteur veut partir du point A pour arriver au point Z. Pour cela, il imagine une chaine partant de A pour faire inférer B, de B pour faire inférer C, et ainsi de suite jusqu'à Z. Cependant, nous savons qu'aucune communication n'est absolue mais hypothétique, et que l'interlocuteur ne possède aucune certitude d'arriver à amener l'Autre à B, ni même à C, etc. Il est probable qu'apparaisse une déviation, une perturbation qui amènera l'Autre à inférer B', ensuite C", et ainsi de suite sans peut être que l'interlocuteur n'arrive à son but Z.

Cette imprédictibilité sur le long terme est une expérience courante, théorisée depuis le développement par John Locke de la notion d' Ç association des idées È, qui correspond au phénomène que nous rencontrons lorsque dans une conversation nous nous retrouverons à un stade de la conversation, auquel, après coup, nous n'aurions jamais envisagé pouvoir arriver.

C. Jeux et enjeux

Ç Je me demande si je ne suis pas en train
de jouer avec les mots.
Et si les mots étaient fait pour ça ?È
Boris Vian, Les bâtisseurs d'empire.

Nous avons vu jusqu'ici que la communication était un système, fonctionnant sur le principe d'une recherche de pertinence optimale à laquelle coopèrent les interlocuteurs, cette pertinence permettant une économie cognitive et un bon déroulement de la mise en commun qu'est la communication.

Non-linéaire et imprédictible, le système ne peut atteindre la pertinence optimale de façon continue, et au contraire avance par Ç bonds È d'un état d'équilibre à un autre, passant pas des stades de déséquilibre. Or comme nous le dit Bateson (1980:45) Ç l'erreur est toujours psychologiquement coUteuse È, et de ce fait il y aura toujours un gain, inévitablement subjectif et relatif, à éviter ces erreurs. C'est à ce niveau qu'intervient la théorie des jeux. La théorie des jeux est Ç l'étude du comportement rationnel des individus en situation de conßit45 È, c'est-à-dire l'étude des décisions rationnelles d'individus se trouvant dans des situations de choix les menant à des gains. Plus particulièrement, la communication est une situation de jeu coopératif évolutionnaire, coopératif car il est un jeu dans lequel les interlocuteurs peuvent s'accorder, se coordonner sur la stratégie rationnelle optimale maximisant leurs gains et évolutionnaire car les joueurs adaptent leur comportement tout au long du jeu en fonction de l'histoire de ce dernier. Ainsi, le jeu est rythmé par des décisions rationnelles prises par les individus. Une décision est dite rationnelle lorsqu'elle maximise les intérêts de la personne qui la prend. Dans le cas de la communication, la rationalité est collective, c'est-à-dire que l'intérêt de chacun est de maximiser le gain de tous. Cette optimisation du gain collectif est obtenue via la coopération pour l'atteinte de la pertinence maximale, c'est-à-dire pour l'atteinte d'un équilibre.

C'est cet équilibre et la régularité qui en découle que nous verrons dans la première partie. Nous verrons ensuite en quoi cet équilibre, obtenu par coopération et raisonnement par régulation d'erreur(s), autrement dit par équilibrage, peut être source de jeux à d'autres niveaux, à savoir source de créativité et d'interférences.

45 Un conflit existe sous trois conditions : tout joueur peut influencer l'issue du jeu, aucun joueur ne peut contrôler unilatéralement le jeu, et chaque joueur apprécie différemment les résultats possibles. (Petit-Robin,1998) Cette situation de conflit correspond aux conditions de la communication.

C.1. Le jeu régulier

C.1.1. L'équilibre en communication

Ainsi, nous avons posé que les interlocuteurs coopèrent pour une recherche d'équilibre. Un équilibre appara»t dans le système lorsque tous les interlocuteurs sont subjectivement dans une position de pertinence optimale, i.e. une situation dans laquelle les gains de tous sont maximisés.

Avant de voir ce qui caractérise cet équilibre, nous verrons ce qu'il convient d'appeler gain. Lorsqu'il communique, un interlocuteur produit afin d'amener l'Autre à une certaine conclusion suite à une compréhension inférentielle, en d'autres termes, il cherche à l'amener à trouver du sens dans sa production. De plus chacun souhaite que la communication s'effectue à travers une pertinence optimale obtenue lorsque l'économie cognitive est maximale dans les limites de l'efficacité du système. Ainsi, nous pouvons considérer qu'un interlocuteur maximise ses gains lorsqu'il peut faire preuve d'une économie cognitive maximale, c'est-à-dire une configuration dans laquelle il peut faire l'économie d'efforts qui seraient inhérents à des expériences d'essais-erreurs, expériences dans lesquelles il produirait et comprendrait un surplus de signes et/ou dans lesquelles il devrait rectifier une insuffisance sémiotique antérieure.

Cependant, nous avons vu que la communication est une mise en commun durant laquelle les individus coopèrent au bon déroulement, ce qui fait du système un jeu coopératif dans lequel les décisions rationnelles des protagonistes ne sont pas faites dans le but de maximiser les gains individuels, mais dans celui de maximiser les gains collectifs, c'est-à-dire que l'augmentation du gain de chacun ne se fait qu'au travers de l'augmentation du gain collectif. Ainsi, le gain est maximal lorsque pour être efficace, chacun fait preuve d'une économie cognitive optimale. C'est pour cela que nous avons envisagé la définition de la pertinence à travers une recherche d'une économie maximale dans la limite de l'efficacité du signe : un interlocuteur ne cherche pas à maximiser ses gains personnels, auquel cas il lui suffirait d'optimiser son économie cognitive individuelle au maximum, ce qui

cependant lui ferait prendre le risque de compromettre l'efÞcacité générale du système. Au contraire, cette économie doit se faire relativement aux limites d'efÞcacité du système, c'est-à-dire que le gain individuel gr%oce à l'économie cognitive doit se faire dans la limite oü cette économie reste assez efÞcace pour maximiser le gain collectif. Pour résumer, une situation de pertinence optimale, visée par les interlocuteurs, est une situation de gain maximal qui n'apparait que lorsque chacun fait preuve d'une économie cognitive relativement maximale, à la condition qu'aucune économie cognitive ne compromette l'efÞcacité générale du système.

En d'autres termes, le jeu communicationnel a pour but d'arriver à une situation oü la communication est optimalement pertinente pour l'ensemble des interlocuteurs engagés dans le système, c'est-à-dire oü chacun maximise ses gains. Cette situation correspond à ce qu'il convient d'appeler un Ç équilibre de Nash È, équilibre correspondant à une situation dans laquelle Ç aucun joueur ne peut obtenir un gain supplémentaire en changeant unilatéralement de stratégie. È (Eber,2004:16) C'est cet équilibre qui est visé en communication. Nous pouvons considérer que la communication atteint son équilibre lorsque la mise en commun se fait de façon optimale, c'est-à-dire que chaque interlocuteur infère du sens depuis les productions de l'Autre dans une économie cognitive relativement maximale, et donc une situation dans laquelle tous les interlocuteurs sont subjectivement en position de pertinence maximale et dans laquelle changer de stratégie unilatéralement ne permettrait pas d'augmenter leurs gains. Il est important de souligner que le gain n'est pas individuel mais collectif. Ainsi, un équilibre de Nash en jeu coopératif comme la communication est atteint lorsqu'aucun des protagonistes n'a possibilité d'augmenter le gain collectif via un changement unilatéral, c'est-à-dire qu'un interlocuteur pouvant augmenter son gain personnel au détriment du gain collectif ne ferait pas tendre le système vers une position d'équilibre mais au contraire vers une position de déséquilibre, la recherche d'une augmentation de gain individuel par augmentation de l'économie cognitive individuelle se ferait au détriment du gain collectif et donc au détriment de l'efÞcacité du système. En d'autres termes, il ne serait plus pertinent.

Mais cet équilibre, bien que visé, ne peut être obtenu continuellement tout au long de la communication. En effet, les interlocuteurs sont dans un système

inférentiel et donc dans lequel ils ne peuvent pas juger par avance de la pertinence des signes, ce qui les amène à coopérer pour limiter au maximum les successions d'essais-erreurs, l'économie de ces erreurs représentant un gain. C'est pourquoi l'atteinte de l'équilibre se fait par un processus de tâtonnement, c'est-à-dire par paliers de déséquilibre marqués d'essais et d'erreurs auto-régulés au travers d'une coopération dans la recherche de l'équilibre. Dans toute situation communicative, le processus de rétroaction permet de juger de la justesse du choix de la stratégie de communication dans la visée de l'augmentation du gain collectif. En effet, avant d'obtenir l'équilibre de Nash, le système passe par des situations de déséquilibre, dans lesquelles les interlocuteurs peuvent subjectivement changer la stratégie adoptée pour augmenter la pertinence de la communication. C'est le statut autorégulateur du système qui permet aux interlocuteurs de juger de la pertinence de chaque signe, et donc de pouvoir juger si ce signe est celui qui augmente le gain collectif. Ainsi, le système est capable de s'auto-équilibrer en situation de déséquilibre. C'est cette situation d'équilibrage qui est créatrice de nouvelles formes de jeux, que nous verrons dans les deux dernières parties de ce travail. Avant, nous verrons le statut de l'équilibre sur un plan macroscopique, ainsi que l'enferment que sous-tend ce statut.

C.1.2. La régularité

Malgré des configurations toujours renouvelées et uniques de communications, il est indéniable qu' Ç en dépit d'expériences linguistiques différentes, les enfants élevés dans une même communauté finissent par utiliser des grammaires très semblables. È (Sperber&Wilson,1989:30) Ainsi, malgré le trouble de l'imprédictibilité présent dans l'expérience ponctuelle et microscopique d'une séquence de communication, une certaine régularité émerge au niveau macroscopique. Cette régularité est nécessaire à la pérennité et à l'efficacité du système communicationnel. Si le système ne présentait pas une certaine récurrence, il serait impossible à l'ensemble des utilisateurs du système de l'utiliser de façon optimale. En d'autres termes, il est indispensable que les interlocuteurs utilisant un même système de communication partagent une certaine norme afin de pouvoir communiquer, dans le cas contraire la communication ne serait qu'un amoncèlement hasardeux de signes aléatoirement produits possédant une certaine probabilité (quasi-nulle) de pertinence. Sans normes, l'atteinte d'un équilibre ponctuel ne pourrait être appris et ne permettrait pas l'utilisation future d'un sens pertinent afin de faire face à des situations communicationnelles nouvelles, avec le même interlocuteur et/ou avec les autres interlocuteurs utilisant la même norme.

La régularité du langage est un jeu particulier. Dans notre conception de la communication, ce ne sont pas les règles qui font le jeu, mais le jeu qui fait les règles. C'est par habitude qu'un signe devient sens, qu'un sens devient régularité, et par régularité qu'il devient règle, et non pas l'inverse. La régularité dans le langage existe bien avant la norme46, puisque c'est la norme qui décrit ces régularités, elle ne les impose pas. La transformation diachronique de l'utilisation d'un signe ne se fait pas par imposition d'une règle, mais bien par utilisation et habitude, un signe ne se créant ou ne disparaissant pas du système par décret mais bien par usage, devenant désuet non pas parce qu'une règle en décide, mais bien parce que son usage dispara»t.

46 Notre conception considère normes et règles comme synonymes.

C'est pourquoi la conception que nous faisons de la théorie des jeux se doit d'être précisée. En effet, selon la conception canonique de la théorie des jeux, notamment celle développée par Von Neumann, les joueurs sont envisagés comme de simples Ç supports rationnels È pour l'étude du déroulement de règles logiques. Un programme différent, développé par Borel, prend l'optique inverse en partant de l'étude du comportement des joueurs. En d'autres termes, cette seconde conception part du comportement des joueurs pour définir les règles et non pas des règles pour définir le comportement des joueurs. Les règles ne sont plus dictées, au contraire Ç les joueurs transforment les données dont ils disposent sur le jeu pour construire un monde mental de ce jeu. È (Schmidt,2007:61) En effet, les règles du jeu communicationnel ne sont pas dictées, elles sont une construction normative basée sur la régularité macroscopique de la fréquence d'usage d'un sens au niveau de la globalité du système. C'est cette conception que nous suivrons47.

Ainsi, le jeu en tant que règle renvoie à une représentation macroscopique de l'ensemble des situations d'équilibre de Nash, c'est-à-dire l'ensemble des patterns pertinents qui existent dans la mémoire du méta-système communicationnel. En effet, comme nous l'avons vu, les interlocuteurs ont tout intérêt à éviter des situations d'erreurs, et donc à apprendre et répéter des situations d'équilibres, c'est-à-dire des situations ponctuelles de pertinence optimale ayant permis un accord sur un sens, c'est ainsi que Ç les joueurs se trouvent amenés à construire leurs règles sur la base de quelques principes communément admis. È (Schmidt,2005:177)

Nous avons vu que le jeu communicationnel était un jeu évolutionnaire, à savoir un jeu dans lequel les joueurs adaptent leur comportement en fonction de la connaissance qu'ils ont de l'histoire du jeu, ce comportement permettant de déduire des situations passées celles qui seront les plus avantageuses. De ce fait, en communication, les interlocuteurs peuvent tirer au moment T des conclusions tirées de leurs expériences historiques de communication afin de pouvoir sélectionner le comportement ponctuel qui sera le plus adéquat pour tirer un maximum de gain de la situation actuelle. Ainsi, il ne leur est pas avantageux de se représenter les situations de déséquilibre au niveau macroscopique de la régularité, mais au contraire, pour

47 Pour un développement plus approfondi de la différence entre ces deux conceptions, voir Schmidt, 2007

une pertinence présente optimale, les utilisateurs du système, sur le long terme, ne considèrent comme constitutifs du système, et donc comme régularité, que les utilisations de sens effectivement pertinents, au détriment des sens non pertinents entrainant une situation de déséquilibre. Pour résumer cette idée, comme le dit Kawamoto (2011:351-352) :

Ç Parmi tous les éléments produits, c'est seulement les éléments participant heureusement à l'avancement de l'opération du système qui deviendront éléments constitutifs de ce dernier. Les frontières de l'ensemble des éléments constitutifs d'un système se détermineront donc uniquement en fonction du maintien de l'opération, de sorte que l'étendue de cet ensemble varie de façon continue, d'autant que les éléments produits par le système ne correspondent pas automatiquement à ceux qui participent à l'opération de ce dernier. È

Ainsi, la régularité est un méta-système représentant la tendance, la fréquence macroscopique du sens des signes, ce que l'on appelle Ç l'attracteur étrange È dans l'étude des systèmes dynamiques non-linéaires. Un attracteur étrange est une forme, une tendance vers laquelle un système dynamique tend, sans jamais l'épouser, c'est une Ç trajectoire vers laquelle toutes les autres convergent (...) sans jamais vraiment se joindre, sans jamais s'intersecter. È (Gleick,1989:204&220) C'est de cette façon que se comporte la régularité du système communicationnel. La norme régulière d'un signe est l'attracteur étrange de ce signe, c'est-à-dire la tendance du comportement d'usage vers lequel tend l'ensemble des utilisations de ce signe, à différents niveaux dans le méta-système communicationnel. Dans notre conception, la règle devient méta-motif fractal n'existant que par itérations de sous-motifs, c'est-à-dire qu'une forme générale régulière fractale émerge de l'itération de manifestations microscopiques turbulentes et imprédictibles. Nous allons voir dans la partie suivante ce qui caractérise cette nature fractale du système communicationnel, et son impact sur l'approche du système.

C.1.3. L'emprisonnement fractal de la régularité

Avant de venir à ce qui fait le caractère fractal du système communicationnel, nous allons dans un premier temps définir ce qu'est une fractale. Concept développé par Mandelbrot (1989), une fractale est une figure géométrique qui change selon l'échelle depuis laquelle on la considère. Imaginons un instant que l'on cherche à savoir quelle est la longueur du contour de la France. D'un point de vue macroscopique, la France est un hexagone et donc possède une certaine longueur si l'on considère ses contours à cette échelle. Si l'on se rapproche un peu, la France aura un contour plus complexe, ce qui modifiera les mesures premières. Si l'on continue de se rapprocher et qu'on imagine une mesure faite par un compas d'un mètre, le contour se fera encore plus complexe et la longueur sera plus longue, phénomène qui se reproduira si l'on prend un compas de cinquante centimètres, et à l'inverse si l'on s'imagine regarder la France depuis des milliers de kilomètres dans l'espace, la France ne sera qu'un point48. Pour résumer, une figure fractale est une figure dont la nature dépend de l'échelle d'observation envisagée et dont le motif global dépend des sous-motifs qui la constitue.

C'est ainsi que nous devons considérer le système communicationnel, comme un méta-système comprenant des sous-systèmes, eux-même comprenant d'autres sous-systèmes, la norme étant un méta-motif tiré d'une certaine régularité dans un ensemble de sous-motifs, et dont la nature dépend de l'échelle d'observation choisie. Ainsi, la régularité macroscopique en tant que norme de communication se compose en fonction d'un ensemble de situations communicationnelles, elles-mêmes composées d'un sous-ensembles d'interactions, composées d'un ensemble d'individus, communiquant au travers d'ensembles de signes, eux-mêmes composés d'ensembles de mouvements unitaires, etc. Ainsi née la forme macroscopique du

48 Cet exemple est repris et adapté depuis Mandelbrot (1989:20-42) et (1983:6) : Ç s'il s'agit d'une côte, raccourcir la toise fait qu'on tient compte de "caps" et de "baies" de plus en plus infimes, et que la longueur mesurée augmente È et Gleick (1989:142) : Ç l'estimation de la longueur de la côte anglaise par un observateur à bord d'un satellite sera inférieure à celle d'un observateur parcourant ses criques et ses plages, qui, à son tour, trouvera un résultat inférieur à celui d'un escargot escaladant tous les galets. È

système considérée comme norme, motif d'ensemble créé par l'itération de sous-motifs.

De fait, la nature du système communicationnel est fractale. Cette nature fractale crée un mouvement paradoxal au sein du système : alors que l'interlocuteur est créateur de la régularité, il lui est impossible, à son niveau microscopique, d'affecter le mouvement général du système, en d'autres termes, la dynamique générale du système en tant que norme est créée par les interlocuteurs mais il leur est impossible de la contrôler. Comme le dit Von Foester (2006) :

Ç Les individus sont liés les uns aux autres d'une part, ils sont liés à la totalité d'autre part. Les liens entre les individus peuvent être plus ou moins "rigides", le terme technique que j'emploie est "triviaux". Plus ils sont triviaux, moins, par définition, la connaissance des comportements de l'un d'eux apporte d'information à l'observateur qui conna»t déjà les comportements des autres. Je conjecture la relation suivante : plus les relations interindividuelles sont triviales, plus le comportement de la totalité appara»tra aux éléments individuels qui la composent comme doté d'une dynamique propre qui échappe à leur ma»trise. Je conçois que cette conjecture présente un aspect paradoxal, mais il faut bien comprendre qu'elle n'a de sens que parce que l'on prend ici le point de vue, intérieur au système, des éléments sur la totalité. Pour un observateur extérieur au système, il va de soi que la trivialité des relations entre éléments est au contraire propice à une ma»trise conceptuelle, sous forme de modélisation. Lorsque les individus sont trivialement couplés (du fait de comportements mimétiques par exemple) la dynamique du système est prévisible, mais les individus se sentent impuissants à en orienter ou réorienter la course, alors même que le comportement d'ensemble continue de n'être que la composition des réactions individuelles à la prévision de ce même comportement. Le tout semble s'autonomiser par rapport à ses conditions d'émergence et son évolution se figer en destin.È (nous soulignons).

De ce fait, les interlocuteurs se trouvent prisonniers de règles du jeu qu'ils créent et entretiennent, sans pouvoir en retour contrôler la dynamique de ces règles macroscopiques qui Ç opèrent comme un code qui conditionne les comportements des joueurs et façonnent les recommandations de la théorie des jeux. Le code ainsi tiré des règles du jeu est le résultat de leur interprétation par les joueurs. È (Schmidt, 2007:65) Toute dynamique individuelle, ou toute situation de jeu49, ne pourra se faire qu'en fonction et relativement aux règles du jeu, et toute création ne pourra se faire que relativement à une norme, en d'autres termes Ç la langue est en même temps en variation par rapport à des codes établis et génératrice de nouveaux codes È (Fortin, 2007:111), cette génération de nouveaux codes, de nouvelles règles étant insaisissable du point de vue de l'interlocuteur.

49 Nous verrons ces deux formes de jeu dans la deuxième et troisième partie de ce chapitre.

Considérer la communication comme système fractal permet d'expliquer deux points théoriques, l'un linguistique et l'autre propre à la théorie des jeux.

Le premier point sur lequel la conception fractale du système permet de revenir est la conception initiée par Saussure (1916) d'une dissociation possible entre synchronique et diachronique, le premier étant Ç ce qui se rapporte à l'aspect statique, (...) prim(ant) sur l'autre, puisque pour la masse parlante il est la vraie et seule réalité È (Saussure,1995:117&128), le diachronique étant négligeable pour le sujet parlant, car pour lui Ç la succession (des faits de langue) est inexistante, il est devant un état. È (ibid:117) Ainsi la langue semble-t-elle évoluer sans que ses utilisateurs ne puissent en saisir l'évolution. Cependant, cette stabilité apparente est illusoire. Comme nous l'avons vu le système est dynamique et donc en perpétuel mouvement de renouvellement par auto-production. L'apparence de stabilité est due à la nature fractale du système qui engendre l'impossibilité pour l'interlocuteur de contrôler le mouvement global du système. En d'autres termes, le changement durable sur le long terme à l'intérieur du système ne se fait que par une infinité de manifestations microscopiques perçues comme insignifiantes, la forme fractale générale macroscopique ne semblant pas être affectée par les changements microscopiques des sous-motifs. Pour reprendre l'image de la mesure des contours de la France, un changement microscopique comme la modification d'un cap ou d'une baie ne changera pas la dimension d'une mesure macroscopique, ce qui laisse une impression de statisme de la forme générale. Pourtant, si les contours de la France devenaient système dynamique en mouvement constant comme l'est la communication, c'est-à-dire si quelqu'un entreprenait de changer tous les jours les caps et les baies, la forme générale de la France donnerait toujours l'impression d'être statique à un temps T, alors que le changement serait visible entre un temps T et un temps infiniment supérieur à T. Le mouvement est le même pour les règles du jeu en communication. De ce fait, la distinction entre diachronique et synchronique n'est pas pertinente car aucun état statique n'existe, le système est en continuel mouvement et renouvèlement, le statisme apparent n'est que l'illusion de l'impossible contrôle de la dynamique macroscopique du système fractal.

Cette forme fractale du système nous donne également l'explication du postulat en théorie des jeux partant des règles pour expliquer le comportement des joueurs, que nous avons déjà abordé dans la partie précédente. Ainsi, selon cette

conception, ce sont les règles qui expliquent le comportement des joueurs. Les joueurs sont donc impuissants face à la dynamique des règles, puisque créer une nouvelle règle ponctuelle n'affecterait pas la norme macroscopique. Les interlocuteurs se retrouvent ainsi prisonniers de, pour reprendre l'expression de Sapir, Ç ce code, secret et compliqué, écrit nulle part, connu de personne, entendu par tous. È (1967:46 cité dans Winkin,2000:64) C'est pourquoi l'interlocuteur communique en répétant des expériences apprises qui lui apparaissent comme règles et qui lui semblent imposées, puisque s'il veut communiquer il ne peut échapper à ces règles, et pourtant, ce sont ces manifestations individuelles de communication, combinées à celles de tous les interlocuteurs partageant la même norme, qui créent et perpétuent ces règles qui lui semblent imposées.

Nous avons vu dans cette première partie ce qu'il convenait d'appeler un équilibre, et en quoi cet équilibre était créateur de régularité d'un point de vue fractal. Cependant, cet équilibre n'est pas atteint continuellement, au contraire, le déséquilibre est présent et le système évolue au niveau macroscopique par paliers d'équilibre en équilibre, passant par des phases de déséquilibre durant lesquelles les interlocuteurs entreprennent un processus d'équilibrage. Ce mouvement entre équilibre et déséquilibre est un processus qui crée deux nouvelles50 formes de jeux : le jeu en tant que production volontaire de déséquilibre dans le but d'engendrer un processus d'équilibrage méta-communicationnel qui sera créatif, et le jeu en tant que déséquilibre involontaire, source d'incompréhension et auquel le processus d'équilibrage viendra remédier51.

50 Nouvelles car non considérées dans la Théorie des Jeux

51 L'anglais possède deux mots distincts pour séparer ces deux types de jeux : game et looseness.

C.2. Le jeu créatif

Ce type de jeu n'est pas considéré dans la théorie des jeux classique, du moins pas en tant que solution du jeu. Nous allons voir ici comment le jeu en tant que création de processus d'équilibrage peut être utilisé afin d'augmenter le gain collectif, c'est-à-dire en quoi la création d'une situation de déséquilibre afin d'entrer en processus d'équilibrage est le choix le plus rationnel maximisant la pertinence de l'échange.

Ce type de jeu renvoie à une facette de la théorie des jeux appelée Ç ruse È, correspondant à Ç l'aptitude à utiliser à son profit les ambigu
·tés qui accompagnent toute règle du jeu et la marge d'indétermination qu'elle laisse aux joueurs. La ruse consiste pour l'un des joueurs à créer une asymétrie d'informations à son avantage qui ne figure pas dans la structure initiale du jeu. È (Schmidt,2007:61, nous soulignons) Le système de jeu communicationnel, qui est notre sujet d'étude, n'est pas un jeu à gain personnel, mais un jeu à gain collectif, ainsi la ruse n'est pas source d'avantage ou de profit en tant que gain personnel, le profit tiré de la ruse est utilisé en tant qu'avantage dans la maximisation de la pertinence52, en d'autres termes, l'obtention d'un état d'équilibre se fait par création d'une asymétrie d'informations. Pour résumer, à l'inverse des situations habituelles visant directement l'équilibre, ici, c'est le déséquilibre qui est la solution pour l'atteinte de la pertinence, i.e. si un interlocuteur veut que l'Autre obtienne le sens voulu dans sa production, la solution la plus pertinente est de créer ce déséquilibre.

Nous verrons ici les trois situations dans lesquelles ce jeu en tant que déséquilibre est ce qui est visé dans l'échange communicationnel : le jeu métacommunicationnel, le cas du mensonge ainsi que l'usage stylistique.

52 Cela pourrait sembler contre-intuitif de considérer que le gain reste collectif dans certains cas de communication comme par exemple le cas du mensonge, oü l'on pourrait penser que le profit ne revient qu'à un seul interlocuteur. Or, si un interlocuteur veut que son mensonge fonctionne, il faudra que sa communication soit pertinente, et donc, selon notre définition, que le gain maximal soit collectif. Nous développerons cela par la suite.

C.2.1. Le jeu méta-communicationnel

Une des premières causes de jeux volontaires est celle du jeu utilisé afin de méta-communiquer, c'est-à-dire l'utilisation du jeu pour communiquer sur la relation et non de l'information. La création Ç d'asymétrie d'informations È a pour but ici de faire changer le plan sur lequel communiquent les interlocuteurs. Comme le souligne Gardiner (1989:24) : Ç dans bon nombre de cas, on ne parle de rien en particulier. È Ainsi, nombre de communications ont une finalité relationnelle plutôt qu'informationnelle, ce qui fait du langage humain un système bien particulier. En effet, Ç la communication humaine se distingue justement des autres formes de communication par le fait qu'elle n'a pas nécessairement comme finalité l'information È au contraire, dans nombreux cas Ç le langage ayant une fonction de socialisation, le jeu et le contact sont essentiels et ont le pas sur l'information. È (Yaguello,1981:15&26) Cette fonction méta-communicative, en tant que communication sur la relation interactionnelle, est permise par le jeu créatif, qui permet aux interlocuteurs d'exprimer deux sortes de relations : la confirmation ou l'annulation de l'interaction.

Ainsi, Ç dans la vie courante, une bonne partie des échanges n'ont d'autres fonctions que d'assurer le contrat social. È (ibid,26)53 Dans ce type de communications, il y a asymétrie d'informations en ce sens que si l'on se réfère au strict contenu de l'échange, il pourrait sembler soit composé de trop d'informations, soit vide de tout contenu, et de ce fait non pertinent d'un point de vue informationnel. La fonction de ce type de communication se trouve ailleurs, dans l'établissement et/ ou la confirmation de la relation sociale, c'est pourquoi les interlocuteurs sont mal à l'aise lorsqu'un vide appara»t dans une interlocution, et pourquoi les conversations ordinaires regorgent dans leur majorité de sujets qui pourraient à première vue sembler dénués d'intérêt, ou encore pourquoi il est incorrect d'envisager la communication comme simple expression d'une pensée. Ainsi, lors d'un d»ner de famille, les anecdotes d'un membre servent-elles vraiment à communiquer une information sur quelque chose ou le but n'est-il pas d'affirmer et de confirmer le statut

53 Nous ne reviendrons pas sur les théories développées dans la première partie, mais nous rappellerons que certaines spéculations théoriques envisagent que le langage a pour origine cette création de contact social. Voir notamment Gardiner (1989:7)

social familial dans lequel sont engagés les interlocuteurs ? Lorsqu'une épouse rentre chez elle et raconte sa journée à son mari, cherche-t-elle vraiment à ce que celui-ci trouve de l'intérêt dans ces informations sur des personnes qu'il ne conna»t pas ou l'intérêt de chacun se porte-t-il dans une confirmation de la relation sentimentale qui existe entre les deux ? Nous pourrions trouver nombreux autres exemples comme ceux-ci et dans chacun nous dirions que la production communicationnelle para»t non pertinente si nous n'envisageons pas que l'équilibre puisse se faire au niveau méta-communicationnel. En d'autres termes, si nous devions considérer la communication uniquement au sens strict, i.e. à son premier niveau, ce type de jeu serait créateur de Ç non informationÈ, en ce sens que ces communications sont non pertinentes si nous ne considérons que le niveau informationnel de la communication.

Il existe une seconde configuration dans laquelle ce jeu métacommunicationnel est utilisé comme processus de création d'un déséquilibre de premier niveau pour engendrer un mécanisme d'équilibrage de second niveau. Comme nous l'avons vu dans l'introduction, il est impossible de ne pas communiquer. Que reste-t-il donc à un interlocuteur qui ne souhaite pas s'engager dans la relation nécessairement sous-tendue par une interaction ?

Watzlawick (1972) développe trois issues possibles à une situation dans laquelle un interlocuteur A souhaite interagir alors que l'autre B ne le souhaite pas. La première solution pour B est le Ç rejet È de la communication, c'est-à-dire la signification explicite de ce refus, ce qui est une solution contraire aux normes de bienséance, et qui engagerait malgré tout les interlocuteurs dans une forme de relation car rejeter explicitement la communication revient à communiquer, le rejet de l'interaction est donc la création d'une forme d'interaction. La seconde solution est d'accepter la communication, de se résigner à interagir, ce qui pourra créer chez l'interlocuteur s'y résignant un sentiment de regret et/ou de faiblesse. La dernière solution, et c'est celle qui nous intéresse plus particulièrement ici, est Ç d'annuler È la communication, une situation dans laquelle Ç la manière de communiquer frappe de nullité sa propre communication ou celle de l'autre. L'annulation recouvre toute une gamme de communications : contradictions, incohérences, ou bien changer

brusquement de sujet, prendre la tangente, ou bien phrases inachevées, malentendus, obscurité du style ou maniérisme du discours, interprétations littérales de la métaphore et interprétation métaphorique de remarques littérales, etc. È (1972:75) Cette situation est intéressante pour notre propos, car elle correspond à une situation dans laquelle l'interlocuteur veut créer un déséquilibre qui sera impossible à équilibrer d'un point de vue communicationnel : c'est d'un point de vue méta-communicationnel que ce type d'échange trouvera son équilibre et donc sa pertinence. En d'autres termes, l'interlocuteur utilisant ce processus crée volontairement du jeu en tant qu'asymétrie d'informations, afin que ses formes de communication ne soient pas pertinentes pour l'Autre, en créant une forme de communication dont Ç le résultat à toutes les chances d'être un pur et simple charabia È (ibid,77), c'est-à-dire des productions dans lesquelles l'Autre n'arrive pas à donner de sens d'un point de vue informationnel. Ainsi, en créant un déséquilibre, l'interlocuteur B fait passer le processus d'équilibrage à niveau métacommunicationnel, niveau dans lequel les productions de celui qui annule la communication seront pertinentes car elles communiqueront sur la communication, et plus particulièrement sur le souhait du premier de ne pas être dans cette situation communicationnelle.

Ainsi, dans ce type de communications, l'interlocuteur, prisonnier d'une situation communicative de laquelle il ne peut s'échapper, cherche à annuler la conversation en frappant sa communication de nullité significative, un interlocuteur produit et ne sous-tend pas la communication d'un sens, c'est-à-dire que ces signes sont non pertinents au niveau communicationnel et à dessein sources d'un déséquilibre qui sera équilibré une fois que l'Autre trouvera le sens, et donc l'équilibre par pertinence, au niveau méta-communicationnel.

C.2.2. Le cas du mensonge

Avant de venir à l'utilisation de ce type de jeu pour permettre le mensonge, revenons un instant sur l'équilibre, et plus particulièrement sur l'équilibre en situation de mensonge. Il pourrait sembler contre-intuitif de considérer que le gain est collectif en situation de mensonge, c'est-à-dire que celui qui ment utilise l'asymétrie d'informations pour l'avantage collectif. Le gain pourrait sembler individuel. Or, il n'en est pas ainsi selon notre définition de l'équilibre. L'équilibre doit toujours être un gain collectif : celui qui ment cherche à ce que l'Autre trouve du sens dans sa production et donc qu'il la trouve pertinente, or nous avons vu que pour être pertinente, une communication se doit d'atteindre l'équilibre par maximisation du gain collectif. Ainsi, nous ne pouvons pas contredire qu'il existe un certain gain, un certain avantage personnel trouvé par un interlocuteur dans un mensonge, mais celui-ci est d'un ordre autre que communicationnel (moral, sociologique, etc.) et donc n'intéresse pas directement notre propos.

Le jeu en tant que ruse par création d'asymétrie d'informations peut donc être utilisé par un interlocuteur afin de mentir. Le mensonge est un choix communicationnel, conscient et délibéré, d'un interlocuteur souhaitant tromper l'Autre54. Un menteur est un Ç homme aux deux pensées, celle qu'il tient pour fausse et qu'il déclare, et celle qu'il tient pour vraie et qu'il tait, (...) (c'est-à-dire) le désir de tromper en parlant contre sa pensée. È (Cavaillé,2004:96) De ce fait, nous définirons le mensonge comme une communication intentionnellement produite par un interlocuteur de manière à ce que celle-ci contredise consciemment un pattern qu'il tient pour vrai dans son environnement cognitif. Est donc considéré comme mensonge tout signe qui est délibérément produit et qui va volontairement à l'encontre des patterns tenus pour Ç vrais È dans l'environnement cognitif de celui qui produit, en d'autres termes, un interlocuteur qui ment connait la vérité.

54 Ekman,2009:28 : Ç A liar can choose not to lie. Misleading the victim is deliberate; the liar intends to misinform the victim. (...) One person intends to mislead another, doing do deliberately, without prior notification of this purpose, and without having been explicitly asked to do so by the target. È

Il existe deux types différents de mensonges : direct, c'est-à-dire par falsification, et indirect, par ambigu
·té, correspondant aux cas de tromperies. Nous allons voir en quoi le jeu en tant que ruse est utilisé dans le second, et en quoi le premier n'est pas un cas de jeu tel que nous l'étudions dans cette partie.

Ainsi, la première configuration de mensonge est le mensonge par falsification. Cette configuration est une configuration dans laquelle l'interlocuteur présente des informations à l'Autre qu'il sait délibérément fausses55. Nous ne nous intéresserons pas à ce cas ici, car ce type de mensonge se fait selon les mêmes règles qu'une communication dite Ç vraie È : ce qui diffère ici est une notion de vériconditionnalité, ce qui, comme nous l'avons vu auparavant, n'a pas attrait à notre sujet. En d'autres termes, bien que possiblement créateur d'un autre type de jeu, que nous verrons dans la dernière partie, le mensonge par falsification n'est pas un jeu en tant que ruse, il n'y a pas d'exploitation de l'ambigu
·té relative aux règles du jeu communicationnel, mais bien une utilisation directe des règles du système.

Le type de mensonge qui nous intéresse présentement est le cas du mensonge comme tromperie, c'est-à-dire le cas oü Ç il ne s'agit pas de tromper positivement autrui par des signes faux (...) mais de lui dissimuler légitimement une information à travers l'usage de signes qui ne sont pas faux, même si leur effet est bien de tromper. L'intention première n'est donc pas de tromper, mais de cacher la vérité. È (Cavaillé,2004:97)56 Un interlocuteur usant de ce type de ruse se trouve dans une situation dans laquelle il ment par utilisation d'une ambigu
·té propre au système et à ses règles. Ce type de jeu, permettant la création d'une asymétrie d'informations, exploite la nature inférentielle, et donc implicative et hypothétique de la communication. Comme nous l'avons vu auparavant, la communication est production de signes et la compréhension reconstruction d'hypothèses, d'implications dont les signes sont les indices.

Cette nature inférentielle permet la tromperie de deux façons : dans un premier temps, la tromperie peut jouer sur la présomption de pertinence d'une production, et donc sur le fait que l' Ç on peut être optimalement pertinent sans pour

55 Ekman,2009:28 : Ç (the liar) presents false informations as if they were true. È

56 Également Ekman,2009,28 : Ç the liar withholds some informations without actually saying anything untrue. È

autant être " aussi informatif que le demande les objectifs de l'échange en cours " : si, par exemple, on garde pour soi des informations dont la connaissance serait pertinente aux interlocuteurs. È (Sperber&Wilson,1989:243) Ainsi, ce type de mensonge est possible par la capacité d'être pertinent sans pour autant communiquer l'ensemble des informations dont un interlocuteur dispose, c'est-à-dire que lorsqu'un interlocuteur communique, l'Autre attend qu'il soit optimalement pertinent, et donc enclin à fournir ce maximum d'informations.

Dans un second temps, la nature inférentielle du processus communicationnel permet la tromperie par production de signes dits Ç équivoques È, c'est-à-dire Ç toute communication détournée, ambigu`, contradictoire, tangentielle, obscure ou même évasive, qui n'est ni un message faux ni une claire vérité, mais plutôt une alternative à laquelle on a recours lorsque tous deux doivent être évités. È (Bavelas&al.,1990:21 cité dans Cavaillé,2004:106) La tromperie devient ainsi une production de signes ambigu`s et polysémiques, permettant la création d'implications trompeuses.

Ce type de mensonge est le plus courant dans la communication et ce pour plusieurs raisons. Dans un premier temps, la tromperie est plus simple que la falsification57. De plus, la tromperie n'est pour certains pas considérée comme un mensonge58, elle est du moins majoritairement vu comme moins répréhensible que la falsification, ce qui permet d'éviter les dommages moraux associés au mensonge direct. En effet, dans ce type de mensonge, Ç l'intérêt majeur est de rendre le demandeur responsable des inférences erronées et non le répondant, qui pourra toujours se réfugier derrière le malentendu. È (ibid:109) Malgré leur opposition flagrante, la falsification et la tromperie sont toutes deux sources d'une troisième forme de jeu, que nous verrons dans la partie 3 de ce chapitre. Avant, nous verrons comment le jeu en tant que ruse peut être utilisé dans une troisième perspective.

57 Ekman,2009:29 : Ç when there is a choice about how to lie, liars usually prefer concealing to falsifying, (...) it seems lees reprehensible and is much easier to cover afterward. È

58 Ibid:28 : Ç not everyone considers concealment to be lying. È

C.2.3. Le jeu ludique

Le dernier pan du jeu en tant que ruse comme création volontaire d'asymétrie d'informations par exploitation de l'ambigu
·té des règles est le jeu de langage tel qu'il existe selon la définition première du jeu que nous pouvons trouver dans un dictionnaire : Ç action de s'adonner à un divertissement qui n'a d'autre but que le plaisir, la distraction, l'amusement. È (Larousse,Dictionnaire de la langue fran caise,1992) De nouveau nous nous retrouvons dans une situation oü le langage est utilisé dans un but autre que le transfert d'informations, la communication humaine possédant cette singularité qu'elle peut être utilisée à des fins uniquement ludiques, fins dont les manifestations sont nombreuses et dont nous ne pourrions faire une liste exhaustive, néanmoins des exemples de ces jeux sont les Ç calembours, rébus, charades, contrepets, bouts-rimés, comptines, devinettes, mots-valises, mots croisés, anagrammes, etc. È (Yaguello,1981:13) Ces ensembles de manifestations de jeu sont ce que Lecercle (1996) appelle le Ç reste È, et qui renvoie à toutes ces manifestations qui transgressent les règles, qui dépassent les frontières des règles, oü ce n'est plus le locuteur qui communique, mais oü le signe existe pour lui-même, résonant en écho à sa propre nature.

Ce type de jeu de langage à but de divertissement, que nous appèlerons par simplification jeu ludique, ne peut se détacher de son rapport aux règles en tant que régularité. Le jeu ludique est toujours joué en fonction des règles régulières, il leur fait toujours écho, exploitant l'ambigu
·té qui leur est propre pour les transgresser, et c'est justement par cette nature ambig·e que le jeu ludique est possible, c'est-à-dire que Ç jouer suppose qu'on connaisse les règles et le moyen de les tourner en exploitant l'ambigu
·té qui caractérise les langues naturelles ainsi que la créativité qu'elles autorisent. È (Yaguello,1981,13) La nature paradoxale des règles régulières leur donne ce statut ambig·e : bien qu'elles soient du fait de l'interlocuteur, il ne peut les contrôler et paraissent imposées à lui, et inversement. Ainsi l'un est-il inséparable de l'autre, comme le dit Yaguello (ibid,31) Ç le propre du jeu est de conjuguer la turbulence et la règle, la liberté et la contrainte È, le jeu ludique est indissociable des règles régulières, la turbulence d'un jeu ludique d'un point de vue microscopique n'est possible que par l'existence d'une certaine constante macroscopique qu'il

enfreint, sans être capable de la bouleverser complètement. Le jeu ludique, bien qu'au delà des frontières des règles, reste du langage, i.e. Ç pour le plus grand plaisir de (l'interlocuteur), des règles sont violées, localement et temporairement, (...) le texte est néanmoins reconnaissable à tous les niveaux de l'analyse : l'infraction est localisée, sur fond de respect global des règles. È (Lecercle,1996:11, nous soulignons)

De ce fait cette transgression des règles ne fait pas du jeu ludique son opposé. Ainsi, tout jeu ludique, bien que dépassant les frontières des règles, bien qu'appartenant au Ç reste È, est toujours du langage, Ç au delà de la frontière, il n'y a pas de chaos linguistique, il y a du langage encore parfaitement intelligible. È (ibid:28) Les nonsenses de Caroll ou de Lear sont ludiques de par le fait qu'intuitivement, ces nonsenses sont du langage Ç malgré tout È, et se doivent de rester du langage s'ils veulent être entendus.

Ainsi, l'interlocuteur usant du jeu ludique transgresse les règles qu'il impose mais qui lui sont imposées, et paradoxalement, de par la nature fractale des règles, les affirment en les transgressant, et c'est dans ce paradoxe que le jeu trouve son équilibre. En d'autres termes, le jeu ludique est possible de par l'affirmation de son identité de jeu, méta-communiquant que les signes ne sont pas à prendre Ç au pied de la lettre È mais au contraire en tant que transgressions d'une règle. L'équilibre est ainsi méta-communicationnel, le caractère ludique du jeu se trouvant dans la reconnaissance de cette pertinence au second niveau. L'humour d'un mot d'esprit n'existe que parce que l'Autre reconna»t son identité en tant que jeu, un interlocuteur ne saisissant pas l'ironie ou l'humour d'une communication d'un Autre mènera très vite à une incompréhension et la nécessité d'autoréguler, et à celui qui joue de produire des signes du type Ç c'est une blague È.

Prenons pour exemple le procédé littéraire que l'on appelle une annomination. L'annomination est un processus consistant à Ç remotiv(er) un nom par étymologie, métanalyse ou traduction. È (ibid:74) Ce processus est prolifique en littérature, notamment lors de la nomination des personnages : que faire de la gardienne d'orphelinat appelée Mme Mann par Dickens ? Le lecteur ne sent-il pas derrière ce nom l'incapacité du personnage à tout élan maternel ? Même phénomène pour Mr Bumble, personnage se voulant de grande classe mais dont le nom n'évoque au

lecteur qu'une amusante maladresse. Or, par quelle convention, par quelle règle le lecteur peut-il se permettre d'interpréter que Mme Mann renvoie au nom man et que Mr Bumble renvoie à bumbling ou à to bumble around ? La convention, la règle normative veut que le nom propre soit d'un total arbitraire. L'auteur et le lecteur en viennent à ce Ç sens È du nom propre par transgression de cette règle d'arbitraire, créant une étymologie au nom propre qui expliquent les origines et la nature du personnage. Il en va de même pour le jeu littéraire du mot-valise, fusion arbitraire de deux mots afin de créer un néologisme. Du poème Jabberwocky de Lewis Carroll dans Through the Looking-Glass au pianocktail de Boris Vian dans L'écume des fours, le jeu ludique du mot-valise force le néologisme en exploitant et jouant avec la capacité du système à créer ses propres éléments et à les modifier.

Ainsi le jeu ludique est-il transgression ponctuelle et microscopique d'une régularité macroscopique qui, de par sa nature fractale, ne s'en trouve pas affectée. Tout du moins est-ce le cas de la majorité des jeux ludiques, car il faut compter certains exemples originellement jeux ludiques et devenus jeux réguliers. Lecercle (1996:12) prend l'exemple de la phrase de Gertrude Stein Ç a rose is a rose is a roseÈ, originellement jeu ludique mais aujourd'hui devenue productive dans la langue anglaise. En résumé, bien que ponctuelle, de par la nature imprédictible du système, une forme de jeu ludique peut devenir forme régulière si celle-ci se manifeste régulièrement et se fait adopter par une communauté parlante.

C.3. Le jeu interférant

Nous avons vu dans la partie précédente en quoi le jeu pouvait être utilisé pour la ruse, c'est-à-dire en tant que création volontaire de jeu. Nous nous interrogerons dans cette dernière partie sur le jeu involontaire, sur l'incidence des limites d'aptitudes, propres aux locuteurs mais non sujettes aux choix, dans l'optique oü elles peuvent entrainer une situation d'asymétrie, une situation de Ç déformation des messages produite par une divergence sur les postulats qui régissent la production et la compréhension des messages. È (Winkin,2000:131)

Nous verrons ici en quoi la mise en commun par confrontation de sens peut amener des malentendus59 dans la compréhension et des interférences dans la production, ces situations de divergence renvoyant à une seconde définition de la notion de jeu, celle définissant un Ç défaut de serrage, d'articulation entre deux pièces d'un mécanisme. È (Petit Robert,2000) Ainsi, nous analyserons ici les situations dans lesquelles les patterns de sens diffèrent et entrainent des malentendus, puisque Ç si le contexte utilisé par (un interlocuteur) ne correspond pas à celui qu'envisageait (l'Autre), il peut y avoir malentendu. È (Sperber&Wilson,1989:32)

Ces configurations communicationnelles sont des configurations dans lesquelles les interlocuteurs ne jouent pas le même jeu, tout du moins pas selon les mêmes règles, créant un certain déséquilibre qui engendrera une nécessité d'équilibrage. Comment deux locuteurs enclins à une recherche d'équilibre par pertinence maximale peuvent-ils se trouver dans une situation oü les signes produits interfèrent dans l'échange ? Quelles sont ces situations de Ç divergences de postulats È qui amènent la communication à ne pas être pertinente ? Nous verrons dans un premier temps l'interférence mineure, ou conversationnelle et culturelle. Ensuite, nous aborderons la question du mensonge, sous un angle différent de celui de la partie précédente60. Enfin, nous envisagerons l'affect de l'émotionnel et du pathologique dans la communication.

59 Selon la définition de Mizzau et Galatolo (2000,1), un malentendu est Ç une divergence interprétative d'au moins deux interlocuteurs et dont au moins un d'entre eux ne soit pas immédiatement conscient. È

60 En d'autres termes, nous avons vu en quoi le mensonge peut utiliser le jeu pour exister, dans cette partie, nous allons voir en quoi le jeu peut se retourner contre l'interlocuteur mentant.

C.3.1. Le jeu conversationnel et culturel

Le premier cas, que nous appellerons jeu conversationnel et culturel, correspond aux asymétries d'informations Ç dues à la disparité des arrières plans présuppositionnels, des expériences biographiques, (et/ou au fait que) les locuteurs appartiennent à des communautés parlantes et à des cultures différentes, asymétrie(s) qui s'amenuise(nt) dans la confrontation des états de croyance. È (Armengaud,1999:116) Ce sont des types de jeux, communément appelés malentendus, qui peuvent être considérés comme mineurs, puisque aisément régulables par méta-communication sur les signes interférants.

La première manifestation de ce type de jeu correspond à ce que nous appellerons le jeu conversationnel, premier pan de la définition d'Armengaud citée plus haut. Ce jeu renvoie à l'inévitable différence qui existe entre les mémoires des interlocuteurs, c'est-à-dire l'inévitable altérité des sens appris par chacun. Autrement dit, le sens d'un signe peut discorder entre un interlocuteur et l'Autre, et donc l'interlocuteur produisant peut envisager une compréhension par l'Autre qui dans les faits divergera de celle prévue. Également, la déviation peut être environnementale. En effet, Ç si le contexte utilisé par un (interlocuteur) ne correspond pas à celui qu'envisageait l'Autre, il peut y avoir malentendu. È (Sperber&Wilson,1989:32) Dans ces configurations communicatives, il existe une différence entre l'environnement effectivement utilisé par un interlocuteur et l'environnement d'utilisation prévu par l'Autre. Enfin, un jeu conversationnel peut trouver sa source dans la nature homonymique des signes qui la compose, plus particulièrement et plus évidemment pour le versant locutionnel des signes. Ainsi le signe peut-il être utilisé pour renvoyer à plusieurs sens par le même interlocuteur, ce qui interférerait à la compréhension lorsque l'Autre envisagera le signe dans un sens différent de celui que lui prête l'interlocuteur le produisant61.

61 Le mécanisme du jeu conversationnel dO à l'existence de l'homonymie du signe reste somme toute équivalent au mécanisme du jeu conversationnel dO à l'existence de sens divergents d'un interlocuteur à un autre.

Ce type de jeu peut s'étendre à ce que nous appèlerons jeu culturel. Plus qu'un nouveau type de jeu mineur le jeu culturel est plutôt une continuité du jeu conversationnel. En définitive, les pans qu'il convient d'appeler conversationnel et culturel, plutôt que séparés et séparables, représentent les deux extrémités, les deux bornes du premier type de jeu, le jeu mineur. En effet, il est difficile de tracer une frontière véritable entre le conversationnel et le culturel. Comme le dit Gardiner (1989:50) :

Ç Le locuteur et l'auditeur (...) doivent, en fait, parler la même langue, c'est-à-dire ne pas simplement s'exprimer dans la même langue, mais aussi employer un vocabulaire compréhensible par l'un et par l'autre. Un paysan français ne vous comprendra pas si vous lui parlez en anglais, mais il ne vous comprendra pas davantage si vous employez des mots comme psychanalyse ou binôme, car ni le son ni le sens de ces mots ne lui sont familiers. È

C'est ce domaine du rapport social qui rend floue la possible séparation de l'appartenance ou non d'interlocuteurs à la même culture. En effet, peut-on considérer qu'un ministre français et un agriculteur français font partie de la même culture ? Ë l'inverse, avec la globalisation des mass medias, peut-on dire aujourd'hui qu'un américain et un européen font partie de cultures totalement différentes et imperméables l'une à l'autre ? La discussion sur ce sujet n'est pas de notre ressort, mais de ce questionnement nous retiendrons que la séparation possible reste floue, le tracé des frontières indécidable, c'est pourquoi nous resterons dans une optique du jeu mineur existant sur un continuum allant du conversationnel au culturel. La séparation se faciliterait si nous ne considérions que le versant locutionnel des signes, cependant notre étude porte sur l'ensemble des manifestations sémiotiques, et il est indéniable que l'élocutionnel puisse avoir un caractère transculturel, ce que fait remarquer Bateson (1980:126) lorsqu'il s'interroge : Ç comment se fait-il que les systèmes paralinguistiques et kinésiques des hommes appartenant à des cultures qui nous sont étrangères, et même les systèmes paralinguistiques des autres mammifères terrestres, nous sont au moins en partie intelligibles, alors que le langage verbal des hommes appartenant à des cultures étrangères nous est complètement opaque ? È

Ainsi nous ne pouvons nier l'existence d'un jeu culturel, inhérent à la rencontre d'interlocuteurs de Ç cultures È différentes. Ë l'autre bout du spectre des jeux mineurs, l'interférence peut se manifester sur toute forme de signes,

qu'ils soient locutionnels ou élocutionnels. L'interférence locutionnelle émerge dans les cas de bilinguisme, dans lesquels un interlocuteur communique avec un autre alors que les deux ne partagent pas la même langue maternelle. De ce fait, l'interlocuteur utilisant une seconde langue peut prêter à un signe un sens qui ne Ç convient È pas ou calquer des structures de sa langue d'origine qui ne conviendront pas à la structure de la langue utilisée. Bien que potentiellement plus universels d'un point de vue statistique, les signes élocutionnels peuvent souffrir du même jeu. L'utilisation de signes élocutionnels diffèrent d'une Ç culture È à une autre et sont d'autant plus sujets aux jeux que ces derniers ne sont pas acceptés de façon entièrement conventionnelle, et par exemple ne sont

pas enseignés lors des cours de langues étrangères. Pour donner un exemple de cette divergence, l'index et le majeur en forme de V est utilisé pour signifier Ç Victoire È dans les pays européens, alors que ce signe est une insulte en Australie, un jeu potentiel existe donc entre son utilisation dans une communication entre européen et australien. Il existe également une divergence proxémique62 entre cultures. L'exemple pris par Hall (1968) est celui des Américains venus en Grande Bretagne. Lorsque des Américains entraient en interaction avec des Anglais, les premiers trouvaient les deuxième un peu trop familiers par leur rapprochement, et, reculant pour atteindre une distance confortable, les américains devenaient froids et distants aux yeux des anglais.

Le jeu conversationnel et culturel est donc le premier type de malentendu inhérent à l'utilisation du système. Ce type de jeu est potentiellement facilement régulable. Nous allons voir par la suite des jeux qui présentent une régulation plus difficile.

62 Nous rappelons que la proxémique est la Ç branche de la sémiotique qui étudie la structuration signifiante de l'espace humain. È (Fabbri,1968:5)

C.3.2. Lie Catching

Nous avons vu dans la partie précédente que la nature inférentielle et imprédictible du système pouvait jouer en l'avantage du menteur, lui permettant de mentir par tromperie. Nous avons également vu qu'il existe un second type de mensonge, le mensonge direct, mais celui-ci n'est pas permis par l'utilisation d'un jeu créatif. Nous allons voir dans cette partie comment le dernier type de jeu, à savoir le jeu interférant, peut trahir un interlocuteur qui est en train de mentir. Dans cette partie, les deux types de mensonge seront considérés, car nous nous intéressons aux jeux créés par l'existence du mensonge quelque soit la nature de ce mensonge, c'est-à-dire que ces jeux interférants apparaissent de façon égale que le mensonge soit direct ou par tromperie, puisque que ces jeux résultent de la conscience du locuteur mentant de son action de mensonge, ce qui est le cas dans les deux situations de mensonge63. Encore une fois, nous rappelons que notre conception du mensonge n'est en aucun cas en rapport avec des conditions de vériconditionnalité.

Le mensonge est une pratique communicationnelle quotidienne. Les chiffres des études donnent une moyenne d'environ 1,5 à 2 mensonges par jour (Biland, 2004:22). Malgré l'existence de jeux interférants dans les situations de mensonge, nombre de ces mensonges ne sont pas détectés. La raison principale pour laquelle nous ne détectons pas tous ces mensonges est que nous ne nous en donnons pas la peine, car pour la plupart ce ne sont que des white lies, des Ç petits mensonges ordinaires È (ibid) dont nous ne pouvons nous embarrasser cognitivement de la détection. En effet, Ç nous ne pouvons passer notre vie à nous méfier de tout È (ibid), la base sociale de la communication ne pourrait souffrir d'une constante méfiance des interlocuteurs. C'est pourquoi la conversation quotidienne ne se soucie pas de la véracité ou non de la communication : en quelque sorte, les interlocuteurs Ç acceptent È le mensonge car l'intérêt de la conversation quotidienne est la relation, la méta-communication.

63 Nous excluons donc de notre étude les cas de self deceit, de mensonge à soi-même, cas oü l'interlocuteur est inconscient de son mensonge, ce qui n'engendrera pas de jeu.

Bien que quotidiennement impraticable, la détection du mensonge peut s'avérer utile dans nombre de cas. La détection d'un mensonge passe par le jeu interférant que peut créer l'impossibilité pour un interlocuteur de contrôler l'ensemble de ses productions sémiotiques. Ainsi, comme nous l'avons amplement développé précédemment, nous ne pouvons considérer que la communication ne se manifeste qu'au travers de signes intentionnellement produits, et de ce fait nous ne pouvons suivre le point de vue discriminant de Sperber et Wilson (1989) réduisant la communication aux signes ostensifs, c'est-à-dire utilisés ostensiblement à des fins communicatives, et sous-tendant et transmettant une intention de communication. De nombreux signes sont produits de façon non intentionnelle, et plus particulièrement les signes qui communiquent les émotions ressenties par l'interlocuteur, qui sont présentes dans l'échange communicationnel. De fait, une émotion influence la création d'un signe Ç visible qui atteste de sa présence lors d'une interaction. È (Biland,2004:59) Tout comme il nous est quasi-impossible de contrôler nos émotions, il en va de même pour les signes que produisent ces émotions, et c'est ce contrôle difficile qui est créateur de jeu interférant et qui sera utile à l'interlocuteur souhaitant détecter un mensonge.

En effet, un interlocuteur en train de mentir peut être trahi par une production involontaire de signes, c'est-à-dire par production involontaire de jeu interférant dU à la quasi-impossibilité de contrôler l'ensemble des signes qu'il produit. Ce sont ces signes produits inconsciemment qui créent ce jeu et trahissent l'interlocuteur mentant64. Ces signes trahissant sont dans une grande majorité des signes élocutionnels, de par le fait de la plus grande difficulté pour l'interlocuteur à ma»triser ces signes65. En effet, comme le fait remarquer Watzlawick (1972:61) Ç Il est facile de professer quelque chose verbalement, mais il est difficile de mentir dans le domaine analogique66. È Ainsi, la tâche de l'interlocuteur cherchant à détecter un mensonge

64 Pease,2005,147 : Ç The difficulty with lying is that the subconscious mind acts automatically and independently of our verbal lie, so our body language gives us away. (...) During the lie, the subconscious mind sends out nervous energy which appears as a gesture that can contradict what was said. È

65 Nous renvoyons au schéma de Mehrabian présenté dans l'avant-propos.

66 Selon la terminologie de Watzlawick, l'analogique renvoie à ce qui correspond à l'élocutionnel dans notre terminologie.

est de s'attacher à déceler dans la production de signes de l'Autre des signes qui se contredisent les uns avec les autres, soit se contredisant au sein du même canal (locutionnel/locutionnel ou élocutionnel/élocutionnel), soit des signes d'un canal contredisant ceux de l'autre (locutionnel/élocutionnel). Ainsi existe-t-il du jeu car certains signes viennent interférer dans le continuum communicationnel en contredisant ce que d'autres communiquent, traduisant la vérité dont a conscience l'interlocuteur mentant. Ainsi, comme le résume Biland (2004:29) : Ç la difficulté à mentir tient dans la difficulté à gérer une charge cognitive et émotionnelle lourde sans que rien ne "fuie", ni dans le discours ni dans le comportement, de l'état réel. È

Par exemple, un interlocuteur mentant peut produire ce qu'Ekman (2009) appelle un emblematic slip. Nous avons déjà vu précédemment ce qu'était un emblème, ces signes élocutionnels ayant un sens culturellement marqué. Un tel signe peut être produit de façon involontaire et signifiant une émotion que l'interlocuteur cherche à cacher.

Cet étroit lien entre émotion et mensonge fait du jeu interférant, une nouvelle fois, un jeu entièrement individuel et relatif, autant pour son existence que pour sa détection. Tous les interlocuteurs ne sont pas égaux face au mensonge, certains mentent avec plus de facilité alors que d'autres sont de piètres menteurs, et, de l'autre côté de la barrière, certains détectent les mensonges avec facilité alors que d'autres sont incapables de les voir. Ainsi est-il du devoir du lie catcher d'avoir conscience de cette relativité, et de l'impossibilité de détecter un mensonge de manière absolue67 (tout du moins tant que le menteur ne s'est pas confessé), notamment pour avoir à l'esprit ses propres préjugés sur l'interlocuteur mais aussi afin d'éviter de croire à un mensonge ou de ne pas croire en une vérité68.

67 Cette impossibilité de certitude du mensonge rejoint la relativité de la communication, c'est-à-dire son statut inférentiel et hypothétique, point que nous avons largement développé précédemment.

68 Ces deux erreurs sont répertoriées par Ekman (2009:163) Ç in disbelieving-the-truth the lie catcher mistakenly judges a truthful person to be lying. In believing-a-lie the lie catcher mistakenly judges a liar to be truthful. È Dans le premier cas, un interlocuteur peut interpréter la nervosité de l'Autre comme étant signe de mensonge, alors qu'en vérité l'Autre est tout simplement nerveux à l'idée de se faire interroger.

C.3.3. Le jeu émotionnel et pathologique

Nous venons de voir comment les émotions pouvaient être source de jeu interférant dans une communication comprenant au moins un interlocuteur mentant. Nous allons ensuite voir dans cette partie en quoi les émotions peuvent être source de jeux interférants sans qu'entre en ligne de compte d'interlocuteurs mentant.

Nous allons d'abord voir les troubles simples, les jeux interférants courants, qu'engendrent les émotions ressenties par les interlocuteurs : il existe pour chaque situation un arrière-plan émotionnel, les émotions étant indispensables à notre survie et nous guidant dans nos relations sociales, dans la grande majorité des cas de façon adéquate. Cependant, certaines configurations émotionnelles amènent les interlocuteurs à se trouver dans des situations de jeux interférants, les émotions pouvant potentiellement venir troubler la communication si elles sont ressenties d'une manière trop intense. Ces cas extrêmes sont des situations dans lesquelles les émotions sont si présentes qu'elles troublent le processus communicationnel. Ce jeu peut prendre deux formes, une liée à la production et l'autre à la compréhension. La première forme de jeu interférant lié aux émotions est l'apparition d'un jeu interférant émotionnellement avec la production. Dans ces cas particulier, l'émotion est si présente au sein du système cognitif de l'interlocuteur qu'il ne peut que produire des signes se rapportant à cette émotion et est incapable de produire des signes autres de façon cohérente. Comme le dit Yaguello (1981,137) Ç un locuteur émotionnellement perturbé peut perdre momentanément l'usage de la parole ou produire un discours incohérent, agrammatical. È On retrouve par exemple ce type de jeux lorsqu'un interlocuteur apprend une nouvelle oü la surprise est telle qu'il ne peut plus communiquer, oü cela le Ç laisse sans voix È, ou lorsque qu'un interlocuteur est Ç pétrifié de peur È. La seconde forme de jeu produite par les émotions sont les situations oü ces dernières mettent l'interlocuteur dans un Ç état réfractaire È durant lequel il ne pourra que comprendre et inférer des sens qui confirmeront l'émotion qu'il

est en train de ressentir69. Ces situations engendrent un trouble de l'attention sélective, puisqu'un locuteur dans cette situation ne sélectionnera que des stimuli qui confirmeront ses émotions, il y aura donc une création de stimuli effectifs biaisées.

Ce jeu interférant, lié à un contexte particulier, reste un trouble relativement mineur et normal70. Ces périodes de jeu sont de courte durée et, bien que plus difficile qu'en jeu conversationnel, l'autorégulation est possible.

Il existe ensuite une dernière situation de jeu interférant, plus grave et donc que nous ne pouvons plus considérer comme simple ou mineure, et qui est liée à des troubles pathologiques en rapport avec la communication.

Prenons dans un premier temps les troubles pathologiques de type parano
·aque. Le fonctionnement communicationnel de cette pathologie est un fonctionnement de type de l'état réfractaire, mais à l'inverse du trouble émotionnel ponctuel, cet état réfractaire de communication est généralisé, l'affect des émotions sur l'attention engendrant un cercle vicieux71. Ainsi l'interlocuteur atteint de ce trouble a un mode de fonctionnement suivant lequel tout signe est compris selon un pattern précis et défini. Comme le dit Winkin (2000:140-141) :

Ç Celui qui croit que tout le monde est son ennemi émettra des messages et agira significativement en fonction de sa prémisse. Il affrontera le monde d'une manière qui poussera ce même monde à confirmer sa conviction. Or, il a acquis cette conviction en premier lieu sous l'effet cumulé des contextes d'apprentissage qui constituaient antérieurement son flux communicationnel avec certaines personnes. È

Ë l'inverse d'un trouble lié à une émotion ponctuelle, et autorisant un réajustement, le parano
·aque se trouve dans un contexte général qui suivra continuellement le même pattern : le système a du jeu en ce sens que l'interlocuteur parano
·aque suit continuellement le même schéma, ne cherchant pas à s'accorder

69 Ekman (2003a:39) : Ç For a while we are in a refractory state, during which time our thinking cannot incorporate information that does not fit, maintain or justify the emotion we are feeling. (...) When we are gripped by an inappropriate emotion, we interpret what is happening in a way which fits with how we are feeling and ignore our knowledge that doesn't fit.È

70 Rusinek (2004:23) Ç L'émotion est une forme d'alerte pour l'organisme, il est logique de croire qu'elle va focaliser une grande partie des processus cognitifs d'un individu vers la cause de cette alerte. È

71 Ibid (25) : Ç Si je suis triste et que je fais plus attention aux informations négatives de mon environnement, je serais certainement de plus en plus triste car plus rien de joyeux ne me viendra à l'esprit. È C'est ce fonctionnement que nous retrouvons chez le parano
·aque : plus l'interlocuteur a peur et plus il se concentrera sur des stimuli confirmant sa peur, et ainsi de suite dans un cercle vicieux pathologique.

avec son interlocuteur, quelle que soit la production de ce dernier. Ce type de maladie empêche le malade de faire preuve d'une économie cognitive adéquate : dans chaque situation, il inférera des sens qui n'ont pas lieu d'être inférés, en effet, Ç le parano
·aque, dans sa quête minutieuse du sens, va souvent jusqu'à faire passer au crible des phénomènes totalement secondaires et sans rapport entre eux. È (Watzlawick,1972:247)

Le jeu interférant peut avoir des conséquences pathologiques lorsqu'il est répété et donc influant sur l'apprentissage. Comme le souligne Watzlawick (ibid:47) Ç (à cause) du malentendu, étant donné certaines propriétés formelles de la communication, (..) peuvent s'installer les troubles pathologiques qui y sont liés, indépendamment, et même en dépit, des motivations ou intentions des partenaires. È La schizophrénie, tout comme la parano
·a, fait partie des maladies pathologiques ayant pour source ces jeux interférants répétés de manière à influer sur le processus d'apprentissage. Un interlocuteur schizophrène possède une conception du sens72 qui est biaisée, c'est-à-dire que le processus d'apprentissage du sens s'est trouvé continuellement ponctué de situation de jeux interférants en tant que malentendus, si bien que l'interlocuteur n'a pas appris à traiter et à classer les stimuli de façon correcte, et à un certain stade le locuteur n'est plus capable de faire ces distinctions : s'en suit une incapacité à distinguer communication et méta-communication, pensée et souvenirs, rêve et réalité, désir et capacité, etc., c'est-à-dire que l'interlocuteur schizophrène possède Ç des troubles profonds de la perception (...) de la réalité, dans la formation de concepts, dans les affects, et par suite dans tout le comportement. È (Watzlawik,1972,279)

L'exemple de ce type de jeu interférant est ce que Bateson, et à sa suite l'école de Palo Alto appelle la Ç double contrainte È. Cette conception renvoie aux situations d'apprentissage dans lesquelles un individu est puni s'il comprend correctement et puni s'il ne comprend pas correctement. Ce type de communication Ç affirme quelque chose, affirme quelque chose sur sa propre affirmation, (et) ces deux affirmations s'excluent. Si le message est une injonction, il faut lui désobéir pour lui obéir ; s'il s'agit d'une définition de soi ou d'autrui, la personne définie par le message n'est telle que si elle ne l'est pas, et ne l'est pas si elle l'est. Le sens du

72 Dans une conception générale, en tant que l'ensemble des sens.

message est donc indécidable. È (Watzlawik,1972:213) En d'autres termes, l'interlocuteur communique mais en même temps méta-communique en contredisant ce qui est communiqué, l'interlocuteur produit un malentendu qui entra»nera l'autre à ne pas pouvoir définir le sens sans créer un paradoxe dans sa définition. Quand ce sens paradoxal recouvre des situations d'apprentissage qui sont vitales pour l'interlocuteur, le résultat en est potentiellement pathologique.

Par exemple, imaginons un parent qui n'aimerait pas son enfant, mais n'accepterait pas ce sentiment. L'enfant se trouverait puni si il reconna»t que son parent ne l'aime pas, puisque son parent refuse cette propre définition de la relation. Ë l'inverse, ne pas le reconna»tre contredirait son interprétation de la réalité, ce qui serait une première manifestation de punition, et dans un second temps il irait chercher l'affection de son parent qu'il ne pourrait pas trouver. Dans cette situation, qui est une situation d'apprentissage, le parent est en position d'autorité sur l'enfant et la relation qui les caractérise est fondamentale pour les deux, et plus particulièrement pour l'enfant. Ainsi, l'enfant est dans une situation oü l'apprentissage se fait par jeux interférants, c'est-à-dire qu'il ne sait pas s'il doit faire confiance à ses interprétations internes, ses compréhensions, ou à la figure d'autorité que représente son parent.

Le symptôme que représente le non-sens schizophrénien est une solution d'échappatoire à ces situations intenables. En effet, l'enfant ne peut communiquer sans être puni, or il lui est impossible de ne pas communiquer. Ainsi, s'il veut échapper à ces situations, la production d'un certain non-sens, d'un certain jeu métacommunicationnel73 devient l'unique échappatoire.

73 Dans le sens que nous avons développé précédemment, c'est-à-dire que la communication n'a pas de pertinence d'un point de vue communicationnel, cette pertinence est méta-communicationnel.

Conclusion

Une certaine confusion règne chez le chercheur qui entreprend d'entamer une étude dite Ç linguistique È. Devant faire face à diverses écoles, fournissant avec abondance des études théoriques et empiriques aussi diverses que divergentes sur le sujet, il peut parfois para»tre difficile de se positionner au sein de ces écoles. Cette confusion est propre à la matière, faute d'une ambiguité que l'on peut retrouver au sein même du mot Ç linguistique È. Nos dictionnaires eux-mêmes nous perdent, lui donnant à parts égales le rTMle de l'étude de la langue ou du langage. Une encyclopédie donnera la linguistique comme la Ç science qui a pour objet l'étude du langage et des langues È74, faisant reposer la base de leur définition sur l'étymologie latine lingua, elle-même aléatoirement traduite langue ou langage.

Or, nous savons que la langue n'est pas le langage. L'étude du langage concerne l'étude des moyens d'expression et de communication que peuvent partager deux êtres intelligents, l'étude de la langue concerne un supposé code formel que partagerait les hommes, étant une partie du langage, celui qui peut être écrit ou parlé. Comme le résume Blanchet dans son ouvrage La pragmatique, Ç (serait) langage tout mode de communication, c'est-à-dire tout échange. (...) Parmi ceux-ci, on admettra que le langage articulé propre à l'humanité et nommée "langue" est une constituante majeure de la communication. È Dans notre étude, nous n'avons pas suivi la vision des héritiers de Saussure d'une langue-code idéale, transitant le long d'un canal entre un émetteur codant et un récepteur décodant. Bien à l'inverse, notre étude, s'attachant à l'école pragmatique, a étudié le langage en tant que discours utilisé par deux interlocuteurs, c'est-à-dire que nous avons considéré la base de la communication dans l'interaction ainsi que dans le processus d'inférence : il est impossible pour un interlocuteur de se représenter à l'identique les représentations mentales de l'Autre, ainsi, chaque interlocuteur ne peut que faire des hypothèses sur les choix qui ont mené l'Autre à communiquer de la manière choisie, et ce gr%oce à une interaction continuelle du système et de son environnement. Ces choix sont guidés par la recherche de la pertinence, à savoir la recherche de création d'un équilibre entre économie cognitive et efficacité.

74 Nouveau Larousse Encyclopédique, 1994

C'est de cette conception que nous avons nourri notre réßexion, puisant au sein de l'école pragmatique, insistant sur la linguistique comme l'étude du langage utilisé par des interlocuteurs dans un contexte interactionnel particulier. En d'autres termes, notre vision de la linguistique a été l'étude de la communication, celle-ci étant l'ensemble des moyens qui existent aÞn de Ç mettre en commun È ce qui ne saurait être mis en commun sans communication, communication utilisée et partagée par deux ou plusieurs êtres intelligents, pour le ou les Autre(s) autant que pour soi, d'une manière qui relève parfois du code, mais bien souvent d'une toute autre sphère.

Ainsi, en définitive, le système de la communication n'a pas été considéré comme une partie de tennis mais comme une partie de squash, en ce sens que la communication ne réside pas dans l'échange alterné de tour de parole comme le tennis réside en un échange tour à tour. En effet, la communication est un système cybernétique, c'est-à-dire que tout élément sortant redevient immédiatement un élément entrant ; tout comme sur un court de squash, tout output est un nouvel input. La compréhension du signe produit n'est donc pas effectuée par un Ç auditeur È uniquement mais aussi par l'interlocuteur qui l'a produit, permettant donc au système de fonctionner via un feedback, et de s'autoréguler lorsque le système a du jeu (pour diverses raisons, les interlocuteurs peuvent ne pas avoir une connaissance adéquate de leurs propres capacités ou de celles de l'Autre, et donc ne pas arriver à l'efficacité cognitive consécutivement à leurs productions) : si un interlocuteur s'aperçoit qu'il a été insuffisamment efficace (c'est-à-dire trop économique) pour l'Autre, il peut Ç réinjecter È un indice dans le système pour le réguler, tout comme le joueur de squash peut renvoyer sa balle s'il se rend compte qu'il ne l'a pas correctement envoyée. Ce système cybernétique est également utile à l'économie cognitive : réinjecter dans le système tout élément qui en sort permet à celui-ci de créer un environnement cognitif direct commun manifeste aux interlocuteurs, ce qui leur permet, puisque chaque signe n'est pas sans relation avec ce qui précède, d'économiser l'effort cognitif d'avoir à retraiter chaque stimulus de nouveau, tout en gardant la même efficacité. Le traitement des éléments récents est donc présent dans cet environnement cognitif direct afin de permettre d'augmenter l'économie cognitive. Pour résumer, communiquer engage les interlocuteurs dans une partie de

squash, cette partie pouvant être match ou échange. Deux interlocuteurs (ou plus) sont face au même mur, au même monde, jouant sur la même surface de jeu, bien que possédant des compétences différentes. Un joueur joue et s'adapte en fonction de la balle qu'il reçoit, mais aussi de la manière dont il reçoit cette balle, des handicaps qu'il connait ou non de l'autre joueur, appris par le passé, ou tout au court du jeu.

Ensuite, nous avons montré en quoi l'approche systémique pouvait être utile à l'étude du fonctionnement de la communication. Le système communicationnel, permettant de produire et de comprendre inférentiellement par mise en relation d'informations sur des stimuli environnementaux appartenant aux environnements cognitifs direct et indirect, est un système autopo
·étique, c'est-à-dire un système qui est autonome, auto-référentiel, auto-organisé et auto-régulé. Ainsi, le système existe par et pour lui-même, se produit et s'organise par des éléments qui lui sont internes et selon des règles déÞnies par lui, communiquant de l'information sur son environnement, et non pas par son environnement. Son environnement étant composé d'informations, le système communicationnel est donc fondamentalement cybernétique, c'est-à-dire un système oü tout output est un nouvel input. Son autonomie fait que ce système ne peut accepter d'observateur qui lui soit externe, à savoir que tout observateur voulant observer le système ne pourra le faire qu'en intégrant le système, et donc pour une observation qui ne pourra se faire de façon absolue. Malgré tout, son autonomie en reste relative, puisque le système est adaptatif, c'est-à-dire que son organisation interne s'adapte par autorégulation aux conditions de son environnement, le système étant somme de sous-systèmes et partie de macro-systèmes. Ce statut, dit Ç socialÈ, est nécessaire à la pérennité du système, puisqu'en tant que partie d'un méta-système spatio-temporel, il peut fonctionner de façon optimale par apprentissage continuel de patterns de sens pertinents.

Lorsque des interlocuteurs sont engagés dans un processus interactionnel de communication, chaque interlocuteur cherche Ç à se faire comprendre È, c'est-à-dire que tout interlocuteur cherche à ce que sa production soit assez pertinente pour que l'Autre trouve du sens à cette production, et c'est dans l'obtention d'un sens dans la

production de l'Autre que le système trouve son équilibre : c'est lorsque les interlocuteurs sont en accord relatif sur le sens que le système obtient son efficacité et son équilibre, et lorsque les interlocuteurs ne se comprennent pas qu'il existe un déséquilibre, quand chacun trouve que la communication de l'Autre Ç n'a pas de sens. È Idéalement, l'équilibre entre le sens voulu et le sens compris existerait continuellement. Cependant, ce n'est pas le cas. La communication est un système non-linéaire dirigé par la loi de l'imprédictibilité dans lequel il est impossible qu'existe un constant équilibre. Ë l'inverse, la communication se fait par Ç bonds È d'un équilibre à un autre, en passant par des paliers de situations de déséquilibre, régulées et contrôlées par la nature autopo
·étique du système. Chaque interlocuteur, en recevant de l'information en retour sur ses productions, peut juger de celles-ci afin de rectifier la dynamique du système et le rediriger vers un état d'équilibre. En d'autres termes, lorsque, subjectivement, un interlocuteur ne comprend pas le sens que veut donner l'Autre à ses productions, les deux se trouvent dans une situation de déséquilibre, situation créatrice de nouveaux signes afin de réguler le mouvement du système et de le ramener à un équilibre, équilibre précaire puisque mis en danger par la continuité temporelle du système. Ainsi le système évolue-t-il par Ç bonds È d'un équilibre à un autre, passant par des situations de déséquilibre, se contrôlant par autorégulation, processus d'auto-équilibrage.

C'est cette dynamique de déséquilibre et d'équilibrage que nous avons appelé Ç jeux È et que nous avons vu dans le troisième chapitre, en définissant dans un premier temps ce qu'il convient d'appeler Ç équilibre È. Ainsi dans ce travail la conception de la théorie des jeux a été élargie, conception qu'il est nécessaire d'avoir pour une définition complète du système communicationnel. Nous avons vu l'importance du jeu régulier, créateur de normes, indispensable à l'existence même d'un système de communication, suivant la définition traditionnelle du jeu, ainsi que le paradoxe qu'entraine sa nature fractale. Nous pourrions imaginer que l'existence d'un langage ne suivant que ce jeu régulier soit possible, à travers l'utilisation d'un langage purement logique et dont tous les signes seraient relevés de leur ambigu
·té, utopie suivie par nombreux penseurs et théoriciens de la langue en quête de cette conception uniquement logique. Bien qu'idéal puisqu'il éliminerait tous les jeux interférants vus dans la troisième partie, ce langage logique existerait au dépend de

tout jeu créatif vu dans la partie deux, ce qui signiÞerait sacriÞer également tout ce qui fait la beauté d'une langue, la poésie, la littérature, la rhétorique, etc., ainsi que l'attrait relationnel que la communication possède. Une langue logique, idéal de la théorie du code et se détachant de l'usage ordinaire qui est fait du langage, aurait pour ambition de se séparer de toute ambigu
·té, de tout jeu interférant possible. Cette disparition de tout jeu interférant reste cependant impossible, de par la nature inférentielle, hypothétique et complexe du système communicationnel, et donc ne pouvant jamais adopter le schéma de la transmission, schéma canonique de la théorie du code. De plus, de par la nature dynamique du système, aucune norme ne pourra s'imposer aux signes, puisque ce sont ces signes qui créent la norme et non l'inverse. EnÞn, de par la complexité extrême du système et de son auto-production par itérations d'utilisations de signes en contextes d'interactions communicatives, le jeu interférant conversationnel et culturel ne pourra jamais être évité, deux interlocuteurs ne pouvant jamais avoir un arrière plan et une mémoire semblable, ainsi ne pourront-ils jamais avoir un Ç dictionnaire des sens È, une Ç copie du code È qui leur serait égale à tous points de vues.

Cette utopie d'une langue logique, Ç bien faite È et vivant uniquement par le jeu régulier, est un idéal qui remonte aux logiciens du siècle des lumières avec Descartes ou la Logique de Port-Royal, et que nous retrouvons jusqu'à aujourd'hui dans les idéaux de langues comme le Simple English. Selon les propos de Descartes dans sa Lettre à Mersenne, le langage logique serait Ç une langue universelle fort aisée à apprendre, à prononcer et à écrire, et, ce qui est le principal, qui aiderait au jugement, lui représentant si distinctement toute choses qu'il lui serait presque impossible de se tromper. È (Cité dans Eluerd,1985,19) Cependant ce rêve d'une langue logique idéale est illusoire, les trois formes de jeu étant profondément inter-dépendantes et inséparables, permettant à la communication d'exister, et source de toute sa beauté comme de ses faiblesses. Au sein d'un jeu régulier, le jeu interférant reste le prix à payer pour l'existence du jeu créatif.

Annexes

Nous avons vu dans la troisième partie de ce travail que l'identité du système communicationnel était source de trois types de jeux différents : le jeu régulier, le jeu créatif et le jeu interférant. Nous allons dans cet annexe développer des exemples de jeux créatifs et de jeux interférants. Nous n'illustrerons pas le jeu régulier, le travail étant fait par nombre de dictionnaires et de grammaires. Qui plus est, de par sa nature particulière, le jeu régulier est un système macroscopique qu'il est impossible d'illustrer au travers d'un exemple propre et ponctuel. Pour ce qui est de l'enferment fractale de cette régularité macroscopique, l'illustration se fait par l'existence des jeux décrits ci-dessous, et de l'absence d'impact de ces jeux microscopiques et ponctuelles sur le méta-système.

N'adhérant pas à la démarche scientifique de construction d'exemples, nous avons choisi ici de faire l'analyse d'exemples de jeux empiriques, issues de sources diverses allant de la littérature au cinéma en passant par des anecdotes politiques. Les descriptions ci-dessous sont des exemples empiriques qui ont pour fin l'illustration de nos schémas théoriques, et qui doivent donc être comprises comme telles. Les développements ci-dessous ne couvrent pas l'ensemble des innombrables sous-schémas de jeux, mais illustrent la manière dont peuvent être utilisés nos outils théoriques pour la descriptions de situations concrètes, et également aident la compréhension des définitions faites dans la dernière partie de ce travail.

D.1. Le jeu créatif

D.1.1. Le jeu méta-communicationnel

Ç Puissance du langage :
avec mon langage je puis tout faire :
même et surtout ne rien dire. È
R. Barthes, Fragment d'un discours amoureux.

Les extraits suivants sont tirés de la série britannique Yes Minister75. Le premier personnage est Jim Hacker, nouvellement élu Premier ministre britannique, le second, aux répliques longues et alambiquées, est Sir Humphrey, un haut fonctionnaire du gouvernement britannique, adepte de la logorrhée et dont la philosophie communicative se résume à Ç the less you intend to do about something, the more you have to keep talking about it. È Au travers de ce trait de comportement, la série parodie la tendance des politiciens aux communications complexes pour ralentir au maximum les démarches du système gouvernemental.

Voici deux exemples d'échanges entre les deux :

Ç Will you give me a straight answer to a straight question?

- Oh well, minister, as long as you're not asking me to resort to crude generalisations and vulgar oversimplifications such as a simple yes or no, I shall do my utmost to oblige. (...) Well, minister, if you ask me for a straight answer then I shall say as far as we can see, looking at it by and large, taking one time with another, in terms of the average of departments, then, in the final analysis, it is probably true to say that at the end of the day, in general terms, you would probably find that, not to push too fine a point on it, there probably wasn't very much in it one way or the other, as far as one can see at this stage. È

Ç You mean they'll block it ?

- I mean they'll give it the most serious and earnest consideration and insist on a
thorough and rigorous examination of all the proposals, allied with detailed feasibility
study and budget analysis, before producing a consultative document for

75 Nous empruntons ces exemples à Dickason, 2007, La société britannique à travers ses fictions télévisuelles le cas des soap opera et des sitcoms, Ellipses.

consideration by all interested bodies and seeking comments and recommendations to be included in a brief for a series of working parties who will produce individual studies which will provide the background for a more wide-ranging document, considering whether or not the proposal should be taken forward to the next stage.

- You mean they'll block it ?

- Yeah. È

Nous pouvons remarquer que les réponses de Sir Humphrey sont des cas de ce que nous avons appelé le Ç jeu méta-communicationnel È. Ce dernier use d'un langage complexe et obscure afin de ne pas avoir à donner de réponse directe, afin d'éviter tout sujet gênant. Nous voyons dans la première réponse qu'il ne désire pas répondre simplement à une question simple. Dans le deuxième échange, il cherche à éviter de communiquer à Jim Hacker que sa proposition va être bloquée, en utilisant un langage long et alambiqué, ce qui ne semble pas être du goUt du Premier ministre qui finit par lui demander une réponse directe.

Dans ces configurations, un interlocuteur se trouve dans une situation oü il ne peut pas échapper à la communication, il ne peut pas ne pas communiquer. Cependant, pour éviter d'avoir à répondre directement, il utilise une communication pauvre en contenu mais complexe sur la forme. L'opacité du discours permet à l'interlocuteur de passer la pertinence sur le plan de la méta-communication, en communiquant son refus de communiquer. Ce sont des situations constatées par Watzlawick (1972:76-77) dans des situations réelles de psychothérapies durant lesquelles le patient se retrouve pris Ç dans une situation oü (il) se sent obligé de communiquer, mais oü (il) veut en même temps éviter l'engagement inhérent à toute communication. È

Ces exemples tirés de Yes Minister ont ainsi un ton comique et parodique, cherchant à moquer la Ç langue de bois È pratiquée par les politiciens, utilisée afin de pouvoir éviter d'avoir à répondre à une question sensible. Nous pouvons cependant constater que de tel cas existent également dans des situations réelles de communication courantes, ainsi que dans des communications en situations médicales.

D.1.2. Le cas du mensonge

L'exemple ci-dessous est tiré de la série américaine Lie to Me, dans l'épisode 2 de la saison 1, Moral Waiver. Cette série met en scène Cal Lightman et son équipe, tous professionnels de la détection de mensonge. Dans cet épisode particulier, Gillian et Eli, deux membres de cette équipe, sont engagés pour découvrir si les rumeurs concernant un basketteur lycéen populaire sont vraies, basketteur supposé avoir accepté un pot-de-vin d'une université. Découvrant en analysant les images du joueur qu'il présente une expression faciale de douleur à chaque match, le joueur leur avoue souffrir d'arthrite érosive, et donc incapable de suivre une carrière pro sur le long terme, ce qui explique son acceptation du pot-de-vin, seul argent qu'il pense toucher de sa courte carrière de basketteur.

Le mensonge par tromperie se trouve ici au niveau du contrat passé entre le basketteur et l'université qui lui verse le pot-de-vin. Supposé de bonne foi, le basketteur dissimule sa maladie, lors de l'échange entre ce dernier et l'université le désirant, la présomption de pertinence optimale à permis au basketteur d'accepter le contrat sans pour autant aborder le sujet de sa maladie. Si il était questionné sur ce point, il pourrait se défendre avec la réponse Ç On ne me l'a pas demandé. È

Cette exemple illustre la possibilité d'Ç être optimalement pertinent sans pour autant être " aussi informatif que le demande les objectifs de l'échange en cours " : si, par exemple, on garde pour soi des informations dont la connaissance serait pertinente aux interlocuteurs. È (Sperber&Wilson,1989:243) Ici, l'échange communicationnel ayant pour résultat un contrat sous forme de pot-de-vin résulte du contrat interactionnel sous-tendant la présomption de sincérité maximale. Ainsi, l'université originaire du pot-de-vin s'attend à ce que le basketteur lui fournisse l'ensemble des informations à sa disposition, c'est-à-dire qu'elle fait l'hypothèse que le joueur est en bonne condition physique, hypothèse restant bien sur du domaine de l'inférence et de la présomption, et non de la confirmation directe du joueur, qui exploite cette hypothèse erronée à son avantage.

D.1.3. Le jeu ludique.

Ç La langue française l'émerveillait encore, à soixante-dix ans,
parce qu'il l'avait apprise difficilement et qu'elle ne lui appartenait pas tout à fait :
il jouait avec elle, se plaisait aux mots, aimer les prononcer
et son impitoyable diction ne faisait pas gr%oce d'une syllabe ;
quand il avait le temps, sa plume les amortissait en bouquets. È
J.P. Sartre, Les mots.

Les exemples littéraires de jeux ludiques avec le langage sont innombrables. Nous prendrons ici l'exemple des mots-valises, néologismes forcés condensant deux ou plusieurs morphèmes pour la création d'un nouveau signe. Nous pouvons remonter la définition des mots-valises à Lewis Caroll et son dytique Alice's Adventure in Wonderland et Through the Looking-Glass, dans lequel Humpty Dumpty explique l'origine de ce mot, appelée Portmanteau-word en anglais : Ç You see, it's like a portmanteau - there are two meaning packed up into one word. »76

Nombreux sont les écrivains qui à la suite de Caroll s'amuseront avec la technique du mot-valise, utilisant le jeu régulier déÞnissant la formation de mots pour en créer de nouveaux, forçant le néologisme pour créer des mots inédits. Nous analyserons ici le travail d'Edward Lear, auteur reconnu pour ses Ïuvres de nonsenses.

De gauche à droite : Le Armchairia Comfortabilis, le Manypeeplia Upsidownia et le Bottleforkia Ladlecum.

76 Voir Lewis Caroll, Through the Looking-Glass, chapitre VI - Humpty Dumpty

Avec ce jeu ludique de la Nonsense Botanic, Lear joue sur les codes de l'étymologie des mots anglais à origine latine, en inversant le processus en créant des mots latins à origine anglaise. Nous retrouvons ici des mots-valises condensant des morphèmes anglais à des terminaisons latines, jouant sur les codes canoniques de la botanique utilisant des mots latins pour nommer les espèces, détournés pour nommer des plantes inventées par l'auteur. Nous pouvons noter le recours aux terminaisons typiques du latin que sont -ia, -is ou -um, jointes à des mots anglais comme armchair, comfortable, upside-down, bottle ou encore fork.

Ces jeux créatifs sont bel et bien entrepris relativement aux règles régulières. C'est ici avec l'étymologie que Lear joue, et, bien que création, ces nouveaux mots sont du langage, c'est par leur ressemblance et leur quasi-appartenance à la régularité qu'ils sont jeux, c'est parce que leurs consonances latines font écho aux formations régulières de mots scientiÞques qu'ils existent en tant que jeux.

D.2. Le jeu interférant

D.2.1. Le jeu conversationnel et culturel

Ç Ë quoi tu penses ?
Je pense que la barrière de la langue et certains a priori
inavouables m'ont déjà fait prendre une idiote pour une femme intelligente
et une femme intelligente pour une idiote. >
H. Le Tellier, Les amnésiques n'ont rien vécu d'inoubliable.

Au travers d'une anecdote géo-politique, nous allons illustrer le jeu interférant que peut créer la rencontre de deux interlocuteurs ne partageant pas la même culture ni la même langue. Nous ne pouvons pas considérer que ce cas est un cas de jeu dU à un véritable bilinguisme, bien que le jeu interférant décrit ci-dessous s'en rapproche fortement.

Durant sa carrière, le premier ministre japonais Mori reçut quelques cours de Basic English quelques jours avant de rencontrer le président des États-Unis Barack Obama à Washington. Le professeur dit à Mori : Ç quand vous serrerez la main de Mr Obama, dites «How are you ?«, ce à quoi il répondra «I am fine and you?«. Alors, vous répondrez «Me too«. Après, les traducteurs prendront la relève. > Cela parait assez simple, mais pourtant, le jour de leur rencontre, quand Mori rencontra Obama, il lui dit pas erreur Ç Who are you?> Mr Obama, bien qu'un peu surpris, répondit avec humour Ç Well, I'm Michelle's husband. >. Ce à quoi Mori répondit Ç Me too. > Un long silence gêné s'installa dans la pièce.

Cet exemple, bien qu'amusant, illustre le jeu interférant qui peut se créer lorsqu'un interlocuteur use d'une langue qui n'est pas sa langue maternelle, et qu'il ne ma»trise pas. Confondant le Ç How are you? > avec le Ç Who are you? >, Mori transforme le sens de la question. On voit ici en quoi une non ma»trise de l'anglais entra»ne un jeu interférant, qui ici rend la situation cocasse par le fait que les interlocuteurs (autres que Mori), comprennent l'erreur de Mori et savent qu'il souhaitait produire Ç How are you ? > mais a fait une erreur de prononciation. Ils sont également conscients qu'il sait très bien qui est Barack Obama, et qu'il n'est pas le mari de Michelle Obama. La situation décrite ici fait sourire, cependant on pourrait imaginer les catastrophes géo-politiques que pourraient entra»ner de tels jeux.

D.2.2. Lie Catching

Ç I might mimic a passion that I do not feel,
but I cannot mimic one that burns me like fire
. È
O.Wilde, The Picture of Dorian Gray.

La scène suivante est tirée du film Inglorious Basterds de Quentin Tarantino. Le film se déroule durant la seconde guerre mondiale. Archie Archox, sur la droite sur la troisième vignette et sur la gauche sur les vignettes quatre cinq et six, fait partie d'un commando de soldats Alliés, les Basterds, dont le but est d'éliminer les hauts dignitaires nazis allemands. Dans cette scène, lui et trois soldats de son commando, tous les quatre déguisés en soldats nazis, rejoignent leur contact allemand Bridget Von Hummersmark (à gauche sur la troisième vignette), en prétendant être de vieux amis. La tension monte lorsque de vrais soldats et officiers nazis commencent à interroger Archie sur l'étrangeté de son accent. Dans les six vignettes qui suivent, le major Dieter Hellstorm, de la Gestapo, s'est assis à leur table pour discuter avec le prétendu général de la Wehrmacht, et avant d'entamer la discutions, passe commande au barman.

Vignette 1 : Eric has a bottle of thirty-three-year old whiskey. Vignette 2 : How many glasses?

Vignette 5 : You've just given yourself away captain...
Vignette 6 : You're no more German than that scotch.

Cette illustration de la détection du mensonge par non contrôle d'un signe élocutionel rejoint le jeu culturel que nous avons illustré dans la partie précédente, car ici le mensonge porte sur la culture d'origine de l'interlocuteur. Archie Archox avait jusqu'ici réussi à camoufler son mensonge en prétendant que son accent lui venait d'un petit village dans les montagnes dans lequel toute la population parle de la sorte. Cependant, le major Dieter Hellstorm découvre la supercherie lorsque Archie produit le signe élocutionnel signifiant 3 en levant l'index, le majeur et l'annulaire, dit Ç à l'anglo-saxonne È, que nous pouvons voir sur la vignette trois et quatre, ce que le major ne manque pas de repérer et donc finit par découvrir que l'identité prétendument allemande d'Archie est fausse.

Nous retrouvons ici la constatation faite par Biland (2004:29) : Ç la difficulté à mentir tient dans la difficulté à gérer une charge cognitive et émotionnelle lourde sans que rien ne "fuie", ni dans le discours ni dans le comportement, de l'état réel. È Ici, Archie est dans une situation de stress importante dans laquelle la découverte de son mensonge est un danger pour sa vie mais aussi pour la mission qui l'amène ici. Jusqu'à ce moment, il réussissait à couvrir son mensonge, mais on voit qu'un signe élocutionnel, sur lequel il a peu de contrôle et produit pour signifier 3 de façon quasiinconsciente, le trahit, il y a une sorte de Ç fuite È de la culture d'origine d'Archie77, le signe élocutionnel qu'il produit sur la vignette 3 et 4 est un signe devenant un jeu interférant puisqu'il contredit le continuum du sens jusqu'ici communiqué.

77 Comme le dit le Major Dieter Hellstorm vignette 5, Ç you gave yourself away. È

D.2.3. Le jeu émotionnel et pathologique

Ç "Curiouser and curiouser!" cried Alice (she was so much surprised,
that for the moment she quite forgot how to speak good English). È
L.Caroll, Alice's Adventure in Wonderland.

Dans cette dernière partie, nous allons illustrer le fonctionnement de la communication d'un interlocuteur parano
·aque à travers l'exemple d'un extrait de film dans lequel le protagoniste est parano
·aque : The Number 23 de Jo`l Schumacher. Dans ce thriller, Walter Sparrow, joué par Jim Carrey, est un employé de la fourrière municipale d'une quarantaine d'années sans histoire, qui se trouve un jour en possession d'un étrange ouvrage intitulé The Number 23, ouvrage oü l'auteur décrit comment sa vie est obsédée par le nombre 23. Rapidement, Walter trouve d'étranges ressemblances entre ce livre et sa vie, et une fascination parano
·aque pour le nombre 23 s'empare également de lui. Dans cette scène, Walter expose à sa famille les liens qu'il découvre entre sa propre vie et le chiffre 23.

-Walter, what are you doing?

-Check this out. Walter sparrow doesn't work. But if I use my middle name...

- Walter.

- 5-1-1-9-7. Isn't that amazing? - What?

- It's all 23. My birthday-- 2/3, Driver's license, social security number-- Everything. I was born at 11:12 PM. 11 plus 12. It's like it's imitating my life.

-You can't be serious.

(...)

-I'm sorry, honey.

- Why this color? Why did you choose this color?

- I don't know, you tell me.

- Red number five, R-E-D is 27, plus five is 32 which is--

- You're reaching now.

- I met you when I was--

- 23.

- And the day we met was? - September 14th.

- 9/14.

- 14 plus 9 is?

- 23! We married october 13th--10/13, 23.

- Honey, I think you're taking this too seriously.

- Wait wait wait Wait wait wait. We live at 1814. I mean, 18 is one plus eight which equals nine. And nine plus 14 is also 23. 14 is one plus four which equals five. And five plus 18 is 23 too.

- All right, Robin, Please don't you start this nonsense. - This is not nonsense! I-I mean, five plus 18 is 23.

- Well, if the book were 27 or 150, You could do the same thing. - 18 plus 14 is 32. 23 reversed. Spooky, huh?

Nous constatons dans cette scène le délire parano
·aque du protagoniste qui donne du sens à des phénomènes qui n'ont pas lieux d'être mis en relation, c'est-àdire que Ç le parano
·aque, dans sa quête minutieuse du sens, va souvent jusqu'à faire passer au crible des phénomènes totalement secondaires et sans rapport entre eux. È (Watzlawick,1972:247) Nous constatons que Walter Sparrow suit un pattern de sens unique reliant chacun des éléments de sa vie, d'une certaine façon cherchant du sens là oü il n'y aurait pas lieu d'y trouver du sens : comme le souligne sa femme le résultat aurait été le même si leur chiffre avait été 27 ou 150. Le jeu interférant ici est créé par la nature du délire de l'interlocuteur parano
·aque, qui ne peut que comprendre en fonction de ce délire, ne trouvant de sens que lorsque celui-ci confirme la découverte du nombre 23 (il rajoute son middle name dans un calcul pour que cela convienne). Dans les situations de parano
·a, les interlocuteurs pensent être en possession d'un sens supérieur au commun, en quelque sorte ils pensent avoir découvert un sens mystique au monde qui les entoure, et c'est selon ce pattern de sens que les parano
·aques comprennent l'ensemble des signes qui les entourent. Ainsi, tout signe sera interprété selon ce sens, quelque soit la communication de l'Autre. C'est cette existence du délire parano
·aque qui est créatrice de jeu.

Bibliographie

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Index

attention sélective : 20, 51-53, 59, 109

autopo
·èse : 41, 70, 71, 76, 115

Autorégulation (et rétroaction) : 4, 10, 68, 70, 70-77, 98-99, 109-116

code (théorie du) : 20-50, 88-90, 113-124

Compréhension : 6, 12, 14, 19, 20, 31, 33, 35, 36, 38, 40, 41-43, 46-48, 54, 58-67,

68, 71, 81, 90, 96, 99, 101, 102, 108, 111, 114, 119

cybernétique : 8, 19-20, 44, 57, 68-75, 114-116

économie (cognitive) : 39-48, 50, 53, 67, 80-83, 110, 113, 114

effet contextuel (en tant que sens) : 45-47, 48, 65

environnement : 37, 44, 51, 54-58, 60, 65, 69, 71, 73-78, 102, 113-115

équilibre (et déséquilibre) : 41, 47-48, 72, 80, 81-83, 84-86, 90-95, 99, 101, 113, 115-116

fractal : 86, 87-90, 99, 100, 116, 119

imprédictibilité : 74-77, 78, 84, 116

incertitude : 18-19, 41-44, 58

intention : 13-14, 20, 33-37, 44, 60-64, 94, 95, 96, 106, 110

inférence : 20, 32-48, 53-65, 75-78, 97, 113, 122

jeu créatif : 91-98, 105, 117-120

jeu interférant : 12, 101, 105-110, 117, 119, 125-128,

jeu régulier/règle : 22, 25, 36, 56-57,65-67, 70-75, 81-87, 101, 116, 123

mensonge : 12, 91 95-97, 101, 105-107, 122, 126-127

pathologie : 101, 108-111, 128-129

pertinence : 20, 29, 34-48, 59, 60, 66, 68, 69, 74, 80-85, 91-99, 100, 111-113, 121 pragmatique : 6-7, 11, 22, 25-39, 50-51, 113, 114

production : 6, 9, 12-14, 18-20, 33, 37-51, 54, 57, 58-67, 68-75, 81, 82, 89-97, 101, 106, 108, 110, 111, 114-117

stimulus : 36, 38, 51-58, 59-68, 114

système : 11, 13, 19, 20, 24, 35, 39-45, 46-67, 68-79, 79-120






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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera