Université Rennes 2 - Haute Bretagne Master 2 Langues
et Cultures Étrangeres et Régionales Aire Anglophone
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Approche systémique des
jeux pragmatiques communicationnels
Colin Fay Sous la direction de Mr Daniel Roulland 2012
Remerciements :
Je remercie sincèrement Mr Daniel Roulland, mon
directeur de recherche, pour son soutien permanent ainsi que pour ses
conseils avisés, sans qui ce mémoire n'aurait jamais pu
être porté à terme.
Table des matières : Avant-Propos
5
AP.1. Une sémiologie pragmatique 6
AP.2. Les signes 8
AP.2.1. Niveaux du signe 9
AP.2.2. Canaux du signe 11
AP.3. L'intentionnel et le non-intentionnel
13
Introduction 15
I.1. L'impossibilité de ne pas communiquer
16
I.2. L'incertitude 18
I.3. Problématique 20
A. Origines théoriques 21
A.1. Du code à la pragmatique 22
A.1.1. L'approche Saussurienne 22
A.1.2. La théorie du code 23
A.1.3. L'approche pragmatique 26
A.2. La pragmatique et la pertinence 29 A.2.1.
La fin de l'opposition langue/parole 29 A.2.2. Le modèle
inférentiel 32
A.2.3. La pertinence 35
A.3. L'économie cognitive 39
A.3.1. La communication comme système 39 A.3.2.
Retour sur l'incertitude 42
A.3.3. Le modèle économique-efficace 45
B. Théorie du système communicationnel
49
B.1. Stimulus et environnement 51 B.1.1.
Stimulus et attention sélective 51 B.1.2. L'environnement cognitif
direct 54 B.1.3. L'environnement cognitif indirect 56
B.2. Compréhension, production et sens. 58
B.2.1. Compréhension et production 58 B.2.2. Retour sur
l'intention 62
B.2.3. Effets contextuels et sens 65
B.3. Un système cybernétique
68
B.3.1. Définition 68
B.3.2. Rétroaction et autorégulation 72
B.3.3. L'imprédictibilité 75
C. Jeux et enjeux 79
C.1. Le jeu régulier 81
C.1.1. L'équilibre en communication 81
C.1.2. La régularité 84
C.1.3. L'emprisonnement fractal de la régularité
87
C.2. Le jeu créatif 91
C.2.1. Le jeu méta-communicationnel 92
C.2.2. Le cas du mensonge 95
C.2.3. Le jeu ludique 98
C.3. Le jeu interférant 101 C.3.1. Le
jeu conversationnel et culturel 102
C.3.2. Lie Catching 105
C.3.3. Le jeu émotionnel et pathologique 108
Conclusion 112 Annexes 118
D.1. Le jeu créatif 120 D.1.1. Le jeu
méta-communicationnel 120
D.1.2. Le cas du mensonge 122
D.1.3. Le jeu ludique. 123
D.2. Le jeu interférant 125 D.2.1. Le
jeu conversationnel et culturel 125
D.2.2. Lie Catching 126
D.2.3. Le jeu émotionnel et pathologique 128
Bibliographie 130
Bibliographie complete 131
Bibliographie thématique 135
Théorie de la communication 135 Théorie des
systèmes 136
Théorie des jeux 137
Psycholinguistique 138
Index 140
Avant-Propos
AP.1. Une sémiologie pragmatique
Ç Les délimitations classiques des divers champs
scientiÞques subissent du même coup un travail de remise en
cause : des disciplines disparaissent, des empiètements se produisent
aux frontières des sciences, d'oü naissent de nouveaux
territoires. È J.F. Lyotard, La condition postmoderne.
Ce mémoire est une exploration du système de la
communication et de ses jeux. Avant d'entrer dans le coeur de cette
étude, il est important d'établir les limites disciplinaires qui
entourent un tel travail.
L'étude de la communication se situe au croisement de
deux Ç sous-disciplines È des sciences cognitives : la
psychologie cognitive et la sémiologie pragmatique.
Les sciences cognitives sont celles qui cherchent à
déterminer Ç comment un système naturel (humain ou animal)
ou artificiel (robot), acquiert des informations sur le monde qui l'entoure,
comment ces informations sont reportées et transformées en
connaissances, et comment ces connaissances sont utilisées pour guider
son attention et son comportement. È (Lemaire,1999:13)
L'étude du comportement communicationnel s'inscrit dans
un premier temps dans la psychologie cognitive, science étudiant les
mécanismes fondamentaux de la cognition humaine, i.e. les
fonctionnements de Ç l'intelligence È et de la pensée,
faculté Ç mobilisée dans de nombreuses activités,
comme la perception, les sensations, les actions, la mémorisation et le
rappel d'information, la résolution de problèmes, le raisonnement
(inductif et déductif), la prise de décision et le jugement, la
compréhension et la production du langage, etc. È (Ibid:14) Il
pourrait sembler de prime abord que l'étude du fonctionnement de la
communication se situe dans l'étude de la compréhension et la
production du langage, pourtant, les activités qui entrent en jeu lors
de la communication sont plus nombreuses, à un point oü toutes ces
activités doivent être prises en compte. De fait, chacune de ces
activités agit sur le système communicationnel, et est
également affectée par lui.
Cependant, prendre uniquement l'optique de la psychologie
cognitive pour rendre compte du fonctionnement du système
communicationnel ne permet pas d'étudier de façon rigoureuse ce
système. En effet, bien qu'il faille les prendre en
considération, les activités cognitives
citées plus haut ne doivent pas être analysées dans leur
globalité, mais uniquement dans leur rapport aux signes qui existent
dans un processus de communication. En d'autres termes, l'autre pan de
l'analyse se situe dans l'étude des signes 1 produits lors de
la communication, donc une étude sémiologique de la
communication. La sémiologie est définie par Saussure (1995:33)
comme la Ç science qui étudie la vie des signes au sein de la vie
sociale; elle formera une partie de la psychologie sociale (É). Elle
nous apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les
régissent. È La sémiologie étant une science des
signes de manière générale et notre étude limitant
ces signes aux signes employés lors de la communication, il est
important de considérer la sémiologie à travers le prisme
de la pragmatique, c'est-à-dire en tant que Ç science qui traite
des signes (dans leur rapport) à leurs interprètes. È
(Armengaud,1999:36) Cette limite de la sémiologie à travers une
étude pragmatique doit être prise dans le paradigme de la
communicabilité qui est le suivant :
Ç Axiome 1: le sujet parlant, de par son discours, ne
peut pas ne pas communiquer. Axiome 2: toute communication présente deux
aspects, le contenu et la relation, tels que le second englobe le premier.
Axiome 3: toute communication implique la
réciprocité, qui est symétrique ou
complémentaire.
Axiome 4: toute communication actualise le système
virtuel des significations et réalise, en même temps, la
dépendance de ce système vis-a-vis des conditions de la
communicabilité. È (Paret cité dans
Armengaud,1999:103)2
L'étude de la communication proposée ici,
portant sur la communication et les jeux communicationnels, c'est-à-dire
sur le fonctionnement et le dysfonctionnement du système, est donc au
croisement, à l'intersection de ces deux disciplines, restreignant le
vaste champs de recherche des sciences cognitives : la psychologie cognitive
étant limitée à la cognition liée à la
communication, et la sémiologie aux signes existants et influents en
communication.
1 Nous utiliserons dans cette étude le terme
sémiologie pour renvoyer à la théorie du signe. Le terme
signe sera utilisé au sens large de Ç manifestation
sémiotique È, c'est-à-dire renverra à une
manifestation d'un ou plusieurs signe(s)
2 Les axiomes de ce paradigme ne sont pas
développés plus en profondeur ici, leur importance se
révélera tout au long de ce travail
AP.2. Les signes
Ç Ce terme signes, présent dans des
vocabulaires très différents (de la théologie à la
médecine) et dont l'histoire est très riche, (de
l'Évangile à la cybernétique) ce terme est par
là même ambigu. È R. Barthes, Elements de
semiologie.
Ainsi, notre communication est peuplée de signes,
traités cognitivement. Ces signes sont, pour prendre une
définition très large, une unité, une entité au
sein du système communicationnel qui renvoie, qui réfère
à un sens. Chaque signe est composé de deux plans : Ç le
plan d'expression et (...) le plan des contenus È (Barthes,1964),
renvoyant respectivement au signe en tant qu'entité physique et au sens
de ce signe.
Avant de passer au cÏur de l'étude des
mécanismes du système de la communication, nous
spécifierons d'abord ce que sont ces signes, à travers une
définition des deux pans du signe. Le travail des deux paragraphes qui
suivent permet de donner une définition de l'identité de ces
signes, en partant du postulat que l'existence du signe est conventionnelle,
sans pour autant expliquer la nature de cette convention. Nous suivrons en
effet la prémisse scientifique de l'étude d'un système
basée non pas sur une réponse à pourquoi il
fonctionne, mais sur une réponse à comment il
fonctionne. Ainsi nous ne verrons pas pourquoi le signe existe,
pourquoi un signe est lié à un sens, mais
comment ce signe existe, comment il fonctionne à
travers le système, et comment un signe se lie à un
sens. Comme le dit Douay (2000:66), nous nous intéressons Ç aux
moyens formels, systématisés (...) qui permettent la
communication et non aux choses infinies qui peuvent être
communiquées par leur emploi dans des situations par définition
toujours nouvelles. È
AP.2.1. Niveaux du signe
Les interlocuteurs communiquent sur deux niveaux. Hermann
Parret les appelle Ç contenu et relation È (cité dans
Armengaud,1999:103). Cependant, pour ne pas créer un écho qui
porterait à confusion avec les dichotomies expression/contenu du signe,
nous allons utiliser une autre terminologie. Le contenu d'Herman Parret est ce
que Gardiner (1989) appelle les choses : il faut ici prendre la notion de
Ç chose È dans le sens large du terme, celui entendu par Gardiner
: il est vrai que notre discours peut faire référence à du
matériel aussi bien qu'à de l'immatériel, et donc le
discours ne fait pas toujours référence aux choses en tant
qu'objets concrets. D'un autre côté, Ç affirmer que le
discours sert à exprimer la pensée, c'est tout simplement
méconna»tre le fait que je peux parler du crayon avec lequel je
suis en train d'écrire, de ma maison, de mes livre, etc. È
(ibid:27) Il semblerait juste de dire que le discours exprime des Ç
pensées sur les choses È, mais cependant rien ne contredit
l'idée qu'un processus cognitif, qu'une pensée soit elle
même une Ç chose È, au sens large oü nous l'entendons
ici. En effet, le discours courant nous renvoie continuellement à
l'idée que nous parlons de Ç quelque-chose È, et il n'y
aurait rien d'illogique ou relevant du contresens d'imaginer la production
d'une phrase telle que Ç une chose est certaine, c'est que je trouve
cela compliqué È ou Ç la réflexion sur ce sujet est
une chose difficile È, ou encore Ç elle a trouvé la
solution, je n'avais pas imaginé une telle chose
È.3
Affirmer que nous communiquons sur quelque chose pourrait
sembler être l'affirmation d'un rasoir d'Ockham. Cependant, les signes
référant aux choses peuvent revêtir une configuration
particulière : les signes peuvent également être
utilisés pour la méta-communication, ou ce qu'Herman Parret ou
Watzlawick (1972,49) appelle relation, c'est-à-dire Ç la
manière dont on doit entendre le message. È De fait, les
locuteurs peuvent communiquer sur des choses, mais aussi sur leur
communication, sur leur interaction, c'est-à-dire qu'ils peuvent
communiquer et métacommuniquer. En d'autres termes, conjointement au
discours sur les choses dans un sens large, les locuteurs communiquent leur(s)
point(s) de vue, leur(s) sentiment(s) sur la communication, c'est-à-dire
qu'ils communiquent sur leur interaction, sur la
3 Pour un développement complet de ce point, voir
Gardiner,1989:27-32,8.
relation qu'ils entretiennent l'un avec l'Autre. Nous verrons
dans ce travail que cette méta-communication est liée à
l'existence des jeux ainsi qu'aux possibilités d'ajustements
communicationnels : les interlocuteurs en situation de jeu doivent pouvoir
méta-communiquer sur cette situation de jeu, et lorsqu'une communication
sur une chose a échoué, il est nécessaire d'envisager de
méta-communiquer afin d'évaluer les sources de l'échec, en
d'autres termes, la méta-communication est ce qui permet aux jeux
communicationnels d'exister, c'est en faisant passer la pertinence de la
communication au niveau méta-communicationnel que l'existence des jeux
est possible et/ou corrigée.
D'un point de vue théorique, il pourrait sembler
adéquat d'envisager l'existence d'une
méta-méta-communication, c'est-à-dire une communication
sur la méta-communication, ainsi que l'existence d'une
méta-méta-méta-communication, qui serait la communication
sur la méta-méta-communication, et ainsi de suite dans une
spirale infinie de niveaux de communication portant sur le niveau
précédent. Il est cependant deux arguments qui viennent
contredire cet argument :
Premièrement, nous pouvons douter qu'il ait
existé ou qu'il existera un cas empirique dans lequel les
interlocuteurs, dans une suite infinie, travailleront à un niveau infini
de communication à propos du niveau inférieur.
Deuxièmement, même si l'on imagine que ces différents
niveaux existent, ils reviennent toujours à une idée d'une
communication portant sur une communication de niveau inférieur. Donc,
quelque soit le niveau de méta-communication, il est toujours une
communication sur une communication, et donc entre toujours dans la
catégorie de la métacommunication.
AP.2.2. Canaux du signe
Il serait réducteur de considérer que le
système communicationnel traite uniquement les signes dit Ç
linguistiques > : de nombreux signes de nature Ç nonlinguistique >
entrent en jeu dans le système. Comme le dit Watzlawick (1972:16-47) :
Ç les données de la pragmatique ne sont pas simplement les mots,
leur configuration et leur sens (...), mais aussi leurs concomitants
non-verbaux et le langage du corps, (...) un composé fluide et
polyphonique de nombreux modes de comportement : verbal, tonal, postural,
contextuel, etc. >
Afin de rendre compte des signes comme référant
aux choses dans l'acceptation totale de la définition que nous venons de
donner, nous devons les envisager dans tous leurs signifiants,
c'est-à-dire à travers l'ensemble des canaux qu'ils empruntent :
locutionnel, élocutionnel et proxémique.
La dichotomie locutionnel/élocutionnel4 est
une dichotomie que l'on doit à Gardiner (1989), qui fut ensuite reprise
par Douay (2000). Cette dichotomie est traditionnellement appelée
verbal/non verbal : en termes sémiologiques, le locutionnel est la
catégorie des signes qui relèvent des mots, et
l'élocutionnel toute la catégorie des signes qui ne sont pas des
mots, regroupant les signes kinésiques (ou signes gestuels5),
ainsi que le ton de la voix ou l'attitude corporelle. L'utilisation des
expressions Ç locutionnel > et Ç élocutionnel >
permet d'éviter une classification péjorative de la
catégorie des signes élocutionnels. Il est en effet important,
dans une étude d'un système composé de signes, de ne pas
mettre une catégorie de signes de côté, d'accorder un
Ç statut identique à toutes les catégories de signes de la
langue > (Douay,2000:81), ce qui est atteint via l'utilisation d'une
terminologie Ç locutionnel/élocutionnel >6. En
effet, les signes élocutionnels sont essentiels à la
communication, et pourtant ils sont habituellement relayés au second
plan des études (ce que regrette Gardiner (1989:66) : Ç les
expressions du visage traduisent si bien l'émotion qu'il eUt
été dommage de les astreindre à la fonction moins
exaltante de représentation de phénomènes
extérieurs >). Ils sont même classés par Gardiner
4 Il existe plusieurs expressions pour référer
à cette dichotomie, telles que les Ç syntaxe locutionnelle et
élocutionnelle > ou Ç forme locutionnelle et
élocutionnelle. > Par soucis de simplicité, nous utiliserons
Ç le locutionnel et l'élocutionnel >
5 Birdwhistell, dans Winkin (2000), parle de Ç
kinèmes >
6 Pour un développement complet de ce point, voir Douay,
2000, chapitre 3.4 p 81-107
au premier plan de l'interlocution, puisque lorsque les signes
locutionnels sont en conflit avec les signes élocutionnels, ce sont
toujours les signes élocutionnels qui vont être porteurs de sens.
Nous citerons ici la répartition faites par Mehrabian de ces
différents canaux lors de la communication :
Bien qu'une répartition aussi nette soit contestable et
contestée, particulièrement en ce qui concerne la
précision des chiffres, l'idée générale est celle
que nous adopterons.
Cette idée d'une centralité de
l'élocutionnel est reprise par Douay (2000), mais également dans
les études sur le mensonge effectuées par Ekman (notamment 2009),
pour qui la détection d'un mensonge s'effectue à travers la
détection d'un conflit locutionnel/élocutionnel,
l'élocutionnel étant porteur du sens véritable.
Il existe un troisième canal par lequel peuvent
transiter les signes intervenant dans la communication, qui est le canal
proxémique. Cette dimension de la communication fut
développée par Edward T. Hall (1968), et est devenue la Ç
branche de la sémiotique qui étudie la structuration signifiante
de l'espace humain. È (Fabbri, 1968:5) Ce terme réfère
à la perception de l'espace interpersonnel en tant que moyen de
communication, et plus précisément en tant que moyen de
méta-communication. De fait, bien qu'il semble que les espaces
interpersonnels ne soient pas interprétés comme des signes
à part entière lorsque l'on traite de la communication, ils sont
pourtant très importants, car ce sont eux qui signifient le degré
de la relation qu'un locuteur considère entretenir avec un autre. Cette
observation sera notamment reprise lors de l'étude du jeu
interférant culturel, puisque des signes proxémiques pourront
être facteurs d'incompréhension, de Ç chocs culturels
È.
AP.3. L'intentionnel et le non-intentionnel
Ç On ne peut pas dire non plus qu'il y ait
'communication' que si elle est intentionnelle, consciente ou réussie
È P. Watzlawick, Une logique de la communication, p.46-47
La tradition de l'étude de la communication ne
s'intéresse pour la plupart qu'à l'analyse des productions
volontaires. Pour exemple nous citerons ici Douay, (2000:65) qui dans son
ouvrage, écrit que Ç doit être considéré
comme phrase (É) tout signe (É) ou ensemble de signes
manifestement sous-tendu par une intention pertinente de communication.
È (nous soulignons) Ce n'est cependant pas le point de vue que nous
adopterons ici. Effectivement, les signes traités par le système
communicationnel ne sont pas tous intentionnellement produits, ni même
intentionnellement compris, notamment pour les signes qui sont
influencés, produits par l'existence de certaines émotions.
Reprenons le point de vue évolutionniste,
développé notamment par Darwin (2001) : selon cette
théorie, il fut indispensable pour la survie de l'homme de pouvoir
signaler les émotions le plus rapidement possible. Par exemple signifier
la peur à travers une expression faciale, et ce avant d'en avoir
conscience, fut indispensable à la survie de l'espèce. Les
individus les plus rapides à communiquer leurs émotions furent
ceux qui furent le plus enclins à survivre. Toujours selon cette
théorie, tout élément utile à la survie de
l'espèce s'est automatisé au court de l'évolution (Darwin,
2001:43). Ainsi, la signification des émotions étant un
élément indispensable à notre survie, elle fait ipso
facto partie de ces processus qui se sont automatisés. Aujourd'hui,
nous avons hérité de cela à travers un contrôle
difficile (voir quasi-impossible) de nos émotions, ce qui nous
entra»ne à signifier non-intentionnellement sous l'influence de nos
émotions. Par exemple, rougir est un signe universel d'embarras qui est
produit de façon non-intentionnelle, pourtant, bien que
nonintentionnelle, cette manifestation sémiotique sera traitée
par le système communicationnel : l'interlocuteur comprendra ce signe
élocutionnel comme signifiant l'embarras7. Ce point sera
particulièrement important pour l'analyse du jeu communicationnel dU aux
émotions.
7 Voir Darwin, 2001, et Ekman et al., 2003
De plus, il est important de noter que l'apparition d'une
émotion peut rompre la continuité de la communication.
L'apparition d'un (ou de) signe(s) soudain(s) peut sembler n'avoir aucun lien
direct avec ce qui le(s) précède quand la production et la
compréhension de ce(s) signe(s) sont directement liées à
une émotion ressentie par l'un des interlocuteurs. Prenons un exemple,
développé par Ekman (2003), qui est celui de la frayeur
causée par l'approche imminente d'un accident de voiture. Imaginons une
situation dans laquelle nous sommes en voiture avec un ami. Nous conversons de
choses banales, lorsque soudain une voiture appara»t et semble rouler
à contre-sens, et donc se diriger dans notre direction. Soudain, avant
même que cela soit conscient, le passager a de façon
réflexe un mouvement d'appui sur un frein imaginaire, et la conversation
est immédiatement interrompue par une expression de peur d'un ou des
deux interlocuteurs, passant de Ç oui c'est un très bon film
È à Ç Oh mon Dieu attention ! È, accompagné
d'une expression faciale de peur. La production de la première phrase
Ç oui c'est un très bon film È est intentionnelle, alors
que la deuxième phrase Ç Oh mon Dieu attention ! È est une
production non-intentionnelle. Pourtant, bien que non-intentionnelle, la
production de la phrase n°2 ne peut pas être rejetée en tant
que communication. Cette production non-intentionnelle est due à une
réaction de nos Ç déclencheurs émotionnels
È, processus réagissant l'analyse infra-attentionnelle
constamment exécutée par notre inconscient, hérité
de l'évolution et nous permettant de faire face de façon
adéquate à une situation soudaine.
Les signes intentionnels et non-intentionnels sont donc tous
deux à prendre en compte comme influents dans la communication.
Malgré un rTMle similaire, une distinction peut être faite entre
ces deux types de signes. Cette différenciation est faite par Grice dans
son article Meaning (1957). Il y fait une distinction entre les signes
qui signifient naturellement et les signes qui signifient non-naturellement,
c'est-à-dire entre les signes naturels et les signes conventionnels.
Nous reviendrons plus en détails sur ce point dans le second chapitre de
ce travail.
Introduction
I.1. L'impossibilité de ne pas communiquer
Ç Tout refus de communiquer est une tentative de
communication ;
tout geste d'indifférence ou d'hostilité est appel
déguisé. È
A. Camus, L'étranger.
Partons du constat fait par Paul Watzlawick (1972:46) :
Ç on ne peut pas ne pas communiquer : le comportement a
une propriété on ne peut plus fondamentale : (...) (il) n'a pas
de contraire. Autrement dit, (...) on ne peut pas ne pas avoir de comportement.
Or, dans une interaction, tout comportement a valeur de message,
c'est-à-dire qu'il est une communication. (...) Un homme attablé
dans un bar rempli de monde et qui regarde devant lui, un passager qui dans un
avion reste assis dans son fauteuil les yeux fermés, (...) ne veulent
pas qu'on leur adresse la parole, en général, leurs voisins
«comprennent le message» et y réagissent normalement en les
laissant tranquilles. È
Ainsi, même refuser de répondre, c'est
communiquer (ou méta-communiquer)8 que l'on ne souhaite pas
interagir. Nous nous trouvons dans une configuration oü nous devons
communiquer dès lors que nous sommes dans une situation d'interaction
avec un Autre, comme le dit Goffman9 : Ç chaque fois que nous
entrons en contact avec autrui (...) nous nous trouvons devant une obligation
cruciale : rendre notre comportement compréhensible et pertinent compte
tenu des événements tels que l'autre va sUrement les percevoir.
È De ce fait, dans toute situation d'interaction, les interlocuteurs
doivent identifier et choisir les signes qui seront adéquats pour
assurer le bon déroulement de la communication.
Cette impossibilité de ne pas communiquer est une
propriété qui a été le point de départ des
études psychiatriques sur la communication, notamment la communication
chez les schizophrènes. En effet, l'observation de la communication chez
les schizophrènes a mené à la constatation que les
personnes qui souffrent de ce trouble cherchent à ne pas communiquer,
via des formes de Ç non-sens, silence, retrait, immobilité (ou
silence postural), ou toute autre forme de refus. È (Watzlawick,
1972:48) Or, ces formes de refus sont elles-mêmes des communications,
communiquant le refus de communiquer. Mais ces formes de communications ne se
retrouvent pas uniquement dans les communications chez les
schizophrènes. En
8 Par soucis de concision pour la suite de l'étude, et
sauf indication contraire, l'utilisation du verbe Ç communiquer È
englobera la notion de communication et de méta-communication
9 Goffman, Façon de parler. Cité dans
Blanchet (1996).
effet, la recherche d'une forme de Ç non communication
È, selon l'expression de Watzlawick (1972), est une configuration qui
concerne chaque interlocuteur qui souhaite communiquer qu'il ne souhaite pas
communiquer en annulant la communication, c'est-à-dire en amenant
l'Autre à comprendre que l'interlocuteur ne souhaite pas
coopérer, en faisant passer la pertinence de l'échange à
un niveau méta-communicationnel10. Cette situation est
paradoxale car elle amène à communiquer le désir de
Ç non-communication È, à savoir donc qu'il est impossible
de ne pas communiquer, puisque le stade de non-communication passe par un
premier stade de communication.
10 Nous développerons ce point plus en détails dans
la partie C.
I.2. L'incertitude
Ç Chaque être humain conna»t une frange
d'incertitude quant aux types de messages qu'il émet.
È Y. Winkin, La nouvelle communication.
Malgré une communication permanente, nous ne sommes
jamais dans une situation oü nous pouvons affirmer avec certitude que
notre production communicationnelle a été comprise de
façon juste, c'est-à-dire que nous ne pouvons jamais avoir
l'entière certitude de l'efficacité de notre communication.
Pour illustrer cette idée, nous utiliserons par
analogie l'expérience de pensée du Ç Chat de Schrdinger
È. Bien que cette expérience ait été
utilisée afin de démontrer des propriétés de
physique quantique, nous pouvons très bien la transposer pour illustrer
notre propos actuel.
Imaginez un chat que l'on a enfermé dans une boite.
Avec lui se trouve un flacon de poison pouvant se libérer à tout
moment, de façon aléatoire. Tant que la boite est fermée,
les observateurs de l'expérience ne peuvent pas savoir si le poison a
été libéré ou non, si le chat est vivant ou mort,
ce n'est qu'une fois la boite ouverte que l'expérimentateur peut juger
des propriétés de ce qui se trouve à
l'intérieur11. Il en est de même pour la communication
: tant que le locuteur n'a pas produit les signes, ceux ci peuvent être
efficaces ou non. Cette idée explique pourquoi les locuteurs se
reprennent, ré-expliquent leurs propos, voir même parfois ne se
comprennent pas : ils ne peuvent garantir de l'efficacité des signes
tant qu'ils ne sont pas produits, donc tant qu'ils ne sont pas
interprétables et interprétés, et même après
leur production, les interlocuteurs seront incapables d'affirmer de
façon certaine de l'efficacité ou non de leur production. Cela
explique également pourquoi certaines communications sont inefficaces :
le locuteur ne peut pas juger entièrement de l'efficacité de sa
production tant que celle-ci n'est pas effective. En d'autres termes, le
processus cognitif de choix des signes (qui s'effectue pré-production)
ne permet pas de juger de façon certaine des signes qui seront efficaces
pour communiquer, le
11 Pour les explications précises de cette
expérience, voir Schrodinger, 1992, Physique quantique et
representation du monde
jugement d'efficacité significative ne pourra être
effectué qu'une fois le jugement retour (c'est-à-dire le jugement
de la compréhension de l'interlocuteur) possible.12
Cette notion explique l'existence d'un certain type de jeux
communicationnels, car celui qui produit ne peut rendre compte de
l'efficacité des signes qu'une fois ceux-ci produits, ce qui justifie
les processus de réajustement nécessaires à la
communication. Le locuteur aura beau faire preuve de tout le zèle
possible, il ne pourra jamais être entièrement sUr (pendant le
stade cognitif pré-production) de l'efficacité de ses propos.
Nous reviendrons sur ce point dans la suite de notre travail.
Ce processus d'incertitude est différent de la notion
linguistique d'ambigu ·té. En effet, l'ambigu ·té
concerne la multiplicité de compréhensions possibles d'un signe
particulier. Or un interlocuteur ne produit jamais de signes ambigus pour lui,
c'est-àdire que les signes qu'il produit sont toujours incertains du
point de vue de l'efficacité mais ne sont jamais ambigus au niveau du
sens. La production délibérée d'un signe que
l'interlocuteur sait ambigu pour l'Autre ne sera pas ambigu pour
l'interlocuteur, qui le produit dans un but méta-communicationnel.
Ce point sur l'incertitude sera très important pour notre
propos, nous y reviendrons donc plus en détails dans la suite de ce
travail.
12 Ce jugement retour est possible gr%oce à un
système cybernétique. Cette notion sera développée
dans la partie B.
I.3. Problématique
Nous pouvons distinguer deux tâches cognitives lors de
la communication : la compréhension et la production. Le processus de
compréhension est celui permettant, via le processus de l'attention
sélective, de combiner code(s), indice(s) et contexte(s) pour arriver
à l'identification du sens, le processus de production est celui passant
du sens aux signes produits.
Afin d'aboutir efficacement au but de la communication, les
interlocuteurs doivent s'appliquer au bon déroulement de ces deux
tâches. Ce processus d'application correspond à un effort de
pertinence. En effet, si l'on reprend la définition de la pertinence de
Hjrland & Sejer Christensen (2002) Ç une chose A est pertinente pour
la tâche T lorsqu'elle augmente les chances d'arriver au but G,
luimême impliqué par T È. Ici, le but G de la communication
est la mise en commun par la création chez l'Autre d'une réaction
cognitive, entra»nant signe(s) ou acte(s). Les tâches T sont les
processus de compréhension et de production. En communication, la
pertinence est donc l'effort des locuteurs pour optimiser les chances
d'accomplissement des tâches de compréhension et de production.
Comment fonctionne le système de la communication ?
Quelles sont les conséquences de la nature de ce système sur
l'utilisation qu'en font les interlocuteurs ? C'est à ces deux questions
que cette étude va tenter de répondre.
Dans une première partie, nous partirons des
prémisses théoriques qui nous amèneront jusqu'à la
théorie que nous développerons et utiliserons ici.
La seconde partie sera consacrée à l'analyse des
mécanismes du système communicationnel en tant que système
cybernétique, ainsi que sur l'analyse des deux processus l'articulant,
c'est-à-dire les processus de compréhension et de production.
Puis, dans une troisième partie, nous étudierons
les cas de jeux dans ce système, par application et enrichissement de la
théorie des jeux.
A. Origines théoriques
A.1. Du code à la pragmatique A.1.1. L'approche
Saussurienne
Comme le disent Fuchs et LeGofÞc en ouverture de leur
ouvrage (1996:15), Ç il est traditionnel de présenter F. de
Saussure comme le "père" de la linguistique moderne. È Nous ne
manquerons pas à cette Ç tradition È. Fondateur de la
linguistique en tant que discipline, Saussure est le théoricien qui a
posé les fondations d'une science de la langue. Fondamentalement non
pragmatique, son modèle théorique repose plus
particulièrement sur la séparation de la langue et de la parole,
la langue étant un ensemble de conventions et de règles
immanentes, Ç bien déÞnies È et Ç
homogènes È (Saussure,1995:31-32) partagées par une
collectivité parlante ; la parole, à l'inverse, est une
manifestation individuelle et singulière de cette langue. Il ressort de
cette dichotomie que la langue est posée comme unique sujet de la
recherche linguistique, la parole étant relayée à un rang
Ç secondaire È de l'analyse linguistique, se basant sur
l'idée qu'il Ç faut se placer de prime abord sur le terrain de la
langue, et la prendre pour norme de toutes les autres manifestations du langage
È (Ibid:25)
De son étude, Saussure exclut le sujet parlant,
Ç la langue étant (...) indépendante de l'individu
È (Ibid:37), mais aussi toute forme de contexte, qui n'aurait une place
que dans l'étude d'une linguistique de la parole. On se retrouve donc
face à une vision de la linguistique envisagée comme
l'étude d'une langue-code idéale, immanente et
instrumentalisée, utilisée par des sujets parlants
idéalisés, excluant tour à tour le sujet parlant
ordinaire, le contexte ordinaire mondain ainsi que les usages ordinaires du
langage.13 Et, bien que la dichotomie langue/parole paraisse plus
dialectique qu'absolue (la langue n'existant qu'au travers de la parole),
l'exclusion de ces trois derniers est bel et bien présente dans le
Cours de linguistique generale. De cette conception Saussurienne
séparant langue et parole, est née la théorie du code, que
nous verrons ensuite.
13 Liste extraite de Eluerd (1995).
A.1.2. La théorie du code
L'approche Saussurienne fait des signes de simples moyens
d'échanges d'informations à contenus fixes, effectués
entre deux locuteurs par le canal intermédiaire que serait une
langue-code conventionnalisée, plus ou moins universelle au sein de la
collectivité représentée par la communauté
linguistique à laquelle appartiennent les interlocuteurs. Cette
conception voit la linguistique comme l'étude d'un code
intrinsèquement conventionnel et au sens immanent, utilisé par
des sujets parlants idéaux possédant chacun une copie identique
de ce code. Ce modèle exclut les sujets parlants de l'étude, car
ce qui importe est l'analyse du langage codé, se situant entre les
opérations de codage et de décodage. Dans cette conception, le
sujet parlant Ç émetteur È encode un message qui sera
ensuite décodé par le sujet destinataire Ç
récepteur È. En utilisant cette langue-code, les signes
traduiraient Ç une activité mentale È qui
préexisterait au langage, c'est-à-dire mettraient du sens dans
des structures appartenant à la langue, et seraient utilisés
comme Ç intermédiaire(s) entre la pensée et le son.
È (ibid,1995:156)
Ce modèle du code sera schématisé un peu
plus tard par Shannon et Weaver
(1948) :
C.Shanon & W.Weaver, The Mathematical Theory of
Communication.
Dans cette perspective du modèle linéaire de la
communication, celle-ci est réduite à la simple transmission d'un
message qui est codé par la langue et oü l'échange est fait
entre un émetteur Ç parlant È depuis une source
d'information, utilisant un canal pour faire transiter les signaux, signaux
potentiellement perturbés par un bruit extérieur, et reçus
par un récepteur qui l'envoie à sa destination, la
source et la destination étant les processus cognitifs
des locuteurs. Ce modèle du code, également appelé
Ç Théorie de la transmission È ou Ç Théorie
mathématique de la communication È, bien que d'inspiration
beaucoup plus ancienne, fut conçu pour théoriser les
systèmes de télécommunications dans la première
moitié du 20ème siècle. Il connut pourtant un
succès certain dans les sciences humaines et fut repris par nombreux
linguistes, notamment par Jakobson, avec un modèle qui n'est pas sans
rappeler le schéma de Shanon et Weaver, auquel il apporte quelques
compléments :
R.Jakobson, Essais de linguistique generale (1963).
Ce schéma est le modèle classique de
l'étude de la communication en tant que codage et décodage, la
définissant comme l'étude formelle de ce mouvement
encodage-décodage, échangé entre le Ç destinateur
È et le Ç destinataire È. Tel deux tennismen
s'échangeant une balle sur un court de tennis, les interlocuteurs sont
ici vus comme s'échangeant à tour de rTMle des Ç bulles de
signification È. Dans un tel schéma, Ç les messages sont
représentés comme des contenus insérés dans des
mots, phrases, textes (contenants), transmis d'un émetteur à un
récepteur, puis décodés par un processus inverse à
celui de l'émission. È (Moeschler,1994:16) De nouveau, ce
modèle présente la communication comme le codage d'un message par
un code connu identique chez tous les sujets parlants cette langue, et
perpétue la supériorité du code, de la langue sur le
discours, excluant de l'étude de la communication le sujet parlant en
contexte mondain ordinaire ; un modèle oü Ç les
paramètres du sujet et de la variation (ont été)
évacu(és) de la "langue", en les reléguant à la
"parole". È (Fuchs&LeGoffic,1996:9)
On retrouve ce type d'exclusions dans la grammaire
générative, théorisée par Chomsky, et postulant
l'existence d'un Ç code qui associe une représentation
sémantique à une forme phonologique È
(Sperber&Wilson,1989:22) organisant le
langage en profondeur. Bien que faisant un premier pas vers
l'inclusion des locuteurs, son approche n'en reste pas moins une approche
typiquement codique. En effet, la communication fonctionnerait par une mise en
opposition de deux idiolectes intériorisés par les
interlocuteurs, structures appartenant à une languecode
intériorisée, dans lesquelles les locuteurs viendraient injecter
du sens avant de le transmettre par le schéma de transmission
d'informations. La théorie générativiste renferme donc bel
et bien, malgré ce qui pourrait sembler être un premier pas vers
la pragmatique par l'inclusion du vis-à-vis des interlocuteurs, le
modèle de la languecode, qui se retrouverait dans un catalogue de
Ç structures profondes È, utilisées par les locuteurs,
sans tenir compte de la situation d'énonciation.
Tous ces schémas fondent le sens d'une communication
sur sa construction grammaticale correcte ainsi que dans sa
vériconditionnalité, c'est-à-dire qu'un
énoncé ne peut avoir de sens qu'à condition qu'il respecte
une grammaire (un code intériorisé de grammaticalité)
correcte, et qu'il exprime des arguments qui puissent être
vérifiés/confirmés, ou falsifiés/infirmés.
En d'autres termes, une proposition a du sens, et donc peut passer le
schéma transmettant l'information, si et seulement si cette proposition
est grammaticale et Ç vraie È. (Eluerd,1985:26-29)
Pour utiliser une métaphore sportive, oü l'on
comparerait l'analyse linguistique à une analyse d'un match de tennis,
on aurait avec cette théorie du code une analyse qui n'aurait pour objet
que l'analyse des mouvements de la balle, de laquelle serait exclue
l'importance des joueurs (qui ne feraient que suivre des règles), ainsi
que l'importance du matériel qu'ils utilisent ou encore du terrain sur
lequel ils jouent. On voit dans ce type de modèle l'exclusion directe de
la parole au profit de la langue, et donc par le même biais du sujet
parlant, préférant laisser l'utilisation de la languecode
à des locuteurs idéaux théoriques. On constate
également l'exclusion du contexte, l'affirmant comme extra-linguistique
et donc ne devant pas figurer au sein de l'étude linguistique, ainsi que
l'exclusion du langage ordinaire. On donne principalement pour motivation
à cette supériorité de la langue l'idée d'un rejet
nécessaire du langage ordinaire qui serait trop complexe et
désordonné, nébuleuse qui ne pourrait satisfaire les
exigences de théorisation scientifique, justification que la pragmatique
va prendre à contrepied.
A.1.3. L'approche pragmatique
La conception pragmatique de la linguistique (terme
utilisé pour la première fois par Morris (1938), la
définissant comme l'étude de Ç la relation du
signe14 à ses interprétants È), s'oriente dans
une direction totalement opposée. Comme le résume Blanchet
(1995:9), la question que se posent les chercheurs en linguistique pragmatique
est : Ç comment le langage (...) produit de la signification,
c'est-à-dire des effets, dans le contexte communicatif de son
utilisation par les locuteurs. È C'est la conception qui sera suivie
dans notre travail.
Malgré son opposition théorique, il serait
incorrect de dire que la pragmatique s'est développée en
réaction à la linguistique du code. En effet, les linguistes de
cette école de pensée exposent leurs idées depuis la
même période, Ç en même temps, mais avec un
développement retardé. È (Eluerd,1985:31) Nous pouvons
regrouper dans cette approche des théoriciens tels que Pierce (1958),
Wittgenstein (1921) ou Gardiner (1932)15, et à leur suite
Morris (1938), Ducrot (1980), Austin (1962) ou encore Searle (1972), cette
liste étant bien sUr loin d'être exhaustive. Les prémisses
de ces études se situent dans une non-acceptation de la dichotomie
langue/parole, qui imposait une supériorité hiérarchique
de la langue sur la parole, excluant de ce fait le langage ordinaire, le
contexte mondain, ainsi que le sujet parlant ordinaire. Cette opposition
théorique n'invite pas à défaire la hiérarchie et
à la renverser, mais plutôt à la prendre comme non
pertinente dans l'étude de la communication de par son décrochage
théorique de la réalité empirique. Plutôt que de
postuler la base de l'étude de la communication sur l'étude d'une
langue-code parfaite et idéale, utilisée comme
intermédiaire entre deux sujets parlants idéaux, cette approche
pose ses fondations dans l'étude des actes de langage ordinaires,
utilisés en contextes réels par des sujets parlants
ordinaires.
14 Nous rappelons que l'usage que nous faisons du terme
Ç signe È est à prendre au sens large, c'està-dire
en tant que manifestation sémiotique d'un ou plusieurs signes.
15 Égyptologue de formation, à l'influence
sous-jacente sur le développement de la pragmatique, son ouvrage The
Theory of Speech and Language fUt publié à Oxford en 1932.
Il y développe une analyse des Ç actes de langage ordinaires
È, à contrecourant des théories de l'époque. Nous
pouvons considérer a posteriori son ouvrage comme pionnier dans
l'analyse linguistique pragmatique. L'ouvrage que nous utiliserons et citerons
ici est l'ouvrage traduit et introduit par Douay, publié en 1989 aux
Presses Universitaires de Lille
Comme nous venons de le dire, la linguistique pragmatique, au
travers d'une critique de l'artificialité des théories et des
exemples canoniques de la linguistique Ç classique È, pose ses
fondations dans l'étude du langage ordinaire. Cette prise de position en
faveur du langage ordinaire suppose des fondations théoriques aux
antipodes de celles de la théorie du code, notamment en ce qui concerne
l'obtention du sens. Puisqu'elle impose une relation stricte dans le signe
entre le signifiant (matière acoustique) et le signifié
(concept), la théorie du code impose l'obtention du sens à
travers le signe aux seules conditions que l'énoncé soit
grammaticalement correct, ainsi que possiblement réfutable ou
confirmable, le sens reposant donc sur la vériconditionnalité de
l'énoncé. Le rejet de la centralité de la
vériconditionnalité est fondamentale à la pragmatique, et
se retrouve notamment dans la Théorie des actes de langage,
développée dans un premier temps par Austin (1962), et à
sa suite par Searle (1972). Nous pouvons retrouver dans cette théorie
l'opposition entre les actes à valeur descriptive, qui eux
sous-tendraient une idée théorique de
vériconditionnalité, et les actes à valeur performative,
qui eux ne sous-tendraient pas cette idée : ces derniers sont des
manifestations sémiotiques qui, par leur énonciation,
accomplissent un acte. Ils ne sont ni vrais, ni faux et ne décrivent
rien, ils existent uniquement au travers de l'accomplissement performatif par
le sujet parlant. Ce point de vue sur les conditions de vérité
est également réfuté par Ducrot qui, parmi d'autres,
affirme que Ç ce dont parle le locuteur existe réellement ou non
ne change rien au fait qu'il en parle et qu'en parlant, il fait comme si cette
existence allait de soi. È (Eluerd,1991:103) Cette affirmation admet
donc que le sens d'une proposition ne se trouve pas dans ses valeurs de
vérité mais dans l'usage qui en est fait, dans l'habitude que cet
usage crée. Ainsi, Ç une expression du langage n'a de sens que
dans la mesure oü nous pouvons en faire un certain usage. È
(ibid:144) Le sens à travers l'usage n'exclut bien sUr pas l'importance
de la vérité dans la langue, mais cette vérité
n'est pas obtenue par une vérité immanente dans la relation
signifiant/signifié, mais par l'usage qui est fait d'une forme
sémiotique, par le jeu de langage au travers duquel le signe existe dans
le langage ordinaire. Comme le dit Gardiner (1989:257) Ç le discours
fait référence à des choses réelles et imaginaires
avec une stricte impartialité. È Ce qui légitime
l'existence discursive d'un signe est son acceptation mutuelle d'existence
à l'intérieur du discours, non pas les conditions de
vérité auxquelles il satisferait.
Cette légitimation du sens par l'usage plutôt que
par une justification logique est très importante. En effet, la
linguistique pragmatique ne s'intéresse pas aux conditions de
vérité d'un signe comme renfermant Ç le È sens :
dans l'optique pragmatique, ce sens est obtenu à travers l'usage qui est
fait au sein de la communauté linguistique par les usagers du langage
dont il est question. Cette idée est très importante pour notre
développement lorsque nous aborderons l'étude des jeux de langage
: les jeux de langage ne trouvent pas leur sens (ou leur non-sens) à
l'intérieur de la confrontation des conditions de vérité
du signe, mais dans une confrontation de l'usage, de l'habitude qui existe de
ce signe. Lorsqu'un locuteur se trouve face à un signe qui lui parait ne
pas faire sens, ce n'est pas parce qu'il ne parvient pas à obtenir le
raisonnement logique et/ou vériconditionnel qui sous-tend cette
séquence particulière, mais bien parce qu'il n'arrive pas
à faire converger le signe reçu avec une habitude, un usage de ce
signe.
Pour reprendre l'analogie sportive, l'approche pragmatique
prend le contrepied de ce qu'était la théorie du code. La
pragmatique vient pour analyser non pas le déroulement d'un match
idéal entre deux joueurs idéaux mais le déroulement d'un
match effectif, c'est-à-dire non pas l'analyse des coups qui suivraient
des codes de jeux, idéalisant les mouvements des joueurs en les
définissant selon leur vérité ou non, mais l'analyse des
coups qui existent dans le déroulement réel d'un match, et donc
l'analyse des actes durant le match, légitimés en tant que coup
par leur existence, et non pas par leur concordance effective ou non à
un code qui préexisterait au jeu, ou par leur déroulement
idéal.
Ainsi, la langue-code, parfaite et idéale, outils
hypothétiquement adéquat à l'étude linguistique, se
légitimerait par une capacité à faire face aux
prétendues imperfections du langage ordinaire. Cependant, ce langage
ordinaire n'est-il pas celui qui est parfait, et le langage idéal
porteur d'imperfection, puisque c'est ce même langage parlé
ordinaire qui a survécu et s'est adapté tout au long de
l'évolution humaine, ayant permis à l'homme de faire face aux
innombrables situations de la vie quotidienne et de se développer
intellectuellement ? N'est-ce donc pas, si l'on suit cette idée, la
langue-code idéale que nous devrions considérer comme imparfaite,
puisque incapable d'envisager une utilisation empirique ? Nous envisageons que
cela est le cas, et la suite continuera d'aller dans ce sens.
A.2. La pragmatique et la pertinence
Ç It is not what you said that matters but the
manner in which you said it. È William Carlos William.
Note : alors qu'il s'agissait d'un déroulement et
un renversement de point de vue théorique dans la partie A.1, nous
donnerons ici non pas un changement, mais un afÞnement de la
théorie pragmatique. Dans la derniOre partie, nous développerons
notre propre modOle.
A.2.1. La fin de l'opposition langue/parole
Nous avons vu que la théorie du code, reposant sur
l'opposition langue/parole, engendre un certain nombre d'exclusions. Par la
prise de position en faveur de l'analyse du langage ordinaire, la
théorie pragmatique vient mettre fin à cette opposition, et donc
aux exclusions qui lui était inhérente. C'est la fin de ces
exclusions que nous verrons ici.
La théorie pragmatique se base sur un rejet de la
notion de monologue, c'està-dire une prise en compte de l'ensemble des
interlocuteurs. Fondamentalement, Ç il n'y a de pragmatique possible
qu'avec la prise en compte effective des interlocuteurs. È
(Eluerd,1985:189) Gardiner (1989) pose rapidement cette prémisse dans
son ouvrage, des le §7, intitulé Ç L'origine sociale de
l'acte de langage : l'auditeur È dans lequel il soutient que Ç le
développement du langage suppose nécessairement un emploi
délibéré de sons articulés dans le but d'influencer
la conduite d'autrui. È (25) Nous pouvons en effet douter que le langage
ne serve qu'à l'expression d'une vie mentale intérieure et
personnelle. En effet, pourquoi l'homme utiliserait-il un discours aussi
complexe pour exprimer quelque chose que ses pensées suffisent à
exprimer pour lui-même ? Pour reprendre la question posée juste
avant cette partie, le langage ordinaire est celui qui a fait face aux
innombrables situations humaines, celui qui a permis de passer, au cours de
l'évolution, des cris primaires au langage complexe qu'on connait
à l'homme d'aujourd'hui. C'est donc dans un but coopératif de
développement social et collectif que l'homme utilise le discours.
Ë travers l'approche pragmatique, communiquer n'est plus utiliser un code
pour transmettre une information sur les pensées qui sont propres
à un individu,
mais bel et bien prendre part à un discours dialogique en
vue d'influencer un interlocuteur, au travers d'un effort réciproque
de coopération pour faire émerger
une inter-compréhension, une mise en commun du sens. Ainsi, le
langage a pour fonction première, non pas d'exprimer les Ç
méditations intellectuelles È de l'individu, mais d'entrer en
contact avec l'Autre. Comme le souligne Gardiner (1989:24) : Ç dans
bon nombre de cas, on ne parle de rien en particulier. È Le langage
est donc fondamentalement dialogique, le dialogisme étant, selon la
définition de Jacques (1979 cité dans Douay,2000:36) Ç
la distribution effective de l'énonciation sur deux instances
énonciatives, lesquelles sont en relation communicative actuelle.
È Avec la théorie pragmatique, l'essence du langage est la
communication, cette communication passant par l'entrée en
interaction de deux (ou plusieurs) individus qui ne sont plus
émetteur et récepteur mais interlocuteurs, interactants ou encore
co- énonciateurs, cette même interaction étant le but
premier de la communication : au- delà de la communication sur les
choses, l'homme communique également, et parfois uniquement, afin
d'entrer en contact avec l'Autre. De ce fait, le but de certaines
communications se trouve dans l'entrée en contact et dans
l'établissement, la modification et/ou l'affirmation d'une relation
sociale avec autrui. Pour résumer, ce qui pousse un individu à
la parole, ce n'est pas uniquement la transmission d'information(s)
concernant l'expression de ses pensées, mais bien
majoritairement l'entrée en contact avec autrui dans une situation
interactive de communication ordinaire, le positionnement d'un acte de
langage individuel vis-à-vis de celui de l'Autre. Il devient
impossible d'ignorer l'importance qu'a le contexte dans
l'interaction. Ignorer le contexte dans lequel le signe se produit revient
à prêter à toute manifestation sémiotique un lien
immanent entre le signe et le sens auquel il renvoie, inséparable et
irréductible, indépendant de tout contexte, définissant le
signe comme un signe-étiquette posé sur chaque chose. C'est
l'optique inverse que la théorie pragmatique suit, qui est l'optique
selon laquelle tout acte de langage Ç a lieu dans un contexte
défini par des données spatio-temporelles et socio-historique.
È (Fortin, 2007:111) La prise en compte du langage ordinaire dans
cette théorie suppose d'accepter que chaque signe, dans son
énonciation ordinaire, est dépendant du contexte dans lequel
il se trouve, en ce sens qu'il est influencé par le contexte, et
en même temps le modèle. Le signe n'apparait plus comme
transparent, ce n'est plus un signe-étiquette, car Ç
potentiellement, tout mot qui est prononcé peut faire
référence à l'univers entier. È
(Gardiner,1989:51) Cette importance du contexte se trouve dans l'analyse que
Benveniste (1966) fait des pronoms personnels : si l'on ne considère pas
le contexte dans lequel appara»t la communication, à quoi renvoient
les pronoms je et tu ? En effet, les pronoms personnels ne
peuvent être classés dans la catégorie des
signes-étiquettes, puisque ce sont des signes qui renvoient à un
Ç extra-linguistique È constamment renouvelé dans chaque
contexte, tout comme le sont des signes tels que idi et
maintenant. Ducrot, quant à lui, distingue la phrase comme
Ç être linguistique abstrait È de l'énoncé
Ç occurrence particulière, unique, (...) réalisation
concrète de la phrase dans une énonciation È (Ducrot,1979
cité dans Eluerd,1985:97). Nous retrouvons un développement plus
radical chez certains penseurs avec un refus de l'existence possible d'un sens
littéral qui existerait Ç hors contexte È. Ce rejet d'un
sens littéral Ç hors contexte È qui existerait au sein de
la langue, abstrait indépendant de toute circonstance contextuelle, se
rencontre chez Gardiner, à une période antérieure à
la théorie de Ducrot, et à la suite de Ducrot chez Searle. Dans
son article Le sens littéral, traduit dans Sens et
expression en 1982, Searle annonce qu'il contredira Ç l'idée
que, pour toute phrase, le sens de la phrase peut être
interprété comme le sens qu'elle a quand elle est prise hors de
tout contexte. È Searle, et Gardiner avant lui, défendent
l'importance du contexte dans la création du sens, puisque ce sens est
obtenu via la mise en relation des signes et des informations d'arrière
plan, en d'autres termes, le signe sert de complément aux
éléments d'arrière plan, et avec le signe, les
interlocuteurs Ç ne disent pas tout È, mais uniquement ce qui est
nécessaire pour compléter cet arrière plan, chacun mettant
en place une stratégie inférentielle de compréhension.
C'est cette stratégie inférentielle qui sera
développée dans la partie suivante.
Pour continuer l'analogie sportive, considérer
l'étude du langage au travers du prisme de la pragmatique revient
à analyser l'échange des deux joueurs d'un match de tennis, en
analysant leurs coups réels, empiriquement effectués sur un court
de tennis particulier, en envisageant que les conditions de jeu influencent la
façon dont jouent les deux adversaires/partenaires et qu'aucun coup ne
peut se faire hors du terrain. Cela revient aussi à envisager que chaque
joueur adapte son jeu en fonction du terrain et des conditions de jeu dans
lequel il se trouve, mais aussi de la façon dont il souhaite que son
coup atteigne son adversaire/partenaire.
A.2.2. Le modèle inférentiel
Ë la suite de l'étude pragmatique et de la fin de
la dichotomie langue/parole, la prise en compte du sujet parlant et du contexte
fut approfondie par Grice et les théoriciens à sa suite, avec le
concept de coopération, d'inférence ainsi que les maximes
conversationnelles. On retrouve chez Gardiner un développement qui n'est
pas sans annoncer les théories ultérieurement
développées par Grice.
Gardiner (1989) donne un rTMle aux signes qui est
différent de celui du rTMle qui leur est donné dans la
théorie du code. Ë l'inverse d'un signe-étiquette vu comme
l'expression d'une pensée, l'existence d'un signe est envisagée
comme un indice nécessaire pour compléter le vide
communicationnel laissé par le contexte. En d'autres termes, le signe
est utilisé afin de combler ce que le contexte d'interaction ne Ç
dit È pas :
Les mots sont choisis après une évaluation
très précise de leur intelligibilité ; plus la chose
dont on parle est éloignée, plus on devra fournir d'indices afin
de permettre son identification. En revanche, si la situation est la
même pour le locuteur et pour l'auditeur du point de vue temporel et
spatial, un seul mot ou indice suffira souvent à l'identification. (...)
Les mots ne sont que des indices, la plupart des mots ont un sens ambigu
et, dans chaque cas, la chose-signifiée doit être
découverte dans la situation, par l'intelligence vive et active de
l'auditeur. (1989:51,16,nous soulignons)
Il est important de noter dans cet extrait la notion
d'indice et d'intelligence vive et active de l'auditeur. On
retrouve à travers ces deux idées l'importance de la situation
d'énonciation dans la communication : dans un contexte précis,
les interlocuteurs ne codent pas une pensée en un signe transparent pour
le transmettre à l'Autre qui viendra le décoder. Ici,
l'interlocuteur produit le signe en tant qu'indice de sens, complétant
la situation d'énonciation, afin que l'Autre découvre,
infère la chosesignifiée. C'est-à-dire qu'une situation
contextuelle fournit des indices, qui, s'ils ne sont pas suffisants pour la
communication, vont être complétés par des signes. Prenons
un exemple concret. Deux amis sont chez l'un en pleine discussion. Celui qui
est reçu a terminé son verre. Celui qui reçoit va donc lui
en proposer un nouveau. Il peut le resservir directement, mais aussi lui
proposer, par un simple signe élocutionnel montrant la bouteille ou
encore en lui disant Ç Un autre ? È Ici, nous le voyons bien,
nous ne sommes pas dans une situation de phrases ou de signes qui pourraient
être vus comme elliptiques, oü le complément serait fourni
par des signes tronqués. Au contraire, ce qui fournit le
complément, c'est le contexte. Tout dans le
contexte est indice de ce que l'hôte souhaite signifier,
et le signe qu'il produit est un complément d'indices de ce que la
situation d'énonciation ne possède pas. Dans la conception de
Gardiner, ce qui guide la production d'un signe, ce n'est pas la transformation
d'une pensée en signe(s) via un code, mais bien une Ç
visée communicative > (Douay,2000:45) du signe. Ce qui
légitime l'utilisation d'un signe est le fait que l'interlocuteur
reconnaisse que le locuteur communique à travers ce signe. Les
interlocuteurs sont dans une situation de coopération pour trouver un
accord sur le sens, plutôt que dans une situation de
codage-décodage.
Ainsi, Gardiner souligne, bien avant Grice, l'importance de la
coopération dans la communication. Nous retrouvons cette notion chez
Grice, qui la formalise notamment dans deux de ses articles Meaning
(1957) et Logic and Conversation (1975). Dans son premier article, il
développe l'idée que le sens est obtenu gr%oce à la
reconnaissance par l'interlocuteur des intentions communicatives du
communicateur. Il y fait la distinction entre les signes signifiant
naturellement et ceux signifiant nonnaturellement, c'est-à-dire produits
intentionnellement et non-intentionnellement. Ce qui fait qu'un signe puisse
signifier non-naturellement, donc par convention, c'est l'effort du locuteur
pour rendre explicite son intention de produire un effet à travers ce
signe, et en retour la reconnaissance par l'interlocuteur de cette intention de
communiquer, c'est-à-dire une capacité à communiquer et
à méta-communiquer (à communiquer que l'on
communique).16 Nous retrouvons également chez Grice (1975),
l'approche des signes comme indices de l'intention communicative : lorsque un
auditeur reconnait l'intention qu'a le locuteur de communiquer, il va chercher
à se représenter ce que le locuteur veut communiquer. Les
interlocuteurs possèdent la capacité de se représenter ce
que Grice (1975) appelle les Ç implicatures conversationnelles >. Nos
conversations n'étant pas Ç une succession de remarques
décousues >, mais un Ç effort coopératif
>17, l'interlocuteur a donc toutes les raisons de s'attendre
à ce que le locuteur lui fournisse les indices nécessaires, qui,
une fois mis en parallèle avec le contexte, l'amèneront à
la compréhension du sens. D'après Grice, ce Ç principe
coopératif > trouve en lui l'accord des interlocuteurs sur un
16 Nous avons déjà abordé cette question
dans l'avant propos AP.2.
17 Grice,1975:45: Ç Our talk exchanges do not
normally consist of a succession of disconnected remarks, and would not be
rational if they did. They are characteristically, to some degree at least,
cooperative efforts. >
certain nombre de principes, appelés maximes
conversationnelles, qui sont au nombre de quatre : la quantité (faites
que votre contribution contienne autant d'informations que nécessaire,
mais pas plus), la qualité (faites que votre contribution soit vraies),
la relation (soyez pertinent) et la manière (soyez clair)18.
Partant de la présomption que chaque interlocuteur est implicitement en
accord sur ces maximes, et que la violation d'une maxime aura un effet
particulier producteur de sens, tout signe est donc indice qui permet à
l'interlocuteur d'inférer ce que le locuteur a voulu signifier. Par
exemple, si la réponse à la question Ç A quelle heure
viens-tu ? È est Ç Dans l'après-midi ! È le premier
pourra inférer de la réponse du second que celui-ci,
adhérant au principe de coopération, ne donne pas plus
d'informations car il ne les possède pas et n'est pas capable de donner
une heure précise. Il infère donc, en mettant le signe en
relation avec le contexte, et à travers les maximes conversationnelles,
ce que le locuteur a voulu signifier. Pour résumer, les deux
interlocuteurs coopèrent implicitement pour se comprendre à
travers l'acceptation de l'implicature que composent les quatre maximes, cette
implicature conversationnelle qu'est le principe de coopération
étant un accord sur un ensemble de Ç principes de conversation
È à respecter dans le discours.
Le modèle que nous venons de voir est appelé
Ç modèle inférentiel È puisqu'il base l'obtention
du sens sur l'action de reconnaissance par l'interlocuteur des indices
laissés par le locuteur, indices qui, une fois mis en parallèle
avec le contexte et l'ensemble de l'implicite du discours, permettent
d'inférer des conclusions qui sont logiquement impliquées par le
contexte, selon ce modèle, Ç communiquer, c'est produire et
interpréter des indices. È (Sperber&Wilson,1989:13)
Fondamentalement, ce qui distingue l'analyse gricéenne
des autres théories, c'est de suggérer que la reconnaissance de
l'intention de communication puisse suffire à l'existence d'une
communication, et donc qu'il puisse exister une communication uniquement
inférentielle. Sperber et Wilson, dans leur ouvrage La Pertinence
(1989), vont reprendre ces théories développées par
Grice et Gardiner, mais ne retenir qu'une seule des quatre maximes, englobant
toutes les autres : Ç soyez pertinent È.
18 Nous n'avons pas développé les sous-maximes
propres à chacune, qui sont des explicitations de la maxime
générale.
A.2.3. La pertinence
De Grice, Sperber et Wilson, garderont plusieurs principes :
le principe d'expression et de reconnaissance de l'intention communicative, le
principe d'inférence ainsi que celui de coopération. Cependant,
ils ne reconnaissent pas à ce principe de coopération un ensemble
strict de maximes qui seraient partagées par les interlocuteurs, mais au
contraire voient ces maximes comme pouvant se résumer à une seule
d'entre elle : Ç Soyez pertinent È. De plus, on ne retrouve pas
dans leur travaux une distinction aussi nette entre le modèle du code et
le modèle de l'inférence. En effet, Ç la communication
verbale met en jeu à la fois des processus de codage et des processus
inférentiels. È (ibid:13) Dans leur théorie, ils
reprennent le modèle inférentiel de la communication
développé par Grice, afin de l'insérer dans une
théorie qui reconnait la communication comme intégrant du code,
mais en tant que partie intégrante d'un système
inférentiel, et donc un système oü la compréhension
est une phase de décodage d'une forme logique linguistiquement
codée, livrant des possibilités d'interprétation, qui, une
fois enrichies par le contexte, permettent à celui qui comprend
d'inférer des conclusions hypothétiques sur l'intention
communicative du locuteur19. Comme ils l'écrivent (ibid:55) :
Ç les hypothèses de Grice peuvent constituer le point de
départ d'une telle analyse théorique. Ë cet égard, la
principale faiblesse des hypothèses de Grice n'est pas de définir
la communication de manière trop vague, mais d'en proposer une
explication trop pauvre. È En effet, le modèle gricéen,
bien qu'entièrement pragmatique, est toutefois lui aussi critiquable,
puisqu'il revient à considérer qu'un joueur joue en analysant
uniquement les intentions de jeu de son partenaire. La théorie de la
pertinence remet aussi en cause la nécessité de suivre des
maximes aussi strictes, ainsi que l'utilisation délibérée
d'une violation ou d'une déviance d'une ou plusieurs maxime(s) afin de
produire du sens. Ce qui fait sens, ce n'est pas le respect ou non
19 Sperber&Wilson (2004) :Ç An utterance is a
linguistically coded piece of evidence, so that verbal comprehension involves
an element of decoding. However, the linguistic meaning recovered by decoding
is just one of the inputs to a non-demonstrative inference process which yields
an interpretation of the speaker's meaning. È Wilson&Sperber
(1993:1) : Ç a modular decoding phase is seen as providing input to
a central inferential phase in which a linguistically encoded logical form is
contextually enriched and used to construct a hypothesis about the speaker's
informative intention. È
Il est important de constater ici que le décodage ne
concerne pas un signe-étiquette, mais bien une forme logique.
L'inférence suppose une capacité humaine
méta-représentationnelle : les interlocuteurs sont capables de se
représenter les représentations mentales de l'Autre.
de ces maximes, mais plutôt la coopération
mutuelle pour signifier de façon optimale la pertinence d'un
énoncé.20
La communication humaine est donc un processus guidé
par une recherche de la pertinence optimale. La recherche de la pertinence
n'est pas propre à la communication, mais à l'ensemble des
processus cognitifs humains. Dans l'ensemble, tout processus cognitif humain
cherche à optimiser sa pertinence. Un input est maximalement pertinent
lorsqu'il crée un maximum d'effets pour un minimum d'effort cognitif. Ce
qui fait la pertinence d'un stimulus au sein de la masse de stimuli disponibles
est ce rapport effet/effort, à savoir que plus un stimulus a d'effets et
moins il nécessite d'effort cognitif de traitement, plus celui-ci sera
pertinent. Pour qu'un stimulus soit pertinent, il faut que l'effort cognitif
qu'il entraine soit justifié par l'effet cognitif qu'il crée.
Ainsi, tout système cognitif humain cherche à optimiser la
pertinence, non pas par choix, mais suite à son évolution. La
communication, processus majoritairement cognitif, ne déroge pas
à cette règle. Lors d'un échange interlocutif, est
considéré comme pertinent tout input dans le système qui,
après avoir été mis en relation avec son arrière
plan cognitif ainsi qu'avec le contexte d'énonciation, permet une
inférence chez un interlocuteur et crée les effets cognitifs
désirés, également appelé Ç effets cognitifs
positifs È. Lorsqu'ils communiquent, les interlocuteurs sont dans un
système coopératif oü chacun fait un effort pour comprendre
et pour se faire comprendre. Ainsi, connaissant la tendance de chacun à
maximiser la pertinence, ils sont amenés à produire un signe
qu'ils considèrent comme assez pertinent pour permettre à l'Autre
de faire appel aux informations d'arrière-plan de la situation
d'interlocution et d'inférer la conclusion souhaitée,
c'està-dire qu'un interlocuteur est supposé produire un stimulus
assez pertinent (à l'intérieur de ses limites d'aptitudes et de
préférences) pour être relevé et traiter
cognitivement le plus simplement possible par l'Autre. En même temps, un
interlocuteur, sachant que l'Autre coopère pour fournir un stimulus
aussi pertinent que possible, va en contrepartie choisir celui qui lui semble
le plus pertinent dans la situation de communication comme indice des
conclusions à inférer, en suivant un chemin de moindre effort. La
compréhension s'effectue donc à travers l'inférence de
conclusions depuis un nombre de reconstructions à partir
d'hypothèses qui tiennent
20 Sperber&Wilson (2004) : Ç The central claim of
relevance theory is that the expectation of relevance raised by an utterance
are precise enough, and predictable enough, to guide the hearer towards the
speaker's meaning. È
au contenu de la production, mais aussi aux prémisses
contextuelles et à ses conclusions. De ce fait, tout
énoncé produit dans la communication communique avec lui la
présomption de sa pertinence optimale. Selon Sperber et Wilson
(1989:11), le but de la communication est de modifier l'environnement de
l'Autre, en amenant Ç le second dispositif à construire des
représentations semblables à certaines des représentations
contenues dans le premier È, son ressort principal reposant sur la
reconnaissance par l'interlocuteur de l'intention communicative du locuteur. En
d'autres termes, une communication est une communication lorsqu'elle sous-tend
un désir d'être ostensiblement inférentielle, i.e.
lorsqu'elle est Ç ostensivo-inférentielle È. Ainsi, une
communication est réussie lorsque l'interlocuteur reconnait que le
locuteur produit des signes ostensivo-inférentiels.
Pour poursuivre l'analogie, l'analyse du jeu de deux tennismen
doit prendre en compte ce que les joueurs envoient, mais aussi la façon
dont ils l'envoient, le terrain sur lequel ils jouent, les handicaps de chacun,
etc., toute Ç passe È d'un joueur étant la combinaison de
ces différents facteurs. Certaines communications sont codées,
d'autres existent sans qu'aucun code ne puisse les déchiffrer :
l'ensemble étant guidé par le processus d'inférence,
optimisé par la recherche d'une maximisation de la pertinence, le
contenu communiqué par une production allant au delà de ce qui
est linguistiquement encodé21. Dans le modèle de
Sperber et Wilson, ce qui est linguistiquement codé ne fait pas appel
à un codage-décodage comme nous pouvions le trouver dans les
théories du code : les deux interlocuteurs ne possèdent pas
chacun une copie identique d'un code dont ils se serviraient pour coder et
décoder un signe. Ce qui est codé dans ce modèle, c'est un
signe faisant appel à un savoir encyclopédique propre à
chacun, ainsi, chaque signe fait potentiellement appel au savoir
encyclopédique de l'interlocuteur qui, à l'aide du contexte, va
réduire ces informations encyclopédiques de façon à
ne faire ressortir que le sens qui sera pertinent en contexte.
Dans ce modèle, la communication est guidée par le
processus de pertinence, qui se définit comme la recherche de
l'optimisation des processus intrinsèques à la
21 Sperber&Wilson,2004 : Ç The explicitely
communicated content of an utterance goes well beyond what is linguistically
encoded. È
communication, à savoir la compréhension et la
production. La communication est vue comme essentiellement collaborative,
c'est-à-dire que chaque interlocuteur est supposé fournir un
effort relativement maximal afin de pouvoir s'inter-comprendre. Cet effort
d'inter-compréhension va donc amener le locuteur à produire un
stimulus qui est optimalement pertinent (dans les limites de ses
capacités et de ses aptitudes), et l'Autre, s'attendant à ce que
l'interlocuteur lui fournisse un stimulus optimalement pertinent, va
inférer du stimulus qu'il reçoit que la conclusion qui lui semble
la plus pertinente est celle que l'interlocuteur a voulu lui communiquer, la
pertinence optimale d'un stimulus se trouvant dans un effort cognitif se
justifiant par un effet cognitif équivalent. On y retrouve un rappel de
la théorie du code, en ce sens que la théorie de la pertinence
prend le code comme une partie des inputs du processus inférentiel,
mais, au contraire de la théorie du code dans laquelle le signe est vu
comme une étiquette, ce qui est encodé dans la théorie de
la pertinence est une forme logique permettant de renvoyer à une
entrée d'informations contenue dans le savoir encyclopédique d'un
interlocuteur, et c'est une fois cette forme encyclopédique enrichie par
le contexte que le sens apparait.
Le point essentiel pour notre propos, traitant de la
communication et de ses jeux, est l'importance de l'inférence dans
l'échange interlocutif. En effet, envisager la communication comme
dirigée par le processus d'inférence permet d'envisager que les
résultats des processus cognitifs à l'oeuvre dans la
communication ne sont pas identiques chez les deux interlocuteurs : la
compréhension consiste à une reconstruction d'hypothèses
sur l'acte de production, une reconstruction des processus cognitifs de l'Autre
selon des critères qui sont propres à chacun. Ainsi, une
représentation mentale par un interlocuteur ne sera jamais reproduite
à l'identique chez l'Autre. Ce qu'engage la communication, c'est
d'oeuvrer à fournir des indices afin d'optimiser la reconstruction par
l'autre d'hypothèses sur ses représentations mentales, mais
malgré tout le soin que peut prendre un locuteur pour optimiser cette
pertinence, il ne sera jamais certain de la réussite de la
communication, c'est-à-dire certain que la conclusion à laquelle
arrivera l'Autre est exactement celle qu'il voulait lui faire
inférer.
A.3. L'économie cognitive
A.3.1. La communication comme système
Comme nous venons de le voir, dans le modèle
pragmatique ainsi que dans le modèle inférentiel et la
théorie de la pertinence, les interlocuteurs communiquent par
interaction, c'est-à-dire que leurs décisions de communication
sont influencées par la présence et la nature de l'Autre, mais
également par le contexte spatio-temporel dans lequel se déroule
la communication. Ces particularités correspondent aux
caractéristiques d'un système selon la définition de Von
Bertalanffy (1973:32&17), qui le définit comme un Ç ensemble
d'éléments en interaction les uns avec les autres (...)
formé de parties en (...) interaction" fortes" ou "non
linéaires".È La communication est plus particulièrement un
système ouvert, c'est-à-dire un système qui entretient une
relation continuelle entre ses éléments et les
éléments de son environnement (ou contexte).
Avant d'aborder ce qui fait les caractéristiques de ce
système, nous ferons dans un premier temps un point sur les
interlocuteurs engagés dans celui-ci. Comme nous l'avons vu dans ce
chapitre, le modèle pragmatique et ensuite son affinement par la
théorie de la pertinence fait disparaitre la vision d'une communication
basée sur le modèle d'un code utilisé de façon
mécanique par des Ç hommes-robots È utilisateurs de
signes-étiquettes dans un va-et-vient entre émetteur et
récepteur. Le modèle de la pertinence, qui vient contredire la
vision de la théorie du code, ne sera pourtant pas totalement
adéquat pour notre propos. Même dans la théorie de la
pertinence, nous retrouvons l'idée d'un échange alterné
entre Ç communicateur et auditeur È, qui, bien qu'affirmant que
la production et la compréhension sont des processus simultanés,
laisse toujours la place à un échange théoriquement
alterné entre deux (ou plusieurs) locuteurs. Ce n'est pas cette vision
que nous suivrons. De fait, il est essentiel de concevoir que la
compréhension et la production, les deux processus intrinsèques
à la communication, sont des processus simultanés, non pas que
l'un comprend alors que l'Autre produit, mais bien que les deux processus
ont
lieu chez chaque interlocuteur de facon simultanée. En
effet, nous avons vu dans l'Introduction22 qu'il était
impossible de ne pas communiquer. Ainsi, nous sommes en continuelle position
intérieure dans la communication, c'est-à-dire que nous somme
toujours en train de communiquer : ce n'est pas parce que nous ne
sommes pas en train de Ç parler È que nous ne sommes pas en train
de communiquer : un interlocuteur se doit de produire un signe pour signifier
à son interlocuteur qu'il est (ou non) dans un processus actif de
compréhension de ce que l'Autre produit, un interlocuteur n'est donc
jamais dans une position neutre de non-communication en tant que simple
Ç auditeur È. En même temps, si celui Ç qui parle
È n'est pas en même temps Ç auditeur È, il ne
pourrait pas être activement attentif à ce que produit son
interlocuteur, de simples notions comme Ç se faire couper la parole
È n'existeraient pas, puisque à quoi bon couper la parole
à un producteur si celui-ci ne le remarquera pas, n'étant pas en
position Ç d'auditeur È ? Ainsi, il existe un rTMle de Ç
communicateur È et d' Ç auditeur È si l'on s'en tient au
seul caractère phonique de la communication, c'est-à-dire un qui
produit un signe locutionnel et l'Autre qui écoute ce signe, mais dans
une étude de la communication il n'y a pas de place pour une telle
distinction, puisque comme nous l'avons vu, la communication passe par des
canaux qui peuvent être autres que locutionnel. C'est pourquoi, pour la
suite de cette étude nous préférerons le terme
interlocuteur pour désigner un sujet se trouvant engagé
dans le système communicationnel, et ainsi nous éviterons les
confusions que laisseraient apparaitre l'utilisation des termes cités
précédemment.
De plus, ne pas penser les sujets engagés dans le
système comme étant simultanément en production et
compréhension active contredirait deux des principes fondateurs du
système de la communication : le principe de totalité ainsi que
le principe de rétroaction ou d'adaptation, le second découlant
fondamentalement du premier. La totalité dans un système suppose
Ç qu'une modification d'un des éléments entra»nera
une modification de tous les autres, et du système entier. È
(Watzlawick,1972:123) Ainsi, changer n'importe quel élément
à n'importe quel moment modifie le système, que cet
élément soit un interlocuteur ou une production
sémiotique. Cette totalité entraine les interlocuteurs à
devoir
22 Introduction I.1. L'impossibilité de ne pas
communiquer
s'adapter aux modifications du système, et ce par le
principe de rétroaction23. En effet, si un interlocuteur ne
comprenait pas en même temps qu'il produit, comment pourrait-il en
adapter sa pertinence ? Nous trouvons empiriquement nombre d'interlocuteurs qui
énoncent Ç Tu m'écoutes ? È ou encore Ç Tu
as l'air ailleurs È. Sans un processus d'adaptation possible à
travers une compréhension simultanée à la production,
l'interlocuteur ne saurait pas s'adapter à l'Autre. L'idée d'un
système en tant que totalité nous rappelle également qu'au
sein d'une interaction, l'influence n'est pas unilatérale : un
élément A influence un élément B tout autant que
l'élément B influence l'élément A. En
communication, tout interlocuteur produit en fonction de l'Autre, à
savoir qu'un interlocuteur A influence l'interlocuteur B tout autant que
l'interlocuteur B influence l'interlocuteur A. Le principe de
rétroaction, que nous venons d'effleurer, est facteur d'une recherche de
l'équilibre du système par les interlocuteurs,
c'est-à-dire qu'ils cherchent à ce que la mise en commun par la
communication se déroule via une pertinence optimale. Cette recherche de
l'équilibre est effectuée par recherche d'une pertinence
optimale. Nous verrons par la suite à quoi correspond la pertinence et
quel est l'équilibre recherché. Le fonctionnement de la
rétroaction au sein de ce système autorégulateur (ou
autopo ·étique) sera abordé en détail dans le
second chapitre.
Un autre principe inhérent au système de la
communication est le principe d'équifinalité, c'est-à-dire
que dans ce système Ç le même état final peut
être atteint à partir de conditions initiales différentes
ou par des chemins différents. È (VonBertalanffy,1973:38) Il
existe donc plusieurs moyens pour un interlocuteur d'arriver à ses fins,
ce qui l'entraine à devoir effectuer des choix, des décisions au
sein de l'ensemble des moyens à sa disposition. Ces choix sont
motivés par la tendance à la recherche d'un équilibre au
sein du système. Avant de développer dans le second chapitre de
ce travail plus en détail les processus de production et de
compréhension, nécessaire à la rétroaction du
système qu'est la communication, ainsi que l'influence de son
identité en tant que système ouvert (dans le sens d'une ouverture
influençant et influencée par ses environnements), nous
reviendrons dans les deux parties terminant ce premier chapitre sur
l'incertitude liée à l'équifinalité, ensuite sur
les processus cognitifs de pertinence mis en place afin de faire face à
cette incertitude.
23 Ce principe sera développé plus en détail
dans le Chapitre II.
A.3.2. Retour sur l'incertitude
Comme nous l'avons vu dans la partie A.2.3., le principe
fondateur gouvernant la cognition lors de la communication est celui de
l'inférence.
Ainsi, les interlocuteurs ne décodent pas un message
qu'ils Ç reçoivent È, ils infèrent des conclusions
tirées du parallèle fait entre les prémisses
présentes dans le contexte et les indices laissés par l'un (ou
chacun) d'entre eux. Comme le disent Sperber et Wilson (1989:27), à
propos de l'opposition entre l'inférence et le décodage, Ç
un processus inférentiel a pour point de départ un ensemble de
prémisses et pour aboutissement un ensemble de conclusions qui sont
logiquement impliquées ou, au moins, justifiées par les
prémisses. Un processus de décodage a pour point de départ
un signal et pour aboutissement la reconstitution du message associé au
signal par le code sous-jacent. È Inférer, si l'on reprend la
définition du Nouveau larousse encyclopedique (1994), c'est
Ç tirer quelque chose comme conséquence d'un fait, d'un principe.
È De ce fait, la communication est un processus déductif,
c'est-à-dire dans lequel les communicateurs partent de leurs
prémisses pour tirer des conclusions, l'ensemble des prémisses
qu'il existe à un énoncé constituant son contexte.
Cependant, comme nous l'avons déjà abordé dans
l'Introduction24, les conclusions auxquelles arrive chaque
communicateur ne peuvent être déduites de façon certaine :
bien que partageant un contexte mondain potentiellement manifeste pour les
deux, les prémisses des deux interlocuteurs ne sont jamais
entièrement semblables, c'est-à-dire que les deux interlocuteurs
ne possèdent pas un Ç savoir mutuel È qu'ils partageraient
de façon certaine. Un interlocuteur ne sait jamais si les conclusions
post-compréhension que l'Autre va tirer de sa production seront les
conclusions souhaitées, et en même temps, un interlocuteur ne peut
arriver à être certain que les conclusions tirées de sa
compréhension sont celles auxquelles l'interlocuteur produisant a voulu
arriver. Ce que chacun forme, gr%oce à ses capacités
méta-représentationnelles (capacités de se
représenter les représentations de l'Autre), ce ne sont que des
hypothèses sur le processus cognitif qui ont amené l'Autre
à cette communication particulière. Ainsi, la communication est
un mécanisme
24 Voir Introduction I.2. L'incertitude
assurant Ç un succès tout au plus probable, mais
non certain. È (Sperber&Wilson, 1989:33)
Nous ne pouvons contredire que dans toute communication, ce
que souhaite chacun, c'est se faire comprendre, et donc réduire au
maximum la divergence potentielle entre les conclusions auxquelles la
production veut emmener la compréhension et les conclusions auxquelles
arrivent effectivement la compréhension. Inconsciemment, le
système déductif utilisé par les interlocuteurs est donc
amené à effectuer des choix parmi l'ensemble des
hypothèses possibles. Ces décisions sont guidées par le
processus de pertinence. Selon la définition de Hjrland et Christensen
(2002), Ç une chose A est pertinente pour la tâche T lorsqu'elle
augmente les chances d'arriver au but G, lui-même impliqué par T
È. De ce fait, toute hypothèse est pertinente pour un locuteur
lorsque, en tant que résultat du processus d'inférence, elle lui
apparait comme augmentant les chances d'arriver à la minimisation de la
divergence des conclusions souhaitées et effectives. Les interlocuteurs
n'ayant jamais des prémisses homogènes, chacun produit et
comprend en fonction d'une pertinence qui lui est propre, mais aussi en
fonction de celle qu'il suppose à l'Autre, c'est-à-dire que
chaque production est porteuse de sa pertinence optimale, et que chaque
interlocuteur produisant est mené à penser que l'Autre
possède les prémisses nécessaires pour tirer les
conclusions souhaitées.
Nous avions abordé dans l'Introduction l'analogie que
nous pouvions faire entre cette incertitude de la communication et
l'expérience de pensée du chat de Schrdinger : un chat est
enfermé dans une bo»te, et à un moment aléatoire, un
poison peut se renverser dans la boite. Ainsi, tant que la bo»te n'est pas
ouverte, nous ne pouvons juger que de la probabilité que le chat soit
encore en vie ou non, un expérimentateur voulant ressortir au moment
Ç pertinent È un chat vivant ou mort ne peut que juger des
probabilités de l'état de celui-ci avant d'ouvrir la bo»te.
Il en va de même pour la communication. Tant que le signe n'est pas
produit, le locuteur ne peut que suivre des hypothèses, qui
l'amèneront à produire l'énoncé aux
probabilités de pertinence les plus grandes. Pour ce qui est de la
compréhension, l'interlocuteur est amené à reconstruire
des hypothèses sur le raisonnement qui a amené l'Autre à
choisir ce moment précis pour ouvrir la boite, ou cet
énoncé comme porteur de probabilités de pertinence les
plus grandes. On retrouve dans cette idée le concept
économique de Ç l'incertitude stratégique
È, qui est Ç l'incertitude qui découle de l'interaction
des agents, l'environnement est tel que chaque individu doit anticiper le
comportement des autres pour prendre sa propre décision. Ici ce n'est
pas la "trop faible" rationalité des agents qui est source d'incertitude
mais au contraire leur trop parfaite rationalité. È
(Viviani,1994:112) Nous retrouvons cela dans notre sujet : l'incertitude au
sein de la communication est due au fait que, par essence, la communication est
une interaction au sein d'un environnement, et que chacun prend des
décisions de communication, en anticipant par hypothèses et
décisions sur les hypothèses et décisions de l'Autre.
Ainsi, ce qui amène de l'incertitude dans la communication n'est pas
Ç l'irrationalité È des décisions d'un
interlocuteur, mais au contraire le fait que, rationnellement, un locuteur est
conscient qu'il ne lui est possible que d'anticiper et jamais prédire,
il ne peut que créer des hypothèses et jamais des certitudes.
La communication est un processus complexe dans lequel chaque
échange a pour résultat un ensemble d'hypothèses sur les
intentions de l'Autre, mais aussi sur le résultat de l'efficacité
de la production de chacun. Les interlocuteurs cherchent à ce que
l'Autre reconnaisse leur intention communicative, mais aussi à ce qu'il
arrive à certaines conclusions. Se basant sur l'inférence et non
sur le décodage25, la communication laisse chacun dans une
situation d'incertitude face à l'efficacité effective des
processus cognitifs de l'Autre. Cependant, cherchant à comprendre et
à se faire comprendre, les interlocuteurs utilisent un système
qui est auto-régulé, à savoir un système
cybernétique permettant le feedback. Nous verrons cette notion dans le
chapitre II. Avant de voir cette notion, nous développerons le
fonctionnement de la pertinence dans le système.
25 Décodage selon la définition de la
théorie du code
A.3.3. Le modèle économique-efficace
Comme nous venons de le voir, la communication est un
système dans lequel sont engagés des interlocuteurs. Une des
propriétés de ce système est qu'il répond au
principe d'équifinalité, c'est-à-dire qu'un état
particulier du système peut être atteint depuis des conditions
initiales différentes mais aussi via des utilisations, des Ç
voies È différentes. Ainsi, il peut atteindre un état qui
est indépendant des conditions initiales depuis lesquelles il
évolue, et donc un état dU à des influences
environnementales ou à une production spontanée par et dans le
système. De ce fait, les interlocuteurs doivent faire des choix
d'utilisation, guidés par le processus de pertinence, afin de choisir
parmi les différentes hypothèses à leur disposition afin
d'arriver aux conclusions souhaitées ; en d'autres termes, un
utilisateur du système va produire des indices et inférer des
hypothèses qui vont être optimalement pertinents. Nous allons ici
développer les critères qui font cette pertinence.
Selon Sperber&Wilson, la pertinence est un processus
d'optimisation de la communication par production d'un signe créant le
maximum d'effets contextuels, un effet contextuel étant la conclusion
d'une Ç déduction utilisant comme prémisses l'union
d'informations nouvelles P et d'information anciennes C. È (1989:168)
Ainsi, un effet contextuel est la création d'une conclusion prenant pour
prémisse la jonction d'une information nouvelle avec une information
plus ancienne. C'est la création de d'effets contextuels maximales que
recherche les interlocuteurs à travers un minimum d'effort cognitif,
c'est-à-dire qu'une Ç hypothèse est d'autant plus
pertinente dans un contexte donné que ses effets contextuels y sont plus
importants (et) (...) que l'effort nécessaire pour l'y traiter est
moindre. È (ibid:191) Ce n'est cependant pas tout à fait la
terminologie que nous utiliserons. Comme nous l'avons vu, notre vision de la
communication est celle d'une interaction totale écartant l'idée
d'un tour de parole quelconque. Or, pour rendre compte de cette interaction
totale, nous nous devons d'utiliser une terminologie qui répond des deux
processus de compréhension et de production de façon
égale.
Comme nous l'avons vu précédemment, les
interlocuteurs possèdent une capacité cognitive de
compréhension inférentielle depuis les indices laissés par
la production. Une pertinence non-optimale n'est pas due à une
incapacité de compréhension (car, rappelons le, tout
interlocuteur possède la capacité cognitive inférentielle
lui permettant de comprendre les indices), mais à une économie
lors de la production d'indices qui est trop forte de la part d'un
interlocuteur. De ce fait, nous considérerons que tout interlocuteur est
capable de comprendre une production si et seulement si cette production
produit efficacement, c'est-à-dire si elle produit assez d'effets
contextuels pour sa compréhension. C'est à la production qu'il
Ç incombe de ne pas se tromper et de savoir quels codes et quelle
information contextuelle (l'autre) est à même d'utiliser dans le
processus de compréhension. È (ibid:73)
Ainsi, envisageons un exemple, qui sera bien sUr
schématique : si un interlocuteur A produit à un autre
interlocuteur B le signe locutionnel S suivant : Ç J'ai vu le dernier
King dans la boutique en bas de la rueÈ, il est évident que A
présuppose que le signe-indice Ç King È est suffisamment
efficace pour que la compréhension mène B à la conclusion
souhaitée par A, à savoir que pour référer au
dernier ouvrage de Stephen King, DTMme, il peut faire
l'économie d'indices supplémentaires à King.
Cependant, si B n'arrive pas à la conclusion à laquelle veut le
mener A, ce n'est pas parce qu'il n'arrive pas à fournir l'effort
nécessaire à la compréhension, mais bien parce que A a
été trop économique dans sa production de signe,
c'est-à-dire que A n'a pas produit assez d'indices pour que B comprenne,
à savoir qu'ici, B peut comprendre que le dernier King est Duma
Key, si B ne connait pas l'existence de l'ouvrage plus récent
DTMme, voire même que King est la chanteuse Diana King.
Schématiquement, pour que B comprenne A à travers S, il faut que
A fournisse un nombre n d'indices à B pour être assez pertinent
pour la compréhension par B. Or, si B ne comprend pas A, ce n'est pas
par effort trop élevé lors de la compréhension, mais bien
parce que A envisage que B comprendra avec moins d'indices que n, et est trop
économe dans sa production pour être efficace.
Ce modèle permet également de rendre compte des
communications qui sont dans un premier temps source d'incompréhension :
quand un locuteur n'est pas familier avec l'interlocuteur, il suivra d'abord sa
propre économie cognitive, avant de l'adapter s'il s'aperçoit que
cette économie est trop grande par rapport à
l'efficacité
nécessaire à une compréhension juste. De
fait, le modèle coUt/effet ne rend pas compte de façon juste de
ces incompréhensions en considérant que les
incompréhensions et ambigu ·tés sont dues à un
coUt trop élevé par rapport à l'effet : encore une fois,
ce modèle ne prend en compte que le niveau compréhension et pas
le niveau production, n'expliquant pas pourquoi la production du locuteur
engendre un coUt trop élevé, c'est-à-dire que la
théorie coUt/effort développée par Sperber et Wilson
analyse la pertinence dans une optique de la compréhension verbale.
Notre terminologie s'adaptant aux deux processus de la communication, elle nous
para»t donc plus adaptée pour rendre compte de la communication en
tant qu'interaction ainsi que de ses jeux. Ë travers la notion
économie-efficacité, nous pouvons rendre compte des
ambigu ·tés de façon juste.
Ces ambigu ·tés existent uniquement dans le
processus de compréhension, en effet, considérer que l'on puisse
produire des énoncés ambigus pour nous même est une
idée fausse qui ne se retrouve jamais dans la conversation
réelle, en d'autres termes, lorsque nous communiquons, nous Ç
savons ce que nous voulons dire È, nous ne produisons jamais
d'énoncés non pertinents pour notre propre compréhension.
En d'autres termes, l'énoncé n'est jamais ambigu pour celui qui
le produit. Comment est-il possible que celui-ci deviennent ambigu avec la
compréhension ? Ce phénomène appara»t lorsque celui
qui produit suit sa propre économie cognitive sans envisager (ou sans
conna»tre) l'équilibre nécessaire pour arriver à
être efficace, c'est-à-dire en suivant son propre sens du signe,
sans envisager les informations potentiellement nécessaires à la
compréhension par l'Autre.
Pour résumer, nous ne contredisons pas le
développement fait par Sperber et Wilson, nous nous permettons de le
reformuler. La terminologie utilisée par ces derniers ne permet pas
d'envisager un point de vue totalement interactionnel, puisqu'elle renferme
toujours l'idée d'un Ç communicateur È produisant ce qu'il
envisage comme pertinent pour la compréhension par Ç l'auditeur
È en fonction de coUts et d'effets cognitifs. Or, cette idée
contredit ce que nous avons vu précédemment. Est pertinent en
communication ce qui optimise les tâches de compréhension et de
production, la pertinence ne peut donc recouvrir le seul processus de
compréhension, mais se doit de recouvrir les deux processus, ce que
fait la terminologie économie-efficacité, les
deux processus devant être économiques et efficace,
l'économie s'effectuant pour soi et l'efficacité pour
l'entièreté du système.
Ainsi, la compréhension est indissociable de la
production, et ces deux tâches cognitives sont dirigées par la
notion d'inférence, c'est-à-dire que l'on produit et l'on
comprend en posant des hypothèses sur les capacités cognitives
représentationnelles de l'Autre. Chaque interlocuteur partage la
supposition que l'Autre est pertinent dans sa production, qu'il utilise
optimalement les moyens à sa disposition pour maximiser la
compréhension, et va ainsi, par économie, utiliser ses
capacités inférentielles pour comprendre ce qui lui est le plus
directement accessible, car Ç même si dans le processus de
compréhension les données et les hypothèses dont on
pourrait en principe tenir compte sont innombrables, les seules dont on tienne
compte en fait sont celles qui sont directement accessibles. È
(ibid:105) L'interlocuteur qui produit envisage que sa production est
économique pour éviter le superflu mais aussi qu'elle va produire
assez d'effets contextuels (c'est-à-dire être assez efficace) pour
que la compréhension-économique arrive aux conclusions voulues.
Nous soutenons l'idée que tout interlocuteur est capable de comprendre
une production à condition que celle-ci produise assez d'effets
contextuels pour être comprise. Ainsi, selon notre terminologie, si une
incompréhension survient, ce n'est pas parce que la compréhension
demande trop d'efforts, mais bien parce que la production a été
trop économique. De ce fait, un signe est pertinent lorsqu'il
crée un équilibre entre l'économie et l'efficacité,
c'est-à-dire lorsque la production fait l'économie du superflu en
restant assez efficace pour permettre à la compréhension
d'arriver aux conclusions souhaitées.
Nous rappelons que la communication recouvre la communication
ainsi que la méta-communication, il en va ipso facto de
même pour la pertinence. Un signe peut être non pertinent à
un niveau communicationnel mais pertinent à un niveau
métacommunicationnel : un interlocuteur peut vouloir communiquer une
Ç non-communication È, c'est-à-dire communiquer qu'il ne
souhaite pas communiquer, ou encore l'informer qu'il est capable de fournir une
économie cognitive que l'Autre ne peut pas fournir, afin d'affirmer une
supériorité de ses capacités cognitives ou encore afin de
signifier qu'il connait mieux un sujet que l'Autre. Ainsi, une production peut
sembler trop économique, mais cette économie peut être elle
même pertinente, car l'effet contextuel visé se situe à un
niveau méta-communicationnel.
B. Théorie du système
communicationnel
Nous venons de voir comment la communication ne pouvait se
satisfaire de l'approche de la théorie du code, fondée par
Ferdinand de Saussure. De par l'imposition d'une supériorité de
la langue sur le langage, la théorie de la transmission crée une
inévitable exclusion de la situation communicationnelle ainsi que des
interlocuteurs, ce qui sera pris à contrepied par les théories
pragmatiques, s'attachant à l'étude du langage dans ses
conditions de performances empiriques, plutôt que dans une vaine
tentative de description d'une langue-code utilisant des
signes-étiquettes et transitant entre deux interlocuteurs
idéaux.
Bien au contraire, ce travail suivra l'approche de
l'étude pragmatique de la communication, c'est-à-dire
l'étude de la communication telle qu'elle est utilisée par les
interlocuteurs de façon empirique. Plutôt que de concevoir les
signes comme des étiquettes renvoyant à une entrée d'un
code dont chaque interlocuteur aurait une copie, les signes seront dans notre
travail vus comme des indices permettant aux interlocuteurs d'inférer ce
que la situation d'interlocution ne sufÞt pas à communiquer, les
interlocuteurs s'accordant tacitement pour que leur communication soit
maximalement pertinente, c'est-à-dire que l'économie cognitive de
chacun soit maximale, dans la condition que celle-ci ne vienne pas mettre un
frein à l'efÞcacité générale du
système.
Ainsi nous avons vu que la communication était un
système dans lequel les interlocuteurs sont engagés,
c'est-à-dire qu'ils font partie d'un ensemble de signes en constante
interaction, dans lequel ils échangent des hypothèses et forment
des conclusions hypothétiques et inférentielles sur les signes
qui les entourent. Nous allons dans cette seconde partie développer plus
en profondeur ce qui fonde ce système, ainsi que le fonctionnement
interne des éléments qui le composent.
B.1. Stimulus et environnement B.1.1. Stimulus et
attention sélective
Nous vivons au quotidien entourés d'un nombre
incalculable de Ç choses È sur lesquelles nous pouvons
potentiellement communiquer : objets concrets, émotions, idées
pour le futur, souvenirs, etc. Comme le dit Gardiner (1989:62), Ç quand
nous sommes éveillés, notre esprit n'est jamais au repos. Nos
pensées et nos rêveries poursuivent tranquillement leur cours, ne
s'interrompant que lorsqu'un événement extérieur ou un
souvenir intéressant viennent solliciter notre attention. È
Notre étude se base sur la prémisse
théorique que notre recherche ne tend pas vers une réponse au
pourquoi nous choisissons de communiquer sur telle ou telle chose
puisque Ç dans une pragmatique de la communication humaine, il est
parfaitement hors de propos de demander pourquoi un individu a de
telles prémisses È (Watzlawick,1972:96), mais sur
comment nous communiquons sur cette chose. Comme nous l'avons vu dans
l'introduction, il est indéniable que nous communiquons toujours sur
Ç quelque chose È. Ainsi, afin d'utiliser un terme
générique pour renvoyer à ce Ç quelque chose
È, nous emprunterons à la théorie béhavioriste le
terme de stimulus afin de référer à ce qui
engendre, ce qui stimule la production de signe, Ç
l'événement (S) qui provoque une réaction (R) È
(Dubois, 1994:442), ce qui renvoie à Ç la situation
extralinguistique qui suscite chez un locuteur une réaction verbale,
ainsi que la matière acoustique ou graphique qui provoque une
réaction, verbale ou non, de la part d'un locuteur. È
(Mounin,2004:306) Notre étude étant une étude
sémiologique, nous appellerons stimulus toute situation
extrasémiotique et matière sémiotique qui suscite une
réaction chez un interlocuteur. Selon notre conception, les stimuli
peuvent être à la fois intrinsèques ou extrinsèques
au système communicationnel.
Cependant, même si le terme y est emprunté, il
est important de souligner que le stimulus auquel nous faisons
référence n'est pas celui du modèle béhavioriste
traditionnel stimulus-réponse (ou modèle S-R), dans lequel le
stimulus est considéré
comme un événement extérieur au
système à l'origine d'une manifestation à
l'intérieur de celui-ci. Ici, le stimulus est la Ç chose È
qui a la capacité de stimuler un processus communicationnel, cette
Ç chose È pouvant être de façon équivalente
intérieure ou extérieure au système, c'est-à-dire
de nature très diverse tant qu'elle peut potentiellement stimuler un
processus au sein du système. Comme nous l'avons vu dans le premier
chapitre, la communication est un système ouvert (en constante
interaction avec son environnement) dans lequel les interlocuteurs sont
continuellement engagés. Le stimulus ne peut donc pas être un
événement, une Ç chose È entièrement
extérieure au système qui engendrerait, provoquerait de
manière systématique un processus à l'intérieur
d'un système, puisque les processus intérieurs au système
sont continuellement actifs, et de façon autonome. Ainsi, Ç le
stimulus ne cause pas un processus dans un système par ailleurs inerte,
il ne fait que modifier les processus dans un système actif autonome.
È (VonBertalanffy,1973:214) En d'autres termes, le stimulus ne cause pas
les processus, mais a une potentielle influence sur ces processus autrement
autonomes.
Jusqu'ici nous avons couplé la définition du
stimulus avec une idée de potentialité, de capacité. Cela
est dU au fait qu'il existe deux types différents de stimuli : les
stimuli manifestes et les stimuli effectifs.
Les stimuli manifestes sont des stimuli potentiellement
effectifs, c'est-à-dire que ce sont de potentielles informations dans un
processus inférentiel. Pour reprendre la définition de Sperber et
Wilson (1989:65), un stimulus Ç est manifeste à un individu
à un moment donné si et seulement si cet individu est capable
à ce moment là de représenter mentalement ce (stimulus) et
d'accepter sa représentation comme étant vraie ou probablement
vraie. (...) ætre manifeste, c'est donc être perceptible ou
inférable. È Encore, nous ne nous soucions pas des conditions de
vériconditionnalité : un stimulus est manifeste lorsque le
contexte fournit potentiellement assez d'indices pour permettre à un
interlocuteur d'inférer une conclusion depuis ce stimulus, suite
à la mise en parallèle de ce stimulus avec d'autres informations
existant dans le contexte. Le stimulus représente Ç toute chose
communicable ; la question de savoir si tel (stimulus) est vrai ou faux,
valable, non valable ou indécidable n'entre pas en ligne de compte.
È (Watzlawik,1972:49) En effet,
nos sens peuvent nous tromper, et les hypothèses sur
lesquelles se basent l'inférence sont relatives à l'interlocuteur
qui les fait. Ainsi, un stimulus manifeste est un stimulus depuis lequel un
interlocuteur est capable d'inférer, un stimulus effectif est un
stimulus depuis lequel un interlocuteur infère effectivement.
La transition d'un stimulus manifeste à un stimulus
effectif est conduite par l'attention sélective. Bien que nous vivions
entourés de choses et de signes, ceux-ci ne se transforment pas tous en
information, c'est-à-dire que bien que nous soyons entourés de
stimuli manifestes, ils ne deviendront pas tous effectifs, et donc ne seront
pas tous utilisés dans une inférence. Deux interlocuteurs
à la terrasse d'un café peuvent discuter de leurs vacances au ski
sans communiquer sur le goUt du café ou le look du serveur. Ainsi, la
boisson ou la tenue du serveur sont des stimuli manifestes, tout comme le sont
leurs souvenirs du séjour en montagne, c'est-à-dire que les
interlocuteurs peuvent potentiellement communiquer sur l'un comme sur l'autre,
mais pourtant pas sur les trois en même temps. Un choix est
effectué parmi tous ces stimuli manifestes. C'est l'attention
sélective qui permet cette sélection, ce choix du stimulus
manifeste qui deviendra un stimulus effectif. Ce processus de sélection
est un processus permettant l'économie de l'effort cognitif que
créerait l'obligation d'avoir à traiter tous les stimuli
manifestes, traitement qui serait impossible aux vues de notre fonctionnement
cognitif par lequel Ç nous ne pouvons pas traiter de façon
élaborée tous les stimuli qui se présentent à nous
simultanément. È (Sieroff,1992:4) L'attention sélective
permet au système de ne choisir que le stimulus pertinent.
Effectivement, l'ensemble des stimuli est manifeste à un niveau
infra-attentionnel, et l'attention sélective est le processus de choix,
parmi l'ensemble des environnements, du stimulus manifeste saillant, et donc
pertinent, qui deviendra stimulus effectif.
B.1.2. L'environnement cognitif direct
Ainsi, les stimuli sont des phénomènes qui
existent au sein de l'environnement du système. Les théories
linguistiques utilisent généralement le terme de Ç
contexte È pour référer à Ç tout ce
qu'englobe l'horizon de la situation ; le fait que ce soient des hommes qui se
parlent et s'écrivent, (...) le moment et le lieu comme les raisons
qu'ils ont de communiquer et de communiquer ainsi. È (Eluerd,1985:13)
Notre travail prenant le tournant de l'étude systémique, nous
préférerons le terme d' Ç environnement È,
terminologie utilisée dans cette approche. L'environnement du
système communicationnel est défini comme l'ensemble des stimuli
qui sont manifestes aux interlocuteurs, c'est-à-dire leurs
environnements cognitifs.
Il est important de noter que l'interaction du système
communicationnel avec son environnement est informationnel : en d'autres
termes, nous communiquons sur et non pas par les
environnements. Ces environnements étant eux-même des informations
sur des perceptions du monde, et non pas le monde, la communication est une
production et une compréhension d'informations sur des informations. En
effet, comme le souligne Bateson (1980:73), Ç c'est ma perception de la
chaise qui est vraie du point de vue de la communication, et ce sur quoi je
suis assis n'est pour moi qu'une idée, un message que je crois vrai.
È En d'autres termes, les stimuli ne sont pas les choses, mais bien des
informations de ce qui est perçu sur ces choses : quand un interlocuteur
communique sur la température de la pièce, sur la phrase qu'a
produit son interlocuteur ou sur le souvenir de ses dernières vacances,
il communique sur les informations perceptibles et perçues sur ces
choses, et non pas par ces choses. Cela permet à la communication
d'utiliser un processus unique pour le traitement de niveaux de perception
différents : les stimuli peuvent être une perception d'une chose
comme un perception d'un signe ou d'un élément existant en
mémoire, et pourtant, ils sont tous traités de la même
façon, dans une boucle infinie de production et de compréhension
d'information(s) sur de l'information.
De cela découle le fait que, comme le disent Gauducheau
et Cuisinier (2004:334), Ç l'(environnement) ne préexiste pas
à l'interaction mais il est coconstruit par les individus au cours des
échanges. È En d'autres termes, à l'inverse de la
conception traditionnelle de l'environnement qui est faite
dans les théories linguistiques, celui-ci n'est pas
prédéterminé et donné au système, en ce sens
que c'est la perception continuellement renouvelée des interlocuteurs
qui le crée. Celui-ci est donc dans un continuel renouvellement, une
continuelle reconstruction et modification de lui-même.
Bien qu'uniforme, nous pouvons diviser l'ensemble de
l'environnement en deux sous-environnements. Ces deux sous-environnements ne
sont pas entièrement séparés puisqu'ils n'ont pas de
frontières imperméables : le processus inférentiel utilise
des stimuli d'un environnement en comparaison et en combinaison à des
stimuli de l'autre environnement. Le premier de ces sous-environnements
cognitifs, que nous allons développer dans un premier temps, regroupe la
catégorie des stimuli appartenant à l'environnement cognitif
direct, au sens d'un environnement directement perceptible par les
interlocuteurs, c'est-à-dire ce que constitue l'ensemble des
informations nouvelles utilisées dans le processus
inférentiel.
L'environnement cognitif direct peut se diviser en deux
sous-environnements. Le premier de ces environnements est l'environnement
situationnel. C'est ce qui est qualifié dans la tradition linguistique
comme Ç monde È, ou comme Ç extralinguistique È.
Cet environnement regroupe l'ensemble des perceptions sur les
éléments, les situations du monde extra-communicationnel. Dans un
environnement étant partie de l'espace-temps, l'environnement
situationnel est l'espace, c'est-à-dire l'ensemble des entités
physiques se situant spatialement à la portée de la perception
sensorielle des interlocuteurs : le lieu dans laquelle ils se trouvent, les
sons qu'ils entendent, la température, etc.
L'environnement cognitif direct est également
composé des signes créés par le système, ce que la
tradition appelle Ç contexte littéral ou cotexte :
l'environnement verbal ou écrit de l'énoncé. È
(Eluerd,1985:13) En d'autres termes, c'est l'environnement crée par
l'existence sémiotique directement présente dans la communication
que sont les stimuli produits, et donc également à la
portée sensorielle des interlocuteurs.
B.1.3. L'environnement cognitif indirect
Le second sous environnement est l'environnement cognitif
indirect. Il est composé des présuppositions et du savoir
encyclopédique des interlocuteurs, c'està-dire l'ensemble des
hypothèses en mémoire, plus ou moins accessibles au niveau
attentionnel. Cet environnement compose l'ensemble des prémisses
indispensables à l'existence de la compréhension
inférentielle26, traditionnellement appelé Ç
présupposésÈ. Cet environnement cognitif indirect regroupe
l'ensemble des hypothèses, des présuppositions
générales acceptées comme vraies dans la mémoire du
système, c'est-à-dire dans la mémoire
conceptuelle27 des interlocuteurs, mais aussi l'ensemble des
conclusions qui découleraient d'une potentielle inférence prenant
pour prémisses une ou plusieurs de ces hypothèses. Comme le
disent Sperber et Wilson (1989:67), Çun individu possède non
seulement le savoir représenté dans son esprit mais aussi le
savoir qu'il est capable de déduire du savoir dont il a la
représentation. È Par exemple, à l'heure actuelle, il ne
fait aucun doute que Jean-Paul Sartre n'a jamais dirigé un magazine sur
internet. C'est une conclusion inférentielle qui nous est manifeste, et
donc accessible, sans pour autant que nous ayons effectivement effectué
cette inférence auparavant. Cette Ç mémoire
encyclopédique È (Sperber&Wilson,1989), cette Ç vue
unifiée du monde dans lequel (un interlocuteur) se trouve "jeté"
È (Watzlawick,1972:265) est l'ensemble des prémisses qu'un
interlocuteur possède sur le monde en général, et qui
guideront son comportement au court de sa vie ; dans un environnement du
système étant l'espace-temps, la notion d'environnement cognitif
indirect renvoie à la variable temps.
Cet environnement regroupe trois formes différentes
d'entrées conceptuelles en mémoires, qui sont les entrées
logiques, encyclopédiques et lexicales. L'entrée logique d'un
concept correspond aux règles déductives particulières
propres à un
26 Ç Le rTMle (de l'environnement) n'est pas simplement
de filtrer les interprétations inadéquats : (il) fournit des
prémisses sans lesquelles les implications ne peuvent tout simplement
pas être inférées. È (Sperber&Wilson,1989:62)
27 Un concept est un élément qui, combiné
avec d'autres concepts, structure une hypothèse. Pour un
développement de ce point, voir Sperber&Wilson (1989:134-135)
certain concept. L'entrée encyclopédique
correspond à l'extension, la manifestation matérielle de ce
concept dans le monde. Enfin, l'entrée lexicale comprend les
informations sémiotiques correspondant à ce
concept28.
Bien que tous deux cognitifs, il existe pourtant un
différence fondamentale entre ces deux environnements : l'environnement
cognitif direct est supposé être communément manifeste aux
interlocuteurs qui perçoivent potentiellement les mêmes
informations du monde Ç extralinguistique È29, alors
que l'environnement cognitif indirect est propre à chaque interlocuteur.
L'environnement cognitif indirect est le passage en mémoire à
long terme d'événements individuellement ponctuels qui sont dans
un premier temps stockés dans la mémoire à court terme. Ce
qui fait de l'environnement cognitif indirect un ensemble de
représentations ancrées en chaque interlocuteur, et qui sont par
conséquent plus immuables.
Pour conclure ce développement sur les stimuli et
l'environnement, nous rappellerons l'importance de concevoir l'environnement du
système comme un ensemble de perceptions, et donc d'informations,
c'est-à-dire que, comme le dit Bateson (1980:48), Ç il n'y a dans
l'esprit que des transformations, des perceptions, des images et les
règles permettant de construire tout cela. È La communication est
une production d'informations sur des informations, critère fondamental
faisant du système communicationnel un système
cybernétique. De plus, le fait que l'ensemble du système cognitif
humain traite de l'information lui permet d'opérer à travers un
seul mécanisme de traitement, traitant de l'information et articulant
compréhension et production, qui fonctionnera de façon semblable
pour le traitement de tout stimulus.
28 Pour un développement complet de ces trois types
d'entrées conceptuelles, voir Sperber & Wilson (1989:135-145).
29 Nous n'entendons pas par là que les perceptions chez
les interlocuteurs sont identiques, mais plutôt que ce sont des
éléments qui ont la potentialité d'affecter la perception
de tous les interlocuteurs.
B.2. Comprehension, production et sens. B.2.1.
Compréhension et production
Nous reviendrons dans un premier temps sur le principe
général guidant la communication qui est le principe
d'inférence. Le principe d'inférence est un processus de mise en
relation, inhérent aux systèmes logiques, qui consiste à
Ç produire de nouvelles informations à partir des informations
existant en mémoire (..) et des informations issues de la situation.
È (Richard,1990:15 cité dans Gauducheau&Cuisinier,2004:337)
La conception de l'inférence attachée aux systèmes
naturels diffère de la conception en logique traditionnelle et est plus
pertinente pour l'étude du système communicationnel. En effet, en
logique traditionnelle, l'inférence est conçue comme un processus
de mise en relation de prémisses axiomatiques permettant la
création d'une ou plusieurs conclusion(s) basée(s) sur les
valeurs de vérité des prémisses. Ainsi, la conclusion tire
sa vérité de la vérité des prémisses.
Cependant, nous l'avons vu dans le chapitre précédent, les
valeurs de vérité n'ont pas lieu d'être en communication.
Les prémisses du processus inférentiel déductif d'un
interlocuteur, processus qui est propre au système communicationnel, ne
sont pas axiomatiques mais hypothétiques : l'information ancienne qui
existe dans la mémoire des interlocuteurs n'est pas composée
d'axiomes mais d'hypothèses factuelles, c'est-à-dire
d'hypothèses sur le monde acceptées comme vraies par un
interlocuteur. Il en va de même pour les informations nouvelles : comme
le disent Sperber et Wilson (1989) ou encore Gauducheau et Cuisinier (2004:335)
Ç les états mentaux, et plus généralement la vie
mentale d'autrui, correspondent à des états internes qui ne sont
pas directement accessibles, explicites. È Ainsi, la communication est
articulée autour d'hypothèses sur les représentations
mentales d'autrui, sur le raisonnement qui a amené l'Autre à une
production, c'est-à-dire une Ç estimation (...) des motifs
d'autrui, donc des hypothèses concernant ce qui se passe dans son
esprit. È (Watzlawick,1972:40) De ce fait, la compréhension comme
la production basent leurs déductions sur un ensemble
d'hypothèses et non pas sur des vérités axiomatiques, ce
qui a pour effet d'entrainer une valeur d'incertitude au sein du
système, puisque la force d'une conclusion se base sur la force de
prémisses hypothétiques. Nous allons ici voir
comment fonctionnent les processus de production et de compréhension.
Comme nous l'avons vu dans le premier chapitre de ce travail,
la compréhension et la production sont deux processus simultanés.
Le choix de développer la compréhension avant la production est
un choix arbitraire et inévitable qu'il faut prendre comme tel.
Nous verrons d'abord le fonctionnement de la
compréhension inférentielle. Celle-ci est le processus de
déduction inférentielle permettant à un interlocuteur de
déduire des conclusions hypothétiques à la suite de la
combinaison d'informations nouvelles et d'informations anciennes en
mémoire. Ce processus de compréhension inférentielle est
un processus cognitif global, et non local : les prémisses de
l'inférence peuvent faire partie de toutes les informations
conceptuelles dont dispose la mémoire d'un interlocuteur, il est capable
d'utiliser Ç librement n'importe quelle information conceptuelle.
È (Sperber&Wilson,1989,103)
Le but de ce processus de compréhension
inférentielle, c'est-à-dire de déduction, est de
créer des hypothèses nouvelles au sein du système, ces
hypothèses nouvelles, conclusions d'une inférence conjuguant
information(s) nouvelle(s) et ancienne(s), sont en rapport avec Ç
l'histoire È du système et permettent de confirmer ou d'infirmer
des hypothèses qui étaient déjà présentes au
sein de celui-ci.
L'information nouvelle traitée par le système
est un stimulus effectif, c'est-àdire celui qui résulte du
filtrage inconscient30 effectué par l'attention
sélective, permettant de faire un choix parmi l'ensemble des stimuli
manifestes, pour sélectionner le stimulus saillant, à savoir le
stimulus qui sera le plus pertinent31. C'est ce stimulus
maximalement pertinent qui sera traité par l'interlocuteur, et ce parce
que la production sous-tend une idée de pertinence optimale. Ainsi, un
interlocuteur s'attend à ce que l'Autre coopère et à ce
que chacun produise un stimulus qui sera
30 Comme le disent Sperber et Wilson (1989,28) Ç dans
des circonstances ordinaires, les auditeurs n'ont aucun mal à choisir un
(...) sens ; ils ne se rendent même pas compte qu'ils ont eu un choix
à effectuer. È
31 Sperber&Wilson (2004) Ç What makes an input
worth picking out from the mass of competing stimuli is not just that it is
relevant, it is that it is more relevant than any alternative input available
to us at the same time. È
optimalement pertinent, et de ce fait, c'est le stimulus qui
apparaitra comme optimalement pertinent qui sera choisi en tant que stimulus
saillant, et qui deviendra information nouvelle d'un processus
déductif.
Nous verrons dans un second temps le fonctionnement du
processus de production sémiotique. La production sémiotique est
un processus de signification, c'est-à-dire de mise en signe d'indices,
de création de stimuli manifestes. Un interlocuteur produit une Ç
modification de l'environnement destinée à être
perçue È dans le but de Ç fournir des données
susceptibles de confirmer ou d'infirmer certaines hypothèses. È
(Sperber&Wilson,1989,51&111) Nous produisons des signes pour
communiquer avec autrui, et c'est au processus de production qu'il incombe la
responsabilité de la pertinence du signe : un interlocuteur se doit de
produire, en restant dans la limite de ses préférences et de ses
capacités, une sémiotique qui sera optimalement pertinente pour
le bon déroulement du système.
Cette production ne déroge pas à l'influence
qu'exerce l'inférence dans le système et cette inévitable
influence impose à chaque interlocuteur une capacité
méta-représentationnelle : un interlocuteur se représente
des hypothèses sur les représentations mentales de l'Autre, et
produit la sémiotique qui lui semble la plus pertinente pour amener
l'Autre à la conclusion souhaitée, c'est-à-dire qu'un
interlocuteur produit une manifestation sémiotique contenant assez
d'indices pour être efficace, mais pas plus. Ainsi, l'inférence
productive possède comme prémisses les hypothèses
factuelles d'un interlocuteur et les représentations qu'il se fait des
représentations mentales de l'Autre. C'est à travers cette
méta-représentation que l'interlocuteur produisant choisit la
sémiotique la plus pertinente. Ainsi, la production, dans le sens que
celle-ci prend dans la communication, est une production de signes-indices en
tant qu'informations sur un stimulus effectif et dans le but que ces signes
deviennent eux-même stimuli manifestes.
Selon Sperber et Wilson, la communication toute entière
n'existe que si elle est ostensivo-inférentielle, c'est-à-dire
qu'il n'y a communication que si les stimuli actifs dans le système sont
ostensifs, à savoir intentionnels et produits dans le but d'être
ostensiblement des signes communicatifs. Nous contesterons ce point dans la
partie directement suivante, dans laquelle nous
développerons qu'une inférence peut se baser sur des signes
non-ostensifs. En d'autres termes, la production n'est pas
nécessairement intentionnelle, en ce sens qu'un signe peut être
manifeste, voire compris sans pour autant avoir été ostensif de
la part de l'interlocuteur produisant. Ainsi, nous allons développer
l'idée que la compréhension ne prend pas pour information
nouvelle un signe nécessairement ostensif.
Pour résumer, au sein du système, la production
produit un signe-indice qui est un stimulus manifeste et dans le but de le
faire stimulus effectif. Ainsi, la production est un processus de formation
d'un output, ensuite potentiellement utilisable par le processus d'input qu'est
la compréhension. Nous verrons dans la partie qui suit en quoi un
stimulus non-intentionnel peut être un input au même titre qu'un
stimulus intentionnel.
B.2.2. Retour sur l'intention
Parmi l'ensemble des penseurs que nous avons abordés au
sein de ce travail, le premier à avoir travaillé sur la
distinction entre l'intentionnel et le non-intentionnel est Grice (1957). Il y
introduit la distinction entre les significations Ç naturelles È
et les significations Ç non naturelles È, les secondes
étant traditionnellement appelées Ç conventionnelles
È. Selon Grice, un signe signifie Ç naturellement È
lorsqu'il signifie de lui-même, comme un rougissement signifie de lui
même l'embarras. Pour qu'un signe puisse signifier Ç non
naturellement È, il est nécessaire qu'un interlocuteur communique
à travers ce signe son intention de communiquer à
travers celui-ci.
Sperber et Wilson reprennent l'idée
développée par Grice sur la signification, mais adoptent un point
de vue discriminant quant à la distinction entre ces deux types de
signes. En effet, ils réduisent la communication aux
phénomènes qu'ils qualifient d' Ç
ostensivo-inférentiels È, c'est-à-dire qu'ils
considèrent que les signes des interlocuteurs ne sont communication
qu'à condition de sous-tendre une volonté de communiquer à
travers ces signes, et donc qu'ils soient produits à dessein de
communication. Alors que nous suivrons leur point de vue sur la
centralité de l'inférence en communication, il n'en sera pas de
même pour la nécessité du caractère ostensif des
signes. En effet, nous pouvons nous interroger sur les fondements d'une
conception d'un système inférentiel traitant uniquement des
signes ostensifs : un signe produit de façon non-intentionnelle est un
stimulus manifeste et peut très bien être une information nouvelle
à l'origine d'une inférence et donc créateur d'effets
contextuels, au même titre qu'un stimulus intentionnel. Par exemple,
rougir à la suite d'une question est une phénomène
non-intentionnel, et à sa suite un interlocuteur peut arrêter la
conversation, voir changer de sujet si il constate l'embarras de l'Autre : ici
le rougissement est un signe pertinent dans la communication. Il est
également le produit d'un processus inférentiel : imaginons un
interlocuteur qui est embarrassé par un dysfonctionnement de sa
prononciation l'entrainant à mal prononcer certains mots. Si il
possède dans sa mémoire la prémisse : Ç toute
situation oü j'estropie un mot est embarrassante È et que ce
même interlocuteur estropie malencontreusement un mot dans une situation
particulière, l'information nouvelle : Ç je viens d'estropier un
mot È lui fera inférer la conclusion qu'il se trouve dans une
situation embarrassante. Son embarras se signifiera de
façon incontrôlable par un rougissement. Or,
pouvons nous vraiment dire que l'interlocuteur sous-tend une intention de
communiquer par ce rougissement ? Ë l'inverse, peut-on vraiment dire qu'il
ne communique pas à travers ce signe ? Un interlocuteur qui rougit ne
considère pas qu'il produit de façon ostensive, mais cependant il
ne pourra pas nier que cette sémiotique communique, et à ses
côtés l'interlocuteur agira et adaptera son comportement en
fonction du signe qu'il comprendra comme signe d'embarras : il pourra
volontairement ignorer le signe ou même changer de sujet pour quitter la
situation que l'Autre a signifié comme embarrassante.
De plus, nous pouvons nous interroger sur la limite
définissable entre l'intentionnel et le non-intentionnel. Existe-t-elle
vraiment ? Ë quel moment peut-on arrêter de considérer qu'un
signe a été produit de façon intentionnelle ? Dans sa
quasi totalité, la communication est un phénomène
spontané mêlant des signes de toutes natures, mais par quels
critères peut-on réellement séparer les uns des autres ?
La distinction est relativement simple à faire pour l'exemple que nous
avons pris un peu plus haut, le rougissement étant un signe qu'il est
quasiment impossible de produire volontairement, et donc d'utiliser de
façon ostensive. Cependant, ce n'est pas le cas de tous les signes.
Considérons un instant la catégorie des signes
élocutionnels classés dans la catégorie des signes
Ç emblèmes > et des signes Ç illustrateurs
>32. Les emblèmes sont des signes élocutionnels
culturellement marqués et partagés par les membres d'une culture
précise, utilisés Ç à la place > d'un mot et qui
peuvent être produits volontairement (ils le sont d'ailleurs dans la
majorité des cas), mais également involontairement. Ils peuvent
être involontaires notamment lorsque que l'interlocuteur essaie de cacher
une de ses émotions mais qu'elle transparait au travers d'un
emblème33. Ë l'inverse, les illustrateurs sont
idiosyncratiques et sont une ponctuation élocutionnelle personnelle
propre à chaque individu34. Leur cas est
particulièrement intéressant pour notre propos. L'illustrateur
est un signe élocutionnel qui a pour fonction de ponctuer, d'illustrer
la parole qui lui
32 Notre traduction des termes Ç emblems > et
Ç illustrators È
33 Ekman parle de Ç leakage >
34 Pour un développement plus complet, voir Ekman
(2009:99-108), Ekman (2003), Johnson & al. (1975)
est concomitante, servant à mettre de l'emphase sur un
mot ou une phrase, de dessiner dans les airs pour améliorer la
description locutionnelle, etc.35 Néanmoins, doit-on classer
les illustrateurs dans la catégorie des signes intentionnels ou dans
celle des signes non-intentionnels ? Ces signes ne sont pas conventionnels,
puisque propres à chacun, mais en même temps ne signifient pas
naturellement. Ils jouent un rTMle dans le système communicationnel sans
que l'on puisse définir de façon certaine si ils sous-tendent une
intention de communiquer à travers eux, i.e. on ne peut trancher de
façon définitive sur leur intentionnalité effective ou
non.
Nous achèverons donc ce point par la conclusion qu'il
n'est pas pertinent de se poser la question de l'intentionnalité lorsque
l'on étudie le système communicationnel : tout signe,
intentionnel ou non-intentionnel, est stimulus manifeste et donc
potentiellement effectif, c'est-à-dire que tout signe peut-être
à l'origine d'une inférence, et se doit d'être
considéré dans l'étude du système.
L'activité dans le système existe que le signe soit intentionnel
ou non-intentionnel. Pour l'illustrer, Grice (1957:383) prend l'exemple du
froncement de sourcil : si un interlocuteur fronce les sourcils de façon
spontanée, l'Autre va inférer qu'il existe une source de
mécontentent entrainant le premier à froncer les sourcils. Mais
si ce même interlocuteur fronce intentionnellement les sourcils pour
signifier à l'Autre qu'il est mécontent, ce dernier va arriver
aux mêmes conclusions que le cas premier36. Ainsi,
l'intentionnel et le non-intentionnel se mêlant et agissant tous deux
dans le système, nous ne pouvons pas envisager que la communication ne
puisse se faire qu'avec des signes ostensifs.
35 Ekman (2009:105) Ç emphasis can be given to a
word or phrase, much like an accent mark or underlying; the flow of thought can
be traced in the air (...) the hands can draw a picture in space or show an
action repeating or amplifying what is being said. È
36 Grice (1957:383) Ç If I frown spontaneously, in the
ordinary course of events, someone looking at me may well treat the frown as a
natural sign of displeasure. But if I frown deliberately (to convey my
displeasure), an onlooker may be expected, provided he recognizes my intention,
still to conclude that I am displeased. (...) In general a deliberate frown may
have the same effect (...) as a spontaneous frown. È
B.2.3. Effets contextuels et sens
Avant de passer à l'approfondissement de la
définition de la communication en tant que système, nous
aborderons la définition nécessaire d'un concept qui ne fait pas
consensus au sein des écoles linguistiques, et qui est la
définition du terme Ç sens È.
Selon notre conception, un signe Ç a du sens È
pour un interlocuteur lorsqu'il crée un effet contextuel,
c'est-à-dire lorsque ce signe est une information nouvelle
contextualisée dans des informations anciennes, i.e. lorsque ce signe
est l'information nouvelle d'un processus inférentiel. Le signe
étant par définition toujours nouveau, il est de ce fait
indéniable que l'idée du sens se trouve liée à
l'existence d'information(s) ancienne(s) : un interlocuteur ne pourra pas
trouver du sens dans une communication s'il se contente uniquement de nouvelles
expériences de signes. Avec Eluerd (1985:29), nous considérons
que Ç le sens renvoie non au contenu ou à l'objet mais à
l'usage, à l'habitude È, ou à la redondance, comme
l'appellent Watzlawick (1972:27-34) et Bateson (1980:155-182), amenant avec
elle l'idée d'une récurrence à travers la
continuité. Ainsi, nous concevons le sens comme une composition
empirique, un ensemble appris de modèles, de patterns cognitifs relatifs
aux configurations des expériences communicationnelles passées.
Pour un interlocuteur, un signe a du sens si il peut être utilisé
dans une inférence prenant pour prémisse un pattern de son
environnement cognitif indirect. Cependant, nous devons être prudents et
ne pas prendre la tournure générativiste : ces patterns de sens
ne sont pas des structures fixes intériorisées comme on retrouve
dans les grammaires génératives, elles sont variables,
individuelles, et peuvent changer et être changées. En d'autres
termes, ces prémisses ne sont pas des règles
intériorisées immuables, mais au contraire apprises, acquises, et
potentiellement confirmables, infirmables et modifiables. Encore moins notre
vision du sens ne rejoint la vision de la théorie du code qui
défend l'idée d'une relation immanente entre le sens et le
signe-étiquette qui lui serait imposé. En définitive, le
sens, dans la vision qui est la nôtre, sous-tend l'idée d'un
pattern (ou modèle) appris d'habitudes, d'événements
redondants d'apprentissage.
L'idée d'un sens à travers une redondance de
modèles de communication, que nous appellerons patterns, appelle
l'idée d'un apprentissage par les interlocuteurs. Nous allons ainsi voir
comment procède cet apprentissage et pourquoi il est nécessaire.
Si l'on s'en tient aux théories classiques comme celles de Pavlov,
l'apprentissage implique une répétition d'un certain pattern
jusqu'à l'obtention de l'identification d'un signe à un sens.
Malgré quelques cas particuliers oü il en va autrement pour la
communication humaine gr%oce à une capacité d'apprentissage de
second niveau37, la majeure partie de l'apprentissage suit cette
idée de répétition et d'habitude.
Ë travers le temps, la communication est un
phénomène fondamentalement récurrent sur l'ensemble de la
vie d'un homme. Comme nous l'avons développé plus tTMt, ces
expériences de communication se trouvent guidées par la recherche
d'une pertinence optimale. Sur l'ensemble infini des signes productibles par un
interlocuteur à tout moment, il existe une chance quasi nulle de
produire le signe pertinent si celui-ci est produit à tout hasard. Il
lui est donc nécessaire de pouvoir déterminer le sens qui sera le
plus pertinent dans le contexte particulier d'une communication, et c'est
gr%oce à l'apprentissage que cette pertinence est atteinte. En effet,
à travers le temps, les interlocuteurs font l'expérience de
patterns optimalement pertinents, ainsi, afin de faire face aux
expériences futures, les interlocuteurs gardent en mémoire ces
patterns optimalement pertinents, c'est-à-dire qu'ils ont la Ç
possibilité de stocker des adaptations antérieures pour s'en
servir éventuellement plus tard. È (Watzlawick,1972:29)
Cependant, chaque nouvelle expérience de communication,
étant un confrontation des sens de chacun, peut potentiellement modifier
un ou des pattern(s) et le(s) remplacer par un ou d'autres plus pertinent(s)
chez l'un ou chez les deux interlocuteur(s), et ce par la capacité
humaine d'apprentissage de second niveau. Ainsi, un sens peut être
bouleversé en une seule expérience qui balaie l'ensemble des
expériences passées de ce sens pour le remplacer par un usage
plus pertinent. Par exemple, la plupart d'entre nous a déjà fait
l'expérience d'un mot dont nous faisions mauvais usage, avant d'un jour
nous faire corriger par un interlocuteur qui nous semblait digne de confiance.
Ainsi, dans ce genre de situation, la nouvelle
37 Cas dans lesquels l'homme peut acquérir un sens sans
pour autant qu'il soit nécessaire que celui-ci lui soit
répété car il possède une capacité
d'apprentissage de second niveau, c'est-à-dire que tout homme a appris
à apprendre.
norme sera retenue car nous l'acceptons comme plus pertinente
pour son usage futur dans des communications avec l'ensemble des interlocuteurs
respectant cette norme.
Nous pouvons faire une analogie entre la communication et une
partie d'échecs. Dans une partie d'échecs, chaque coup a un sens
particulier qui n'est pas inhérent à la nature de la
pièce, mais bien à l'apprentissage d'un modèle
d'utilisation de cette pièce. Ainsi, imaginons qu'un joueur ai toujours
été confronté à un modèle de jeu oü le
fou se déplace comme le cavalier et inversement. Dans cette situation,
un joueur autre connaissant les règles canoniques des échecs
considérera que déplacer le cavalier en diagonale Ç n'a
aucun sens È, car il ne correspond pas à son expérience du
déplacement de cette pièce. Il pourra également le
signaler au premier, qui malgré son expérience récurrente
de ce type de déplacement, pourra adapter son système de jeu au
changement pointé par le premier.
Ainsi, de prime abord, rien n'empêcherait un
interlocuteur de produire des signes aléatoires jusqu'à ce qu'il
trouve le signe adéquat, si ce n'est que cette démarche mettrait
indéniablement en péril la recherche d'efficacité et
d'économie du système. Fonctionner de cette manière
engendrerait un besoin en temps et en effort considérable pour
communiquer sur n'importe quelle chose. C'est cette faiblesse que
l'apprentissage à travers le temps vient corriger. Comme nous le dit
Bateson (1980:45) Ç l'erreur est toujours psychologiquement coUteuse
È, de ce fait l'apprentissage permet d'éviter d'avoir à
faire face à un processus d'essais et d'erreurs qui pourrait être
très long et très couteux en effort cognitif. De plus,
l'apprentissage permet aux interlocuteurs d'accepter certaines
hypothèses et certains sens comme vrais, ce qui leur permet
d'éviter d'avoir à réexaminer continuellement toutes les
prémisses. Mais le système ne peut obtenir de changement
adaptatif à travers l'apprentissage qu'à condition que
l'interlocuteur puisse percevoir et juger en retour sa production, en d'autres
termes, afin d'apprendre, il lui est indispensable qu'il existe un processus de
rétroaction au sein du système. C'est ce que nous allons voir
dans la dernière partie de ce chapitre.
B.3. Un système cybernétique B.3.1.
Définition
Jusqu'ici, nous avons développé que la
communication était un système dans lequel les processus
principaux de production et de compréhension sont inséparables et
influencés l'un par l'autre. De plus, ce système est un
système ouvert, à savoir influencé par son environnement,
et par conséquent dépendant de l'espace-temps. Ainsi, aucun signe
n'est indépendant de ce qui le précède, ni d'ailleurs de
ce qui le suit. Comme nous l'avons vu dans la première partie, nous ne
considérons pas qu'il puisse exister de tours de parole
échangés entre un communicateur et un récepteur, et de ce
fait, tout signe produit devient lui-même un nouveau stimulus et est
perceptible, pas seulement pour l'Autre, mais aussi pour celui qui l'a produit.
Ainsi, la production, créatrice d'outputs, est simultanée
à la compréhension, traitant les inputs, les deux étant
entièrement inter-dépendants : tout output est un nouvel input.
Ce phénomène, traditionnellement appelé
rétroaction, permet au système d'optimiser sa pertinence et aux
interlocuteurs d'être dans une constante phase d'apprentissage.
Ce type de système correspond à un
système cybernétique, c'est-à-dire un système
oü tout output est immédiatement réinjecté en tant
que nouvel input. Toute production sémiotique produit un stimulus qui
sera manifeste (à la condition que l'Autre puisse percevoir cette
production), c'est-à-dire que tout output devient un input potentiel,
qui, dans la grande majorité des cas, deviendra effectif. De cette
manière, tout output influence les inputs suivants, une production qui
semblerait sans rapport avec ce qui lui est antérieur est tout de
même influencée par ce qui précède puisque la
perception de rupture est due à cette production antérieure.
Cette notion de Ç réinjection È de l'output dans le
système est appelé feedback, ou rétroaction, qui est la
Ç commande d'un système au moyen de la réintroduction dans
ce système des résultats de son action. (...) La langue peut
être ainsi conçue comme un système autorégulateur.
È (Dubois,1994:201) Cette autorégulation est un processus qui
existe afin de faire face aux jeux de la communication, de réajuster la
mise en commun
communicationnel qui peut être divergente. Comme le
disent Sperber et Wilson (1989:311), Ç lorsqu'il y a des
problèmes de communication, (l'interlocuteur) doit essayer de
découvrir quelle fausse image de lui a permis à (l'Autre) de
penser que son énoncé serait optimalement pertinent. È
Ainsi, lorsqu'une incompréhension intervient dans la communication,
c'est-à-dire lorsque la pertinence est divergente, chaque interlocuteur
se doit de découvrir quelle(s) hypothèse(s) les ont amené
à cette situation.
Ainsi, la communication est un système
cybernétique, et plus précisément un type particulier de
système cybernétique. Nous partirons d'une définition
générale du système cybernétique, que nous
affinerons jusqu'à pouvoir définir le système
communicationnel.
VonBertalanffy (1973:20) donne une première
définition de la cybernétique comme : Ç la théorie
des systèmes contrôlés fondés sur la communication
(transfert d'informations), système-environnement et interne au
système, et sur le contrôle (rétroaction) de la fonction du
système en ce qui concerne l'environnement. È Cette
première définition réfère à ce qu'il
convient d'appeler la Ç première cybernétique È, et
réfère aux systèmes dans lesquels existe une idée
de circularité, c'est-à-dire systèmes dans lesquels il
existe un retour d'informations, ou contrôle rétroactif,
dicté originellement par un observateur extérieur au
système. Un parfait exemple d'un système de la première
cybernétique est le thermostat d'un radiateur : c'est en
contrôlant la chaleur sortante qu'il ajuste sa température pour
arriver à la température désirée. Celle-ci, qui est
le but à atteindre par le système, est fixée par un
élément qui est extérieur au système. Cette
extériorité de la norme est étrangère au
fonctionnement du système communicationnel, c'est pourquoi la
définition de la première cybernétique n'est pas
entièrement adéquate à l'étude de ce type de
systèmes.
Ainsi, il convient de perfectionner, voir de reformuler cette
définition du cybernétique pour un système vivant comme le
système communicationnel. Ce type de système est
étudié par ce qui est appelé la Ç seconde
cybernétique È,
redéfinissant la nature même du système
étudié. C'est ce que nous allons voir par la suite.
Alors que la première cybernétique avait pour
but l'étude et le perfectionnement des machines38, la seconde
cybernétique prend pour objet d'étude le vivant. Dans ce
changement de paradigme, le système obtient un statut différent :
le système est autonome, autoréférentiel39,
auto-organisateur et auto-régulateur. Moreno (2004:137) définit
les systèmes étudiés par la seconde cybernétique
comme Ç les systèmes abstraits capables de générer
de nouvelles formes d'organisations non prédictibles trivialement par un
observateur ou apparaissant comme tel. È Dans ce type particulier de
système, l'observateur ne peut plus être extérieur au
système, au contraire, il lui est intérieur : le système
est auto-produit, il s'organise selon des éléments qui lui sont
internes et agit en fonction de lois et de règles qui lui sont
intérieures et qu'il génère, agissant Ç par
lui-même et pour lui-même, il est à la fois source et
destinataire de ses actions. È (ibid:141) Le système, selon la
seconde cybernétique, est autopo ·étique. Voici la
définition qu'en donne Varela (1989:45) :
Un système autopo ·étique est
organisé comme un réseau de processus de production de composants
qui (a) régénèrent continuellement par leur
transformations et leurs interactions le réseau qui les a produits, et
qui (b) constituent le système en tant qu'unité concrète
dans l'espace oü il existe, en spécifiant le domaine topologique
oü il se réalise comme réseau.
Ces systèmes particuliers, adaptés à la
description des systèmes humains, sont des systèmes autonomes
adaptatifs : alors qu'ils n'échangent pas avec leur environnement, ils
sont pourtant capables de s'y adapter. Ainsi, ces systèmes sont
autonomes mais pourtant s'insèrent dans des métasystèmes
de plus grande envergure.
La définition que nous venons de donner du
système selon la seconde cybernétique en tant que système
autopo ·étique adaptatif, c'est-à-dire autonome,
auto-référentiel et auto-organisé, correspond aux
caractéristiques du système communicationnel : la communication
est une mise en commun entre deux (ou plusieurs) interlocuteurs selon des
règles générées par le système, et c'est
cette
38 Il convient tout de même de remarquer nombreuses
applications de la première cybernétique au vivant par
l'école de Palo Alto et les penseurs qui y sont associés.
39 La genèse de ce théorème est
donnée à Von Foester reprenant Maturana dans une de ces
conférences : Ç anything said is said by and to an observer.
È
production qui crée, qui régénère
continuellement le système, le contrôle étant exercé
au travers de la compréhension par et pour les interlocuteurs qui sont
à l'intérieur du système en autonomie par rapport à
son environnement, cette autonomie étant adaptative : lorsqu'ils
communiquent, les interlocuteurs communiquent sur leur environnement
et non pas par leur environnement, il n'existe donc pas
d'échange direct entre le système et son environnement. Cette
adaptivité du système autonome en fait un système dit
Ç social È, c'est-à-dire qu'un système est
composé d'un ensemble de sous-systèmes et est partie
intégrante de métasystèmes, ou métaréseaux.
En d'autres termes, chaque système s'adapte en fonction des autres
systèmes qui composent son environnement : par exemple, il est
indéniable que le système communicationnel soit bien
inséré dans d'autres systèmes que sont le système
social, historique, religieux, etc., ce qui ne l'empêche pas de leur
être autonome. De cela découle l'importance de la prise en compte
d'une hiérarchie dans l'étude des systèmes :
l'auto-organisation du système se fait gr%oce à la formation de
configurations spécifiques, de patterns organisateurs émergeant
à un niveau macroscopique par répétition d'interactions
à un niveau microscopique, en d'autres termes, Ç à partir
d'un ensemble d'interactions microscopiques (...) une forme apparemment
simplifiée d'organisation apparait. È (Moreno,2004:138) 40
Ainsi, la communication est un système
autopo ·étique, i.e. qui s'auto-produit, s'auto-organise et
s'auto-régule, en fonction d'éléments qui lui sont
intérieurs. Nous avons vu que l'organisation dans le système est
effectuée par un contrôle d'informations par feedback, ce feedback
étant devenu au travers de la seconde cybernétique le concept
d'autorégulation. Nous allons voir cette autorégulation plus en
détails à travers son application au système
communicationnel.
40 On retrouve cette idée dans la littérature
sur la schizophrénie la déÞnissant comme pattern de
communication résultant non plus d'un choc ponctuel mais de la
répétition d'interactions Ç
schizophrénogènes. È Voir notamment Watzlawick (1972) et
Bateson (1977-1980)
Nous reviendrons sur cette idée dans le troisième
chapitre du présent travail.
B.3.2. Rétroaction et autorégulation
Ainsi, comme le disait Poty (2006:182), Ç la
communication est un jeu qui trouve en lui même son équilibre.
È Cet équilibre se maintient par un contrôle en retour de
la production du système. Ce contrôle est appelé
rétroaction ou feedback dans la première cybernétique, et
s'est précisé pour devenir autorégulation dans la seconde
cybernétique. Nous verrons ici ce qu'est le feedback et la
précision qu'apporte le concept d'autorégulation.
Le processus de feedback, selon la définition
première qu'en donne VonBertalanffy (1973:164-176) est le Ç
processus circulaire dans lequel une partie de l'extrant (output) est reconduit
dans l'intrant (input) en tant qu'information sur le résultat
préliminaire de la réponse : le système est ainsi
auto-régulé ; ceci au sens du maintien de certaines variables ou
du guidage vers un but choisi. È Ce processus permet à l'agent
producteur de recevoir de l'information sur les effets de sa production. En
d'autres termes, un contrôle est effectué sur le système
par transformation d'une partie de l'output en informations devenant nouvel
input :
Output
Input informatif
Schéma traditionnel de la rétroaction Tout
output créé une nouvelle information sur lui-même devenant
input.
Il existe deux types de rétroactions, la
rétroaction négative et la rétroaction
positive41. Nous verrons d'abord la rétroaction
négative. Celle-ci Ç réduit l'écart de ce qui sort
par rapport à la norme fixée È (Winkin,2000:26) i.e.
réduit la déviation, le jeu qui pourrait exister lors de la
communication, par une série de corrections successives
41 Les termes anglais, peut-être plus parlants,
étant respectivement Ç deviation counteracting feedback
È et Ç deviation amplifying feedback È
afin d'arriver à la stabilité du système.
On peut parler de convergence, oü la rétroaction permet de faire
converger l'output effectif et l'output défini par la norme du
système. La rétroaction positive a l'effet inverse, puisqu'elle
augmente l'écart entre l'output effectif et l'output défini par
la norme, provoquant une situation d'asymétrie, oü Ç la
même information agit comme une mesure de l'amplification de la
déviation de ce qui sort. È (ibid)
La transposition de ce phénomène au
système communicationnel se doit d'apporter des modifications dans la
définition de la rétroaction. Comme nous l'avons vu, les
interlocuteurs communiquent sur des stimuli appartenant à leur
environnement cognitif, c'est-à-dire qu'en tant que système
autonome, la communication ne se fait pas par l'environnement mais sur
l'environnement. La communication est un échange par production
d'informations sur les stimuli et non pas un échange
par les stimuli. Étant donné que fondamentalement, un
modèle de rétroaction permet à l'agent qui produit de
recevoir un retour d'information sur sa production, toute rétroaction
dans le système communicationnel, étant retour d'informations,
est un nouveau stimulus manifeste. La communication est donc
foncièrement cybernétique, à savoir qu'un output est
nouvel input sans changement de statut42. En d'autres termes, il n'y
a pas de transformation d'un partie de l'output en nouvel input,
l'output est un nouvel input, ce qui permet une autorégulation
plutôt qu'une rétroaction.
Nous avons vu que la rétroaction permet un
contrôle du système par régulation de la déviance
par rapport à la norme. Mais étudier le système
communicationnel rend le schéma basique de la cybernétique
inadapté. En effet, on constate que le schéma basique n'est que
le schéma de la théorie de la transmission auquel une boucle de
retour est ajoutée. Or, nous avons vu dans le premier chapitre de ce
travail que nous ne pouvons pas utiliser ce schéma dans une étude
de la communication. C'est pourquoi nous préférerons
l'utilisation du concept d' Ç autorégulation È
plutôt que rétroaction, pour renoncer à l'idée d'une
action en
42 A l'inverse d'un système cybernétique comme
le thermostat, dans lequel l'output est une production de chaleur et l'input
une information sur cette chaleur, l'output et l'input n'ayant donc pas un
même statut, la communication est un système oü le statut de
l'output et celui de l'input reste inchangé.
retour par boucle sous-tendu par la rétroaction et adopter
un concept sous-tendant l'idée d'une régulation autonome par
production continue d'informations.
Nous ne remettons pas en cause la nécessité d'un
contrôle du système, permettant à un interlocuteur
d'évaluer la pertinence de sa production. Un interlocuteur souhaite, par
la communication, une mise en commun avec l'Autre. Cette mise en commun, pour
être optimale, doit passer par une pertinence maximale. Un interlocuteur
doit ainsi pouvoir juger de la pertinence de sa production, et ajuster au fil
du temps sa production en fonction de la déviation par rapport à
la norme et sur lequel il est informé. Comme nous l'avons vu, les
interlocuteurs ne partagent pas de savoir mutuel sur le monde, mais chacun
possède un ensemble d'hypothèses sur le monde et sur l'Autre.
Ainsi, afin d'optimiser au maximum la communication, le système doit
leur permettre d'infirmer ou de confirmer leurs hypothèses, par
régulation temporelle, puisque Ç l'ensemble des agents fait des
erreurs dans la perception de l'environnement et ne corrige les erreurs qu'avec
le passage du temps. È (Viviani,1994:111) Cependant,
l'autorégulation du système communicationnel permet un
contrôle à travers le temps qui n'existe pas dans le schéma
traditionnel de la rétroaction. En effet, le système est un
système autonome et donc contrôlé par des règles qui
lui sont propres, et à la différence de la rétroaction,
l'autorégulation sous-tend l'idée que la norme n'est pas
dictée par un agent extérieur au système, mais bien par le
système lui-même, et pour lui-même, ce que nous retrouvons
dans le système communicationnel : la norme, et donc la déviance,
est dictée par des règles générées par et
pour le système.
Tout output étant un nouvel input sans modification de
son statut à l'intérieur du système autonome,
l'autorégulation permet donc l'existence de métacommunication par
information sur l'information, processus fondamentalement
autorégulateur, afin de faire face à
l'imprédictibilité inhérente au système, que nous
allons voir dans la partie suivante.
B.3.3. L'imprédictibilité
La communication, même existant dans des conditions
optimales, a une probabilité d'échec. Nous allons voir ici que,
aux vues des propriétés du système et de ses
éléments, cette probabilité d'échec est
inévitable. Nous avons déjà abordé à
plusieurs reprises qu'il existe une imprédictibilité due au fait
que le système communicationnel ne peut en aucun cas être
considéré comme un système traitant des informations
absolues, ceci étant dU au fonctionnement inférentiel des
processus cognitifs humains utilisés lors de la communication. Ce qui
affecte le système cybernétique, puisque l'autorégulation
s'en trouve touchée dans sa nature : le contrôle effectué
dans le système n'est pas un contrôle par information absolue,
mais une nouvelle hypothèse. Nous verrons dans la dernière partie
de ce chapitre en quoi l'identité du système joue sur son
imprédictibilité.
L'imprédictibilité est une
propriété des systèmes dynamiques nondéterministes,
c'est-à-dire les systèmes dans lesquel à un moment
donné T, il est impossible de prédire de façon certaine
quel sera l'état du système à un moment ultérieur
à T. Pour ce type de système, l'évolution est
non-linéaire, c'est-à-dire qu'elle ne suit pas une
périodicité et encore moins un Ç trajet È qui
serait Þxe, oü chaque effet relèverait d'une certaine
proportionnalité aux conditions de T. Dans ces systèmes, un
changement minuscule sur une de ses conditions à un temps T pourra avoir
des conséquences gigantesques imprévues à un temps T', ce
sont des système oü Ç le fait de jouer modiÞe les
règles du jeu. È (Gleick,1989:46)
Le système communicationnel répond à ces
critères : tout nouveau Ç coup È redéÞnit le
jeu et toute déviation ou perturbation à un moment donné
pourra prendre des proportions insoupçonnées au moment de la
production de cette déviation. Ainsi, le statut inférentiel des
processus communicationels fait qu'il n'existe jamais de savoir mutuel absolu,
et de ce fait, toute communication est sujette à hypothèses et
donc à une possible déviation de la mise en commun des sens entre
interlocuteurs. Nous ne reviendrons pas sur l'inférence, point amplement
développé précédemment, mais allons voir dans cette
partie en quoi le statut autonome du système renforce l'activité
inférentielle et ipso facto l'imprédictibilité du
système.
Comme nous l'avons vu, le système communicationnel est
un système entièrement autonome : l'interaction avec son
environnement est informative. Nous avons également vu qu'il
était auto-référentiel, ce qui signifie que Ç le
système est basiquement un système d'observation de sa propre
utilisation. È (Roulland,2010:75) Ainsi, pour fonctionner, le
système autopo ·étique ne peut utiliser que ses propres
éléments, et de ce fait la communication ne peut fonctionner
qu'avec des patterns qui lui sont internes. Nous avons aussi vu que ces
patterns fonctionnent au travers de choix parmi un ensemble
d'hypothèses, lesquelles étant sélectionnées pour
leur probabilité la plus grande. Or, la probabilité de ces
éléments n'a pas de valeur quantitative, il nous est impossible
de choisir une échelle de 0 à 100 afin de définir ce qui
fait qu'une hypothèse est plus probable qu'une autre. Pour reprendre
l'exemple que nous avons utilisé dans la première partie des deux
amis en pleine discussion autour d'un verre, il est difficilement concevable
que l'homme qui reçoit face à son ami au verre vide fonctionne
sur des prémisses du type Ç Il y a 80 % de chances pour que mon
ami souhaite que je le resserve. È Cependant, il lui est possible de
juger qu'il est plus probable qu'il souhaite se faire resservir
(hypothèse A) plutôt que de rester le verre vide (hypothèse
B). Ainsi, il est capable de juger que A est plus probable que B, mais le choix
entre ces deux hypothèses n'est pas un choix quantitatif : c'est au
travers d'un jugement comparatif que s'exécute ce choix, en comparant
les hypothèses et en choisissant celle qui a plus de Ç force
»43 qu'une autre, celle-ci se définissant par l'histoire
cognitive et subjective d'une hypothèse chez un interlocuteur. Ainsi un
élément n'existe qu'en comparaison à l'existence de tous
les autres qui ne sont pas lui et se compare aux autres en fonction de sa
force, elle même relative et subjective44. Pour revenir
à notre point sur l'imprédictibilité, tout observateur
s'aventurant à vouloir prédire le système ne peut que
devenir partie de ce système, toute approche sur le langage ne peut
qu'utiliser le langage, et de surcro»t, cet interlocuteur ne peut
envisager le contrôle qu'en adoptant l'intérieur du
43 Selon Sperber et Wilson (1989:123-125), la Ç force
de nos hypothèse correspond à la probabilité qu'elles
soient vraies, (...) une représentation du degré de confirmation
d'une hypothèse n'(étant) jamais qu'une autre hypothèse,
(...) basée sur un jugement comparatif. È
44 L'opposition des deux types se fait ainsi : une comparaison
quantitative est objectivement gradable, ainsi nous pouvons dire que Rennes est
plus loin de Paris que de Nantes, et ce en donnant des chiffres précis
à l'appui, à savoir qu'il y a 250 km de plus pour aller à
Paris. Une comparaison qualitative, elle, nous permet de dire qu'un costume
nous va mieux qu'un autre, mais pas Ç à quel point È il
nous va mieux, une comparaison qualitative se base toujours relativement
à un autre élément de la classe.
système, puisque l'autorégulation est
gérée par le système seul selon un fonctionnement qui lui
est propre, en dehors de toute intervention extérieure. De cette
contrainte na»t l'imprédictibilité, car tout observateur,
s'il veut prédire de façon juste, doit prendre part au
système et donc au jeu des inférences et des hypothèses,
et inévitablement à un jugement de probabilité subjective,
ce qui le conduirait, fondamentalement et paradoxalement, à ne plus
pouvoir prédire.
Donc, aucune prédictibilité objective d'un
observateur extérieur ne peut exister, ce par le fait qu'aucun
observateur ne peut être extérieur au système. Admettons
donc cette contrainte d'intériorité et supposons qu'une
détermination intérieure au système veuille être
faite. Nous verrons ensuite en quoi le statut autonome du système
communicationnel dans son rapport à son environnement temporel renforce
son imprédictibilité et empêche cette détermination
intérieure.
Nous commencerons, par convenance logique et
méthodologique, par analyser le rapport au temps passé. Comme
nous l'avons développé plus haut, le sens donné dans une
communication est guidé par les hypothèses sur le monde de chaque
interlocuteur. Or aucun interlocuteur ne possède les mêmes
hypothèses sur le monde qu'un autre, le savoir mutuel n'existe pas.
L'expérience, et donc la mémoire des interlocuteurs diverge
immanquablement, ce qui les amène à donner des sens
différents aux signes. Comme le disent Sperber et Wilson (1989:32),
Ç chaque individu tend à développer un savoir qui lui est
propre. Des expériences de vie différentes produisent
nécessairement des savoirs différents. È
Poussons la réßexion plus loin et admettons un
instant qu'un des interlocuteurs possède un savoir absolu sur le
passé de l'Autre dans le temps présent. Malgré le lien
insécable qui existe entre le passé et le temps présent,
ce savoir sur notre passé est entièrement relatif,
c'est-à-dire qu'à tout moment d'interlocution, le passé,
par définition, n'est plus. Ce qui subsiste, c'est une perception
présente, relative à la situation de communication actuelle, de
manifestations passées du système, et donc elle-même
perception informationnelle de ces expériences passées. Ce sont
des informations sur le passé qui demeurent, informations qui, par
essence, ne sont pas absolues. En effet, comme le souligne Bateson (1980:55) :
Ç dans le présent, ne subsistent que des messages relatifs au
passé, c'est cela que nous nommons souvenirs et cela,
nous pouvons à chaque instant les recadrer et les moduler. È
Qui plus est, l'inférence présente se base sur
des informations anciennes relatives, mais cette relativité existe
également pour toute information nouvelle. En effet, bien que partageant
un environnement potentiellement communément manifeste, il est
impossible de prouver catégoriquement que la perception sensorielle de
l'environnement direct du système est semblable chez tous les
interlocuteurs. Il semble au contraire qu'il soit logique d'adopter l'optique
que la perception sensorielle est subjective et donc relative à
l'individu qui a cette perception.
EnÞn, le système communicationnel étant
indépendant du système temporel, le premier se trouve être
entièrement imprédictible sur le long terme. Le futur, de nature,
n'est pas un état obtenu mais un ensemble de possibles. Très
schématiquement, imaginons une communication oü un interlocuteur
veut partir du point A pour arriver au point Z. Pour cela, il imagine une
chaine partant de A pour faire inférer B, de B pour faire inférer
C, et ainsi de suite jusqu'à Z. Cependant, nous savons qu'aucune
communication n'est absolue mais hypothétique, et que l'interlocuteur ne
possède aucune certitude d'arriver à amener l'Autre à B,
ni même à C, etc. Il est probable qu'apparaisse une
déviation, une perturbation qui amènera l'Autre à
inférer B', ensuite C", et ainsi de suite sans peut être que
l'interlocuteur n'arrive à son but Z.
Cette imprédictibilité sur le long terme est une
expérience courante, théorisée depuis le
développement par John Locke de la notion d' Ç association des
idées È, qui correspond au phénomène que nous
rencontrons lorsque dans une conversation nous nous retrouverons à un
stade de la conversation, auquel, après coup, nous n'aurions jamais
envisagé pouvoir arriver.
C. Jeux et enjeux
Ç Je me demande si je ne suis pas en train de jouer
avec les mots. Et si les mots étaient fait pour ça
?È Boris Vian, Les bâtisseurs d'empire.
Nous avons vu jusqu'ici que la communication était un
système, fonctionnant sur le principe d'une recherche de pertinence
optimale à laquelle coopèrent les interlocuteurs, cette
pertinence permettant une économie cognitive et un bon
déroulement de la mise en commun qu'est la communication.
Non-linéaire et imprédictible, le système
ne peut atteindre la pertinence optimale de façon continue, et au
contraire avance par Ç bonds È d'un état
d'équilibre à un autre, passant pas des stades de
déséquilibre. Or comme nous le dit Bateson (1980:45) Ç
l'erreur est toujours psychologiquement coUteuse È, et de ce fait il y
aura toujours un gain, inévitablement subjectif et relatif, à
éviter ces erreurs. C'est à ce niveau qu'intervient la
théorie des jeux. La théorie des jeux est Ç l'étude
du comportement rationnel des individus en situation de
conßit45 È, c'est-à-dire l'étude des
décisions rationnelles d'individus se trouvant dans des situations de
choix les menant à des gains. Plus particulièrement, la
communication est une situation de jeu coopératif évolutionnaire,
coopératif car il est un jeu dans lequel les interlocuteurs peuvent
s'accorder, se coordonner sur la stratégie rationnelle optimale
maximisant leurs gains et évolutionnaire car les joueurs adaptent leur
comportement tout au long du jeu en fonction de l'histoire de ce dernier.
Ainsi, le jeu est rythmé par des décisions rationnelles prises
par les individus. Une décision est dite rationnelle lorsqu'elle
maximise les intérêts de la personne qui la prend. Dans le cas de
la communication, la rationalité est collective, c'est-à-dire que
l'intérêt de chacun est de maximiser le gain de tous. Cette
optimisation du gain collectif est obtenue via la coopération pour
l'atteinte de la pertinence maximale, c'est-à-dire pour l'atteinte d'un
équilibre.
C'est cet équilibre et la régularité qui
en découle que nous verrons dans la première partie. Nous verrons
ensuite en quoi cet équilibre, obtenu par coopération et
raisonnement par régulation d'erreur(s), autrement dit par
équilibrage, peut être source de jeux à d'autres niveaux,
à savoir source de créativité et
d'interférences.
45 Un conflit existe sous trois conditions : tout joueur peut
influencer l'issue du jeu, aucun joueur ne peut contrôler
unilatéralement le jeu, et chaque joueur apprécie
différemment les résultats possibles. (Petit-Robin,1998) Cette
situation de conflit correspond aux conditions de la communication.
C.1. Le jeu régulier
C.1.1. L'équilibre en communication
Ainsi, nous avons posé que les interlocuteurs
coopèrent pour une recherche d'équilibre. Un équilibre
appara»t dans le système lorsque tous les interlocuteurs sont
subjectivement dans une position de pertinence optimale, i.e. une situation
dans laquelle les gains de tous sont maximisés.
Avant de voir ce qui caractérise cet équilibre,
nous verrons ce qu'il convient d'appeler gain. Lorsqu'il communique, un
interlocuteur produit afin d'amener l'Autre à une certaine conclusion
suite à une compréhension inférentielle, en d'autres
termes, il cherche à l'amener à trouver du sens dans sa
production. De plus chacun souhaite que la communication s'effectue à
travers une pertinence optimale obtenue lorsque l'économie cognitive est
maximale dans les limites de l'efficacité du système. Ainsi, nous
pouvons considérer qu'un interlocuteur maximise ses gains lorsqu'il peut
faire preuve d'une économie cognitive maximale, c'est-à-dire une
configuration dans laquelle il peut faire l'économie d'efforts qui
seraient inhérents à des expériences d'essais-erreurs,
expériences dans lesquelles il produirait et comprendrait un surplus de
signes et/ou dans lesquelles il devrait rectifier une insuffisance
sémiotique antérieure.
Cependant, nous avons vu que la communication est une mise en
commun durant laquelle les individus coopèrent au bon
déroulement, ce qui fait du système un jeu coopératif dans
lequel les décisions rationnelles des protagonistes ne sont pas faites
dans le but de maximiser les gains individuels, mais dans celui de maximiser
les gains collectifs, c'est-à-dire que l'augmentation du gain de chacun
ne se fait qu'au travers de l'augmentation du gain collectif. Ainsi, le gain
est maximal lorsque pour être efficace, chacun fait preuve d'une
économie cognitive optimale. C'est pour cela que nous avons
envisagé la définition de la pertinence à travers une
recherche d'une économie maximale dans la limite de l'efficacité
du signe : un interlocuteur ne cherche pas à maximiser ses gains
personnels, auquel cas il lui suffirait d'optimiser son économie
cognitive individuelle au maximum, ce qui
cependant lui ferait prendre le risque de compromettre
l'efÞcacité générale du système. Au
contraire, cette économie doit se faire relativement aux limites
d'efÞcacité du système, c'est-à-dire que le gain
individuel gr%oce à l'économie cognitive doit se faire dans la
limite oü cette économie reste assez efÞcace pour maximiser
le gain collectif. Pour résumer, une situation de pertinence optimale,
visée par les interlocuteurs, est une situation de gain maximal qui
n'apparait que lorsque chacun fait preuve d'une économie cognitive
relativement maximale, à la condition qu'aucune économie
cognitive ne compromette l'efÞcacité générale du
système.
En d'autres termes, le jeu communicationnel a pour but
d'arriver à une situation oü la communication est optimalement
pertinente pour l'ensemble des interlocuteurs engagés dans le
système, c'est-à-dire oü chacun maximise ses gains. Cette
situation correspond à ce qu'il convient d'appeler un Ç
équilibre de Nash È, équilibre correspondant à une
situation dans laquelle Ç aucun joueur ne peut obtenir un gain
supplémentaire en changeant unilatéralement de stratégie.
È (Eber,2004:16) C'est cet équilibre qui est visé en
communication. Nous pouvons considérer que la communication atteint son
équilibre lorsque la mise en commun se fait de façon optimale,
c'est-à-dire que chaque interlocuteur infère du sens depuis les
productions de l'Autre dans une économie cognitive relativement
maximale, et donc une situation dans laquelle tous les interlocuteurs sont
subjectivement en position de pertinence maximale et dans laquelle changer de
stratégie unilatéralement ne permettrait pas d'augmenter leurs
gains. Il est important de souligner que le gain n'est pas individuel mais
collectif. Ainsi, un équilibre de Nash en jeu coopératif comme la
communication est atteint lorsqu'aucun des protagonistes n'a possibilité
d'augmenter le gain collectif via un changement unilatéral,
c'est-à-dire qu'un interlocuteur pouvant augmenter son gain personnel au
détriment du gain collectif ne ferait pas tendre le système vers
une position d'équilibre mais au contraire vers une position de
déséquilibre, la recherche d'une augmentation de gain individuel
par augmentation de l'économie cognitive individuelle se ferait au
détriment du gain collectif et donc au détriment de
l'efÞcacité du système. En d'autres termes, il ne serait
plus pertinent.
Mais cet équilibre, bien que visé, ne peut
être obtenu continuellement tout au long de la communication. En effet,
les interlocuteurs sont dans un système
inférentiel et donc dans lequel ils ne peuvent pas
juger par avance de la pertinence des signes, ce qui les amène à
coopérer pour limiter au maximum les successions d'essais-erreurs,
l'économie de ces erreurs représentant un gain. C'est pourquoi
l'atteinte de l'équilibre se fait par un processus de tâtonnement,
c'est-à-dire par paliers de déséquilibre marqués
d'essais et d'erreurs auto-régulés au travers d'une
coopération dans la recherche de l'équilibre. Dans toute
situation communicative, le processus de rétroaction permet de juger de
la justesse du choix de la stratégie de communication dans la
visée de l'augmentation du gain collectif. En effet, avant d'obtenir
l'équilibre de Nash, le système passe par des situations de
déséquilibre, dans lesquelles les interlocuteurs peuvent
subjectivement changer la stratégie adoptée pour augmenter la
pertinence de la communication. C'est le statut autorégulateur du
système qui permet aux interlocuteurs de juger de la pertinence de
chaque signe, et donc de pouvoir juger si ce signe est celui qui augmente le
gain collectif. Ainsi, le système est capable de
s'auto-équilibrer en situation de déséquilibre. C'est
cette situation d'équilibrage qui est créatrice de nouvelles
formes de jeux, que nous verrons dans les deux dernières parties de ce
travail. Avant, nous verrons le statut de l'équilibre sur un plan
macroscopique, ainsi que l'enferment que sous-tend ce statut.
C.1.2. La régularité
Malgré des configurations toujours renouvelées
et uniques de communications, il est indéniable qu' Ç en
dépit d'expériences linguistiques différentes, les enfants
élevés dans une même communauté finissent par
utiliser des grammaires très semblables. È
(Sperber&Wilson,1989:30) Ainsi, malgré le trouble de
l'imprédictibilité présent dans l'expérience
ponctuelle et microscopique d'une séquence de communication, une
certaine régularité émerge au niveau macroscopique. Cette
régularité est nécessaire à la
pérennité et à l'efficacité du système
communicationnel. Si le système ne présentait pas une certaine
récurrence, il serait impossible à l'ensemble des utilisateurs du
système de l'utiliser de façon optimale. En d'autres termes, il
est indispensable que les interlocuteurs utilisant un même système
de communication partagent une certaine norme afin de pouvoir communiquer, dans
le cas contraire la communication ne serait qu'un amoncèlement hasardeux
de signes aléatoirement produits possédant une certaine
probabilité (quasi-nulle) de pertinence. Sans normes, l'atteinte d'un
équilibre ponctuel ne pourrait être appris et ne permettrait pas
l'utilisation future d'un sens pertinent afin de faire face à des
situations communicationnelles nouvelles, avec le même interlocuteur
et/ou avec les autres interlocuteurs utilisant la même norme.
La régularité du langage est un jeu particulier.
Dans notre conception de la communication, ce ne sont pas les règles qui
font le jeu, mais le jeu qui fait les règles. C'est par habitude qu'un
signe devient sens, qu'un sens devient régularité, et par
régularité qu'il devient règle, et non pas l'inverse. La
régularité dans le langage existe bien avant la
norme46, puisque c'est la norme qui décrit ces
régularités, elle ne les impose pas. La transformation
diachronique de l'utilisation d'un signe ne se fait pas par imposition d'une
règle, mais bien par utilisation et habitude, un signe ne se
créant ou ne disparaissant pas du système par décret mais
bien par usage, devenant désuet non pas parce qu'une règle en
décide, mais bien parce que son usage dispara»t.
46 Notre conception considère normes et règles
comme synonymes.
C'est pourquoi la conception que nous faisons de la
théorie des jeux se doit d'être précisée. En effet,
selon la conception canonique de la théorie des jeux, notamment celle
développée par Von Neumann, les joueurs sont envisagés
comme de simples Ç supports rationnels È pour l'étude du
déroulement de règles logiques. Un programme différent,
développé par Borel, prend l'optique inverse en partant de
l'étude du comportement des joueurs. En d'autres termes, cette seconde
conception part du comportement des joueurs pour définir les
règles et non pas des règles pour définir le comportement
des joueurs. Les règles ne sont plus dictées, au contraire
Ç les joueurs transforment les données dont ils disposent sur le
jeu pour construire un monde mental de ce jeu. È (Schmidt,2007:61) En
effet, les règles du jeu communicationnel ne sont pas dictées,
elles sont une construction normative basée sur la
régularité macroscopique de la fréquence d'usage d'un sens
au niveau de la globalité du système. C'est cette conception que
nous suivrons47.
Ainsi, le jeu en tant que règle renvoie à une
représentation macroscopique de l'ensemble des situations
d'équilibre de Nash, c'est-à-dire l'ensemble des patterns
pertinents qui existent dans la mémoire du méta-système
communicationnel. En effet, comme nous l'avons vu, les interlocuteurs ont tout
intérêt à éviter des situations d'erreurs, et donc
à apprendre et répéter des situations d'équilibres,
c'est-à-dire des situations ponctuelles de pertinence optimale ayant
permis un accord sur un sens, c'est ainsi que Ç les joueurs se trouvent
amenés à construire leurs règles sur la base de quelques
principes communément admis. È (Schmidt,2005:177)
Nous avons vu que le jeu communicationnel était un jeu
évolutionnaire, à savoir un jeu dans lequel les joueurs adaptent
leur comportement en fonction de la connaissance qu'ils ont de l'histoire du
jeu, ce comportement permettant de déduire des situations passées
celles qui seront les plus avantageuses. De ce fait, en communication, les
interlocuteurs peuvent tirer au moment T des conclusions tirées de leurs
expériences historiques de communication afin de pouvoir
sélectionner le comportement ponctuel qui sera le plus adéquat
pour tirer un maximum de gain de la situation actuelle. Ainsi, il ne leur est
pas avantageux de se représenter les situations de
déséquilibre au niveau macroscopique de la
régularité, mais au contraire, pour
47 Pour un développement plus approfondi de la
différence entre ces deux conceptions, voir Schmidt, 2007
une pertinence présente optimale, les utilisateurs du
système, sur le long terme, ne considèrent comme constitutifs du
système, et donc comme régularité, que les utilisations de
sens effectivement pertinents, au détriment des sens non pertinents
entrainant une situation de déséquilibre. Pour résumer
cette idée, comme le dit Kawamoto (2011:351-352) :
Ç Parmi tous les éléments produits, c'est
seulement les éléments participant heureusement à
l'avancement de l'opération du système qui deviendront
éléments constitutifs de ce dernier. Les frontières de
l'ensemble des éléments constitutifs d'un système se
détermineront donc uniquement en fonction du maintien de
l'opération, de sorte que l'étendue de cet ensemble varie de
façon continue, d'autant que les éléments produits par le
système ne correspondent pas automatiquement à ceux qui
participent à l'opération de ce dernier. È
Ainsi, la régularité est un
méta-système représentant la tendance, la fréquence
macroscopique du sens des signes, ce que l'on appelle Ç l'attracteur
étrange È dans l'étude des systèmes dynamiques
non-linéaires. Un attracteur étrange est une forme, une tendance
vers laquelle un système dynamique tend, sans jamais l'épouser,
c'est une Ç trajectoire vers laquelle toutes les autres convergent (...)
sans jamais vraiment se joindre, sans jamais s'intersecter. È
(Gleick,1989:204&220) C'est de cette façon que se comporte la
régularité du système communicationnel. La norme
régulière d'un signe est l'attracteur étrange de ce signe,
c'est-à-dire la tendance du comportement d'usage vers lequel tend
l'ensemble des utilisations de ce signe, à différents niveaux
dans le méta-système communicationnel. Dans notre conception, la
règle devient méta-motif fractal n'existant que par
itérations de sous-motifs, c'est-à-dire qu'une forme
générale régulière fractale émerge de
l'itération de manifestations microscopiques turbulentes et
imprédictibles. Nous allons voir dans la partie suivante ce qui
caractérise cette nature fractale du système communicationnel, et
son impact sur l'approche du système.
C.1.3. L'emprisonnement fractal de la
régularité
Avant de venir à ce qui fait le caractère
fractal du système communicationnel, nous allons dans un premier temps
définir ce qu'est une fractale. Concept développé par
Mandelbrot (1989), une fractale est une figure géométrique qui
change selon l'échelle depuis laquelle on la considère. Imaginons
un instant que l'on cherche à savoir quelle est la longueur du contour
de la France. D'un point de vue macroscopique, la France est un hexagone et
donc possède une certaine longueur si l'on considère ses contours
à cette échelle. Si l'on se rapproche un peu, la France aura un
contour plus complexe, ce qui modifiera les mesures premières. Si l'on
continue de se rapprocher et qu'on imagine une mesure faite par un compas d'un
mètre, le contour se fera encore plus complexe et la longueur sera plus
longue, phénomène qui se reproduira si l'on prend un compas de
cinquante centimètres, et à l'inverse si l'on s'imagine regarder
la France depuis des milliers de kilomètres dans l'espace, la France ne
sera qu'un point48. Pour résumer, une figure fractale est une
figure dont la nature dépend de l'échelle d'observation
envisagée et dont le motif global dépend des sous-motifs qui la
constitue.
C'est ainsi que nous devons considérer le
système communicationnel, comme un méta-système comprenant
des sous-systèmes, eux-même comprenant d'autres
sous-systèmes, la norme étant un méta-motif tiré
d'une certaine régularité dans un ensemble de sous-motifs, et
dont la nature dépend de l'échelle d'observation choisie. Ainsi,
la régularité macroscopique en tant que norme de communication se
compose en fonction d'un ensemble de situations communicationnelles,
elles-mêmes composées d'un sous-ensembles d'interactions,
composées d'un ensemble d'individus, communiquant au travers d'ensembles
de signes, eux-mêmes composés d'ensembles de mouvements unitaires,
etc. Ainsi née la forme macroscopique du
48 Cet exemple est repris et adapté depuis Mandelbrot
(1989:20-42) et (1983:6) : Ç s'il s'agit d'une côte, raccourcir la
toise fait qu'on tient compte de "caps" et de "baies" de plus en plus infimes,
et que la longueur mesurée augmente È et Gleick (1989:142) :
Ç l'estimation de la longueur de la côte anglaise par un
observateur à bord d'un satellite sera inférieure à celle
d'un observateur parcourant ses criques et ses plages, qui, à son tour,
trouvera un résultat inférieur à celui d'un escargot
escaladant tous les galets. È
système considérée comme norme, motif
d'ensemble créé par l'itération de sous-motifs.
De fait, la nature du système communicationnel est
fractale. Cette nature fractale crée un mouvement paradoxal au sein du
système : alors que l'interlocuteur est créateur de la
régularité, il lui est impossible, à son niveau
microscopique, d'affecter le mouvement général du système,
en d'autres termes, la dynamique générale du système en
tant que norme est créée par les interlocuteurs mais il leur est
impossible de la contrôler. Comme le dit Von Foester (2006) :
Ç Les individus sont liés les uns aux autres
d'une part, ils sont liés à la totalité d'autre part. Les
liens entre les individus peuvent être plus ou moins "rigides", le terme
technique que j'emploie est "triviaux". Plus ils sont triviaux, moins, par
définition, la connaissance des comportements de l'un d'eux apporte
d'information à l'observateur qui conna»t déjà les
comportements des autres. Je conjecture la relation suivante : plus les
relations interindividuelles sont triviales, plus le comportement de la
totalité appara»tra aux éléments individuels qui la
composent comme doté d'une dynamique propre qui échappe à
leur ma»trise. Je conçois que cette conjecture présente
un aspect paradoxal, mais il faut bien comprendre qu'elle n'a de sens que parce
que l'on prend ici le point de vue, intérieur au système, des
éléments sur la totalité. Pour un observateur
extérieur au système, il va de soi que la trivialité des
relations entre éléments est au contraire propice à une
ma»trise conceptuelle, sous forme de modélisation. Lorsque les
individus sont trivialement couplés (du fait de comportements
mimétiques par exemple) la dynamique du système est
prévisible, mais les individus se sentent impuissants à en
orienter ou réorienter la course, alors même que le comportement
d'ensemble continue de n'être que la composition des réactions
individuelles à la prévision de ce même comportement. Le
tout semble s'autonomiser par rapport à ses conditions
d'émergence et son évolution se figer en
destin.È (nous soulignons).
De ce fait, les interlocuteurs se trouvent prisonniers de
règles du jeu qu'ils créent et entretiennent, sans pouvoir en
retour contrôler la dynamique de ces règles macroscopiques qui
Ç opèrent comme un code qui conditionne les comportements des
joueurs et façonnent les recommandations de la théorie des jeux.
Le code ainsi tiré des règles du jeu est le résultat de
leur interprétation par les joueurs. È (Schmidt, 2007:65) Toute
dynamique individuelle, ou toute situation de jeu49, ne pourra se
faire qu'en fonction et relativement aux règles du jeu, et toute
création ne pourra se faire que relativement à une norme, en
d'autres termes Ç la langue est en même temps en variation par
rapport à des codes établis et génératrice de
nouveaux codes È (Fortin, 2007:111), cette génération de
nouveaux codes, de nouvelles règles étant insaisissable du point
de vue de l'interlocuteur.
49 Nous verrons ces deux formes de jeu dans la deuxième et
troisième partie de ce chapitre.
Considérer la communication comme système
fractal permet d'expliquer deux points théoriques, l'un linguistique et
l'autre propre à la théorie des jeux.
Le premier point sur lequel la conception fractale du
système permet de revenir est la conception initiée par Saussure
(1916) d'une dissociation possible entre synchronique et diachronique, le
premier étant Ç ce qui se rapporte à l'aspect statique,
(...) prim(ant) sur l'autre, puisque pour la masse parlante il est la vraie et
seule réalité È (Saussure,1995:117&128), le
diachronique étant négligeable pour le sujet parlant, car pour
lui Ç la succession (des faits de langue) est inexistante, il est devant
un état. È (ibid:117) Ainsi la langue semble-t-elle
évoluer sans que ses utilisateurs ne puissent en saisir
l'évolution. Cependant, cette stabilité apparente est illusoire.
Comme nous l'avons vu le système est dynamique et donc en
perpétuel mouvement de renouvellement par auto-production. L'apparence
de stabilité est due à la nature fractale du système qui
engendre l'impossibilité pour l'interlocuteur de contrôler le
mouvement global du système. En d'autres termes, le changement durable
sur le long terme à l'intérieur du système ne se fait que
par une infinité de manifestations microscopiques perçues comme
insignifiantes, la forme fractale générale macroscopique ne
semblant pas être affectée par les changements microscopiques des
sous-motifs. Pour reprendre l'image de la mesure des contours de la France, un
changement microscopique comme la modification d'un cap ou d'une baie ne
changera pas la dimension d'une mesure macroscopique, ce qui laisse une
impression de statisme de la forme générale. Pourtant, si les
contours de la France devenaient système dynamique en mouvement constant
comme l'est la communication, c'est-à-dire si quelqu'un entreprenait de
changer tous les jours les caps et les baies, la forme générale
de la France donnerait toujours l'impression d'être statique à un
temps T, alors que le changement serait visible entre un temps T et un temps
infiniment supérieur à T. Le mouvement est le même pour les
règles du jeu en communication. De ce fait, la distinction entre
diachronique et synchronique n'est pas pertinente car aucun état
statique n'existe, le système est en continuel mouvement et
renouvèlement, le statisme apparent n'est que l'illusion de l'impossible
contrôle de la dynamique macroscopique du système fractal.
Cette forme fractale du système nous donne
également l'explication du postulat en théorie des jeux partant
des règles pour expliquer le comportement des joueurs, que nous avons
déjà abordé dans la partie précédente.
Ainsi, selon cette
conception, ce sont les règles qui expliquent le
comportement des joueurs. Les joueurs sont donc impuissants face à la
dynamique des règles, puisque créer une nouvelle règle
ponctuelle n'affecterait pas la norme macroscopique. Les interlocuteurs se
retrouvent ainsi prisonniers de, pour reprendre l'expression de Sapir, Ç
ce code, secret et compliqué, écrit nulle part, connu de
personne, entendu par tous. È (1967:46 cité dans Winkin,2000:64)
C'est pourquoi l'interlocuteur communique en répétant des
expériences apprises qui lui apparaissent comme règles et qui lui
semblent imposées, puisque s'il veut communiquer il ne peut
échapper à ces règles, et pourtant, ce sont ces
manifestations individuelles de communication, combinées à celles
de tous les interlocuteurs partageant la même norme, qui créent et
perpétuent ces règles qui lui semblent imposées.
Nous avons vu dans cette première partie ce qu'il
convenait d'appeler un équilibre, et en quoi cet équilibre
était créateur de régularité d'un point de vue
fractal. Cependant, cet équilibre n'est pas atteint continuellement, au
contraire, le déséquilibre est présent et le
système évolue au niveau macroscopique par paliers
d'équilibre en équilibre, passant par des phases de
déséquilibre durant lesquelles les interlocuteurs entreprennent
un processus d'équilibrage. Ce mouvement entre équilibre et
déséquilibre est un processus qui crée deux
nouvelles50 formes de jeux : le jeu en tant que production
volontaire de déséquilibre dans le but d'engendrer un processus
d'équilibrage méta-communicationnel qui sera créatif, et
le jeu en tant que déséquilibre involontaire, source
d'incompréhension et auquel le processus d'équilibrage viendra
remédier51.
50 Nouvelles car non considérées dans la
Théorie des Jeux
51 L'anglais possède deux mots distincts pour
séparer ces deux types de jeux : game et looseness.
C.2. Le jeu créatif
Ce type de jeu n'est pas considéré dans la
théorie des jeux classique, du moins pas en tant que solution du jeu.
Nous allons voir ici comment le jeu en tant que création de processus
d'équilibrage peut être utilisé afin d'augmenter le gain
collectif, c'est-à-dire en quoi la création d'une situation de
déséquilibre afin d'entrer en processus d'équilibrage est
le choix le plus rationnel maximisant la pertinence de l'échange.
Ce type de jeu renvoie à une facette de la
théorie des jeux appelée Ç ruse È, correspondant
à Ç l'aptitude à utiliser à son profit les
ambigu ·tés qui accompagnent toute règle du jeu et la
marge d'indétermination qu'elle laisse aux joueurs. La ruse consiste
pour l'un des joueurs à créer une asymétrie
d'informations à son avantage qui ne figure pas dans la structure
initiale du jeu. È (Schmidt,2007:61, nous soulignons) Le système
de jeu communicationnel, qui est notre sujet d'étude, n'est pas un jeu
à gain personnel, mais un jeu à gain collectif, ainsi la ruse
n'est pas source d'avantage ou de profit en tant que gain personnel, le profit
tiré de la ruse est utilisé en tant qu'avantage dans la
maximisation de la pertinence52, en d'autres termes, l'obtention
d'un état d'équilibre se fait par création d'une
asymétrie d'informations. Pour résumer, à l'inverse des
situations habituelles visant directement l'équilibre, ici, c'est le
déséquilibre qui est la solution pour l'atteinte de la
pertinence, i.e. si un interlocuteur veut que l'Autre obtienne le sens voulu
dans sa production, la solution la plus pertinente est de créer ce
déséquilibre.
Nous verrons ici les trois situations dans lesquelles ce jeu
en tant que déséquilibre est ce qui est visé dans
l'échange communicationnel : le jeu métacommunicationnel, le cas
du mensonge ainsi que l'usage stylistique.
52 Cela pourrait sembler contre-intuitif de considérer
que le gain reste collectif dans certains cas de communication comme par
exemple le cas du mensonge, oü l'on pourrait penser que le profit ne
revient qu'à un seul interlocuteur. Or, si un interlocuteur veut que son
mensonge fonctionne, il faudra que sa communication soit pertinente, et donc,
selon notre définition, que le gain maximal soit collectif. Nous
développerons cela par la suite.
C.2.1. Le jeu méta-communicationnel
Une des premières causes de jeux volontaires est celle
du jeu utilisé afin de méta-communiquer, c'est-à-dire
l'utilisation du jeu pour communiquer sur la relation et non de l'information.
La création Ç d'asymétrie d'informations È a pour
but ici de faire changer le plan sur lequel communiquent les interlocuteurs.
Comme le souligne Gardiner (1989:24) : Ç dans bon nombre de cas, on ne
parle de rien en particulier. È Ainsi, nombre de communications ont une
finalité relationnelle plutôt qu'informationnelle, ce qui fait du
langage humain un système bien particulier. En effet, Ç la
communication humaine se distingue justement des autres formes de communication
par le fait qu'elle n'a pas nécessairement comme finalité
l'information È au contraire, dans nombreux cas Ç le langage
ayant une fonction de socialisation, le jeu et le contact sont essentiels et
ont le pas sur l'information. È (Yaguello,1981:15&26) Cette fonction
méta-communicative, en tant que communication sur la relation
interactionnelle, est permise par le jeu créatif, qui permet aux
interlocuteurs d'exprimer deux sortes de relations : la confirmation ou
l'annulation de l'interaction.
Ainsi, Ç dans la vie courante, une bonne partie des
échanges n'ont d'autres fonctions que d'assurer le contrat social.
È (ibid,26)53 Dans ce type de communications, il y a
asymétrie d'informations en ce sens que si l'on se réfère
au strict contenu de l'échange, il pourrait sembler soit composé
de trop d'informations, soit vide de tout contenu, et de ce fait non pertinent
d'un point de vue informationnel. La fonction de ce type de communication se
trouve ailleurs, dans l'établissement et/ ou la confirmation de la
relation sociale, c'est pourquoi les interlocuteurs sont mal à l'aise
lorsqu'un vide appara»t dans une interlocution, et pourquoi les
conversations ordinaires regorgent dans leur majorité de sujets qui
pourraient à première vue sembler dénués
d'intérêt, ou encore pourquoi il est incorrect d'envisager la
communication comme simple expression d'une pensée. Ainsi, lors d'un
d»ner de famille, les anecdotes d'un membre servent-elles vraiment
à communiquer une information sur quelque chose ou le but n'est-il pas
d'affirmer et de confirmer le statut
53 Nous ne reviendrons pas sur les théories
développées dans la première partie, mais nous
rappellerons que certaines spéculations théoriques envisagent que
le langage a pour origine cette création de contact social. Voir
notamment Gardiner (1989:7)
social familial dans lequel sont engagés les
interlocuteurs ? Lorsqu'une épouse rentre chez elle et raconte sa
journée à son mari, cherche-t-elle vraiment à ce que
celui-ci trouve de l'intérêt dans ces informations sur des
personnes qu'il ne conna»t pas ou l'intérêt de chacun se
porte-t-il dans une confirmation de la relation sentimentale qui existe entre
les deux ? Nous pourrions trouver nombreux autres exemples comme ceux-ci et
dans chacun nous dirions que la production communicationnelle para»t non
pertinente si nous n'envisageons pas que l'équilibre puisse se faire au
niveau méta-communicationnel. En d'autres termes, si nous devions
considérer la communication uniquement au sens strict, i.e. à son
premier niveau, ce type de jeu serait créateur de Ç non
informationÈ, en ce sens que ces communications sont non pertinentes si
nous ne considérons que le niveau informationnel de la communication.
Il existe une seconde configuration dans laquelle ce jeu
métacommunicationnel est utilisé comme processus de
création d'un déséquilibre de premier niveau pour
engendrer un mécanisme d'équilibrage de second niveau. Comme nous
l'avons vu dans l'introduction, il est impossible de ne pas communiquer. Que
reste-t-il donc à un interlocuteur qui ne souhaite pas s'engager dans la
relation nécessairement sous-tendue par une interaction ?
Watzlawick (1972) développe trois issues possibles
à une situation dans laquelle un interlocuteur A souhaite interagir
alors que l'autre B ne le souhaite pas. La première solution pour B est
le Ç rejet È de la communication, c'est-à-dire la
signification explicite de ce refus, ce qui est une solution contraire aux
normes de bienséance, et qui engagerait malgré tout les
interlocuteurs dans une forme de relation car rejeter explicitement la
communication revient à communiquer, le rejet de l'interaction est donc
la création d'une forme d'interaction. La seconde solution est
d'accepter la communication, de se résigner à interagir, ce qui
pourra créer chez l'interlocuteur s'y résignant un sentiment de
regret et/ou de faiblesse. La dernière solution, et c'est celle qui nous
intéresse plus particulièrement ici, est Ç d'annuler
È la communication, une situation dans laquelle Ç la
manière de communiquer frappe de nullité sa propre communication
ou celle de l'autre. L'annulation recouvre toute une gamme de communications :
contradictions, incohérences, ou bien changer
brusquement de sujet, prendre la tangente, ou bien phrases
inachevées, malentendus, obscurité du style ou maniérisme
du discours, interprétations littérales de la métaphore et
interprétation métaphorique de remarques littérales, etc.
È (1972:75) Cette situation est intéressante pour notre propos,
car elle correspond à une situation dans laquelle l'interlocuteur veut
créer un déséquilibre qui sera impossible à
équilibrer d'un point de vue communicationnel : c'est d'un point de vue
méta-communicationnel que ce type d'échange trouvera son
équilibre et donc sa pertinence. En d'autres termes, l'interlocuteur
utilisant ce processus crée volontairement du jeu en tant
qu'asymétrie d'informations, afin que ses formes de communication ne
soient pas pertinentes pour l'Autre, en créant une forme de
communication dont Ç le résultat à toutes les chances
d'être un pur et simple charabia È (ibid,77), c'est-à-dire
des productions dans lesquelles l'Autre n'arrive pas à donner de sens
d'un point de vue informationnel. Ainsi, en créant un
déséquilibre, l'interlocuteur B fait passer le processus
d'équilibrage à niveau métacommunicationnel, niveau dans
lequel les productions de celui qui annule la communication seront pertinentes
car elles communiqueront sur la communication, et plus particulièrement
sur le souhait du premier de ne pas être dans cette situation
communicationnelle.
Ainsi, dans ce type de communications, l'interlocuteur,
prisonnier d'une situation communicative de laquelle il ne peut
s'échapper, cherche à annuler la conversation en frappant sa
communication de nullité significative, un interlocuteur produit et ne
sous-tend pas la communication d'un sens, c'est-à-dire que ces signes
sont non pertinents au niveau communicationnel et à dessein sources d'un
déséquilibre qui sera équilibré une fois que
l'Autre trouvera le sens, et donc l'équilibre par pertinence, au niveau
méta-communicationnel.
C.2.2. Le cas du mensonge
Avant de venir à l'utilisation de ce type de jeu pour
permettre le mensonge, revenons un instant sur l'équilibre, et plus
particulièrement sur l'équilibre en situation de mensonge. Il
pourrait sembler contre-intuitif de considérer que le gain est collectif
en situation de mensonge, c'est-à-dire que celui qui ment utilise
l'asymétrie d'informations pour l'avantage collectif. Le gain pourrait
sembler individuel. Or, il n'en est pas ainsi selon notre définition de
l'équilibre. L'équilibre doit toujours être un gain
collectif : celui qui ment cherche à ce que l'Autre trouve du sens dans
sa production et donc qu'il la trouve pertinente, or nous avons vu que pour
être pertinente, une communication se doit d'atteindre l'équilibre
par maximisation du gain collectif. Ainsi, nous ne pouvons pas contredire qu'il
existe un certain gain, un certain avantage personnel trouvé par un
interlocuteur dans un mensonge, mais celui-ci est d'un ordre autre que
communicationnel (moral, sociologique, etc.) et donc n'intéresse pas
directement notre propos.
Le jeu en tant que ruse par création d'asymétrie
d'informations peut donc être utilisé par un interlocuteur afin de
mentir. Le mensonge est un choix communicationnel, conscient et
délibéré, d'un interlocuteur souhaitant tromper
l'Autre54. Un menteur est un Ç homme aux deux pensées,
celle qu'il tient pour fausse et qu'il déclare, et celle qu'il tient
pour vraie et qu'il tait, (...) (c'est-à-dire) le désir de
tromper en parlant contre sa pensée. È (Cavaillé,2004:96)
De ce fait, nous définirons le mensonge comme une communication
intentionnellement produite par un interlocuteur de manière à ce
que celle-ci contredise consciemment un pattern qu'il tient pour vrai dans son
environnement cognitif. Est donc considéré comme mensonge tout
signe qui est délibérément produit et qui va
volontairement à l'encontre des patterns tenus pour Ç vrais
È dans l'environnement cognitif de celui qui produit, en d'autres
termes, un interlocuteur qui ment connait la vérité.
54 Ekman,2009:28 : Ç A liar can choose not to lie.
Misleading the victim is deliberate; the liar intends to misinform the victim.
(...) One person intends to mislead another, doing do deliberately, without
prior notification of this purpose, and without having been explicitly asked to
do so by the target. È
Il existe deux types différents de mensonges : direct,
c'est-à-dire par falsification, et indirect, par
ambigu ·té, correspondant aux cas de tromperies. Nous allons
voir en quoi le jeu en tant que ruse est utilisé dans le second, et en
quoi le premier n'est pas un cas de jeu tel que nous l'étudions dans
cette partie.
Ainsi, la première configuration de mensonge est le
mensonge par falsification. Cette configuration est une configuration dans
laquelle l'interlocuteur présente des informations à l'Autre
qu'il sait délibérément fausses55. Nous ne nous
intéresserons pas à ce cas ici, car ce type de mensonge se fait
selon les mêmes règles qu'une communication dite Ç vraie
È : ce qui diffère ici est une notion de
vériconditionnalité, ce qui, comme nous l'avons vu auparavant,
n'a pas attrait à notre sujet. En d'autres termes, bien que possiblement
créateur d'un autre type de jeu, que nous verrons dans la
dernière partie, le mensonge par falsification n'est pas un jeu en tant
que ruse, il n'y a pas d'exploitation de l'ambigu ·té relative
aux règles du jeu communicationnel, mais bien une utilisation directe
des règles du système.
Le type de mensonge qui nous intéresse
présentement est le cas du mensonge comme tromperie, c'est-à-dire
le cas oü Ç il ne s'agit pas de tromper positivement autrui par des
signes faux (...) mais de lui dissimuler légitimement une information
à travers l'usage de signes qui ne sont pas faux, même si leur
effet est bien de tromper. L'intention première n'est donc pas de
tromper, mais de cacher la vérité. È
(Cavaillé,2004:97)56 Un interlocuteur usant de ce type de
ruse se trouve dans une situation dans laquelle il ment par utilisation d'une
ambigu ·té propre au système et à ses
règles. Ce type de jeu, permettant la création d'une
asymétrie d'informations, exploite la nature inférentielle, et
donc implicative et hypothétique de la communication. Comme nous l'avons
vu auparavant, la communication est production de signes et la
compréhension reconstruction d'hypothèses, d'implications dont
les signes sont les indices.
Cette nature inférentielle permet la tromperie de deux
façons : dans un premier temps, la tromperie peut jouer sur la
présomption de pertinence d'une production, et donc sur le fait que l'
Ç on peut être optimalement pertinent sans pour
55 Ekman,2009:28 : Ç (the liar) presents false
informations as if they were true. È
56 Également Ekman,2009,28 : Ç the liar withholds
some informations without actually saying anything untrue. È
autant être " aussi informatif que le demande les
objectifs de l'échange en cours " : si, par exemple, on garde pour soi
des informations dont la connaissance serait pertinente aux interlocuteurs.
È (Sperber&Wilson,1989:243) Ainsi, ce type de mensonge est possible
par la capacité d'être pertinent sans pour autant communiquer
l'ensemble des informations dont un interlocuteur dispose, c'est-à-dire
que lorsqu'un interlocuteur communique, l'Autre attend qu'il soit optimalement
pertinent, et donc enclin à fournir ce maximum d'informations.
Dans un second temps, la nature inférentielle du
processus communicationnel permet la tromperie par production de signes dits
Ç équivoques È, c'est-à-dire Ç toute
communication détournée, ambigu`, contradictoire, tangentielle,
obscure ou même évasive, qui n'est ni un message faux ni une
claire vérité, mais plutôt une alternative à
laquelle on a recours lorsque tous deux doivent être
évités. È (Bavelas&al.,1990:21 cité dans
Cavaillé,2004:106) La tromperie devient ainsi une production de signes
ambigu`s et polysémiques, permettant la création d'implications
trompeuses.
Ce type de mensonge est le plus courant dans la communication
et ce pour plusieurs raisons. Dans un premier temps, la tromperie est plus
simple que la falsification57. De plus, la tromperie n'est pour
certains pas considérée comme un mensonge58, elle est
du moins majoritairement vu comme moins répréhensible que la
falsification, ce qui permet d'éviter les dommages moraux
associés au mensonge direct. En effet, dans ce type de mensonge,
Ç l'intérêt majeur est de rendre le demandeur responsable
des inférences erronées et non le répondant, qui pourra
toujours se réfugier derrière le malentendu. È (ibid:109)
Malgré leur opposition flagrante, la falsification et la tromperie sont
toutes deux sources d'une troisième forme de jeu, que nous verrons dans
la partie 3 de ce chapitre. Avant, nous verrons comment le jeu en tant que ruse
peut être utilisé dans une troisième perspective.
57 Ekman,2009:29 : Ç when there is a choice about how to
lie, liars usually prefer concealing to falsifying, (...) it seems lees
reprehensible and is much easier to cover afterward. È
58 Ibid:28 : Ç not everyone considers concealment to be
lying. È
C.2.3. Le jeu ludique
Le dernier pan du jeu en tant que ruse comme création
volontaire d'asymétrie d'informations par exploitation de
l'ambigu ·té des règles est le jeu de langage tel qu'il
existe selon la définition première du jeu que nous pouvons
trouver dans un dictionnaire : Ç action de s'adonner à un
divertissement qui n'a d'autre but que le plaisir, la distraction, l'amusement.
È (Larousse,Dictionnaire de la langue fran caise,1992) De
nouveau nous nous retrouvons dans une situation oü le langage est
utilisé dans un but autre que le transfert d'informations, la
communication humaine possédant cette singularité qu'elle peut
être utilisée à des fins uniquement ludiques, fins dont les
manifestations sont nombreuses et dont nous ne pourrions faire une liste
exhaustive, néanmoins des exemples de ces jeux sont les Ç
calembours, rébus, charades, contrepets, bouts-rimés, comptines,
devinettes, mots-valises, mots croisés, anagrammes, etc. È
(Yaguello,1981:13) Ces ensembles de manifestations de jeu sont ce que Lecercle
(1996) appelle le Ç reste È, et qui renvoie à toutes ces
manifestations qui transgressent les règles, qui dépassent les
frontières des règles, oü ce n'est plus le locuteur qui
communique, mais oü le signe existe pour lui-même, résonant
en écho à sa propre nature.
Ce type de jeu de langage à but de divertissement, que
nous appèlerons par simplification jeu ludique, ne peut se
détacher de son rapport aux règles en tant que
régularité. Le jeu ludique est toujours joué en fonction
des règles régulières, il leur fait toujours écho,
exploitant l'ambigu ·té qui leur est propre pour les
transgresser, et c'est justement par cette nature ambig·e que le jeu
ludique est possible, c'est-à-dire que Ç jouer suppose qu'on
connaisse les règles et le moyen de les tourner en exploitant
l'ambigu ·té qui caractérise les langues naturelles ainsi
que la créativité qu'elles autorisent. È
(Yaguello,1981,13) La nature paradoxale des règles
régulières leur donne ce statut ambig·e : bien qu'elles
soient du fait de l'interlocuteur, il ne peut les contrôler et paraissent
imposées à lui, et inversement. Ainsi l'un est-il
inséparable de l'autre, comme le dit Yaguello (ibid,31) Ç le
propre du jeu est de conjuguer la turbulence et la règle, la
liberté et la contrainte È, le jeu ludique est indissociable des
règles régulières, la turbulence d'un jeu ludique d'un
point de vue microscopique n'est possible que par l'existence d'une certaine
constante macroscopique qu'il
enfreint, sans être capable de la bouleverser
complètement. Le jeu ludique, bien qu'au delà des
frontières des règles, reste du langage, i.e. Ç pour le
plus grand plaisir de (l'interlocuteur), des règles sont violées,
localement et temporairement, (...) le texte est néanmoins
reconnaissable à tous les niveaux de l'analyse : l'infraction est
localisée, sur fond de respect global des règles. È
(Lecercle,1996:11, nous soulignons)
De ce fait cette transgression des règles ne fait pas
du jeu ludique son opposé. Ainsi, tout jeu ludique, bien que
dépassant les frontières des règles, bien qu'appartenant
au Ç reste È, est toujours du langage, Ç au delà de
la frontière, il n'y a pas de chaos linguistique, il y a du langage
encore parfaitement intelligible. È (ibid:28) Les nonsenses de
Caroll ou de Lear sont ludiques de par le fait qu'intuitivement, ces
nonsenses sont du langage Ç malgré tout È, et se
doivent de rester du langage s'ils veulent être entendus.
Ainsi, l'interlocuteur usant du jeu ludique transgresse les
règles qu'il impose mais qui lui sont imposées, et
paradoxalement, de par la nature fractale des règles, les affirment en
les transgressant, et c'est dans ce paradoxe que le jeu trouve son
équilibre. En d'autres termes, le jeu ludique est possible de par
l'affirmation de son identité de jeu, méta-communiquant que les
signes ne sont pas à prendre Ç au pied de la lettre È mais
au contraire en tant que transgressions d'une règle. L'équilibre
est ainsi méta-communicationnel, le caractère ludique du jeu se
trouvant dans la reconnaissance de cette pertinence au second niveau. L'humour
d'un mot d'esprit n'existe que parce que l'Autre reconna»t son
identité en tant que jeu, un interlocuteur ne saisissant pas l'ironie ou
l'humour d'une communication d'un Autre mènera très vite à
une incompréhension et la nécessité d'autoréguler,
et à celui qui joue de produire des signes du type Ç c'est une
blague È.
Prenons pour exemple le procédé
littéraire que l'on appelle une annomination. L'annomination est un
processus consistant à Ç remotiv(er) un nom par
étymologie, métanalyse ou traduction. È (ibid:74) Ce
processus est prolifique en littérature, notamment lors de la nomination
des personnages : que faire de la gardienne d'orphelinat appelée Mme
Mann par Dickens ? Le lecteur ne sent-il pas derrière ce nom
l'incapacité du personnage à tout élan maternel ?
Même phénomène pour Mr Bumble, personnage se voulant de
grande classe mais dont le nom n'évoque au
lecteur qu'une amusante maladresse. Or, par quelle convention,
par quelle règle le lecteur peut-il se permettre d'interpréter
que Mme Mann renvoie au nom man et que Mr Bumble renvoie à
bumbling ou à to bumble around ? La convention, la
règle normative veut que le nom propre soit d'un total arbitraire.
L'auteur et le lecteur en viennent à ce Ç sens È du nom
propre par transgression de cette règle d'arbitraire, créant une
étymologie au nom propre qui expliquent les origines et la nature du
personnage. Il en va de même pour le jeu littéraire du mot-valise,
fusion arbitraire de deux mots afin de créer un néologisme. Du
poème Jabberwocky de Lewis Carroll dans Through the
Looking-Glass au pianocktail de Boris Vian dans
L'écume des fours, le jeu ludique du mot-valise force le
néologisme en exploitant et jouant avec la capacité du
système à créer ses propres éléments et
à les modifier.
Ainsi le jeu ludique est-il transgression ponctuelle et
microscopique d'une régularité macroscopique qui, de par sa
nature fractale, ne s'en trouve pas affectée. Tout du moins est-ce le
cas de la majorité des jeux ludiques, car il faut compter certains
exemples originellement jeux ludiques et devenus jeux réguliers.
Lecercle (1996:12) prend l'exemple de la phrase de Gertrude Stein Ç
a rose is a rose is a roseÈ, originellement jeu ludique mais
aujourd'hui devenue productive dans la langue anglaise. En
résumé, bien que ponctuelle, de par la nature
imprédictible du système, une forme de jeu ludique peut devenir
forme régulière si celle-ci se manifeste
régulièrement et se fait adopter par une communauté
parlante.
C.3. Le jeu interférant
Nous avons vu dans la partie précédente en quoi
le jeu pouvait être utilisé pour la ruse, c'est-à-dire en
tant que création volontaire de jeu. Nous nous interrogerons dans cette
dernière partie sur le jeu involontaire, sur l'incidence des limites
d'aptitudes, propres aux locuteurs mais non sujettes aux choix, dans l'optique
oü elles peuvent entrainer une situation d'asymétrie, une situation
de Ç déformation des messages produite par une divergence sur les
postulats qui régissent la production et la compréhension des
messages. È (Winkin,2000:131)
Nous verrons ici en quoi la mise en commun par confrontation
de sens peut amener des malentendus59 dans la compréhension
et des interférences dans la production, ces situations de divergence
renvoyant à une seconde définition de la notion de jeu, celle
définissant un Ç défaut de serrage, d'articulation entre
deux pièces d'un mécanisme. È (Petit Robert,2000)
Ainsi, nous analyserons ici les situations dans lesquelles les patterns de sens
diffèrent et entrainent des malentendus, puisque Ç si le contexte
utilisé par (un interlocuteur) ne correspond pas à celui
qu'envisageait (l'Autre), il peut y avoir malentendu. È
(Sperber&Wilson,1989:32)
Ces configurations communicationnelles sont des configurations
dans lesquelles les interlocuteurs ne jouent pas le même jeu, tout du
moins pas selon les mêmes règles, créant un certain
déséquilibre qui engendrera une nécessité
d'équilibrage. Comment deux locuteurs enclins à une recherche
d'équilibre par pertinence maximale peuvent-ils se trouver dans une
situation oü les signes produits interfèrent dans l'échange
? Quelles sont ces situations de Ç divergences de postulats È qui
amènent la communication à ne pas être pertinente ? Nous
verrons dans un premier temps l'interférence mineure, ou
conversationnelle et culturelle. Ensuite, nous aborderons la question du
mensonge, sous un angle différent de celui de la partie
précédente60. Enfin, nous envisagerons l'affect de
l'émotionnel et du pathologique dans la communication.
59 Selon la définition de Mizzau et Galatolo (2000,1),
un malentendu est Ç une divergence interprétative d'au moins deux
interlocuteurs et dont au moins un d'entre eux ne soit pas immédiatement
conscient. È
60 En d'autres termes, nous avons vu en quoi le mensonge peut
utiliser le jeu pour exister, dans cette partie, nous allons voir en quoi le
jeu peut se retourner contre l'interlocuteur mentant.
C.3.1. Le jeu conversationnel et culturel
Le premier cas, que nous appellerons jeu conversationnel et
culturel, correspond aux asymétries d'informations Ç dues
à la disparité des arrières plans
présuppositionnels, des expériences biographiques, (et/ou au fait
que) les locuteurs appartiennent à des communautés parlantes et
à des cultures différentes, asymétrie(s) qui
s'amenuise(nt) dans la confrontation des états de croyance. È
(Armengaud,1999:116) Ce sont des types de jeux, communément
appelés malentendus, qui peuvent être considérés
comme mineurs, puisque aisément régulables par
méta-communication sur les signes interférants.
La première manifestation de ce type de jeu correspond
à ce que nous appellerons le jeu conversationnel, premier pan de la
définition d'Armengaud citée plus haut. Ce jeu renvoie à
l'inévitable différence qui existe entre les mémoires des
interlocuteurs, c'est-à-dire l'inévitable altérité
des sens appris par chacun. Autrement dit, le sens d'un signe peut discorder
entre un interlocuteur et l'Autre, et donc l'interlocuteur produisant peut
envisager une compréhension par l'Autre qui dans les faits divergera de
celle prévue. Également, la déviation peut être
environnementale. En effet, Ç si le contexte utilisé par un
(interlocuteur) ne correspond pas à celui qu'envisageait l'Autre, il
peut y avoir malentendu. È (Sperber&Wilson,1989:32) Dans ces
configurations communicatives, il existe une différence entre
l'environnement effectivement utilisé par un interlocuteur et
l'environnement d'utilisation prévu par l'Autre. Enfin, un jeu
conversationnel peut trouver sa source dans la nature homonymique des signes
qui la compose, plus particulièrement et plus évidemment pour le
versant locutionnel des signes. Ainsi le signe peut-il être
utilisé pour renvoyer à plusieurs sens par le même
interlocuteur, ce qui interférerait à la compréhension
lorsque l'Autre envisagera le signe dans un sens différent de celui que
lui prête l'interlocuteur le produisant61.
61 Le mécanisme du jeu conversationnel dO à
l'existence de l'homonymie du signe reste somme toute équivalent au
mécanisme du jeu conversationnel dO à l'existence de sens
divergents d'un interlocuteur à un autre.
Ce type de jeu peut s'étendre à ce que nous
appèlerons jeu culturel. Plus qu'un nouveau type de jeu mineur le jeu
culturel est plutôt une continuité du jeu conversationnel. En
définitive, les pans qu'il convient d'appeler conversationnel et
culturel, plutôt que séparés et séparables,
représentent les deux extrémités, les deux bornes du
premier type de jeu, le jeu mineur. En effet, il est difficile de tracer une
frontière véritable entre le conversationnel et le culturel.
Comme le dit Gardiner (1989:50) :
Ç Le locuteur et l'auditeur (...) doivent, en fait,
parler la même langue, c'est-à-dire ne pas simplement s'exprimer
dans la même langue, mais aussi employer un vocabulaire
compréhensible par l'un et par l'autre. Un paysan français ne
vous comprendra pas si vous lui parlez en anglais, mais il ne vous comprendra
pas davantage si vous employez des mots comme psychanalyse ou
binôme, car ni le son ni le sens de ces mots ne lui sont
familiers. È
C'est ce domaine du rapport social qui rend floue la possible
séparation de l'appartenance ou non d'interlocuteurs à la
même culture. En effet, peut-on considérer qu'un ministre
français et un agriculteur français font partie de la même
culture ? Ë l'inverse, avec la globalisation des mass medias,
peut-on dire aujourd'hui qu'un américain et un européen font
partie de cultures totalement différentes et imperméables l'une
à l'autre ? La discussion sur ce sujet n'est pas de notre ressort, mais
de ce questionnement nous retiendrons que la séparation possible reste
floue, le tracé des frontières indécidable, c'est pourquoi
nous resterons dans une optique du jeu mineur existant sur un continuum allant
du conversationnel au culturel. La séparation se faciliterait si nous ne
considérions que le versant locutionnel des signes, cependant notre
étude porte sur l'ensemble des manifestations sémiotiques, et il
est indéniable que l'élocutionnel puisse avoir un
caractère transculturel, ce que fait remarquer Bateson (1980:126)
lorsqu'il s'interroge : Ç comment se fait-il que les systèmes
paralinguistiques et kinésiques des hommes appartenant à des
cultures qui nous sont étrangères, et même les
systèmes paralinguistiques des autres mammifères terrestres, nous
sont au moins en partie intelligibles, alors que le langage verbal des hommes
appartenant à des cultures étrangères nous est
complètement opaque ? È
Ainsi nous ne pouvons nier l'existence d'un jeu culturel,
inhérent à la rencontre d'interlocuteurs de Ç cultures
È différentes. Ë l'autre bout du spectre des jeux mineurs,
l'interférence peut se manifester sur toute forme de signes,
qu'ils soient locutionnels ou élocutionnels.
L'interférence locutionnelle émerge dans les cas de bilinguisme,
dans lesquels un interlocuteur communique avec un autre alors que les deux ne
partagent pas la même langue maternelle. De ce fait, l'interlocuteur
utilisant une seconde langue peut prêter à un signe un sens qui ne
Ç convient È pas ou calquer des structures de sa langue d'origine
qui ne conviendront pas à la structure de la langue utilisée.
Bien que potentiellement plus universels d'un point de vue statistique, les
signes élocutionnels peuvent souffrir du même jeu. L'utilisation
de signes élocutionnels diffèrent d'une Ç culture È
à une autre et sont d'autant plus sujets aux jeux que ces derniers ne
sont pas acceptés de façon entièrement conventionnelle, et
par exemple ne sont
pas enseignés lors des cours de langues
étrangères. Pour donner un exemple de cette divergence, l'index
et le majeur en forme de V est utilisé pour signifier Ç Victoire
È dans les pays européens, alors que ce signe est une insulte en
Australie, un jeu potentiel existe donc entre son utilisation dans une
communication entre européen et australien. Il existe également
une divergence proxémique62 entre cultures. L'exemple pris
par Hall (1968) est celui des Américains venus en Grande Bretagne.
Lorsque des Américains entraient en interaction avec des Anglais, les
premiers trouvaient les deuxième un peu trop familiers par leur
rapprochement, et, reculant pour atteindre une distance confortable, les
américains devenaient froids et distants aux yeux des anglais.
Le jeu conversationnel et culturel est donc le premier type de
malentendu inhérent à l'utilisation du système. Ce type de
jeu est potentiellement facilement régulable. Nous allons voir par la
suite des jeux qui présentent une régulation plus difficile.
62 Nous rappelons que la proxémique est la Ç
branche de la sémiotique qui étudie la structuration signifiante
de l'espace humain. È (Fabbri,1968:5)
C.3.2. Lie Catching
Nous avons vu dans la partie précédente que la
nature inférentielle et imprédictible du système pouvait
jouer en l'avantage du menteur, lui permettant de mentir par tromperie. Nous
avons également vu qu'il existe un second type de mensonge, le mensonge
direct, mais celui-ci n'est pas permis par l'utilisation d'un jeu
créatif. Nous allons voir dans cette partie comment le dernier type de
jeu, à savoir le jeu interférant, peut trahir un interlocuteur
qui est en train de mentir. Dans cette partie, les deux types de mensonge
seront considérés, car nous nous intéressons aux jeux
créés par l'existence du mensonge quelque soit la nature de ce
mensonge, c'est-à-dire que ces jeux interférants apparaissent de
façon égale que le mensonge soit direct ou par tromperie, puisque
que ces jeux résultent de la conscience du locuteur mentant de son
action de mensonge, ce qui est le cas dans les deux situations de
mensonge63. Encore une fois, nous rappelons que notre conception du
mensonge n'est en aucun cas en rapport avec des conditions de
vériconditionnalité.
Le mensonge est une pratique communicationnelle quotidienne.
Les chiffres des études donnent une moyenne d'environ 1,5 à 2
mensonges par jour (Biland, 2004:22). Malgré l'existence de jeux
interférants dans les situations de mensonge, nombre de ces mensonges ne
sont pas détectés. La raison principale pour laquelle nous ne
détectons pas tous ces mensonges est que nous ne nous en donnons pas la
peine, car pour la plupart ce ne sont que des white lies, des Ç
petits mensonges ordinaires È (ibid) dont nous ne pouvons nous
embarrasser cognitivement de la détection. En effet, Ç nous ne
pouvons passer notre vie à nous méfier de tout È (ibid),
la base sociale de la communication ne pourrait souffrir d'une constante
méfiance des interlocuteurs. C'est pourquoi la conversation quotidienne
ne se soucie pas de la véracité ou non de la communication : en
quelque sorte, les interlocuteurs Ç acceptent È le mensonge car
l'intérêt de la conversation quotidienne est la relation, la
méta-communication.
63 Nous excluons donc de notre étude les cas de self
deceit, de mensonge à soi-même, cas oü l'interlocuteur
est inconscient de son mensonge, ce qui n'engendrera pas de jeu.
Bien que quotidiennement impraticable, la détection du
mensonge peut s'avérer utile dans nombre de cas. La détection
d'un mensonge passe par le jeu interférant que peut créer
l'impossibilité pour un interlocuteur de contrôler l'ensemble de
ses productions sémiotiques. Ainsi, comme nous l'avons amplement
développé précédemment, nous ne pouvons
considérer que la communication ne se manifeste qu'au travers de signes
intentionnellement produits, et de ce fait nous ne pouvons suivre le point de
vue discriminant de Sperber et Wilson (1989) réduisant la communication
aux signes ostensifs, c'est-à-dire utilisés ostensiblement
à des fins communicatives, et sous-tendant et transmettant une intention
de communication. De nombreux signes sont produits de façon non
intentionnelle, et plus particulièrement les signes qui communiquent les
émotions ressenties par l'interlocuteur, qui sont présentes dans
l'échange communicationnel. De fait, une émotion influence la
création d'un signe Ç visible qui atteste de sa présence
lors d'une interaction. È (Biland,2004:59) Tout comme il nous est
quasi-impossible de contrôler nos émotions, il en va de même
pour les signes que produisent ces émotions, et c'est ce contrôle
difficile qui est créateur de jeu interférant et qui sera utile
à l'interlocuteur souhaitant détecter un mensonge.
En effet, un interlocuteur en train de mentir peut être
trahi par une production involontaire de signes, c'est-à-dire par
production involontaire de jeu interférant dU à la
quasi-impossibilité de contrôler l'ensemble des signes qu'il
produit. Ce sont ces signes produits inconsciemment qui créent ce jeu et
trahissent l'interlocuteur mentant64. Ces signes trahissant sont
dans une grande majorité des signes élocutionnels, de par le fait
de la plus grande difficulté pour l'interlocuteur à
ma»triser ces signes65. En effet, comme le fait remarquer
Watzlawick (1972:61) Ç Il est facile de professer quelque chose
verbalement, mais il est difficile de mentir dans le domaine
analogique66. È Ainsi, la tâche de l'interlocuteur
cherchant à détecter un mensonge
64 Pease,2005,147 : Ç The difficulty with lying is
that the subconscious mind acts automatically and independently of our verbal
lie, so our body language gives us away. (...) During the lie, the subconscious
mind sends out nervous energy which appears as a gesture that can contradict
what was said. È
65 Nous renvoyons au schéma de Mehrabian
présenté dans l'avant-propos.
66 Selon la terminologie de Watzlawick, l'analogique renvoie
à ce qui correspond à l'élocutionnel dans notre
terminologie.
est de s'attacher à déceler dans la production
de signes de l'Autre des signes qui se contredisent les uns avec les autres,
soit se contredisant au sein du même canal (locutionnel/locutionnel ou
élocutionnel/élocutionnel), soit des signes d'un canal
contredisant ceux de l'autre (locutionnel/élocutionnel). Ainsi
existe-t-il du jeu car certains signes viennent interférer dans le
continuum communicationnel en contredisant ce que d'autres communiquent,
traduisant la vérité dont a conscience l'interlocuteur mentant.
Ainsi, comme le résume Biland (2004:29) : Ç la difficulté
à mentir tient dans la difficulté à gérer une
charge cognitive et émotionnelle lourde sans que rien ne "fuie", ni dans
le discours ni dans le comportement, de l'état réel. È
Par exemple, un interlocuteur mentant peut produire ce
qu'Ekman (2009) appelle un emblematic slip. Nous avons
déjà vu précédemment ce qu'était un
emblème, ces signes élocutionnels ayant un sens culturellement
marqué. Un tel signe peut être produit de façon
involontaire et signifiant une émotion que l'interlocuteur cherche
à cacher.
Cet étroit lien entre émotion et mensonge fait
du jeu interférant, une nouvelle fois, un jeu entièrement
individuel et relatif, autant pour son existence que pour sa détection.
Tous les interlocuteurs ne sont pas égaux face au mensonge, certains
mentent avec plus de facilité alors que d'autres sont de piètres
menteurs, et, de l'autre côté de la barrière, certains
détectent les mensonges avec facilité alors que d'autres sont
incapables de les voir. Ainsi est-il du devoir du lie catcher d'avoir
conscience de cette relativité, et de l'impossibilité de
détecter un mensonge de manière absolue67 (tout du
moins tant que le menteur ne s'est pas confessé), notamment pour avoir
à l'esprit ses propres préjugés sur l'interlocuteur mais
aussi afin d'éviter de croire à un mensonge ou de ne pas croire
en une vérité68.
67 Cette impossibilité de certitude du mensonge rejoint la
relativité de la communication, c'est-à-dire son statut
inférentiel et hypothétique, point que nous avons largement
développé précédemment.
68 Ces deux erreurs sont répertoriées par Ekman
(2009:163) Ç in disbelieving-the-truth the lie catcher mistakenly
judges a truthful person to be lying. In believing-a-lie the lie catcher
mistakenly judges a liar to be truthful. È Dans le premier cas, un
interlocuteur peut interpréter la nervosité de l'Autre comme
étant signe de mensonge, alors qu'en vérité l'Autre est
tout simplement nerveux à l'idée de se faire interroger.
C.3.3. Le jeu émotionnel et pathologique
Nous venons de voir comment les émotions pouvaient
être source de jeu interférant dans une communication comprenant
au moins un interlocuteur mentant. Nous allons ensuite voir dans cette partie
en quoi les émotions peuvent être source de jeux
interférants sans qu'entre en ligne de compte d'interlocuteurs
mentant.
Nous allons d'abord voir les troubles simples, les jeux
interférants courants, qu'engendrent les émotions ressenties par
les interlocuteurs : il existe pour chaque situation un arrière-plan
émotionnel, les émotions étant indispensables à
notre survie et nous guidant dans nos relations sociales, dans la grande
majorité des cas de façon adéquate. Cependant, certaines
configurations émotionnelles amènent les interlocuteurs à
se trouver dans des situations de jeux interférants, les émotions
pouvant potentiellement venir troubler la communication si elles sont
ressenties d'une manière trop intense. Ces cas extrêmes sont des
situations dans lesquelles les émotions sont si présentes
qu'elles troublent le processus communicationnel. Ce jeu peut prendre deux
formes, une liée à la production et l'autre à la
compréhension. La première forme de jeu interférant
lié aux émotions est l'apparition d'un jeu interférant
émotionnellement avec la production. Dans ces cas particulier,
l'émotion est si présente au sein du système cognitif de
l'interlocuteur qu'il ne peut que produire des signes se rapportant à
cette émotion et est incapable de produire des signes autres de
façon cohérente. Comme le dit Yaguello (1981,137) Ç un
locuteur émotionnellement perturbé peut perdre
momentanément l'usage de la parole ou produire un discours
incohérent, agrammatical. È On retrouve par exemple ce type de
jeux lorsqu'un interlocuteur apprend une nouvelle oü la surprise est telle
qu'il ne peut plus communiquer, oü cela le Ç laisse sans voix
È, ou lorsque qu'un interlocuteur est Ç pétrifié de
peur È. La seconde forme de jeu produite par les émotions sont
les situations oü ces dernières mettent l'interlocuteur dans un
Ç état réfractaire È durant lequel il ne pourra que
comprendre et inférer des sens qui confirmeront l'émotion
qu'il
est en train de ressentir69. Ces situations
engendrent un trouble de l'attention sélective, puisqu'un locuteur dans
cette situation ne sélectionnera que des stimuli qui confirmeront ses
émotions, il y aura donc une création de stimuli effectifs
biaisées.
Ce jeu interférant, lié à un contexte
particulier, reste un trouble relativement mineur et normal70. Ces
périodes de jeu sont de courte durée et, bien que plus difficile
qu'en jeu conversationnel, l'autorégulation est possible.
Il existe ensuite une dernière situation de jeu
interférant, plus grave et donc que nous ne pouvons plus
considérer comme simple ou mineure, et qui est liée à des
troubles pathologiques en rapport avec la communication.
Prenons dans un premier temps les troubles pathologiques de
type parano ·aque. Le fonctionnement communicationnel de cette
pathologie est un fonctionnement de type de l'état réfractaire,
mais à l'inverse du trouble émotionnel ponctuel, cet état
réfractaire de communication est généralisé,
l'affect des émotions sur l'attention engendrant un cercle
vicieux71. Ainsi l'interlocuteur atteint de ce trouble a un mode de
fonctionnement suivant lequel tout signe est compris selon un pattern
précis et défini. Comme le dit Winkin (2000:140-141) :
Ç Celui qui croit que tout le monde est son ennemi
émettra des messages et agira significativement en fonction de sa
prémisse. Il affrontera le monde d'une manière qui poussera ce
même monde à confirmer sa conviction. Or, il a acquis cette
conviction en premier lieu sous l'effet cumulé des contextes
d'apprentissage qui constituaient antérieurement son flux
communicationnel avec certaines personnes. È
Ë l'inverse d'un trouble lié à une
émotion ponctuelle, et autorisant un réajustement, le
parano ·aque se trouve dans un contexte général qui
suivra continuellement le même pattern : le système a du jeu en ce
sens que l'interlocuteur parano ·aque suit continuellement le
même schéma, ne cherchant pas à s'accorder
69 Ekman (2003a:39) : Ç For a while we are in a
refractory state, during which time our thinking cannot incorporate information
that does not fit, maintain or justify the emotion we are feeling. (...) When
we are gripped by an inappropriate emotion, we interpret what is happening in a
way which fits with how we are feeling and ignore our knowledge that doesn't
fit.È
70 Rusinek (2004:23) Ç L'émotion est une forme
d'alerte pour l'organisme, il est logique de croire qu'elle va focaliser une
grande partie des processus cognitifs d'un individu vers la cause de cette
alerte. È
71 Ibid (25) : Ç Si je suis triste et que je fais plus
attention aux informations négatives de mon environnement, je serais
certainement de plus en plus triste car plus rien de joyeux ne me viendra
à l'esprit. È C'est ce fonctionnement que nous retrouvons chez le
parano ·aque : plus l'interlocuteur a peur et plus il se concentrera
sur des stimuli confirmant sa peur, et ainsi de suite dans un cercle vicieux
pathologique.
avec son interlocuteur, quelle que soit la production de ce
dernier. Ce type de maladie empêche le malade de faire preuve d'une
économie cognitive adéquate : dans chaque situation, il
inférera des sens qui n'ont pas lieu d'être inférés,
en effet, Ç le parano ·aque, dans sa quête minutieuse du
sens, va souvent jusqu'à faire passer au crible des
phénomènes totalement secondaires et sans rapport entre eux.
È (Watzlawick,1972:247)
Le jeu interférant peut avoir des conséquences
pathologiques lorsqu'il est répété et donc influant sur
l'apprentissage. Comme le souligne Watzlawick (ibid:47) Ç (à
cause) du malentendu, étant donné certaines
propriétés formelles de la communication, (..) peuvent
s'installer les troubles pathologiques qui y sont liés,
indépendamment, et même en dépit, des motivations ou
intentions des partenaires. È La schizophrénie, tout comme la
parano ·a, fait partie des maladies pathologiques ayant pour source ces
jeux interférants répétés de manière
à influer sur le processus d'apprentissage. Un interlocuteur
schizophrène possède une conception du sens72 qui est
biaisée, c'est-à-dire que le processus d'apprentissage du sens
s'est trouvé continuellement ponctué de situation de jeux
interférants en tant que malentendus, si bien que l'interlocuteur n'a
pas appris à traiter et à classer les stimuli de façon
correcte, et à un certain stade le locuteur n'est plus capable de faire
ces distinctions : s'en suit une incapacité à distinguer
communication et méta-communication, pensée et souvenirs,
rêve et réalité, désir et capacité, etc.,
c'est-à-dire que l'interlocuteur schizophrène possède
Ç des troubles profonds de la perception (...) de la
réalité, dans la formation de concepts, dans les affects, et par
suite dans tout le comportement. È (Watzlawik,1972,279)
L'exemple de ce type de jeu interférant est ce que
Bateson, et à sa suite l'école de Palo Alto appelle la Ç
double contrainte È. Cette conception renvoie aux situations
d'apprentissage dans lesquelles un individu est puni s'il comprend correctement
et puni s'il ne comprend pas correctement. Ce type de communication Ç
affirme quelque chose, affirme quelque chose sur sa propre affirmation, (et)
ces deux affirmations s'excluent. Si le message est une injonction, il faut lui
désobéir pour lui obéir ; s'il s'agit d'une
définition de soi ou d'autrui, la personne définie par le message
n'est telle que si elle ne l'est pas, et ne l'est pas si elle l'est. Le sens
du
72 Dans une conception générale, en tant que
l'ensemble des sens.
message est donc indécidable. È
(Watzlawik,1972:213) En d'autres termes, l'interlocuteur communique mais en
même temps méta-communique en contredisant ce qui est
communiqué, l'interlocuteur produit un malentendu qui entra»nera
l'autre à ne pas pouvoir définir le sens sans créer un
paradoxe dans sa définition. Quand ce sens paradoxal recouvre des
situations d'apprentissage qui sont vitales pour l'interlocuteur, le
résultat en est potentiellement pathologique.
Par exemple, imaginons un parent qui n'aimerait pas son
enfant, mais n'accepterait pas ce sentiment. L'enfant se trouverait puni si il
reconna»t que son parent ne l'aime pas, puisque son parent refuse cette
propre définition de la relation. Ë l'inverse, ne pas le
reconna»tre contredirait son interprétation de la
réalité, ce qui serait une première manifestation de
punition, et dans un second temps il irait chercher l'affection de son parent
qu'il ne pourrait pas trouver. Dans cette situation, qui est une situation
d'apprentissage, le parent est en position d'autorité sur l'enfant et la
relation qui les caractérise est fondamentale pour les deux, et plus
particulièrement pour l'enfant. Ainsi, l'enfant est dans une situation
oü l'apprentissage se fait par jeux interférants,
c'est-à-dire qu'il ne sait pas s'il doit faire confiance à ses
interprétations internes, ses compréhensions, ou à la
figure d'autorité que représente son parent.
Le symptôme que représente le non-sens
schizophrénien est une solution d'échappatoire à ces
situations intenables. En effet, l'enfant ne peut communiquer sans être
puni, or il lui est impossible de ne pas communiquer. Ainsi, s'il veut
échapper à ces situations, la production d'un certain non-sens,
d'un certain jeu métacommunicationnel73 devient l'unique
échappatoire.
73 Dans le sens que nous avons développé
précédemment, c'est-à-dire que la communication n'a pas de
pertinence d'un point de vue communicationnel, cette pertinence est
méta-communicationnel.
Conclusion
Une certaine confusion règne chez le chercheur qui
entreprend d'entamer une étude dite Ç linguistique È.
Devant faire face à diverses écoles, fournissant avec abondance
des études théoriques et empiriques aussi diverses que
divergentes sur le sujet, il peut parfois para»tre difficile de se
positionner au sein de ces écoles. Cette confusion est propre à
la matière, faute d'une ambiguité que l'on peut retrouver au sein
même du mot Ç linguistique È. Nos dictionnaires
eux-mêmes nous perdent, lui donnant à parts égales le rTMle
de l'étude de la langue ou du langage. Une encyclopédie donnera
la linguistique comme la Ç science qui a pour objet l'étude du
langage et des langues È74, faisant reposer la base de leur
définition sur l'étymologie latine lingua,
elle-même aléatoirement traduite langue ou langage.
Or, nous savons que la langue n'est pas le langage.
L'étude du langage concerne l'étude des moyens d'expression et de
communication que peuvent partager deux êtres intelligents,
l'étude de la langue concerne un supposé code formel que
partagerait les hommes, étant une partie du langage, celui qui peut
être écrit ou parlé. Comme le résume Blanchet dans
son ouvrage La pragmatique, Ç (serait) langage tout mode de
communication, c'est-à-dire tout échange. (...) Parmi ceux-ci, on
admettra que le langage articulé propre à l'humanité et
nommée "langue" est une constituante majeure de la communication.
È Dans notre étude, nous n'avons pas suivi la vision des
héritiers de Saussure d'une langue-code idéale, transitant le
long d'un canal entre un émetteur codant et un récepteur
décodant. Bien à l'inverse, notre étude, s'attachant
à l'école pragmatique, a étudié le langage en tant
que discours utilisé par deux interlocuteurs, c'est-à-dire que
nous avons considéré la base de la communication dans
l'interaction ainsi que dans le processus d'inférence : il est
impossible pour un interlocuteur de se représenter à l'identique
les représentations mentales de l'Autre, ainsi, chaque interlocuteur ne
peut que faire des hypothèses sur les choix qui ont mené l'Autre
à communiquer de la manière choisie, et ce gr%oce à une
interaction continuelle du système et de son environnement. Ces choix
sont guidés par la recherche de la pertinence, à savoir la
recherche de création d'un équilibre entre économie
cognitive et efficacité.
74 Nouveau Larousse Encyclopédique, 1994
C'est de cette conception que nous avons nourri notre
réßexion, puisant au sein de l'école pragmatique, insistant
sur la linguistique comme l'étude du langage utilisé par des
interlocuteurs dans un contexte interactionnel particulier. En d'autres termes,
notre vision de la linguistique a été l'étude de la
communication, celle-ci étant l'ensemble des moyens qui existent
aÞn de Ç mettre en commun È ce qui ne saurait être
mis en commun sans communication, communication utilisée et
partagée par deux ou plusieurs êtres intelligents, pour le ou les
Autre(s) autant que pour soi, d'une manière qui relève parfois du
code, mais bien souvent d'une toute autre sphère.
Ainsi, en définitive, le système de la
communication n'a pas été considéré comme une
partie de tennis mais comme une partie de squash, en ce sens que la
communication ne réside pas dans l'échange alterné de tour
de parole comme le tennis réside en un échange tour à
tour. En effet, la communication est un système cybernétique,
c'est-à-dire que tout élément sortant redevient
immédiatement un élément entrant ; tout comme sur un court
de squash, tout output est un nouvel input. La
compréhension du signe produit n'est donc pas effectuée par un
Ç auditeur È uniquement mais aussi par l'interlocuteur qui l'a
produit, permettant donc au système de fonctionner via un feedback, et
de s'autoréguler lorsque le système a du jeu (pour diverses
raisons, les interlocuteurs peuvent ne pas avoir une connaissance
adéquate de leurs propres capacités ou de celles de l'Autre, et
donc ne pas arriver à l'efficacité cognitive
consécutivement à leurs productions) : si un interlocuteur
s'aperçoit qu'il a été insuffisamment efficace
(c'est-à-dire trop économique) pour l'Autre, il peut Ç
réinjecter È un indice dans le système pour le
réguler, tout comme le joueur de squash peut renvoyer sa balle s'il se
rend compte qu'il ne l'a pas correctement envoyée. Ce système
cybernétique est également utile à l'économie
cognitive : réinjecter dans le système tout élément
qui en sort permet à celui-ci de créer un environnement cognitif
direct commun manifeste aux interlocuteurs, ce qui leur permet, puisque chaque
signe n'est pas sans relation avec ce qui précède,
d'économiser l'effort cognitif d'avoir à retraiter chaque
stimulus de nouveau, tout en gardant la même efficacité. Le
traitement des éléments récents est donc présent
dans cet environnement cognitif direct afin de permettre d'augmenter
l'économie cognitive. Pour résumer, communiquer engage les
interlocuteurs dans une partie de
squash, cette partie pouvant être match ou
échange. Deux interlocuteurs (ou plus) sont face au même mur, au
même monde, jouant sur la même surface de jeu, bien que
possédant des compétences différentes. Un joueur joue et
s'adapte en fonction de la balle qu'il reçoit, mais aussi de la
manière dont il reçoit cette balle, des handicaps qu'il connait
ou non de l'autre joueur, appris par le passé, ou tout au court du
jeu.
Ensuite, nous avons montré en quoi l'approche
systémique pouvait être utile à l'étude du
fonctionnement de la communication. Le système communicationnel,
permettant de produire et de comprendre inférentiellement par mise en
relation d'informations sur des stimuli environnementaux appartenant aux
environnements cognitifs direct et indirect, est un système
autopo ·étique, c'est-à-dire un système qui est
autonome, auto-référentiel, auto-organisé et
auto-régulé. Ainsi, le système existe par et pour
lui-même, se produit et s'organise par des éléments qui lui
sont internes et selon des règles déÞnies par lui,
communiquant de l'information sur son environnement, et non pas
par son environnement. Son environnement étant composé
d'informations, le système communicationnel est donc fondamentalement
cybernétique, c'est-à-dire un système oü tout output
est un nouvel input. Son autonomie fait que ce système ne peut accepter
d'observateur qui lui soit externe, à savoir que tout observateur
voulant observer le système ne pourra le faire qu'en intégrant le
système, et donc pour une observation qui ne pourra se faire de
façon absolue. Malgré tout, son autonomie en reste relative,
puisque le système est adaptatif, c'est-à-dire que son
organisation interne s'adapte par autorégulation aux conditions de son
environnement, le système étant somme de sous-systèmes et
partie de macro-systèmes. Ce statut, dit Ç socialÈ, est
nécessaire à la pérennité du système,
puisqu'en tant que partie d'un méta-système spatio-temporel, il
peut fonctionner de façon optimale par apprentissage continuel de
patterns de sens pertinents.
Lorsque des interlocuteurs sont engagés dans un
processus interactionnel de communication, chaque interlocuteur cherche
Ç à se faire comprendre È, c'est-à-dire que tout
interlocuteur cherche à ce que sa production soit assez pertinente pour
que l'Autre trouve du sens à cette production, et c'est dans l'obtention
d'un sens dans la
production de l'Autre que le système trouve son
équilibre : c'est lorsque les interlocuteurs sont en accord relatif sur
le sens que le système obtient son efficacité et son
équilibre, et lorsque les interlocuteurs ne se comprennent pas qu'il
existe un déséquilibre, quand chacun trouve que la communication
de l'Autre Ç n'a pas de sens. È Idéalement,
l'équilibre entre le sens voulu et le sens compris existerait
continuellement. Cependant, ce n'est pas le cas. La communication est un
système non-linéaire dirigé par la loi de
l'imprédictibilité dans lequel il est impossible qu'existe un
constant équilibre. Ë l'inverse, la communication se fait par
Ç bonds È d'un équilibre à un autre, en passant par
des paliers de situations de déséquilibre, régulées
et contrôlées par la nature autopo ·étique du
système. Chaque interlocuteur, en recevant de l'information en retour
sur ses productions, peut juger de celles-ci afin de rectifier la dynamique du
système et le rediriger vers un état d'équilibre. En
d'autres termes, lorsque, subjectivement, un interlocuteur ne comprend pas le
sens que veut donner l'Autre à ses productions, les deux se trouvent
dans une situation de déséquilibre, situation créatrice de
nouveaux signes afin de réguler le mouvement du système et de le
ramener à un équilibre, équilibre précaire puisque
mis en danger par la continuité temporelle du système. Ainsi le
système évolue-t-il par Ç bonds È d'un
équilibre à un autre, passant par des situations de
déséquilibre, se contrôlant par autorégulation,
processus d'auto-équilibrage.
C'est cette dynamique de déséquilibre et
d'équilibrage que nous avons appelé Ç jeux È et que
nous avons vu dans le troisième chapitre, en définissant dans un
premier temps ce qu'il convient d'appeler Ç équilibre È.
Ainsi dans ce travail la conception de la théorie des jeux a
été élargie, conception qu'il est nécessaire
d'avoir pour une définition complète du système
communicationnel. Nous avons vu l'importance du jeu régulier,
créateur de normes, indispensable à l'existence même d'un
système de communication, suivant la définition traditionnelle du
jeu, ainsi que le paradoxe qu'entraine sa nature fractale. Nous pourrions
imaginer que l'existence d'un langage ne suivant que ce jeu régulier
soit possible, à travers l'utilisation d'un langage purement logique et
dont tous les signes seraient relevés de leur ambigu ·té,
utopie suivie par nombreux penseurs et théoriciens de la langue en
quête de cette conception uniquement logique. Bien qu'idéal
puisqu'il éliminerait tous les jeux interférants vus dans la
troisième partie, ce langage logique existerait au dépend de
tout jeu créatif vu dans la partie deux, ce qui
signiÞerait sacriÞer également tout ce qui fait la
beauté d'une langue, la poésie, la littérature, la
rhétorique, etc., ainsi que l'attrait relationnel que la communication
possède. Une langue logique, idéal de la théorie du code
et se détachant de l'usage ordinaire qui est fait du langage, aurait
pour ambition de se séparer de toute ambigu ·té, de tout
jeu interférant possible. Cette disparition de tout jeu
interférant reste cependant impossible, de par la nature
inférentielle, hypothétique et complexe du système
communicationnel, et donc ne pouvant jamais adopter le schéma de la
transmission, schéma canonique de la théorie du code. De plus, de
par la nature dynamique du système, aucune norme ne pourra s'imposer aux
signes, puisque ce sont ces signes qui créent la norme et non l'inverse.
EnÞn, de par la complexité extrême du système et de
son auto-production par itérations d'utilisations de signes en contextes
d'interactions communicatives, le jeu interférant conversationnel et
culturel ne pourra jamais être évité, deux interlocuteurs
ne pouvant jamais avoir un arrière plan et une mémoire semblable,
ainsi ne pourront-ils jamais avoir un Ç dictionnaire des sens È,
une Ç copie du code È qui leur serait égale à tous
points de vues.
Cette utopie d'une langue logique, Ç bien faite
È et vivant uniquement par le jeu régulier, est un idéal
qui remonte aux logiciens du siècle des lumières avec Descartes
ou la Logique de Port-Royal, et que nous retrouvons jusqu'à
aujourd'hui dans les idéaux de langues comme le Simple English. Selon
les propos de Descartes dans sa Lettre à Mersenne, le langage
logique serait Ç une langue universelle fort aisée à
apprendre, à prononcer et à écrire, et, ce qui est le
principal, qui aiderait au jugement, lui représentant si distinctement
toute choses qu'il lui serait presque impossible de se tromper. È
(Cité dans Eluerd,1985,19) Cependant ce rêve d'une langue logique
idéale est illusoire, les trois formes de jeu étant
profondément inter-dépendantes et inséparables, permettant
à la communication d'exister, et source de toute sa beauté comme
de ses faiblesses. Au sein d'un jeu régulier, le jeu interférant
reste le prix à payer pour l'existence du jeu créatif.
Annexes
Nous avons vu dans la troisième partie de ce travail
que l'identité du système communicationnel était source de
trois types de jeux différents : le jeu régulier, le jeu
créatif et le jeu interférant. Nous allons dans cet annexe
développer des exemples de jeux créatifs et de jeux
interférants. Nous n'illustrerons pas le jeu régulier, le travail
étant fait par nombre de dictionnaires et de grammaires. Qui plus est,
de par sa nature particulière, le jeu régulier est un
système macroscopique qu'il est impossible d'illustrer au travers d'un
exemple propre et ponctuel. Pour ce qui est de l'enferment fractale de cette
régularité macroscopique, l'illustration se fait par l'existence
des jeux décrits ci-dessous, et de l'absence d'impact de ces jeux
microscopiques et ponctuelles sur le méta-système.
N'adhérant pas à la démarche scientifique
de construction d'exemples, nous avons choisi ici de faire l'analyse d'exemples
de jeux empiriques, issues de sources diverses allant de la littérature
au cinéma en passant par des anecdotes politiques. Les descriptions
ci-dessous sont des exemples empiriques qui ont pour fin l'illustration de nos
schémas théoriques, et qui doivent donc être comprises
comme telles. Les développements ci-dessous ne couvrent pas l'ensemble
des innombrables sous-schémas de jeux, mais illustrent la manière
dont peuvent être utilisés nos outils théoriques pour la
descriptions de situations concrètes, et également aident la
compréhension des définitions faites dans la dernière
partie de ce travail.
D.1. Le jeu créatif
D.1.1. Le jeu méta-communicationnel
Ç Puissance du langage : avec mon langage je puis tout
faire : même et surtout ne rien dire. È R. Barthes,
Fragment d'un discours amoureux.
Les extraits suivants sont tirés de la série
britannique Yes Minister75. Le premier personnage est Jim
Hacker, nouvellement élu Premier ministre britannique, le second, aux
répliques longues et alambiquées, est Sir Humphrey, un haut
fonctionnaire du gouvernement britannique, adepte de la logorrhée et
dont la philosophie communicative se résume à Ç the
less you intend to do about something, the more you have to keep talking about
it. È Au travers de ce trait de comportement, la série
parodie la tendance des politiciens aux communications complexes pour ralentir
au maximum les démarches du système gouvernemental.
Voici deux exemples d'échanges entre les deux :
Ç Will you give me a straight answer to a straight
question?
- Oh well, minister, as long as you're not asking me to
resort to crude generalisations and vulgar oversimplifications such as a simple
yes or no, I shall do my utmost to oblige. (...) Well, minister, if you ask me
for a straight answer then I shall say as far as we can see, looking at it by
and large, taking one time with another, in terms of the average of
departments, then, in the final analysis, it is probably true to say that at
the end of the day, in general terms, you would probably find that, not to push
too fine a point on it, there probably wasn't very much in it one way or the
other, as far as one can see at this stage. È
Ç You mean they'll block it ?
- I mean they'll give it the most serious and earnest
consideration and insist on a thorough and rigorous examination of all the
proposals, allied with detailed feasibility study and budget analysis,
before producing a consultative document for
75 Nous empruntons ces exemples à Dickason, 2007, La
société britannique à travers ses fictions
télévisuelles le cas des soap opera et des sitcoms, Ellipses.
consideration by all interested bodies and seeking
comments and recommendations to be included in a brief for a series of working
parties who will produce individual studies which will provide the background
for a more wide-ranging document, considering whether or not the proposal
should be taken forward to the next stage.
- You mean they'll block it ?
- Yeah. È
Nous pouvons remarquer que les réponses de Sir Humphrey
sont des cas de ce que nous avons appelé le Ç jeu
méta-communicationnel È. Ce dernier use d'un langage complexe et
obscure afin de ne pas avoir à donner de réponse directe, afin
d'éviter tout sujet gênant. Nous voyons dans la première
réponse qu'il ne désire pas répondre simplement à
une question simple. Dans le deuxième échange, il cherche
à éviter de communiquer à Jim Hacker que sa proposition va
être bloquée, en utilisant un langage long et alambiqué, ce
qui ne semble pas être du goUt du Premier ministre qui finit par lui
demander une réponse directe.
Dans ces configurations, un interlocuteur se trouve dans une
situation oü il ne peut pas échapper à la communication, il
ne peut pas ne pas communiquer. Cependant, pour éviter d'avoir à
répondre directement, il utilise une communication pauvre en contenu
mais complexe sur la forme. L'opacité du discours permet à
l'interlocuteur de passer la pertinence sur le plan de la
méta-communication, en communiquant son refus de communiquer. Ce sont
des situations constatées par Watzlawick (1972:76-77) dans des
situations réelles de psychothérapies durant lesquelles le
patient se retrouve pris Ç dans une situation oü (il) se sent
obligé de communiquer, mais oü (il) veut en même temps
éviter l'engagement inhérent à toute communication.
È
Ces exemples tirés de Yes Minister ont ainsi
un ton comique et parodique, cherchant à moquer la Ç langue de
bois È pratiquée par les politiciens, utilisée afin de
pouvoir éviter d'avoir à répondre à une question
sensible. Nous pouvons cependant constater que de tel cas existent
également dans des situations réelles de communication courantes,
ainsi que dans des communications en situations médicales.
D.1.2. Le cas du mensonge
L'exemple ci-dessous est tiré de la série
américaine Lie to Me, dans l'épisode 2 de la saison 1,
Moral Waiver. Cette série met en scène Cal Lightman et
son équipe, tous professionnels de la détection de mensonge. Dans
cet épisode particulier, Gillian et Eli, deux membres de cette
équipe, sont engagés pour découvrir si les rumeurs
concernant un basketteur lycéen populaire sont vraies, basketteur
supposé avoir accepté un pot-de-vin d'une université.
Découvrant en analysant les images du joueur qu'il présente une
expression faciale de douleur à chaque match, le joueur leur avoue
souffrir d'arthrite érosive, et donc incapable de suivre une
carrière pro sur le long terme, ce qui explique son acceptation du
pot-de-vin, seul argent qu'il pense toucher de sa courte carrière de
basketteur.
Le mensonge par tromperie se trouve ici au niveau du contrat
passé entre le basketteur et l'université qui lui verse le
pot-de-vin. Supposé de bonne foi, le basketteur dissimule sa maladie,
lors de l'échange entre ce dernier et l'université le
désirant, la présomption de pertinence optimale à permis
au basketteur d'accepter le contrat sans pour autant aborder le sujet de sa
maladie. Si il était questionné sur ce point, il pourrait se
défendre avec la réponse Ç On ne me l'a pas
demandé. È
Cette exemple illustre la possibilité d'Ç
être optimalement pertinent sans pour autant être " aussi
informatif que le demande les objectifs de l'échange en cours " : si,
par exemple, on garde pour soi des informations dont la connaissance serait
pertinente aux interlocuteurs. È (Sperber&Wilson,1989:243) Ici,
l'échange communicationnel ayant pour résultat un contrat sous
forme de pot-de-vin résulte du contrat interactionnel sous-tendant la
présomption de sincérité maximale. Ainsi,
l'université originaire du pot-de-vin s'attend à ce que le
basketteur lui fournisse l'ensemble des informations à sa disposition,
c'est-à-dire qu'elle fait l'hypothèse que le joueur est en bonne
condition physique, hypothèse restant bien sur du domaine de
l'inférence et de la présomption, et non de la confirmation
directe du joueur, qui exploite cette hypothèse erronée à
son avantage.
D.1.3. Le jeu ludique.
Ç La langue française l'émerveillait
encore, à soixante-dix ans, parce qu'il l'avait apprise difficilement
et qu'elle ne lui appartenait pas tout à fait : il jouait avec elle,
se plaisait aux mots, aimer les prononcer et son impitoyable diction ne
faisait pas gr%oce d'une syllabe ; quand il avait le temps, sa plume les
amortissait en bouquets. È J.P. Sartre, Les mots.
Les exemples littéraires de jeux ludiques avec le
langage sont innombrables. Nous prendrons ici l'exemple des mots-valises,
néologismes forcés condensant deux ou plusieurs morphèmes
pour la création d'un nouveau signe. Nous pouvons remonter la
définition des mots-valises à Lewis Caroll et son dytique
Alice's Adventure in Wonderland et Through the Looking-Glass,
dans lequel Humpty Dumpty explique l'origine de ce mot, appelée
Portmanteau-word en anglais : Ç You see, it's like a
portmanteau - there are two meaning packed up into one word. »76
Nombreux sont les écrivains qui à la suite de
Caroll s'amuseront avec la technique du mot-valise, utilisant le jeu
régulier déÞnissant la formation de mots pour en
créer de nouveaux, forçant le néologisme pour créer
des mots inédits. Nous analyserons ici le travail d'Edward Lear, auteur
reconnu pour ses Ïuvres de nonsenses.
De gauche à droite : Le Armchairia Comfortabilis, le
Manypeeplia Upsidownia et le Bottleforkia Ladlecum.
76 Voir Lewis Caroll, Through the Looking-Glass,
chapitre VI - Humpty Dumpty
Avec ce jeu ludique de la Nonsense Botanic, Lear joue
sur les codes de l'étymologie des mots anglais à origine latine,
en inversant le processus en créant des mots latins à origine
anglaise. Nous retrouvons ici des mots-valises condensant des morphèmes
anglais à des terminaisons latines, jouant sur les codes canoniques de
la botanique utilisant des mots latins pour nommer les espèces,
détournés pour nommer des plantes inventées par l'auteur.
Nous pouvons noter le recours aux terminaisons typiques du latin que sont -ia,
-is ou -um, jointes à des mots anglais comme armchair, comfortable,
upside-down, bottle ou encore fork.
Ces jeux créatifs sont bel et bien entrepris
relativement aux règles régulières. C'est ici avec
l'étymologie que Lear joue, et, bien que création, ces nouveaux
mots sont du langage, c'est par leur ressemblance et leur quasi-appartenance
à la régularité qu'ils sont jeux, c'est parce que leurs
consonances latines font écho aux formations régulières de
mots scientiÞques qu'ils existent en tant que jeux.
D.2. Le jeu interférant
D.2.1. Le jeu conversationnel et culturel
Ç Ë quoi tu penses ? Je pense que la
barrière de la langue et certains a priori inavouables m'ont
déjà fait prendre une idiote pour une femme intelligente et
une femme intelligente pour une idiote. > H. Le Tellier, Les
amnésiques n'ont rien vécu d'inoubliable.
Au travers d'une anecdote géo-politique, nous allons
illustrer le jeu interférant que peut créer la rencontre de deux
interlocuteurs ne partageant pas la même culture ni la même langue.
Nous ne pouvons pas considérer que ce cas est un cas de jeu dU à
un véritable bilinguisme, bien que le jeu interférant
décrit ci-dessous s'en rapproche fortement.
Durant sa carrière, le premier ministre japonais Mori
reçut quelques cours de Basic English quelques jours avant de
rencontrer le président des États-Unis Barack Obama à
Washington. Le professeur dit à Mori : Ç quand vous serrerez la
main de Mr Obama, dites «How are you ?«, ce à quoi il
répondra «I am fine and you?«. Alors, vous répondrez
«Me too«. Après, les traducteurs prendront la relève.
> Cela parait assez simple, mais pourtant, le jour de leur rencontre, quand
Mori rencontra Obama, il lui dit pas erreur Ç Who are you?> Mr Obama,
bien qu'un peu surpris, répondit avec humour Ç Well, I'm
Michelle's husband. >. Ce à quoi Mori répondit Ç Me
too. > Un long silence gêné s'installa dans la pièce.
Cet exemple, bien qu'amusant, illustre le jeu
interférant qui peut se créer lorsqu'un interlocuteur use d'une
langue qui n'est pas sa langue maternelle, et qu'il ne ma»trise pas.
Confondant le Ç How are you? > avec le Ç Who are you? >,
Mori transforme le sens de la question. On voit ici en quoi une non
ma»trise de l'anglais entra»ne un jeu interférant, qui ici
rend la situation cocasse par le fait que les interlocuteurs (autres que Mori),
comprennent l'erreur de Mori et savent qu'il souhaitait produire Ç How
are you ? > mais a fait une erreur de prononciation. Ils sont
également conscients qu'il sait très bien qui est Barack Obama,
et qu'il n'est pas le mari de Michelle Obama. La situation décrite ici
fait sourire, cependant on pourrait imaginer les catastrophes
géo-politiques que pourraient entra»ner de tels jeux.
D.2.2. Lie Catching
Ç I might mimic a passion that I do not feel, but
I cannot mimic one that burns me like fire. È O.Wilde, The
Picture of Dorian Gray.
La scène suivante est tirée du film
Inglorious Basterds de Quentin Tarantino. Le film se déroule
durant la seconde guerre mondiale. Archie Archox, sur la droite sur la
troisième vignette et sur la gauche sur les vignettes quatre cinq et
six, fait partie d'un commando de soldats Alliés, les Basterds,
dont le but est d'éliminer les hauts dignitaires nazis allemands. Dans
cette scène, lui et trois soldats de son commando, tous les quatre
déguisés en soldats nazis, rejoignent leur contact allemand
Bridget Von Hummersmark (à gauche sur la troisième vignette), en
prétendant être de vieux amis. La tension monte lorsque de vrais
soldats et officiers nazis commencent à interroger Archie sur
l'étrangeté de son accent. Dans les six vignettes qui suivent, le
major Dieter Hellstorm, de la Gestapo, s'est assis à leur table pour
discuter avec le prétendu général de la Wehrmacht, et
avant d'entamer la discutions, passe commande au barman.
Vignette 1 : Eric has a bottle of thirty-three-year old
whiskey. Vignette 2 : How many glasses?
Vignette 5 : You've just given yourself away
captain... Vignette 6 : You're no more German than that
scotch.
Cette illustration de la détection du mensonge par non
contrôle d'un signe élocutionel rejoint le jeu culturel que nous
avons illustré dans la partie précédente, car ici le
mensonge porte sur la culture d'origine de l'interlocuteur. Archie Archox avait
jusqu'ici réussi à camoufler son mensonge en prétendant
que son accent lui venait d'un petit village dans les montagnes dans lequel
toute la population parle de la sorte. Cependant, le major Dieter Hellstorm
découvre la supercherie lorsque Archie produit le signe
élocutionnel signifiant 3 en levant l'index, le majeur et l'annulaire,
dit Ç à l'anglo-saxonne È, que nous pouvons voir sur la
vignette trois et quatre, ce que le major ne manque pas de repérer et
donc finit par découvrir que l'identité prétendument
allemande d'Archie est fausse.
Nous retrouvons ici la constatation faite par Biland (2004:29)
: Ç la difficulté à mentir tient dans la difficulté
à gérer une charge cognitive et émotionnelle lourde sans
que rien ne "fuie", ni dans le discours ni dans le comportement, de
l'état réel. È Ici, Archie est dans une situation de
stress importante dans laquelle la découverte de son mensonge est un
danger pour sa vie mais aussi pour la mission qui l'amène ici.
Jusqu'à ce moment, il réussissait à couvrir son mensonge,
mais on voit qu'un signe élocutionnel, sur lequel il a peu de
contrôle et produit pour signifier 3 de façon quasiinconsciente,
le trahit, il y a une sorte de Ç fuite È de la culture d'origine
d'Archie77, le signe élocutionnel qu'il produit sur la
vignette 3 et 4 est un signe devenant un jeu interférant puisqu'il
contredit le continuum du sens jusqu'ici communiqué.
77 Comme le dit le Major Dieter Hellstorm vignette 5, Ç
you gave yourself away. È
D.2.3. Le jeu émotionnel et pathologique
Ç "Curiouser and curiouser!" cried Alice (she was so
much surprised, that for the moment she quite forgot how to speak good
English). È L.Caroll, Alice's Adventure in
Wonderland.
Dans cette dernière partie, nous allons illustrer le
fonctionnement de la communication d'un interlocuteur parano ·aque
à travers l'exemple d'un extrait de film dans lequel le protagoniste est
parano ·aque : The Number 23 de Jo`l Schumacher. Dans ce
thriller, Walter Sparrow, joué par Jim Carrey, est un employé de
la fourrière municipale d'une quarantaine d'années sans histoire,
qui se trouve un jour en possession d'un étrange ouvrage intitulé
The Number 23, ouvrage oü l'auteur décrit comment sa vie
est obsédée par le nombre 23. Rapidement, Walter trouve
d'étranges ressemblances entre ce livre et sa vie, et une fascination
parano ·aque pour le nombre 23 s'empare également de lui. Dans
cette scène, Walter expose à sa famille les liens qu'il
découvre entre sa propre vie et le chiffre 23.
-Walter, what are you doing?
-Check this out. Walter sparrow doesn't work. But if I use my
middle name...
- Walter.
- 5-1-1-9-7. Isn't that amazing? - What?
- It's all 23. My birthday-- 2/3, Driver's license, social
security number-- Everything. I was born at 11:12 PM. 11 plus 12. It's like
it's imitating my life.
-You can't be serious.
(...)
-I'm sorry, honey.
- Why this color? Why did you choose this color?
- I don't know, you tell me.
- Red number five, R-E-D is 27, plus five is 32 which
is--
- You're reaching now.
- I met you when I was--
- 23.
- And the day we met was? - September 14th.
- 9/14.
- 14 plus 9 is?
- 23! We married october 13th--10/13, 23.
- Honey, I think you're taking this too seriously.
- Wait wait wait Wait wait wait. We live at 1814. I mean,
18 is one plus eight which equals nine. And nine plus 14 is also 23. 14 is one
plus four which equals five. And five plus 18 is 23 too.
- All right, Robin, Please don't you start this nonsense. -
This is not nonsense! I-I mean, five plus 18 is 23.
- Well, if the book were 27 or 150, You could do the same
thing. - 18 plus 14 is 32. 23 reversed. Spooky, huh?
Nous constatons dans cette scène le délire
parano ·aque du protagoniste qui donne du sens à des
phénomènes qui n'ont pas lieux d'être mis en relation,
c'est-àdire que Ç le parano ·aque, dans sa quête
minutieuse du sens, va souvent jusqu'à faire passer au crible des
phénomènes totalement secondaires et sans rapport entre eux.
È (Watzlawick,1972:247) Nous constatons que Walter Sparrow suit un
pattern de sens unique reliant chacun des éléments de sa vie,
d'une certaine façon cherchant du sens là oü il n'y aurait
pas lieu d'y trouver du sens : comme le souligne sa femme le résultat
aurait été le même si leur chiffre avait été
27 ou 150. Le jeu interférant ici est créé par la nature
du délire de l'interlocuteur parano ·aque, qui ne peut que
comprendre en fonction de ce délire, ne trouvant de sens que lorsque
celui-ci confirme la découverte du nombre 23 (il rajoute son middle
name dans un calcul pour que cela convienne). Dans les situations de
parano ·a, les interlocuteurs pensent être en possession d'un
sens supérieur au commun, en quelque sorte ils pensent avoir
découvert un sens mystique au monde qui les entoure, et c'est selon ce
pattern de sens que les parano ·aques comprennent l'ensemble des signes
qui les entourent. Ainsi, tout signe sera interprété selon ce
sens, quelque soit la communication de l'Autre. C'est cette existence du
délire parano ·aque qui est créatrice de jeu.
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Index
attention sélective : 20, 51-53, 59,
109
autopo ·èse : 41, 70, 71, 76, 115
Autorégulation (et rétroaction) : 4, 10, 68, 70,
70-77, 98-99, 109-116
code (théorie du) : 20-50, 88-90,
113-124
Compréhension : 6, 12, 14, 19, 20, 31, 33, 35, 36, 38, 40,
41-43, 46-48, 54, 58-67,
68, 71, 81, 90, 96, 99, 101, 102, 108, 111, 114, 119
cybernétique : 8, 19-20, 44, 57, 68-75,
114-116
économie (cognitive) : 39-48, 50, 53, 67,
80-83, 110, 113, 114
effet contextuel (en tant que sens) : 45-47, 48,
65
environnement : 37, 44, 51, 54-58, 60, 65, 69,
71, 73-78, 102, 113-115
équilibre (et déséquilibre) : 41, 47-48, 72,
80, 81-83, 84-86, 90-95, 99, 101, 113, 115-116
fractal : 86, 87-90, 99, 100, 116, 119
imprédictibilité : 74-77, 78, 84,
116
incertitude : 18-19, 41-44,
58
intention : 13-14, 20, 33-37, 44,
60-64, 94, 95, 96, 106, 110
inférence : 20, 32-48, 53-65, 75-78, 97,
113, 122
jeu créatif : 91-98, 105, 117-120
jeu interférant : 12, 101, 105-110, 117, 119,
125-128,
jeu régulier/règle : 22, 25, 36, 56-57,65-67,
70-75, 81-87, 101, 116, 123
mensonge : 12, 91 95-97, 101,
105-107, 122, 126-127
pathologie : 101, 108-111,
128-129
pertinence : 20, 29, 34-48, 59, 60, 66, 68, 69,
74, 80-85, 91-99, 100, 111-113, 121 pragmatique : 6-7, 11, 22,
25-39, 50-51, 113, 114
production : 6, 9, 12-14, 18-20, 33, 37-51, 54, 57,
58-67, 68-75, 81, 82, 89-97, 101, 106, 108, 110, 111,
114-117
stimulus : 36, 38, 51-58, 59-68, 114
système : 11, 13, 19, 20, 24, 35, 39-45,
46-67, 68-79, 79-120
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