La littérature ados et jeunes adultes a
été marquée par le succès triomphant d'Harry
Potter. Le petit sorcier est venu modifier toute la chaîne de
l'édition jeunesse, installée dans ses traditions
pédagogiques et prescriptives. Les jeunes s'emparent des romans grands
formats, la peur de cet acte solitaire s'évapore pour faire place
à une frénésie. Les éditeurs, en voyant ce lectorat
s'éveiller, vont prendre conscience que des centaines de
possibilités se dessinent devant eux. Plaire aux jeunes n'est pas une
tâche aisée et les éditeurs acceptent de revoir leurs
politiques éditoriales ainsi que leur image de marque. Ainsi, des
collections entières sont relookées, arrêtées et
créées. L'édition jeunesse, en étudiant de plus
près ces jeunes lecteurs, a remarqué l'influence grandissante
d'Internet et du téléphone portable. Les jeunes communiquent sans
cesse, sur tout et à propos de tout. Des communautés se
créent autour de passions communes dont évidemment, la
littérature. Ainsi, la prescription traditionnelle des professionnels du
livre et des parents s'estompent pour laisser la place à la prescription
des pairs. Les jeunes s'influencent les uns les autres, ils
préfèrent s'écouter plutôt que d'écouter les
marques dont ils doutent, légitimement, de l'honnêteté.
C'est ainsi que les jeunes prennent du pouvoir aux éditeurs. Les
lecteurs et même les non-lecteurs vont sur le Net pour exprimer leurs
envies. Envie d'un nouvel Harry Potter, envie de frissons,
d'aventures, d'une histoire fantastique sans fin... Les blogs, les forums et
les réseaux sociaux comme Facebook deviennent de véritables
plateformes de discussions littéraires. Les internautes commentent,
critiquent et conseillent les éditeurs sans se soucier si ceux-là
écoutent ou non. Pourtant, les éditeurs écoutent et
enquêtent. Ces jeunes, issus de la génération Google, de la
génération « zapping », savent se faire entendre et
intéressent les éditeurs qui voient en eux l'occasion de se
renouveler et de lâcher prise. Les digitals natives obligent les
éditeurs à comprendre Internet et ainsi à adhérer
aux nouvelles techniques de communication. L'ère numérique a
commencé, elle n'est plus un projet, une possibilité. Par
conséquent, s'initier au webmarketing et au socialnetworking
paraît l'une des premières choses à connaître avant
même de penser produire des livres numériques. Les éditeurs
jeunesse se sont donc aventurés dans la communication et la promotion
online en créant des mini-sites dédiés, des pages Facebook
ou des blogs. Ils ont compris que les internautes-lecteurs réclament une
interactivité. La passivité est exclue. L'éditeur doit
nourrir constamment ses sites de nouvelles informations (vidéos, photos,
extraits...). Un véritable travail supplémentaire de
création de contenus est
ajouté au travail d'origine de l'éditeur. Il
faut animer des quizz, organiser des jeuxconcours, répondre aux
internautes et pour cela, lire leurs commentaires. Les services marketing voit
aussi leur travail doubler, du offline au online, la communication se
complexifie. Le marketing traditionnel devient rapidement du marketing viral
que les éditeurs ont du mal à contrôler. Les internautes
s'emparent des informations des professionnels pour animer leurs discussions
d'un site à un autre. Faire remonter l'impact d'une campagne
promotionnelle sur le Net peut paraître impossible aux éditeurs
qui n'ont pas encore toutes les techniques pour maîtriser leur travail.
De cette demande découle la création d'un nouveau métier,
très en vogue aujourd'hui, celui de community manager.
Chargé d'animer les communautés sur le Net, le
community manager est un poste entre responsable marketing, éditeur et
attaché de presse. Il veille au bon déroulement de la campagne
Internet, tisse des liens forts avec les internautes et étudie l'impact
de la campagne. La responsabilité du community manager est très
lourde. La e-réputation d'une marque peut être rapidement
entachée si le community manager ne fait pas correctement son travail.
C'est pourquoi ces postes attirent plus particulièrement des jeunes
personnes, initiées au numérique ainsi qu'à la
communication via les réseaux sociaux. Il est bon signe pour les futures
générations que l'édition s'ouvre sur de nouveaux
métiers. Le dynamisme actuel qui habite les maisons d'édition
doit être mis au service de la création. Internet est venu
modifier notre communication mais aussi nos liens avec la culture. Les
adolescents et jeunes adultes ont compris qu'Internet peut leur permettre de se
faire entendre auprès des marques. L'édition de
littérature jeunesse, qui ne connaissait que la devise : <<
L'offre crée la demande » doit aujourd'hui s'habituer à
<< La demande crée l'offre ». Et si la demande ne crée
pas totalement l'offre, elle l'influence beaucoup.
Alors, à la question : << Dans quelles mesures
les nouvelles technologies, dont principalement Internet, prises comme armes
marketing littéraire, ont-elles participé à imposer le
roman pour adolescents sur le marché éditorial ? », nous
pouvons désormais répondre que les nouvelles technologies
participe grandement au succès actuel du roman ados. La reconnaissance
de cette littérature n'est pas encore totale au sein du monde du livre,
qui la relègue souvent au stade de littérature de divertissement.
Pourtant, les chiffres
reflètent un changement d'esprit138 au sein
de la population de lecteurs français. Si les bestsellers sont en
majorité des sagas anglo-saxonnes, certains éditeurs publient des
romans ados - adultes français, originaux, engagés et de
qualité littéraire similaire à la littérature
générale. Comme cette dernière, la littérature
jeunesse est faite de différents styles pour les goûts de chacun
mais elle mérite une reconnaissance absolue de littérature
à part entière.
De là, nous pouvons aussi répondre à la
question : << Comment le roman pour adolescents permet à
l'édition de se renouveler grâce à un lectorat qui
s'affirme largement dans le paysage culturel avec des pratiques innovantes ?
».
Les jeunes lecteurs ont attiré les éditeurs sur
la Toile et les ont obligés à revoir leurs politiques
éditoriales et leurs stratégies marketing. Les digitals natives
ont fait entrer l'édition, et non seulement l'édition jeunesse,
dans une nouvelle ère. La communication n'est plus autoritaire et
descendante mais horizontale. Les internautes-lecteurs communiquent avec les
éditeurs, ils les remercient, les guident et parfois les critiquent. De
véritables échanges se font grâce à Internet.
L'interactivité réclamée par les jeunes inspire les
éditeurs. Bayard prouve, avec Cathy's Book et Skeleton
Creek, que le livre imprimé regorge de possibilités avec le
soutien des technologies. Il ne s'agit plus seulement de promotion mais de
relation et de création. Du livre papier interactif on imagine
déjà ce qu'un livre numérique pourra contenir.
Échanges instantanés sur un paragraphe, annotation d'une phrase,
envoi d'un extrait à un ami etc.
L'éditeur doit évoluer, devenir marketeur,
community manager et << ami » des lecteurs. Le roman ados a
relevé un challenge que la littérature générale
commence à peine à toucher du doigt. Car si quelques
éditeurs et auteurs de paralittérature générale,
comme Guillaume Musso et Marc Levy, ont depuis longtemps leur site et leur
blog, ce n'est que récemment que les maisons d'édition de
littérature générale comme Gallimard se lancent. Les
éditions du Seuil, Flammarion, Plon et beaucoup d'autres n'ont encore
rien développé sur Internet. Pourtant, viendra un jour où
les jeunes lecteurs, les digitals natives seront adultes et se tourneront vers
la littérature générale. Que se passerait-il si les
éditeurs n'étaient pas au rendez-vous ?
138 Op.cit. Annexe D. Etudes GfK : Courbe de
saisonnalité des sorties caisse GfK des romans ados de janvier à
juillet 2010 et 2011 en chiffre d'affaires, avec et sans l'effet
Twilight.
L'édition du livre se modifie et il peut être
difficile de prendre assez de recul pour comprendre les évolutions et en
tirer des leçons. Par conséquent, les éditeurs doivent
s'entourer de personnes aptes à les conseiller et les guider. Reculer ne
servirait à rien. L'édition ne sera en danger que si les
éditeurs ne se préparent pas aux futurs changements que les
nouvelles technologies engendrent. Le passage au numérique ne se fera
que si tous les acteurs de la chaîne du livre s'y mettent à leur
tour. Comme nous l'avons vu pour la littérature ados - jeunes adultes,
certaines librairies et bibliothèques ont déjà
adopté Internet afin d'améliorer leur communication et favoriser
la diffusion de la culture. Internet va rendre plus accessible la lecture
à ceux qui n'avaient pas les moyens ou les reflexes de s'y
intéresser. C'est un devoir pour les éditeurs, en tant que
passeurs d'art et d'idées, que d'investir cet outil et de le
maîtriser parfaitement.
La ville de Paris et l'organisme Region Innovation Lab ont
décidé de créer le laboratoire de l'édition
numérique. En plein coeur du Quartier Latin, un immeuble de 500m2 sera
entièrement consacré à l'avenir du livre
numérique.
À la fois incubateur de projets innovants et
plateforme d'informations et de rencontres sur les mutations du secteur, le
Labo de l'édition va accompagner les acteurs traditionnels dans leur
adaptation aux enjeux du numérique. Son objectif est aussi d'aider les
jeunes éditeurs à croître et à trouver leur
pérennité professionnelle. Piloté par Lyne Cohen-Solal,
adjointe au Maire de Paris chargée du Commerce, de l'Artisanat et des
Métiers d'art et par Jean-Louis Missika, adjoint au Maire de Paris
chargé de l'Innovation, de la Recherche et des Université, le
Labo aura également pour vocation de s'ouvrir au grand public et de
contribuer ainsi à la diffusion de l'information sur les nouveaux
supports et nouveaux usages.
Trois objectifs seront déterminants pour le rôle
que ce labo veut endosser :
· accompagner les professionnels du livre, libraires et
éditeurs indépendants désireux d'accéder au
marché numérique.
· soutenir les projets innovants du secteur de la librairie
et de l'édition numérique.
· mutualiser des compétences, des espaces de
réunion, de travail, de convivialité, des outils (réseau
internet haut débit, banc d'essai multi supports du livre
numérique, local d'enregistrement audio).
Ce projet est signe d'un réel besoin de formation
auprès des acteurs de la chaîne du livre. Si le livre papier a
encore beaucoup de temps devant lui, les techniques de ventes, de promotion, de
distribution et de diffusion vont peu à peu se
dématérialiser. C'est grâce à ses jeunes lecteurs,
issus de la génération numérique, que l'édition
jeunesse a pu anticiper ces modifications. Il est certain que l'avenir de
l'édition sera fait de surprises. Toutefois, nous pouvons encore nous
demander qui, entre les éditeurs et les lecteurs, nous surprendra le
plus ?