3.3 Aux origines du Capital Risque moderne
Le capital-risque moderne trouve son origine au croisement de
plusieurs facteurs :
- Le développement du management en tant que
discipline - notamment autour de la Harvard Business School, de
professeurs comme George Doriot, de la portée d'ouvrages comme ceux de
Fayol et de Taylor. L'apparition de nouvelles formes de management, comme le
management par projet, est concomitante avec le développement de
sociétés à forte croissance. Un nouveau modèle de
manager naît, porté par les enseignements de Harvard sur le
sujet.. Par ailleurs, la pluridisciplinarité devient un facteur
essentiel dans la réussite d'une entreprise. Il ne s'agit pas
d'être un inventeur génial, il s'agit d'être capable de
réunir au sein d'une même entreprise un ou plusieurs inventeurs
géniaux, un manager, un financier, un "marketeur"... Le rôle du
management est d'ailleurs considéré par les grands venture
capitalists comme le critère de choix le plus important. Bien avant le
produit... Et c'est sans-doute l'oubli de ce critère déterminant
qui a marqué les belles années Internet ;
- L'ouverture croissante de la recherche et de
l'Université au monde de l'entreprise. Cet
élément est spécialement vérifié aux
États-Unis, car c'est autour des grandes universités
américaines que se concentreront les venture capitalists. Boston et le
MIT, mais surtout Stanford et Berkeley en Californie, seront les berceaux de
ces entreprises de croissance. La proximité de la recherche et du vivier
de jeunes étudiants est un élément de dynamisme essentiel
au développement des entreprises de croissance.
- La nécessité, mise en lumière
par la Seconde Guerre mondiale, de financer la recherche
appliquée en lui ouvrant des débouchés
commerciaux, celle de fournir aux innovations des débouchés
commerciaux importants - ne serait-ce que pour financer d'autres innovations-
ne sont plus à démontrer. L'innovation a toujours
été un élément constitutif du développement
d'une entreprise. On peut penser évidemment à la
découverte de l'électricité, à la création
de Bell, au développement de Ford, au repositionnement de Nokia (de la
pâte à papier à la téléphonie mobile) ou au
rôle de Citroën. La nouveauté réside cependant dans
l'idée que - dans un monde où l'innovation
s'accélère- il peut être nécessaire, pour gagner du
temps, d'encourager la création d'une entreprise spécifique pour
développer un nouveau produit et l'accompagner sur le marché, en
espérant des profits uniquement dans un second temps. C'est cette prise
de conscience qui a permis le développement du capital-risque ;
- Un environnement législatif et
réglementaire - notamment fiscal et boursier - qui permet d'offrir aux
venture capitalists des portes de sortie. On a vu
à quel point cet élément fut déterminant aux
États-Unis à la fin des années 70. On
retrouve le même phénomène en France au
cours des années 80. Le capital-risque n'a de sens que s'il
peut laisser espérer aux investisseurs initiaux un
moyen de se retirer et de prendre leurs
bénéfices. Mais, là encore, il convient de ne pas faire
d'erreur sur ces portes de sortie. Ce n'est pas parce que le
mouvement s'accélère qu'il faut se
précipiter vers cette sortie. Georges Doriot a souvent
insisté sur la nécessité pour l'entreprise d'avoir atteint
une certaine maturité et une certaine solidité
financière avant de recourir à l'introduction en
bourse. Le rôle du venture capitalist est d'accompagner
l'entreprise vers cette maturité. L'accélération
Internet et la "bulle" boursière créée
autour des sociétés qualifiées de technologiques
a trop souvent encouragé les moins aguerris des venture
capitalists à envisager beaucoup trop tôt la
sortie, en espérant des gains substantiels de court
terme, et en sciant ainsi la branche sur laquelle ils
étaient assis.
- La partie financière n'est qu'une partie
"mineure" du capital-risque. Le capital-risque n'est pas un
métier de financiers. C'est un métier de découvreurs de
talents, de dénicheurs de nouveau modèles économiques, de
nouveaux produits et de potentialités. C'est un métier de
"cocooner de projets". Apporter des financements pour permettre le
développement de l'entreprise est un des volets important de
l'activité. Ce n'est pourtant pas ce qui va garantir le
développement du projet et le venture capitalist doit avoir un
véritable rôle de coach de l'entreprise : ouvrir son
réseau, conseiller les dirigeants, les accompagner dans leurs choix
stratégiques... Cette partie a trop souvent été
négligée pendant l'ère Internet, conduisant des
entreprises à commettre des erreurs stratégiques qui peuvent
aujourd'hui sembler basiques. De même, en amont de la décision
d'investissement, la sélection des dossiers est un élément
fondamental du métier. Il y faut du flair, de l'intelligence, une
réelle vision stratégique, à la fois dans une optique
centrée sur le dossier en lui-même mais également dans une
optique de gestion de portefeuille et donc de dilution du risque. L'afflux de
dossiers pendant la période Internet à souvent brouillé le
message pour les venture capitalists, qui ont alors eu du mal à
distinguer les vrais bons dossiers des mauvais. Un effet "moutonnier" a parfois
pris le pas sur une réelle vision stratégique d'un secteur : "
puisque tel fonds y va, sur un dossier similaire, alors c'est qu'il faut y
aller...". La "coopétition" qui caractérise fortement ce secteur
- dans lequel les intervenants sontà la fois concurrents et partenaires
- a parfois montré ces limites. Elle nécessite une très
grande maturité, qui a souvent manqué aux nouveaux entrants,
notamment en France. L'apparition de nouveaux acteurs - notamment des leveurs
de fonds- , servant d'intermédiaires entre les candidats au
capital-risque et les venture capitalists a permis de lever partiellement cette
difficulté. Mais il ne s'agit là que d'un palliatif.
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